Histoire du soldat - Charles Ferdinand Ramuz - E-Book

Histoire du soldat E-Book

Charles Ferdinand Ramuz

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Beschreibung

Le pacte entre le Diable et un soldat de retour de la guerre...

Un soldat revient de guerre, et se distrait en jouant du violon. Lorsqu’il rencontre le Diable dans la personne d’un vieillard, sa destinée bascule. Que choisir: la richesse, l’âme, le pouvoir, l’art ? Son violon devient un symbole de l’âme et une monnaie d’échange pour accéder à la richesse ou encore à l’amour, quand la princesse tombe malade et que le roi la promet en mariage à celui qui saura la guérir.
Après de multiples rencontres avec le Diable, le soldat saura-t-il résister au désir de liberté et d’inconnu et se garder de tomber du côté des ténèbres ? Cette histoire emprunte au mythe de Faust où, comme dans la légende d’Orphée, la musique a droit de vie ou de mort.
L’Histoire du soldat, issue d’un conte populaire russe, est publiée à l’occasion du centenaire de l’œuvre écrite par Ramuz et mise en musique par Stravinsky.
Cet ouvrage comprend une seconde partie composée d’un appareil critique écrit par Georges Schürch, Alain Rochat et Philippe Girard.

Découvrez ou redécouvrez cette oeuvre issue d'un conte populaire russe, écrite par Ramuz et mis en musique par Stravinsky !

EXTRAIT

Rideau fermé, lecteur à droite (côté cour), orchestre à gauche (côté jardin). Le lecteur entre et s’assied, ouvre son livre, en lisant :
Nous allons représenter devant vous l’Histoire du soldat, texte de C. F. Ramuz, musique d’Igor Stravinsky, décors de René Auberjonois.
Dès qu’il a fini cette présentation, la musique commence. Musique, Airs de marche.
LE LECTEUR, pendant la musique.
Entre Denges et Denezy,
Un soldat qui rentre au pays…
Quinze jours de congé qu’il a,
Marche depuis longtemps déjà…
A marché, a beaucoup marché,
S’impatiente d’arriver
Parce qu’il a beaucoup marché.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Charles Ferdinand Ramuz est né à Lausanne le 24 septembre 1878 et mort à Pully le 23 mai 1947. Son œuvre comprend romans, essais et poèmes. Il est un auteur phare des Éditions Plaisir de Lire qui publient avec l’ Histoire du soldat 25 de ses œuvres.

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Couverture

Page de titre

REMERCIEMENTS

Les Éditions Plaisir de Lire remercient vivement Georges Schürch, Alain Rochat et Philippe Girard pour leur plume experte et leurs conseils avisés,

L’association « Les Amis de muret » à Lens, noël Cordonier et Christophe Flubacher pour les textes extraits du livre : N. Cordonier & C. Flubacher (dir.), Le Diable, la plume et le pinceau, Auberjonois, Muret, Ramuz, Stravinsky, éd. par « Les Amis de Muret », Lens, 2015,

Cédric Divoux, administrateur de l’Opéra de Lausanne, pour cette belle collaboration à l’occasion du centenaire de l’Histoire du soldat.

HISTOIRE DU SOLDAT

Parlée, jouée, dansée

Représentation pour la première fois en septembre 1918

Avec la musique d’Igor Stravinsky

Et les décors de René Auberjonois

Dernière version modifiée par Ramuz en 1946. Version présente dans le livret de l’enregistrement fait par William Jacques pour Radio-Genève en 1952.

Une petite scène mobile montée sur tréteaux. De chaque côté, un avancement. Sur un des avancements est assis le lecteur devant une petite table avec une chopine de vin blanc et un verre ; l’orchestre s’installe sur l’autre.

Composition de l’orchestre

1 violon, 1 contrebasse

1 clarinette, 1 basson,

1 cornet à pistons, 1 trombone

1 musicien de batterie (grosse caisse, caisse claire, tambours, cymbales, triangle)

Personnages

Le lecteur

Le soldat

Le Diable

Personnage muet

La princesse

PREMIÈRE PARTIE

Rideau fermé, lecteur à droite (côté cour), orchestre à gauche (côté jardin). Le lecteur entre et s’assied, ouvre son livre, en lisant :

Nous allons représenter devant vous l’Histoire du soldat, texte de C. F. Ramuz, musique d’Igor Stravinsky, décors de René Auberjonois.

Dès qu’il a fini cette présentation, la musique commence. Musique, Airs de marche.

LE LECTEUR, pendant la musique.

Entre Denges et Denezy,

Un soldat qui rentre au pays…

Quinze jours de congé qu’il a,

Marche depuis longtemps déjà…

A marché, a beaucoup marché,

S’impatiente d’arriver

Parce qu’il a beaucoup marché.

Le rideau se lève. la musique continue. le décor représente les bords d’un ruisseau. le soldat entre en scène. fin de la musique.

LE LECTEUR

Voilà un joli endroit…

Si on se reposait un moment ?

Le soldat s’arrête au bord du ruisseau.

Mais le fichu métier qu’on a !

Le soldat s’assied. Il ouvre son sac.

Toujours en route, jamais le sou…

C’est ça ! mes affaires sens dessus dessous !

Mon Saint-Joseph qui est perdu !

(c’est une médaille en argent doré avec Saint Joseph son patron dessus)

Non, tant mieux ! … Va toujours fouillant,

sort des papiers avec des choses dedans,

des cartouches, sort un miroir

(tout juste si on peut s’y voir),

mais le portrait, où est-ce qu’il est ?

(un portrait de sa bonne amie qui lui a donné son portrait)

Il l’a retrouvé, il va plus profond,

il sort de son sac un petit violon.

Il le tient, il l’a retourné,

caresse ce petit bois rouge, ce poli qu’il a,

ce lustré, avec des veines tellement bien tracées,

qu’on dirait que c’est des portées,

passe la main sur sa longueur, son plat…

LE SOLDAT, accordant le violon.

On voit que c’est du bon marché,

il faut tout le temps l’accorder…

Le soldat se met à jouer. Musique.

Petits airs au bord du ruisseau.

Entre le diable. C’est un petit vieux qui tient à la main un filet à papillons. Tout à coup, il tombe en arrêt. La musique continue.

Le diable s’approche du soldat par derrière.

Fin de la musique.

LE DIABLE

Donnez-moi votre violon.

LE SOLDAT

Non !

LE DIABLE

Vendez-le-moi.

LE SOLDAT

Non !

LE DIABLE, posant son filet à papillons et prenant dans la main droite le livre qu’il a sous le bras gauche.

Changez-le-moi contre ce livre.

LE SOLDAT

Je sais pas lire.

LE DIABLE

Vous ne savez pas lire ? ça ne fait rien.

C’est un livre… On n’a pas besoin de savoir lire pour le lire.

C’est un livre, je vais vous dire,

qui se lit tout seul ; il se lit pour vous.

On n’a qu’à l’ouvrir, on sait tout.

C’est un livre… c’est un coffre-fort…

On n’a qu’à l’ouvrir, on tire dehors…

Des titres !

Des billets !

De L’OR !

LE SOLDAT

Faudrait me le montrer d’abord.

LE DIABLE

Je suis parfaitement d’accord.

Il tend le livre au soldat, qui se met à lire, bougeant les lèvres et suivant les lignes avec le doigt.

LE LECTEUR

À terme, à vue, cours des changes…

Pas moyen d’y rien comprendre.

LE SOLDAT

Je lis, c’est vrai, mais je ne comprends pas.

LE DIABLE

Essayez toujours, ça viendra.

LE SOLDAT

Et puis aussi, monsieur, si ce livre vaut tant d’argent,

mon violon, à moi, il m’a coûté dix francs.

LE DIABLE

Ce que c’est quand même que l’honnêteté !

Elle va vous récompenser

En vous faisant faire une bonne affaire.

L’occasion n’est pas ordinaire.

Dites que oui, profitez-en…

LE SOLDAT

Oh ! bien, si vous y tenez tant !

Il donne le violon au diable et se met à lire dans le livre.

LE LECTEUR

À terme, à vue, cours des changes,

Bourses du samedi 31… Quel jour est-ce qu’on est ? on est

un mercredi, le mercredi 28…

C’est un livre qui est en avance.

C’est un livre qui dit les choses avant le temps, drôle ça ! …

LE DIABLE, brusquement, après avoir inutilement essayé de jouer.

Dis donc, tu vas venir chez moi.

LE SOLDAT

Pour quoi faire ?

LE DIABLE, montrant le violon.

Tu ne vois pas ?

Je n’ai pas encore le coup.

Tu me donnes vite deux ou trois leçons

et je te ramène à la maison.

LE SOLDAT

Où est-ce que c’est ça, chez vous ?

LE DIABLE

Tout près d’ici, de tes côtés.

LE SOLDAT

C’est que je n’ai que quinze jours,

rien que quinze jours de congé.

LE DIABLE

Ce sera pour toi à peine un détour.

Et puis j’ai ma voiture : tu seras rendu plus vite qu’à pied.

LE SOLDAT

Et ma fiancée qui m’attend.

LE DIABLE

Puisque tu arriveras à temps…

LE SOLDAT

On sera logé ?

LE DIABLE

Logé, nourri, soigné, rafraîchi, dorloté,

ma voiture pour te ramener,

deux ou trois jours, un tout petit détour,

après quoi riche pour toujours…

LE SOLDAT

Qu’est-ce qu’on aura à manger ?

LE DIABLE

La cuisine est au beurre et de première qualité.

LE SOLDAT

On aura de quoi boire ?

LE DIABLE

Rien que du vin bouché.

LE SOLDAT

Et on aura de quoi fumer ?

LE DIABLE

Des cigares à bagues en papier doré.

Le rideau se baisse.

LE LECTEUR

Eh bien ! c’est comme vous voudrez.

C’est comme vous voudrez, je vous dis ;

et il a suivi le vieux chez lui,

qui se trouve avoir dit l’exacte vérité,

c’est-à-dire que Joseph a eu à boire et à manger,

et a été soigné comme il n’avait jamais été,

et montra au vieux à jouer et

le livre lui fut montré.

Deux jours valant bien le détour,

puis vint ce matin du troisième jour.

Tout à coup, il vit le vieux qui entrait,

et le vieux lui dit : « es-tu prêt ?

Mais d’abord as-tu bien dormi ? »

Et Joseph qui répond que oui.

« Est-ce qu’on a tenu ce qu’on t’avait promis ? » Et Joseph qui répond que oui.

« Alors tu es content ? » « Oh ! oui. » « eh bien, dit le vieux, allons-y ! »

Ils montèrent dans la voiture, la voiture partit.

Mais tout à coup, Joseph s’accroche des deux mains

au rebord en cuir des coussins ;

« Attention ! tiens-toi ! tiens-toi bien !

c’est que mes chevaux vont bon train » ;

il voudrait se lever, il voudrait sauter, pas moyen ;

la calèche est montée en l’air,

elle prend le ciel en travers ;

« Es-tu content ? es-tu toujours content ? »

elle glisse en l’air au-dessus des champs,

combien de temps ? il n’y a plus de temps…

Musique. Airs de marche, comme au début de la première lecture.

Entre Denges et Denezy,

Un soldat qui rentre au pays.

Quinze jours de congé qu’il a,

marche depuis longtemps déjà…

A marché, a beaucoup marché,

se réjouit d’être arrivé

parce qu’il a beaucoup marché.

Fin des airs de marche.

Bravo ! ça y est ! on est chez nous ; bonjour, madame Chappuis !

elle est dans son plantage, bonjour, comment ça va-t-il ?

elle n’entend pas, mais voilà Louis, hé ! Louis !

il passe dans le pré sur son char à échelles,

c’est Louis, c’est un vieil ami ;

hein, quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? lui non plus qui ne répond pas ?

Hé ! Louis, tu ne me reconnais pas, ou quoi ?

Joseph, Joseph le soldat,

Joseph, tu te rappelles bien

(l’autre continue son chemin,

il continue aussi le sien) ;

et voilà la maison d’école, avec sa cloche et les engins,

Joseph, Joseph, vous vous rappelez bien !

voilà le four, l’auberge et partout des gens, à présent,

des hommes, des femmes, des enfants,

qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’il y a ?

est-ce qu’ils auraient peur de moi ?

vous vous rappelez bien pourtant, Joseph Dupraz !

Joseph ! … Une première porte se ferme, une autre qui s’est fermée.

Et une, et une encore, et elles crient, étant rouillées.

Toutes ces portes qu’on entend.

Et lui alors : « heureusement ! … »

c’est qu’il pense à sa mère : mais, le voyant venir, elle se sauve en criant ;

et il pense : « J’ai ma fiancée… »

Mariée !

Deux enfants !

Grand silence. Puis sourdement.

Ah ! brigand ! bougre de brigand !

je sais qui tu es à présent.

Je comprends, j’y ai mis du temps.

Fort.

Ça n’est pas trois jours, c’est trois ans ! …

Bas.

Ils m’ont pris pour un revenant,

je suis mort parmi les vivants.

Un temps. Puis fort.

Ah ! brigand ! bougre de brigand ! Je l’ai écouté bêtement ; et c’est vrai que j’avais bien faim et que j’étais bien fatigué, ça n’explique pourtant pas pourquoi je l’ai écouté, est-ce qu’on fait attention à ce que les gens qu’on ne connaît pas vous disent ? On leur répond :

« Je ne vous connais pas » au lieu de quoi, je l’ai écouté…