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L’histoire de la construction des droits de l’homme a des racines bien au-delà de la très célèbre Déclaration française. On les aperçoit dès les plus anciennes civilisations connues, notamment en Égypte et en Mésopotamie. C’est cette vaste période allant de l’Antiquité à 1789, très largement oubliée des juristes, qui fait l’objet de cet ouvrage synthétique.
Nous voyons tout au long de l’ouvrage que les différentes périodes de l’histoire (Antiquité, Moyen Âge et Époque moderne) recèlent de très nombreux textes, pour l’essentiel injustement méconnus, qui ont contribué à la naissance des droits de l’homme tels que nous les connaissons aujourd’hui. Ils permettent également de mettre en lumière les avancées, parfois majeures, qui ont été réalisées en d’autres temps, par des civilisations souvent lointaines.
Il convient également de rappeler que les textes et institutions qui seront présentés restent très éloignés de l’acception moderne des droits de l’homme. Les droits de l’homme sont, en effet, un produit de la modernité. Ils nécessitent, pour voir le jour, que les notions de liberté, d’égalité et d’individu soient au coeur de la pensée politique mais également au coeur de la structure de la société.
L’ouvrage n’a pas la prétention de présenter de manière complète et exhaustive les diverses manifestations de la protection des individus dans la vaste période annoncée. Il se contente de donner quelques clés de lecture de textes essentiels.
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Éditions Bruylant
Espace Jacqmotte
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ISBN : 978-2-8027-5066-6
La collection « Cahiers de droit international » a l’ambition et vocation à accueillir des études et travaux d’une grande qualité scientifique consacrés aux aspects tant classiques que récents du droit international. Elle veut, à ce titre, être le témoin de l’évolution internationale dans ses diverses dimensions, juridique, théorique et pratique, avec un intérêt particulier pour les questions nouvelles ou problématiques. Elle devrait par conséquent intéresser tous ceux auxquels elle s’adresse : enseignants-chercheurs, doctorants, juristes, praticiens et diplomates.
Elle est placée sous la direction de Stéphane Doumbé-Billé, professeur à l’Université Jean Moulin-Lyon 3 où il dirige le Master 2 recherche de droit international public, le Centre de droit international et les « Petits Cahiers du CDI ».
Parus dans la même collection :
– Doumbé-Billé S., Nouveaux droits de l’homme et internationalisation du droit
– Metou B. M., Le rôle du juge dans le contentieux international
– Doumbé-Billé S., Justice et solidarité dans la société internationale
– Alexandre A.-G., Risques environnementaux
– Doumbé-Billé S., La régionalisation du droit international
– Neri K., L’emploi de la force en mer
– Aivo G., Le statut de combattant dans les conflits armés non internationaux
– Robert L., L’environnement et la Convention européenne des droits de l’homme
– Smolinska A. M., Le droit de la mer entre universalisme et régionalisme
– Smolinska A. M., Droit international des relations diplomatiques et consulaires
Introduction
Chapitre 1 L’Antiquité des droits de l’homme
Chapitre 2 Le Moyen-Âge et les droits de l’homme
Chapitre 3 Renaissance et modernité : la naissance des droits de l’homme
Bibliographie selective
Annexes
Table des matières
Les droits constitutionnel et international contemporains affirment avec force le caractère inhérent et intemporel des droits de l’homme. Attachés à la qualité d’homme, ces droits sont à la fois « égaux et inaliénables » (Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948, Préambule). Paradoxalement, ces droits sont en réalité le produit d’une histoire et d’une évolution à travers les âges qui conduit pas à pas à leur consécration.
Les avancées juridiques majeures qui suivent la Seconde Guerre mondiale et la création des Nations Unies sont bien connues des internationalistes et fondent sans aucun doute le corps de règles que l’on appelle communément le « droit international des droits de l’homme ». Les constitutionnalistes ont quant à eux pour habitude de faire remonter la protection juridique des droits et des libertés contre l’arbitraire du pouvoir à la naissance du constitutionnalisme anglais et à la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui est marquée d’une volonté de proclamer l’universalité de droits attachés à la personne.
Pourtant, l’histoire de la construction des droits de l’homme a des racines bien au-delà de la très célèbre Déclaration française. On les aperçoit dès les plus anciennes civilisations connues, notamment en Égypte et en Mésopotamie. C’est cette vaste période allant de l’antiquité à 1789, très largement oubliée des juristes, qui fera l’objet de cet ouvrage synthétique. L’ouvrage n’a pas la prétention de présenter de manière complète et exhaustive les diverses manifestations de la protection des individus dans la vaste période annoncée. Une telle tâche serait d’ailleurs nullement réalisable. Il se contentera alors de donner quelques clés de lecture de textes pour l’essentiel méconnus et qui recèlent pourtant des « pépites » lorsque l’on travaille sur les droits de l’homme.
Il convient également de rappeler que les textes et institutions qui seront présentés à la suite de ces lignes restent très éloignés de l’acception moderne des droits de l’homme. Les droits de l’homme sont en effet un produit de la modernité2. Ils nécessitent, pour voir le jour, que les notions de liberté, d’égalité et d’individu soient au cœur de la pensée politique mais également au cœur de la structure de la société. Pour que ces droits, tels qu’on les connaît aujourd’hui émergent, il faut la réunion de trois conditions cumulatives dégagées par Danièle Lochak : i. une vision de la société centrée sur l’individu, placé au centre de l’architecture sociale ; ii. le développement de droits subjectifs au bénéfice de l’individu ; iii. des droits subjectifs pensés comme inhérents à la personne humaine. Or, force est de constater que ces éléments ne se retrouvent dans la pensée politique qu’à partir du siècle des lumières et dans le droit positif qu’à partir des grandes déclarations de droits du XVIIIe siècle.
Les sociétés qui ont précédé cette période avaient en commun un caractère holiste et un droit fondamentalement objectif, qui ne permettaient pas la naissance des droits de l’homme. Ces sociétés ne sont donc pas centrées sur l’individu et sa volonté, mais sur le « tout ». De plus, ce sont des sociétés fondées sur un système de droit dit « objectif » qui vise à organiser la société de manière plus ou moins équitable, et non à régler les rapports entre les sujets de droit. Il n’y a pas donc de droits subjectifs. Or sans eux, la naissance des droits de l’homme est compromise.
La notion de droit naturel existe néanmoins dès l’antiquité, toutefois, elle est conçue comme étant relative à l’ordre cosmique ou à l’ordre divin, mais pas à l’homme. La place de l’homme dans la société et les règles qui lui sont applicables ne sont alors pas inhérentes à son statut d’être humain mais à l’ordre de l’univers qui détermine sa place.
Ainsi, les droits de l’homme ne disposaient pas, avant la fin du XVIIIe siècle d’une structure sociale propice à leur développement. Pourtant, certains jalons seront posés dès l’antiquité et contribueront à la grande histoire des droits de l’homme. Il est donc indispensable de mettre en avant les éléments qui ont favorisé l’idée d’une protection de la personne humaine dès les prémices des sociétés humaines. Cette longue épopée permet de rendre compte de la lente évolution de la société et de ses règles juridiques, mais également des idées qui ont germé très tôt dans l’histoire de l’humanité et qui seront reprises dans la théorie moderne des droits de l’homme.
L’immense période de temps que nous allons parcourir de l’antiquité (Chapitre 1) à l’époque moderne (Chapitre 3) en passant par le Moyen-Âge (Chapitre 2), a vu la naissance de certains principes nécessaire à la conception moderne des droits de l’homme tels que l’égalité ou la démocratie, mais également la naissance de certains droits ou garanties, notamment politiques, collectifs ou encore en matière pénale.
1 Cet ouvrage a été réalisé avec l’aide scientifique d’Anna Maria Smolinska, docteure en droit international et relations internationales.
2 D. Lochak, Les droits de l’homme, Paris, éd. La découverte, 2008.
L’antiquité est une période intéressante en ce qu’elle est le cadre des premières codifications juridiques. L’écriture des lois et leur codification peuvent être considérées en soi comme une première conquête pour protéger l’individu contre l’arbitraire du pouvoir. Elles apportent une certaine prévisibilité, notamment dans le cadre de la loi pénale. L’on voit alors naître les prémices d’une certaine forme de légalité des délits et des peines.
Toutefois si les lois des hommes sont, dès l’antiquité, un rempart contre l’arbitraire du pouvoir, elles sont également susceptibles de créer de l’arbitraire à leur tour. Sera alors recherchée une loi supérieure à celle des hommes, au nom d’un droit naturel ou divin, ancêtre de nos constitutions modernes.
Dans le cadre de l’antiquité orientale, la source du droit est divine, l’élu des dieux est la source de toute règle de droit. La structure de l’État et de la société ne permet pas l’élaboration de règles relatives à la condition humaine ou encore à l’égalité. La décision est centralisée dans les mains du puissant, reflet de la divinité.
Toutefois ce qui nous intéressera ici ce sont les éléments et les règles d’origine divine qui commencent à établir certaines garanties au profit des hommes. L’homme n’est alors pas directement sujet du droit mais seulement objet de la réglementation.
Pour se situer :
Le droit égyptien antique recouvre une très longue période de temps. Le point de départ de la période historique en Égypte est souvent assimilé à l’unification du nord et du sud par un premier Pharaon : Ménès (3150 à 3125 avant J.-C.).
Puis, des empires distincts se succèdent, entre coupés de deux périodes intermédiaires. (Ce découpage est l’œuvre de l’autrichien Lepsius et désigne les périodes d’unité de l’Égypte).
2700-2200 avant J.-C. :Ancien Empire. C’est à cette époque que sont construites les premières pyramides comme celles du plateau de Gizeh (Khéops, Khephren et Mykérinos).
2033-1786 avant J.-C. :Moyen Empire
1552-1059 avant J.-C. :Nouvel Empire. Il s’agit de la période la plus connue de l’histoire antique égyptienne. Elle voit par exemple le règne d’Akhenaton, Toutankhamon ou encore Ramsès.
Le droit égyptien repose sur l’idée d’équité : C’est un droit de provenance divine qui repose sur un concept : le Maât (concept de vérité-justice-équité). Le concept de Maât cristallise ce droit. Tous les individus doivent se conformer à Maât et aux règles qui le constituent. Cet ordre idéal des choses ne va pas toujours de soi au regard des faiblesses des hommes, c’est là que le pouvoir coercitif et répressif de Pharaon entre en ligne de compte. Pharaon est alors le garant de l’existence et du respect de la Maât, investi du pouvoir de justice par les Dieux. Le terme hep, connu à partir du Moyen Empire, désigne toutes les règles à respecter, qu’elles soient ou non des règles de droit.
Les apports du livre des morts. Le livre des morts des anciens égyptiens se retrouve dans les tombes depuis le premier Empire jusqu’à l’époque gréco-romaine, c’est le « livre pour sortir au jour », c’est un papyrus comportant des formules funéraires placées à côté de la momie. Le papyrus d’Hunefer par exemple (1340 avant J.-C.) y mentionne les commandements que le défunt est censé avoir respectés pour être admis dans l’au-delà. Les papyrus funéraires pouvaient contenir jusqu’à 42 commandements, règles de vie en société. L’on y retrouve par exemple l’interdiction de tuer, de mentir, de voler, d’injurier ou encore de polluer l’eau (cf. Recueil de textes en annexe).
Les apports des lois de Bocchoris. C’est à Bocchoris qu’est dû le droit commercial de l’Égypte antique, ainsi que le droit des contrats. L’on retrouve au sein de ces règles certains éléments intéressants en matière de protection des individus, liés au développement de l’idée de la nécessité de créer un minimum de justice sociale afin de préserver la société. Par exemple, la contrainte physique était formellement interdite pour le recouvrement des dettes. Seuls les biens étaient saisissables.
Pour se situer :
3500-2334avant J.-C. : Période sumérienne. La Mésopotamie est composée de petits royaumes comme Ur ou Lagash.
2334-2004avant J.-C : Période akkadienne. Elle commence avec la conquête de la Mésopotamie par Sargon qui fonde la dynastie d’Akkad. Ur-Nammu en sera l’un des souverains.
2004-1595avant J.-C. La fin de la période akkadienne est marquée par la mise à sac d’Ur par les Élamites, originaires de l’Iran actuel. S’en suit une vaste période de conflits permanents entre les différentes cités de la région, notamment Eshnounna et Babylone. La stabilité revient avec le règne d’Hammourabi qui réussit à conquérir toute la Mésopotamie. Après sa mort l’Empire s’affaibli jusqu’à la conquête de Babylone par les Hittites en 1595.
1595-539avant J.-C. Cette vaste période regroupe les périodes d’hégémonie hittite puis assyrienne puis chaldéenne. Le souverain emblématique de la dynastie chaldéenne est Nabuchodonosor II (605-562 avant J.-C.) qui bâti un vaste empire et conquiert Jérusalem. Ses successeurs seront incapables de conserver ce territoire considérable et Babylone est conquise par les Perses menés par Cyrus en 539 avant J.-C.
L’Empire perse sera le plus vaste de l’antiquité et connaît son apogée sous Darius. Sa chute sera précipitée par Alexandre le Grand en 330 avant J.-C. Ainsi commence l’époque gréco-romaine.
Pour se situer :
Urukagina était roi de Lagash, de 2380 à 2360 avant J.-C. Il n’appartient pas à la dynastie royale et est souvent considéré comme un usurpateur. Il sera le dernier roi de la Première dynastie de Lagash.
Les lois d’Urukagina prévoient des obligations sociales de la part des détenteurs du pouvoir. Elles se composent de 6 documents qui reprennent les abus sociaux et excès de pouvoirs auxquels Urukagina a mis fin en accédant au pouvoir. Il s’agit par exemple de la révocation de percepteurs d’impôts abusifs, de la restauration de la situation des pauvres face aux riches, de la protection de la propriété ou de la protection contre les saisies arbitraires. Ce Code est la première série de règles traitant d’un sujet social. Elle met en avant l’idée d’un souverain juste, reprise par les Codes mésopotamiens ultérieurs, y compris le très célèbre Code Hammourabi.
Cette idée de justice se retrouve dans la conclusion ainsi traduite :
« Il fit laver les domiciles des habitants de Lagash de l’usure, de l’accaparement, de la famine, du vol, des attaques et il fit instituer leur liberté. Urukagina fit sceller par Ningirsu cette déclaration qu’il ne livrerait pas au riche la veuve et l’orphelin.
Lorsque Urukagina eut reçu la royauté de Girsu il fit instituer la liberté » (traduction de Maurice Lambert1).
Pour se situer :
Ur Nammu (« Guerrier de (la déesse) Nammu » en sumérien), a été roi d’Ur de 2112 à 2095 avant J.-C. environ, la datation de son règne est très approximative. Quoi qu’il en soit, les écrits retrouvés lui attribuent 18 années de règne. Ces informations sont consignées dans un document intitulé Liste royale sumérienne (un texte historiographique mésopotamien). À la suite de ce même texte, il est vu comme le premier roi de la 3e dynastie d’Ur, Empire qui domine la Mésopotamie pendant environ un siècle.
Le Code d’Ur Nammu a pour objectif de garantir une certaine équité. Le contenu de ce Code, qui ne nous est parvenu que de manière fragmentaire confirme le caractère divin du pouvoir. Ur Nammu se qualifie de « mâle fort, roi d’Ur, roi de Sumer et d’Akkad », affirmant son hégémonie sur l’ensemble de la Mésopotamie. Il affirme également « faire resplendir le droit » qu’il considère comme étant originaire de Nana, le dieu lune. On a alors bien ici une provenance divine des règles proclamées dans le Code.
Au niveau du contenu le préambule, typique des codes juridiques mésopotamiens, décrète « l’équité dans le pays » et se fonde sur les principes d’équité et de vérité reflétant une certaine idée de justice sociale.
Pour se situer :
Lipit-Ishtar est le 5e roi de la Ière dynastie d’Isin. Son règne est situé vers 1934-1924 avant J.-C. Il est principalement connu grâce à des hymnes en sumérien écrits en son honneur.
Une volonté de garantir l’équité et la justice. Dans le prologue, on retrouve l’affirmation de l’origine divine du pouvoir royal et du contenu de la mission qui a été donnée aux rois par les dieux : « établir dans le pays la Justice pour extirper l’iniquité briser le désordre et la malveillance et établir le bien être ».
À la même époque, à Eshnunna (vers l’actuelle Bagdad) était publiée une nouvelle législation attribuée au roi Dadousha. Eshnunna était la capitale d’un royaume né de la dislocation de l’Empire de la IIIe dynastie d’Ur (celle d’Ur Nammu). Les tables sont rédigées en Akkadien, c’est le premier document législatif akkadien connu. Il reprend ces idées de justice et d’équité.
Pour se situer :
Hammourabi est le 7e roi de la 1ère dynastie de Babylone, dynastie d’origine amorrite. Il est le souverain le plus prestigieux de la Mésopotamie ancienne par l’ampleur de son œuvre politique mais également par son œuvre législative. Son règne de quarante-trois ans (1792-1750) représente l’âge d’or de la civilisation babylonienne, établissant la domination du Royaume sur la Mésopotamie.
Un Code pour faire régner la justice. Le Code d’Hammourabi (Iraq, environ 1750 avant J.-C.) était destiné à « faire régner la justice dans le royaume, à détruire les mauvais et les violents, à empêcher les forts d’opprimer les faibles […] à illuminer le pays et à promouvoir le bien-être du peuple ». Comme les Codes qui l’ont précédé, il est présenté comme étant d’origine divine. La stèle sur laquelle il est gravé représente Samash, le dieu soleil qui dicte sa loi à Hammourabi.
Le Code débute avec cette inscription : « faire en sorte que le fort n’opprime pas le faible » qui traduit bien la volonté d’instaurer un minimum de justice dans la société. L’épilogue contient également l’inscription suivante : « C’est afin que le plus fort ne puisse porter préjudice au plus faible, afin de protéger la veuve et l’orphelin, que j’ai conjugué ces précieux mots qui sont les miens, écrits sur ma pierre funèbre, devant mon image, en tant que roi de Justice ».
Le Code offre une variété de protections contre la violence, notamment en prévoyant une sanction, souvent comparable au crime commis, application littérale de l’adage œil pour œil2. La punition variait néanmoins selon le statut social des personnes en cause. Ainsi si un homme gifle un homme libre du même rang que lui, il doit réparer le préjudice par une somme d’argent. En revanche, si un homme gifle un homme libre d’un rang supérieur à lui, il doit être puni de 60 coups de fouet. Il offre également une protection de la propriété, accompagnée de peines très sévères, souvent capitales. Par exemple : « Quiconque vole ce qui appartient au temple ou à la cour, est mis à mort, de même que le receleur » ou « Quiconque vole à la cour du bétail ou des moutons, un âne, un porc, une chèvre, qui appartient à un dieu ou au tribunal, doit en conséquence payer trente fois, ou dix fois s’ils appartiennent à un affranchi du roi ; si le voleur ne peut pas payer il est mis à mort ».
Pour se situer :
Un millénaire plus tard, lorsque les Perses conquirent Babylone, le souverain de l’Empire achéménide de Perse (ancien Iran), Cyrus II, fit publier un cylindre. Conservé au British Museum, il est fait d’argile sur lequel une proclamation du roi de Perse, est inscrite.
Une première Déclaration de droits. Le texte relate d’abord la prise de Babylone par Cyrus, en 539 avant J.-C., et présente ensuite les mesures que le roi préconise à l’égard des Babyloniens. Parmi ces mesures, il proclame la liberté de religion et l’interdiction de l’esclavage. Ce document est considéré comme la « première charte des droits de l’homme » et a fait l’objet d’une traduction dans les langues officielles par l’ONU, en 1971.
Il portait par exemple les inscriptions suivantes : « J’ai accordé à tous les hommes la liberté d’adorer leurs propres dieux et ordonné que nul n’ait le droit de les maltraiter pour cela.
J’ai ordonné qu’aucune maison ne soit détruite. J’ai garanti la paix, la tranquillité à tous les hommes. J’ai reconnu le droit de chacun à vivre en paix dans la province de son choix ».
Certains aspects du droit hindou classique et de l’hindouisme ont apporté une contribution non négligeable à la notion d’universalisme, notamment à travers les objectifs spirituels et les valeurs qu’ils font peser sur l’humanité.
L’histoire de l’Inde est très délicate à appréhender étant donné le peu de sources fiables. Les mythes l’emportent fréquemment sur la réalité et les poèmes épiques tiennent lieu d’histoire. S’inspirant de cette tradition, certains dirigeants indiens du XXe siècle relèvent le peu d’importance de l’histoire, à l’image de Gandhi pour qui « le peuple le plus heureux est celui qui n’a pas d’histoire ». Dès lors, il est très compliqué de trouver des sources fiables de la naissance des droits de l’homme3.
Le droit hindou classique (antique) est fondé sur la philosophie religieuse contenue dans les Védas. Le mot Véda, qui signifie science, désigne un ensemble d’œuvres poétiques formant la sainte Écriture des Indiens. Les Védas sont au nombre de quatre, le Rig, le Sâma, le Yajur et l’Atharva. Le plus ancien le Rigveda date d’environ 1100 avant J.-C. Cette philosophie est extrêmement emprunte d’universalisme et considère l’univers comme un tout. Dès lors, le caractère holiste se retrouvera dans les règles sociales. Le droit hindou va alors prendre en considération tous les êtres vivants, y compris les plantes car tous sont composés de la même substance. Il n’y a donc pas de différence de nature, mais simplement une hiérarchie qui place les hommes à un rang supérieur.
Le droit hindou classique s’inspire de la philosophie religieuse des Védas, mais la source principale sont les traités sur ledharma (pivot du système, n’est ni religion, ni droit, mais représente les conceptions hindoues du droit).
Des auteurs humains, des Sages, ont, entre 600 et 100 avant J.-C., interprété les révélations et les ont transcrites dans une science juridique du dharma. Leurs ouvrages sont en général appelés dharmasastras : traités de dharma. Ce sont des textes qui organisent la société. Il existe une centaine de traités qui permettent la connaissance du dharma, mais quatre d’entre eux sont particulièrement célèbres :
— le Code de Gautama (IVe siècle avant J.-C.)
— la loi de Manu, appelé Manusmriti, probablement écrit sous sa forme présente à partir du VIe siècle avant J.-C. Il est devenu le plus influent des exposés de droit et de doctrine hindoue aussi bien aux Indes qu’en Asie du Sud-Est (Cambodge et en Indonésie)
— Yajnavalkya, écrit du nom d’un sage illustre entre 100 avant et 300 après J.-C., énoncé prééminent du droit hindou durant la période britannique.
— Narada, nom d’un ancien sage, probablement entre 100 et 300 après J.-C. On fait entrer aussi dans les dharmasastras, les poèmes épiques, tels le Mahâbhârata. On constate donc que la codification du dharma s’étale sur une période de plus d’un millénaire et débute au VIe siècle avant J.-C. (pour finir au VIe siècle après J.-C.). Nous nous concentrerons sur les textes qui contiennent des règles de droit et plus particulièrement sur ceux qui nous éclairent sur la progression de l’idée de justice nécessaire à la naissance des droits de l’homme : principalement la loi de Manu et le Mahâbhârata.
Pour se situer :
Ce texte important à la fois cosmogonique, et législatif est souvent évoqué et finalement peu connu. Sa dénomination exacte est : Mânava-dharma-çâstra. Il s’agit d’un ouvrage en 19 livres, comprenant 5 370 vers, et dans lequel sont exposés, comme un enseignement révélé, les préceptes de la Loi. La loi de Manu est très difficile à dater mais l’on sait au moins qu’elle est largement antérieure à la réforme bouddhiste. Or le Buddha (Siddhārtha Gautama, fondateur du Bouddhisme) est mort en 543 ou 544 avant J.-C. Manu est le nom d’un être supérieur qui revient fréquemment dans la littérature indienne, notamment dans les Véda. Il est considéré comme le père commun des hommes.
Une hiérarchisation de la société pour garantir sa justice. Il prône également une certaine idée de justice et d’équité. La justice sociale passait, ici encore, par une organisation rigoureuse de la société, qui reste extrêmement hiérarchisée. La société indienne est en effet connue pour ses castes : l’institution des castes est donnée par Manu comme ayant une origine divine. Elles ont pour cause Brahma leur auteur commun, qui les produisit chacune d’une partie différente de lui-même : la première classe, celle des prêtres ou brahmanes, de sa bouche ; la seconde, celle des guerriers, ou kchatryas, de son bras ; la troisième, celle des laboureurs ou marchands, vaisyas, de sa cuisse ; la dernière, celle des soudras ou esclaves, de son pied.
Le Brahmanes sont dépositaires de l’idée de justice et en ont la charge. Par exemple : « La naissance du Brâhmane est l’incarnation éternelle de la justice ; car le Brâhmane, né pour l’exécution de la justice, est destiné à s’identifier avec Brahme » (livre 1er, création, § 98).
Pour se situer :
Le Mahâbhârata, littéralement « La Grande Inde », se traduirait en réalité comme « la grande histoire de l’Inde ». C’est une épopée de la mythologie hindoue comportant 90 000 strophes réparties en 18 livres. Il est considéré comme le plus grand poème jamais composé. Le noyau du récit doit dater d’environ 500 avant J.-C. ; mais le texte actuel contient beaucoup d’additions ultérieures et il est impossible de dater les diverses parties avec exactitude. C’est un livre sacré censé avoir été rédigé par Ganesh (dieu de la sagesse, de l’intelligence, de l’éducation et de la prudence, il est le fils de Shiva et Pârvatî) sous la dictée du sage Vyâsa (Ce personnage mythique est appelé compilateur dans la mesure où on lui attribue la rédaction de la plupart des grands textes de l’Inde brahmanique ancienne). En réalité il s’agit probablement d’une œuvre collective, revue et modifiée au fil des siècles (IVe siècle avant J.-C. - IVe siècle après J.-C.).
Le thème central : la lutte pour la justice : Les passages de doctrines juridiques se trouvent pour la plupart dans la 12e partie le Santi parva (livre de la paix). C’est le livre le plus long des 18 qui composent le Mahâbhârata. Dans les premiers chapitres sont décrits les devoirs du roi et de gouvernants, notamment le devoir de diriger dans la vérité et la justice4. Dans le même sens, le Chapitre 58 énonce que le devoir d’un dirigeant est de permettre à son peuple d’être heureux et le Chapitre 88 que les taxes soient raisonnables et n’empêchent pas la création de richesses.
Le thème central du Mahâbhârata est la lutte pour la justice, il contribue donc encrer cette idée dans les règles de droit positives qui vont naître. Par exemple : « Je suis équanime à l’égard de tous les êtres ; aucun n’est pour moi haïssable, ni cher »5.
Les règles relatives à la conduite des hostilités. Le Mahâbhârata, tout comme la loi de Manu, contient des passages qui règlent avec précision les règles applicables en cas de guerre. L’on y retrouve par exemple les ancêtres de certains principes cardinaux qui régissent le droit international humanitaire actuel. Ils reflètent un souci d’humanité.
— Le principe de distinction : les belligérants étaient tenus de distinguer entre combattants et non-combattants, seuls les premiers pouvaient être attaqués, à quelques exceptions près, notamment les « guerres de ruse ». Sont considérés comme non-combattants les prêtres, les agriculteurs et les civils, mais également les personnes en train de manger ou de boire, les personnes endormies ou encore les personnes nues6. De la même manière les édifices non militaires étaient protégés, par exemple les édifices religieux ou encore les champs labourés.
— Le principe de proportionnalité : le Mahâbhârata prévoit un certain « parallélisme des corps armés »7 : les cavaliers ne peuvent attaquer que les cavaliers, les fantassins que les fantassins, etc.
— Interdiction des armes causant des maux superflus : certaines armes étaient proscrites, notamment les flèches empoisonnées ou les armes excessivement destructrices8.
— Protection de prisonniers de guerre : le traitement des prisonniers de guerre devait être humain, la réduction en esclavage était interdite, de même que les atteintes à l’intégrité physique9.
En 300 avant J.-C., l’empereur Ashoka adopte une série d’édits, appelés Dhamma lipi, qu’il fait graver sur des colonnes afin d’être accessibles pour la population. Parmi ces édits, le 12e est consacré à la liberté religieuse. Il est rédigé de la manière suivante :
« On ne devrait pas honorer seulement sa propre religion et condamner les religions des autres, mais on devrait honorer les religions des autres pour cette raison-ci ou pour cette raison-là. En agissant ainsi, on aide à grandir sa propre religion et on rend aussi service à celle des autres. En agissant autrement, on creuse la tombe de sa propre religion et on fait aussi du mal aux religions des autres. Quiconque honore sa propre religion et condamne les religions des autres le fait bien entendu par dévotion à sa propre religion, en pensant : « Je glorifierai ma propre religion. » Mais au contraire, en agissant ainsi, il nuit gravement à sa propre religion. Ainsi la concorde est bonne : que tous écoutent et veuillent bien écouter les doctrines des autres religions ».
Le rôle des textes fondateurs du christianisme dans la naissance des droits de l’homme est bien connu. René Cassin reconnaissait que le concept de droits humains trouvait son origine dans la Bible et plus précisément des 10 commandements. Pour lui, les commandements, formulés comme des devoirs impliquaient des droits corrélatifs. Ainsi l’interdiction de donner la mort serait une reconnaissance du droit à la vie ou encore l’interdiction du vol une consécration du droit à la propriété individuelle10.
L’Ancien Testament est ici une source majeure. Il s’inspire de la pensée chrétienne, qui marque une avancée considérable en matière de droits de l’homme dans l’antiquité. Ce tournant est essentiellement dû au caractère monothéiste de la religion chrétienne. Dieu crée l’homme à son image, il en résulte une dignité inhérente à la personne humaine. Dans la pensée chrétienne, la dignité appartient à tous les hommes sans distinction, quelle que soit leur origine ou leur place dans la société. Voir par exemple le passage de l’épitre aux Galates (saint Paul) « il n’y a plus ni grec, ni juif, ni esclave, ni homme libre ». Toutefois, cette égalité ne vaut que dans les rapports avec Dieu, à l’exclusion de l’organisation de la société, et des règles de droit. Elle marque néanmoins une rupture par rapport aux règles observées dans les civilisations précédentes.
La pensée chrétienne laisse également, en théorie, une place pour la liberté, en prônant la séparation du temporel et du spirituel. L’on soustrait alors à l’autorité de l’État le domaine de la conscience religieuse. Toutefois, cette potentialité ne sera pas exploitée ni à la fin de l’Empire romain ni dans la chrétienté médiévale. La pensée chrétienne a influencé les règles de droit contenues dans l’Ancien Testament, si bien que l’on commence alors à l’éloigner de la vision objective du droit de l’antiquité, pour se rapprocher des droits subjectifs que l’on connaît aujourd’hui et qui sont le terreau des droits de l’homme. On reste cependant loin de la vision moderne des droits de l’homme, car la société reste holiste.
Pour se situer :
La datation reste sujette à controverse, en particulier parce qu’il existe, au sein de l’Ancien Testament, deux versions du Décalogue, ou des « 10 commandements » : celle de l’Exode (XX-XXII) et celle du Deutéronome (V-VI). Les historiens s’accordent en général pour dater l’Exode, donc le Décalogue, dans le courant du XIIIe siècle. En ce qui concerne le Deutéronome, il date de l’époque de Josias, roi de Juda vers 620 avant J.-C.
L’origine divine du Décalogue est clairement affirmée par la bible au sein du Deutéronome11 qui énonce que Yahvé « écrivit (ses prescriptions) sur deux tables de pierre qu’il donna à Moïse » lors de l’Exode. Il répond à une idée d’ordre social et de justice12.
L’on y retrouve le concept fondamental de justice structure les relations humaines, sans doute influencé par les cultures voisines, en particulier par le Code d’Hammourabi. Dans l’histoire du droit, et dans l’histoire des droits de l’homme, le Décalogue a joué un rôle fondateur : il a été la source du respect de la justice et du droit, condition préalable de la mise en œuvre de tout droit de l’homme13.
Le Décalogue n’est pas le seul texte législatif de la Bible. Après lui, dans l’Exode14, on trouve le « Code de l’Alliance ». Il comprend un certain nombre de règles qui ont vocation à régir la société dans son ensemble. Tel les codes mésopotamiens, le Code de l’alliance organise la société afin de faire d’assurer une stabilité, une prévisibilité et une justice.
Pour se situer :
1500 environ-770 avant J.-C. : Époque des premières dynasties. Les dynasties Xia, Shang et Zhou se succèdent. Les empereurs de ces époques étaient revêtus avant tout de fonctions religieuses et de culte.
770-453av. J.-C. : Époque des Printemps et Automnes. Cette période voit le déclin de la dynastie des Zhou et de nombreux conflits. C’est l’époque de l’éclosion d’une série de mouvements philosophiques tels que le confucianisme, le taoïsme, le légisme ou encore le maoïsme. L’époque perturbée et en plein bouleversement inspire les penseurs pour parvenir à proposer des solutions à la crise politique et économique.
453-221 avant J.-C. : Période des royaumes combattants. Cette époque porte bien son nom et est le théâtre d’affrontements permanents aussi bien au sein des royaumes qu’entre eux. Cette période est également florissante sur le plan des idées et est marquée par la diffusion du confucianisme, notamment par son élève Meng-Tseu (ou Mentius), mais également par sa contestation. Meng-Tseu est l’un des plus célèbres philosophes chinois, né dans la première partie du IVe siècle dans la ville de Tséou (province du Chan-Toung), mort vers 314 avant J.-C (sous la dynastie des Tchéou).
221 avant J.-C.-1279 après J.-C. : L’Empire chinois : Les Empires Qin et Han se succèdent, avant de laisser la place à une période de division de l’espace chinois en trois royaumes (époque des Trois Royaumes), unifiés par les Jin, puis les Sui et les Tang et de nouveau les Jin. Cette période trouve fin avec la conquête mongole.
Le droit chinois antique n’est pas un droit révélé. Toutefois, étant donné l’importance donnée à la nature et au « ciel », on peut classer ce doit parmi ceux qui sont dictés par un ordre suprême ici la nature. Une des particularités du droit chinois consiste alors en l’absence de recours à toute notion de divinité pour en expliquer l’origine ou en justifier l’application. Son fondement est plutôt éthique. Le transcendant est atteint en respectant l’harmonie avec l’univers (« Tian », soit « Ciel »).
Conception du droit : La Chine ne fait au droit et à la loi qu’une place très inférieure, influencée par la pensée de Confucius (551-479 avant J.-C.). Conformément aux écrits de Confucius, les rites (li) tiennent une place essentielle dans le droit chinois, car ils sont ce qui règle de manière « naturelle » les relations humaines, en contradiction avec l’artificialisme de la loi (fa). L’usage de la loi doit donc être exceptionnel et la violence des châtiments sert pour l’exemplarité : les confucéens veulent « punir pour ne plus punir », c’est-à-dire pour atteindre un état de la société où les rites seuls servent à assurer l’harmonie naturelle sans le concours des lois qui viennent la perturber.
L’influence confucéenne explique aussi pourquoi seuls existent le droit public et le droit pénal : les autres affaires relèvent des cercles naturels : famille, clan, village, où le respect des rites et de la hiérarchie, ajouté au souci de la conciliation permettent de trouver des solutions extra juridiques.
Confucius se concentrera sur l’idée de justice et de comportement moral, ainsi que sur le respect de la dignité humaine, de la part de toutes les classes de la société. Confucius prônait les qualités de la race humaine et son nécessaire respect. Ce qui explique que certains théoriciens chinois modernes voient dans la pensée de Confucius une contribution directe au développement des droits de l’homme.
L’un des disciples de Confucius, Meng-Tseu, écrit en 300 avant J.-C. que « l’individu est infiniment important, la personne du souverain est ce qu’il y a de moins important ».
Dans le même sens, Siun-Tseu considérait que « ce qui rend la société possible [ce sont] les droits de l’individu »15. Il fut également un grand penseur de l’école confucianiste.
La Chine se démarque sensiblement des autres civilisations antiques au niveau de la place faite à la guerre. Elle n’est ni exaltée ni recherchée. Elle est au contraire considérée comme un aveu de faiblesse, sous l’influence de la pensée de Confucius et de ses successeurs. Elle a bien entendu été pratiquée, notamment lors de la période des royaumes combattants, mais elle est toujours considérée comme un échec en raison des destructions inévitables qu’elle engendre. Elle ne doit alors être utilisée que comme dernier recours16. Dès lors, il convenait d’éviter autant que faire ce peu le recours aux armes. C’est dans cet état d’esprit que s’est tenue, en 546 avant J.-C. une conférence qui regroupait les différents royaumes chinois de l’époque. L’objectif de la conférence était de préserver la paix en tentant de traiter de questions communes, mais surtout en tentant de négocier ce qui pourrait s’apparenter aujourd’hui à un traité de désarmement. Il était également question de créer une fédération destinée, précisément, à assurer la paix. Cette conférence s’est soldée par un échec mais elle est citée en exemple dans certains ouvrages comme étant une forme de précurseur des conférences de La Haye de 1899 et 1907 et de la Société des Nations17.
Cette vision de la guerre explique le développement, dans la Chine antique, d’un certain nombre de règles régissant la conduite des hostilités. Par exemple, les guerres surprises étaient interdites et les adversaires s’accordaient sur le lieu et l’heure de la bataille. Par ailleurs, seuls les aristocrates étaient autorisés à combattre, ce qui explique que la guerre était dans une large mesure limitée aux combattants et que ceux-ci étaient relativement bien traités lorsqu’ils tombaient à l’ennemi18.
La pensée confucéenne va influencer toute l’Asie, y compris le Japon qui va promulguer en 604 après J.-C. uneConstitution en 17 articles (Jushichi jo kempô), sous l’impulsion du prince Shōtoku Taishi, neveu de l’impératrice Suiko. Le Prince réforme également la hiérarchie des échelons des fonctionnaires en fonction des principes confucéens. Ce n’est pas une constitution au sens où on les connaît aujourd’hui, mais le texte reprend les principes moraux de Confucius et contient certaines règles d’organisation du pouvoir. Il s’agit par exemple du principe de la séparation des rôles au sein de l’État qui impose que les devoirs ne doivent pas être confondus. L’on y retrouve également le principe selon lequel les décisions importantes ne doivent pas être prises par une personne seule.
Cette pensée va néanmoins être remise en cause par l’école des légistes (par ex. Han Fei Tze 280-233 avant J.-C.). Pour les légistes, le gouvernement par la loi est nécessaire car l’homme n’est pas bon par nature. Seule la loi peut permettre d’assurer l’ordre. Il faut aussi replacer les légistes dans leur contexte historique très agité, qui les pousse à vouloir assurer la sécurité et la prospérité sans attendre un hypothétique sursaut moral.
Le premier Code régional d’importance est le Code pénal deTcheng, du nom de la ville où il a été publié, en 536 avant J.-C. par Tseu-tch’an. Les lois pénales vont être rendues publiques par affichage en 513 (elles seront gravées sur des chaudières).
Mais surtout, c’est la codification qui a donné naissance au Fa king qui marquera de son empreinte le droit chinois. Composé de 6 sections et rédigé pour le marquis Wen de l’État de Wei entre 414 et 387 avant J.-C., il a servi de base à toutes les grandes codifications dynastiques jusqu’en 1920 c’est-à-dire pendant 23 siècles. Il semblerait que ce Code soit une compilation des divers codes alors en vigueur dans les États voisins de Wei. 6 livres : 1. Toa fa (vol), 2. Tso fa (Brigandage), 3. Tchou fa (Emprisonnement), 4. P’ou fa (Procédure), 5. Tsa fa (lois diverses), 6. Kiu fa (définitions). Il a été complété au fur et à mesure, jusqu’à un total de 60 sections qui composèrent le Code des Han.
Une loi unifiée a été appliquée sur l’ensemble du territoire pour la première fois sous la dynastie Chin (221-207 avant J.-C.) (Code des Chin) renforcée sous la dynastie Han (206 avant J.-C., 220 après J.-C.) (Code des Han).
Pendant la période Han, de nouvelles sections sont ajoutées au Fa king : celles concernant le meurtre et les blessures mortelles (sections vite supprimées), puis celles sur la famille, l’impôt et l’administration impériale.
Pendant la période des Trois Royaumes, on assiste à une diminution progressive des cas punis de mort (il faut rappeler que l’emprisonnement ne concernait que la durée du procès et que le coupable ne pouvait être puni que par le bannissement, une amende, ou des châtiments corporels allant jusqu’à la mort, ce qui explique l’importance de ce problème), et l’apparition de lois d’intérêt social.
Les lois des dynasties qui se succèdent entre 220 et 618 après J.-C. sont marquées par l’influence du bouddhisme (notamment les dynasties Jin et Sui). L’influence du bouddhisme a permis la transformation des règles du droit chinois issu de l’école confucéenne et légaliste. Il a contribué à rendre le droit plus humain. Les dynasties très imprégnées de bouddhisme, contrastent avec l’extrême sévérité des codes précédents. Le bouddhisme prône par exemple certaines valeurs comme l’égalité devant la loi, qui sont absentes de la pensée traditionnelle chinoise.
Reflet de son époque, le Code d’Ur Nammu déclare protéger particulièrement les orphelins, les femmes et les plus démunis. Dans le même sens le Code de l’Alliance voue une attention particulière aux faibles, en particulier aux veuves et aux orphelins : « 22.22 Tu n’affligeras point la veuve, ni l’orphelin. 22.23 Si tu les affliges, et qu’ils viennent à moi, j’entendrai leurs cris ; 22.24 ma colère s’enflammera, et je vous détruirai par l’épée ; vos femmes deviendront veuves, et vos enfants orphelins ».
Mais en termes juridiques, la plupart des règles applicables à l’époque qui avaient pour objectif la protection d’un groupe vulnérable concernent les femmes, les esclaves et les accusés.
La protection matérielle. Depuis le Code de Bocchoris, l’Égypte antique connaît la liberté des contrats. Or le mariage apparaît à l’époque comme un contrat ordinaire, entre deux personnes agissant « dans la plénitude de leur liberté »19. La femme le signe en son nom personnel, sans être représentée par un tuteur. De plus, les contrats de mariage stipulaient une somme d’argent que le mari s’engageait à verser à sa femme pour l’habillement ou ses dépenses quotidiennes. Si la femme disposait de biens personnels, elle en restait propriétaire dans le mariage et en gardait l’administration. Plus encore, il était procédé à un inventaire des biens du mari, qui étaient hypothéqués au profit de sa femme, comme pour lui apporter une dot.
Dès lors, « ce régime consacre ainsi la liberté absolue de la femme, ou plutôt sa domination dans le ménage ». Cette domination avait été relevée par les Grecs, notamment Diodore de Sicile qui s’était rendu en Égypte et avait pu observer que « dans les contrats dotaux passés entre particuliers, il est toujours stipulé que la suprématie sur l’homme appartiendra à la femme, le mari s’engageant à obéir à celle qu’il épouse » (Diodore, I, xxvii).
Ces avantages accordés aux femmes avaient pour contrepartie, issue de la liberté des conventions, la possibilité pour les hommes d’avoir plusieurs femmes, à des conditions analogues. Le mari pouvait répudier sa femme, mais contre une somme d’argent.
L’exemple de l’Égypte antique reste particulier et ne se retrouve pas dans les autres civilisations antiques, d’ailleurs, cette liberté féminine disparaitra en grande partie avec la conquête grecque puis romaine. Le reste de l’antiquité se contente de protéger les femmes en leur garantissant une protection financière qui leur permettra de se marier.
Par exemple, le Code de Lipit Ishtar protège principalement les femmes, en énonçant de nombreuses règles relatives au droit matrimonial (rupture des fiançailles, divorce répudiation), etc. L’on retrouve la même idée dans le Code d’Hammourabi qui prévoit notamment que « si un homme n’a pas offert de cheriqtou (ou une dot) à sa fille ni ne l’a donnée à un mari, quand ensuite le père mourra, ses frères lui offriront une cheriqtou, selon la fortune de la maison paternelle, et la donneront à un mari », (§ 184). De la même manière, le Code de l’Alliance prévoit que « si un homme séduit une vierge qui n’est point fiancée, et qu’il couche avec elle, il paiera sa dot et la prendra pour femme ». (Exode XXII, 16).
L’on retrouve dans la loi de Manu une bienveillance pour tout ce qui vit, qui se traduit par la pitié pour la misère, le respect de la faiblesse. Par exemple l’on remarque une protection affichée des femmes : « Partout où les femmes sont honorées, les divinités sont satisfaites ; mais lorsqu’on ne les honore pas, tous les actes pieux sont stériles ». De même, « [r]enfermées sous la garde des hommes, les femmes ne sont pas en sûreté ; celles-là seulement sont bien en sûreté qui se gardent elles-mêmes de leur propre volonté ».
Ces règles vont jusqu’à l’affirmation d’une sorte de droit aux bijoux : « C’est pourquoi, est-il dit, les hommes doivent avoir des égards pour les femmes de leurs familles, et leur donner des parures, des vêtements et des mets recherchés ». « Si une femme n’est pas parée d’une manière brillante, elle ne fera pas naître la joie dans le cœur de son époux ».
La protection physique. Dans le droit hindou certaines parties de la population étaient protégées contre la torture. Ainsi, les femmes enceintes, les enfants, mais également les prêtres, personnes sacrées et invalides étaient protégés contre le recours à cette pratique. Dans le même sens, le Code des Han chinois, très influencé par les préceptes bouddhistes, prévoit la distribution de riz aux femmes enceintes.
Les différentes civilisations de l’antiquité disposaient de règles liées à la protection des enfants et à la succession. Ces règles peuvent être distinguées au sein de deux grands groupes. Celles qui visent à garantir la subsistance des enfants – l’abandon des enfants était fermement interdit dans l’Égypte antique. Cette interdiction n’avait cependant pas pour objectif la protection de la vie humaine, mais simplement l’accroissement de la population-. Et celles relatives à la succession. Elles sont les plus nombreuses et se retrouvent dans une grande majorité des droits antiques. Par exemple, le droit égyptien imposait au mari de s’engager, dès le contrat de mariage, à faire hériter ses enfants à parts égales sans distinctions de sexe. Seule une part supplémentaire était prévue pour l’aîné.
Mais c’est principalement le droit antique mésopotamien qui recèle le plus d’indications en matière de successorale. Par exemple, le Code de Lipit ishtar prévoit un droit à la liberté, sans discrimination, de même qu’un droit à l’héritage, y compris l’égalité pour l’héritage, notamment en cas de pluralité des épouses (art. 24) et une protection des enfants illégitimes, auxquels leur père doit apporter un soutien matériel (art. 27). Toutefois la mère des enfants illégitimes ne profite pas de cette protection, tant que l’épouse légitime est en vie.
Dans le même sens, le Code Hammourabi est extrêmement riche en ce qui concerne le statut et les droits des enfants. Il repose sur l’idée que l’union matrimoniale a pour but la procréation comme le révèlent les passages sur la répudiation et le concubinage ayant pour but d’enfanter. La famille constitue en effet, à la fois une unité économique et religieuse, d’où l’importance d’une descendance tant pour la vie terrestre (not. pour assurer la survie des parents lorsqu’ils ne seront plus capables de le faire) que pour la vie de l’au-delà (les enfants sont censés assurer le repos des ancêtres défunts). Il s’en suit que de nombreuses règles concernent les enfants et visent leur protection.
La protection des enfants illégitimes
Tout comme le Code de Lipit Ishtar, le Code Hammourabi prévoit des dispositions protectrices pour les enfants illégitimes, y compris ceux nés d’une union d’un homme libre et d’une esclave. En particulier : « Si le père de son vivant n’a pas dit aux enfants que l’esclave lui a enfantés : “vous êtes mes enfants”, quand le père mourra, les enfants de l’esclave ne partageront pas la fortune mobilière de la maison paternelle avec les enfants de l’épouse. Il effectue l’affranchissement de l’esclave et de ses enfants ; les enfants de l’épouse ne peuvent revendiquer pour la servitude les enfants de l’esclave ; quant à l’épouse, elle prendra sa cheriqtou et le noudounnou20 que son mari lui a donnés et lui a marqués sur tablette, et elle restera dans la maison de son mari ; tant qu’elle vivra, elle en jouira, mais ne pourra les aliéner pour argent ; après elle, ils sont à ses enfants », § 171.
Les règles régissant l’adoption
Les couples sans enfants peuvent recourir à l’adoption. Ils peuvent adopter un enfant à sa naissance par contrat, auquel cas il ne peut plus être réclamé (§ 185), mais s’il s’agit d’un enfant trouvé en bas âge (adoption sans contrat), il peut retourner chez ses parents naturels s’il les retrouve (§ 186). Ces cas généraux ne sont pas valables s’il s’agit de fils adoptifs de fonctionnaires du palais, d’une religieuse-nadītum (§ 187) ou d’un artisan ayant formé son enfant (§ 188) qui ne peuvent être réclamés. L’enfant adopté ne peut pas renier ses parents adoptifs, sous peine de mutilation s’il s’agit d’un fonctionnaire de palais ou d’une nadītum (§§ 192-193), mais il est protégé : il peut retourner à sa famille de naissance s’il n’a pas été traité comme un fils normal (§ 190), et il dispose d’un droit d’héritage dans sa famille adoptive même si son père adoptif choisit de le renvoyer (§ 191).
Les relations familiales
La famille est dominée par le père, c’est lui qui a l’autorité sur ses enfants de la même manière qu’il assure sa supériorité sur son épouse. Ainsi, un fils ayant frappé son père est susceptible de voir sa main tranchée (§ 195). Un père ayant contracté une dette peut donner en gage son fils ou sa fille (ainsi que son épouse) pour qu’il ou elle travaille pour rembourser sa dette (§ 117).
Les relations incestueuses
Le Code s’intéresse également aux relations sexuelles incestueuses, qui font l’objet de cinq articles21 qui les condamnent de manière assez forte. Par exemple le paragraphe 154 prévoit que : « Si quelqu’un a “connu” sa fille, on le chassera de la ville » et le paragraphe 157 que : « Si quelqu’un, après la mort de son père, a couché dans le sein de sa mère, on les brûlera tous les deux ». Toutefois, ces règles visent plus à protéger la femme et une certaine « propreté » de la famille que les enfants. Par ailleurs, aucune règle ne détermine la majorité sexuelle, celle-ci étant considérée comme acquise très tôt.
Règles régissant la succession
Un des problèmes les plus aigus des familles est la transmission de leur patrimoine. Les fils ont droit à une part d’héritage à la mort de leur père, les filles disposant normalement de leur part au moment de leur mariage avec leur dot. Le Code ne régit pas les principes successoraux, qui sont de l’ordre de la coutume et peuvent différer selon les villes, mais s’intéresse à certains litiges successoraux.
Ainsi le paragraphe 167 s’assure que les fils d’un même père mais d’une mère différente ont des parts égales du patrimoine paternel, et il en va de même pour la part de l’héritage maternel, qui est sa dot (§§ 173-174) ; au cas où un partage aurait été fait du vivant du père mais qu’un fils ait été ignoré, ses frères doivent lui donner l’équivalent de leur part (§ 166). Par ailleurs les paragraphes 165, 168 et 169 permettent au père de déroger à la coutume en donnant une part supplémentaire à un fils ou en déshéritant un de ses fils, sous réserve qu’il ait un motif valable22.
L’esclavage était commun dans l’antiquité. La société était donc divisée en différentes classes, avec des statuts différents. Si les esclaves étaient situés tout en bas de cette hiérarchie sociale ils n’étaient toutefois pas totalement dépourvus de protection.
L’on retrouve dans les différentes codifications antiques certaines règles relatives à leur protection tant physique que familiale.
La protection physique