L'économie politique en une leçon - Frédéric Bastiat - E-Book

L'économie politique en une leçon E-Book

Frederic Bastiat

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Beschreibung

Ce pamphlet, publié en juillet 1850, est le dernier que Bastiat ait écrit. L'auteur en perdit le manuscrit lors du déménagement de son domicile de la rue de Choiseul à la rue d'Alger. Après de longues et vaines recherches, il se décida à recommencer entièrement son oeuvre, et choisit pour base principale de ses démonstrations des discours récemment prononcés à l'Assemblée nationale. Cette tâche finie, il se reprocha d'avoir été trop sérieux, détruisit ce second manuscrit et finira par écrire la version définitive éditée dans le présent ouvrage.

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Table des matières

Introduction

I. La vitre cassée

II. Le licenciement

.

III. L’impôt

IV. Théâtres, Beaux-arts

V. Travaux publics

VI. Les intermédiaires

VII. Restriction

VIII. Les machines

IX. Crédit

X. L’Algérie

XI. Épargne et Luxe

XII. Droit au travail, droit au profit

CE QU’ON VOIT

ET

CE QU’ON NE VOIT PAS [1]

Dans la sphère économique, un acte, une habitude, une institution, une loi n’engendrent pas seulement un effet, mais une série d’effets. De ces effets, le premier seul est immédiat ; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas ; heureux si on les prévoit.

Entre un mauvais et un bon Economiste, voici toute la différence : l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir.

Mais cette différence est énorme, car il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. — D’où il suit que le mauvais Economiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d’un grand mal à venir, tandis que le vrai Économiste poursuit un grand bien à venir, au risque d’une petit mal actuel.

Du reste, il en est ainsi en hygiène, en morale. Souvent, plus le premier fruit d’une habitude est doux, plus les autres sont amers. Témoin : la débauche, la paresse, la prodigalité. Lors donc qu’un homme, frappé de l’effet qu’on voit, n’a pas encore appris à discerner ceux qu’on ne voit pas, il s’abandonne à des habitudes funestes, non seulement par penchant, mais par calcul.

Ceci explique l’évolution fatalement douloureuse de l’humanité. L’ignorance entoure son berceau ; donc elle se détermine dans ses actes par leurs premières conséquences, les seules, à son origine, qu'elle puisse voir. Ce n’est qu’à la longue qu'elle apprend à tenir compte des autres [2]. Deux maîtres, bien divers, lui enseignent cette leçon : l’Expérience et la Prévoyance. L’expérience régente efficacement mais brutalement. Elle nous instruit de tous les effets d’un acte en nous les faisant ressentir, et nous ne pouvons manquer de finir par savoir que le feu brûle, à force de nous brûler. À ce rude docteur, j’en voudrais, autant que possible, substituer un plus doux : la Prévoyance. C’est pourquoi je rechercherai les conséquences de quelques phénomènes économiques, opposant à celles qu’on voit celles qu’on ne voit pas.

1. ↑. Ce pamphlet, publié en juillet 1850, est le dernier que Bastiat ait écrit. Depuis plus d’un an, il était promis au public. Voici comment son apparition fut retardée. L’auteur en perdit le manuscrit lorsqu’il transporta son domicile de la rue de Choiseul à la rue d’Alger. Après de longues et inutiles recherches, il se décida à recommencer entièrement son œuvre, et choisit pour base principale de ses démonstrations des discours récemment prononcés à l'Assemblée nationale. Cette tâche finie, il se reprocha d’avoir été trop sérieux, jeta au feu le second manuscrit et écrivit celui que nous réimprimons. (Note de l'éditeur.)

2. ↑ le chap. xx du tome VI. (Note de l’éditeur)

I. La Vitre cassée.

Avez-vous jamais été témoin de la fureur du bon bourgeois Jacques Bonhomme, quand son fils terrible est parvenu à casser un carreau de vitre ? Si vous avez assisté à ce spectacle, à coup sûr vous aurez aussi constaté que tous les assistants, fussent-ils trente, semblent s’être donné le mot pour offrir au propriétaire infortuné cette consolation uniforme : « À quelque chose malheur est bon. De tels accidents font aller l’industrie. Il faut que tout le monde vive. Que deviendraient les vitriers, si l’on ne cassait jamais de vitres ? »

Or, il y a dans cette formule de condoléance toute une théorie, qu’il est bon de surprendre flagrante delicto, dans ce cas très simple, attendu que c’est exactement la même que celle qui, par malheur, régit la plupart de nos institutions économiques.

À supposer qu’il faille dépenser six francs pour réparer le dommage, si l’on veut dire que l’accident fait arriver six francs à l’industrie vitrière, qu’il encourage dans la mesure de six francs la susdite industrie, je l’accorde, je ne conteste en aucune façon, on raisonne juste. Le vitrier va venir, il fera besogne, touchera six francs, se frottera les mains et bénira dans son cœur l’enfant terrible. C’est ce qu'on voit.

Mais si, par voie de déduction, on arrive à conclure, comme on le fait trop souvent, qu’il est bon qu’on casse les vitres, que cela fait circuler l’argent, qu’il en résulte un encouragement pour l’industrie en général, je suis obligé de m’écrier : halte-là ! Votre théorie s’arrête à ce qu'on voit, elle ne tient pas compte de ce qu'on ne voit pas.

On ne voit pas que, puisque notre bourgeois a dépensé six francs à une chose, il ne pourra plus les dépenser à une autre. On ne voit pas que s’il n’eût pas eu de vitre à remplacer, il eût remplacé, par exemple, ses souliers éculés ou mis un livre de plus dans sa bibliothèque. Bref, il aurait fait de ses six francs un emploi quelconque qu’il ne fera pas.

Faisons donc le compte de l’industrie en général.

La vitre étant cassée, l’industrie vitrière est encouragée dans la mesure de six francs ; c'est ce qu'on voit.

Si la vitre n’eût pas été cassée, l’industrie cordonnière (ou toute autre) eût été encouragée dans la mesure de six francs ; c'est ce qu'on ne voit pas.

Et si l’on prenait en considération ce qu'on ne voit pas, parce que c’est un fait négatif, aussi bien que ce que l'on voit, parce que c’est un fait positif, on comprendrait qu’il n’y a aucun intérêt pour l’industrie en général, ou pour l’ensemble du travail national, à ce que des vitres se cassent ou ne se cassent pas.

Faisons maintenant le compte de Jacques Bonhomme.

Dans la première hypothèse, celle de la vitre cassée, il dépense six francs, et a, ni plus ni moins que devant, la jouissance d’une vitre.

Dans la seconde, celle où l’accident ne fût pas arrivé, il aurait dépensé six francs en chaussure et aurait eu tout à la fois la jouissance d’une paire de souliers et celle d’une vitre.

Or, comme Jacques Bonhomme fait partie de la société, il faut conclure de là que, considérée dans son ensemble, et toute balance faite de ses travaux et de ses jouissances, elle a perdu la valeur de la vitre cassée.

Par où, en généralisant, nous arrivons à cette conclusion inattendue : « la société perd la valeur des objets inutilement détruits, » — et à cet aphorisme qui fera dresser les cheveux sur la tête des protectionistes : « Casser, briser, dissiper, ce n’est pas encourager le travail national, » ou plus brièvement : « destruction n’est pas profit. »

Que direz-vous, Moniteur industriel, que direz-vous, adeptes de ce bon M. de Saint-Chamans, qui a calculé avec tant de précision ce que l’industrie gagnerait à l’incendie de Paris, à raison des maisons qu’il faudrait reconstruire ?

Je suis fâché de déranger ses ingénieux calculs, d’autant qu’il en a fait passer l’esprit dans notre législation. Mais je le prie de les recommencer, en faisant entrer en ligne de compte ce qu'on ne voit pas à côté de ce qu'on voit.

Il faut que le lecteur s’attache à bien constater qu’il n’y a pas seulement deux personnages, mais trois dans le petit drame que j’ai soumis à son attention. L’un, Jacques Bonhomme, représente le Consommateur, réduit par la destruction à une jouissance au lieu de deux. L’autre, sous la figure du Vitrier, nous montre le Producteur dont l’accident encourage l’industrie. Le troisième est le Cordonnier (ou tout autre industriel) dont le travail est découragé d’autant par la même cause. C’est ce troisième personnage qu’on tient toujours dans l’ombre et qui, personnifiant ce qu'on ne voit pas, est un élément nécessaire du problème. C’est lui qui nous fait comprendre combien il est absurde de voir un profit dans une destruction. C’est lui qui bientôt nous enseignera qu’il n’est pas moins absurde de voir un profit dans une restriction, laquelle n’est après tout qu’une destruction partielle. — Aussi, allez au fond de tous les arguments qu’on fait valoir en sa faveur, vous n’y trouverez que la paraphrase de ce dicton vulgaire : « Que deviendraient les vitriers, si l'on ne cassait jamais de vitres[1] ? »

1. ↑ V., au tome IV, le chap. xx de la 1re série des Sophismes, p. 100 et suiv.

II. Le Licenciement.

Il en est d’un peuple comme d’un homme. Quand il veut se donner une satisfaction, c’est à lui de voir si elle vaut ce qu'elle coûte. Pour une nation, la Sécurité est le plus grand des biens. Si, pour l’acquérir, il faut mettre sur pied cent mille hommes et dépenser cent millions, je n’ai rien à dire. C’est une jouissance achetée au prix d’un sacrifice.

Qu’on ne se méprenne donc pas sur la portée de ma thèse.

Un représentant propose de licencier cent mille hommes pour soulager les contribuables de cent millions.

Si on se borne à lui répondre : « Ces cent mille hommes et ces cent millions sont indispensables à la sécurité nationale : c’est un sacrifice ; mais, sans ce sacrifice, la France serait déchirée par les factions ou envahie par l’étranger. » — Je n’ai rien à opposer ici à cet argument, qui peut être vrai ou faux en fait, mais qui ne renferme pas théoriquement d’hérésie économique. L’hérésie commence quand on veut représenter le sacrifice lui-même comme un avantage, parce qu’il profite à quelqu’un.

Or, je suis bien trompé, ou l’auteur de la proposition ne sera pas plus tôt descendu de la tribune qu’un orateur s’y précipitera pour dire :