Fièvre - Denis Charamnac - E-Book

Fièvre E-Book

Denis Charamnac

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Beschreibung

Fièvre s’articule comme une saga familiale se déroulant sur plusieurs décennies. Iram, jeune tunisienne résidant à New York, voit son quotidien basculer le jour où elle apprend, de façon brutale, la perte de ses parents. Zeynab, accompagnée de ses amis et de son fils, lutte pour sa survie devenue son seul enjeu. Basé sur des faits réels, cet ouvrage débute avec le drame vécu par Iram, point de départ d’une course folle contre la mort et un hymne à la vie et à l’amour. Il s’achève dans un contexte post-apocalyptique où la quête, poursuivie par Zeynab et ses proches, semble n’avoir aucune issue.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Denis Charamnac aspire à être écrivain depuis toujours. Aujourd’hui à la retraite, il consacre son temps à l’écriture. Ce recueil de nouvelles, en partie autobiographique, est son premier ouvrage.

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Denis Charamnac

Fièvre

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Denis Charamnac

ISBN : 979-10-377-9427-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Fièvre

Cette nouvelle est une fiction, basée sur des faits réels.

À Iram

Rien n’est plus étrange que les voies du destin, « impénétrables », comme diraient certains.

Tout commença en 2009. Facebook, réseau social en pleine expansion, attirait alors de plus en plus d’adeptes, je fus de ceux-là.

Ma démarche d’alors, en tant que bénévole, était de promouvoir sur le réseau social, une association dont le but était la récolte de fonds en faveur de la recherche sur les tumeurs cérébrales pédiatriques. Association prénommée ANGE – Association Nous Guérirons l’Ependymome. Cette Association, reconnue d’Intérêt Général et à but non lucratif, a été créée par monsieur et madame Willemin dont le fils, Ceyrinn, était atteint d’une tumeur cérébrale pédiatrique : l’épendymome. Malheureusement, et malgré tous les efforts de sa famille et un combat de 3 ans, Ceyrinn prit son envol le 25 juillet 2011, courageux jusqu’au bout comme il l’avait toujours été. Il avait 5 ans.

Et c’est ainsi que, par le plus grand des hasards, en février 2012, je fis la connaissance d’Iram qui, adorant les enfants et « tombant » sur la page de ANGE, demanda à me suivre.

Mais était-ce bien le hasard ?

Toujours est-il qu’une relation amicale se noua entre nous, avec comme intérêt commun principal, l’aide à l’enfance.

Iram est Tunisienne, originaire de Djerba, et étudiante en 5e année de médecine. Elle a 22 ans et vie à New York où elle poursuit ses études à l’hôpital Bellevue, sur l’île de Manhattan. Son plus grand désir est de se spécialiser en chirurgie pédiatrique. Parallèlement à ses études, elle est bénévole au sein de l’organisation « Médecins Sans Frontières ».

J’étais bien loin alors, de me douter de l’incroyable destin dont j’allais être le témoin, et se déroulant sur une période allant de 2012 à 2017. Année noire qui marquera la fin de l’histoire… ou pas.

Mais revenons au commencement.

Iram a tout pour elle, jeune, belle (les photos qu’elle m’envoie en témoignent) et intelligente. Elle est issue d’une famille riche vivant à Tunis, à Gammarth précisément, au nord-est de Tunis et qui est une station balnéaire prisée des familles aisées de la capitale. Son père, Mohammed, a monté une affaire florissante autour de l’hôtellerie de luxe et de la joaillerie. Je précise que cette « affaire » s’est développée sous le régime de Ben Ali, et que sa mère a des liens familiaux avec l’épouse de ce dernier. Cela a son importance pour la compréhension de ce qui va survenir par la suite.

Échangeant régulièrement avec Iram, via la messagerie interne à Facebook, je découvre donc, au fil des mois qui s’égrènent et au fil d’une amitié de plus en plus forte, une vie peu commune.

Vie qui tourne, trop tôt, au drame au sein de cette famille de 5 enfants dont Iram est la benjamine. En effet, elle m’apprend très vite qu’elle a perdu ses parents alors qu’elle avait 20 ans. Son père, admis aux urgences, est victime d’un problème cardiaque et décédera à l’hôpital quelques heures après son admission, et sa mère sera à son tour victime d’un arrêt cardiaque au chevet de son mari qui la quitte de façon si brutale. Son cœur, visiblement, n’aura pas supporté cette séparation.

Iram se trouve alors au Maroc, chez sa tante qui vie à Casablanca. Elle rentre en catastrophe et ne pourra que constater la perte de ses parents, sans même avoir pu leur dire un dernier adieu.

Cette nouvelle me laisse bouleversé.

À la suite de ce drame, le frère aîné, Akram, qui est lui-même médecin, prendra la suite des affaires, en se faisant épauler par Chaker, le second garçon de cette fratrie. Les deux autres étant des filles, dont Salwa, également médecin, et Lina, conseillère bancaire, et qui est la plus proche d’Iram, en termes d’âge et de rapprochement. La seule également, avec laquelle j’aurais des contacts par la suite.

C’est au fil de ces présentations d’ailleurs que j’apprends que j’ai affaire à une vraie famille de médecins, trois dans la même fratrie et Iram étant la 22e de la famille au sens large, à exercer la médecine.

De confession musulmane, croyante et pratiquante, ne portant pas le voile malgré tout, c’est sa foi, m’explique-t-elle, qui la fait avancer et tenir bon, car « il faut toujours louer Dieu, Al Hamdoulillah ».

— Et toi, tu crois en quoi ? me demande-t-elle un jour.

— Pas au Dieu des textes sacrés, Thora, Évangiles ou Coran qui, pour moi, ont été écrits par des hommes et pour les hommes. Et le plus souvent, au détriment de la femme d’ailleurs. Même si ces textes, et les hommes qui en sont à l’origine et que je respecte énormément, véhiculent des valeurs universelles, comme l’amour, la tolérance, etc. ils ont été, et ils sont malheureusement toujours aujourd’hui, le plus souvent détournés au profit d’actes abjects.

— Je peux te comprendre wallah, même si je ne partage pas ton point de vue. Qu’est-ce qui te fait avancer alors ?

— La philosophie, ainsi qu’une croyance en quelque chose de plus diffus, qui se rapprocherait des croyances amérindiennes par exemple, pour lesquelles la nature et l’univers sont centraux.

Et voilà que, un drame en appelant un autre, dans cette vie pourtant qu’à son commencement, Iram, en décembre 2012, me fit cette autre confidence qui me glaça :

Elle est atteinte d’une leucémie, le « cancer du sang », depuis un peu plus d’un an. D’abord estomaqué par cette nouvelle, je reprends pied et lui apporte alors, autant que faire se peut étant donné que l’on ne communique, selon son souhait, que par écrit – tout mon soutien dans cette terrible épreuve. Est-cela d’ailleurs, qui va la décider à m’appeler pour la première fois, via Skype, de façon à échanger de vive voix ? Probablement. Communication audio uniquement, sans vidéo, toujours selon son souhait.

Une voix à laquelle je ne m’attendais pas, étant donné son jeune âge. Une voix grave, maîtrisant parfaitement le français, empreint d’une profonde mélancolie mais aussi d’une certaine autorité, une voix qui résonne encore dans ma tête, même après toutes ces années.

Apprenant à nous connaître et à nous apprécier, avec en toile de fond la perte dramatique de ses parents et son combat quotidien contre ce fléau qu’est le cancer – mais aussi des moments magiques qu’elle me fait partager quand elle part en mission pour « Médecins Sans Frontières », aux quatre coins de l’Afrique et du Moyen-Orient et ce, toujours via la messagerie, et Skype de temps en temps – c’est en janvier 2014 cependant qu’un accro va survenir dans cette belle amitié.

Un ami d’Iram, Tunisien et vivant à Sfax, prénommé Ahmad, amoureux de cette dernière et très jaloux, décida de pirater mon compte Facebook et pu ainsi avoir accès à ma messagerie. Il faut dire qu’à l’époque, la sécurité, intrinsèque au réseau social, était balbutiante. Il justifia ce piratage auprès d’Iram, en arguant d’une amitié hypocrite de ma part, avec pour preuve des messages que j’aurais soi-disant échangé avec d’autres personnes et faisant état de ma désinvolture, voire de mon mépris, vis-à-vis d’elle. Messages, il va sans dire, montés de toute pièce par notre amoureux transi.

Seulement voilà, Iram, éprouvant en retour des sentiments pour Ahmad, ne voulut rien savoir quand je m’évertuai à lui démontrer l’absurdité de ces mensonges. Et c’est à cette occasion que je pris pour la première fois contact avec sa sœur Lina, pour faire valoir ma bonne foi auprès d’elle et espérer un soutien de sa part. Peine perdue malheureusement.

Bloqué sur Facebook par Iram, notre relation prit fin. Ahmad avait gagné.

Les mois passant, et désespérant d’avoir un jour des nouvelles d’Iram, c’est en novembre 2014 que j’eus la surprise de voir une de mes publications sur Facebook, « likée » par Iram.

D’abord perplexe, je décide de lui envoyer un message :

— Bonjour, comment vas-tu ?

Pas de réponse. La connaissant, je n’insiste pas, car l’effet serait encore pire que ce que je recherche.

Les semaines passent, et courant décembre 2014, contre toute attente, elle me téléphone. Ce sont des pleurs au bout du fil et une voix brisée qui s’exprime.

Je tente de l’apaiser et une conversation s’engage entre nous. Conversation que sera le prélude à une reprise de notre amitié et de nos échanges réguliers.

Elle s’est séparée d’Ahmad, du moins, leur relation est devenue sporadique, et je lui reproche, gentiment, de ne pas m’avoir laissé une chance de m’expliquer.

Mais c’est du passé, « on oublie tout et on avance ».

Nous sommes courant 2015, comme si sa maladie ne suffisait pas : elle suit des traitements lourds qui l’affaiblissent considérablement. Comme si ses études de médecine ne suffisaient pas : elle est alors en 8e année et va bientôt préparer son doctorat, qu’elle obtiendra haut la main la même année – elle me fait part d’ennuis judiciaires en cours au sein de la famille. Et pas des petits ennuis !

Il faut comprendre que, après le « Printemps arabe » en 2011, et la chute de Ben Ali, une chasse aux sorcières s’est mise progressivement en place en Tunisie, envers tout ce qui touche de près, ou de loin, à l’ancien dictateur.

Le frère aîné, Akram, a bien tenté de protéger les intérêts de la famille du mieux possible, mais la foudre va malgré tout finir par s’abattre sur eux, à commencer par Iram. Elle est convoquée par le juge et doit s’expliquer sur des accusations de corruptions, de détournements de fonds, d’impôts impayés, et j’en passe !

Iram, bien qu’étant la benjamine et absolument pas au courant des affaires familiales, est dans le collimateur du juge, car elle m’apprend que son père a fait d’elle l’héritière unique des affaires en question. Il avait visiblement une confiance limitée en son fils aîné. Ce qui, quand on connaît la culture arabe, à savoir que les filles, en règle générale, n’ont droit à aucun héritage dans la règle successorale – est tout simplement incroyable. S’il avait alors pu imaginer les conséquences envers sa fille adorée, il se serait probablement plutôt tiré une balle dans la tête.

Toujours est-il qu’Iram se défend comme elle peut, avec son avocat et avec les éléments dont elle dispose, c’est-à-dire pas grand-chose.

Dans la foulée, Akram est arrêté puis jeté en prison. Un tsunami s’abat sur la famille ! et j’en suis le témoin quasi en direct.

Tous les biens sont saisis et mis sous séquestre. Cinq résidences hôtelières de luxe, un yacht, leur résidence principale à Gammarth, leurs boutiques de bijoux ainsi que des appartements situés à Tunis. Seuls échappent aux saisies : des bijoux, « de famille » cela va sans dire, qu’Iram arrivera à convoyer chez sa tante au Maroc, leur résidence secondaire à Djerba et leur appartement à New York qu’occupe Iram. Au passage, je me félicite auprès d’elle de l’avoir convaincue d’acheter cet appartement en 2013.

Elle n’en était alors que locataire et je trouvais dommage, avec les moyens de la famille, qu’ils n’en soient pas propriétaires. Elle m’en saura gré. D’autant plus qu’Iram est pourvue de la nationalité américaine, en plus de la Tunisienne bien sûr. Ses parents ont fait un court séjour aux États-Unis en 1990 donc, pour que sa naissance, le 10 octobre, ait lieu là-bas et qu’ainsi elle puisse prévaloir plus facilement à cette nationalité. Ce qu’elle fit définitivement, après plus de cinq ans à vivre à New York, en 2015.

J’ouvre une parenthèse :

Iram, toujours portée par sa foi inébranlable en Dieu, fait preuve, dans tous nos échanges, d’un calme olympien, d’une joie de vivre et d’une force peu commune face à tous ces évènements, pour ne pas dire « drames ». Je comprends mieux la dévotion que son père devait ressentir pour sa fille et ses prises de position au sein de la fratrie. Iram continue même ses missions de médecin bénévole, en se rendant notamment à Gaza, en plein conflit et à Alep en Syrie, également en plein conflit.

— C’est ma raison d’être les enfants, m’avouera-t-elle, face à mes inquiétudes et mes mises en garde.

Elle ajoute :

— Envoie-moi de belles citations stp.

— D’origines amérindiennes alors :

« Ne renonce jamais à aimer, malgré les épreuves et l’aridité du cœur. L’amour est la grande force qui soutient l’univers ; sans lui, le monde vivrait un hiver éternel ». Et cette autre :

« Tout passe, les heures, les nuages dans le ciel, la vie des hommes, emportés de la naissance vers la mort. Ne t’attache pas à la chronologie affective des choses. C’est une très mauvaise manière de voir le monde. Fais de chaque seconde une expérience enrichissante, sans t’inquiéter du temps qui fuit et des matins qui ne reviennent plus. Le présent est la seule chose qui n’ait pas de fin ».

— C’est magnifique !

— Tu vois, chacun puise sa force où il peut, la mienne, comme tu le sais, dans la philosophie, qui est l’amour de la sagesse. « Carpe Diem », littéralement « Cueille le jour », telle est ma devise.

— Et moi, en Dieu, qui est le créateur de toute chose. Il est le gardien de tout ce qui existe. Les clés des cieux de la terre lui appartiennent.

— Puisse alors ton Dieu entendre tes prières et réaliser tes vœux les plus chers.

— Nchallah.

Fermons la parenthèse.

Dieu merci, je ne connais pas les prisons Tunisiennes, mais je peux facilement m’imaginer le sinistre des lieux suite au témoignage d’Iram lors de ses visites à son frère.

Ce dernier semble très malade, et elle en déduit très vite qu’il est probablement empoisonné.

Elle essaie d’alerter les autorités, sans résultat. On lui annonce le décès de son frère quelques semaines seulement après son incarcération. Nouveau drame.

Après l’enterrement, qui a lieu au cimetière de Tunis et où Akram est enterré aux côtés de leurs parents, Iram se rend dans leur résidence secondaire de Djerba, qui reste accessible et dans laquelle toutes les archives familiales sont censées se trouver.

Elle veut comprendre.

Et ce qu’elle comprend alors, c’est qu’il semblerait qu’Akram ait trempé dans des affaires sales avec la mafia locale de Tunis. Et que ces derniers exerçaient probablement un chantage, suite aux liens de la famille avec celle de Ben Ali, pour leur extorquer de l’argent et/ou pour des opérations douteuses.

Iram est sidérée.

Elle demande des explications à Chaker, mais ce dernier est bien en peine de lui en donner. D’autant que lui aussi est convoqué par les juges.

Je me souviens alors d’un échange avec Iram, il y a quelque temps déjà :

— Quand va-t-on enfin se voir ? On pourrait se retrouver à Djerba par exemple, je ne connais pas, tu me ferais découvrir ta belle Tunisie que tu chéris tant !

— Oui, pourquoi pas, mais alors il faut que j’organise ta sécurité.

Si elle voulait refroidir mes ardeurs, elle n’avait pas besoin de s’y prendre autrement ! J’aurais vraiment aimé la voir mais, ayant de mon côté une vie de famille avec un foyer, il était hors de question que je prenne le moindre risque.

Je n’ai pas insisté, par la suite, pour organiser une rencontre entre nous.

Elle m’apprend par ailleurs, en marge de tout cela, qu’elle reçoit régulièrement les avances d’un homme, très riche, mais aussi très vieux, et réputé pour ses accointances avec la mafia. Quand on parle de mafia justement. Il en serait même le « parrain » d’après Iram, et ce dernier insiste pour l’épouser !

Refus catégorique d’Iram, et pour cause. Refus qui lui vaudra les foudres probables de cet homme, et de toute la mafia ?

L’avenir aurait-il été différent pour Iram si cette union avait eu lieu ?

Adieu les ennuis judiciaires ?

C’est probable, et j’écrirais alors une histoire différente…

J’ouvre de nouveau une parenthèse :

Iram, début 2015, avant ses déboires judiciaires et les avances du « parrain », a convolé en justes noces avec l’un de ses professeurs de Fac, Iyad, médecin, de nationalité américaine mais d’origine palestinienne, et très amoureux d’Iram, mais sans que cela soit pour autant réciproque. Iram a fini par céder à ses avances, avec la bénédiction de toute la famille. On pourrait presque parler d’un mariage « arrangé », comme cela se pratique beaucoup dans ces milieux.

Un jour, me raconte-t-elle, Iyad est rentré ivre d’une soirée et l’a prise de force. Je lui fais part de mon incompréhension, et lui demande pourquoi elle ne le quitte pas. Elle m’explique, toujours calmement, que c’est humain et qu’elle ne lui en veut pas. Ceci dit, Iyad aura été d’un secours considérable vis-à-vis de la prise en charge de la maladie d’Iram, en finançant notamment les chimiothérapies, qui sont très coûteuses et non prises en charge aux États-Unis et encore moins en Tunisie. Je lui en suis reconnaissant pour cela et Iram aussi de m’en avoir fait la confidence. À noter qu’Iram, durant toute cette période, aura tenté deux greffes de moelle osseuse, seule façon pour elle d’avoir une chance de s’en sortir à plus ou moins long terme.

Une première, avec un donneur anonyme, et qui a échoué, une deuxième avec une tante comme donneuse, mais qui malheureusement a également échoué.

Et les chimiothérapies continuent. Quand le destin s’acharne…

— Face à tout ce qui t’arrive, comment fais-tu pour croire encore en ton Dieu qui, pour moi, regarde ailleurs ? Tu sais que j’en viendrais presque à le haïr ce Dieu.

— Nooo, c’est haram ! je sais que ça te désespère, mais tu ne peux pas comprendre, la foi va bien au-delà des hommes et de leur tracas quotidien, et c’est une affaire personnelle et intime propre à chaque individu.

Le « tu ne peux pas comprendre » reviendra souvent dans nos échanges.

Fermons la parenthèse.

Tout cela nous amène en 2016, et la nouvelle tombe : Chaker est emprisonné à son tour.

Et Iram, de nouveau convoquée chez le juge.

À la suite de cette convocation, elle et son avocat comprennent que son incarcération, et ce, malgré sa maladie, est proche. Le juge laissant même entendre une condamnation probable de onze années d’emprisonnement. Je rappelle que nous sommes en Tunisie.

Iram prend conscience désormais qu’ils ne s’en sortiront jamais. Il lui faut assurer leurs arrières, à commencer par Lina, dont elle est très proche. De par ses relations nombreuses : celles de la famille, celles acquises à New York, lors de ses études, celles également acquises auprès des groupes de médecins bénévoles avec lesquels elle travaille, elle va mettre Lina, ainsi que son mari, Hicham, et leurs trois enfants, Ilef, Youssef et le dernier, une petite fille prénommée Zeynab, née début 2015 – à l’abri à Dubaï. Quant à Salwa, avec laquelle elle a très peu d’affinité, voire de l’animosité, elle la laisse se débrouiller seule.

Iram, elle, n’attend pas son arrestation, elle prend la fuite.

Petit aparté : le prénom « Iram » est d’origine hébraïque et signifie « vigilant ».

Commence alors une course effrénée à travers une partie de l’Afrique…

Avant de vous parler de cette fuite, je dois d’abord vous faire part d’une autre confidence d’Iram, tout aussi dramatique, sinon plus, que toutes celles qui se sont succédé depuis que je la connais.

Elle me fera part de cette confidence courant 2015, alors que notre amitié a retrouvé toute sa force. Lors d’une de ses missions, à Gaza en Palestine, en 2014, année où nous n’avions plus aucun contact, elle a été violée par un groupe d’hommes cagoulés. Ça se déroule à l’office de l’organisation « Médecins Sans Frontière », à un moment où peu de personnes sont présentes. Elle soupçonnera d’ailleurs par la suite, me dit-elle, le groupe de médecins bénévoles qui vient d’Algérie.

Je suis horrifié, et comprends mieux son « effondrement » quand elle reprit contact avec moi, fin 2014. Un trop-plein à évacuer. Elle a porté plainte bien sûr, et contre « Médecins Sans Frontières » également. Plainte qui s’est perdue depuis, dans les limbes de l’indifférence générale.

Elle exercera alors son bénévolat auprès de « Médecins du Monde ». Son mari Iyad, qu’elle a mis dans la confidence dès le début, lui sera, là encore, d’un grand secours.

Reprenons notre récit.

Acculée comme elle est, je comprends sa fuite et je la soutiens. Je n’ose même pas imaginer deux secondes Iram en prison, avec sa maladie, c’est la mort assurée à court terme.

Elle fuit en voiture, avec un groupe d’amis proches, en passant par l’Algérie, de façon à rejoindre Casablanca et pouvoir ainsi être hébergée quelque temps par sa tante. C’est l’occasion aussi de récupérer une partie des bijoux, pour les vendre et avoir ainsi un pécule pour subsister.

Nos échanges vont se faire rares, les liaisons étant difficiles à établir, et qui plus ai, elle veut rester très prudente et ne prendre aucun risque, ce que je peux aisément comprendre.

Quelques semaines passant après sa fuite de Tunisie, elle me contacte de nouveau, toujours via la messagerie, pour m’expliquer qu’elle se trouve au Togo, pays qu’elle connaît bien, pour y avoir été en mission. Je suis le seul, m’avoue-t-elle, qui est au courant de son séjour ici. Elle n’a plus aucun contact avec sa famille ni avec son mari. Elle a confiance en moi et a besoin de se confier.

Elle a beaucoup d’amis sur place, elle est hébergée d’ailleurs par l’un deux, dans un petit village loin de tout. La chaleur y est étouffante, le confort spartiate, mais ce séjour sera pour elle une petite parenthèse enchantée car elle fait alors tout ce qu’elle aime en tant qu’humaniste, et en tant que médecin : s’occuper des enfants. Et là-bas, ce n’est pas le travail qui manque !

Les liaisons n’étant pas trop mauvaises, nous en profitons pour échanger plus souvent et moi, lui apporter tout le réconfort qu’il m’est possible. J’ai toujours adoré, dans nos échanges, lui rapporter des citations qui me touchent.

— Tu connais l’une de mes citations préférées ?

— Oui, tu m’as déjà dit, quelque chose comme : « ne prends pas trop la vie au sérieux, de toute façon tu n’en sortiras pas vivant ».

— C’est vrai, mais il y en a une autre, moins légère, et beaucoup plus belle : « on ne voit bien qu’avec le cœur, car l’essentiel est invisible pour les yeux ». Je te la dédie.

— Saint-Exupéry, le Petit Prince, j’adore aussi !

Et des jours paisibles s’écoulent pour Iram, quand un évènement, parfaitement imprévisible, survient.

Il a lieu le jour où un groupe de « Médecins Sans Frontière » arrive au village, ils y ont un office. Parmi les médecins bénévoles présents, Iram a un choc, elle pense « reconnaitre », à sa silhouette, mais aussi à son odeur quand ils se font la bise, l’un de ses violeurs de Gaza.

Je n’arrive pas à y croire ! Une chance, ou malchance plutôt, sur des millions !

Iram est pétrifiée, je lui recommande impérativement de ne pas se retrouver seule, à aucun moment et surtout la nuit.

Elle ne tient pas et prends de nouveau la fuite. Puis, plus aucune nouvelle pendant des semaines.

Nous avons basculé en 2017 il y a déjà quelques mois.

Me parvient alors un nouveau message, mon soulagement de la savoir en vie est immense.

— Je suis à Tunis.

— ?! Que fais-tu là-bas, c’est suicidaire !

Elle m’explique alors qu’elle a eu des nouvelles par sa famille comme quoi Chaker était souffrant et qu’il n’en avait plus pour très longtemps à vivre étant donné son état. Lui aussi, probablement empoisonné.

Et c’est là qu’elle en profite pour me fait part d’une chose à laquelle je ne m’attendais vraiment pas : Akram, son frère aîné, est toujours vivant. Elle n’avait pas voulu m’en parler avant, par sécurité, mais que maintenant il y avait prescription. En fait, « l’empoisonnement » de ce dernier a été organisé pour faire croire à sa mort, avec beaucoup de complicité tous azimuts évidemment, mais aussi, me dis-je intérieurement, beaucoup « d’enveloppes ».

Pour Chaker, en revanche, ce n’est malheureusement pas du tout le cas, et il est hors de question pour elle de ne pas revoir son frère une dernière fois. Du fait de son état, Chaker est admis à l’hôpital, sous surveillance policière. Iram y voit une opportunité, risquée certes, mais jouable.

Une nuit, avec des complicités internes, et se faisant passer pour une infirmière, elle peut approcher son frère mourant. Ils tombent dans les bras l’un de l’autre, en larmes. Chaker n’arrivant pas à y croire.

Il décédera le lendemain de la visite d’Iram.

Les obsèques sont organisées par la famille, avec comme parents proches présents à l’enterrement : Salwa et Lina, cette dernière étant rentrée de Dubaï pour l’occasion. Sont aussi présents, les époux, épouses et enfants respectifs des uns et des autres.

Une famille pulvérisée défile devant le tombeau.

Iram sera présente elle aussi, mais en retrait, éloignée de la cérémonie, et voilée. Son frère aîné, Akram, était-il aussi présent ? Je n’ai pas la réponse.

Et de nouveau, la fuite s’impose. Trop risqué, même cachée, de rester à Tunis.

Iram a un gros avantage, elle est détentrice d’un passeport américain. Franchissant de nouveau la frontière Algérienne, dans le but de rejoindre Alger et de là, prendre l’avion pour la Suisse où son mari l’attend – ça se passe moins bien que la première fois. Ils sont interceptés dans les montagnes par des douaniers en patrouilles. Des coups de feu éclatent, Iram se prend une balle, mais sans gravité réelle. La balle a traversé son bras. Elle m’explique tout cela, calmement, alors qu’elle se trouve dans la salle d’attente de l’aéroport Houari-Boumédiène. Et, comme à chaque fois, je me demande si les phrases qui se succèdent sous mes yeux, dans ma messagerie, relèvent du rêve éveillé ou de la réalité.

Toujours est-il qu’elle arrive à bon port à Genève et qu’elle se demande alors, avec son mari, quelle est la meilleure solution maintenant ?

Rejoindre New York paraît risqué. Iyad n’a pas d’information sur le fait que la Tunisie a lancé ou non un mandat d’arrêt international à l’encontre d’Iram. Il semblerait que non, étant donné qu’elle n’a pas été inquiétée jusqu’à présent.

Rejoindre Gaza, où Iyad a ouvert une clinique depuis ? Hors de question pour Iram.

Ils choisissent finalement de se mettre au vert, au moins quelque temps, sur l’île de Porto Rico. Nous sommes début septembre 2017, et les ouragans font rage dans l’atlantique nord, celui qui menace de s’abattre alors sur Porto Rico s’appelle « Irma », à l’inversion d’une lettre près, ça nous donne Iram, ça ne s’invente pas !

J’en fais part à la principale intéressée, mais sans soulever de commentaire particulier.

Atterrissant à l’aéroport de Luis-Muñoz-Marin, et constatant le vent de panique (sans mauvais jeu de mots) qui règne sur l’île, ils décident finalement de prendre le prochain vol pour New York.

Iram aurait aimé y reprendre ses études, et terminer son cursus en se spécialisant en chirurgie pédiatrique. Une vie fracassée par une succession insensée de drames en a décidé autrement.

Elle ne me donnera plus de nouvelle depuis son retour à New York. Et ce n’est que bien plus tard que j’en comprendrais la raison.

Décembre 2017

N’arrivant plus à joindre Iram, n’ayant plus aucune nouvelle, je décide de contacter Lina.

— Bonjour Lina, j’espère que tu vas bien, que tu liras ce message et que tu voudras bien y répondre. Je n’ai plus aucune nouvelle d’Iram, peux-tu m’en donner ?

La réponse, sans appel, ne se fait pas attendre :

— Iram est morte (suivi d’émojis pleurant à grandes larmes).

Impossible de retenir les miennes, impossible aussi de prolonger la conversation…

Les jours passent, je suis dans un maelström d’émotions que j’ai du mal à maîtriser.

Je me décide enfin à recontacter Lina.

Je lui demande de m’en dire plus sur les semaines qui ont précédé la disparition d’Iram. Ce qu’elle fait très gentiment.

— Après son retour à New York, Iram s’est retrouvée très vite alitée à l’hôpital Bellevue. Iram, quand elle aime quelqu’un, elle ne veut pas lui faire de peine. Sachant sa fin proche, elle préfère donc se fâcher avec elle ou ne plus lui parler, pour que cette personne ait moins de peine… mais c’est l’inverse qui se produit (nouveaux émojis en pleurs).

Ça me laisse pantois, mais connaissant Iram, ses contradictions et surtout son grand cœur, l’explication ne me surprend pas.

— Son décès est survenu quand ?

— Le 29 octobre. Les médecins ne s’étaient pas trompés, en 2012, ils lui avaient donné cinq ans à vivre. Elle n’a pas dit un mot les dernières 24 h, juste supplié Iyad pour qu’il l’amène dans son appartement. Ce qu’il fit. Là, je l’ai aidé à se doucher puis elle s’est couchée, elle s’est éteinte dans la nuit. Son corps a été rapatrié très vite vers Tunis. À l’aéroport, Akram, que je déteste pour tout ce qu’il a fait, est parvenu à déposer un baiser sur le cercueil, avant de disparaître de nouveau. L’enterrement a eu lieu le 31 octobre, à Tunis. Il y avait un monde incroyable, très émouvant. Elle a rejoint nos parents et notre frère Chaker. Qu’ils reposent en paix.

— Quelles ont été ses dernières paroles ?

— Pour son mari : « désolée de ne pas avoir été une meilleure femme pour toi ». Pour toi : « tu diras à Denis combien Iram l’a aimé ». Et pour moi : « prends soin de Zeynab ».

Difficile à nouveau de retenir mes larmes.

Une photo d’Iram, la première qu’elle m’avait envoyée d’elle, me revient en pensée :

J’y découvrais alors une jeune femme au sourire doux, les yeux noirs, légèrement rieurs, et des cheveux longs aussi noirs que ses yeux. Curieusement, on lui aurait volontiers donné le « type libanais ». Elle pose sur un tabouret, devant un bar, probablement dans une brasserie de New York. La vie lui semble acquise à jamais…

— T’es magnifique Iram, je ne t’imaginais pas comme ça ! Aux vues de tes commentaires sur ta page, je voyais plutôt une jeune femme grosse et moche (suivi d’un émoji qui tire la langue).

— Ahah c’est très gentil de ta part !

En cinq ans, nous ne nous serons jamais rencontrés.

Bien que je fusse son confident, Iram aura toujours été très secrète avec moi.

Une interrogation pointe alors dans mon esprit : pourquoi a-t-elle demandé à Lina de prendre soin de Zeynab, plus que d’Ilef ou de Youssef, les deux autres enfants de Lina ?

Il est vrai que Zeynab a été très tôt diagnostiquée avec un autisme léger. D’ailleurs, je me souviens qu’Iram m’avait dit être venu à Lyon avec Zeynab, chez un spécialiste, pour affiner ce diagnostic.

Nouvelle qui m’avait laissé perplexe, me demandant notamment pourquoi Iram n’en a pas profité pour organiser une rencontre avec moi, et qu’enfin on puisse se voir.

Je demande de nouveau des explications à Lina, qui m’avoue :

— Iram est venu te voir un jour, mais à l’aéroport de Roissy, voulant te faire la surprise, elle a fait une crise hémorragique comme elle en faisait souvent à cause de sa leucémie. Elle a été rapatriée d’urgence à New York. Et il était hors de question pour elle, que tu la vois dans cet état. Mais ce n’est pas tout, Zeynab n’est pas ma fille, mais la fille d’Iram, issue de son viol à Gaza. Iyad revendique la paternité de Zeynab et veut s’en occuper. Hors de question pour moi de me séparer de Zeynab, j’ai fait une promesse à Iram…

Comme je vous le disais au tout début de ce récit, fin de l’histoire… ou pas.

Mai 2017

MOI : Tu te rends compte de la vie que tu as eue si jeune et de tout ce que tu as déjà vécu ?! Tu sais que tu pourrais écrire un livre, tu aurais de quoi raconter.

IRAM : Ahahah oui c’est sûr, je vais l’envisager sérieusement.