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La privatisation du domaine militaire constitue un défi de taille pour la conception dominante du droit international, toujours largement d’inspiration westphalienne. Il semble y avoir un certain décalage entre la réalité de l’activité des SMP dans les zones de conflit et le cadre normatif régissant ces conflits que l’ampleur du phénomène ne permet pas d’occulter. Cet ouvrage, qui se focalise sur le droit des conflits armés, cherche à apporter des réponses aux questions juridiques soulevées par les activités des SMP. Le droit des conflits armés ne suit pas uniquement une logique de sanction et d’imputabilité, mais cherche d’abord à limiter les dommages causés lors des conflits et à en protéger les victimes. Pour ce faire, il délimite les droits et obligations des acteurs impliqués. Ainsi, les règles applicables doivent permettre aux acteurs concernés d’adopter le comportement requis et de connaître a priori ce que le droit leur commande. Elles doivent aussi leur offrir une protection adéquate. Elles ne peuvent donc être principalement appliquées a posteriori par une cour de justice ou suite à l’analyse poussée d’un juriste. C’est donc cette distinction entre règles applicables a priori et mécanismes de mise en oeuvre intervenant a posteriori qui constitue la structure de cet ouvrage et lui permet de jeter un éclairage nouveau sur cette problématique.
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Seitenzahl: 852
© Groupe De Boeck s.a., 2012
EAN 9782802738985
Les opinions exprimées dans cet ouvrage ne représentent cependant pas forcément les positions du Comité international de la Croix-Rouge.
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Éditions Bruylant Rue des Minimes, 39 B-I000 Bruxelles Tous droits réservés pour tous pays.
Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.
La collection est dirigée par François Crépeau
Professeur à l’Université McGill et titulaire de la Chaire Hans et Tamar Oppenheimer en droit international public
Transdisciplinaire quoique ancrée dans le champ juridique, la collection « Mondialisation et Droit international » réunit des ouvrages traitant des diverses transformations normatives et institutionnelles qui sont au cœur des intégrations politiques, économiques, sociales et culturelles de cette puissante dynamique planétaire qu’est la mondialisation.
Les ouvrages déjà publiés dans la collection sont :
1. CRÉPEAU, François (dir.), Mondialisation des échanges et fonctions de l’État, 1997.
2. BRETON-LE GOFF, Gaëlle, L’influence des organisations non gouvernementales (ONG) sur la négociation de quelques instruments internationaux, 2001.
3. MOCKLE, Daniel (dir.), Mondialisation et État de droit, 2002.
4. PAQUEROT, Sylvie, Le statut des ressources vitales en droit international – Essai sur le concept de patrimoine commun de l’humanité, 2002.
5. DEBLOCK, Christian, et TURCOTTE, Sylvain F. (dir.), Suivre les États-Unis ou prendre une autre voie ? – Diplomatie commerciale et dynamique régionale au temps de la mondialisation, 2003.
6. DELAS, Olivier, et DEBLOCK, Christian (dir.), Le bien commun comme réponse politique à la mondialisation, 2003.
7. DELAS, Olivier, CÔTÉ, René, CRÉPEAU, François, et LEUPRECHT, Peter, Les juridictions internationales : complémentarité ou concurrence ?, 2004.
8. PROST, Mario, D’abord les moyens, les besoins viendront après. Commerce et environnement dans la « jurisprudence » du GATT et de l’OMC, 2005.
9. RIOUX, Michèle (dir.), Building the Americas, 2007.
10. CÔTÉ, Charles-Emmanuel, La participation des personnes privées au règlement des différends internationaux économiques : l’élargissement du droit de porter plainte à l’OMC, 2007.
11. MOCKLE, Daniel, La gouvernance, le droit et l’État, 2007.
12. FOURET, Julien et KHAYAT, Dany, Recueil des commentaires des décisions du CIRDI (2002-2007), 2008.
13. WOLDE-GIORGHIS, Haïlou, Les défis juridiques des eaux du Nil, 2009.
14. ROBITAILLE, David, Normativité, interprétation et justification des droits économiques et sociaux : les cas québécois et sud-africain, 2011.
15. LEROUX, Nicolas, La condition juridique des Organisations non gouvernementales internationales, 2010.
16. LANTERO, Caroline, Le droit des réfugiés, 2010.
17. DELAS, Olivier, Le principe de non-refoulement dans la jurisprudence internationale des droits de l’homme, 2011.
18. DUFOUR, Geneviève, Les OGM et l’OMC. Analyse des accords SPS, OTC et du GATT, 2011.
19. ATAK, Idil, L’européanisation de la lutte contre la migration irrégulière et les droits humains des migrants. Une étude de politiques de renvois forcés en France, au Royaume-Uni et en Turquie, 2011.
20. BISMUTH, Régis, La coopération internationale des autorités de régulation du secteur financier et le droit international public, 2011.
21. DELAS, Olivier, LEUPRECHT Michaela (Textes réunis par), Liber Amicorum Peter Leuprecht, 2012.
22. BRUNELLE, Dorval (dir.), Repenser l’Atlantique. Commerce, immigration, sécurité, 2012.
23. GARCIA, Thierry, Les observateurs auprès des organisations intergouvernementales. Contribution à l’étude du pouvoir en droit international, 2012.
Remerciements
Cet ouvrage est le résultat de plusieurs années de travail effectué solitairement pour la plupart du temps, mais toujours avec le soutien essentiel de plusieurs personnes que je tiens ici à remercier. Tout d’abord, évidemment, Olivier Delas et Marco Sassòli qui ont accepté de diriger mes travaux et qui m’ont aidée, soutenue et encouragée depuis le tout début de ce projet et qui ont fait preuve d’une grande générosité tant au niveau du temps qu’ils m’ont accordé que de leurs commentaires et suggestions. Ensuite, Julia Grignon et Lindsey Cameron, mes très chères amies, pour leurs commentaires judicieux, leur soutien indéfectible et pour tous les bons moments passés à Genève. Merci aussi à ma famille et mes amis pour leurs encouragements constants, à François Crépeau pour avoir accepté de commenter cet ouvrage, et au Fonds québécois de recherche sur la société et la culture pour son soutien financier.
Table des abréviations
Introduction
En septembre 2007, la société de Caroline du Nord, Blackwater1 défrayait les manchettes, le gouvernement irakien l’accusant d’être responsable de la mort de neuf civils. Cette société n’en était pas à ses premiers incidents médiatisés. En mars 2004, quatre de ses employés furent tués et pendus sur le pont de Fallujah2. Ces évènements ont contribué à faire connaître la présence de sociétés militaires privées (ci-après « SMP ») dans les zones de conflits armés. Beaucoup s’étonnent encore de cette participation accrue du secteur privé dans un domaine considéré être du ressort exclusif des États. La participation d’acteurs privés dans les conflits armés n’a cependant rien d’inusité. Elle a pratiquement toujours existé. Toutefois, l’activité des SMP s’inscrit dans un contexte politique et juridique qui traite l’activité militaire comme une prérogative de l’État ou, à tout le moins, de groupes prétendant au contrôle de l’État, et qui organise le cadre normatif régissant les hostilités autour de cette prémisse.
Le recours à des acteurs non étatiques ou à des étrangers sur les champs de bataille n’a rien de nouveau. De l’Antiquité à nos jours, les grands empires ont presque toujours eu recours à des troupes étrangères. Que l’on pense à l’armée des Dix Milles de Cyrius rendue célèbre par les écrits de Xénophon, à la révolte des mercenaires de Carthage, à la Compagnie Blanche, aux condottieri, à la Compagnie anglaise des Indes orientales, aux Flying Tigers ou aux « Affreux », les exemples de participation d’acteurs privés aux conflits armés sont légion. Au regard de l’histoire, ce sont plutôt les conflits entre États souverains menés par des forces armées nationales qui semblent l’exception3. En effet, l’idée que l’État possède le monopole du recours légitime à la force ou contrôle les principaux outils de coercition est relativement récente et participe d’une conception moderne de l’État et de la souveraineté. Au cours des siècles, le recours au mercenariat a souvent servi les puissances ne disposant pas de ressources humaines et financières suffisantes pour protéger ou étendre leur territoire et zone d’influence. Il a aussi permis de nombreuses opérations politiquement contestables ou contestées. Les services militaires privés ne menacent donc pas nécessairement le domaine politique et ils semblent même l’avoir, à quelques reprises, plutôt bien servi. Ainsi, le politique n’a jamais réellement exclu le mercenariat du domaine de la légalité, bien que ce dernier soit désormais perçu comme une activité condamnable, voire criminelle et que les SMP tentent de s’en dissocier.
Depuis le début des années 1990, un contexte favorable à la privatisation, à l’externalisation de nombreux domaines d’activités étatiques et à la fin de la guerre froide a engendré des réductions dans les effectifs militaires de certains États. Cette situation a entraîné du même coup une certaine disponibilité de matériel militaire et de personnel qualifié, et a ainsi favorisé l’essor et le développement des services militaires privés4. Il s’agit aujourd’hui d’une véritable industrie hautement organisée et offrant une multitude de services spécialisés à différentes entités5. Comme le mentionne M. Bearpark, directeur général honoraire de la British Association of Private Security Companies : « armed private actors provide an increased range of activities, from protecting buildings and installations to supporting humanitarian aid and state-building and performing purely military activities that used to be the prerogative of state alone »6. Ce sont surtout les conflits en Irak et en Afghanistan qui ont attiré l’attention sur le phénomène de la privatisation de certains services militaires et qui ont confirmé l’importance de cette industrie sur la scène des conflits armés. Bien qu’il soit difficile à déterminer avec précision, le nombre de personnes travaillant pour des SMP en Irak, en Afghanistan et au Koweït pour le compte des États-Unis seulement était estimé à plus de 242 000 en octobre 20097. En 2011, 18 971 employés de SMP travaillaient pour le Département de la Défense des États-Unis en Afghanistan et le nombre total d’employés de SMP dans ce pays était évalué à 70 000, la majorité d’entre eux étaient des Afghans8. Entre 2001 et 2010, 1 700 employés de SMP seraient morts en Irak et en Afghanistan et 40 000 auraient été blessés9. En Afghanistan, le nombre d’employés de SMP décédés a dépassé celui des membres de l’armée des États-Unis pour l’année 201110.
Les conséquences du 11 septembre 2001 ont créé un énorme marché pour les SMP, particulièrement aux États-Unis. Cet évènement a ouvert le marché de la sécurité intérieure et de la défense du territoire. Blackwater, Triple Canopy11 et plusieurs autres sociétés ont vu le jour après cette date12. La société Blackwater, aujourd’hui Academi, a, par exemple, fait ses débuts dans le milieu avec un contrat de six mois d’une valeur de 5.4 millions de dollars pour le compte de la CIA en Afghanistan13.
Aujourd’hui, de nombreux États ont recours aux services de SMP pour accomplir certaines tâches traditionnellement dévolues aux armées nationales. Des organisations internationales et non gouvernementales et des entreprises privées font aussi appel aux services de SMP.
Les conflits internationaux entre puissances étatiques s’affrontant uniquement par le biais de leurs armées nationales sont aujourd’hui plus rares. On voit combattre sur les champs de bataille de plus en plus souvent des entités de natures diverses à l’intérieur des frontières d’un même État et parfois en dehors du cadre de toute frontière étatique (que l’on pense par exemple à la « guerre contre le terrorisme » menée par certains gouvernements contre le groupe Al-Qaïda). Le recours de plus en plus fréquent aux services des SMP par des acteurs divers s’inscrit aussi dans ces changements importants relatifs à la nature et à la structure des conflits armés.
Le cadre normatif entourant les conflits armés se trouve ainsi confronté à ces acteurs non étatiques qui y jouent un rôle accru. Or, tel qu’il sera exposé ci-après, ce cadre normatif a été d’abord conçu dans une logique que l’on pourrait qualifier de westphalienne, c’est-à-dire qu’il est prévu pour s’appliquer surtout lors de conflits armés entre États souverains. On peut donc se demander s’il est aujourd’hui en mesure de prendre en compte les activités complexes, diversifiées et souvent délocalisées des SMP dans le cadre de conflits armés ?14 Cet ouvrage s’attardera donc à explorer le cadre normatif international applicable aux activités des SMP en zones de conflits et à déterminer si celui-ci est en mesure d’appréhender adéquatement ce phénomène au regard de la finalité poursuivie par ce droit.
L’application pratique de certaines des règles du droit international aux activités des SMP soulève de nombreuses questions. De même, une certaine privatisation du domaine militaire constitue un défi pour la conception dominante du droit international15. À première vue, il semble y avoir un certain décalage entre la réalité de l’activité des SMP dans les zones de conflits armés et le cadre normatif régissant ces conflits16 que l’ampleur du phénomène ne permet pas d’occulter.
Certes, la logique westphalienne qui sous-tend le cadre normatif régissant les conflits armés et qui fait des États ses principaux sujets n’exclut pas d’emblée tout acteur non étatique. La normativité relative aux conflits armés a dû être adaptée cette réalité. Par exemple, un Protocole additionnel aux Conventions de Genève a été adopté en 1977 pour prendre en compte spécifiquement les conflits non internationaux17. Des normes particulières ont également été adoptées pour régir les luttes de libération nationale et accorder un statut particulier aux principaux mouvements les initiant18. Bien qu’ils visent des acteurs a priori non étatiques, ces changements s’inscrivent néanmoins dans cette logique westphalienne. Ils concernent des entités qui ont des desseins de nature politique : renverser un gouvernement en place, prendre le pouvoir ou provoquer un changement de régime19.
Cependant, les développements récents dans le domaine du droit pénal international et de la responsabilité des individus pour crimes internationaux, de même que les règles bien établies, et conformes au schéma traditionnel du droit international, de la responsabilité internationale des États laissent entrevoir des possibilités d’imputation de responsabilité en cas de non-respect de règles de droit international par des employés de SMP. Mais le cadre normatif entourant la conduite des hostilités ne poursuit pas seulement un objectif répressif ; il vise aussi à changer le comportement des acteurs sur les champs de bataille afin de limiter les dommages causés par les conflits, de prévenir la commission d’infractions et de protéger les victimes de ces conflits.
Avant d’aborder les questions de fond, il convient de présenter un bref historique de la participation d’acteurs privés aux conflits armés afin de mieux comprendre son évolution.
Section 1. – Historique
Sur le plan historique, non seulement le recours à des forces privées par les souverains, dirigeants et gouvernements a pratiquement toujours existé, mais ce sont les forces armées nationales et permanentes qui sont plutôt l’exception. Du reste, nous le verrons, le recours à des forces armées privées ne se fait pas nécessairement au détriment de la puissance étatique. Les États ont cependant, à plusieurs reprises, ressenti le besoin de limiter et d’encadrer le pouvoir de ces forces armées privées afin d’en conserver le contrôle.
La section qui suit n’est qu’un survol historique visant à fournir quelques illustrations de l’activité de personnes, de groupes et d’entreprises non étatiques lors de conflits armés. Elle n’est donc pas une revue exhaustive de l’histoire du mercenariat20.
I. – Les premiers mercenaires
Les premières mentions de mercenaires21 remontent à l’Antiquité. Dans l’Égypte ancienne, on retrouve des traces du recours à des troupes étrangères dès l’Ancien Empire (2649-2152 av. J.-C.). En l’an 1274 av. J.-C., lors de la bataille de Qadesh, les troupes de Ramsès II comprenaient des mercenaires nubiens, libyens et asiatiques. Quant au pharaon Apriès, il aurait eu, en 569 av. J.-C., une troupe de 30 000 mercenaires22.
Dans son Anabase, Xénophon relate l’histoire de l’armée des Dix mille embauchée en n 401 av. J.-C., par Cyrus le jeune qui voulait ravir la couronne perse des mains de son frère Artaxerxés II. Recevant l’aide de Spart, il recourt à une armée de plus de 10 000 mercenaires grecs pour parvenir à ses fins. Les Dix mille, composés de soldats démobilisés suite à la fin la guerre du Péloponnèse, mettent l’armée du roi Artaxerxés II en déroute, mais Cyrus meurt au combat. Après avoir conclu une trêve avec le roi perse, l’armée de mercenaires grecs se retrouve donc sans chef et doit s’organiser afin de quitter le territoire ennemi et de rentrer chez elle23.
Les troupes de Carthage étaient, quant à elles, essentiellement composées de mercenaires, ce qui ne servit pas toujours l’empire. En effet, après avoir perdu la Première guerre punique, qui prit fin en 241 av. J.C., Carthage ne put payer ses 40 000 mercenaires, en conséquence de quoi, ces derniers pillèrent la cité pour se payer. On parlera ainsi de la Guerre des mercenaires. Le gouvernement dû recourir à d’autres mercenaires pour mater la révolte des premiers ! Par la suite, la célèbre armée d’Hannibal, composée elle aussi de mercenaires professionnels, assurera des troupes lors de la Deuxième guerre punique24. Même Rome, fit appel à des mercenaires pour renforcer sa Légion romaine25.
Notons que certains auteurs expliquent le recours aux mercenaires par les cités grecques notamment par une dévalorisation du sens civique, une fatigue du politique et une faiblesse démocratique. Ce qui n’est sans rappeler la situation actuelle dans de nombreux pays occidentaux. Sans compter qu’à cette époque, comme aujourd’hui, la vie de mercenaires valait moins politiquement que celle de citoyens26.
II. – La période médiévale : les Compagnies de mercenaires
Le régime féodal instaure le service militaire obligatoire. Celui-ci ne consiste alors qu’en un nombre restreint de jours de service et à des fins principalement défensives, car une personne n’était pas assujettie à servir hors du royaume27. Le recours aux soldats privés reste donc fréquent et essentiel, notamment pour des tâches demandant une spécialisation telle que le maniement de nouvelles armes28. Le droit de piller est souvent le seul salaire des mercenaires. On a gardé trace de ces bandes de mercenaires du XIIe siècle tels Brabançons recrutés par Guillaume d’Ypres en 1135 et les Cotereaux qui ravagent les villages29. Les Almugavares, une compagnie composée principalement de mercenaires catalans qui combattirent les Turcs pour le compte de l’empereur byzantin Andronic II réussirent même à contrôler le duché d’Athènes pendant près de quatre-vingt ans créant ainsi un quasi État mercenaire30.
Par la suite, les souverains auront recours à des intermédiaires pour recruter et diriger les troupes de mercenaires. La Guerre de Cent Ans (1337-1453), du nombre de soldats qu’elle requiert et de l’affaiblissement du contrôle centralisé qu’elle engendre, profite aux soldats privés. Ceux-ci se regroupent en compagnies pour faciliter leur recherche de travail et pour assurer leur subsistance lorsqu’ils se retrouvent sans contrat. C’est l’époque des Grandes compagnies. Même Jeanne d’Arc, lorsqu’elle se porte au secours de Compiègne, est accompagnée de 400 mercenaires31. Les Croisades aussi se font avec l’aide de mercenaires qui viennent en aide aux troupes souvent composées de gens n’ayant peu ou prou d’expérience au combat. En 1357, Arnaud de Cervole crée la Compagnie blanche. Contrairement aux autres unités de mercenaires formées pour répondre à une demande précise, la Compagnie blanche offre des unités de mercenaires prêtes à l’emploi, déjà complètes et formées32. Elle sera le précurseur des condottieri italiens.
À cette époque, les Compagnies de mercenaires déstabilisent le régime féodal. En effet, elles démontrent, notamment, que la possession des terres n’est pas nécessairement le fondement de l’autorité. Enfin, elles ébranlent les principes de la chevalerie en ne faisant pas de l’honneur et de la loyauté les seules motivations d’un combat33.
Les États regardent avec plus de suspicion l’activité des mercenaires, auxquels ils ont pourtant eux-mêmes recours. Ces derniers ne se battent pas pour une cause juste, mais plutôt pour celui qui les paie, enfreignant les principes de guerre juste qui prévalent alors. De plus, l’absence de contrôle exercé par l’État ou l’Église sur les mercenaires est vue comme une menace à l’ordre social. Ainsi l’Église catholique menace d’excommunication les mercenaires s’attaquant aux églises34. Le Pape Urbain V promet l’absolution aux ex-mercenaires qui accepteront de combattre leurs anciens compagnons d’armes. Cependant, cela n’empêche pas l’Église catholique d’organiser des expéditions visant à envoyer des mercenaires en croisade sous l’autorité papale35. Quant aux États, ils tiennent aussi à intégrer les troupes de mercenaires dans leurs propres troupes afin d’assurer un meilleur contrôle de leurs activités36. En 1420, les Anglais tentent ainsi de créer un registre de tous les hommes en armes et en 1445, le roi Charles VII de France créa les Compagnies d’ordonnances. Ces compagnies dépendent directement du roi et sont instaurées sur une base permanente et payées de façon régulière. Par sa volonté de contrôler l’activité des mercenaires, la France se dote donc d’une première armée permanente37. C’est aussi à cette époque que la Suisse commence à réglementer et à contrôler l’emploi de mercenaires suisses à l’étranger38.
III. – Les condottieri italiens : les premiers entrepreneurs de guerre
C’est en Italie que se développe, au même moment, une forme particulièrement organisée de mercenariat. Au début du XIVe siècle, l’Italie n’est encore qu’une multitude de cités-États en lutte entre elles. Elle est, à cette époque, aussi la région la plus peuplée, la plus riche et la plus commerciale d’Europe. Les cités ont souvent recours à des mercenaires pour assurer leur sécurité ou étendre leur pouvoir. En Italie, comme en France, en Angleterre ou en Suisse, les condottieri ne sont pas toujours appréciés. Ils sont craints dès lors que survient la paix et qu’ils sont démobilisés. Dès 1337, Florence se dote d’un code de conduite à l’égard des mercenaires et, un peu plus tard, développe une structure contractuelle pour l’emploi de condottieri39.
Ainsi, ces condottieri sont liés à celui qui les emploie par un condotta, contrat stipulant la somme qui leur sera avancée pour rémunérer et équiper une troupe, mentionnant la nature des services demandés et fixant le nombre d’effectifs requis. Le condottiere, véritable entrepreneur de guerre, peut donc sous-traiter à des compagnies de mercenaires. Le contrat d’origine prévoit parfois la présence d’une personne chargée de superviser les activités des condottieri et de rendre des comptes au commanditaire40. Il semble que plusieurs dirigeants aient préféré confier leur sécurité à des soldats étrangers non impliqués dans les affaires politiques de la cité et donc moins enclins à se retourner contre leur employeur41. De plus, pour ces cités commerçantes, l’envoi de troupes composées d’étrangers sur les champs de bataille permettait d’épargner les commerçants locaux et donc de préserver l’économie de la cité.
IV. – Le traité de Westphalie : la naissance de l’État moderne
Vers le XVIIe siècle, la conduite des hostilités devient une véritable entreprise. Des entrepreneurs constituent des forces armées équipées et en louent leurs services42. Les forces qui s’affrontèrent durant la Guerre de Trente Ans (1618-1648) étaient essentiellement composées de mercenaires. En 1648, la Paix de Westphalie met fin à cette guerre et consacre l’avènement d’États souverains, fondés sur les principes de territorialité et d’égalité43. Cela contribuera au remplacement des armées de mercenaires par des armées populaires et étatiques44, notamment par l’instauration du service militaire obligatoire en temps de paix comme en temps de guerre45. L’usage de troupes de mercenaires étrangers demeure, mais l’indépendance accordée à ces troupes est presque réduite à néant et l’échange de ces troupes se fait d’État à État46. Le développement de nouvelles armes plus faciles à manier et requérant moins d’entraînement diminue du reste les besoins en soldats spécialisés, alors que le développement de l’État, notamment grâce à une fiscalité renforcée, rend possible le maintien de forces armées permanentes. Le recours à des soldats étrangers ne disparaît, cependant, pas complètement. Au siècle suivant, durant la Guerre d’Indépendance américaine (1775-1783), le gouvernement britannique engagea près de 30 000 Allemands pour renforcer ses troupes en Amérique47, dont la première division arriva à Québec le 1er juin 177648. La Révolution française marquera un tournant dans l’histoire militaire et mettra pratiquement fin à l’utilisation de troupes étrangères : les États commenceront à mener des guerres en utilisant leurs propres citoyens49.
V. – Les compagnies coloniales : l’entreprise privée à la conquête de nouveaux territoires
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, des compagnies coloniales à charte sont créées pour conquérir de nouveaux territoires et en contrôler les échanges commerciaux et pour briser le monopole portugais du commerce des Indes. Véritables États dans l’État, ces compagnies se verront accorder de nombreux pouvoirs régaliens, dont celui de posséder des forces armées et de prendre, contrôler et défendre des territoires par la force.
L’exploration de nouveaux territoires coûte cher et les marchands ont du mal à financer leurs expéditions. De plus, la compétition entre différentes compagnies fait monter le coût de l’achat de marchandises aux Indes et baisser celui de leur vente en Europe. Les puissances maritimes et commerciales de l’époque procèdent donc à la fusion des différentes compagnies et leur accordent le monopole du commerce entre les Indes et leur État respectif50. Les plus importantes compagnies des Indes alors créées sont sans doute la Compagnie anglaise des Indes orientales (East India Company), créée en 1600 et la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (Vereenigde Oostindische Compagnie, V.O.C.), créée en 1602. La Compagnie française des Indes orientales, moins importante, sera quant à elle créée en 1664. En 1670, le roi d’Angleterre autorise la Compagnie de la Baie d’Hudson à conquérir les territoires non exploités du nord de l’Amérique, à y exercer l’autorité et à en contrôler le commerce des fourrures51. La France ne reconnaîtra les droits de la Compagnie ou de tout autre marchand anglais sur la Baie d’Hudson qu’en 1713 lors de la conclusion du Traité d’Utrecht. Les employés et dirigeants de la Compagnie de la Baie d’Hudson affronteront donc à plusieurs reprises les troupes françaises dans la région52. Ce sont les premières entreprises capitalistes et multinationales. Ces compagnies possèdent de nombreux pouvoirs administratifs, judiciaires et militaires. Par exemple, la charte constitutive de la V.O.C. habilitait la compagnie à signer des traités53, à construire des forteresses, à entretenir des troupes, à déclarer la guerre ou conclure la paix, à exercer sa juridiction, à battre de la monnaie et à lever des impôts54. Chacune des compagnies des Indes possède son armée privée composée d’individus de différentes nationalités. Les exigences de l’embauche sont moins sévères que pour l’armée nationale et les conditions de travail souvent plus difficiles55. L’armée de la Compagnie anglaise des Indes orientales, en 1782, comprenait plus de 100 000 hommes, soit plus que l’armée britannique56. Ces compagnies s’affrontent aussi entre elles57.
Ces compagnies servirent bien les États qui les avaient créées en leur permettant d’acquérir de nouveaux territoires et d’accéder à de nouvelles richesses. Elles purent ainsi profiter de leur protection afin de faire respecter le monopole qui leur avait été accordé58. Mais les États tenaient à encadrer les activités de ces compagnies, afin de garder un certain contrôle sur les pouvoirs qu’ils leur accordaient. Par exemple, le roi de France est représenté au conseil d’administration de la Compagnie française des Indes orientales par un maître des requêtes qui préside le conseil d’administration et est placé sous l’autorité du contrôleur général de France. En Angleterre, à partir de 1698, les chartes de la Compagnie anglaise des Indes orientales sont octroyées par le Parlement et non par la Couronne59.
Cependant, malgré les mécanismes mis en place pour contrôler ces compagnies, celles-ci n’utilisèrent pas toujours leurs troupes conformément aux intérêts et aux directives de leurs gouvernements et de nombreux affrontements entre ces compagnies eurent lieu alors que leurs métropoles d’incorporation étaient en paix60. Par exemple, en 1621, la Compagnie britannique des Indes orientales accepta de s’allier avec le Shah perse afin de reprendre Hormuz des troupes portugaises, alors que l’Angleterre et le Portugal n’étaient pas en guerre61. La Compagnie du Nord-Ouest, établie à Montréal, attaqua, en 1686, les forts de la Compagnie de la Baie d’Hudson, plusieurs décennies, avant la guerre de Sept Ans (1756-1763), mais avec le concours du gouverneur de la Nouvelle-France cependant62. À la fin du XVIIIe siècle, cette dernière se fit même entrepreneur militaire offrant des services de sécurité privée à ses alliés en échange de forte somme d’argent lui servant à financer ses propres troupes63. Ainsi, la Compagnie anglaise des Indes orientales, tout au long de son monopole et jusqu’à sa suppression en 1858, exerça des fonctions régaliennes, en soumettant les différents États des Indes orientales à son autorité, d’administration, de perception d’impôts et d’entretien d’une armée.
Ces compagnies ont permis de regrouper les ressources nécessaires à l’exploration et à l’exploitation de nouveaux territoires sans engager de fonds publics. Les États, n’étant qu’indirectement impliqués et responsables, pouvaient mener des politiques d’expansion coloniale plus audacieuses et pousser les compagnies à prendre des risques que des troupes nationales n’auraient peut-être pas pu prendre. En cas de comportement répréhensible de la part d’une compagnie ou de litige avec un autre État, il était toujours loisible à l’État d’incorporation de la compagnie de désavouer celle-ci et de régler le différend par voie diplomatique. Le recours à des compagnies privées pour poursuivre leurs politiques d’expansion coloniale permettait aussi aux États de contourner les oppositions politiques et celles de la société civile64.
VI. – La Course : le mercenariat maritime
La pratique de la Course fut chose courante jusqu’au milieu du XIXe siècle. Elle consistait en l’octroi, par un souverain, de lettres de marque à un navire marchand l’autorisant à intercepter et capturer des navires ennemis lors d’un conflit et à en saisir la cargaison65, sans pour autant que son équipage ne puisse être qualifié de pirates. Cette pratique permettait aux États et aux souverains de pallier l’insuffisance de leur force navale. La licéité de l’emploi de corsaires sur les mers n’a pas eu d’équivalent sur les terres. Ainsi, « [s]elon la pratique du Moyen-âge, la guerre maritime n’était jamais une activité réservée entièrement aux États »66. Le recours par les États aux services de navires marchands privés lors de conflits armés était donc permis. L’octroi de lettre de marque était cependant réglementé et l’État imposait certaines conditions à ce privilège. Par exemple, en Grande-Bretagne, l’octroi d’une lettre de marque était conditionné au fait que le corsaire « give[s] security to the Admiralty to make compensation for any violation of the treaties subsisting with those powers towards whom the nation is at peace, and to forbear from employing any such vessel in smuggling »67. Le fait qu’un navire marchand détenant une lettre de marque puisse violer le droit international était donc reconnu puisque l’État exigeait au préalable l’assurance que le navire marchand serait en mesure de payer une compensation dans le cas d’une telle éventualité. De plus, pour devenir propriétaire de la cargaison saisie lors d’une course, les corsaires devaient se présenter devant un tribunal des prises. Ainsi, les États conservaient un certain degré de contrôle sur la pratique.
En 1856, la Déclaration de Paris consacra la fin de cette pratique qui tombait déjà en désuétude68. Son article premier stipulait que « la Course est et demeure abolie »69. Cette Déclaration fut rapidement acceptée par toutes les puissances maritimes, à l’exception des États-Unis, dont le droit d’octroyer des lettres de marque est toujours inscrit dans la constitution70. Selon H. A. Smith, la course fut abolie, car à l’époque, elle était considérée comme violant « la théorie que la guerre doit être exclusivement affaire d’État »71. La Déclaration de Paris visait aussi à affirmer l’immunité de la propriété privée en temps de guerre où seule la propriété des États belligérants pouvait être saisie72. Les tractations politiques de l’époque et l’impact économique des courses semblent cependant avoir été plus déterminants dans la décision de procéder à son abolition73. Le manque de contrôle et de responsabilité des États relativement aux activités des corsaires est aussi mentionné comme raison ayant mené à l’abandon de cette pratique74.
Quelques années après la Déclaration de Paris, les États décidèrent, lors de l’adoption des Conventions de la Haye en 1907, d’édicter des règles strictes en ce qui concerne la transformation de navires marchands en bâtiments de guerre. Il est notamment établi qu’ : « [a]ucun navire de commerce transformé en bâtiment de guerre ne peut avoir les droits et les obligations attachés à cette qualité, s’il n’est placé sous l’autorité directe, le contrôle immédiat et la responsabilité de la Puissance dont il porte le pavillon »75. De plus, le commandant d’un tel navire doit « être au service de l’État et dûment commissionné par les autorités compétentes », son équipage doit respecter les lois et coutumes de guerre et être soumis à la discipline militaire76.
Certains sont aujourd’hui d’avis que la pratique des lettres de marque devrait être réintroduite afin de réglementer le recours aux SMP77. Cependant, en 1907, les États ont clairement établi que le recours à des navires marchands privés sans les intégrer formellement à la structure militaire de l’État devait être considéré comme contraire au droit international lorsque ceux-ci sont autorisés à commettre des actes de belligérance. Ainsi, une SMP ne pourrait se voir octroyer le droit de commettre des actes de belligérance sur les mers sans avoir préalablement été formellement incorporée à la marine d’un État.
VII. – Le temps des volontaires internationaux
Le recours aux mercenaires n’a donc jamais fait l’unanimité et plusieurs théoriciens militaires ont continuellement émis d’importantes mises en garde face à leur utilisation. Un des plus connus est sans doute Nicolas Machiavel qui, dans son ouvrage Le Prince, écrivait que les troupes de : « mercenaires et les auxiliaires sont inutiles et dangereuses (…). C’est qu’elles [les troupes de mercenaires] sont désunies, ambitieuses, indisciplinées, infidèles (…) ; tu seras pillé par elles en temps de paix, par l’ennemi en temps de guerre. La raison de tout cela est qu’un attachement seul les retient au camp : le peu de gages que tu leur verse ; et cet argent ne suffit point à faire qu’ils veuillent mourir pour toi »78. Machiavel préconisait la formation d’armée permanente : « [l]’histoire nous apprend que seuls les princes combattants et les républiques bien armées ont accompli de grandes choses, alors que les armées mercenaires n’ont jamais produit que des dommages »79. À partir de la Renaissance, les penseurs militaires sont de plus en plus nombreux à critiquer l’emploi de troupes de mercenaires et à prôner la formation d’armées professionnelles permanentes formées de citoyens sur le modèle de la Légion romaine.
On l’a vu pourtant, le recours à des soldats privés et à des étrangers ne cessera cependant pas pour autant, mais ceux-ci seront intégrés aux forces nationales et se verront attribuer des appellations plus acceptables comme celles de volontaires et de légionnaires et feront partie intégrante des armées nationales. La Révolution française apportera des changements importants pour le mercenariat. Les idées de nation en armes et d’armée citoyenne prendront le dessus sur celle de troupes de mercenaires et rendront l’utilisation de celles-ci peu avouable. De plus, en France, les mercenaires étaient alors considérés comme trop favorables au roi. La conscription amena une nouvelle donnée dans le domaine militaire : les États pourraient désormais compter sur une nombreuse armée de citoyens-soldats80.
De plus, certains États se dotent de légions étrangères afin d’intégrer des étrangers dans leurs forces armées et des soldats de plusieurs nationalités se battent aux côtés des Français lors de la Première guerre mondiale, aux côtés du Frente popular lors de la Guerre d’Espagne, et aux côtés des Allemands lors de la Deuxième guerre mondiale81. À la différence des troupes de mercenaires, ces régiments composés d’étrangers relèvent des forces armées nationales et en font partie. Aujourd’hui, seule la France et l’Espagne possède toujours des légions étrangères82.
VIII. – L’époque contemporaine
Lors de la Deuxième Guerre mondiale, sur l’insistance d’un homme d’affaires et ancien capitaine de l’US Army Air Corps, Claire Lee Chennault, le président Roosevelt autorise des militaires des États-Unis à démissionner pour joindre l’American Volunteer Group. Sur demande des Chinois, Chennault crée les Flying Tigers. Les pilotes démissionnaires de l’armée des États-Unis signeront des contrats d’une durée d’un an avec la Central Aircraft Manufacturing Company pour travailler comme instructeurs dans des unités spéciales d’entraînement dont Chennault est l’inspecteur. Ils se verront offrir d’importantes soldes pouvant aller jusqu’à 750 dollars avec une prime de 500 dollars pour chaque avion japonais abattu. Ils combattront de juillet 1941 à juillet 1942 pour les troupes de Tchang Kaï-chek contre les Japonais. Le contrat coûtera 8 millions de dollars aux Chinois et les Flying Tigers abattront plus de 300 avions japonais83.
La CIA a recours à des sous-traitants depuis la guerre du Viêt-Nam. Cela lui permet, notamment, de nier l’intervention si les opérateurs sont découverts ou faits prisonniers : officiellement, ils ne font pas partie de l’appareil étatique des États-Unis84. Le gouvernement des États-Unis a aussi recours à des entrepreneurs privés dans le domaine militaire. Par exemple, la société américaine Vinnel, décrite par un employé du Pentagone comme ; « our own little mercenay army in Vietnam », effectuait diverses tâches au Viêt-Nam comme la construction de bases militaires, l’exploitation d’entrepôts militaires et des services de sécurité pour les bases américaines, et avait 5 000 employés dans ce pays85. En 1975, la société Vinnel obtient un important contrat d’une valeur de 77 millions de dollars pour entraîner la Garde Nationale de l’Arabie Saoudite. Pour la première fois, des civils américains vendront des services de nature militaire à un gouvernement étranger86. La société fournissait toujours des services d’entraînement et de conseils pour la Garde Nationale et comptait plus de 1 400 employés en Arabie Saoudite en 200387. Récemment, la CIA aurait aussi fait appel à la SMP Blackwater (aujourd’hui Academi) pour mener des raids contre des dirigeants d’Al-Qaïda et pour l’assister dans son programme d’aéronefs sans pilote (drones) en Afghanistan et au Pakistan88. Ainsi, depuis la Deuxième Guerre mondiale, les entreprises privées offrent des services en lien avec la conduite des hostilités.
IX. – Les mercenaires de la décolonisation
La Guerre froide faisant peser une menace nucléaire sur les grandes puissances, celles-ci répugnent à déployer des opérations militaires directes et importantes. Elles s’affrontent donc par pays interposés en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud, sous forme de soutien à certains régimes, de financement de mouvements de résistance, d’organisation de coups d’État et d’envoi de troupes de mercenaires. Cette période, ayant un temps pour toile de fond la décolonisation consécutive à l’affaiblissement des grandes puissances coloniales à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, voit réapparaître une forme de mercenariat plus ancienne, presqu’artisanale, moins organisée que les condottieri ou les corsaires, composée de ceux que l’on appellera les chiens de guerre, les soldats de fortune ou les Affreux89. Par exemple, en 1960, pendant la tentative de sécession de la province du Katanga, en République démocratique du Congo, Moïse Tshombe fit appel à des mercenaires français dont le célèbre Bob Denard. Les « Affreux » se battirent contre les forces de l’ONU et contre l’armée congolaise. Aux Comores, Ali Soilih fera de même en 1975 après avoir renversé le président Ahmed Abdallah90. Trois ans plus tard, il sera à son tour renversé par ces mêmes mercenaires91. Lors de la guerre du Biafra, à la fin des années 1960, tant le gouvernement fédéral nigérian, soutenu par l’Angleterre, que les forces du Biafra soutenues par la France, le Gabon et l’Afrique du Sud auront recours à de nombreux mercenaires. En 1964, pour lutter contre les rebelles Simbas au Congo, la CIA fait appel à des pilotes cubains. L’employeur officiel de ces pilotes sera une société privée, l’Anstalt Wigmo, enregistrée au Liechtenstein92. En 1976, quelques mois après l’interdiction faite par le Sénat des États-Unis d’envoyer des soldats en Angola et de financer le Front national de libération de l’Angola (ci-après « FNLA »), treize mercenaires originaires des États-Unis et de Grande-Bretagne recrutés par le FNLA seront capturés et jugés par le tribunal révolutionnaire de Luanda, accusés notamment de mercenariat. Les services secrets de la Grande-Bretagne seront accusés d’avoir été au courant de l’opération et de n’avoir rien fait pour l’empêcher93.
L’intervention de mercenaires dans le contexte de nombreuses luttes pour l’indépendance d’anciennes colonies sera vivement condamnée par les nouveaux États et ceux-ci feront pression pour que des conventions visant à interdire ou à dissuader l’emploi de mercenaires soient adoptées. D’abord, l’Union africaine adoptera en 1972 une Convention sur l’élimination des mercenaires en Afrique, puis un protocole additionnel aux Conventions de Genève stipulant que les mercenaires n’ont pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de guerre sera adopté en 1977. En 1989, l’ONU adoptera une Convention contre les mercenaires qui entrera en vigueur en 200194. Comme nous le verrons, ces textes n’ont qu’une portée restreinte et la définition de mercenaires qu’ils comportent exclut pratiquement tous ceux travaillant pour des SMP. Ces diverses dénonciations et condamnations des mercenaires, des années 1960 à 1980, vont forcer l’industrie à se restructurer. Au début des années 1990, les mercenaires ne sont plus des soldats artisanaux et indépendants, mais de véritables entrepreneurs possédant des structures corporatives solides, du personnel qualifié et du matériel de pointe.
X. – L’essor des SMP
Tel que mentionné précédemment, c’est au début des années 1990 que l’industrie des services militaires privés telle que nous la connaissons aujourd’hui voit le jour. L’entreprise qui incarne le mieux ces nouveaux mercenaires est sans doute la Sud-africaine Executive Outcomes (ci-après « EO »).
Fondée en 1989 par Eben Barlow, ancien membre du 32e Bataillon des Forces de défense sud-africaine, EO fut l’une des premières SMP et plusieurs de ses opérations soulevèrent la controverse. EO était composée en majeure partie d’anciens membres des Forces de défense sud-africaines, dont plusieurs unités furent démobilisées après la fin du régime d’Apartheid. La société put ainsi recruter facilement du personnel qualifié hautement formé, partageant le même entraînement et les mêmes structures hiérarchiques et possédant une solide expérience de combat95.
En 1993, le gouvernement angolais fait appel à EO pour l’aider à lutter contre les forces rebelles de l’União Nacional para a Independência Total de Angola (ci-après « UNITA »). Le premier contrat confie à la société la tâche de reprendre les installations pétrolières de Soyo, tombées aux mains de l’UNITA. Les 80 employés d’EO réussirent à reprendre Soyo. En prenant publiquement crédit pour cette opération, EO a permis d’observer une fois de plus qu’une société privée, en fournissant des services militaires à la partie qui en paierait le prix, pouvait jouer un rôle déterminant lors d’un conflit96.
À la suite de cette expérience, le gouvernement angolais conclut avec la société, en septembre 1993, un contrat d’un an chargeant EO d’entraîner les militaires gouvernementaux, d’assurer la logistique des opérations et de protéger les installations minières. EO prendra alors de nouveau part aux combats contre l’UNITA. Les contrats de EO avec le gouvernement angolais seront renouvelés jusqu’en 1996, après quoi le gouvernement se tournera plutôt vers la SMP Military Profesionnal Resources Inc. (ci-après « MPRI »)97.
EO sera aussi active en Sierra Leone. En 1995, face à l’avancée du Front Révolutionnaire Uni (ci-après « RUF ») vers la capitale Freetown, le gouvernement sierra léonais fait appel à EO. En neuf jours, les employés de la société feront reculer les rebelles. EO se mit ensuite à entraîner une unité spéciale des forces gouvernementales et des milices locales, les Kamajors. Le contrat avec EO pris fin en janvier 1997. Lorsque les troubles reprirent quelques mois plus tard, le Président Kabbah fit appel à une autre SMP, Sandline International98. Sandline International fit reculer les rebelles, mais fit aussi entrer des armes dans le pays en dépit de l’embargo des Nations Unies. La société se défendit en arguant que le gouvernement britannique était au courant de l’opération, ce qui, après une enquête, se révéla vrai99.
EO a eu de nombreux contrats, surtout en Afrique, mais ses interventions en Angola et au Sierra Leone demeurent les plus marquantes. Elles ont mis à jour le pouvoir que pouvaient avoir des SMP, disposant de personnel qualifié, de techniques efficaces et de bons services de renseignement, sur le cours d’un conflit. L’expérience d’EO traça aussi la voie au développement de l’industrie des services militaires privés, démontrant que la demande pour de tels services était forte et l’offre lucrative. La mauvaise réputation de la société, dont les fondateurs restaient associés au régime de l’Apartheid en Afrique du Sud, eut finalement raison de la désormais célèbre SMP. EO fut dissoute et cessa ses activités en janvier 1999, mais selon certains, la société aurait continué à agir en se divisant en plusieurs nouvelles sociétés100.
Bien qu’elle symbolise au mieux la nouvelle industrie des services militaires privés, EO n’est pas la première SMP. Tel que mentionné précédemment, des sociétés comme Vinnel et d’autres, surtout fondées par d’anciens militaires britanniques du Special Air Service, telles que la KAS, créée au début des années 1960 et dissoute en 1976, et Defense System Limited101 créée en 1981, avaient déjà commencé à offrir des services de sécurité et des services militaires privés.
Les SMP sont donc désormais des entreprises, entités juridiques de droit interne, qui offrent et fournissent, suivant les règles du marché, des ressources humaines et matérielles en matière militaire. Ces sociétés sont légalement constituées, sous différentes formes, et possèdent une raison sociale conforme aux exigences des lois de leur État d’incorporation. Il est à noter que les États n’ont jamais rendu les sociétés militaires privées illégales comme ils l’ont fait avec d’autres formes d’organisation privée de la violence comme la piraterie102.
Depuis 1985, le U.S. Army’s Logistics Civil Augmentation Program permet à l’armée des États-Unis d’avoir recours à des sociétés prédéterminées pour lui fournir un large spectre de support logistique. Ce lucratif programme de plus de 7 milliards d’US dollars est maintenant géré par Kellog, Brown and Root, une filiale de la société Halliburton. Les employés de SMP sont aujourd’hui plus nombreux en Irak et en Afghanistan qu’ils ne l’ont jamais été dans un conflit auparavant.
Au fil de l’histoire, le mercenariat a revêtu différentes formes, s’adaptant aux besoins militaires et aux ressources de l’époque. Il est toutefois difficile de dresser un portrait type du mercenaire qui transcenderait l’histoire au-delà de l’achat et de la vente de la force combattante d’individus. Il en va de même de ses relations avec les États : tantôt indispensable à sa survie ou à son expansion, tantôt une menace à sa sécurité intérieure ou à sa souveraineté, le mercenaire ne peut être classé de manière définitive ni dans la catégorie des ennemis de l’État ni dans celle de ses alliés.
Cependant, une grande continuité de motifs unit ces entités étatiques qui, depuis l’Antiquité, ont eu recours à des sources privées pour accomplir des tâches de nature militaire. En effet, le manque de ressources humaines et matérielles, les avancées technologiques et le caractère politiquement délicat de certaines opérations semblent toujours en être les principales raisons. Cette tension entre le caractère répréhensible du mercenariat et le potentiel de dangerosité pour des États que peut représenter le fait de tolérer que des entités privées possèdent les moyens de prendre part à des conflits armés, voire d’en influencer ou d’en déterminer l’issue, d’une part, et d’autre part, le fait que les États aient continuellement eu recours aux services de mercenaires et en aient souvent tiré profit, se reflète dans la normativité relative à cette activité.
Avant d’aborder le cœur du sujet, quelques observations relatives à la manière dont il sera traité de même qu’aux enjeux qu’il soulève s’imposent.
Section 2. – Précisions terminologiques
§ 1. – Précisions terminologiques et délimitation du sujet de l’ouvrage
Tout d’abord, il importe de bien établir ce que nous entendons par SMP. Il n’y a pas de définition généralement acceptée de ce qu’est une SMP et l’appellation elle-même est sans doute imparfaite ne rendant que difficilement compte de la pluralité des services qu’elles offrent.
Bien que le terme entreprise soit neutre sur le plan juridique103 et permette d’englober différentes formes d’incorporation et d’entités (compagnies, sociétés, firmes, consortiums, multinationales, etc.), le terme société militaire privée a été préféré pour diverses raisons. D’abord, dans le langage juridique, le terme société fait référence à une forme institutionnelle d’entité commerciale, alors que le terme entreprise peut référer à diverses formes d’entités avec des degrés plus ou moins élevés de complexité organisationnelle. De plus, le terme société militaire privée est celui généralement utilisé dans la littérature francophone relative au sujet et par diverses organisations internationales telles que l’Organisation des Nations Unies et le Conseil de l’Europe104.
Certains auteurs, particulièrement Peter Singer, définissent et distinguent ces sociétés sur la base des services qu’elles offrent et de leur proximité avec le terrain des opérations militaires105. D’autres, comme Ian D. Jefferies, les distinguent en fonction de l’entité qui les emploie, parlant de sociétés de sécurité privées lorsqu’elles sont employées par des entités privées et de sociétés militaires privées lorsqu’elles le sont par des entités étatiques106. Cet ouvrage ne fera pas de telles distinctions notamment parce qu’une même société peut offrir différents types de services à diverses entités dans le cadre d’un même conflit et que l’éloignement de la zone de conflit n’empêche pas une participation directe aux hostilités. Sans compter qu’au regard du droit international humanitaire (ci-après « DIH »), du droit international pénal ou de la responsabilité internationale des États, le fait qu’une société se présente comme société de sécurité privée ou société militaire privée ne fait aucune différence et n’a aucun impact sur l’application de ces normes juridiques. Ainsi, le terme « société militaire privée » comprend ici toutes les sociétés qui offrent des services, y compris des services de sécurité, se rapportant directement à l’activité militaire lors de conflits armés et à son organisation.
§ 2. – Quelques observations relatives au cadre normatif international entourant les conflits armés
L’ensemble de règles désigné sous l’expression droit international humanitaire vise principalement à limiter les méthodes et des moyens de guerre utilisés lors de conflits armés et à limiter les maux causés par les conflits armés en protégeant ceux qui en sont victimes : les blessés, les malades, les prisonniers et la population civile. Les principes les plus importants sur lesquels reposent les règles du DIH sont les principes d’humanité, de proportionnalité et de distinction107. Les lois et coutumes de guerre ont pour but de protéger les personnes humaines par l’établissement de statuts objectifs imposant des droits et obligations à toutes les parties belligérantes et aux personnes impliquées108. Il a donc vocation à s’appliquer dans l’immédiat d’un conflit de manière à guider les actions de ceux qui y participent en conformité avec ses principes.
Le principe d’humanité ou de conservation de l’humanité est sans doute le principal et le plus ancien fondement du DIH109. Ce principe fondateur du DIH sert aussi à en combler les lacunes. Le droit ne peut pas prévoir toutes les situations qui peuvent survenir au cours d’un conflit ni toutes les formes que les conflits peuvent revêtir. Les situations non réglementées par des normes expresses ou coutumières doivent être régies par le principe d’humanité110. Cette règle a été codifiée dans le préambule de la Convention de La Haye de 1899 concernant les lois et coutume de guerre sur terre et est connue aujourd’hui sous l’appellation de clause Martens. Cette clause stipule que : « les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l’humanité et des exigences de la conscience publique111 ». Elle a été reprise, en 1977, dans le Protocole additionnel I à l’article 1 alinéa 2112. En se fondant sur le principe d’humanité, le droit des conflits armés « a pour fonction de protéger également les agents potentiels d’actes inhumains, de les protéger contre leur propre inhumanité. C’est l’acte inhumain qui avilit l’humanité, et il l’avilit dans la personne de l’agent avant que de la blesser dans la personne de la victime »113.
Selon Éric David, les quatre grands principes du droit des conflits armés modernes sont : 1) l’obligation de toujours distinguer entre les combattants et les non-combattants, entraînant la règle d’immunité des non-combattants ; 2) l’obligation de ne pas utiliser n’importe quel moyen pour combattre l’ennemi ou principe de limitation ; 3) la possibilité de réprimer les violations des règles applicables aux combats et 4) la non-discrimination dans les soins apportés aux blessés et aux malades114. Pourraient aussi être ajoutés, les principes de bonne foi et d’honnêteté, de même que ceux de proportionnalité dans les attaques et d’égalité des belligérants devant le jus in bello115.
Bien que le DIH soit probablement une des branches du droit international les mieux à même de prendre en compte l’activité d’acteurs privés tels que le SMP, cela ne va pas sans poser quelques difficultés comme il en sera question tout au long de cet ouvrage116.
§ 3. – Objectif et structure de l’ouvrage
Cette recherche part du constat que les SMP sont présentes dans les zones de conflit. Elle ne cherche pas à juger de l’opportunité de cette présence. Elle cherche plutôt à déterminer si la prise en compte normative des activités des SMP dans le cadre de conflits armés est adéquate au regard de la finalité de la normativité encadrant les conflits armés qui ne vise pas uniquement à réprimer des actions et à attribuer des responsabilités, mais qui vise aussi, et surtout, à changer les comportements afin de prévenir des maux inutiles et à protéger les victimes.
Le droit international étant d’abord un droit de coordination visant à régler l’activité des sujets auxquels il s’applique d’une manière généralement acceptable et acceptée ne peut être abordé uniquement dans une perspective pénale ou dans l’objectif d’attribuer des responsabilités a posteriori sans risquer de le dénaturer. Il doit être compris et connu par ses destinataires avant et pendant l’activité de ceux-ci, afin de leur permettre d’agir conformément à ses règles. A fortiori lorsqu’il concerne les conflits armés. En effet, le cadre normatif entourant les conflits armés ne suit pas une logique de sanction et d’imputabilité. Il vise d’abord et avant tout à limiter les dommages causés par les conflits et à en protéger les victimes. Pour ce faire, il délimite les droits et obligations des acteurs impliqués. Les règles qui leur sont applicables doivent donc être claires et facilement identifiables.
Ainsi, ces règles doivent permettre aux sujets auxquels elles s’appliquent d’adopter le comportement requis et de connaître a priori ce que le droit leur commande. Elles doivent aussi leur offrir une protection adéquate. Elles ne peuvent donc être principalement appliquées a posteriori par une cour de justice ou suite à l’analyse poussée d’un juriste chevronné.
Ainsi, la première partie abordera les règles de droit international humanitaire applicables lors de conflits armés internationaux et non internationaux et permettra de démontrer la difficulté pour les acteurs concernés par les activités des SMP de déterminer a priori avec certitude les règles de droit auxquelles ils doivent se conformer et de connaître celles qui les protègent. La deuxième partie portera sur les principaux mécanismes de mise en œuvre, soit la responsabilité internationale des États et le droit international pénal, et qui permettent d’apporter une réponse a posteriori lorsqu’il y aura eu violation de règles de droit international par les SMP, leurs employés et/ou leurs dirigeants. Bien que cette distinction entre détermination (certes difficile) a priori et application (plus facile) a posteriori constitue la pierre d’assise de cette recherche, il doit néanmoins être mentionné que les mécanismes de mise en œuvre, et surtout les décisions judiciaires qui en découlent, peuvent avoir une influence sur l’application des règles a priori en établissant, en précisant et en interprétant l’état du droit sur la question et son application.
Dans la première partie, le principe fondamental du DIH qu’est celui de la distinction entre civils et combattants sera abordé, de même que la notion de participation directe aux hostilités qui a une conséquence immédiate sur la protection à laquelle ont droit les civils dans le cadre de conflits armés (Chapitre 1). Ensuite, la question du statut que peuvent avoir les employés de SMP dans le cadre de conflits armés internationaux et leur situation juridique dans le cadre de conflits armés non internationaux sera abordée (Chapitre 2). La question de savoir si les employés de SMP peuvent être assimilés à des mercenaires au regard du droit international existant sera aussi traitée.
Cette première partie permettra de constater que le statut ou la situation des employés de SMP lors de conflits armés ne peut être déterminé qu’au cas par cas et après une analyse méthodique et rigoureuse de plusieurs éléments. Notamment, de l’entité pour laquelle ils travaillent (État, ONG, organisation internationale ou autre société privée), du contrat que la SMP a avec cette entité (notamment lorsque celle-ci est un État afin de déterminer si les employés de la SMP sont intégrés aux forces armées nationales de cet État), des tâches et des opérations qu’ils effectuent (est-ce ou non une participation directe aux hostilités ?) et de la nature du conflit dans le cadre duquel ils opèrent (est-ce un conflit international ou un conflit non international ?). Les règles qui leur sont applicables et la protection à laquelle ils ont droit peuvent, par conséquent, être différentes pour les employés d’une même entreprise dépendamment des tâches qui leur sont confiées et du conflit dans le cadre duquel ils opèrent. Elles peuvent aussi être différentes pour les employés de sociétés différentes exécutant les mêmes tâches dans le cadre d’un même conflit. Ce caractère changeant du statut ou de la situation des employés des SMP compromet le respect du principe de distinction entre combattants et non-combattants sur le terrain des opérations militaires et ne permet pas aux personnes impliquées de déterminer avec certitude les règles qu’elles doivent appliquer ni d’être pleinement protégées par ces règles. Or, le droit encadrant les conflits armés se doit d’être clair, facile à comprendre et directement applicable au cours d’un conflit et non après coup par des cours de justice ou d’éminents juristes. D’ailleurs, comme l’écrivait Éric David, en simplifiant à l’extrême les règles du DIH, on pourrait les résumer à : ne pas attaquer les non-combattants, ne pas attaquer les combattants n’importe comment, traiter humainement les personnes en son pouvoir et protéger les victimes. Il est donc primordial pour les personnes impliquées de savoir qui sont les combattants et les non-combattants et quel est le statut des personnes en leur pouvoir.
En seconde partie, les questions relatives aux principaux mécanismes de mise en œuvre seront abordées. Tout d’abord, les règles de la responsabilité internationale des États seront étudiées (Chapitre 1). Ces règles ne fixent pas de limite aux activités qu’un État peut privatiser, mais permettent d’engager la responsabilité des États qui ont recours à des SMP ou de ceux qui leur permettent d’œuvrer sur leur territoire. Ensuite, le droit international pénal qui s’applique aux employés et dirigeants des SMP, mais aussi aux dirigeants des gouvernements et forces armées des États qui ont recours à des SMP, sera abordé (Chapitre 2).
Dans cette partie, il sera démontré que, prise sous l’angle des mécanismes de mise en œuvre, la question de l’activité des SMP lors de conflits armés ne pose pas de difficultés réelles et que le droit existant est en mesure de prendre en compte ces activités en attribuant des responsabilités aux auteurs de violations. En revanche, malgré leur utilité certaine, ces règles n’apportent pas de solutions concrètes aux problèmes des incertitudes soulevées en première partie. De plus, ces incertitudes quant aux règles applicables aux employés de SMP en zone de conflits et à la protection à laquelle ils ont droit ne seront pas sans conséquence lors de l’attribution de responsabilités. En effet, si le droit rend constitutif d’un acte criminel l’attaque de civils ne participant pas aux hostilités, il faut être en mesure d’établir que les personnes accusées d’avoir commis un tel acte savaient qu’elles avaient affaire à des civils et que ceux-ci ne participaient effectivement pas aux hostilités, ce qui, tel qu’il sera expliqué, ne sera pas toujours chose facile en ce qui concerne les employés de SMP.
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