Connaissance des Pères de l'Église n°174 - Collectif - E-Book

Connaissance des Pères de l'Église n°174 E-Book

Collectif

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Beschreibung

« Nous avons non seulement le droit, mais le devoir de comprendre la définition de Chalcédoine à la fois comme un aboutissement et comme un commencement. Il nous faudra nous écarter d'elle, non pour l'abandonner, mais pour mieux la comprendre, pour la pénétrer avec toute notre intelligence et tout notre coeur, pour devenir à travers elle plus proche de l'indicible Inaccessible, du Dieu sans nom, qui a voulu que nous le cherchions et le trouvions dans le Christ Jésus et par lui. Nous reviendrons toujours à cette formule parce que, quand il faudra dire brièvement ce que nous rencontrons dans l'ineffable connaissance qui est notre salut, c'est toujours à l'humble et sobre clarté de la définition de Chalcédoine que nous aboutirons. Mais nous n'aboutirons vraiment à elle (ce qui est autre chose que de se borner à la répéter) que si elle est, pour nous, non seulement un point d'arrivée, mais aussi un point de départ […]. La théologie contemporaine ne peut être que difficilement séparée de tout son passé. »

Karl RAHNER, Écrits théologiques, t. I, Paris, DDB, 1957, p. 117 ; 119.

« Le Concile fait exactement ce que faisaient les Pères, c'est-à-dire qu'il contemple l'Église et la richesse de son mystère par des images, alors que la plupart des traités réfléchissaient sur l'Église par le moyen d'une conceptualisation empruntée à la philosophie sociale. Il y a donc un changement de méthode assez remarquable, et qui est certainement un fruit du ressourcement patristique. »

D. GIANOTTI, « Les Pères de l'Église et Lumen gentium », in Ressourcement. Les Pères de l'Église et Vatican II, Paris, Cerf, 2013, p. 20.

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Éditorial

Ce numéro de Connaissance des Pères de l’Église est original, car il ne reprend pas le schéma habituel, amenant à étudier un Père de l’Église, une région, un thème ou un genre littéraire. En fait, il s’adresse non seulement aux lecteurs de CPE, mais aussi à un public plus large, en proposant une initiation à la lecture des Pères de l’Église, et il a pour but d’introduire le nouveau Manuel de patristique, intitulé justement : Découvrir les Pères de l’Église (sous la direction de M-A. VANNIER, Paris, Artège, 2024).

Après avoir rappelé l’actualité des Pères de l’Église, ainsi que leur apport à la catéchèse, à l’élaboration dogmatique…, comme dans le no 145 de notre revue, Philippe Molac montre à quel point les Pères de l’Église ont « une actualité de fécondation » (Card. Henri de Lubac), comment ils ont été repris comme une source vivante dans les différents textes du Concile de Vatican II, en écho du renouveau patristique de l’époque. Or, ce renouveau patristique, réalisé dans l’après-guerre, et qui a donné lieu entre autres à la collection Sources chrétiennes, est indissociable du renouveau biblique, auquel les Pères de l’Église ont largement contribué, comme le souligne Jean-Marc Vercruysse : « Lecteurs assidus et commentateurs inlassables de la Bible » (p. 17). Les Pères ont, en effet, établi le texte biblique, défini les différentes méthodes d’exégèse pour en comprendre le sens. C’est à partir de l’Écriture qu’ils ont également dégagé l’essentiel de leur théologie.

Le Concile a aussi rappelé que la proclamation de la Bible dans la liturgie « rend le Christ présent dans sa Parole ». Les Pères de l’Église l’ont rapidement compris et ils ont mis en place les structures de la liturgie, qu’ils ont centrées sur le mystère pascal. Ils ont défini le Symbole de foi, ils ont composé les anaphores, le Gloria, l’Exultet, comme le montre Emmanuel Bohler.

La prédication leur doit également beaucoup, comme l’explique Bruno Hayet, eux qui étaient de grands prédicateurs.

Afin de donner une idée des articles que l’on trouve dans Découvrir les Pères de l’Église, nous proposons l’article d’Élie Ayroulet sur un Père peu connu, Maxime le Confesseur.

En finale, Mère Lazare de Seilhac donne des orientations pour une bibliothèque patristique idéale, autant dire qu’à partir d’approches diverses, l’actualité des Pères de l’Église et leur apport ressortent clairement, ce qui invite à lire le nouveau Manuel de patristique : Découvrir les Pères de l’Église.

Marie-Anne VANNIER

L’APPORT DES PèRES DE L’ÉGLISE

Les Pères de l’Église, qui ont réalisé la transition entre le temps des Apôtres et celui de l’Église, sont véritablement nos Pères dans la foi et nos frères dans la vie de l’Esprit. Leur actualité1 est largement reconnue, mais à quoi tient-elle vraiment ? Sans doute ont-ils vécu, comme nous, dans un monde en mutation. Mais le contexte de la Chute de Rome était différent du monde actuel. En revanche, force est de constater que les Pères ont été des pionniers dans tous les domaines : l’exégèse, l’herméneutique, la liturgie, la théologie sacramentaire, la catéchèse, la prédication, la dogmatique, l’éthique… Ils ont tout construit, en une sorte de printemps de l’Église que nous retrouvons aujourd’hui. Ils sont vraiment « nos Pères dans la foi ». Sans doute ont-ils repris et réinterprété l’apport du judaïsme et de certains éléments de la culture gréco-romaine. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont annoncé la nouveauté du christianisme dans un monde qui en était souvent éloigné. Ils ont eu une véritable expérience de l’Esprit Saint. Ce sont effectivement « nos frères dans la vie de l’Esprit », qui nous invitent à engager un dialogue analogue avec le monde contemporain, à trouver notre identité chrétienne dans une société sécularisée, où le christianisme tend à devenir un fait de culture plutôt qu’un chemin de vie. Ils nous y aident, eux qui ont fait de leur vie un Évangile vivant et qui ont su rendre compte de leur espérance. À côté de l’Écriture, les Pères constituent la Tradition vivante et ils ont une actualité de fécondation, dans la mesure où ils contribuent à réaliser un renouveau ou un discernement, ce qui apparaît nettement au moment des Conciles, lorsque la référence aux Pères permet de prendre un tournant. Comme d’autres articles de ce numéro traitent de la lecture de la Bible, de la liturgie et de la prédication, nous nous limiterons à l’apport des Pères dans l’élaboration dogmatique, ce qui amènera à aborder rapidement leur apport à la catéchèse et plus largement leur pastorale.

Or, le domaine dogmatique est des plus vastes. Il regroupe, en effet, l’anthropologie, la christologie, la théologie trinitaire, l’ecclésiologie, la sotériologie… Nous ne pourrons qu’en donner un aperçu, qui pourra être prolongé par la lecture du Manuel de patristique.

L’ANTHROPOLOGIE

L’une des composantes essentielles de la dogmatique est l’anthropologie. Or, les Pères ont su dégager une vision chrétienne de l’être humain (voir CPE 87 et 88). Ce n’est pas un hasard s’ils ont consacré de longs commentaires au verset de Genèse 1, 26, relatif à la création de l’homme à l’image de Dieu. Sans doute ne procédons-nous plus de même, mais la conception de l’être humain qu’ils en ont retirée n’en est pas moins parlante pour notre époque. Elle n’a rien de statique, mais elle suppose un progrès constant, ce que Grégoire de Nysse appelle l’épectase. Les Pères expliquent que l’être créé est en relation avec son créateur et s’accomplit dans cette relation même. Par une conversion sans cesse renouvelée, par le concours de la liberté et de la grâce, il est appelé à la divinisation. Le premier à avoir proposé cette conception de l’être humain n’est autre qu’Irénée de Lyon qui, dans sa lutte contre la gnose, a été amené à dire que « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant et la vie de l’homme, la vision de Dieu » (Contre les hérésies IV, 20, 7) ou encore que « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ». Force est de constater la profondeur de l’approfondissement anthropologique qui a été le sien à l’aube du premier millénaire. Quelques siècles plus tard, Augustin est allé encore plus loin, en se faisant, en quelque sorte, précurseur des philosophies du sujet, en montrant que l’être humain se constitue dans la relation à Dieu et aux autres, en d’autres termes par la médiation de l’altérité et de l’intersubjectivité2. Il a développé, dans ses Commentaires de la Genèse principalement, toute une dialectique autour du terme forma, pour montrer que l’être humain, qui reçoit sa forma à la création, peut devenir deformis forma (difforme) par l’aversio a Deo, s’il se détourne de son créateur, ou forma formosa (forme belle) par la conversio ad Deum, en se tournant vers son créateur, avant d’être conformé à la forma omnium, à la Forme par excellence qu’est le Christ (voir De Trinitate XV, 8, 14).

LA CHRISTOLOGIE

Cette conformation au Christ est la recherche fondamentale des Pères de l’Église et aussi la nôtre. Ayant rencontré le Christ, ils cherchent à mieux le connaître pour vivre de sa vie et aimer de son amour. Ils y sont amenés en raison des diverses hérésies qui tendraient à le réduire à sa nature humaine ou à sa nature divine.

Or, le Nouveau Testament évoque la vie du Christ, mais il n’est jamais question de préciser le rapport entre sa nature humaine et sa nature divine dans l’unité de sa personne (voir CPE 90), ce qui est au cœur même de la christologie. Ce sont les Pères qui, en répondant à Arius, ont été amenés à préciser la divinité du Christ et son égalité avec le Père, puis en répondant à Nestorius, ils ont mis en évidence la réalité de sa nature humaine… avant d’en venir à l’affirmation de la communication des idiomes, du rapport entre sa nature divine et sa nature humaine dans l’unité de sa personne, au Concile de Chalcédoine de 4513, avant d’envisager le rapport entre ses deux volontés à Constantinople II. Sans doute ne connaissons-nous plus aujourd’hui les mêmes débats. L’apport des Pères est un acquis pour nous, une base dogmatique sur laquelle nous pouvons construire. Comme le disait Bernard de Chartres, « nous sommes des nains sur les épaules des géants ». Nous voyons plus loin, non en fonction de nos propres capacités, mais parce que nous bénéficions de l’acquis de nos prédécesseurs, c’est ce que nous appelons la Tradition vivante.

Mais si les problèmes se posent différemment, il n’en demeure pas moins que les questions de l’identité du Christ, du rapport entre sa liberté humaine et sa liberté divine, entre sa volonté humaine et sa volonté divine… ne cessent de ressurgir de nos jours. Les termes dans lesquels nous formulons les réponses sont différents étant donné que le contexte culturel a changé, mais le contenu même des réponses reste identique.

LA THéOLOGIE TRINITAIRE

Il en va de manière analogue pour la Trinité (voir CPE 76). Si l’Écriture parle du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, en revanche le mot Trinité n’apparaît pas. Le premier à en avoir donné le terme est Théophile d’Antioche et celui qui en a précisé le sens est Tertullien, en disant que la Trinité est una substantia et tres personae : une substance et trois personnes.

C’est au moment du Concile de Nicée que l’approfondissement trinitaire connaît un tournant, car la mise en question de la divinité du Fils s’attaque ipso facto à la Trinité.

Ensuite, les Cappadociens sont allés plus loin à l’encontre d’Eunome, et ils ont mis en évidence la divinité de l’Esprit, reconnue au Concile de Constantinople de 381.

Puis, saint Augustin a développé, de manière somme toute assez sereine4, sa méditation trinitaire dans le De Trinitate, en montrant à quel point la Trinité est un mystère d’amour.

Les Pères, à qui il revenait de mettre en évidence l’originalité de ce monothéisme trinitaire qu’est le christianisme, ont centré leur réflexion autour du rapport entre l’unité de l’essence divine et la Trinité des hypostases. Pour ce faire, ils ont eu largement recours aux catégories de la philosophie grecque. À de rares exceptions près, ces catégories nous sont désormais étrangères et, à l’heure du dialogue interreligieux, il importe davantage de faire ressortir le caractère spécifique du christianisme parmi les autres monothéismes. C’est alors ce mystère d’amour qu’est la Trinité, la communion trinitaire, la relation constitutive du Père, du Fils et de l’Esprit Saint qui permet de montrer la spécificité du christianisme. Les gammes, en quelque sorte, que les Pères ont élaborées, en particulier en approfondissant les notions de personne, de relation, de mission, nous sont utiles aujourd’hui pour rendre compte du mystère trinitaire, qui est au cœur même de la vie chrétienne et qui anime l’Église, comme le montre Lumen gentium, la Constitution dogmatique sur l’Église de Vatican II, qui souligne que l’Église vient de la Trinité, qu’elle est structurée à son image et qu’elle tend vers son accomplissement trinitaire5.

L’ECCLéSIOLOGIE

Les Pères ont eu une forte expérience de l’Église, ils l’ont édifiée et organisée, mais ils n’ont pas écrit de traité d’ecclésiologie. Ils ont été avant tout des pasteurs, soucieux de l’unité de leurs communautés, comme en témoigne la Lettre aux Corinthiens de Clément de Rome ou le De unitate ecclesiae de Cyprien de Carthage. La fraternité6, qui est le don de l’Esprit Saint, et qui est même devenue le nom de l’Église (adelphotès), concourt à réaliser l’unité de l’Église. Elle était une priorité dans les premiers siècles où l’Église devait être unie, où elle devait s’organiser et avoir une solide dynamique intérieure pour résister aux attaques extérieures et être reconnue. Cela apparaît nettement dans les Lettres d’Ignace d’Antioche.

Progressivement, une hiérarchie se met en place, les ministères se diversifient. L’ecclésiologie de communion prévaut. C’est justement cette ecclésiologie de communion7, qui a été redécouverte à Vatican II, avec Lumen gentium. Cette ecclésiologie de communion, qui est celle-là même de l’Écriture, comme en témoignent par exemple les Actes des Apôtres, est pleine d’espérance pour notre époque et demande à être approfondie et vécue, c’est l’objectif du Synode sur la synodalité.

Cette communion trouve sa pierre d’angle dans l’eucharistie, dans sa double dimension verticale et horizontale. Les Pères ont justement articulé la célébration de la Parole et de l’eucharistie, ils ont mis en place tout un symbolisme, que nous redécouvrons aujourd’hui, non pour en garder la nostalgie, mais pour entrer toujours davantage dans la dynamique de la vie chrétienne qu’ils ont su si bien mettre en relief. Aussi est-il bon de relire leurs catéchèses baptismales non seulement en vue du catéchuménat adulte, mais aussi pour avoir une explication du Credo ou un rappel du symbolisme baptismal : la mort au péché, signifiée par l’immersion, la Résurrection dans le Christ, exprimée par la sortie de la piscine baptismale et l’incorporation au Christ, manifestée par le vêtement blanc.

Le document Aller au cœur de la foi de 2003, s’il ne mentionne pas explicitement l’apport spécifique des Pères, se situe dans leur esprit, dans la mesure où il invite à recentrer la catéchèse sur l’expérience de la Vigile pascale, autour de laquelle converge tout l’enseignement des Pères, et dont il importe de redécouvrir le quadruple symbolisme de la lumière, de la Parole, de l’eau et de l’eucharistie. Il y a là encore tout un chemin à faire. Il en va de même pour la sotériologie.

LA SOTéRIOLOGIE

Pour en rendre compte, les Pères ont souvent employé la métaphore du Christ médecin8. Si la sotériologie a, en effet, donné lieu à des traités, elle est, comme la théologie de la création, un domaine qui garde une part de mystère, non plus quant aux origines, mais quant à la fin de la vie. Sur ce plan, le recours à la métaphore est utile. Comme l’a expliqué Paul Ricoeur9, « la métaphore est le processus rhétorique par lequel le discours libère le pouvoir que certaines fictions comportent de décrire la réalité ». Il est vrai que la métaphore du Christ médecin est immédiatement parlante pour évoquer le salut. Augustin ne s’y est pas trompé et a fréquemment employé cette métaphore dans ses homélies, lorsqu’il devait parler du salut au peuple d’Hippone qui n’était pas toujours prêt à lire un traité de théologie sur la question10.

Parmi les différentes métaphores appliquées au Christ, celle du Christ médecin est sans doute la plus apte à faire comprendre l’œuvre salvifique du Christ. D’ailleurs, comme l’a souligné Cyrille de Jérusalem, le nom de Jésus contient en lui-même cette métaphore, car il signifie en hébreu Sauveur, et, en grec, médecin, du fait qu’il est le médecin des âmes et des corps, le thérapeute des esprits11.

D’autre part, cette métaphore permet aux Pères de réagir contre les dieux guérisseurs, les cultes orientaux d’Isis, de Mithra et de Sérapis, au ive siècle et auparavant, aux iie et iiie siècles, contre Asclépios qui avait une place importante dans la société antique, mais une efficacité contestable, comme le souligne Origène dans le Contre Celse III, 25 ; 42.