0,99 €
Médité pendant de longues années, Le contrat social est composé entre 1758 et 1760 et publié pour la première fois au printemps 1762. Le livre subit l'hostilité de la censure française, tandis que les autorités suisses le font déchirer et brûler sur la place publique et condamnent son auteur à l'exil. L'objet de l'ouvrage sont les principes du droit politique, et en particulier la loi "paradoxale" fondatrice de la communauté humaine, le contrat social, qui dans la soumission des individus aux intérêts communs garantit la liberté collective. Chef-d'œuvre des Lumières et moment fondamental de l'histoire de la pensée occidentale, Le Contrat social est un ouvrage essentiel pour comprendre les racines du concept moderne de démocratie.
Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:
Jean-Jacques Rousseau
DU CONTRAT SOCIAL
© 2023 Éditions Synapses
Ce petit traité est extrait d’un ouvrage plus étendu, entrepris autrefois sans avoir consulté mes forces, & abandonné depuis long-tems. Des divers morceaux qu’on pouvoit tirer de ce qui étoit fait, celui-ci est le plus considérable, & m’a paru le moins indigne d’être offert au public. Le reste n’est déja plus.
JJR
TABLE DES LIVRES ET DES CHAPITRES.
LIVRE I.
Où l’on recherche comment l’homme passe de l’Etat de nature à l’état civil, & quelles sont les conditions essencielles du pacte.
CHAPITRE I.
Sujet de ce premier Livre.
CHAPITRE II.
Des premieres Sociétés.
CHAPITRE III.
Du droit du plus fort.
CHAPITRE IV.
De l’esclavage.
CHAPITRE V.
Qu’il faut toujours remonter à une premiere convention.
CHAPITRE VI.
Du pacte Social.
CHAPITRE VII.
Du Souverain.
CHAPITRE VIII.
De l’état civil.
CHAPITRE IX.
Du Domaine réel.
LIVRE II.
Où il est traité de la Législation.
CHAPITRE I.
Que la souveraineté est inaliénable.
CHAPITRE II.
Que la souveraineté est indivisible.
CHAPITRE III.
Si la volonté générale peut errer.
CHAPITRE IV.
Des bornes du pouvoir Souverain.
CHAPITRE V.
Du droit de vie & de mort.
CHAPITRE VI.
De la Loi.
CHAPITRE VII.
Du Législateur.
CHAPITRE VIII.
Du peuple.
CHAPITRE IX.
Suite.
CHAPITRE X.
Suite.
CHAPITRE XI.
Des divers sistêmes de législation.
CHAPITRE XII.
Division des Loix.
LIVRE III.
Où il est traité des loix politiques, c’est-à-dire, de la forme du Gouvernement.
CHAPITRE I.
Du Gouvernement en général.
CHAPITRE II.
Du principe qui constitue les diverses formes de Gouvernement.
CHAPITRE III.
Division des Gouvernemens.
CHAPITRE IV.
De la Démocratie.
CHAPITRE V.
De l’Aristocratie.
CHAPITRE VI.
De la Monarchie.
CHAPITRE VII.
Des gouvernemens mixtes.
CHAPITRE VIII.
Que toute forme de Gouvernement n’est pas propre à tout pays.
CHAPITRE IX.
Des signes d’un bon Gouvernement.
CHAPITRE X.
De l’abus du Gouvernement & de sa pente à dégénérer.
CHAPITRE XI.
De la mort du corps politique.
CHAPITRE XII.
Comment se maintient l’autorité souveraine.
CHAPITRE XIII.
Suite.
CHAPITRE XIV.
Suite.
CHAPITRE XV.
Des Députés ou Réprésentans.
CHAPITRE XVI.
Que l’institution du Gouvernement n’est point un Contract.
CHAPITRE XVII.
De l’institution du Gouvernement.
CHAPITRE XVIII.
Moyen de prévenir les usurpations du Gouvernement.
LIVRE IV.
Où continuant de traiter des loix politiques on expose les moyens d’affermir la constitution de l’Etat.
CHAPITRE I.
Que la volonté générale est indestructible.
CHAPITRE II.
Des Suffrages.
CHAPITRE III.
Des élections.
CHAPITRE IV.
Des comices romains.
CHAPITRE V.
Du Tribunat.
CHAPITRE VI.
De la Dictature.
CHAPITRE VII.
De la Censure.
CHAPITRE VIII.
De la Religion civile.
CHAPITRE IX.
Conclusion.
LIVRE I.
Je veux chercher si dans l’ordre civil il peut y avoir quelque regle d’administration légitime & sûre, en prenant les hommes tels qu’ils sont, & les loix telles qu’elles peuvent être : Je tâcherai d’allier toujours dans cette recherche ce que le droit permet avec ce que l’intérêt prescrit, afin que la justice & l’utilité ne se trouvent point divisées.
J’entre en matiere sans prouver l’importance de mon sujet. On me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la Politique ? Je réponds que non, & que c’est pour cela que j’écris sur la Politique. Si j’étois prince ou législateur, je ne perdrois pas mon tems à dire ce qu’il faut faire ; je le ferois, ou je me tairois.
Né citoyen d’un État libre, & membre du souverain, quelque foible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire. Heureux, toutes les fois que je médite sur les Gouvernemens, de trouver toujours dans mes recherches de nouvelles raisons d’aimer celui de mon pays !
CHAPITRE I.
Sujet de ce premier Livre.
L’homme est né libre, & par-tout il est dans les fers. Tel se croit le maître des autres, qui ne laisse pas d’être plus esclave qu’eux. Comment ce changement s’est-il fait ? Je l’ignore. Qu’est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question.
Si je ne considérois que la force, & l’effet qui en dérive, je dirois ; tant qu’un Peuple est contraint d’obéir & qu’il obéït, il fait bien ; sitôt qu’il peut secouer le joug & qu’il le secoüe, il fait encore mieux ; car, recouvrant sa liberté par le même droit qui la lui a ravie, ou il est fondé à la reprendre, ou l’on ne l’étoit point à la lui ôter. Mais l’ordre social est un droit sacré, qui sert de base à tous les autres. Cependant ce droit ne vient point de la nature ; il est donc fondé sur des conventions. Il s’agit de savoir quelles sont ces conventions. Avant d’en venir-là je dois établir ce que je viens d’avancer.
CHAPITRE II.
Des premieres Sociétés.
La plus ancienne de toutes les sociétés & la seule naturelle est celle de la famille. Encore les enfans ne restent-ils liés au pere qu’aussi longtems qu’ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout. Les enfans, exempts de l’obéïssance qu’ils devoient au pere, le pere exempt des soins qu’il devoit aux enfans, rentrent tous également dans l’indépendance. S’ils continuent de rester unis ce n’est plus naturellement c’est volontairement, & la famille elle-même ne se maintient que par convention.
Cette liberté commune est une conséquence de la nature de l’homme. Sa premiere loi est de veiller à sa propre conservation, ses premiers soins sont ceux qu’il se doit à lui-même, &, sitôt qu’il est en âge de raison, lui seul étant juge des moyens propres à le conserver devient par-là son propre maitre.
La famille est donc si l’on veut le premier modéle des sociétés politiques ; le chef est l’image du pere, le peuple est l’image des enfans, & tous étant nés égaux & libres n’aliénent leur liberté que pour leur utilité. Toute la différence est que dans la famille l’amour du pere pour ses enfans le paye des soins qu’il leur rend, & que dans l’Etat le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n’a pas pour ses peuples.
Grotius nie que tout pouvoir humain soit établi en faveur de ceux qui sont gouvernés : Il cite l’esclavage en exemple. Sa plus constante maniere de raisonner est d’établir toujours le droit par le fait[1]. On pourroit employer une méthode plus conséquente, mais non pas plus favorable aux Tirans.
Il est donc douteux, selon Grotius, si le genre humain appartient à une centaine d’hommes, ou si cette centaine d’hommes appartient au genre humain, & il paroit dans tout son livre pancher pour le premier avis : c’est aussi le sentiment de Hobbes. Ainsi voilà l’espece humaine divisée en troupeaux de bétail, dont chacun a son chef, qui le garde pour le dévorer.
Comme un pâtre est d’une nature supérieure à celle de son troupeau, les pasteurs d’hommes, qui sont leurs chefs, sont aussi d’une nature supérieure à celle de leurs peuples. Ainsi raisonnoit, au raport de Philon, l’Empereur Caligula ; concluant assez bien de cette analogie que les rois étoient des Dieux, ou que les peuples étoient des bêtes.
Le raisonnement de ce Caligula revient à celui d’Hobbes & de Grotius. Aristote avant eux tous avoit dit aussi que les hommes ne sont point naturellement égaux, mais que les uns naissent pour l’esclavage & les autres pour la domination.
Aristote avoit raison, mais il prenoit l’effet pour la cause. Tout homme né dans l’esclavage nait pour l’esclavage, rien n’est plus certain. Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu’au désir d’en sortir : ils aiment leur servitude comme les compagnons d’Ulisse aimoient leur abrutissement[2]. S’il y a donc des esclaves par nature, c’est parce qu’il y a eu des esclaves contre nature. La force a fait les premiers esclaves, leur lâcheté les a perpétués.
Je n’ai rien dit du roi Adam, ni de l’empereur Noé pere de trois grands Monarques qui se partagerent l’univers, comme firent les enfans de Saturne, qu’on a cru reconnoître en eux. J’espere qu’on me saura gré de cette modération ; car, descendant directement de l’un de ces Princes, & peut-être de la branche aînée, que sais-je si par la vérification des titres je ne me trouverois point le légitime roi du genre humain ? Quoi qu’il en soit, on ne peut disconvenir qu’Adam n’ait été Souverain du monde comme Robinson de son isle, tant qu’il en fut le seul habitant ; & ce qu’il y avoit de commode dans cet empire étoit que le monarque assuré sur son trône n’avoit à craindre ni rébellion ni guerres ni conspirateurs.
CHAPITRE III.
Du droit du plus fort.
Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maitre, s’il ne transforme sa force en droit & l’obéïssance en devoir. De-là le droit du plus fort ; droit pris ironiquement en apparence, & réellement établi en principe : Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance phisique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?
Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’il n’en résulte qu’un galimathias inexplicable. Car sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la premiere succéde à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément on le peut légitimement, & puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte qu’on soit le plus fort. Or qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse ? S’il faut obéir par force on n’a pas besoin d’obéir par devoir, & si l’on n’est plus forcé d’obéir on n’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’ajoûte rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout.
Obeissez aux puissances. Si cela veut dire, cédez à la force, le précepte est bon mais superflu, je réponds qu’il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l’avoüe ; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeller le médecin ? Qu’un brigand me surprenne au coin d’un bois : non seulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrois la soustraire suis-je en conscience obligé de la donner ? car enfin le pistolet qu’il tient est aussi une puissance.
Convenons donc que force ne fait pas droit, & qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes. Ainsi ma question primitive revient toujours.
CHAPITRE IV.
De l’esclavage.
Puis qu’aucun homme n’a une autorité naturelle sur son semblable, & puisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes.
Si un particulier, dit Grotius, peut aliéner sa liberté & se rendre esclave d’un maitre, pourquoi tout un peuple ne pourroit-il pas aliéner la sienne & se rendre sujet d’un roi ? Il y a là bien des mots équivoques qui auroient besoin d’explication, mais tenons-nous en à celui d’aliéner. Aliéner c’est donner ou vendre. Or un homme qui se fait esclave d’un autre ne se donne pas, il se vend, tout au moins pour sa subsistance : mais un peuple pour quoi se vend-il ? Bien loin qu’un roi fournisse à ses sujets leur subsistance il ne tire la sienne que d’eux, & selon Rabelais un roi ne vit pas de peu. Les sujets donnent donc leur personne à condition qu’on prendra aussi leur bien ? Je ne vois pas ce qu’il leur reste à conserver.
On dira que le despote assure à ses sujets la tranquillité civile. Soit ; mais qu’y gagnent-ils, si les guerres que son ambition leur attire, si son insatiable avidité, si les vexations de son ministere les désolent plus que ne feroient leurs dissentions ? Qu’y gagnent-ils, si cette tranquillité-même est une de leurs miseres ? On vit tranquille aussi dans les cachots ; en est-ce assez pour s’y trouver bien ? Les Grecs enfermés dans l’antre du Cyclope y vivoient tranquilles, en attendant que leur tour vint d’être dévorés.
Dire qu’un homme se donne gratuitement, c’est dire une chose absurde & inconcevable ; un tel acte est illégitime & nul, par cela seul que celui qui le fait n’est pas dans son bon sens. Dire la même chose de tout un peuple, c’est supposer un peuple de foux : la folie ne fait pas droit.
Quand chacun pourroit s’aliéner lui-même il ne peut aliéner ses enfans ; ils naissent hommes & libres ; leur liberté leur appartient, nul n’a droit d’en disposer qu’eux. Avant qu’ils soient en âge de raison, le pere peut en leur nom stipuler des conditions pour leur conservation, pour leur bien être ; mais non les donner irrévocablement & sans condition ; car un tel don est contraire aux fins de la nature, & passe les droits de la paternité. Il faudroit donc, pour qu’un gouvernement arbitraire fut légitime, qu’à chaque génération le peuple fut le maitre de l’admettre ou de le rejetter : mais alors ce gouvernement ne seroit plus arbitraire.
Renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme, & c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. Enfin c’est une convention vaine & contradictoire de stipuler d’une part une autorité absolue & de l’autre une obéissance sans bornes. N’est-il pas clair qu’on n’est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout éxiger, & cette seule condition sans équivalent sans échange n’entraîne-t-elle pas la nullité de l’acte ? Car quel droit mon esclave auroit-il contre moi, puisque tout ce qu’il a m’appartient, & que son droit étant le mien, ce droit de moi contre moi-même est un mot qui n’a aucun sens ?
Grotius & les autres tirent de la guerre une autre origine du prétendu droit d’esclavage. Le vainqueur ayant, selon eux, le droit de tuer le vaincu, celui-ci peut racheter sa vie aux dépens de sa liberté ; convention d’autant plus légitime qu’elle tourne au profit de tous deux.
Mais il est clair que ce prétendu droit de tuer les vaincus ne résulte en aucune maniere de l’état de guerre. Par cela seul que les hommes vivant dans leur primitive indépendance n’ont point entre eux de rapport assez constant pour constituer ni l’état de paix ni l’état de guerre, ils ne sont point naturellement ennemis. C’est le rapport des choses & non des hommes qui constitue la guerre, & l’état de guerre ne pouvant naitre des simples rélations personnelles, mais seulement des rélations réelles, la guerre privée ou d’homme à homme ne peut exister, ni dans l’état de nature où il n’y a point de propriété constante, ni dans l’état social où tout est sous l’autorité des loix.
Les combats particuliers, les duels, les rencontres sont des actes qui ne constituent point un état ; & à l’égard des guerres privées, autorisées par les établissemens de Louis IX roi de France & suspendues par la paix de Dieu, ce sont des abus du gouvernement féodal, systême absurde s’il en fut jamais, contraire aux principes du droit naturel, & à toute bonne politie.
La guerre n’est donc point une rélation d’homme à homme, mais une rélation d’État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats ; non point comme membres de la patrie, mais comme ses défenseurs. Enfin chaque État ne peut avoir pour ennemis que d’autres États & non pas des hommes, attendu qu’entre choses de diverses natures on ne peut fixer aucun vrai rapport.