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Isabelle feint de se marier à Valère, pour tester la réaction de son prétendant. Une pièce de théâtre du grand philosophe et penseur Jean-Jacques Rousseau.
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Jean-Jacques Rousseau
L’ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE
2023 Éditions Synapses
AVERTISSEMENT.
Rien n’est plus plat que cette pièce. Cependant j’ai gardé quelque attachement pour elle, à cause de la gaîté du troisième acte, et de la facilité avec laquelle elle fut faite en trois jours, grâce à la tranquillité et au contentement d’esprit où je vivais alors, sans connaître l’art d’écrire, et sans aucune prétention. Si je fais moi-même l’édition générale, j’espère avoir assez de raison pour en retrancher ce barbouillage, sinon je laisse à ceux que j’aurai charges de cette entreprise le soin de juger de ce qui convient, soit à sa mémoire, soit au goût présent du public.
PERSONNAGES.
DORANTE, ami de Valère.
VALÈRE, ami de Dorante.
ISABELLE, veuve.
ÉLIANTE, cousine d’Isabelle.
LISETTE, suivante d’Isabelle.
CARLIN, valet de Dorante.
Un NOTAIRE.
Un LAQUAIS.
La scène est dans le château d’Isabelle.
ACTE PREMIER.
SCÈNE I.
ISABELLE, ÉLIANTE.
ISABELLE.
L’hymen va donc enfin serrer des nœuds si doux ;
Valère, à son retour, doit être votre époux :
Vous allez être heureuse. Ah ! ma chère Éliante !
ÉLIANTE.
Vous soupirez ? Eh bien ! si l’exemple vous tente,
Dorante vous adore, et vous le voyez bien.
Pourquoi gêner ainsi votre cœur et le sien ?
Car vous l’aimez un peu ; du moins je le soupçonne.
ISABELLE.
Non, l’hymen n’aura plus de droits sur ma personne,
Cousine ; un premier choix m’a trop mal réussi.
ÉLIANTE.
Prenez votre revanche en faisant celui-ci.
ISABELLE.
Je veux suivre la loi que j’ai su me prescrire ;
Ou du moins… Car Dorante a voulu me séduire,
Sous le feint nom d’ami s’emparer de mon cœur ;
Serais-je donc ainsi la dupe d’un trompeur.
Qui, par le succès même, en serait plus coupable,
Et qui l’est trop, peut-être ?
ÉLIANTE.
Il est donc pardonnable.
ISABELLE.
Point ; il ne m’aura pas trompée impunément.
Il vient. Éloignons-nous, ma cousine, un moment.
Il n’est pas de son but aussi près qu’il le pense ;
Et je veux à loisir méditer ma vengeance.
SCÈNE II.
DORANTE
Elle m’évite encor ! Que veut dire ceci ?
Sur l’état de son cœur quand serai-je éclairci ?
Hasardons de parler… Son humeur m’épouvante :
Carlin connaît beaucoup sa nouvelle suivante ;
(Il aperçoit Carlin.)
Je veux… Carlin !
SCENE III.
CARLIN, DORANTE.
CARLIN.
Monsieur ?
DORANTE.
Vois-tu bien ce château ?
CARLIN.
Oui, depuis fort longtemps.
DORANTE
Qu’en dis-tu ?
CARLIN.
Qu’il est beau.
DORANTE.
Mais encor ?
CARLIN.
Beau, très beau, plus beau qu’on ne peut être.
Que diable !
DORANTE.
Et si bientôt j’en devenais le maître,
T’y plairais-tu ?
CARLIN.
Selon : s’il nous restait garni ;
Cuisine foisonnante, et cellier bien fourni ;
Pour vos amusements, Isabelle, Éliante ;
Pour ceux du sieur Carlin, Lisette la suivante ;
Mais, oui, je m’y plairais.
DORANTE.
Tu n’es pas dégoûté.
Eh bien ! réjouis-toi, car il est…