Comprendre ses rêves : Télépathie, voyance et prémonitions dans les rêves - Camille Flammarion - E-Book

Comprendre ses rêves : Télépathie, voyance et prémonitions dans les rêves E-Book

Camille Flammarion

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On ne se souvient pas toujours des rêves. Pour saisir un rêve au vol, il faut être réveillé assez brusquement et y porter une vive attention, car rien ne s'efface plus vite que le souvenir d'un rêve. En général, c'est l'affaire d'une seconde ou deux, et si on ne le fixe immédiatement, il s'évanouit... comme un songe. Un grand nombre d'auteurs assurent qu'on ne rêve que le matin, avant de se réveiller, ou le soir en s'endormant. C'est là une erreur. Il suffit de se réveiller ou de réveiller quelqu'un à une heure quelconque de la nuit pour constater que l'on rêve toujours, ou presque toujours. Mais on ne se souvient pas toujours ; on ne se souvient même pas souvent, de même que, d'ailleurs, nous ne nous souvenons pas des trois quarts des pensées qui ont traversé notre cerveau pendant le jour. En général, on rêve aux choses dont on s'occupe et aux personnes que l'on connaît. Cependant, il y a des exceptions bizarres, et les pensées les plus intenses du jour n'ont parfois aucun retentissement durant le sommeil suivant. Les attitudes du sommeil tendent à un équilibre passif. Toutes les activités sensorielles s'obscurcissent par degrés et l'oubli du monde extérieur arrive par transitions insensibles, comme si l'âme se retirait lentement vers ses derniers refuges. Les paupières se ferment et l'oeil s'endort le premier. Le toucher perd ses facultés de perception et s'endort ensuite. L'odorat s'assoupit à son tour. L'oreille reste la dernière, sentinelle vigilante, pour nous avertir en cas de danger, mais elle finit aussi par s'assoupir. Alors le sommeil est complet et le monde des rêves s'ouvre devant la pensée avec sa diversité indéfinie.

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Table des matières

Chapitre I : Manifestations de mourants ressenties pendant le sommeil, la télépathie dans les rêves

Chapitre II : La vue a distance, en rêve,des faits actuels

Chapitre III : Les rêves prémonitoires et la divination de l’avenir

CHAPITRE I :

MANIFESTATIONS DE MOURANTS RESSENTIES PENDANT LE SOMMEIL, LA TÉLÉPATHIE DANS LES RÊVES

Jusqu’à présent, le sommeil et les rêves ont été beaucoup étudiés, il est vrai, et par un grand nombre d’observateurs perspicaces 1, mais il faut avouer qu’ils ne sont encore que bien incomplètement élucidés. Le sommeil n’est pas un état exceptionnel dans notre vie ; c’est, au contraire, une fonction normale de notre existence organique, dont il représente le tiers, en moyenne. L’homme ou la femme qui a vécu soixante ans en a dormi vingt, ou à peu près. Les heures de sommeil (trois mille par an !) sont, sans contredit, des heures de repos, de réparation vitale, pour le cerveau comme pour les membres assoupis ; mais ce ne sont pas des heures de mort. Nos facultés intellectuelles restent en activité, avec cette différence essentielle et capitale que c’est l’inconscient qui agit, et non pas notre logique consciente et raisonnable de l’état éveillé.

De même que l’on pense constamment à une chose ou à une autre, de même, pendant le sommeil, on rêve constamment. Le rêve est l’image de la vie. Ceux dont les idées sont fortes, dont les pensées sont puissantes, ont des rêves intenses. Ceux qui pensent peu rêvent faiblement. Il y a autant de rêves que d’idées, et toutes les classifications tentées ont été à peu près vaines et illusoires.

On ne se souvient pas toujours des rêves. Pour saisir un rêve au vol, il faut être réveillé assez brusquement et y porter une vive attention, car rien ne s’efface plus vite que le souvenir d’un rêve. En général, c’est l’affaire d’une seconde ou deux, et si on ne le fixe immédiatement, il s’évanouit… comme un songe. Un grand nombre d’auteurs assurent qu’on ne rêve que le matin, avant de se réveiller, ou le soir en s’endormant. C’est là une erreur. Il suffit de se réveiller — ou de réveiller quelqu’un — à une heure quelconque de la nuit pour constater que l’on rêve toujours, ou presque toujours. Mais on ne se souvient pas toujours ; on ne se souvient même pas souvent, de même que, d’ailleurs, nous ne nous souvenons pas des trois quarts des pensées qui ont traversé notre cerveau pendant le jour.

En général, on rêve aux choses dont on s’occupe et aux personnes que l’on connaît. Cependant, il y a des exceptions bizarres, et les pensées les plus intenses du jour n’ont parfois aucun retentissement durant le sommeil suivant. Les cellules cérébrales qui y ont été associées sont épuisées et se reposent, c’est fort heureux. D’autre part, le temps et l’espace sont annihilés. Des événements de plusieurs heures et même plusieurs jours peuvent se dérouler en une seconde. Vous pouvez vous retrouver d’un grand nombre d’années en arrière et dans votre enfance, avec des personnes mortes depuis longtemps, sans que ces lointains souvenirs paraissent affaiblis. Vous rencontrez sans étonnement en songe des personnes d’un autre siècle. On peut rêver aussi à des choses qui ne sont jamais arrivées et qui seraient d’ailleurs impossibles. Les images saugrenues et burlesques les plus disparates et les plus incohérentes s’associent, sans la moindre vraisemblance et sans la moindre logique.

Certains rêves proviennent même d’une transmission héréditaire.

Mille causes diverses agissent sur les rêves, en dehors de l’esprit lui-même : une digestion difficile, une respiration contrariée, une position du corps, le frôlement du drap, de la chemise, une couverture trop lourde, un refroidissement, un bruit, une lumière, une odeur, le toucher de la main, la faim, la soif, la plénitude des tissus, tout agit sur les rêves.

On peut remarquer, par exemple, à ce propos, une hallucination hypnagogique assez fréquente, c’est celle qui nous fait tomber dans un trou, manquer une marche d’escalier, glisser au fond d’un précipice. Elle arrive généralement un peu après le commencement de notre sommeil, à l’instant où les membres s’assouplissant entièrement, font, me semble-t-il, changer de place tout d’un coup le centre de gravité de notre corps. C’est sans doute ce déplacement subit de notre centre de gravité qui donne naissance à ce genre de rêves.

Les attitudes du sommeil tendent à un équilibre passif. Toutes les activités sensorielles s’obscurcissent par degrés et l’oubli du monde extérieur arrive par transitions insensibles, comme si l’âme se retirait lentement vers ses derniers refuges. Les paupières se ferment et l’œil s’endort le premier. Le toucher perd ses facultés de perception et s’endort ensuite. L’odorat s’assoupit à son tour. L’oreille reste la dernière, sentinelle vigilante, pour nous avertir en cas de danger, mais elle finit aussi par s’assoupir. Alors le sommeil est complet et le monde des rêves s’ouvre devant la pensée avec sa diversité indéfinie.

Vers ma vingtième année (19 à 25 ans), je m’étais amusé à observer mes rêves et à les écrire au réveil, avec les commentaires qui pouvaient les expliquer. J’ai continué, depuis, mais assez rarement, à prendre de nouvelles notes sur ce sujet. Je viens de retrouver ce registre, assez volumineux, intitulé ’Oneïroï2 et écrit quelquefois en grec et en latin — comme diversion, je suppose. Il a pour soustitre Gnothi seauton3. J’en avais tiré certaines conclusions qui ne sont pas sans intérêt.

J’extrairai de ce registre inédit quelques rêves et quelques réflexions qui me paraissent tout à fait à leur place ici.

J’avais quitté l’Observatoire de Paris, à la suite de dissentiments avec son directeur, Le Verrier, et j’avais été chargé, au Bureau des Longitudes, des calculs relatifs aux positions futures de la lune. Je rêve que je suis au Palais-Royal, dans la galerie d’Orléans, chez le libraire Ledoyen, et que M. Le Verrier entre et achète mon premier ouvrage, La Pluralité des mondes habités.

Me voyant là : « C’est de lui ? fit-il en me regardant. — Oui, monsieur, le sénateur, répond le libraire, et c’est notre plus grand succès de librairie. »

Il y avait plusieurs personnes au magasin. Elles disparaissent toutes comme par enchantement, et je me trouve seul avec Le Verrier, dans un immense salon d’hôtel.

« Est-ce que vous vous plaisez au Bureau des Longitudes, me demande-t-il, avec ces Mathieu, ces Laugier, ces Delaunay ? Vous feriez mieux de rentrer à l’Observatoire.

— J’y suis fort bien, répliquai-je. Ces calculs sont plus intéressants que vos réductions d’observations.

— Pas d’avenir là ! Continua-t-il. A votre place, j’entrerais dans un ministère.

— M. Rouland a reçu une invitation pour m’admettre aux Travaux publics, à la statistique de la France.

— Rouland ? Non : Legoix.

— Vous avez raison. Mais j’ai refusé. L’astronomie est au-dessus de tout.

— Cependant, le principal, dans la vie, est d’avoir une bonne place.

— Nous ne sommes pas sur la terre pour manger, mais pour nourrir notre esprit des aliments qu’il préfère.

— Vous êtes bien désintéressé ! Vous n’arriverez rien.

— Nous ne comprenons pas la science de la même façon. Pour moi, elle n’est pas un moyen, elle est en elle-même son propre but.

— Je pourrais vous confier à l’Observatoire un poste important, mais il faudrait pour cela que vous quittiez d’abord le Bureau des Longitudes et que j’aie la garantie que vous ne quitterez plus l’Observatoire.

— Et pourquoi quitterais-je une situation qui réaliserait une partie de mes espérances ?

— Ce que vous appelez la philosophie astronomique est une chimère. L’astronomie, c’est le calcul.

— Le calcul en est la base, rien de plus.

— Nous aviserons », ajouta-t-il en tournant sur sa jambe droite, et en se dirigeant vers une porte en tapisserie qui conduisait, me parut-il alors, à l’appartement qu’il occupait dans l’hôtel, et en me laissant seul avec mes réflexions.

Je me réveillai : 7 heures sonnaient.

Ce rêve s’explique très facilement par mes préoccupations à cette époque. L’illustre astronome y garde absolument le caractère sous lequel je le connaissais. Le nom de Rouland, ministre de l’Instruction publique, mis à la place de Rouher, ministre des Travaux publics, a pu avoir pour cause la similitude des deux noms et le fait que je voyais plus souvent ce nom que le second. M. Legoix était alors chef du bureau de la Statistique, et il avait été question pour moi d’y entrer, en effet. Le Verrier témoignait, en toute occasion, un profond dédain pour le Bureau des Longitudes. Ce rêve est donc tout simplement le reflet, l’écho de pensées réelles.

Il est assez raisonnable. Nous en faisons tous d’autres qui le sont beaucoup moins. En voici un qui se termine d’une manière bien baroque.

Je rencontre mon ami le docteur Édouard Fournié, qui me reproche de n’être pas allé le voir depuis longtemps et qui ajoute : « Ces reproches ne viennent pas seulement de moi, mais aussi de Mlle A… qui se plaint de votre indifférence. Elle ne vous a pas eu pour danser avec elle au bal de Mlle F… ; elle s’est monté la tête, parce qu’on lui a dit que vous étiez allé à une autre soirée, et son chagrin, dont elle ne pouvait parler à personne, a amené chez cette pauvre enfant une fièvre cérébrale.

« Un étudiant en médecine, jeune chirurgien, l’a soignée et est parvenu à la sauver. Il l’a guérie non seulement de cette fièvre, mais même de la cause de cette maladie, car dès qu’il eut vu la fève conjugale, il devint passionnément amoureux, elle répondit à son amour, et maintenant c’est lui qu’elle aime. Elle est en pleine convalescence. »

Je lis dans la note ajoutée à ce rêve : « Je connaissais Mlle A…, j’avais pour elle une vive admiration, et je lui avais dédié ma romance Si tu savais ; mais je n’avais pas cru à une réciprocité de sa part. J’avais rencontré chez le Dr Fournié, un jeune chirurgien du Val-de-Grâce en costume assez élégant, qui m’avait paru faire la cour à cette demoiselle. J’en avais eu du dépit et je m’étais retiré. Le rêve n’est donc encore ici qu’une association d’idées habituelle. Mais l’expression fève conjugale est curieuse en ce sens qu’elle paraît être une déformation de l’assonance fièvre cérébrale. Elle est bien extravagante, quoiqu’elle rappelle un peu la métamorphose, dans le rêve précédent, de Rouher en Rouland. On sent que les cellules de l’encéphale travaillent là obscurément dans l’inconscience. Peut-être même, en se reportant à la situation du rêve, pourrait-on trouver un autre rapprochement d’images qui aura pu donner naissance, en cérébration inconsciente rapide, à cette expression singulière… »

Dans un autre rêve, je me trouve vers les derniers rangs d’une armée en bataille. Des balles viennent à passer auprès de moi, d’énormes boulets se succèdent, mais aucun bruit. Je regardais les boulets venir et me détournais, soit à gauche, soit à droite, suivant leur direction. Mais ils se succédèrent bientôt à de si courts intervalles que je pensai que le mieux à faire était de ne pas me déranger, car en évitant l’un je pouvais me trouver sous la visée de l’autre.

Je me dis alors : « Que les hommes sont bêtes de s’amuser comme ça ! N’ontils donc rien autre chose à faire ? »

L’explication de ce rêve est également fort simple. J’avais tiré à la conscription, quinze jours auparavant, un mauvais numéro. Ce qu’il y a de plus curieux peutêtre, ce sont ces boulets inoffensifs arrivant sans bruit, et que l’on voit venir.

Autre songe :

— Nous étions plusieurs sur une place publique. Dans les airs, au-dessus de nos têtes, un immense ballon semble lutter désespérément contre le vent. Tout à coup, il se retourne complètement, la nacelle en haut. La foule s’amasse, s’attendant à voir tomber l’aéronaute. Mais un parachute est lancé dans l’espace et l’aéronaute descend.

Ce rêve est bizarre. Il est difficile de penser qu’un ballon puisse se retourner ainsi. On voit en rêve des choses irrationnelles et qui ne peuvent pas arriver. Depuis plusieurs semaines, M. de la Landelle annonçait le départ d’un ballon monstrueux.

— Je rêve que plusieurs femmes m’accostent dans la rue. La dernière étant remarquablement jeune et gracieuse, je me retourne pour la regarder. Mais voilà que j’entends des personnes disant : « C’est le président ! c’est le président ! » J’eus honte et je continuai mon chemin.

J’étais alors président d’une petite société de jeunes gens qui consacraient leurs loisirs à la littérature. J’ai agi en rêve comme j’aurais agi éveillé.

— Aujourd’hui, 5 octobre 1863, Mlle K. D… me raconte qu’elle a rêvé me voir dans le ciel, de l’autre côté de la lune, avec un compas d’or en main, mesurant des grandeurs inconnues. Tout à coup, je redescends rapidement vers elle, lui dire qu’une nouvelle planète était là, que l’on ne connaissait pas encore.

Aujourd’hui, je reçois le n° 1439 des Astronomische Nachrichten qui m’apprend qu’une nouvelle planète vient d’être découverte. On ne le sait pas encore en France, et je l’annoncerai demain dans le Cosmos.

Il n’y a sans doute là qu’une simple coïncidence. Vers cette même date, je lis dans ce registre la note suivante :

Le docteur Hoefer, directeur de la Biographie générale publiée chez Didot, me disait hier que les rêves représentent des opérations de l’âme complexes et difficiles à déterminer. A l’article Humboldt, il avait écrit que l’Allemagne pouvait être fière de deux grands hommes, bien différents dans leur génie, Frédéric le Grand et Alexandre de Humboldt. Celui-ci, auquel il avait envoyé une épreuve, lui écrivit pour le supplier, à genoux, de retrancher cette comparaison, se croyant trop petit pour être appelé génie dans le pays de Leibniz, et trop attaché aux idées de liberté pour être mis en accolade avec Frédéric.

Le docteur Hoefer avait remis de jour en jour sa réponse à cette lettre, quand il apprit la mort de l’illustre savant.

Environ deux mois après, il rêva se trouver dans un immense et splendide salon, brillamment décoré, dans lequel un auditoire attentif écoutait un orateur. Cet orateur, c’était lui-même. Mais voilà qu’en promenant ses regards sur l’auditoire, il reconnaît son ami Humboldt. « Tiens ! s’écria-t-il soudain, en s’interrompant dans son discours, comment, c’est vous ? On m’avait dit que vous étiez mort.

— Non, mon cher, répondit Humboldt avec son sourire habituel, c’était une plaisanterie. J’ai fait courir le bruit que j’étais mort, mais vous voyez bien que ce n’est pas. »

Ce rêve est encore le résultat des préoccupations habituelles, et Humboldt mort n’y est certainement pour rien.

— J’assiste à une séance de spiritisme dans laquelle M. Mathieu, doyen du Bureau des Longitudes et de l’Académie des sciences (beau-frère d’Arago), était médium. On m’apporte la tête de mon père, très belle, comme en ivoire ou en cire. Je ne suis pas du tout impressionné de ce tableau, d’autant plus que mon père, bien vivant dans ce rêve comme il l’était en réalité, assistait à cette exhibition et n’en voulait rien croire.

A classer parmi les absurdités les plus stupéfiantes.

— Je pars de l’Observatoire, où se trouvait le Bureau des calculs du Bureau des Longitudes (faux : c’était alors rue Notre-Dame-des-Champs) et où je venais de porter un toast « à la chute de M. Le Verrier », je traverse une cour gothique moyen âge, qui n’existe pas, et vais à Montrouge : là, ce sont les remparts de la ville de Langres et leur paysage étendu.

Associations d’idées et d’images contradictoires.

— Vu en rêve des hommes volants qui passaient au-dessus de la rue de Rivoli. Parmi eux était mon oncle Charles, qui arrivait d’Amérique en leur compagnie.

Je préparais alors (1864) mon second ouvrage : Les Mondes imaginaires, où il est question des hommes volants, et dans les séances de spiritisme, des communications étaient signées de cet oncle Charles (qui n’était pas mort du tout).

— Après le bal de l’Opéra. L’orchestre continue de jouer, les danses n’ont pas cessé, les aventures et les intrigues marchent comme en réalité.

Sensations de la veille continuées.

— Magnifique journée passée à Athènes. Je faisais un petit voyage, et j’arrivai là fortuitement avant le lever du soleil. J’étais sur l’Acropole, en vue d’un magnifique panorama. J’errai parmi des tombeaux, des monuments de marbre blanc, des statues couchées.

Imagination pure.

— M. Le Verrier se montre souvent dans mes rêves. Décidément, il m’occupe plus la nuit que le jour. Cette nuit, j’étais dans le pavillon du gardien de l’Observatoire. Il était tard. Mme Le Verrier vint me trouver et me causa avec toute l’amabilité du monde. Nous nous promenâmes dans les jardins. Elle m’assura que son mari serait très heureux de me revoir, que j’aurais un instrument à moi pour observer quand je voudrais, que je serais indépendant, toutes choses invraisemblables et impossibles.

Je copie textuellement. Dix ans après, c’est précisément là ce qui arrivait : M. Le Verrier mettait à ma disposition le grand équatorial pour mes mesures d’étoiles doubles. Mais ce n’est pas pour cela un rêve prémonitoire. Des associations de pensées l’expliquent complètement.

Voici un fragment de lettre que j’hésitais à imprimer (bien des rêves, assurément, ne peuvent pas l’être), mais qui pourtant, me semble-t-il, peut être lu. J’avais un camarade nommé Sazin.

« Revenant hier soir de chez toi, m’écrit-il, avec Laurent, Deflandre et Gonet, je ne fis aucune rencontre qui ait pu donner naissance au rêve que je fis cette nuit. Vers une heure et demie, je m’endormis. Je rêvai que je me trouvais avec toi sur le boulevard. Une femme de mœurs légères, que je connais, passa, et fut accostée par un homme qui partit avec elle. Je les suivis (dans mon rêve) et restai dans la chambre, spectateur invisible. L’homme était grand et blond, l’air d’un Anglais. Je ne le connais pas. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque ce matin, en passant, je vis sortir du n° 68 de la rue de la Victoire cette même femme avec ce même homme ! »

Ce cas est intéressant, sans être probant. Il n’est pas impossible que, sans le remarquer, l’auteur eût déjà rencontré ce monsieur blond dans son quartier, ou peut-être ce soir-là même, non loin de la femme. Le rêve peut les avoir associés. Ce n’en est pas moins curieux comme coïncidence.

— Je rencontre au jardin du Luxembourg M. Desains, membre de l’Institut, professeur à la Sorbonne, physicien de l’Observatoire (ce qui m’est arrivé assez souvent), qui me dit écrire un ouvrage sur les hommes des planètes, lequel serait une restauration de la théorie de Wolff, d’après laquelle la taille des êtres est en proportion de la dimension des yeux, et les yeux en proportion de la dilatation de la rétine, celle-ci étant inversement proportionnelle de l’intensité de la lumière, si bien que dans notre système solaire les habitants de Mercure seraient les plus petits et ceux de Neptune les plus gigantesques.

Je lui réponds que cette hypothèse n’est pas fondée, que les éléphants ont de petits yeux, relativement à leur taille, que les chouettes en ont de grands et ne sont pas gigantesques.

« C’est pour vous que je travaille, ajoute-t-il, vous en ferez ce que vous voudrez. »

L’explication de ce rêve est également dans mes recherches astronomiques et physiologiques de cette époque.

Si je rappelle un certain nombre de ces rêves, c’est que leur étude est loin d’être étrangère à la psychologie et aux problèmes qui nous occupent, peut-être même nos conclusions offriront-elles plus d’une application lorsque nous arriverons au spiritisme.

— Rêvé être sur une haute montagne. Une nuée de corbeaux passe en croassant. Ils se dépouillent, comme des chenilles de leurs peaux et des papillons de leurs chrysalides, et laissent tomber au tour de moi leurs enveloppes qui, à ma stupéfaction, ne ressemblaient pas à des corbeaux, mais à des têtes parcheminées d’orangs-outangs. L’astronome Babinet, qui était là, en emplit ses poches.

Explication : la veille, j’avais beaucoup remarqué, dans l’atlas céleste de Flamsteed, la constellation du Corbeau. Le savant Babinet n’était pas beau, et son visage, comme celui de Littré, faisait penser à l’origine simienne de l’humanité.

— A mon réveil, ce matin, j’ai entendu prononcer ce nom : « Mlle d’Arquier ». Or, hier, j’ai écrit dans le Cosmos que la nébuleuse perforée a été trouvée par d’Arquier en 1779.

Je trouve aussi dans le même cahier les réflexions suivantes :

— Presque tous mes rêves ont en ce moment pour objet la plus belle des jeunes femmes que j’aie rencontrées en ce monde, Mme S. M.

Celui qui connaîtrait les rêves d’une personne connaîtrait ses sentiments.

Cependant, s’il arrive souvent que les pensées dominantes de la veille entrent pour une bonne part dans les songes, elles ne les remplissent pourtant pas autant que pendant le jour : il s’y mêle d’autres impressions bien inattendues, et nous sommes même quelquefois en rêve l’opposé de ce que nous sommes en réalité. Il y a du vrai et du faux. En jugeant d’après certains rêves, on s’exposerait donc à juger mal.

M. Didier, l’éditeur, m’apprend qu’ordinairement il a conscience de ses rêves et sait parfaitement que ce qu’il y fait n’est pas vrai.

« Il y a longtemps de cela, me dit-il, je me trouve en rêve dans un salon, à côté d’une femme élégante et très désirable. Je la prends dans mes bras, je l’embrasse, elle se laisse faire, et malgré tout ce monde qui me regardait, je me dis : “ Cela m’est bien égal, puisque je rêve ”. Et, en effet, j’ai agi en dédaignant tous ces regards inexistants et comme si j’avais été seul. »

Un jour, dans un rêve, étant poursuivi par un malfaiteur et sur le point d’être atteint, il se dit à lui-même : « Pour lui échapper, je n’ai qu’à finir ce rêve en me réveillant ». Et il se réveilla.

Autre extrait du même cahier :

— Je m’étais rendu au château de Compiègne où M. Filon, précepteur du prince impérial, m’a entretenu de Home, que je ne connais pas encore. J’ai dîné et couché au collège. Le principal, M. Paradis, m’a fait part d’un rêve méritant d’être consigné. Il dormait profondément et rêva qu’une grosse et hideuse araignée grimpait sur lui et arrivait sur sa poitrine. Son horreur fut telle qu’il se réveilla en sursaut. Sa femme s’en étant aperçue, lui demanda la cause de son réveil subit, et il lui raconta cette espèce de cauchemar. Mme Paradis étendant la main sur la couverture trouva une grosse araignée.

Il est probable que le dormeur aura reçu, tout en dormant, l’impression du passage de cette vilaine bête sur sa main ou sur son cou, et que cette impression aura déterminé le rêve.

— J’ai fait un rêve dans lequel je saignais du nez, ce qui ne m’arrive jamais, ou presque jamais. Ce matin, en m’éveillant, je me suis aperçu que j’avais un peu de sang dans les fosses nasales.

Impression causée par une sensation physique également.

— J’étais dans la caverne d’un volcan à Paris ou dans les environs. Je ne sais ce qui m’était arrivé, auprès d’un passant, mais je lui parlais avec fierté, le chapeau sur la tête, et le priais de passer son chemin sans me dire un mot. Tout à coup, au fond de la caverne, une douce et resplendissante lumière inonde les entrailles du volcan ; puis je vois s’ouvrir de ravissantes mines de cristal qui se développaient en brillantes stalactites. Le sol ne tremblait pas. Des ombres, couvertes de capuchons de moines, sortirent de ce sol remué, vêtues de robes de bure. Un léger mouvement de frayeur s’empara de moi, mais je pus bientôt me maîtriser et attendre avec calme que l’un de ces revenants fût près de moi. J’étais seul du monde des vivants, et je n’eus pas peur, car j’étais en ce moment dominé par le plus ardent désir d’interroger ces ombres sur l’autre monde, afin d’avoir enfin la certitude à laquelle j’aspirais. Dès qu’un de ces morts fut assez rapproché de moi, je m’avançai vers lui et lui demandai avec supplication s’il revenait réellement du séjour des morts, si tous les hommes y revivaient, si c’était là un monde positif et défini comme celui des vivants. Il allait me répondre lorsque la scène changea de face, et au lieu des colonnes irrégulières de cristal naturel qui s’étaient laissé voir dans le fond, des substances inconnues, limpides, transparentes et décorées des nuances les plus riches se mirent en mouvement de bas en haut et de haut en bas. C’était splendide. Une belle lumière éclairait ces diverses couleurs. Les ombres continuaient à se promener tranquillement. La terre ne tremblait pas et la majesté de ce spectacle n’était troublée par rien d’affreux. Cependant, l’idée de la fin du monde s’empara de moi, je sentis les paroles expirer sur mes lèvres, et bientôt même je n’eus plus le désir de faire les questions précédentes, car je pensais d’un instant à l’autre passer sans trouble de l’état de vie où j’étais encore, à l’état d’outre-tombe où étaient ceux qui m’entouraient.

Une note ajoutée à ce rêve paraît l’expliquer : « Je pense beaucoup à l’au-delà depuis quelque temps, et aux possibilités de créations différentes de celle au milieu de laquelle nous vivons. »

— Je suis à la librairie académique Didier, où j’ai publié mes premiers ouvrages, La Pluralité des Mondes habités, Les Mondes imaginaires, Dieu dans la Nature, etc. J’y trouve MM. Cousin, Guizot, de Barante, de Montalembert, Lamartine, Maury, Mignet, Thiers, Caro, que j’y ai, en effet, quelquefois rencontrés. MM. Jean Reynaud, Henri Martin et Charton, que je connaissais plus particulièrement, m’avaient arrêté un instant, à la porte d’entrée, sur le quai, et m’avaient prié de ne pas rester longtemps parce qu’il y avait réunion à côté, au Magasin pittoresque. M. Didier, un instant après mon arrivée, me dit : « Venez donc avec moi aux Tuileries, c’est la musique de la garde qui joue ». Nous laissons tout le monde à la librairie et nous partons. « Vous n’avez donc plus votre employé Maindron ? lui demandai-je sur la route. — Non. — Ne le remplacerez-vous pas ? — Si j’étais sûr d’un bon sujet, d’un garçon laborieux et intelligent ! — J’en ai un à vous proposer. — Vraiment ? — Oui : mon frère. Il est tout jeune, il a quatre ans de moins que moi, il aime le commerce, et je suis sûr que la librairie lui irait parfaitement. — Eh bien, qu’il vienne. »

Nous arrivons aux Tuileries, les chaises sont pleines de monde, nous essayons de nous faufiler. L’empereur, qui était assis sur une chaise, se lève et l’offre à M. Didier en lui disant : « Qu’est-ce que fait Maury, qu’on ne le voit plus ? — Sire, répond l’éditeur, ils sont tous en ce moment à ma librairie, préparant un coup d’État. » Sur ce, la scène change devant mes yeux pour faire place à une vallée de la Haute-Marne, en face Bourmont, et à un ruisseau sur les bords duquel je jouais étant petit avec mon frère.

Ce rêve s’explique par des associations d’idées fort simples. J’avais, en effet, fait entrer mon frère comme employé à la librairie Didier. Quelques jours avant ce rêve, j’avais dîné et couché chez l’historien Henri Martin, où il avait été question du coup d’État, et les souvenirs des auteurs que j’avais rencontrés plus d’une fois sur le quai des Augustins avaient réveillé toutes ces réminiscences. M. Maury était bibliothécaire de l’empereur et déjeunait assez souvent avec lui. L’idée que tous ces auteurs se soient trouvés à la librairie le même jour à la même heure, est tout à fait invraisemblable ; celle que l’empereur ait été assis sur une chaise à la musique des Tuileries est absurde. Mais tout paraît naturel dans les rêves.

M. Didier n’était pas mort, et en entrant à la librairie dans la journée, je le vis comme d’habitude, et nous nous donnions la main sans paraître nous étonner. Je songeai alors qu’on l’avait enterré en léthargie il y a trois jours (5 décembre 1865) et qu’il s’était réveillé dans son caveau. Mais je ne crus pas devoir lui demander une explication là-dessus et nous parlâmes d’affaires de librairie.

Après avoir causé, nous sortîmes ensemble comme d’habitude, et nous descendîmes les quais, vers les Tuileries. Sa personne, quoique ne différant pas de celle que j’ai connue, était étrange et sacrée. Il était cependant alerte et je lui dis qu’il avait l’air d’un ressuscité. « Je puis bien en avoir l’air, me répondit-il, puisque je le suis ». Il voulait à toute force me prendre la main, mais une horreur invincible me le défendait.

« Pardonnez-moi, lui dis-je, de vous refuser ; mais, je ne sais pourquoi, je ne puis faire comme je voudrais. »

Cette réponse commença de l’indisposer contre moi. Je fis alors un effort suprême et je pris son bras dans le mien ; mais bientôt je tremblai, et force me fut de le retirer. « Causons, lui dis-je, l’un à côté de l’autre. »

Cet homme me semblait un mort marchant et je vis par ses réponses qu’il n’avait plus son intelligence ni son jugement et parlait comme un automate. M’étant même par hasard un peu approché de ses lèvres, je sentis une mauvaise odeur qui acheva mon horreur. Et je ne sais alors quelle altercation survint entre nous ; mais je me disputai avec ce mort qui finit par me donner un soufflet.

Au même moment, une troupe de gendarmes et de sergents de ville parurent, et au lieu de nous trouver à l’Institut, devant lequel nous étions alors, nous nous trouvâmes sur le penchant d’une colline. Je le regardai alors fixement. « Ne savez-vous pas, lui dis-je, que je suis Camille Flammarion, votre auteur favori ? » Il parut se souvenir. « Oui, dit-il, grand auteur. Mais pourquoi ne voulez-vous pas de moi, Sylvie ? Vous avez horreur de moi, Sylvie. -Je ne suis pas Sylvie, lui dis-je, mais Camille. » Il me prit la main. Alors ce contact fut si horrible que je me réveillai.

Ce cauchemar peut avoir été causé par la mort de cet ami, arrivée trois jours auparavant. Il était mort subitement en s’asseyant au bureau des omnibus de la place Saint-Michel, et en le voyant le lendemain sur son lit, je m’étais demandé s’il n’était pas en léthargie. Cette mort m’avait beaucoup impressionné, et prié de prononcer un discours sur sa tombe, je l’avais fait sans pouvoir vaincre mon émotion. La forme agressive de ce cauchemar est inexplicable. La substitution de la fin est assez singulière. Il y a pourtant encore des songes plus incohérents. Ainsi, dans un autre rêve, la mer était à Montmartre, et un bateau à vapeur m’amenait dans la Haute-Marne, tout à côté.

Voici un rêve plus récent qui montre avec évidence l’action d’une cause étrangère au cerveau se superposant à un rêve et déterminant une image nouvelle.

— Ce matin (6 juin 1897), j’ai vu en rêve quelqu’un frappant fortement du talon sur une marche d’escalier en bois. Ce coup m’a réveillé. Il provenait d’une « boîte » d’artifice, par laquelle on annonce, à 6 heures du matin, l’une des fêtes annuelles de Juvisy (Pentecôte). Ce coup était tiré à 200 mètres de l’Observatoire, en haut de la rue Camille-Flammarion. On en a tiré deux autres ensuite.

Ainsi, le bruit qui m’a réveillé a été la cause déterminante d’une image qui m’a paru antérieure à mon réveil.

C’est-à-dire que cette image s’est produite pendant le temps très court nécessaire au réveil, peut-être un dixième de seconde.

Quand j’ai vu l’homme frappant du pied sur une marche d’escalier ; je rêvais que j’étais complètement nu, et que j’étais obligé, pour sortir de la pièce où je me trouvais et aller chercher mes vêtements, de traverser le salon, où causaient une trentaine de personnes. Il y avait très longtemps que mon inquiétude durait, et que je cherchais les moyens de sortir, quand je me suis réveillé. Or, en me réveillant, j’ai senti que j’avais froid, ayant rejeté ma couverture. C’est sans doute aussi cette sensation de froid qui a déterminé ce rêve, comme l’explosion a déterminé l’image d’un homme frappant du talon.

On voit par ces descriptions sommaires, prises sur nature, combien les rêves sont multiples et variés et combien de causes diverses les produisent.

C’est une erreur physiologique de penser que les éléments des rêves soient uniquement empruntés à la réalité. Pour ma part, par exemple (et je ne suis pas seul dans ce cas), j’ai très souvent rêvé voler dans les airs, à une faible distance audessus d’une vallée ou d’un gracieux paysage, et c’est même l’agréable sensation ressentie dans ces songes enchanteurs qui m’a inspiré le désir de monter en ballon et de faire des voyages aériens. Je dois dire, à ce propos, que la sensation d’un voyage en ballon, quelque splendide qu’elle soit par l’étendue des panoramas développés sous les yeux du contemplateur et par le solennel silence des hauteurs de l’azur, n’équivaut pas au point de vue du mouvement à celle de ces rêves, car dans la nacelle de l’aérostat on se sent immobile — molécule d’air immergée dans l’air qui marche — et c’est une désillusion.

On ne voit pas bien quels sont les faits de la vie organique qui peuvent donner la sensation du vol en rêve. Le vertige n’est certainement pas en jeu, comme on l’a supposé. Serait-ce le regret d’être inférieur aux oiseaux ? Mais la sensation ?

J’ai aussi, assez souvent, rêvé causer avec Napoléon. Assurément, j’ai beaucoup entendu parler de ce conquérant dans mon enfance, par des hommes qui l’avaient vu, et mon esprit a pu en être frappé. Mais la relation de cause à effet reste assez lointaine.

Je me vois quelquefois enfermé dans une tour, avec une belle prairie verte devant moi. Où en est la cause ?

Je suis quelquefois condamné à mort, et je n’ai plus que deux heures, une heure, une demi-heure, quelques minutes à vivre. Est-ce un souvenir passé ?

Parfois, j’ai voyagé en rêve sur les autres mondes, dans les profondeurs infinies. Mais ici il peut y avoir associations de pensées qui me sont familières.

En général, dans l’état normal des choses, les rêves sont si nombreux, si variés, si incohérents, qu’il est presque superflu d’en chercher les causes en dehors d’associations d’idées latentes dans l’esprit ou d’images endormies dans le cerveau. On rêve comme en pense, à toutes sortes de choses et de situations, seulement, au lieu de pensées, comme dans l’état éveillé, on s’imagine que l’on agit