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Qui s'en prend aux reines des Mouettes de Douarnenez et pour quelles raisons ?
Le corps d'une première a été retrouvé sur l'île Tristan, celui d'une seconde sur les hauteurs de Quimper. À peine définitivement libéré de ses fonctions secrètes au sein de la Cellule-Élysée, le capitaine Paul Capitaine retrouve l'équipe de la brigade criminelle de Quimper, sa ville natale. Il est aussitôt chargé de l'affaire par le substitut Vasseur, en collaboration avec la gendarmerie de Douarnenez.
Plongez-vous dans le second tome des enquêtes complexes, haletantes, déroutantes et parfois même agaçantes du capitaine Paul Capitaine !
EXTRAIT
"Quand elle se pencha au-dessus du coffre d’une voiture au hayon ouvert et qu’elle constata la présence du corps sans vie d’une jeune femme d’une petite trentaine d’années, Dominique Vasseur retourna immédiatement la tête de dégoût et s’effondra dans mes bras. Sous ses allures de fille solide, Madame le substitut cachait une âme plus sensible qu’on ne pouvait le soupçonner. Elle resta quelques secondes le front posé sur mon épaule, avant de se frayer un passage à travers le cordon de badauds pour se fondre dans l’obscurité et aller vomir au pied d’un mur. Quel gâchis, un repas succulent que nous avions pris ensemble, à peine quatre heures plus tôt, et que j’avais payé une petite fortune !
Certes, la malheureuse victime n’était pour rien dans ma déveine bien matérielle, mais pourquoi fallait-il toujours que nos tête-à-tête s’achèvent fatalement de manière précipitée, à l’instant où allaient se concrétiser les sentiments profonds qui nous unissaient ? Ce n’était pas la première fois que je m’apprêtais à dépasser la crainte intérieure qui m’empêchait de déclarer ma flamme à mon magistrat préféré, quand un événement extérieur était venu annihiler mes intentions."
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"Le genre de bouquins à acheter sur les marchés ou dans les foires d’été d’Armorique, pour les déguster le soir avec un verre de chouchen après une chouette balade sur les plages de Guidel ou dans les Monts d’Arrée. Et à lire toute l’année histoire de prolonger les vacances ou se donner un avant-goût des suivantes." - No_Hell, SensCritique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après avoir passé une longue période dans le Sud-Ouest, il est revenu dans le Finistère, à Plomelin, pour poursuivre sa carrière professionnelle. Passionné de football, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du Stade Quimpérois, puis en senior. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l'écriture de polars avec les enquêtes d'un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine et de sa partenaire Sarah Nowak. À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
À Eugénie.
Quand elle se pencha au-dessus du coffre d’une voiture au hayon ouvert et qu’elle constata la présence du corps sans vie d’une jeune femme d’une petite trentaine d’années, Dominique Vasseur retourna immédiatement la tête de dégoût et s’effondra dans mes bras. Sous ses allures de fille solide, Madame le substitut cachait une âme plus sensible qu’on ne pouvait le soupçonner. Elle resta quelques secondes le front posé sur mon épaule, avant de se frayer un passage à travers le cordon de badauds pour se fondre dans l’obscurité et aller vomir au pied d’un mur. Quel gâchis, un repas succulent que nous avions pris ensemble, à peine quatre heures plus tôt, et que j’avais payé une petite fortune !
Certes, la malheureuse victime n’était pour rien dans ma déveine bien matérielle, mais pourquoi fallait-il toujours que nos tête-à-tête s’achèvent fatalement de manière précipitée, à l’instant où allaient se concrétiser les sentiments profonds qui nous unissaient ? Ce n’était pas la première fois que je m’apprêtais à dépasser la crainte intérieure qui m’empêchait de déclarer ma flamme à mon magistrat préféré, quand un événement extérieur était venu annihiler mes intentions.
J’avais pris une bonne résolution : « Foi de Paul Capitaine, la soirée ne s’achèvera pas sans que j’aie exprimé à Dominique, sans ambiguïté, l’amour qui brûle en moi depuis notre première rencontre ! Histoire de démarrer ce véritable retour aux sources sur des bases solides et sérieuses ! Tu te prétends un bon flic, tu sais dominer le stress des instants tendus et la peur des moments critiques, cette fois, tu sauras maîtriser tes émotions pour vider le fond de ton cœur ! » Et puis il y eut ce maudit appel téléphonique, alors que je m’apprêtais à me lancer dans un plaidoyer émouvant sur mes sentiments…
Pour mon retour définitif à Quimper, après avoir obtenu ma liberté de mon ancien patron de la Cellule-Élysée, autant vous le dire tout de suite, je m’attendais à une entame différente ! Déjà, personne ne m’attendait à la gare, ma fille Sarah s’était trompée de jour et comptait sur moi pour le lendemain dimanche ! Seul sur le quai avec mon barda, je décidai de me rendre à l’Hôtel des Voyageurs, de l’autre côté de la place, quand je m’aperçus que Françoise, ma copine d’enfance, avait fermé sa cambuse pour prendre quelques jours de vacances. À près de vingt heures, je me retrouvai assis sur un banc de la gare routière, appelant les quelques relations joignables à partir des numéros mémorisés par mon portable. De mes collègues de la brigade criminelle de Quimper, la seule qui me répondit fut Carole qui se trouvait de permanence, ce qui ne l’arrangeait d’ailleurs pas car sa fille Priscilla couvait une mauvaise grippe. Si un meurtre était commis cette nuit et que la patrouille réclamait la présence de l’OPJ, elle serait vraiment dans la mouise. Je lui proposai donc spontanément de la remplacer, puisque je n’avais rien d’autre à glander sur Quimper. Elle hésita, embarrassée de me solliciter au débotté, avant d’accepter, bien soulagée d’aller rejoindre sa fille.
Mon dernier appel concerna Dominique Vasseur qui répondit aussitôt et souffla d’aise en reconnaissant ma voix, impression agréable à mon ego, avant de maugréer après Sarah, coupable de lui avoir fourni une mauvaise information. Elle aussi se trouvait de permanence et s’apprêtait à dîner devant sa télé, dans l’attente toujours pénible d’un appel des services de police réclamant la présence d’un magistrat du parquet sur une scène de crime. Car m’avoua-t-elle, les assassins du secteur s’étaient à coup sûr donné le mot ; s’ils passaient à l’action un week-end, ils s’arrangeaient pour choisir précisément la fin de semaine où elle, et pas un autre de ses collègues, se trouvait d’astreinte…
Je lui demandai le service de venir me chercher à la gare et de me conduire au commissariat pour déposer mes affaires dans mon bureau. En échange, je lui offrirais un bout dans une brasserie de la ville. Elle accepta avec enthousiasme mon idée de programme et réclama un quart d’heure, le temps d’enfiler une tenue plus décente. Elle arriva à peine dix minutes plus tard et nos retrouvailles furent emplies d’émotion contenue et de timidité chronique – et donc fidèles à nos relations depuis notre rencontre ubuesque du palais de justice. Tout se passa bien jusqu’au moment où je me lançai stupidement à noter que je la trouvais amincie, surtout dans cet ensemble veste-pantalon très chic. Ce à quoi elle répondit, après avoir secoué la tête :
— Vous n’avez donc pas perdu l’habitude agaçante de vous moquer de moi ! J’ai pris trois kilos depuis votre départ de Quimper. N’y voyez surtout pas une relation de cause à effet, juste une précision sur les dégâts que peuvent causer, en une courte période, les excès de bonne chère sur une silhouette… Pardonnez ma réaction, c’est un sujet sur lequel je suis assez susceptible, vous le savez pourtant bien ! Et ne me regardez pas avec cet air ahuri, comme si vous tombiez de la lune ! Je vais devoir renouveler toute ma garde-robe ! Bon, vous me suivez, on ne va pas rester plantés là, tous les deux, pendant toute la nuit…
À vingt-deux heures, nous avions les pieds sous la table de notre restaurant favori, Rue Élie Fréron, à minuit nous en sortions et Dominique me proposa un verre de son merveilleux marc de Gewurztraminer, que, de bonne grâce, je me résolus à accepter. Au fil du repas, l’ambiance avait fini par se détendre et je retrouvai “ma” magistrate comme à ses meilleurs moments : subtile et pince-sans-rire, érudite en art et fin bec, bref, naturelle et agréable. Elle me parla des derniers dossiers qu’elle avait eus à traiter, je lui évoquai la dissolution de la Cellule-Élysée à la faveur du changement de président à la tête du pays, ce qui avait accéléré le feu vert pour ma demande d’affectation à la brigade criminelle de Quimper. Seule contrainte à laquelle je n’avais pu échapper, le patron du groupe, que nous appelions Condor, toujours en activité à la DGSE, tenait à me garder à sa disposition pour les affaires touchant l’État qui se dérouleraient en Bretagne. En échange de bons procédés, il m’offrait l’aide de ses services, à dose homéopathique, pour faire avancer le règlement de dossiers criminels sur mon secteur. Un soutien non négligeable !
À la demande de Dominique, je narrai le cheminement étonnant du dossier confidentiel, remis “en bonnes mains”, qui concernait les circonstances de la mort de Moana, la jeune Océanienne, lors de mon passage à Quimper. Non seulement il avait été pris en compte par le gouvernement, mais il avait fait de plus pencher la balance en faveur de l’ouverture d’une enquête approfondie sur les conséquences des essais nucléaires français dans le Pacifique sur la santé des militaires et des autochtones. J’avais pu apporter aux parents de ma mystérieuse et éphémère camarade de classe, les raisons exactes de sa maladie et tenir ainsi mes engagements moraux envers eux. Un constat qui ravit mon amie magistrate, visiblement soulagée de me savoir la conscience libérée d’un poids qui m’oppressait.
Je dégustai le digestif au son d’une nouvelle version, en qualité numérique, des principaux chœurs de Wagner dont les accents germaniques inondaient le séjour dès que le substitut revenait à son appartement. Qui s’arrêterait aux apparences, y verrait une femme autoritaire et dénuée de sentiments, alors que Dominique possédait une étonnante sensibilité sous son aspect viril. Finalement, peut-être que Wagner, lui aussi, était un tendre, allez savoir… Même si son Tristan et Isolde cachait bien le jeu de l’intimité des sentiments ! Je songeais à prendre congé quand elle me demanda où je pensais dormir, puisque Françoise se trouvait en vacances. Je lui répliquai que j’allais passer la nuit dans mon bureau au commissariat quand elle me proposa sa chambre d’amis.
— Pour cette nuit, et jusqu’à la réouverture de l’Hôtel des Voyageurs ! insista-t-elle, dans un élan de générosité. Si je ne vous fais pas peur, bien entendu !
— Ce n’est pas de vous que j’ai peur, c’est de moi ! répliquai-je avec un sourire en coin. J’ai rarement pu partager un appartement avec une superbe femme, dotée de formes sublimes et désirables, sans succomber à un moment ou à un autre à mes pulsions les plus bestiales ! Je ne voudrais pas vous…
— Si cela ne concerne que les femmes superbes, alors je ne crains rien ! me coupa-t-elle, piquée au vif, tout en se levant pour ranger la dive bouteille. Si je sais que je n’ai rien d’une beauté fatale, susceptible d’exciter les fantasmes masculins, je m’arrange parfaitement avec le corps que j’ai et c’est cela le principal…
— Je vous surprends, une fois de plus, en flagrant délit de recherche de compliments ! répliquai-je en pointant mon doigt vers elle. Vous savez pertinemment que vous ne me laissez pas insensible, aussi ne me poussez pas à vous prouver par l’exemple ce dont je suis capable avec vous !
— Flatteur ! me rétorqua-t-elle avec un sourire satisfait, de derrière la desserte séparant le séjour de la cuisine américaine. Flatteur et prétentieux ! Toujours de belles paroles qui ne sont jamais suivies d’actes capables de les corroborer…
Je me sentais défié dans ma virilité et m’apprêtais à relever le gant, quand son téléphone sonna, m’empêchant de passer à l’étape suivante de mon opération d’approche. Je compris à l’expression attristée de son regard qu’il s’agissait de l’appel d’une patrouille et qu’un meurtre nécessitait sa présence. D’ailleurs, mon portable sonna à son tour ; c’était le planton du commissariat qui m’annonçait la découverte du corps d’une femme, dans un coffre de voiture, sur Ergué-Armel. On se regarda ; les paroles étaient inutiles ! Dans notre malheur, nous n’étions pas les plus à plaindre, nous étions en vie… Frustrés, mais en vie !
Mes pauvres collègues avaient toutes les peines du monde à éloigner les badauds d’un véhicule mal garé en plein carrefour, au pied du panneau indiquant le début de la rue Tristan, dans le quartier du Braden. Une personne venait de perdre la vie et certains esprits tordus s’efforçaient, par tous les moyens, de tendre leur portable pour récupérer une photo du corps ! Pour l’envoyer rapidement par texto, en pleine nuit, à toutes leurs relations ! Car tel était l’un des nouveaux jeux à la mode. Et si, par chance pour eux, il s’agissait d’une personne un peu connue, peut-être même parviendraient-ils à la vendre à un journal… Et si vous leur faisiez remarquer le cynisme de leur comportement, ils vous répondraient avec un aplomb désarmant : « Il faut bien que tout le monde vive ! » Sans parler de tous ces autres, dans les immeubles alentours, penchés à leur fenêtre, ne ratant rien des allées et venues des bleus, sous la clarté orangée des gyrophares de leurs véhicules. En me voyant, le brigadier de la patrouille s’approcha de moi en me saluant :
— Heureux de vous revoir à Quimper, Capitaine, on se réjouit tous de votre retour ! La ville a besoin de bons enquêteurs… Je suis le chef de la patrouille qui a découvert la victime. On allait verbaliser cette voiture mal garée quand on a constaté la présence des clés de contact près du volant et un sac à main sur le siège arrière. Cela nous a semblé suspect, à cette heure tardive. On a effectué le tour du véhicule et, en ouvrant le coffre, on a fait cette macabre découverte. Je me suis permis d’extraire les papiers du portefeuille trouvé dans le sac : la victime se nomme Marine Chacun, elle a 32 ans et, d’après les photos, elle est mariée et mère d’un enfant. Le médecin légiste ne va pas tarder à arriver…
Je me penchai vers le coffre, éclairé par la torche d’un collègue, et découvris d’abord un visage presque détendu, souriant, persillé de petites taches de rousseur. Je compris, en constatant les marques de doigts sur son cou, que la malheureuse avait été étranglée par des mains solides. L’assassin ne devait même pas porter de gants, laissant sur la chair tendre des empreintes distinctes et exploitables. Et que dire des cuisses, sous la robe retroussée, meurtries par les ecchymoses et les griffures, comme si le satyre s’était acharné sur elle, dans une frénésie criminelle et perverse ! Au début de rigidité cadavérique de la nuque et des mâchoires, les premières parties du corps humain à perdre leur élasticité, j’évaluai la mort à trois heures, pas davantage, soit aux alentours de vingt-deux heures.
Pour mon retour définitif à Quimper, le destin me servait un bien affreux cadeau de bienvenue ! Malgré tout, je ne regrettais pas d’avoir remplacé Carole au pied levé ; je connaissais peu de chose sur l’existence passée de ma collègue, suffisamment, néanmoins, pour savoir qu’un tel tableau remuerait en elle des souvenirs enfouis, de ceux dont une vie entière ne suffit pas à permettre d’oublier chaque seconde ! Un tel événement risquait de faire ressurgir instantanément, du tréfonds de son âme, des relents acides de la barbarie de nos semblables…
Pourtant, des détails ne collaient pas dans le tableau abominable qui se révélait à mes yeux. Cette fille possédait encore un visage détendu, dénué de tout signe de souffrance, comme si la mort l’avait happée en plein bonheur ! Si son corps portait les stigmates de violences physiques, elle était toujours vêtue de son slip, ce qui indiquait presque avec certitude qu’elle n’avait pas été violée. Pourtant, elle était une jeune et fraîche jeune femme qui n’aurait pas laissé insensible un pervers. Aussi m’interrogeai-je déjà sur l’identité du coupable : un proche, parent, voisin, collègue ou ami ? Une femme, rivale ou jalouse ? Un individu au-dessus de tout soupçon, policier, gendarme, pompier, prêtre ?
— Pardonnez-moi, je ne me ferai jamais à la vision de cadavres de jeunes femmes qui ne demandaient qu’à profiter de la vie ! s’excusa Dominique en se rapprochant de moi, un mouchoir à la main pour s’essuyer la bouche. Pourquoi certains individus se montrent-ils aussi abominables avec leurs semblables ? Le plaisir de voir souffrir son prochain ? Une vengeance barbare pour sanctionner un adultère ou une autre faute ? Que reste-t-il de l’âme humaine chez ceux-là ?
— Peut-être que nous ne sommes pas aussi éloignés des bêtes sauvages qu’on veut bien nous le laisser croire… répondis-je, désabusé. Mon expérience du terrain m’a, hélas, appris à ne plus m’étonner des perversités de la nature humaine. L’homme est un loup pour l’homme, l’instinct du prédateur prend de plus en plus souvent le dessus sur les règles de la vie en société ! Celui qui ne cède pas sa place d’autobus à une personne âgée est souvent le même que celui qui ôte la vie d’une jeune mère de famille… Sans jamais parvenir, le plus souvent, à expliquer son geste. L’enfant-roi, incité à se structurer par lui-même, devient vite un être grégaire qui réagit à ses pulsions les plus bestiales ! On a oublié que, pour prétendre à la véritable liberté d’esprit, il convenait de bien maîtriser le cadre de la société dans laquelle nous évoluons, mais c’est un autre débat… Vous me confiez l’affaire, Madame le substitut ?
— Vous aurez les papiers demain matin sur votre bureau ! me répliqua-t-elle en évitant que son regard ne croise à nouveau le corps recroquevillé. Même l’absurde procède d’une logique, Capitaine, un crime n’est jamais gratuit, sa cause possède une racine qu’il convient d’extraire des entrailles de l’âme humaine…
Le brigadier de la patrouille revint vers nous, un bout de papier à la main, pour nous faire connaître le résultat de son appel au central :
— Il s’agit bien de Marine Chacun, une mère de famille de 32 ans. Son mari et elle, ainsi que leur garçon, habitent Garenne de Kermabeuzen, vers le Moulin Vert. J’ai noté l’adresse exacte, vous allez certainement vous charger d’annoncer la terrible nouvelle à son époux, Capitaine…
De toutes les obligations du métier, celle-là représentait à coup sûr la plus cruelle, la plus douloureuse. Sonner à la porte d’une famille en pleine nuit pour annoncer la mort de l’un de ses membres, cela me tordait toujours les boyaux. Surtout dans des circonstances aussi atroces, même s’il n’existe pas de bonnes manières pour mourir ! Je pensais déjà aux premiers mots que j’allais prononcer, les plus difficiles à sortir, quand une main se posa sur mon épaule :
— Je vous y emmène, si vous le souhaitez, puisque nous faisons équipe sur cette affaire ! proposa la magistrate d’un ton décidé.
— Je ne voudrais pas vous infliger un moment aussi terrible à vivre ! rétorquai-je, un peu faux jeton, car la présence de Dominique m’agréait vraiment. La déchirure d’une famille meurtrie est souvent plus pénible à subir que la vision d’un corps sans vie…
— À deux, beaucoup de moments difficiles semblent moins pénibles à supporter, Capitaine !
J’acceptai. Le temps de laisser quelques consignes au brigadier de la patrouille et à l’équipe de la scientifique qui venait d’arriver sur place, et je grimpai dans sa vieille voiture aux portières aussi fatiguées que le moteur, de plus en plus poussif. Les priorités de la propriétaire se situaient ailleurs que dans la mode, la passion automobile ou même les considérations esthétiques et autres artifices de séduction… C’était surtout pour cet aspect authentique de sa personnalité que je l’appréciais plus que toute autre femme ; elle ne jouait pas un personnage, elle se livrait sans fard, au propre comme au figuré, quand elle se présentait à vous. Elle me pria de la guider jusqu’à Kermabeuzen car elle n’avait pas encore bien intégré le plan de Quimper. Elle me demanda des nouvelles de Sarah, ma fille : je lui expliquai qu’elle passait le week-end aux Glénan, en compagnie de Rose-Marie, sa collègue et amie antillaise, convaincue que je n’arrivais que le lendemain en soirée. Toutes deux désiraient s’initier à la voile.
Dans le TGV qui me menait de Montparnasse à la pointe de la Bretagne, j’avais imaginé ma première soirée à Quimper. Ma fille aurait préparé une fête simple mais chaleureuse à mon intention, tous mes amis auraient été réunis pour la circonstance : les collègues du commissariat, les potes d’enfance que j’avais retrouvés à mon retour dans ma ville natale et bien sûr Dominique, laissée dans le doute sur mon possible retour, sur le parvis de la gare, à l’instant du départ vers Paris. J’avais imaginé les multiples facettes de la fête, je n’avais pas songé que je me trouverais aussitôt dans le vif du sujet, sans même le temps de défaire mes valises, de prendre une douche et de changer d’habits ! Mais Marine Chacun n’avait certainement pas non plus imaginé croiser la route d’un criminel au cours de sa soirée…
Le quartier de Kermabeuzen avait changé depuis l’époque où, jeune sportif, je traversais la ville pour venir jouer sur le terrain de foot, au bout du chemin, au creux de la cuvette entre les collines. Je me souvenais encore comme on lavait nos chaussures à crampons dans le petit ruisseau qui bordait l’aire de jeu. Allez demander cela, de nos jours, aux futurs Benzema et Gourcuff… Sur mon conseil, Dominique s’enfila dans une rue qui se trouvait être la bonne et, en s’avançant, on nota une lumière éclairant le perron d’une bâtisse relativement moderne et, sur le poteau de ciment tenant le portail, un numéro, le douze, le bon ! On respira tous deux un bon coup, puis on sortit du véhicule. Un coup de sonnette et le couloir s’éclaira rapidement, la porte en partie vitrée s’ouvrit. Un homme sortit en survêtement, un peu plus de trente ans, présentant bien, malgré un visage déformé par l’inquiétude.
— Capitaine Paul Capitaine ! annonçai-je en sortant ma carte de police. Voici le substitut du procureur Dominique Vasseur…
— Il est arrivé un accident à Marine, c’est cela ? coupa-t-il en ouvrant un battant du portail. Je tente en vain de l’appeler pour savoir pourquoi elle n’est pas encore rentrée ! Elle est où ? Elle est à l’hôpital ? Ne me dites pas que… Mais bien sûr, pour qu’un magistrat se déplace, elle est morte ! C’est arrivé comment ? Où est-elle ? Je veux la voir ! Mais parlez, bon sang !
— Oui, elle est morte, je suis désolé ! balbutiai-je avec difficulté. Nous vous exprimons toutes nos condoléances… Peut-on rentrer un moment, s’il vous plaît ?
— Oui, bien sûr, excusez-moi… Ne parlez pas trop fort, le petit dort ! Mon Dieu, quand il va savoir ! Elle est morte dans un accident de voiture, c’est cela ? Elle avait horreur de conduire la nuit. Je n’aurais jamais dû la laisser…
— Non, il s’agit d’un meurtre ! précisa Dominique en s’approchant du mari. Votre épouse a été retrouvée étranglée dans le coffre de sa voiture ! Pour être certains qu’il s’agit bien d’elle, nous allons devoir vous demander de venir identifier le corps à la morgue. Son sac a été retrouvé auprès d’elle, avec les papiers d’identité, voilà pourquoi nous sommes venus vous prévenir aussitôt… Je vous présente toutes mes condoléances, monsieur Chacun.
— Elle a été… Il a… A-t-on abusé d’elle ?
— Nous ne le savons pas encore, il faut attendre les résultats de l’autopsie du médecin légiste, expliquai-je aussitôt, avant de livrer mon impression. Cependant, je ne pense pas qu’elle ait subi de sévices sexuels.
— Une autopsie ! Ma Marinette… Je n’aurais jamais dû la laisser partir toute seule !
L’homme nous installa dans le salon, se servit un fond d’une bouteille de lambic qui traînait sur la table basse et l’avala aussitôt. Il nous apprit qu’il se prénommait Sylvain et travaillait au Conseil Général en qualité d’agent administratif. Il parlait comme un robot, regardait dans le vide, se frottait les yeux. Il semblait à des années-lumière de la nouvelle qu’on venait de lui apprendre, incapable de crier, de pleurer, d’en vouloir à la terre entière. Alors il parlait, il meublait le silence, il laissait le temps à la douleur de passer du cerveau au cœur. Le couple était marié depuis trois ans et avait un gamin, Théo, qui dormait à cette heure. En fin d’après-midi, Marine avait reçu un message d’une copine d’enfance qui lui annonçait une surprise. Elles s’étaient donné rendez-vous à Penvillers. En ce samedi soir, il était prévu une soirée celtique et Marine adorait danser, comme sa copine Morgane. Pas Sylvain et puis il fallait que l’un des deux reste garder Théo… Elle était partie vers vingt heures, dans une tenue commode pour se trémousser au son des binious : une robe courte et légère, une veste en tissu, des chaussures en toile et un petit sac à main. Il n’aimait pas trop la voir partir ainsi vêtue, il existait tant de cinglés sur la planète ! Seulement, elle avait 32 ans et aimait la fête alors que lui, pas trop ! Et il se savait un peu vieux jeu, surtout sur les aspects vestimentaires, alors il fermait les yeux et ravalait ses reproches. Elle jouait toujours la jeune fille, malgré la maternité ; en fait, elle refusait de grandir.
Elle avait promis de ne pas rentrer trop tard, d’ailleurs Morgane n’était pas une couche-tard. Il l’attendait en regardant la télé, il n’avait jamais pu s’endormir en son absence. Et puis il y avait la soirée de championnat sur Canal+. En lui-même, il trouvait qu’elle exagérait un peu, car elle était mère de famille, ce qui lui donnait de nouvelles responsabilités. Malgré tout, il ne voulait pas l’enfermer dans une cage. Il ne voulait pas gâcher son plaisir et se promettait de ne lui adresser aucun reproche quand elle rentrerait. En entendant une voiture, il avait cru que c’était elle, il était soulagé. Quand la sonnette avait retenti, il avait pensé qu’elle avait oublié son trousseau de clés et ne pouvait rentrer… En voyant la carte de police devant son nez, il avait compris aussitôt…
— Marine était coiffeuse dans le salon Infinis Tifs, rue Kéréon, poursuivit-il sur le même ton monocorde en allant chercher une bouteille de cognac. Jamais je n’aurais imaginé vivre auprès d’une femme aussi merveilleuse ! D’une douceur extrême ! Belle comme une madone et fraîche comme un paysage printanier ! Le hasard avait voulu qu’on se rencontre à une fête de quartier, ce fut le coup de foudre. J’aurais été trop timide pour accomplir le premier pas ; Marine a pris les devants. Nous étions heureux quand nous étions tous les deux… Puis tous les trois… Agressée par un détraqué sexuel ! Encore un de ces gars qu’on relâche dans la nature et qui s’en prennent à la première fille vulnérable qui se trouve sur leur chemin… On va vous emmerder pour des peccadilles et on laisse des cinglés…
— Votre épouse vous avait-elle parlé d’un individu qui aurait rôdé autour d’elle, ces derniers jours ? coupa Dominique pour recentrer la conversation. Un homme qui l’aurait abordée dans la rue, un client du salon au comportement un peu bizarre, une vieille connaissance qui serait revenue à la charge, un ancien petit ami un peu aigri qui lui aurait adressé des reproches…
— Non, jamais ! Pourtant, on se disait tout, depuis notre mariage ! Et elle avait horreur d’être importunée par des petits dragueurs insolents ! Il faut dire qu’elle avait eu son lot de pots de colle, avec son titre de Reine des Mouettes, à Douarnenez ! J’aurais aimé la connaître à cette époque, je ne l’ai vue qu’en photo. Tenez, regardez-la, dans le cadre au-dessus de la télévision. Elle est magnifique sur ce cliché !
— Possédez-vous les coordonnées téléphoniques de son amie Morgane ? intervins-je pour faire avancer les recherches. En la contactant, vous saurez si toutes les deux ont passé la soirée ensemble…
La réponse embrumée de l’amie, tirée de son sommeil au cœur de la nuit, fut sans appel : elle n’avait jamais adressé de message à Marine. D’ailleurs, dans la semaine, elle avait perdu son portable. Au fil de la conversation, face à l’insistance du mari et au ton de sa voix, elle chercha à en savoir davantage, pensant que Sylvain soupçonnait une infidélité de son épouse. Quand elle apprit le drame, elle ne put prononcer un mot de plus et promit d’arriver dès que possible pour soutenir Sylvain et Théo. Comme je me levais pour prendre congé, estimant avoir assez importuné cet homme totalement abattu qui, pour autant, ne réalisait pas encore la situation dramatique qui l’accablait, Dominique questionna à nouveau le mari :
— Une autre Reine des Mouettes n’aurait-elle pas été victime d’un meurtre à Douarnenez, voilà quelques semaines ? Il me semble que dans un dossier que j’ai transmis récemment pour instruction au juge Jouvain, il est déjà question de cette fête folklorique… Votre épouse ne vous aurait-elle pas mentionné ce détail qui pourrait s’avérer important ?
— Si, il me semble, réfléchit le mari, une fille qui, elle aussi, se prénommait Marine, d’ailleurs ! Mon épouse la connaissait vaguement, même si l’autre lauréate était plus jeune. Vous pensez qu’un détraqué s’en prend à toutes les reines des Mouettes ?
— Pour l’heure, je ne pense rien, j’essaie juste de rassembler des faits, des indices, des détails, répondit Dominique en se levant à son tour pour prendre congé. Le capitaine ou moi-même reprendrons contact rapidement pour vous tenir informé du déroulement de l’enquête et déjà, dès demain matin, pour aller reconnaître le corps à l’Institut médico-légal ! Par ailleurs, si vous avez besoin d’un soutien psychologique, je peux vous fournir l’adresse d’une personne qualifiée. Une fois de plus, monsieur Chacun, toutes nos condoléances ! Juste un dernier détail : votre épouse avait-elle encore ses parents ?
— Bien sûr ! Les patrons de la pâtisserie Urvoas de Douarnenez, l’une des plus connues de la ville ! Les pauvres, ils vont accuser le coup, eux aussi, Marine était leur fille unique… Tout cela à cause d’un détraqué ; dans quel monde vivons-nous !
Une fois tous deux installés dans la voiture, Dominique réitéra son impression : elle détestait ces hasards qui n’auguraient jamais rien de bon. Elle me demanda de passer à son appartement car elle avait justement réclamé au juge une copie du dossier qu’elle étudiait chez elle pour meubler son week-end de permanence. Les gendarmes de Douarnenez, à qui l’enquête avait été confiée, piétinaient, faute d’indices. Peut-être qu’à deux paires d’yeux, même à cette heure avancée de la nuit, un détail essentiel se révélerait… De toute manière, sachant que, dans quelques heures, il me faudrait accompagner Sylvain Chacun à la morgue, puis me rendre à Douarnenez pour prévenir les parents de la victime, je n’allais pas prendre une chambre d’hôtel. Et puis Dominique devait signer les papiers officiels me chargeant de l’enquête sur ce meurtre et sur le précédent. Elle m’expliqua que, si les deux affaires étaient liées, le juge Jouvain ne pourrait dessaisir les gendarmes en charge du premier crime. Elle me promit d’y réfléchir, d’en parler avec son collègue magistrat et de trouver un bon compromis.
L’appartement de Dominique n’avait pas changé, ni dans l’agencement du mobilier, ni dans l’harmonie de la décoration. Il possédait toujours cette atmosphère à la fois surannée et confortable, ce parfum vieille France auquel je m’étais attaché, même si je n’avais jamais eu l’opportunité d’y installer mon pyjama et ma brosse à dents. Elle me proposa un café et se dirigea vers la cuisine sans même attendre la réponse. Puis elle me suggéra de m’installer dans l’un des fauteuils du salon, de préférence pas celui où deux aiguilles à tricoter étaient posées parmi des pelotes de laine, avant de revenir avec un classeur dont elle me pria de consulter le contenu, le temps pour elle de se changer.
Elle revint peu après, vêtue d’une tenue de jogging fuchsia au-dessus de laquelle elle avait enfilé un poncho multicolore. Pour l’harmonie des couleurs, c’était encore raté, mais entre nous… Elle tenait dans ses mains deux mazagrans qu’elle posa délicatement sur la table, avant de retourner à son bureau chercher ses lunettes.
J’avais eu le temps de consulter les procès-verbaux et le rapport du légiste, documents qui me permettaient d’assurer que nous avions affaire au même assassin, allégation qui se confirmerait certainement si l’autopsie de Marine Chacun révélait qu’elle non plus n’avait pas subi de sévices sexuels, du moins de viol avec pénétration. Ce qui tendrait à accréditer deux pistes divergentes : soit les actes d’une fille jalouse, infortunée rivale des deux reines, soit ceux d’un impuissant ou d’un malade incapable d’aller au bout de son fantasme. Dans le premier des cas, les concurrentes défaites se trouveraient sur la liste des suspects. Dans le second, il faudrait ratisser plus largement : à commencer avec les habitués des parades folkloriques, en s’inquiétant de savoir si des forfaits identiques n’avaient pas été perpétrés envers des reines d’autres fêtes celtiques. Ce qui, dans un cas comme dans l’autre, nous promettait une belle panique dans la région !
— Nous ne sommes donc pas au bout de nos peines ! soupira Dominique en se pelotonnant dans son poncho. Il ne s’agit pas de créer un climat de psychose sur la Bretagne. Nous devons nous montrer efficaces dans l’approche de ce dossier. D’accord, je vous confie les deux affaires et je vais expliquer ma décision au juge Jouvain. Sarah vous épaulera. Ainsi, au moins, j’aurais des comptes rendus réguliers ! Vous allez travailler tous deux en équipe avec l’adjudant-chef Troupel et le brigadier Podolski de la gendarmerie de Douarnenez et je ne veux pas de guéguerre entre les uns et les autres, d’autant que désormais, le rapprochement est avéré entre police et gendarmerie. J’entends donc que la coopération soit franche et loyale ! C’est bien compris ?
— Bien, Madame le substitut !
— Paul, je pensais que ce genre de réaction stupide vous aurait quitté à votre retour en Bretagne… Vous savez combien j’ai horreur que vous m’appeliez de la sorte ! Cela signifie-t-il que j’ai usé d’un ton autoritaire et sentencieux pour vous interpeller ? Ou pire encore : que mes recommandations sont entrées par l’une de vos oreilles et aussitôt sorties par la seconde, sans s’imprimer le moins du monde dans votre cerveau, car vous savez pertinemment que vous n’en ferez qu’à votre tête ?
— Pardonnez-moi, si vos paroles cachaient un message subliminal de tendresse, je suis encore passé à côté ! Puis-je me reposer une heure ou deux sur votre canapé, avant de rejoindre l’IML en taxi, puis de me rendre à Douarnenez ?
— Il n’en est pas question, je vous accompagne auprès des parents ! Ensuite, je tiens à établir moi-même le lien avec l’adjudant-chef Troupel. Je ne veux aucune ambiguïté, aucune mauvaise interprétation de mes directives…
— Et pour le canapé, je peux ?
— Utilisez le lit de la chambre d’amis, vous serez mieux ! Mais enlevez le dessus-de-lit avant de vous allonger, il est fragile, un souvenir rapporté d’un voyage à Beyrouth… Et puis maniez avec précaution les deux poupées de porcelaine qui s’y trouvent en décoration, il s’agit de pièces uniques, irremplaçables ! Vous prendrez soin d’ôter vos chaussures, avant de poser le pied sur le parquet verni…
— À vos ordres, Madame le… Merci beaucoup, Dominique !