Hors-la-loi à Groix - Bernard Larhant - E-Book

Hors-la-loi à Groix E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Certains secrets de famille sont, semble-t-il, bien gardés....

L’île de Groix est coupée du continent en raison d’un conflit social. Dans le même temps, Joseph Keryvon, médecin retraité, meurt d’une crise cardiaque durant sa promenade. Pour tout le monde il s'agit d'un accident de santé dû à son âge sauf pour Paul Capitaine qui venait de discuter avec la victime.
Dans le huis clos de l’île, Paul, Sarah et Dominique vont aider les gendarmes à comprendre le déroulement des faits, dialoguer avec les Groisillons, découvrir le passé mystérieux du docteur, sa famille, ses relations.
Qui pouvait en vouloir au retraité ? Pour quelle raison ? Seule certitude, en raison du blocus, les réponses se trouvent à Groix.

Découvrez le 13e tome des enquêtes insulaires du capitaine Paul Capitaine, aidé de sa fille Sarah !

EXTRAIT

"— Mais que fais-tu là, tu n’es pas fou ? hurla Sarah en pointant dans la salle à manger de l’hôtel son museau mutin, coiffée d’un bonnet rouge.
Dans un seul geste, les têtes de tous les clients se tournèrent vers moi, paisiblement installé dans un angle au fond de la salle, qui ne réclamais rien à personne. Et les regards me fusillèrent sans autre forme de procès, le ton de ma fille ayant valeur de cour martiale. Cela faisait une semaine que nous prenions censément un peu de détente à Groix et elle me menait la vie dure, au lieu de se réjouir de me savoir encore en vie."

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Éditions Bargain, le succès du polar breton" - Ouest France

"Acheté lors de mon séjour à l'île de Groix, ce livre avait une saveur spéciale du fait de connaître les différents lieux cités ; cette enquête avait une originalité pour un moment de détente bienvenue !" - marieclairec, Babelio

À PROPOS DE L’AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l’écriture de polars avec les enquêtes bretonnes d’un policier au parcours atypique, le capitaine, Paul Capitaine et de sa fille Sarah.  À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.



À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

Le blog de l’auteur : http://motsdebernard.canalblog.com/

REMERCIEMENTS

- À André Morin pour le bon suivi de la procédure policière.

- À Lorraine, Brigitte et Domi, pour leurs relectures du manuscrit.

- Aux Groisillons, en particulier Nattia, Michel, Yannick, Catherine Robert, responsable de la Réserve Naturelle, et l’association Saint-Gunthiern.

PRINCIPAUX PERSONNAGES

PAUL CAPITAINE : 55 ans, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la ville et la région. Il trouve au sein de la Police Judiciaire de Quimper une seconde jeunesse, grâce à Sarah, sa partenaire mais aussi sa fille. Il est le compagnon de la magistrate Dominique Vasseur, même si rien n’est simple dans leurs relations intimes. Là, il vient d’essuyer un pépin cardiaque qui l’astreint à une période de convalescence.

SARAH NOWAK : 31 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Engagée dans la police pour retrouver son père breton, elle va le découvrir en son partenaire Paul Capitaine. Dotée d’un caractère fort et généreux, elle cultive des rêves d’absolu. Le plus souvent attachante, parfois irritante, toujours franche et sincère.

DOMINIQUE VASSEUR : 47 ans, substitut du procureur de la République, compagne de Paul Capitaine. Elle a échoué à Quimper après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre, loyale, elle a refusé une promotion pour demeurer en Bretagne auprès de Paul, mais souffre de ne pas avoir d’enfant.

PROLOGUE

— Mais que fais-tu là, tu n’es pas fou ? hurla Sarah en pointant dans la salle à manger de l’hôtel son museau mutin, coiffée d’un bonnet rouge.

Dans un seul geste, les têtes de tous les clients se tournèrent vers moi, paisiblement installé dans un angle au fond de la salle, qui ne réclamais rien à personne. Et les regards me fusillèrent sans autre forme de procès, le ton de ma fille ayant valeur de cour martiale. Cela faisait une semaine que nous prenions censément un peu de détente à Groix et elle me menait la vie dure, au lieu de se réjouir de me savoir encore en vie.

— Comme tu vois, je prends mon petit-déjeuner, avant de m’élancer pour ma marche matinale, ma grande ! Et toi, tu as bien dormi ? Tu es rentrée tard, je trouve… Quand je pense que tu devrais te trouver au travail à Quimper, à cette heure.

— Ne détourne pas la conversation, insista Sarah, désormais face à moi, mains agrippées au dossier de la chaise, balayant du regard les victuailles sur la table, c’est tout ce que tu dois absolument supprimer de ton alimentation et tu le sais ! Le beurre salé…

— C’est juste une petite plaquette de rien du tout et, de plus, c’est du demi-sel.

— De la confiture ! C’est bourré de sucre, cette confiture industrielle, et tu n’as plus le droit au sucre.

— Il faut bien mettre quelque chose sur sa tartine, tout de même, on n’est pas au pain sec et à l’eau, ce n’est pas le bagne ! rétorquai-je en prenant mes voisins à témoin.

— Et c’est quoi, ces morceaux de sucre sur la soucoupe ? Tu en as forcément mis deux ou trois dans ton café. Tu n’as pas pu t’en empêcher, je te connais par cœur.

— D’abord, que fais-tu debout d’aussi bonne heure ? Cela ne te ressemble pas. Surtout quand tu rentres te coucher au milieu de la nuit.

— Je vais faire de la plongée, j’ai rendez-vous à neuf heures avec Greg. Je te pique une tartine à l’abricot et j’y vais. À midi, mon papounet, et n’oublie pas de prendre ton spray sur toi, en cas de malaise pendant ton exercice…

Depuis deux mois, ma vie avait singulièrement changé. Tout cela parce qu’au cours de l’une de nos marches dominicales, j’avais senti un froid qui me remontait l’œsophage. Dominique en avait parlé à notre toubib qui m’avait pris un rendez-vous avec un cardiologue. Deux jours plus tard, je me trouvais sur un home-trainer pour un test d’effort et le lendemain à l’hôpital, duquel je ressortis avec quelques stents et un changement radical de médicaments pour mes artères. Adieu le petit whisky du soir, parmi tant de plaisirs intimes qui m’étaient désormais interdits, bonjour les pilules à prendre avant de me coucher et le matin au réveil. J’avais bien compris la leçon, le chirurgien avait été très clair, je revenais de loin, j’aurais très bien pu m’effondrer dans la rue, comme un chêne qu’on vient d’abattre. Une fin brutale semblable à celle qui touche hélas chaque jour bien des personnes. Désormais, plus d’écart, plus d’excès, si je voulais continuer à profiter de la vie.

Naturellement, une longue période de repos me fut accordée, avec une convalescence nécessaire après l’intervention du praticien. Journées durant lesquelles Dominique et Sarah se relayaient auprès de moi, dans notre maison de Bénodet, pour veiller sur chacun de mes gestes et sur le respect scrupuleux de mon ordonnance. Et quand elles ne pouvaient pas se libérer de leurs obligations, Colette, ma frangine, prenait le relais, avec un sens aigu du devoir familial. Marquage à la culotte, selon l’expression footballistique. Flicage permanent, en langage d’ados. En fait, je me sentais bien, même si je réapprenais à vivre différemment. Je faisais le maximum pour respecter les consignes, veiller à mon hygiène de vie, faire quotidiennement de l’exercice physique, boire beaucoup d’eau, me détendre, et pourtant ma vie devenait souvent un enfer. J’avais beau tenter de me convaincre qu’il s’agissait de marques d’amour de la part de mes proches, j’avais fini par perdre mon humour, en même temps que huit kilos superflus.

Au bout d’un mois d’une vie nouvelle, moins stressante, mais pas forcément plus apaisante, lors de l’examen chez le cardio, celui-ci me suggéra une quinzaine de jours loin de la maison, si possible au bon air en un lieu calme. Et de me suggérer dans la foulée :

— Connaissez-vous Groix ? L’air y est excellent, le climat tempéré, comme sur bien des îles, et les arrière-saisons très douces, idéales pour des balades à pied ou à vélo. J’ai même une adresse à vous proposer : l’Hôtel du Korrigan Grek, proche de l’embarcadère de Port-Tudy.

— J’ignorais qu’il y avait des korrigans en Grèce, m’étonnai-je, même si les noms de bars, restaurants et hôtels étaient parfois bien surprenants.

— Les Greks, ce sont les Groisillons dans un langage familier car, chez eux, la cafetière – “grek” en langue bretonne – est toujours sur le feu, m’expliqua l’homme de l’art. Vous verrez, le Korrigan Grek, c’est une pension de famille à l’ambiance agréable. De plus, cet établissement possède l’avantage de proposer des menus aménagés pour les personnes qui doivent veiller à leur alimentation… Notez bien que je n’ai pas parlé de régime ! Et si, une fois dans la semaine, vous voulez vous offrir un plateau de fruits de mer locaux, rien ne vous en empêche, mais gare à la mayonnaise, par contre. Et vous pouvez même vous autoriser un verre de muscadet pour les accompagner.

J’avais donc retenu une chambre pour quinze jours à l’Hôtel du Korrigan Grek sur l’île de Groix, pour la période du début octobre, avec possibilité de la conserver une semaine de plus. J’avais acheté la carte IGN, un guide touristique et un autre plus historique, pour ne pas y débarquer en total ignare. Un soir, à l’heure où d’ordinaire nous prenions l’apéro dans son appartement, Dominique arriva vers moi, le sourire aux lèvres. Elle avait pu se libérer de ses obligations de magistrate pour m’accompagner à Groix et veiller sur moi durant quinze jours. Une preuve supplémentaire d’amour, selon ses paroles, qui masquait très mal ses doutes quant à ma volonté de suivre à la lettre les recommandations des médecins. Et pour couronner le tout, au dernier moment, après avoir fait des pieds et des mains auprès de Radia, notre grande patronne, Sarah avait pu décrocher au forceps une semaine de récupération et se joignait donc à nous, retenant une chambre en solo qui, à n’en point douter, serait inscrite sur ma note à l’issue de mon séjour. Dire que le toubib m’avait préconisé le calme et la détente…

Et pourtant, si je parvenais à faire abstraction de mon entourage immédiat, ce séjour se révélait un pur délice. Dès le moment passé à l’embarcadère de Lorient dans le petit café “Le Vapeur” où Sophie, la jeune et sympathique patronne, nous vanta les beautés de son île avec suffisamment de lyrisme et d’émotion pour qu’on y perçoive des promesses d’authentique bonheur et que la tasse de café semble laisser échapper des effluves insulaires aux touches d’iode, même si le contenu provenait d’un percolateur et non d’une “grek”.

Sur le roulier Saint-Tudy ensuite, à bord duquel j’appris que les Groisillons n’utilisaient jamais les ponts supérieurs, réservés aux touristes, et faisaient la traversée dans la salle du bas où tous se connaissaient et avaient leurs habitudes, parfois leur place et leurs voisins attitrés. Ce qui m’incita à me joindre à eux, quand Dominique et Sarah, préférant le confort des ponts supérieurs avec vue sur Larmor-Plage ou Port-Louis, selon le côté vers lequel on tournait les yeux. Installé à l’étage en dessous de celui occupé par mes chiennes de garde, dans les conversations simples au langage coloré des gens du pays, je compris très vite que j’aimerais le contact quotidien de ces personnes simples et avenantes, qui croquaient la vie sans chichis et affichaient un franc sourire dénué de toute arrière-pensée et pour qui Groix n’était pas juste un caillou dans l’océan mais représentait un art de vivre.

L’une d’entre elles, alors que nous quittions la rade de Lorient après avoir laissé sur notre gauche la citadelle de Port-Louis, me raconta ce matin de juillet 2008 où les deux rouliers s’étaient percutés en raison d’un épais brouillard. Par chance, il n’y avait pas eu de victimes et certains estivants à bord n’avaient même pas senti la collision légère. “L’Île-de-Groix” avait tout de même dû faire demi-tour vers Lorient et les passagers avaient été pris en charge par un catamaran rapide pour rallier leur lieu de villégiature.

Un peu moins d’une heure plus tard, une fois les véhicules descendus du roulier, je restai scotché devant cette vue magnifique de Port-Tudy, un décor de carte postale avec ses façades colorées mais aussi ce qu’il fallait de mouettes blanches en vol pour souligner l’azur du ciel. Et surtout cette atmosphère de paix et de joie de vivre, sans doute moins palpable dans l’effervescence fébrile de l’été. En octobre, les touristes étaient forcément plus rares, moins stressés aussi, souvent des retraités. Commença alors le manège étonnant des valises à roulettes au bruit si particulier qu’on se serait cru dans une gare, à l’heure de pointe. Celles des arrivants au linge propre croisant celles, remplies de souvenirs, des partants à la mine morose et aux vêtements imprégnés d’iode…

Et devant moi, qu’on ne pouvait manquer tant elle sautait aux yeux, la façade tango du Korrigan Grek, notre destination. On approchait de midi et, dès le premier déjeuner, je compris ma douleur, quand mes compagnes se rassasièrent d’huîtres puis de tourteau, tandis que je me contentais d’un chignon de poireaux à la vinaigrette légère, suivi d’une tranche de lieu – certes fraîche et succulente – accompagnée de riz, le tout avec une demi-bouteille d’eau gazeuse qui descendit moins vite que la fillette de sauvignon des épicuriennes installées en face de moi. Et que dire, à l’heure du dessert, quand je regardai, consterné, mon yaourt et ma pomme golden, alors que les yeux de Dominique léchaient déjà la chantilly de sa tarte aux pommes et caramel au beurre salé et que Sarah, faussement soucieuse de sa ligne, dévorait déjà son île flottante, au point que je m’interrogeai intérieurement sur ce qu’il resterait de Groix à son départ. Dire que je n’étais qu’au début de mes tourments…

* * *

— Mais c’est quoi ce raffut, tous les deux, on vous entend jusqu’au dernier étage de l’hôtel ! s’emporta Dominique, emmitouflée de bon matin dans un gros pull de laine. C’est un lieu de repos et de détente, ici, pas une fête foraine. Alors, que se passe-t-il ?

— Regarde ce qu’il a étalé sur ses tartines, s’insurgea Sarah en tendant le reliquat de la tranche qu’elle avait déjà bien entamée, avec beurre et confiture à l’abricot bien visibles.

— Non, Paul, tu n’es pas raisonnable, sanctionna Dominique, dépitée, pense à notre peine si jamais il t’arrivait un…

— Moi, j’ai eu, voilà deux ans, un problème similaire à celui de monsieur, intervint un brave sexagénaire au visage bien rouge, et je puis témoigner que si l’on prend bien ses médicaments et si on pratique une activité physique régulière…

— Vous, on ne vous a rien demandé, le coupa Sarah, des revolvers dans les yeux, tout en se nettoyant les doigts avec un mouchoir en papier. C’est mon père et je tiens à lui !

— Car vous croyez que je ne tiens pas à mon mari ? s’offusqua l’épouse qui s’était sentie offensée, à juste titre, par les paroles blessantes de Sarah.

— Bien, je vous laisse à vos polémiques, annonçai-je en me levant avec solennité. C’est l’heure de ma marche commando quotidienne. Une chance que les adjudants de garnison ne peuvent pas me filer le train…

— Je t’accompagne, asséna ma fille en enfonçant sur son crâne le bonnet rouge qui lui donnait des allures de pasionaria du Ponant, le lieu de rendez-vous est de l’autre côté du port. À midi, Dominique, bonne matinée…

— Tu as bien pris tes médicaments ? interrogea ma compagne, à qui je venais de poser sur les lèvres un bisou qui se voulait amoureux. Et ton spray, tu as bien ton spray dans la poche de ton blouson ?

Groix possédait des dizaines de sentiers pédestres qui permettaient de découvrir chaque recoin de l’île et de varier les surprises au fil des journées. Pour une autre vie, à un rythme différent, en osmose avec la nature, les éléments et avec les gens du pays. Et même si j’avais arpenté ce caillou en long, en large et en travers durant la première semaine, chaque jour, selon la marée, l’éclairage solaire, les reflets colorés de l’océan, dame Nature m’offrait un panorama nouveau. Et il en était toujours ainsi, si l’on s’en référait aux gens d’ici qui ne parlaient jamais de leur île sans quelques étincelles dans les pupilles.

Sur le port, une agitation particulière s’était emparée des habitants depuis le début du week-end et l’annonce d’une hausse du tarif des traversées pour les insulaires et leurs proches travaillant sur le continent, les étudiants notamment, mais surtout la suppression d’une rotation quotidienne. Conséquence, les Groisillons avaient bloqué le port depuis deux jours pour protester contre le projet, interdisant donc le retour des vacanciers sur le continent, comme Sarah par exemple. Et pas de passe-droit. Le Saint-Tudy était occupé par les manifestants et les particuliers qui auraient pu aller contre le mouvement en transportant des continentaux s’étaient unanimement montrés solidaires. Naturellement, faux jeton comme pas deux, ma fille était parvenue à convaincre Radia, notre commissaire, qu’elle devait, la mort dans l’âme, rallonger sa période de congés. À moins de se faire rapatrier spécialement par l’hélicoptère de la gendarmerie jusqu’à Lorient, mais était-ce raisonnable ?

Elle avait appris, avant de venir à Groix, que les parages de l’île recelaient des trésors d’épaves diverses qui représentaient une mine d’émerveillement pour les plongeurs. Elle était allée se renseigner, dès notre arrivée à Groix, au club de plongée, avait montré son brevet niveau 2 décroché aux Glénan, obtenu une carte des spots à sa portée. Par hasard, elle avait rencontré un jeune passionné, Grégoire Bastère, qu’elle ne quittait plus de la journée et jusque tard dans la nuit. Oubliés Quentin, le pompier sérieux, et Blaise, le collègue facétieux, restés sur le continent et qui ne sauraient certainement jamais rien du programme de ma fille durant sa semaine… rallongée.

Pour sa part, Dominique allait à la découverte des artistes de l’île, des musées et autres curiosités, quand elle ne passait pas une heure à la Maison de la Presse, avant d’en ressortir avec un livre méconnu racontant l’histoire de l’île. Elle détestait marcher ou pratiquer le vélo, encore plus plonger – surtout dans une eau à 14° – mais elle ne s’ennuyait jamais et trouvait toujours le moyen de s’instruire et d’enrichir sa culture générale, pourtant déjà aussi solide que son appétit.

Je laissai Sarah avant le lieu de son rendez-vous car, même si elle m’aimait, être vue par son copain en compagnie de son vieux paternel, ce serait trop la honte pour elle ! Allez savoir en quels termes elle lui avait parlé de moi, du moins si elle avait évoqué ma présence sur l’île, ce qui n’était pas couru d’avance… J’avais pensé prendre le chemin de Port Lay en direction de Pen Men, mais comme ma fille avait décrété qu’elle m’accompagnait – sauf que son trajet conduisait dans la direction inverse – je me retrouvai sur le chemin côtier qui, en partant vers l’est, menait vers Port Mélite et, bien plus loin, la pointe des Chats. La température était douce et, à la faveur d’un ciel clair, le continent se découpait en face de moi, me rappelant son rythme bien plus trépidant. La première leçon de vie que m’avait enseignée Groix, c’était que la nature nous imposait le sien : il fallait prendre le temps de respirer, à l’inverse de la course permanente en surrégime du continent.

La marche offrait l’avantage supplémentaire et non négligeable, en plus de faire fonctionner les articulations, d’être propice à la réflexion et au vagabondage de la pensée. Jean-Jacques Rousseau n’avait-il pas écrit Les Rêveries d’un promeneur solitaire ? Certes, me précisa Dominique, bien plus érudite, l’écrivain se trouvait au bout de son parcours car l’œuvre, rédigée durant les deux dernières années de son existence, était parue à titre posthume et était, de plus, inachevée. Ici, chaque pas inscrit dans un cadre sans cesse renouvelé, semblait faire battre mon cœur au rythme de mon environnement : les éléments, le cosmos. Et si je l’appréciais, sans doute était-ce surtout que je n’avais pas d’autre préoccupation majeure, en cette période de convalescence, que de prendre soin de ma santé.

Depuis ce pépin physique, le premier véritable de mon existence, si l’on exceptait les bobos consécutifs aux aléas de mon métier, je gambergeais pas mal sur mon avenir dans la police. J’avais 55 ans et quelques-uns de mes collègues avaient déjà rendu leur arme et leur plaque pour profiter d’une retraite méritée, qu’ils avaient plus ou moins bien préparée. Certes, j’avais encore la passion des enquêtes et aussi le devoir de protéger Sarah des malfrats, mais aussi d’elle-même, son plus dangereux ennemi. D’un autre côté, je sentais avec amertume que mes moyens physiques déclinaient, carences que je comblais par l’expérience du métier. Je savais cependant que l’heure de raccrocher se rapprochait à grands pas.

J’allais arriver vers les Grands Sables, cette étonnante plage de forme convexe – un cas unique en Europe – qui avait pour autre particularité de se déplacer de près de cent mètres tous les ans. Ce qui m’avait fait dire à Sarah, qui ne comprenait pas le phénomène, que le matin, elle s’allongeait sur sa serviette posée sur le sable et que le soir, tournée, retournée pour bronzer de partout, elle se retrouvait sur une serviette posée sur des galets. Elle me montra son étonnement avant de comprendre, courroucée, que je me moquais d’elle, une fois de plus. Car s’il existe une plage convexe, j’étais, pour ma part, le père d’une fille qu’on vexe également ! Bref, après une petite heure de marche, j’allais arriver vers les Grands Sables, un site exceptionnel et grandiose, quand un homme que j’avais déjà rencontré à deux reprises me salua. Il s’agissait de l’ancien médecin de l’île, solide octogénaire à la robuste carcasse, à la barbe chenue et à l’œil malicieux. Lors de notre première rencontre, je l’avais pris pour un vieux loup de mer en raison de sa vareuse couleur brique et de sa casquette bleu marine si typique. Il avait éclaté de rire en m’avouant ne même pas savoir nager. Il se dégageait de son personnage singulier une bonhomie apaisante et positive. Il m’apostropha, comme à chaque fois, pour entamer la conversation :

— Bloqué sur l’île, comme les autres touristes ? Notez, Groix n’est pas l’île du Diable, le bagne au large de Cayenne.

— En fait, je suis ici pour quinze jours et sans doute même trois semaines, si le temps reste clément et propice aux promenades, ce qui, d’après les prévisions à long terme de la météo, semblerait être le cas. J’ai eu un petit pépin de santé, je suis en convalescence.

— Ne me dites rien de plus : vous marchez tous les jours, vous nagez dans votre pantalon, vous avez la pupille un peu nostalgique des plaisirs d’autrefois ; votre palpitant vous a causé un petit souci et votre cardiologue vous a incité à plus d’efforts physiques pour une meilleure hygiène de vie. Par la suite, pour consolider son travail, il vous a dirigé vers un nutritionniste qui vous a conseillé d’éviter certains mets en vous précisant bien qu’il ne s’agissait en aucun cas d’un régime, juste d’une alimentation différente.

— C’est tout à fait cela ! Vous lisez dans le marc de café ?

— Non, pour la bonne raison que j’ai éliminé le café de mon quotidien depuis pas mal d’années, sans qu’on me l’interdise. Mon cardiologue m’a encore dit la semaine dernière que j’avais un cœur de jeune homme et l’électrocardiogramme d’un futur centenaire, mais je veux ménager mon corps, car j’ai toujours des projets. Voilà pourquoi je m’astreins, moi aussi, à une marche quotidienne qui, à Groix, n’est pas une contrainte, loin de là, mais un pur bonheur dans un tel environnement. Regardez ce paysage sublime devant nos yeux ! Vous le balancez sur Internet en mettant en légende qu’il s’agit d’un atoll d’Océanie, pas une personne ne vous contredira. La couleur de ce sable, de cette mer aux nuances variées de bleu et de vert…

— Vous êtes originaire de Groix ?

— Non, et c’est sans doute pour cela que je ne sais pas nager… J’ai cédé au désir de mon épouse de m’installer sur la terre de sa famille et je ne l’ai jamais regretté. La preuve, j’y suis resté à ma retraite, et pas seulement parce que la pauvre y est enterrée. J’y ai désormais mes racines, dans tous les sens du terme…

— C’est-à-dire ?

— Oh, je suis l’un de ces vieux radoteurs qui pensent qu’à l’heure des pilules du progrès faiseuses de miracles, les plantes possèdent encore des vertus que nous avons oubliées, au fil des siècles, capables de nous soigner d’un mal sans en déclencher un nouveau.

— Là, je partage votre avis !

— Pour ma part, j’étudie particulièrement les lichens. Une plante que tout le monde feint d’ignorer et pourtant, si elle possède une place dans la flore universelle, elle y a bien sa fonction, comme toutes les autres. Savez-vous que sur Groix, j’en ai recensé 240 espèces différentes ? Et j’en découvre régulièrement de nouvelles lors de mes marches sur le sentier côtier, notamment vers la pointe des Chats. Certaines variétés donnent l’impression que les rochers gardent des stigmates d’une marée noire, il n’en est rien. D’autres les ensoleillent de ce jaune orangé si particulier… Quand vous serez arrivé au bout de l’île, au pied du phare, penchez-vous sur les rochers et vous en découvrirez, des lichens. Bien sûr, beaucoup d’autres espèces encore profitent des richesses du sol groisillon, tellement unique au monde.

— Vous voilà donc converti en chantre du lichen, comme un druide breton !

— Ces plantes possèdent des vertus incomparables que notre monde mercantile s’ingénie à mépriser, sans doute par crainte d’une concurrence directe aux fruits frelatés de leurs recherches onéreuses… Mais ne me branchez pas sur le sujet, je suis intarissable. Une personne est venue me voir ce matin à mon domicile, passionnée par mes recherches, à ce qu’il prétendait à mon arrivée, ce qui explique que je suis en retard pour ma balade. Mais le retard n’existe que dans le quotidien de ceux dont le temps est compté, pas pour celui qui a l’éternité devant lui. Et l’éternité appartient à ceux qui savourent chaque seconde, pas vrai ?

— Une philosophie de grand sage, Docteur !

— Si cela vous chante, n’hésitez pas à passer chez moi un matin, avant huit heures, je vous expliquerai tous mes secrets. J’habite une propriété située vers Kerbéthanie, entre Locmaria et la pointe de l’Enfer. Vous ne pouvez pas vous tromper, une maison entourée d’un petit mur de pierres sèches, surmonté d’une haie de hauts griselinias littoralis qui exaspèrent les curieux, touristes ou locaux, car l’île en compte aussi quelques-uns. Vous sonnez et si je suis à mon domicile, je viendrai vous ouvrir… En attendant, bravo pour vos 10 000 pas quotidiens qui prolongent la vie !

Le docteur poursuivit son chemin en sifflotant, casquette vissée sur la tête et mains dans le dos. Un homme heureux. Responsable et heureux. Comme bien d’autres que j’avais croisés au cours de la semaine précédente, personnages épanouis qui prenaient le temps de vivre car la mort arriverait toujours assez tôt. Originaires de Groix pour certains, venus y couler une douce retraite pour d’autres, sans que la différence soit marquante entre les uns et les autres comme sur d’autres îles. Ici, le continental était bien accueilli, et pas uniquement comme client potentiel, pour peu qu’il comprenne qu’il ne se trouvait pas en terrain conquis, mais sur une terre riche de ce que l’on savait y découvrir. Et comme me l’avait expliqué l’un d’eux :

— Sur un caillou comme Groix, sans l’apport d’un sang nouveau, on finirait vite dans la consanguinité avec ses tares ! Voilà pourquoi les Groisillons sont accueillants, même s’ils défendent âprement leur “bout de gras”, comme, à présent, les tarifs des traversées et le retour de la rotation du soir… Bien sûr, tant que nous ne sommes pas envahis par des flots de continentaux, que certains craignent quand même plus que la montée annoncée des eaux de l’océan…

Je m’émerveillai du spectacle permanent de la plage des Sables Rouges – en raison du grenat, ce minéral si présent sur Groix – lorsque mon téléphone retentit. Si Sarah était coincée dans une vieille carcasse rouillée et m’appelait au secours, j’étais mal car ma vieille carcasse à moi, elle aussi, donnait des signes de corrosion. Mais non, il s’agissait de Dominique.

— Je me trouve devant la chapelle du Méné qui est intéressante à découvrir, je me suis dit que si tu n’étais pas loin, nous pourrions rentrer ensemble à l’hôtel pour le déjeuner… À deux, la route de retour sera moins longue.

Les suppliques de ma magistrate sonnant comme des ordres, je compris que je devais faire demi-tour. Je sortis le plan de la poche de mon blouson, l’ouvris pour constater que cette chapelle se trouvait dans le nord-est de l’île, un peu en retrait des sentiers très fréquentés, dans la direction que venait de prendre le docteur. Je lui demandai l’effort de se rendre jusqu’à l’adorable petite plage de Port Mélite où je la rejoindrais au plus vite. Elle me supplia de ne surtout pas courir et de ménager mes artères avec lesquelles je n’avais jamais pris autant de précautions. Je passai à nouveau devant le Fort Surville, l’une des structures défensives de l’île, érigé en 1744 et désormais transformé en colonie de vacances, et poursuivis d’un pas soutenu en direction des Grands Sables, puis de la pointe du Spernec.

C’est peu avant la plage de Port Mélite que je découvris un attroupement sur le sentier du littoral et surtout les véhicules des pompiers et de la gendarmerie. Un jeune pandore me pria de circuler. Je sortis ma plaque de police, qui me suivait partout, même en convalescence, et lui demandai ce qui se passait. Il se montra embarrassé avant de me glisser à l’oreille :

— Un marcheur a fait une crise cardiaque et les pompiers ne parviennent pas à le ranimer.

— Il ne s’agit pas de l’ancien docteur, au moins ? poursuivis-je en tortillant la tête pour tenter de voir le corps.

— Si, pourquoi dites-vous cela ?

 — Nous avons passé un long moment à converser tous les deux, voilà une bonne demi-heure, la thèse de la crise cardiaque me semble suspecte pour deux raisons. D’abord, il m’a expliqué, totalement par hasard, qu’il sortait de chez son cardiologue qui lui avait trouvé un cœur de jeune homme, bon pour faire un centenaire. De plus, il ne m’est pas apparu essoufflé, il sifflotait même en reprenant son chemin. C’est bizarre, pour un homme qui va faire un malaise cardiaque un peu plus tard, non ?

— Attendez, je vais en parler à mon chef !

Le jeune gendarme s’éclipsa discrètement et, adepte des confidences, sollicita le pavillon de son supérieur. Celui-ci tourna le regard dans ma direction, avec un froncement de sourcils qui cachait parfaitement la satisfaction de ma présence sur les lieux d’une affaire aussi importante pour une petite unité comme la sienne. L’homme avait une quarantaine d’années, une allure athlétique et, au bout de quelques secondes, il s’approcha de moi.

— Adjudant-chef Dauvergne, chef de la brigade de Groix, vous êtes la dernière personne à avoir vu la victime en vie et vous êtes policier, m’a précisé mon subalterne.

— Capitaine Paul Capitaine, Service judiciaire du commissariat de Quimper, en congé sur l’île pour quelques jours. J’ignore si je suis le dernier à avoir vu le docteur en vie, mais quand je l’ai quitté, il n’avait rien d’une personne proche de la crise cardiaque. Et comme il sortait de chez son cardiologue, votre premier diagnostic sur la cause de sa mort me paraît suspect.

— Voilà qui est très ennuyeux, bougonna le gendarme en se grattant le crâne. Pour réclamer une autopsie, je dois en référer à ma hiérarchie à Lorient qui viendra récupérer le corps à la morgue. Les accidents cardiaques sont relativement fréquents chez les octogénaires, même si Joseph Keryvon est un docteur à la retraite, un grand sportif et un individu à l’hygiène de vie correcte.

— Je vous livre juste mon intime conviction et mon expérience de terrain, précisai-je, soucieux de ne pas perturber l’analyse de mon interlocuteur. Rien dans son comportement ne laissait imaginer, quand je l’ai rencontré, que ce retraité allait nous faire une crise cardiaque dans la demi-heure suivante.

— Bien, je vais aviser avec ma hiérarchie, pouvez-vous rester à ma disposition, si mon supérieur désire un complément d’information ?

— Pas de problème, je vais juste appeler ma compagne pour qu’elle ne se fasse pas de souci et vienne me rejoindre depuis Port Mélite. Elle est magistrate à Quimper et elle commençait à tourner en rond sur Groix, cela va lui donner du grain à moudre pour ses longues heures d’oisiveté…

— Au moins, ainsi, vous pouvez traiter les dossiers en famille ! ironisa l’adjudant-chef, attentif à tout ce qui se déroulait dans son périmètre, jugeant à coup sûr embarrassante la présence d’un policier et d’une magistrate autour de son enquête.

— D’autant qu’en plus, ma fille est lieutenant de police et, se trouve, elle aussi, sur Groix. Elle fait actuellement de la plongée autour de l’une des épaves du secteur. Mais ne vous inquiétez pas, s’il s’agit d’une affaire criminelle, nous vous laisserons opérer sans tenter de nous immiscer dans votre enquête, j’ai moi aussi horreur de voir un collègue, fût-il un supérieur parisien, venir piétiner mes plates-bandes !

— S’il s’agit d’une affaire criminelle, la brigade de recherche de Lorient dépêchera une équipe sur Groix, que nous épaulerons seulement, soupira le gendarme en retournant vers le cadavre.

Dominique arriva, affolée, pour qui la marche n’était pas un loisir, mais davantage une corvée. Je dus immédiatement lui narrer tout par le menu, sans omettre le moindre détail, même insignifiant. Déformation professionnelle de magistrate. La personnalité du défunt, les circonstances de sa mort, la présence d’éventuels témoins et bien d’autres questions auxquelles il m’était impossible de répondre, ce qui faisait presque de moi un suspect à ses yeux, bon pour passer devant le juge. Je pus juste insister sur le fait que ce retraité était en pleine santé, qu’il s’agissait d’un passionné de nature, notamment de lichens et de leurs vertus thérapeutiques.

En consultant mon téléphone, je constatai qu’il était midi passé. Même si j’ignorais le programme exact de Sarah, notamment ses intentions pour le déjeuner, je savais qu’elle s’inquiéterait si elle ne nous trouvait pas à l’hôtel. Aussi l’appelai-je pour lui expliquer la situation. Elle me réclama un moment avant de redonner signe de vie.

— Flûte alors, l’ancien docteur, me dis-tu ? C’est le grand-père de Greg et il n’est pas au courant de sa mort. Je crois bien que ce retraité représentait sa seule famille. Comment je vais lui annoncer le drame, moi ? Pourquoi c’est toujours sur ma pomme que tombent de telles tuiles ? Une crise cardiaque, c’est ballot quand même, pour un docteur…

— Selon moi, ce n’est pas une crise cardiaque, mais il est encore trop tôt pour imaginer un empoisonnement. Il a pu faire un malaise pour une raison obscure… Néanmoins, il a reçu un inconnu chez lui ce matin.

— Un inconnu, mais qui ?

— Un inconnu tout ce qu’il y a de plus inconnu, ma fille ! Si je savais son nom, ce ne serait plus un inconnu…

— Ce n’est pas faux !

Et comme Sarah n’avait jamais toute sa tête quand elle était un peu amoureuse, elle m’acheva dans la seconde qui suivit :

— Tu vois comment on finit quand on se goinfre de beurre salé et de confiture sucrée ? Tu comprends mieux pourquoi je te tance aussi vertement, maintenant ? Sans moi, ce ne serait pas une, mais deux crises cardiaques qu’on aurait recensées sur l’île, aujourd’hui. Bon, je te laisse, Greg me regarde de loin avec des yeux de merlan frit, il va falloir que je lui monte un bobard pour lui cacher la vérité, je préfère que ce soit quelqu’un d’autre qui lui annonce la nouvelle, je suis en vacances, moi. Éventuellement, le consoler après coup, cela est encore dans mes moyens, mais pas plus !

I

Je n’aurais jamais imaginé que le programme de mon séjour de convalescence à Groix comprendrait une demi-journée d’interrogatoire à la gendarmerie de l’île. L’adjudant-chef Dauvergne me réclama un compte rendu circonstancié de mes relations avec le docteur Keryvon, mais aussi des détails que la victime m’avait confiés lors de notre ultime rencontre et qui pourraient servir à la future enquête. Comme Sarah peu avant, lui aussi voulait à tout prix m’extorquer des informations que je ne possédais pas à propos du mystérieux visiteur matinal, un peu surpris qu’en qualité d’enquêteur, je n’ai pas cherché à en savoir davantage sur cet individu. Nous parlions ensemble, mais je sentais qu’il attendait avant tout des nouvelles du continent, soit les premiers résultats de l’autopsie soit la décision de la hiérarchie sur la direction de l’enquête.

Je fus aussi très étonné d’apprendre que – temporairement précisaient les autorités départementales – pour l’autopsie, Lorient et Vannes ne possédaient plus d’Institut médico-légal. Le corps avait donc été transporté directement au Centre Hospitalier Universitaire de Brest, la Cavale Blanche, là même où, depuis quelques mois, travaillaient le médecin légiste Noël Sapin et son assistante, c’est-à-dire ma sœur Colette. À la base, pour les énarques parisiens qui avaient pondu cette hérésie, il s’agissait de faire des économies en regroupant les interventions en un même lieu, mais avec le coût d’un hélico et de deux ambulanciers, cela frisait le ridicule et la gabegie, aussi les pouvoirs publics devaient-ils rétablir bientôt la salle d’autopsie flambant neuve de l’Hôpital du Scorff à Lorient.

Me sentant aussi impatient que mon interlocuteur d’en apprendre davantage, je lui réclamai quelques minutes, pris contact avec Colette qui sembla surprise de m’entendre, s’inquiéta aussitôt de ma santé, avant de s’étonner un peu plus de mon intérêt pour le corps sur lequel son patron venait de se pencher. Je lui expliquai l’histoire en raccourci. Elle éclaira ma lanterne :