Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Une affaire qui concerne au plus près le célèbre enquêteur...
Le corps d’un retraité est découvert sur le site du Stangala près de Quimper. Il s’agit d’un ancien employé de banque de Concarneau. Une Twingo rouge est signalée sur les lieux, identique à celle de Philippe Cossec, un ami de Paul Capitaine, qui avait eu, peu de temps plus tôt, des mots avec la victime. Paul refuse de voir un criminel en son pote de football. Mais un policier a-t-il le droit de laisser les sentiments prendre le pas sur la rigueur de l’enquêteur ? Une affaire pleine de rebondissements et de drames, qui met à rude épreuve la perspicacité des policiers de Quimper et Concarneau.
Entre amitié et professionnalisme, découvrez le 11e tome des enquêtes à suspense du capitaine Paul Capitaine !
EXTRAIT
"En ce mardi matin de septembre, des promeneurs avaient remarqué un corps inanimé en contrebas de l’un des chemins escarpés qui sillonnent le bois. Ils avaient aussitôt alerté les pompiers qui avaient constaté le décès du malheureux homme. D’où la présence d’une équipe de police et, les circonstances de la mort n’étant pas clairement établies, la présence d’une équipe de la PJ sur les lieux du drame s’avérait nécessaire. Sarah et moi étions disponibles, l’affaire nous fut confiée par Carole qui avait de la paperasse en retard et sans doute aussi une envie très modérée de se crotter des bottines achetées une petite fortune. Sur place, comme souvent, nous avions été précédés par le médecin légiste, Noël Sapin, et son assistante, c’est-à-dire ma sœur Colette. Je me dirigeai vers le brigadier de la patrouille dépêchée sur place pour obtenir les premiers renseignements. Après m’avoir salué, il sortit son petit carnet et me livra le maigre contenu de la dernière page :
—Vincent Chapalain, 62 ans, domicilié à Concarneau. Si j’en crois sa tenue champêtre, il devait se balader par ici et aura dérapé sur une partie glissante du chemin ou encore bêtement achoppé sur une pierre sortant de la terre. Au vu de sa corpulence, il aura fait un roulé-boulé jusque dans le ravin où sa tête sera venue se fracasser sur un rocher. Cela, c’est juste ma théorie… Mais pour plus de précisions à ce sujet, vois directement avec le croque-mort…"
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"Éditions Bargain, le succès du polar breton." - Ouest France
"Avec le Finistère pour seul décor, Bernard Larhant opère comme un enquêteur pour bâtir ses histoires." - Carole Collinet-Appéré, France3
À PROPOS DE L'AUTEUR
Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après avoir passé une longue période dans le Sud-Ouest, il est revenu dans le Finistère, à Plomelin, pour poursuivre sa carrière professionnelle. Passionné de football, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du Stade Quimpérois, puis en senior. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l'écriture de polars avec les enquêtes d'un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine et de sa partenaire Sarah Nowak. À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 404
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
- À André Morin pour ses précieux conseils et son expérience de la procédure policière.
- À Sylvaine et Lorraine, pour leurs lectures croisées de mon manuscrit.
PAUL CAPITAINE : La cinquantaine, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la ville et la région. Il trouve au sein de la Police Judiciaire de Quimper une seconde jeunesse, grâce à Sarah, sa partenaire mais aussi sa fille. Il est le compagnon de la magistrate Dominique Vasseur, même si rien n’est simple dans leurs relations intimes.
SARAH NOWAK : 30 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Engagée dans la police pour retrouver son père breton, elle va le découvrir en son partenaire Paul Capitaine. Dotée d’un caractère fort et généreux, elle cultive des rêves d’absolu. Le plus souvent attachante, parfois irritante, toujours franche et sincère.
DOMINIQUE VASSEUR : 46 ans, substitut du procureur de la République, compagne de Paul Capitaine. Elle a échoué à Quimper après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre, loyale, elle a refusé une promotion pour demeurer en Bretagne.
ROSE-MARIE CORTOT : 28 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. RMC pour tout le monde. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur permanente, le plus de la PJ par son génie de l’informatique. Et aussi la meilleure amie de Sarah.
RADIA BELLOUMI : 35 ans, commissaire de police. Une surdouée qui se trouve parachutée à la tête du commissariat de Quimper. D’origine maghrébine, malgré son jeune âge, elle va obtenir le respect de ses effectifs par son sang-froid et sa baraka.
CAROLE MORTIER : 42 ans, divorcée, une fille de 14 ans, Priscilla. Capitaine de police et chef de groupe. Un excellent flic, mais une femme au parcours tortueux, souvent empêtrée dans des soucis familiaux. Elle vient de renouer avec son ex.
Blaise JUILLARD : 28 ans, célibataire, lieutenant de police. Son père est l’un des pontes du Quai des Orfèvres, le fils ne possède pas la même étoffe. Sous ses airs nonchalants qui lui ont valu le surnom de Zébulon, il n’est pas dénué de flair ni de vivacité d’analyse.
MARIO CAPELLO : 34 ans, célibataire, détective privé. Ancien membre de la PJ, contraint de quitter la police suite à un souci de santé. Entre deux missions pour l’avocate Joëlle Compan, il accomplit les recherches que les policiers ne peuvent mener.
RONAN FEUNTEUN : La cinquantaine, patron de l’agence locale d’Ouest-France. Camarade de jeunesse de Paul Capitaine. Entre eux, un accord tacite : le journaliste transmet ses informations au policier qui lui réserve la primeur du résultat des enquêtes.
COLETTE ARNOULT : 45 ans, mariée, deux enfants. Agent d’amphithéâtre à l’hôpital de Quimper. Colette est la sœur de Paul. Mariée à Rémy, informaticien, mère de Quentin et Melody, elle est l’assistante de Noël Sapin, le médecin légiste de la ville.
JULIE VARAIGNE : 32 ans, célibataire, secrétaire du substitut Vasseur. Grande blonde élancée, elle est devenue la maîtresse de Paul. Franche, loyale, à l’écoute des bruits de couloir, elle met souvent, même involontairement, le policier sur la bonne piste. De plus, Julie est un fin cordon-bleu.
Cela faisait des années que je n’étais pas venu traîner mes guêtres vers le Stangala, au nord de Quimper, là où l’Odet se faufile dans une vallée encaissée, investie par une forêt touffue : un lieu de randonnée prisé des citadins cornouaillais, un site apprécié aussi des kayakistes et des vététistes. À l’époque de ma jeunesse, on y effectuait le décrassage de début de saison de football, y laissant les excédents de poids de la période estivale. Mais cela faisait longtemps que les aléas de mon métier trépidant suffisaient à mon besoin d’exercice, et comme je n’étais pas non plus un adepte de la cueillette des champignons, voire de la pêche à la mouche…
En ce mardi matin de septembre, des promeneurs avaient remarqué un corps inanimé en contrebas de l’un des chemins escarpés qui sillonnent le bois. Ils avaient aussitôt alerté les pompiers qui avaient constaté le décès du malheureux homme. D’où la présence d’une équipe de police et, les circonstances de la mort n’étant pas clairement établies, la présence d’une équipe de la PJ sur les lieux du drame s’avérait nécessaire. Sarah et moi étions disponibles, l’affaire nous fut confiée par Carole qui avait de la paperasse en retard et sans doute aussi une envie très modérée de se crotter des bottines achetées une petite fortune. Sur place, comme souvent, nous avions été précédés par le médecin légiste, Noël Sapin, et son assistante, c’est-à-dire ma sœur Colette. Je me dirigeai vers le brigadier de la patrouille dépêchée sur place pour obtenir les premiers renseignements. Après m’avoir salué, il sortit son petit carnet et me livra le maigre contenu de la dernière page :
— Vincent Chapalain, 62 ans, domicilié à Concarneau. Si j’en crois sa tenue champêtre, il devait se balader par ici et aura dérapé sur une partie glissante du chemin ou encore bêtement achoppé sur une pierre sortant de la terre. Au vu de sa corpulence, il aura fait un roulé-boulé jusque dans le ravin où sa tête sera venue se fracasser sur un rocher. Cela, c’est juste ma théorie… Mais pour plus de précisions à ce sujet, vois directement avec le croque-mort…
— Et qui a découvert le corps ?
— Jakez Rospars, un retraité de la SNCF, un fondu de petite reine, qui s’est mis au VTT et…
— Jakez Rospars ? C’était un copain de mon père ! me souvins-je aussitôt. Un gars qui a failli courir le Tour de France à l’époque où le seul dopage était un coup de rouge en cours d’étape, quand un spectateur vous tendait sa bouteille de “Grappe Fleurie” ! Une figure de la ville. Il est toujours par là ?
Je suivis le regard du brigadier et notai la silhouette longiligne d’un octogénaire appuyé sur un hêtre, vélo au pied. Il possédait un physique tellement affûté que j’en pris presque des complexes en remontant avec peine le sentier jusqu’à lui. Il semblait perdu dans ses pensées et ne revint parmi nous qu’à l’instant où je l’interpellai. Il me reconnut très vite et, après m’avoir donné l’accolade, comme si j’étais un vieil ami, il devança mes questions :
— Quelle affaire ! Je faisais mon circuit comme tous les jours, en veillant à ne pas embrasser un promeneur tout de même. Je freinais dans ce passage plus délicat à négocier, quand j’ai remarqué un sac de sport en contrebas. Je me suis arrêté, j’ai descendu le ravin en veillant à ne pas me casser la margoulette et au moment où j’allais me saisir de l’objet, j’ai découvert une masse au bord de l’Odet, entre deux rochers couverts de mousse ! Évidemment, je suis allé porter secours au gars. Mais j’avais beau le secouer, lui tapoter les joues, lui gueuler dessus pour le réveiller, pas la moindre réaction. Voilà pourquoi j’ai appelé les pompiers… Oui, j’ai un portable sur moi depuis Noël dernier ! Ma femme se fait du souci de me savoir seul en rase campagne, cela la rassure. Sitôt arrivés, ils ont compris qu’il n’y avait plus rien à faire pour le malheureux. Je le connaissais, Vincent Chapalain, un ancien employé de la BMB, la Banque Mutualiste Bretonne. Il était en retraite depuis quelques années et je le croisais parfois par là. Il aimait ramasser les champignons et ça commence justement à donner, après les dernières pluies… Je n’ai jamais compris pourquoi il n’allait pas plutôt près de Concarneau, ce ne sont pas les bois qui manquent dans ce secteur…
— Il était quelle heure quand tu as découvert le corps, Jakez ?
— Écoute, je n’ai pas de breloque sur moi, mais j’ai quitté mon domicile de Lestonan à 7 heures du matin. Oui, je me réveille très tôt et si je n’ai pas mes deux heures de vélo dans les guibolles, je ne vaux rien pour la journée, je suis fabriqué comme ça. Note bien, à mon âge, je vais pépère, désormais, ce n’est plus comme à l’époque où je m’étais inscrit à la fameuse Paris-Brest-Paris en 1956. Tu en as entendu parler, de cette…
— Jakez, vers quelle heure as-tu découvert le corps ?
— Ah oui, je m’égare, tu fais bien de me remettre sur le bon itinéraire ! C’est toujours comme cela avec moi, je suis si content de rencontrer quelqu’un avec qui discuter, vu qu’à la maison, on ne reçoit jamais personne et…
— Tu as l’heure sur ton portable, non ?
— Mon portable ? Comme si j’étais de la génération à regarder l’heure sur un téléphone… Enfin, cependant, le calcul est simple : je suis arrivé à la demie à hauteur du parking de Griffonès, c’est là que je m’allège avant l’exercice… Oui, je vais pisser un coup, cela économise une chasse d’eau à la maison, tu multiplies 6 m3 par 300 jours et tu vois le résultat. Je finance mes bouteilles de pastis avec l’eau que je ne gaspille pas… En plus, je ne veux pas réveiller Émilienne, sinon elle va être furax pour la journée, moi, je trouve qu’elle vieillit mal. Ce n’est pas étonnant, elle ne sort jamais s’oxygéner et passe sa journée devant la télé… Donc, tu comptes trois minutes pour la petite commission, et ensuite, je rajouterais une douzaine de plus jusqu’au moment où j’ai repéré le sac. Tu fais le calcul !
— On dira aux alentours de 8 heures moins le quart… Il ne doit pas y avoir grand monde, d’aussi bon matin, surtout avec la diminution des jours en septembre. Tu n’as vu personne d’autre dans le secteur ?
— Des gens, non, mais sur le parking vers l’aire de pique-nique du moulin, j’ai noté deux véhicules. Celui de Chapalain, une Toyota que je remarquais toujours lors des poussées de cèpes, cette bagnole-là, elle doit démarrer au quart de tour quand tu appuies sur le champignon… Cèpes, champignon… Non, laisse tomber… Et une autre caisse, une vieille Twingo rouge qui n’était pas une habituée du secteur. Par contre, pas de trace de son propriétaire sur le circuit, mais le secteur est très étendu.
— Je vais demander à un bleu de remonter vers le parking pour vérifier ce détail, mais à mon sens, cette bagnole n’y sera plus. Merci pour tes renseignements, Jakez. Tu vas cependant devoir passer par le commissariat pour signer ta déposition, c’est obligatoire, même si cela n’urge pas à la seconde. Moi, je vais rejoindre le médecin légiste, en espérant qu’il ait déjà pu faire un peu parler le mort…
— Sans blague, il peut faire cela ? On est dépassé par les progrès de la science !
— C’est une expression, Jakez, juste une expression ! Comme sucer une roue, dans ton jargon cycliste, même si elle n’a pas de goût…
— Sacré Capitaine, tu es bien le fils de ton père, toi ! Au fait, c’est bien ta frangine, la grande brune qui suit le légiste ? Comme elle a changé, je ne l’aurais pas reconnue s’il n’y avait cet air de famille entre vous… Remarque, cela faisait bien quinze ans que je ne l’avais pas croisée… Bon, ce n’est pas tout, il faut que je rentre. Quand je vais raconter mes aventures à Émilienne, cela la changera de son feuilleton, Les Feux de l’Amour, qu’elle n’a pas dû rater souvent depuis vingt ans… Sucer les roues, même si elles n’ont pas de goût, je la retiens, celle-là !
Sarah était déjà descendue faire la bise à ma sœur. Toutes deux maugréaient en constatant l’état de leurs chaussures et encore un peu plus en découvrant leurs bas de pantalons crottés et mouillés.
— D’où l’intérêt des minijupes, ne pus-je me retenir de conclure, en m’approchant d’elles.
Double carton jaune dans la seconde, coalition féminine oblige.
Par chance, Noël Sapin – forcément à son aise au milieu d’une forêt, lui qui n’admettait pas de se faire enguirlander – restait concentré sur les conclusions qu’il livrait à son dictaphone. Dès qu’il me vit pointer le museau, il comprit à juste titre que j’attendais quelques éclaircissements de sa part. Aussi décida-t-il de se relever et d’anticiper.
— Cet homme est décédé depuis environ deux heures. La cause, un choc fatal de son crâne sur ce gros rocher ; la mort a donc été instantanée. La logique voudrait qu’il s’agisse d’un stupide accident, une glissade malencontreuse sur de la mousse pour une chute vertigineuse. Il me faudra pratiquer l’autopsie pour vous en livrer la confirmation définitive. Maintenant, rien ne permet d’exclure totalement qu’il ait croisé un vélo ne maîtrisant pas sa vitesse et effectué un pas de côté funeste pour éviter l’engin… On m’a dit qu’il cherchait des champignons ?
— Possible, soupirai-je, les mains dans les poches, le regard perdu sur le cours sinueux de l’Odet, en contrebas. Je signe, moi aussi, pour l’accident, car il existe mille façons plus logiques de se suicider, même si un sac de sport n’est pas aussi pratique qu’un panier d’osier pour un tel exercice. Quant à l’hypothèse d’un crime, je n’y crois pas vraiment. Qui pouvait savoir qu’il allait ramasser des champignons au Stangala, ce matin ? Enfin, la théorie du vélo fou ne concernerait que ce sympathique Jakez et, dans ce cas, il ne serait pas aussi serein face à nous… Bon, nous vous laissons terminer votre premier examen, Noël. Que fais-tu, Sarah, tu remontes jusqu’au chemin avec moi ou tu te sers d’un tronc abattu en guise de kayak jusqu’au pont de la Poste ?
— Si tu me remorques, je remonte ! Et puis, que ferais-tu de la voiture, si je n’étais pas là pour te conduire ?
— En parlant de voiture, une fois tous les deux en haut, rappelle-moi qu’on s’arrête vérifier un détail sur le parking de l’aire de pique-nique de Griffonès ! Bisous à toi, ma sœur préférée…
Comme je m’y attendais, la mystérieuse Twingo rouge avait disparu, mais cela n’avait plus beaucoup d’importance car il s’agissait à coup sûr d’un stupide accident. Nous restait une mission toujours désagréable à effectuer : annoncer à la famille du défunt la disparition accidentelle de leur proche. Rechercher l’adresse exacte, faire part du drame, réclamer la présence d’un proche à l’institut médico-légal pour identification du corps, un processus immuable et pourtant toujours aussi déprimant. Je m’y collai, pris contact avec un numéro correspondant au domicile de Vincent Chapalain. J’eus la chance de tomber directement sur son épouse qui comprit très vite, au son de ma voix et au su de ma fonction, qu’il était arrivé un malheur à son mari. J’évoquai brièvement les faits, le malheureux accident, selon toute vraisemblance, même si je ne pouvais anticiper le verdict de l’autopsie qui apporterait bientôt la confirmation définitive. Forcément, la terrible nouvelle l’anéantit et lui coupa la voix. Après un moment de silence, elle promit de venir au plus vite à l’hôpital de Quimper, en compagnie de l’un de ses enfants. Pour moi, la vie continuait et le malaise s’effacerait d’ici peu. Pour cette épouse dans le deuil, l’existence venait de s’arrêter net, avant de peut-être reprendre un jour – car l’être humain possède d’extraordinaires ressources intérieures – mais jamais plus comme avant.
Une heure plus tard, Colette m’appela. La famille de la victime venait de se présenter à la morgue pour l’identification. Sarah traîna bien encore un peu la savate – même décrottée – pour m’accompagner, mais elle savait qu’il s’agissait de son devoir d’officier de police judiciaire. Sur place, deux femmes pleuraient toutes les larmes de leur corps. Josiane, l’épouse du défunt, la soixantaine passée comme son époux, une classe évidente, qui l’inclinait à se maîtriser pour ne pas se donner en spectacle devant des étrangers, le fruit d’une éducation noble ou bourgeoise, probablement, comme son effacement notoire, conséquence d’une position permanente en retrait de son mari. À ses côtés, Valériane, l’une des filles du couple, frêle quadragénaire oscillant avec frénésie entre colère et douleur, que Colette tentait vainement de calmer, sans trop de succès. La chevelure en bataille, un peu plus acajou que celle de sa mère, les longs doigts fins jaunis par la nicotine, les gestes nerveux et les prunelles exprimant la révolte, elle représentait à mes yeux l’archétype de la maîtresse femme qui ne se laisse pas souvent manœuvrer, surtout par des hommes – des circonstances aussi dramatiques soulignent les principaux traits de caractère d’une personne…
La mère s’approcha timidement de moi pour réclamer davantage de détails sur les circonstances de l’accident. Que pouvais-je expliquer de plus ? Une fois éliminé la thèse d’un malaise causant un évanouissement, restait l’unique éventualité d’une glissade fâcheuse sur une pierre couverte de mousse. Malgré la douleur, Josiane Chapalain restait digne, droite comme un i, perdue dans ses pensées, le visage grave.
Elle releva la tête, le regard aiguisé.
— Vous êtes absolument certain qu’il s’agit d’un accident ?
— Je ne pense pas qu’on puisse envisager une façon aussi aléatoire de se suicider, répondis-je, embarrassé par la question ambiguë de mon interlocutrice qui n’avait sans doute pas envisagé une telle hypothèse.
— Mon époux n’avait aucune raison de se suicider ! Il n’a pas reçu de coup ?
— Cela, c’est au médecin légiste de le déterminer, mais son premier examen ne mentionne pas une telle trace, hormis le point d’impact avec le rocher, relevé sur le sommet du crâne, bien sûr ! répondis-je, perplexe. Pourquoi cette question ? Votre mari aurait reçu des menaces de mort, ces derniers jours ?
— Vous savez, un ancien employé de banque, à notre époque…
— Quelqu’un s’en est-il pris ouvertement à votre époux, dans un passé récent ?
— Jamais physiquement, bien sûr, soupira Josiane Chapalain, poings et mâchoires serrés, proche de craquer. Par contre, les allusions perfides ne cessent jamais, surtout à notre époque. Un procès facile : les banques sont coupables de la crise, ceux qui y travaillent sont complices d’un système qui étrangle les clients. Vincent n’en pouvait plus d’endurer ces sarcasmes injustes, pris entre le marteau et l’enclume.
— Le marteau et l’enclume ?
— Oui, d’un côté, une direction toujours en quête d’un rendement supérieur, prompte à montrer du doigt celui qui ne parvient plus à suivre le rythme imposé dans le placement de nouveaux produits financiers, de l’autre, des clients de longue date en position précaire, qui ne comprennent pas qu’un ami les laisse tomber au moment où ils ont le plus besoin de son soutien. Vincent était à la succursale de Concarneau depuis presque dix ans, après avoir effectué le début de sa carrière à Quimper. Il était né à Concarneau, nous y avons notre maison dans la Ville Close, nos enfants y sont nés, dans la maternité à présent fermée, c’est dans cette ville que j’exerçais également.
— Dans le milieu bancaire, comme votre mari ?
— Pas du tout ! J’étais enseignante de français au collège du Porzou. Vincent ne supportait pas de voir nos anciennes relations lui tourner le dos, depuis quelques années. Il pensait qu’une fois à la retraite, leur comportement changerait, mais cela n’a pas été le cas. Il dormait très peu, passait ses journées en solitaire, tantôt à la pêche aux coquillages, tantôt à la cueillette des champignons… Vous savez, ce n’est pas par hasard s’il se déplaçait jusqu’au Stangala pour…
— Pardon de vous couper, Paul, le docteur aimerait te parler, intervint Colette en m’invitant à la suivre dans les couloirs de la morgue.
Je laissai Sarah se débrouiller avec les interrogations de la mère et les reproches de la fille dont je craignais la réaction, quand la soupape sauterait, pour un mot de travers ou un trop long manque de nicotine. Valériane bouillait toujours dans son coin, trépignant sur place, marmonnant des reproches entre ses dents. Ma présence solide la contenait certainement, mais face à une jeune policière déjà mal à l’aise en un tel lieu, dont en plus le tact n’était pas la qualité première, elle risquait d’exploser.
Je me retrouvai tout de go devant le corps de la victime qui devait approcher le quintal, sinon le dépasser. Il semblait paisible, étonnamment détendu, sans doute n’avait-il pas souffert, attrapé par la mort au moment où il s’y attendait le moins. Droit devant lui, comme un préfet devant un monument aux morts, immobile dans sa blouse blanche, Noël Sapin attendait un premier mot de ma part pour annoncer son verdict. Il était ainsi, un peu comme Ariane à l’instant du compte à rebours, il lui fallait un lancement, un élément propulseur.
— Un problème, Docteur ?
— Je le crains, annonça-t-il avec la mimique de circonstance. J’en suis même certain, hélas ! Malgré tout, je ne parviens pas à imaginer le déroulement de la scène. Regardez cette ecchymose qui vire peu à peu du violacé au noir, sur le flanc gauche du corps. Il s’agit bien de la marque d’un coup. D’ordinaire, on frappe à la tête, à la nuque, cette fois, l’auteur du geste a frappé à mi-hauteur, sur le côté. Il ne peut s’agir d’un guidon de vélo, cela n’aurait pas marqué de la sorte, d’autant que la victime portait une parka épaisse. Avec un gourdin, une batte de base-ball, la tache aurait été plus large et en longueur, pas en hauteur. Reste alors l’hypothèse d’un coup de pied violent décroché par une personne agile, un karatéka par exemple. Tout cela n’a pas de sens. Qui pouvait en vouloir à un cueilleur de champignons ?
— On peut songer à la rancune tenace d’un client floué envers un employé de banque qu’il pensait son ami, répliquai-je, dubitatif, avec un haussement d’épaules. Vincent Chapalain semblait craindre pour sa vie, ces dernières semaines, même s’il se trouvait à la retraite. C’est ce qu’affirme son épouse, mais est-ce la vérité ? Je l’ignore à cet instant précis… Il n’a pas pu se faire cette trace durant sa longue chute, au cours de son roulé-boulé ?
— Non, avec Colette, nous avons bien étudié la topologie des lieux avant de raccompagner le corps, pas la moindre pierre saillante avant le bas du ravin, juste un tapis de mousse. Avec deux ou trois superbes cèpes, comble d’ironie dans cette histoire sordide… Quelqu’un a intentionnellement poussé cet homme dans le vide d’un geste violent et précis. Pas forcément avec volonté de le tuer, peut-être juste dans un mouvement de colère, mais cependant avec une certaine pratique des arts martiaux ou d’un sport de combat. Ce dont je suis certain, par contre, c’est que, désormais, cette affaire vous concerne, Paul, nous venons d’entrer dans le cadre d’une procédure criminelle…
Il me fallut ensuite annoncer la nouvelle information à la famille de la victime qui, dans l’intervalle, s’était agrandie de trois nouveaux membres, ce qui ne facilitait pas ma tâche. Me réfugier derrière le rapport de l’homme de l’art, promettre à ces âmes meurtries que nous ferions tout, malgré le peu d’éléments en notre possession, pour découvrir l’assassin. En m’excusant par avance de nos probables visites à leur domicile, car il nous serait important de mieux cerner la personnalité du défunt, de connaître son cercle de relations, ses anciens collègues, ses fréquentations, pour tenter de trouver de précieux indices. Notamment une personne pratiquant un sport de combat, sans doute un adepte des arts martiaux… J’appelais Sarah vers moi avant de prendre congé quand une question me vint à l’esprit :
— À tout hasard, l’une des relations de votre mari posséderait-elle une vieille Twingo rouge, madame Chapalain ?
— Une Twingo rouge ? répéta mon interlocutrice, en fouillant dans sa mémoire. Vous savez, je ne suis pas très férue en modèles de voitures, de plus des rouges…
— Mais si, Maman, intervint la fille d’un ton ferme, convaincue de sa trouvaille, Philippe Cossec, l’employé municipal, l’ancien pote de papa. Il serait assez costaud pour balancer un homme solide dans un ravin, lui ! J’ignore s’il a pratiqué des sports de combat, mais du foot, cela, j’en suis certaine. Et il est du genre sanguin !
— Philippe Cossec, bredouillai-je, bien mal à l’aise à mon tour, l’ancien entraîneur de l’Hermine ?
— Oui, c’est bien lui, insista la fille, péremptoire. Vous le connaissez ?
— J’en ai juste entendu parler, conclus-je, le plus évasivement possible, en tendant ma main pour saluer chacun des membres de la famille. Nous vous tiendrons bien sûr au courant des avancées de notre enquête…
Une fois installé dans le fauteuil passager de la voiture, je savais que j’aurais le droit aux interrogations de Sarah. Elles démarrèrent en même temps que le moteur :
— C’est qui, ce Philippe Cossec ?
— Nous avons joué ensemble au Stade Quimpérois dans nos jeunes années. C’était un gars bien, un vrai pote, même si je ne me souvenais plus de lui… Il a fini sa carrière à l’Hermine Concarnoise dont il est devenu par la suite l’entraîneur, en même temps qu’il occupait un poste d’employé municipal, chargé des équipements sportifs de la ville, si je me souviens bien. J’espère qu’il n’est pas notre homme, sinon je suis mal…
— Surtout, tu ne lâches pas le morceau pour une affaire personnelle, mon Papounet, je la sens bien, cette enquête ! Et puis, excuse-moi, mais des Twingo rouges, il doit en exister légion sur la région. Tant pis pour nos collègues de Concarneau, mais ce n’est pas notre faute si ce banquier est venu se faire descendre au Stangala. Descendre au sens propre du terme, bien sûr…
— Si notre Blaise national était là, il nous expliquerait que notre victime aurait certainement dû prendre un remontant avant de se risquer sur une pente glissante. Ce à quoi je lui aurais répondu que lui aussi se hasardait sur un terrain savonneux…
— Rire à propos des circonstances d’une mort, une fois de plus, il l’aurait bien mérité, son savon, mon petit Zeb ! ponctua Sarah, visiblement toujours bien mordue de son équipier et copain à la chevelure ébouriffée.
À notre retour au commissariat, Blaise nous attendait en classant de la paperasse, égal à lui-même, cachant sa grosse motivation avec un maximum de talent.
Un peu plus loin, Rose-Marie s’attelait à améliorer les performances de son ordinateur avec l’apport de nouveaux logiciels autorisés par la loi ; les autres, obtenus de manière illicite, restant sur sa bécane personnelle, dans sa chambre à l’étage du bar du Colibri situé en face de nos bureaux. Mais je savais par Sarah qu’à la faveur d’un système Wifi puissant, il lui était parfaitement possible de les connecter sur un même réseau, en cas de nécessité. Tous les deux s’approchèrent de nous pour entendre nos commentaires préliminaires sur l’affaire du matin. Une fois le récit terminé, la première réaction de Blaise ne fut pas celle que nous attendions, mais avec lui, comment espérer davantage ?
— Philippe Cossec ? Une chance que ses parents ne l’aient pas prénommé Harry !
— Haricot sec ! gloussa ma fille, toujours fan des vannes pourries du bouffon de son cœur, je n’y avais même pas pensé. Décidément, tu es impayable…
— C’est ainsi que nous l’appelions entre nous, à l’époque, soupirai-je, visage sérieux, replongeant dans mes souvenirs. J’ai beaucoup de mal à le voir dans la peau d’un criminel, même si trente années ont passé. Il va nous falloir pourtant étudier cette piste rapidement. Rose-Marie, si tu peux nous recenser toutes les Twingo rouges du département, j’ignore combien il peut s’en trouver, en espérant que celle qui nous concerne n’appartienne pas à un conducteur hors du Finistère. Blaise, tu vas voir la direction départementale de la BMB, de l’autre côté de l’Odet, pour obtenir les états de service de leur ancien employé, Vincent Chapalain, les dossiers sensibles qu’il a traités en fin de carrière, à Concarneau, et également les soucis qu’il aurait pu avoir avec certains clients déçus et retors.
— Des clients déçus par leur banquier, ricana Zébulon en grattant ses quelques poils du menton, cela doit représenter les trois quarts des usagers !
— Pas de caricature de ce genre au début d’une enquête, je te prie ! Dans un premier temps, je vais voir Carole pour lui faire le topo sur la situation. Elle est dans son bureau ?
— Non, elle avait des détails à approfondir sur une enquête précédente avant de boucler le dossier, m’expliqua Blaise, sourire malicieux aux lèvres et œillade complice à mon intention. Version officielle, car en fait son ex a rappliqué de Nantes pour la semaine et…
— Zébulon, tu n’es pas encore à la banque ? feignis-je de m’offusquer. Comme si je te demandais avec qui tu as passé le week-end et ce que vous avez fait ensemble…
J’avais appris que Philippe et Christine Cossec habitaient une maison du quartier de Lanadan, à l’extérieur de la ville de Concarneau, en direction de l’anse de Saint-Jean, plus précisément rue de Men Fall. Je me dis que, même s’ils travaillaient, nous avions une chance de les trouver chez eux entre midi et deux heures. Sarah convint que c’était jouable. Nous prîmes donc la direction de Concarneau par la vieille route. Nous avancions sur un parcours sinueux et je pensais à Philippe, mais aussi à Christine, car lorsque nous jouions ensemble en équipe junior, ces deux-là se fréquentaient déjà. Et nous étions fatalement tous un peu amoureux de Christine, la mascotte de l’équipe, une belle et grande jeune fille athlétique, pour sa part joueuse de handball. Il fallait que je me mette dans la peau d’un flic qui allait interroger deux amis d’enfance, un habit qu’il ne me plaisait guère d’enfiler, une position que n’aurait jamais tolérée Carole si elle avait appris ce lien d’enfance.
Un peu plus loin que Croas Avalou, je suggérai à Sarah de tourner sur sa droite pour emprunter la petite route touristique qui mène au littoral. À peine l’eut-elle empruntée qu’elle la jugea dangereuse, car bien trop étroite et sinueuse, à son goût. Je lui promis que cela allait nous faire gagner un peu de temps et, effectivement, nous arrivâmes aux abords de l’anse de Saint-Laurent, inscrite dans mon souvenir comme le lieu où se situait la Bigorne, un ancien thonier transformé en boîte de nuit par Louis Le Mouellic, surnommé Loulou la Bigorne. Un haut lieu des nuits de la région, qui pouvait se vanter d’avoir accueilli Johnny en personne ou encore Carlos. Par contre, la légende prêtait à l’endroit bien des anecdotes sulfureuses qu’aucun témoin fiable ne pouvait aujourd’hui authentifier…
Une montée plus loin, nous étions à Lanadan, avec une superbe vue sur l’océan et la plage des Sables Blancs. Les Cossec résidaient dans une maison néobretonne au milieu de la rue de Men Fall, à hauteur de son embranchement avec la rue de la Médée. “Harry” avait su profiter des primes de match de l’époque, qui nous étaient réglées en cash dans une enveloppe, sommes non déclarées et nettes d’impôts. Comme cela se pratiquait dans tous les clubs de la région et du pays, une autre vision du football, au siècle dernier…
J’appuyai sur la sonnette, une femme apparut à la porte, c’était Christine. Elle avait changé, mais pas tant que cela. Elle avait forci, certes, mais comme elle devait approcher des cent quatre-vingts centimètres sous la toise, cela n’avait rien de choquant, elle demeurait un beau brin de femme. En revanche, elle conservait ce visage poupon, presque angélique, sous une chevelure oscillant entre l’auburn et le roux, certainement grâce à une teinture. Elle me reconnut aussitôt et, ce qui peina mon intuition de flic, c’est qu’elle ne sembla pas surprise de me voir, comme si elle connaissait la raison de ma visite, même si je ne lus pas la moindre appréhension dans son comportement. Par chance, ses premiers mots rassurèrent l’ami de jeunesse qui tentait de cohabiter en moi avec l’enquêteur :
— Tu en as mis du temps avant de frapper à notre porte ! lança-t-elle en plongeant dans mes bras. Je sais, nous aurions pu t’appeler aussi, mais tu sais, la vie, le rythme moderne, la pudeur bretonne, ton métier… C’est ta fille, pas vrai ? Nous lisons régulièrement vos exploits dans les journaux. Comme le dit Philippe, tu as quitté la rubrique sportive pour celle des faits divers, avec plus de succès, surtout que tu te trouves toujours dans le bon camp… Tu te souviens de ce dimanche où l’équipe jouait à Ménez-Paul contre l’AS Brestoise et que le car était reparti en t’oubliant dans les vestiaires ? Une chance que Philippe et moi rentrions en voiture, censément pour avoir un moment d’intimité que tu nous as bien pourri, ce jour-là… Si tu savais comme je suis heureuse de te revoir !
— Harry n’est pas là ?
— Il n’y a bien que les vieux copains du foot à l’appeler encore Harry ! Je me souviens de cette fois où j’ai appris que, pour vous, nous étions les deux Harry : lui, c’était Harry Cossec et moi Harry Covert en raison de ma grande taille et de ma minceur de l’époque… Il ne devrait pas tarder, du moins je l’espère ! La vie ne nous a pas gâtés, tu sais, mon homme a bien changé au fil des années. Philippe s’est renfermé sur lui-même, il s’est aigri, il en veut à la terre entière. De mon côté, je serre les dents, je m’arcboute, je fais face. Dans de telles périodes, il faut bien que l’un des deux tienne le coup ! Mais entrez, vous aller manger un bout avec nous, j’avais justement quatre beaux maquereaux, je vais faire cuire un peu plus de pommes de terre…
Devant un verre d’apéritif, Christine nous évoqua leur parcours, des pans de leur vie dont j’ignorais l’existence, en raison de mon absence de près de trente années. Le couple avait eu un fils, Christophe, mort à 25 ans dans un accident de la circulation, alors qu’il s’entraînait pour la saison de courses cyclistes, car il avait préféré la petite reine au ballon rond, au grand dam de son paternel sans doute. Un mauvais virage, un écart de la part d’un bolide roulant à une vitesse excessive, et une vie s’en était allée comme cela, pfft ! Un drame incommensurable qui avait profondément changé Philippe au point qu’il avait cessé de s’occuper du foot et de l’Hermine, son second club de cœur.
— Il travaillait alors dans les services de la ville, à l’entretien des terrains de foot, il a demandé à être muté parce qu’il ne supportait plus la vision des installations sportives, et il s’est retrouvé aux espaces verts ! poursuivit Christine, tout en épluchant quatre pommes de terre, soulagée de pouvoir épancher ses peines à des oreilles amies, même si elle s’exprimait avec une lassitude infinie. Tout allait bien jusqu’à ces cinq dernières années. Là, il est parti en vrille…
— Que s’est-il passé qui l’a marqué à ce point ? questionnai-je, sentant que nous approchions d’un moment qui devait fatalement arriver.
— Sur les conseils d’un ami banquier, nous avons souscrit un contrat pour devenir propriétaire d’un appartement à Brest, à la faveur de la loi Besson. Cela nous permettait de défiscaliser et, au final, neuf années plus tard, on devenait propriétaire d’un bien dont la vente assurerait notre retraite. Un placement fiable et sans risque, nous avait assuré le type qui nous a fait signer le contrat.
— Et cela ne s’est pas passé comme vous l’attendiez ?
— Les deux premières années suivant la fin des travaux, tout a été parfait, pas la moindre anicroche. Mais ensuite, le placement a viré au cauchemar. Le premier locataire est parti, le suivant ne payait quasiment plus, juste une petite somme de temps en temps. La société de gestion, qui dépendait de la holding avec laquelle nous avions souscrit le contrat, nous a menés en bateau, jusqu’à ce que nous apprenions qu’elle se trouvait en liquidation judiciaire. La compagnie d’assurances qui nous certifiait l’octroi d’une somme, en cas de défaut de paiement des loyers, a cessé de nous rétribuer. Au prétexte que la faute incombait au groupe Mondialissimo contre lequel ils avaient d’ailleurs engagé un procès. Cela fait cinq années que nous sommes sous pression, harcelés pour payer les charges sans recevoir le moindre centime pour compenser, étranglés par la banque pour rembourser mensuellement notre emprunt, alors qu’au départ, les loyers devaient couvrir les frais sans le moindre problème. Et dire que le banquier se prétendait un ami ! Celui-là, en se promenant à Concarneau, il n’a pas intérêt à se retrouver sur le même trottoir que mon Philippe, sinon…
— Comment se nommait-il, ce fameux banquier ? questionnai-je en imaginant la réponse.
— Vincent Chapalain. Il travaillait à la BMB où il était responsable de l’agence de Concarneau. Je dis “il travaillait” car il est à la retraite depuis deux ans… Mais installez-vous, on va manger deux feuilles de salade en attendant la cuisson des patates… Deux ans, c’est aussi le temps depuis lequel Philippe se trouve au chômage, après avoir été licencié par la municipalité pour avoir fichu un coup de poing à la figure d’un adjoint au maire qui l’avait traité de pigeon idéal ! Depuis, je vis auprès d’un fantôme qui part de bon matin pour aller je ne sais où, qui rentre parfois à midi mettre les pieds sous la table, mais le plus souvent le soir pour avaler une soupe et se coucher dans la chambre d’amis. Tu ne le reconnaîtrais plus, il a tellement changé, il est devenu l’ombre de l’homme fringant de jadis. Il s’est ridé du visage, mais à l’intérieur, c’est encore pire…
Christine servit les poissons et les pommes de terre. Ses gestes étaient nerveux, son front soucieux, ses phrases taillées à la serpe. Sarah ne parlait pas, elle attendait que j’attaque le sujet et piaffait de plus en plus. Elle ne comprenait pas que, pour moi, il ne s’agissait pas d’une enquête ordinaire. Je regrettais d’ailleurs de me trouver là, écartelé entre mon rôle d’ami et ma fonction de flic. Après quelques banalités, des compliments de ma part à propos de la fraîcheur des maquereaux, un cadeau de copains de Philippe pratiquant la pêche, alors que les patates venaient du jardin et permettaient de survivre, ce fut Christine qui nous questionna sur la raison de notre venue. Je ne pouvais plus reculer :
— Vincent Chapalain est mort ce matin au Stangala, une mauvaise chute et ce n’était pas un accident, il a été poussé dans le vide d’un coup de pied, annonçai-je, après avoir avalé une gorgée d’un muscadet bas de gamme, limite tord-boyaux, pour me donner la force d’annoncer la funeste nouvelle.
— Ne me dis pas que tu soupçonnes Philippe d’avoir tué cet homme, Cap ? s’insurgea illico la maîtresse de maison, les lèvres tremblantes.
— Une Twingo rouge a été aperçue sur place à l’heure du crime et l’épouse de la victime s’est souvenue que vous possédiez une voiture de ce type. Je suis désolé…
— Josiane ? Quelle garce ! s’emporta Christine en se levant pour desservir avec des gestes un peu plus fébriles, le front encore plus ridé et les billes exorbitées. Quand je pense qu’elle est venue se plaindre hier, à mon boulot, que son mari vivait mal sa retraite ! Comment en serait-il autrement, après le nombre de relations de confiance qu’il a laissées sur la paille avec son placement soi-disant sans risque ?
— En fait, pour être précis, c’est plutôt sa fille Valériane qui a accusé Harry et…
— Pour ta gouverne, coupa Christine en se retournant d’une volte, le visage ravagé par l’indignation, Philippe n’a plus de permis et, donc, il ne conduit plus ! De toute manière, pour rouler, il faut mettre de l’essence dans la bagnole et pour acheter du carburant, il faut de l’argent. Voilà pourquoi Pépète reste le plus souvent au garage, si tu veux la voir. Et puisque j’ai certainement besoin d’un alibi, moi aussi, car visiblement c’est le flic et non le pote d’enfance qui a frappé à notre porte, je travaillais ce matin. Mes patrons peuvent en témoigner, des clients également, que j’ai servis comme chaque jour…
— Non, Christine, ne le prends pas comme cela, ce n’est pas ce que je voulais dire, j’ai juste trouvé le prétexte intéressant pour renouer le contact ! répondis-je du bout des lèvres, embarrassé par une situation qui m’échappait totalement. Je sais qu’il en existe des dizaines, des Twingo rouges, dans la région de Quimper.
— Tu vois, ce qui a blessé Philippe, c’est le sentiment de trahison de la part de personnes en qui il avait aveuglément confiance. Il avait connu Chapalain à Quimper, il le retrouve à Concarneau, nous ne sommes pas férus en matière de placements, Philippe l’a laissé s’occuper de notre dossier sans le plus petit doute sur son intégrité morale. De plus, pour nous proposer le produit, nous nous sommes retrouvés en face de Geoffroy Dubarbier, tu te souviens de lui ?
— N’est-ce pas cet espoir du foot brestois, international chez les jeunes, qui a été blessé au cours d’un match et ensuite contraint de stopper sa carrière ?
— Tout juste ! Avec Philippe, ils ont davantage parlé de foot que de contrat d’acquisition et, au bout de l’après-midi, nous avions signé les documents sans même nous en apercevoir. Un mécanisme parfaitement huilé et totalement imparable… Philippe a tenté de reprendre contact avec lui, depuis le début de nos soucis, mais ce gars est injoignable, sa ligne téléphonique a été coupée… Nous avons été roulés par des escrocs qui ont profité de notre crédulité et cela, c’est dur à avaler pour un gars comme Philippe, tu sais. Déjà parce que la grande fraternité du football était l’une des bases de son existence, ensuite parce qu’un mec comme lui n’accepte pas de “se la faire mettre”, pardonne-moi ma vulgarité, ce sont ses mots quand il est en colère. Mais de là à devenir un assassin, mon Philou…
— Tu sais où il va, quand il part pour la journée, puisque, visiblement, il ne viendra pas déjeuner ?
— Souvent en mer avec deux ou trois anciens pêcheurs. Parfois un autre l’invite à ramasser des coquillages vers Kerleven ou des champignons vers Saint-Yvi, sinon il traîne son vague à l’âme en ville, de bistrot en bistrot, car par malheur, il s’est mis à boire. Lui qui n’avait pas touché à une goutte d’alcool avant ses 25 ans, ou juste exceptionnellement… Je sais qu’il a ses habitudes au Rafiot, un petit troquet de Lanriec, à l’arrivée du bac du Passage. Il peut y passer des heures, je le sais par le patron qui veille sur lui comme il le peut. Philou n’est plus que l’ombre de l’homme que j’ai épousé… Vous prendrez un café ?
— Non, nous allons te laisser et essayer de le retrouver quelque part en ville. Merci pour le maquereau, il était excellent…
— Elle ne parle pas beaucoup, ta fille ! Je n’ai même pas entendu le son de sa voix. C’est peut-être moi qui l’impressionne… Il est vrai que lorsque je m’emporte…
— D’ordinaire, elle n’a pas la langue dans sa poche, mais là, elle est sans doute intimidée, répondis-je, bien embarrassé devant l’étonnant mutisme de Sarah.
— C’est juste que je n’avais pas trop ma place, dans vos souvenirs de jeunesse ! finit par lâcher l’intéressée. Je comprends combien la perte d’un enfant a représenté un drame pour vous…
— Cap, quand tu retrouveras Philippe, reprit Christine en se levant, ne le vois pas comme un suspect mais comme un ami, il ne supportera pas ta méfiance à son égard. Nous parlons souvent de toi, tu sais, il a beaucoup de respect pour ton parcours, sans doute t’envie-t-il même un peu, mais il est avant tout fier de t’avoir fréquenté jadis. Quand on n’a pas pleinement réussi dans la vie, on s’enorgueillit plus facilement de la réussite de proches, c’est humain…
Nous quittâmes Christine et le quartier de Lanadan sur une désagréable sensation d’épais mystère. Je pensais qu’une fois installée au volant, Sarah allait me livrer le fond de sa pensée, il n’en fut rien. Elle était encore plongée dans ses réflexions et j’ignorais dans quel sens allait s’orienter le cours de ses cogitations. Nous suivions la corniche menant au centre-ville, le boulevard Katerine Wylie, du nom d’une riche Américaine native de Washington, donatrice de 10000 dollars, en mémoire de son frère mort pour la France, qui permirent la fondation du dispensaire – hôpital en 1925. Comme un rayon de soleil venait éclairer la plage sur notre droite, je suggérai à ma fille de se garer dix minutes et de marcher un peu, histoire de prendre l’air du large. Elle investit la première place disponible et comme un banc s’offrait à nous un peu plus loin, je m’y assis sans un mot. Sarah resta debout auprès de moi, bras croisés sous sa poitrine, lunettes de soleil sur le nez, appliquée à scruter un hypothétique point de l’horizon. Rapidement, je décidai de percer l’abcès :
— Tu me reproches de ne pas t’avoir parlé plus tôt de Christine et Philippe ?
— S’il est coupable, ton copain, tu fais quoi ? me lança-t-elle de but en blanc. Tu couvres son geste, ni vu ni connu ? Tu étouffes l’affaire ? Tu effaces les indices ?
— Pourquoi me dis-tu cela ? M’as-tu vu une seule fois bâcler une enquête en raison de relations passées entre un suspect et moi ?
— Tu te serais vu quand cette nana parlait, elle te mène encore par le bout du nez, comme à 20 ans, mon pauvre Papounet ! Pourquoi ne sommes-nous pas allés simplement vérifier dans le garage si les pneus de la Twingo rouge ne portaient pas des traces de terre du Stangala, comme tu l’aurais fait si tu avais été dans ton état normal ? Pépète nous attendait bien sagement à sa place habituelle et tu n’as pas procédé au contrôle le plus élémentaire, celui qui aurait clarifié la situation et nous aurait définitivement rassurés.
— Je ne pouvais pas…
— Un homme est mort, Papa, et quelles que soient les raisons qui ont incité ton pote à le pousser dans le ravin, il est un criminel en puissance, point barre ! Il a même prémédité son geste, pour se trouver sur le site en même temps que la victime, si tu désires que j’en rajoute une couche. Tu as bien entendu sa femme, c’est un sanguin ; pour ficher son poing sur la figure d’un élu municipal pour un mot de travers, cela dénote un singulier manque de contrôle de soi. De plus, il en voulait à mort au banquier de l’avoir trahi, tu as entendu sa femme, c’était sans appel. Pas uniquement au conseiller financier dans son costard chic et son bureau propret d’ailleurs, mais surtout à l’ami auquel il vouait une confiance totale et qui l’avait lâchement trahi.
— La présomption d’innocence est-elle encore une notion qui résonne dans ta tête, ma fille ? Nous débutons notre enquête, la famille de la victime nous livre un suspect sur un plateau et toi, tu voudrais que nous l’interpellions sur-le-champ ? Ami d’enfance ou pas, Harry a le droit de s’expliquer avant que nous le condamnions de la sorte. De plus, je te rappelle qu’il ne conduit plus…
— Quelle mauvaise foi de ta part, c’en est affligeant ! s’insurgea Sarah en tournant autour du banc, comme une squaw autour d’un totem. Tu connais autant que moi le nombre de personnes qui conduisent en France sans permis : deux millions et demi ! Dont ton copain d’enfance, à coup sûr. Ce matin, il a pris le volant de Pépète, il a suivi le banquier retraité jusqu’au Stangala et là, il l’a poussé dans le vide d’un coup de pied, en imaginant que les poulets penseraient à un accident. Ce qui a bien failli arriver, d’ailleurs. Il n’avait pas prévu qu’un cycliste insomniaque venait pédaler chaque jour en ce même lieu improbable et que le médecin légiste découvrirait une trace suspecte sur le corps de la victime…
— Avant qu’on aille lui passer les menottes pour l’emmener au commissariat, je te propose de rendre visite aux collègues de Concarneau pour leur signaler notre présence… Ensuite, pourquoi n’irions-nous pas rendre visite à l’épouse de la victime pour glaner quelques informations supplémentaires ? Mais si tu préfères que je réclame tout de suite l’installation de la guillotine sur la place Jean Jaurès pour exécution immédiate, je ne voudrais pas contrarier ta volonté de justice !
— Tu es bête, je tente juste de te prouver que ton copain est impliqué dans ce crime et que sa femme est sa complice, même si elle t’a tourné la tête avec ses souvenirs attendrissants. Puisque tu le prends ainsi, allons rendre visite à nos collègues du secteur. Eux, peut-être, sauront te ramener à la raison.