Figuratif ou abstrait ? - Carmen Posa - E-Book

Figuratif ou abstrait ? E-Book

Carmen Posa

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Beschreibung

« Figuratif ou Abstrait ? » fait le point sur les moyens employés en peinture et leurs effets expressifs. 
Sans nier l'intérêt des tutoriels qui retracent le parcours de réalisation d'une œuvre, ce manuel encourage l'écoute de soi et la prise de décisions. 
Les repères de composition, dessin, chromatique, volume, perspective, techniques et procédés, permettent de cerner ce qui correspond à ses envies créatives. Ils orientent sans diriger, afin de raccourcir le chemin vers un style pictural personnel. 


APERÇU VIDÉO - montages didactiques : 
Toile blanche ou couche de fond ? : https://youtu.be/9ydIMOFCxBc  
Quelques outils non-conventionnels : https://youtu.be/kqbp8oY-xAw  
Réaliser des dégradés : https://youtu.be/NCj7ZvMjPTQ  
Couleurs complémentaires : https://youtu.be/NZhSBGLEsik  
Mélange optique : https://youtu.be/lIYLyZ3e1Ao  
Réaliser un monotype : https://youtu.be/MjrPjkzDjoo  
Album : https://youtu.be/78c7oEZfh_8 


À PROPOS DE L'AUTEURE


Mon expérience didactique a été riche en opportunités d'échanges et de partage ; le contact direct avec des sensibilités différentes et uniques m'a révélé la grande diversité des aspirations qui motivent la création. Pour les traduire en peinture, le premier pas est de cerner les moyens capables d'exprimer ses ressentis et ses partis pris. Ce qui m’a inspiré l’idée d’un guide de peinture qui explore les options disponibles, tout en fournissant des critères quant à leur choix. Figuratif ou Abstrait ? oriente sans diriger et catalyse les ressources intérieures. 

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Couverture

Remerciements à mes élèves, apprentis, amis artistes peintres

SOMMAIRE

LANGAGE PLASTIQUE ET CRÉATION PICTURALE
Peinture et évolution intérieure
Perception visuelle et langage plastique
Forme naturelle et forme plastique
Langage universel ou expression personnelle ?
Réversibilité ou correspondance ?
Transmission et découverte
Apprenti ou autodidacte ?
Choix et création
DÉMARCHE ARTISTIQUE ET APPROCHE PRATIQUE
Par étapes – ou « alla prima » ?
Intuition ou élaboration ?
ESPACE PLASTIQUE ET COMPOSITION
Le nombre d’or et la règle de trois tiers
Unité et diversité
Hiérarchie et équilibre
Lignes de force et dynamique visuelle
Composition et rythme plastique
Codes et émancipation
FORME ET COULEUR
Trait ou tache ?
Main levée et géométrie
Trait et effet plastique
Détaillé ou stylisé ?
Cerveau droit ou cerveau gauche ?
OBSERVATION ET MÉTHODE
Prémisses et recommandations
La figure humaine – repères et proportions
Juste ou expressif ?
VOLUME ET PERSPECTIVE
Volume et valeurs tonales
Perspective linéaire et perspective atmosphérique
Couleur – système et fonctionnement
Couleur et vocabulaire
Harmonie et contraste
Palette et recherche chromatique
Couleur et signification
Ton local et couleur symbolique
Couleur et analogies sensorielles
TECHNIQUES ET PROCÉDÉS
Huile ou acrylique ?
Procédé et effet plastique
Toile blanche ou couche de fond ?
Dans le frais ou par superposition ?
Opacité ou transparence ?
Aplat ou modulé ?
Mélange physique ou mélange optique ?
Couche fine ou empâtement ?
Lisse ou à reliefs ?
Net ou flou ?
Techniques mixtes et procédés non-conventionnels
Facture et posture
Maîtrise technique et force évocatrice
EXPRESSION PLASTIQUE ET VISION PERSONNELLE
Reproduire ou créer ?
Originalité et influences
Tradition et innovation
Classique, moderne, contemporain
Figuratif ou abstrait ?
Mimêsis et interprétation
Observation et transfiguration
Forme ou contenu ?
Beau ou vrai ?
Logique ou fantaisie ?
Apparence ou essence ?
Abstrait : géométrique ou lyrique ?
Pictural ou décoratif ?
Éthique ou esthétique ?
Progrès ou renouvellement ?
FIGURE HUMAINE ET SUBJECTIVITÉ
CRÉATIVITÉ ET OPTIMISATION
Une aptitude ou une attitude ?
Contraintes ou liberté ?
Alliés et ennemis
Voulu ou accidentel ?
Échec et réussite
Défis et déclics
Brainstorming et sérendipité
Inspiration ou transpiration ?
FOURNITURES ET CRITÈRES DE CHOIX
Les supports
Le gesso
La palette
Les peintures
Les outils
Les pinceaux
Couteaux et spatules
Les outils non-conventionnels
Les auxiliaires
Les liants
Les médiums à peindre
Pâtes et mortiers
Colles et matériaux de collage
Le vernis
MISE EN ŒUVRE ET ASTUCES
Tips & tricks
Santé et environnement
Copyright et copyleft

LANGAGE PLASTIQUE ET CRÉATION PICTURALE

Les formes et les couleurs entretiennent des rapports illimités avec l’existence de l’homme, ses activités et son environnement.

La sensibilité à leur langage favorise l’expression personnelle et la créativité dans tous les domaines du visuel.

« Figuratif ou abstrait ? » n’est qu’une des interrogations qui structurent cet aperçu sur le langage et la pratique de la peinture.

En explorant l’opposition et la complémentarité des moyens d’expression, ce guide donne l’occasion de cerner ses propres envies créatives, et d’identifier les moyens pouvant les traduire en peinture.

Le débutant peut y découvrir des repères, des éclaircissements et des conseils pour dépasser les difficultés.

Le plus expérimenté y trouvera des pistes pour orienter et raccourcir son chemin vers un système pictural personnel.

Débutant et averti sont encouragés à assumer les dilemmes et les joies de la peinture, et à se lancer en confiance à la découverte et à l’expérimentation.

Tout en privilégiant l’acrylique, ce tour d’horizon aborde les aspects les plus généraux de la création plastique.

Les notions théoriques sont abordées de manière concise, en tant que territoires à explorer – et à approfondir, selon affinités, par des recherches plus ciblées.

Transmissibles, les notions de base de composition, dessin, chromatique, sont la prémisse d’un langage pictural opérationnel et inventif.

L’inventaire des moyens d’expression et des modalités de mise en œuvre est accompagné de critères quant à leur choix : les valences plastiques et significatives dont ils sont pourvus.

Inévitablement, leur examen séparé reste un procédé didactique ; en réalité, lorsqu’on peint, l’entière problématique de la peinture est abordée frontalement.

En prospectant les différentes alternatives en rapport avec leur potentiel expressif, ce qui nous correspond devient plus évident.

Décanter ce qui nous définit permet d’écarter ce qui nous est étranger.

Le choix des moyens d’expression, la manière de les combiner et de les nuancer, reflètent la motivation intérieure du peintre et ses aspirations.

En outre, un coup d’œil sur l’éventail de possibilités peut éveiller de nouvelles idées.

L’approche pratique investigue les méthodes de mise en œuvre en les rapportant à l’envie expressive du peintre et aux constantes de sa personnalité.

Les procédés d’application de la couleur, avec les expressivités variées qui en découlent, en sont un aspect central.

Entre tous les aspects pratiques, une attention particulière est consacrée aux.

Les matériaux et les outils étant divers et variés, leur choix sera plus adéquat et leur utilisation plus efficace après un aperçu sur les effets qu’ils permettent d’obtenir. Et nul besoin de trop les multiplier lorsque leur utilisation est inventive.

Les multiples facettes de la création sont illustrées avec des Paroles de peintres (et d’autres créateurs), choisies sans parti-pris. Émanant de personnalités différentes, ces réflexions peuvent parfois sembler contradictoires : la preuve que pour exprimer sa propre vision, la création demande de choisir son camp.

Ces concentrés d’expériences diverses sont une source d’enrichissement spirituel et d’inspiration ; de nos jours, le peintre n’est plus tenu de rester figé sur un point de vue ou une prise de position. En création, la plus juste et meilleure approche est celle qui permet à l’artiste d’entrer en résonance avec le spectateur, tout en restant fidèle à lui-même.

« La liberté commence où l’ignorance finit. »

Victor Hugo

« La peinture vient de l’endroit où les mots ne peuvent plus s’exprimer »

Gao Xingjian

« Il y a dans la peinture quelque chose de plus, qui ne s’explique pas, qui est essentiel. »

Pierre-Auguste Renoir

« La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. »

Albert Einstein

peinture et évolution intérieure

Reflet du monde et expression de soi, la création artistique est l’une des activités humaines les plus élevées.

L’envie de s’exprimer au travers de la peinture répond au besoin d’interroger le visage des choses, tout en conviant les propres ressentis, rêves ou idéaux à révéler le leur.

Éloignant de la routine, la peinture canalise l’énergie créatrice et réveille des capacités latentes : lorsqu’on utilise ses qualités, on s’en découvre de nouvelles. L’activité créative cultive la sensibilité, stimule l’analyse, l’ouverture et la réactivité.

Alliant structure et liberté, concept et matière, la pratique de la peinture favorise l’équilibre intérieur, renforce et redéfinit la personnalité.

Les toiles qu’on a peintes personnalisent son environnement, ouvrent la communication avec les autres et le partage.

Si l’adage du philosophe (Descartes) est « Cogito, ergo sum », celui de l’artiste-peintre ne pourrait pas être : « Je peins, donc j’existe » ?

« Faites toujours que votre tableau soit une ouverture au monde. »

Léonard de Vinci

« Il n’y a pas d’art, il n’y a que des hommes. »

Alfred de Musset

« L’art, c’est l’homme ajouté à la nature. »

Vincent Van Gogh

perception visuelle et langage plastique

Déjà dans le contexte de notre environnement quotidien, les formes, les couleurs, les volumes, nous « parlent » ; leurs attributs et particularités – chromatique, spatialité, consistance, texture – construisent une représentation du monde riche en significations. Toujours accompagnées d’autres perceptions – mouvement, son, température, goût, odeur – les perceptions visuelles se chargent de connotations supplémentaires, et envoient des impressions diverses.

Le lien fort qui s’établit entre les différentes perceptions les rendent parfois indissociables. Par exemple, les couleurs dites chaudes sont ressenties ainsi grâce à l’association involontaire avec des éléments de la nature (soleil, feu), une superficie texturée peut suggérer le relief, les courbes évoquent la souplesse, les contrastes frappants suggèrent la proximité, et les obliques évoquent le mouvement.

Si dans l’environnement naturel les formes et les couleurs participent à la signalisation d’événements ou de phénomènes, comme (par exemple) la pluie ou le beau temps, dans le contexte de la création visuelle leur vocation est, avant tout, d’exprimer l’homme, ses ressentis et ses pensées.

Familières à l’humain grâce au monde sensible, les formes et les couleurs prêtent leur potentiel de communication à la peinture, qui le sublime par la valeur ajoutée de la création.

En différence à la littérature, qui se soumet à la codification précise du langage verbal, le langage plastique se sert de codes souples, prêts à être ré-inventés en permanence. Son caractère allusif favorise une communication nuancée et complexe, qui permet d’atteindre des aspects ineffables de l’humain et de l’existence.

Lorsqu’elle est issue d’un ressenti authentique, la peinture n’a pas à craindre la grande liberté d’interprétation du spectateur.

« Si on pouvait le dire avec des mots, il n’y aurait aucune raison de peindre. »

Edward Hopper

« La vie imite l’art, bien plus que l’art n’imite la vie »

Oscar Wilde

« Il faut commencer par éprouver ce qu’on veut exprimer »

Vincent Van Gogh

forme naturelle et forme plastique

On vit tous l’expérience du même monde visible et on regarde les mêmes paysages ou visages – mais chaque regard est différent. Sur l’écran de la sensibilité personnelle, l’aspect d’une image est variable, marqué par la psychologie individuelle et collective.

La peinture est le reflet du regard subjectif qui fait que, même peints d’après le même motif, jamais deux tableaux ne seront identiques.

Intégrant vécu et savoir, la perception ne s’arrête pas uniquement sur les repères objectifs. Ainsi, même en dépit d’une volonté de restituer le motif, le peintre reportera sur sa toile une image plus ou moins éloignée de celui-ci, à la fois tronquée et enrichie.

La forme plastique n’est pas le miroir de la forme naturelle.

À cela s’ajoute le fait que le peintre n’est pas le seul à créer ; chaque spectateur participe à la création de l’œuvre, en la filtrant par sa propre perception.

Idéalement, lorsqu’il « pénètre » dans une toile, le spectateur revit l’émotion de celui qui l’a créée, et ressent un sentiment d’adhésion, d’enrichissement spirituel. Mais en même temps, en s’y projetant avec son propre tempérament et son vécu, il l’interprète à sa manière.

Pareil à une partition musicale, sujet d’interprétations multiples, un tableau peut s’enrichir de sens, dont certains n’avaient même pas été envisagés par son créateur.

Contrairement aux communications visuelles qui émettent un message concis et précis (publicité, signalétique), la peinture a la faculté de déclencher un dialogue beaucoup plus personnel avec chacun de ses spectateurs.

LaJocondenous introduit quelque peu dans l’univers de Leonard ; mais nos Jocondes respectives ne sont sûrement pas identiques, puisque chacun de nous peut se sentir plus proche d’un autre aspect de la pensée du maître florentin, et la perception de chacun sera influencée par ses affinités personnelles.

« Le dessin n’est pas la forme, il est la manière de voir la forme. »

Edgar Degas

« Ce sont les regardeurs qui font les tableaux. »

Marcel Duchamp

« La réalité d’une œuvre, c’est le triple rapport qui se crée entre la chose qu’elle est, celui qui l’a produite et celui qui la regarde »

Pierre Soulages

langage universel ou expression personnelle ?

En dépit de cette double subjectivité – celle du peintre et celle du spectateur – l’objectivité en matière d’art est possible. Et nécessaire, pour nourrir un vrai dialogue.

L’image possède un lexique, une morphologie et une syntaxe. Seulement, le code de la peinture n’est pas immuable ; il suit les évolutions et révolutions qui changent le monde, la culture et la création.

Souple et ouvert, le langage pictural a développé, au fil de son histoire, des langages particuliers et des styles distincts.

En peinture, les courants réunissent des artistes d’une époque précise, dont les œuvres se caractérisent par des recherches picturales convergentes.

Les tendances désignent une certaine concordance des recherches de plusieurs artistes.

Le style d’un artiste est sa manière unique d’expression.

Les affinités stylistiques peuvent « rapprocher » même des peintres appartenant à des époques éloignées, par des similitudes de sensibilité. Ces parentés spirituelles révèlent la permanence des caractéristiques générales de l’humanité, qui réapparaissent constamment, sous des formes sans cesse renouvelées.

Fondée sur une immanquable constante – l’expressivité des formes et des couleurs – la peinture est un véritable langage dédié à la communication. Les formes et les couleurs, véhiculant suggestions et significations qui ne connaissent pas des frontières, lui confèrent son indéniable universalité.

S’adressant sans intermédiaire à la sensibilité, l’harmonie des accords, la violence des contrastes, la douceur des courbes, l’agressivité des angles, la transparence ou le relief de la matière, ne demandent pas à être expliquées.

Grâce aux analogies avec le monde apparent, la peinture la plus subjective ou la plus abstraite est capable de toucher l’imaginaire du spectateur, en dépit des barrières culturelles ou temporelles.

Hormis l’accessibilité par les sens, la peinture doit sa portée universelle aux constantes psychologiques de la nature humaine.

Tout en scrutant cette ressource de morphologies et de chromatiques qui est l’environnement de l’homme partout au monde, l’artiste ne reste pas moins attentif à son univers intérieur. En peignant, il se confesse, transpose ses sentiments, dit ses opinions, rêve de perfection ou s’évade vers des mondes imaginaires. Quel que ce soit le message envoyé, toute expression authentique porte, inévitablement, l’empreinte de la subjectivité.

Indissociable du monde extérieur, la création picturale est, en même temps, imprégnée de tout ce qui peut être de plus particulier : le tempérament, la pensée, l’émotion de l’artiste.

« Dans la véritable œuvre d’art, il y a la confession ardente. »

Georges Rouault

« L’art c’est la nature vue à travers un tempérament. »

Maurice Denis

« Les toiles sont les pages des journaux intimes des peintres. »

Zao Wou Ki

« La vérité est que l’art doit être l’écriture de la vie. »

Edouard Manet

« Le peintre doit tendre à l’universalité. »

Léonard de Vinci

réversibilité ou correspondance ?

Manifestations de notre nature profonde, donc puisant aux mêmes sources, les différents arts présentent des analogies et partagent, parfois, des moyens communs d’expression.

Métaphore, personnification, antithèse, hyperbole et autres procédés classiques de la littérature tiennent une place de choix dans les arts visuel.

Le rythme est propre à la composition musicale ou à la chorégraphie, mais aussi à la composition plastique.

La rime pourrait correspondre en quelque sorte à ce qu’on appelle rappel en peinture.

Sans posséder, comme la sculpture, la troisième dimension, la peinture a les moyens pour convertir le volume, et l’architecture se voit re-créée grâce aux lois de la perspective.

L’idée de « traduire » en peinture une œuvre littéraire ou une pièce musicale (ou inversement) est tentante, mais en pratique, une transcription fidèle reste fantaisiste : l’image ne peut pas être racontée, la poésie ne peut pas être peinte, la sculpture ne peut pas reproduire le mouvement de la danse. Et heureusement, car sans l’unicité du témoignage qu’il apporte, aucun de ces langages ne trouverait plus une raison d’être.

Si la perception et l’intellect jettent de nombreux ponts entre les arts, leurs langages respectifs diffèrent et ne sont pas réversibles.

Inévitablement, les arts de l’espace (peinture, dessin, sculpture, architecture) et les arts du temps (musique, danse, théâtre, cinéma) emploient des moyens spécifiques.

En dépit de cela, leur dialogue est une généreuse ressource pour la création.

Bidimensionnelle et immobile, la peinture peut transformer ces contraintes en opportunités pour l’expérimentation. Evoquer la succession des mouvements, l’écoulement du temps ou le sentiment lyrique sont des défis ayant déjà donné des œuvres remarquables.

La Bataille de San-Romanode Paolo Uccello,La Dansede Matisse,Nu descendant un escalierde Marcel Duchamp, lesFuguesde Kandinsky,Boogie Woogiede Mondrian en sont des plus célèbres.

Illustration plastique de rythmes sonores, transfiguration inspirée par le mouvement, interprétation picturale à connotation sculpturale ou architecturale, métaphore poétique ou évocation épique – la peinture peut jouer la carte des interférences, et des ressources de tout horizon peuvent l’enrichir de nouvelles valences.

« Comme de longs échos qui de loin se confondent (…) Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »

Charles Baudelaire

« J’essaie d’appliquer des couleurs comme des mots qui forment des poèmes, comme des notes qui forment la musique. »

Joan Miro

« Quand j’ai fait un beau tableau, je n’ai pas écrit une pensée. »

Eugène Delacroix

« On ne peut pas trouver de langage pour parler de peinture. La peinture est un langage en soi. »

Marcel Duchamp

« Les titres des tableaux ne sont pas des explications et les tableaux ne sont pas des illustrations des titres. »

René Magritte

transmission et découverte

L’étude d’une langue quelconque ne nous transforme pas en poètes, et l’étude du langage plastique ne nous consacre pas forcément artistes-peintres ; de nombreuses créations ne doivent pas beaucoup à l’enseignement ou à la culture.

Comme le chant d’oiseau, parfois l’art semble venir au monde tout seul – expression de la sensibilité individuelle et collective. Sans règles et normes, le sentiment et la pensée créent d’un seul geste des formes ravissantes : c’est sans doute le cas des créations infantiles, ou des certains artistes singuliers, et en quelque sorte l’art des civilisations premières.

Il ne faut pourtant pas oublier que même l’œuvre dite « primitive » est, le plus souvent, le fruit d’une longue évolution ; transmise, enrichie et décantée pendant des générations, elle atteint des sommets. De même, les réalisations dites « naïves » ne sont le sont pas toujours autant qu’on pourrait le croire. L’artiste « naïf » est loin d’ignorer les traditions de sa communauté ; parfois il se sert de « modèles » empruntés aux prédécesseurs, et greffe son ressenti sur un tronc ayant des racines bien profondes.

L’ascendance culturelle est ouvertement assumée par des créateurs ayant à leur tour eu un impact sur l’évolution de l’art ; les plus avant-gardistes des peintres ont exploré avec passion l’art consacré – autant pour en tirer parti, que pour le contester.

De l’autre côté, l’enseignement artistique n’échappe pas à une permanente remise en question.

L’enseignement ne pourra jamais être, à la fois, et assez libre et assez structuré, pour satisfaire des attentes toujours opposées.

Si une transmission trop rigoureuse entraine, pour de bonnes raisons, la contestation, la découverte par expérimentation laissera insatisfait celui qui est à la recherche d’un cadre qui puisse lui fournir les repères du savoir-faire.

Cet aspect ne manque pourtant pas de mérite : l’élan contestataire et la recherche de soi sont plus stimulés par une approche qui ne convient pas. Souvent on identifie ce qu’on aime par opposition à ce qu’on déteste.

Le temps ou l’apprenti-peintre était longuement réduit à des tâches artisanales ou à copier le style du maître est révolu. Le maître n’est plus un modèle à suivre, mais un intervenant censé ouvrir l’esprit de l’apprenti et le guider de manière non-autoritaire. Sa mission est de transmettre, de manière souple, les connaissances liées au langage et à la pratique de la peinture, tout en favorisant la connaissance de soi et l’expression personnelle.

S’imprégner de divers enseignements c’est élargir son horizon, se libérer des croyances limitantes sur soi et sur la création, sans s’enfermer dans un moule.

Connaitre des normes ne veut pas dire les prendre pour des dogmes.

Les acquis sont des instruments de réflexion créative, qui permettent d’explorer de manière autonome, de cerner et approfondir ce qui convient à sa personnalité.

Lieux de rencontres heureuses et d’émancipation, les écoles d’art, sous toutes les formes, ont encore de beaux jours devant elles, car l’émulation et l’échange favorisent un état d’esprit essentiel à la construction de son identité d’artiste et de peintre.

À son tour, le manuel est censé apporter des références et des clarifications qui nourrissent la créativité. Contrairement à un livre de recettes, il ne fournit pas la liste d’ingrédients, accompagnée de l’algorithme à suivre pour arriver à un résultat garanti.

On ne peint pas en suivant un algorithme recommandé, mais en élaborant sa façon de faire, à partir d’« ingrédients » choisis selon sa propre sensibilité et combinés selon son imagination.

Par différence des traités d’art de la Renaissance, expliquant les prestigieuses avancées de l’époque, un manuel contemporain a vocation à souligner la polyvalence des notions présentées, en vue d’une utilisation flexible et personnelle. Les dogmes font place aux principes souples, encourageant à la réflexion face aux multiples choix que l’acte de création implique.

La pratique de la copie d’après des œuvres d’art permet de déchiffrer, par immersion, certaines solutions picturales. Complémentaire à la théorie, une telle expérience ne peut être qu’enrichissante. Les artistes ont été, depuis toujours, les premiers à vouloir comprendre par quels moyens une œuvre d’art atteint l’excellence, et à vouloir les étudier en pratique.

En dehors de son intérêt didactique, l’intimité avec la création des maîtres à travers la copie peut apporter des réponses concrètes à ses propres recherches.

Le tutoriel photo ou vidéo ouvre virtuellement l’atelier de son auteur, pour révéler, « pas à pas » le processus de réalisation d’une peinture. C’est en quelque sorte une version contemporaine de la transmission des secrets du savoir-faire par la pratique, comme autrefois. Suivre le travail en progression est toujours incitant, et permet à l’utilisateur de se faire un aperçu sur les matériaux, les étapes et les procédés de mise en œuvre.

En accomplissant le cheminement indiqué, l’utilisateur peut espérer un résultat immédiat – mais, aussi satisfaisant qu’il serait, ce résultat ne sera pas sa création.

En présentant les actions qui amènent à un tel résultat, le tutoriel se limite à un contexte précis, ce qui restreint aussi son impact sur la réflexion plastique. Reproduire les actions de quelqu’un d’autre freine la décision personnelle, capacité qui se gagne uniquement par la voie – un peu plus longue – de la culture et de l’expérimentation.

Quelle que soit la voie d’apprentissage, son but est l’expression personnelle – attribut primordial de la création.

Théorie et savoir-faire ont leur apport à l’édification d’un langage plus maîtrisé et plus fluent ; toutefois, les ignorer de temps à l’autre permet de mieux rester à l’écoute de soi, pour tracer son cheminement en liberté.

« Plus on connaît, plus on aime. »

Léonard de Vinci

« Si j’ai vu plus loin que les autres, c’est parce que je me suis placé sur les épaules de géants. »

Isaac Newton

« La peinture s’apprend dans les musées. »

Pierre-Auguste Renoir

apprenti ou autodidacte ?

Diplômé de l’enseignement artistique ou autodidacte, l’artiste reste, tout le long de son parcours, un éternel apprenti, ne cessant jamais de s’intéresser à tout ce qui peut servir son art.

Celui qui a des choses à exprimer trouvera toujours moyen de le faire, et découvrira, même sans intermédiaire, au fil de ses expériences, le potentiel du langage de l’art.

On devient artiste grâce à une implication profonde dans sa création.

Etre autodidacte ne veut pas dire exempt d’instruction : chacun dispose d’un background, auquel il ajoute, parfois même sans s’en apercevoir, des références artistiques piochées au gré de ses affinités. Le fait de s’instruire par soi-même ramène à se servir plus de son intuition, à se laisser guider par ses inclinaisons profondes – ce qui n’empêche pas l’évolution de la sensibilité plastique et de l’esprit critique.

Lorsqu’il nie l’utilité des académies, le vrai autodidacte n’est pas moins avide de connaissance que l’étudiant ; de manière non-dirigée, il explore avec passion et ténacité tout ce qui est lié à ses préoccupations, afin d’étoffer et nuancer son propre langage.

Une formation artistique intègre les repères culturels d’une manière plus systématique, afin d’assurer une base de départ plus large. Cet élargissement est censé stimuler la capacité de faire des choix personnels et le désir d’expérimenter.

Anciennement, la formation en peinture artistique s’appuyait sur l’étude de la nature et surtout sur la transmission du savoir-faire des maîtres auprès desquels l’apprenti était initié ; le fait de copier la manière de ceux-ci lui apportait une structure dans l’élaboration et des compétences pratiques. Cela n’a jamais empêché les plus forts de se détacher par la suite des influences trop pesantes, pour trouver une voie personnelle.

Ayant suivi une formation ou pas, l’artiste ne peut jamais se limiter à ce qu’il sait déjà faire. Son intérêt pour le passé et la fréquentation de la culture vivante lui font découvrir de nouveaux angles de vue, qui font évoluer son intuition et son discernement.

Croiser son propre ressenti à des visions différentes est toujours une expérience enrichissante. En outre, non seulement les œuvres significatives peuvent avoir un impact révélateur sur ses créations futures ; parfois, ce sont des tentatives moins abouties qui déclenchent l’inspiration.

L’ouverture face à l’ensemble d’expériences accessibles à tout un chacun – lectures, musées, expositions, rencontres d’artistes, ressources web ou simplement la vie quotidienne – est la seconde nature du créateur. Et d’autant plus dans un contexte de transformation continue de la sensibilité envers l’art, où la formation permanente est de mise.

On évolue dans un environnement qui est en lui-même formateur ; ses divers canaux culturels – formels ou informels – ont des apports complémentaires.

Créateurs et consommateurs d’art, nous découvrons la peinture avec les sens, mais sans se déconnecter de l’intelligence et de la culture. Si sur le plan de la perception certains aspects se dévoilent sans difficulté, d’autres peuvent demander des compétences acquises ; même la peinture dite « primitive » et celle des maîtres anciens exigent un œil averti. Comprendre comment l’œuvre d’art « fonctionne » n’empêche pas d’y rester sensible et de l’apprécier – même davantage.

« En art, a priori, les écoles n’existent pas. »

Paul Cézanne

« L’artiste doit avoir quelque chose à dire. »

Vassily Kandinsky

« Les talents nés trouvent d’instinct le moyen d’arriver à exprimer leurs idées. »

Eugène Delacroix

« Depuis Van Gogh, nous sommes tous des autodidactes. »

Pablo Picasso

choix et création

La possibilité de choisir est une aspiration qui concerne toute action humaine, mais dans l’activité de création cette liberté est essentielle.

Echelonné d’intuitions, de choix volontaires et de hasard, le parcours de création d’une peinture sollicite la prise de décisions jusqu’au dernier coup de pinceau. Puisqu’au choix du sujet, du matériel, des moyens d’expression, des moyens de mise-en-œuvre, s’ajoute la gestion de l’imprévisible.

Si l’intuition est le moteur essentiel de la création, pour faire avancer une démarche, elle collabore avec la pensée et le savoir. Une certaine connaissance du langage de la peinture, de son potentiel expressif et des options liées à la mise en œuvre, permet de mieux choisir ce qui correspond aux propres aspirations.

Fil conducteur, le principe du choix vise à dynamiser la réflexion créative. Vu leur dualité, voire leur polyvalence, les facteurs concourant à la création picturale sont abordés avec objectivité et recul.

Ni exclusives, ni exhaustives, et inévitablement réductrices, les alternatives sont examinées en corrélation avec les effets et les expressivités qui en découlent. Ces alternatives laissent présumer la richesse des possibilités dans le contexte d’une démarche picturale réelle, et témoignent de la liberté en création. Mais avant tout, elles tentent d’inspirer les choix du débutant – ou de les conforter.

Il n’existe pas de bonne ou de mauvaise option ; le filtre de la sensibilité propre retiendra celle qui convienne à sa démarche.

Confronté souvent au doute, même pour l’artiste expérimenté, le choix reste un défi. À relever en cultivant la confiance en son intuition – le plus fiable des arbitres.

Choisir avec son intuition semble évident pour les tempéraments guidés par l’émotion. Pour d’autres, le besoin de créditer ses choix avec la réflexion s’impose.

Ces deux représentations extrêmes sont virtuelles, car en réalité il n’existe pas d’artiste dépourvu de sensibilité, ou dépourvu de réflexion. Chacun possède les deux, et, si leurs poids et leur alchimie diffèrent, cela fera une bonne prémisse pour la très convoitée originalité.

« Toute la peinture est dans les sacrifices et les partis pris. »

Francisco de Goya

« L’art est choix, sélection et même hiérarchie intérieure. »

Georges Rouault

« Celui qui a le choix a aussi le tourment. »

Proverbe allemand

« La liberté est choix. »

Jean-Paul Sartre

« Choisir, c’est se priver du reste. »

André Gide

« Le seul mauvais choix est l’absence de choix. »

Amélie Nothomb

DÉMARCHE ARTISTIQUE ET APPROCHE PRATIQUE

La démarche artistique concerne autant l’idée de départ, que sa matérialisation. Une expression picturale personnelle est fondée une intention expressive, qui détermine le choix des moyens capables de la transmettre au spectateur.

Précisée ou non par le peintre, la démarche implique donc un point de vue, un message – qui découlent de ses motivations intérieures, de ses réflexions par rapport à l’environnement extérieur, de ses aspirations et de ses affinités artistiques.

Pour mettre en œuvre son projet, le peintre décide de ses partis-pris artistiques (la structure de la composition, la chromatique, la facture etc.), du matériel (nature et format du support, outils, etc.), ainsi que des méthodes et procédés.

La démarche créatrice est le germe et le terreau de l’œuvre.

Se référant à l’ensemble de l’œuvre d’un peintre, la démarche est la vision globale de son auteur, les constantes qui la définissent et qui la singularisent.

Dans le contexte d’un projet précis, la démarche créative désigne le fil conducteur – du déclic initial jusqu’aux moyens à employer pour atteindre le but visé.

Emanant de la personnalité du créateur, une démarche artistique ne peut être que spécifique et originale ; elle caractérise l’œuvre et singularise l’auteur.

L’élaboration de sa démarche suppose une introspection identifiant les idées et les émotions qu’on veut exprimer, suivie de l’établissement d’un itinéraire de mise en œuvre.

En pratique, les deux aspects peuvent se confondre et même se redéfinir, en fonction des événements qui jalonnent le processus de création.

La mise en œuvre peut osciller entre une méthode structurée en étapes précises, et une exécution spontanée, qui n’anticipe pas les actions.

En création il n’existe pas de méthode unique et immuable ; un aperçu sur les approches pratiques habituelles peut être une bonne prémisse pour inventer ses propres règles.

En expérimentant les différentes possibilités, on acquiert l’habitude de conduire un raisonnement qui permet de poursuivre un objectif et tracer l’itinéraire pour l’atteindre ; en subsidiaire, on acquiert l’aptitude de tirer parti de l’imprévu.

Conduit de manière méthodique ou plutôt intuitive, le processus de création se doit de rester en permanence ouvert aux recherches et aux changements de route.

« Il faut réfléchir, l’œil ne suffit pas. »

Paul Cézanne

« Il y a dans la peinture quelque chose de plus, qui ne s’explique pas, qui est essentiel. »

Pierre-Auguste Renoir

« La peinture ne saisira le mystère de la réalité que si le peintre ne sait pas comment s’y prendre. »

Francis Bacon

« Travailler en raisonnant. Juger sans raisonner. »

Pierre Bonnard

par étapes – ou « alla prima » ?

L’approche classique est le travail par étapes, où l’œuvre est élaborée de manière progressive. C’est une stratégie qui permet d’adopter une ligne claire de conduite vers le résultat escompté.

La division en étapes est une méthode pédagogique, transmissible.

Les étapes qui structurent le parcours sont bien ordonnées :

– le travail de recherche : réflexion sur le sujet, documentation, analyse, décantation des idées et des éléments à prendre en compte

– l’élaboration mentale d’un aperçu de l’image

– projection de la mise en œuvre (identification des moyens plastiques et techniques)

– le croquis de conception, sommaire et de petite dimension ; multiplier les versions permet de tester l’efficacité de l’agencement

– l’esquisse plus poussée (optionnel) – sur un format plus grand, éventuellement avec des valeurs/couleurs ; parfois, certains éléments sont approfondis séparément, en tant qu’études

– la transposition de l’esquisse sur le support de destination trace la structure générale de la composition

– l’ébauche – la première couche de couleur, qui donne un aperçu de la chromatique ; en couche fine, l’ébauche permet aisément les modifications

– l’application de la couche picturale qui restera visible pour le regardeur, habituellement avec une matière plus consistante, impliquant d’habitude des reprises et des superpositions

– la finition : précision ou affinement de certains éléments, ajustement éventuel des teintes

– le vernissage, qui uniformise les éventuelles différences de brillant de la couche picturale, et surtout assure sa protection.

Donc, la quête picturale ne commence pas forcément par l’action immédiate ; et le plus souvent, le temps investi dans les étapes préparatoires raccourcit le parcours de réalisation.

Le fait que l’élaboration précède l’exécution est rassurant ; la division en étapes permet de prendre à l’aise ses décisions.

En pratique, l’application progressive de la couleur du mince vers épais optimise le temps de travail.

Consacrée par la peinture à l’huile et souvent adoptée à l’acrylique, l’ébauche fine permet de continuer sans attendre.

Planifier la succession des phases ne réduit pas le devenir de la peinture à un simple travail d’exécution. Chaque étape est censée mûrir, nourrir, et porter plus loin l’idée de départ. Efficace, la méthode traditionnelle ne demande pas d’exclure la spontanéité et l’inspiration du moment.

Un travail excessivement méthodique peut donner un résultat froid, impersonnel.

L’enchainement d’événements ne peut pas être complètement dominé par le peintre, mais il peut être orienté vers le but espéré.

« Qui pense peu, se trompe beaucoup. »

Léonard de Vinci

« Ébaucher avec un balai, finir avec une aiguille. »

Eugène Delacroix

« Le peintre qui traduit par pratique et jugement de l’œil, sans raisonnement, est comme le miroir où s’imitent les choses les plus opposées, sans cognition de leur essence. »

Léonard de Vinci

« Il n’y a que celui qui sait ce qu’il veut qui se trompe. »

Georges Braque

« Aucun art n’est aussi peu spontané que le mien. Ce que je fais est le résultat de la réflexion et de l’étude des grands maîtres. »

Edgar Degas

A l’opposé, des tempéraments plus rebelles n’hésitent pas à bouleverser tout ordre préétabli, avec des résultats surprenants et originaux. Le refus de reproduire même une image issue de sa propre vision, ainsi que le besoin de s’exprimer avec spontanéité, conduisent à une exécution rapide, qui se confond avec la conception.

La manière directe consiste en l’application de la couleur « définitive » sans une préparation préalable, En supprimant l’étape de l’ébauche, voire celle des recherches préliminaires, elle peut conduire à la réalisation du tableau sur une seule session.

Le fait que recherche et réalisation soit simultanées favorise l’expression spontanée.

Se lancer directement dans la couleur sans un projet précis ne laisse pas beaucoup de place aux normes et aux clichés.

L’artiste découvre l’œuvre en la réalisant ; les formes et les couleurs issues du premier jet expriment l’émotion inaltérée, et rend plus puissant leur impact.

Cependant, la manière directe n’exclut pas nécessairement une préparation préalable, soit-elle mentale ou matérialisée en croquis. Parfois, elle ne concerne que la mise en œuvre.

En tant que méthode d’exécution, la manière directe ou « alla prima » n’est pas une invention récente ; elle était imposée aux artistes de la Renaissance par la peinture murale « al fresco », qui ne donnait pas droit à l’erreur et au repenti ; alors ils exécutaient en avance sur papier une « maquette » de la peinture, pour la transposer sur le mur plus ou moins fidèlement, morceau par morceau.

« Alla prima » a été rendue célèbre par les œuvres sur le motif des impressionnistes, obligés de peindre rapidement, avant que le changement d’éclairage ne modifie les effets de lumière qu’ils souhaitaient de capter sur la toile.

Dans la peinture contemporaine, la manière directe est un choix délibéré, les contraintes étant moindres : la photo permet de fixer le motif sous un éclairage choisi, et les peintures actuelles permettent aisément les retouches.

Transposition d’un projet conçu d’avance ou d’une image mentale, la méthode directe implique de travailler rapidement dans la couleur fraîche, d’oser les juxtapositions et les fusions sans attendre le séchage. Le geste doit être rapide et sûr, sans trop de repentis, afin de conserver l’intensité initiale de la couleur et la trace de l’outil.

Travailler trop longuement dans le frais peut « fatiguer » les couleurs, qui deviennent ternes.

La peinture « au premier jet » est le choix privilégié des tempéraments extravertis, aimant les impressions visuelles puissantes, et qui sacrifient volontiers les détails, en faveur de la force d’une touche libre et expressive.

Grâce à leur souplesse, les peintures à l’huile sont idéales pour travailler « alla prima ». À même effet, les acryliques sont à utiliser en abondance, ou à améliorer avec un produit dédié (retardateur de séchage).

Peindre « alla prima » c’est espérer que la première couche de peinture sera la bonne et la dernière – mais aussi assumer le risque de devoir tout recommencer à zéro.

La reprise reste toujours possible, après séchage ; les reliefs laissés par une couche épaisse peuvent donner un plus de plasticité à la reprise.

En pratique, l’approche méthodique et la méthode directe peuvent s’entremêler. Selon les évolutions, un projet bien réfléchi peut se voir détourné par un effet du hasard, et un travail commencé sous l’inspiration du moment peut être le départ vers une démarche élaborée.

La méthode repose sur les aspirations personnelles, sur son mode de fonctionnement, et évolue au fil des expériences ; elle se doit de rester souple, et ouverte aux changements.

« L’exécution, dans la peinture, doit toujours tenir de l’improvisation. »

Eugène Delacroix

« C’est ce que je trouve qui me dit ce que je cherche. »

Pierre Soulages

« Il faut représenter les choses telles qu’on les voit en première impression. »

Paul Cézanne

« Ce que j’essaie toujours de faire, c’est d’éliminer l’intervalle qui sépare la pensée du faire. L’idéal, c’est de penser et de faire dans la même seconde, la même fraction de seconde. »

Philip Guston

intuition ou élaboration ?

Jamais entièrement prédéterminé, le parcours de création peut être sinueux, voire tortueux. Ses repères (investigation du sujet, production d’images mentales, le choix de la meilleure solution et des moyens pour la mettre en œuvre) n’imposent pas un comportement précis : il peut varier du respect du parcours prévu, jusqu’au laisser aller de l’inspiration, qui n’hésite pas de brûler une étape, ou à les suivre en désordre.

Facteur déclencheur et fil conducteur, l’émotion est, certes, la raison d’être de la création. Agir sans arrière-pensée, privilégier son « âme d’enfant » fait ressortir des émotions qui donnent à l’œuvre son côté ineffable.

Seulement elle s’accomplit pleinement grâce aux filtres intellectuels. Même chez les plus « instinctifs » des peintres, l’émotion est inséparable de la réflexion.

Ces deux moteurs de la créativité embrassent dans leur engrenage l’être entier, des instincts les plus primaires jusqu’à la pensée la plus élevée. Si on peut parler de la prédominance de l’un, l’autre n’est jamais exclu.

L’élément affectif, émotionnel, tel que rencontré dans les créations enfantines, est primordial non seulement dans l’art naïf, l’art brut, l’art singulier, mais également dans la peinture fauviste ou expressionniste, et dans certaines approches impressionnistes, abstractionnistes, conceptualistes.

La composante intellectuelle semble assumée dès la préhistoire : les représentations rupestres sont le fruit des idées et des croyances, l’art stylisé des Égyptiens est un vrai code de symboles, l’antiquité gréco-romaine reflète dans l’art ses idéaux, la Renaissance a élaboré sans cesse des canons et des théories.

Dans l’art moderne et contemporain, intuition et réflexion s’accompagnent pour explorer la structure interne des choses et pour dévoiler les aspects inobservables du monde. La théorie de la couleur – même si la couleur est indéniablement associée à la sensibilité – a révolutionné la peinture et continue d’appuyer l’inspiration.

L’intuition n’est pas nécessairement liée au geste spontané ; parfois c’est la vision du peintre qui relève d’une intuition. Des œuvres importantes ont été réalisées de manière très élaborée, éliminant la moindre trace d’improvisation et d’accidentel.

L’œuvre deMondrian, exemple d’une recherche lucide de perfection formelle et d’un équilibre quasi-mathématique, ne manque pas de poésie ; également celle deVasarely, dont la rythmique est extraite de formules scientifiques et la perception est fondée sur les effets d’optique.

La spontanéité peut donner un résultat frappant et transmettre une émotion forte, mais si la démarche est confuse, cela ne suffit pas pour établir une véritable communication et ne retiendra pas l’attention pour longtemps.

La communication avec le spectateur se réalise grâce à l’osmose entre l’authenticité du ressenti et la pensée.

L’accord entre ces deux facteurs indissociables et complémentaires se négocie lors de la réalisation de chaque œuvre prise à part.