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Suite aux trois précédents portant sur le sujet des minorités culturelles historiques dans les pays latins d’Europe (n°12), en Afrique (n°13) et dans les Pays d’Europe Centrale et Orientale (n°15), cet ouvrage apporte des regards complémentaires sur l’Europe, les continents américains et l’Asie. Les constats mis en évidence montrent bien que le sujet est universel et loin d’être traité de façon satisfaisante au sein des États du monde. Tout en relevant des pratiques convergentes ou divergentes, il permet aussi d’apprécier l’action des institutions internationales et des organisations de la société civile allant dans le sens de la reconnaissance et du respect de la diversité culturelle avec leurs spécificités (langues, cultures, traditions, religions etc.). En s'inscrivant dans un cadre « régional », à la fois historique, politique, linguistique, démographique, juridique et culturel, les travaux et réflexions proposés aux lecteurs se placent dans les perspectives de la mondialisation de l’information, de la communication et des industries culturelles en général, ainsi que dans la dynamique du progrès dans la compréhension des peuples et des cultures dont témoigne l’Unesco. Les perspectives ouvertes concernent aussi bien l’évolution démographique des populations concernées, l’application du droit international, que la gestion des conflits actuels, ou prévisibles par anticipation, et les modalités de l’évolution économique, dont celle des médias.
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Seitenzahl: 817
© Groupe De Boeck s.a., 2013
EAN : 9782802742531
Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe De Boeck.Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique.Le «photoco-pillage» menace l’avenir du livre.
Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votredomaine de spécialisation, consultez notre site web :www.bruylant.be
Éditions BruylantRue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles
Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.
ISSN : 1782-3358
Remerciements
Cet ouvrage est une publication de la Chaire UNESCO de l’Université de Strasbourg intitulée Pratiques journalistiques et médiatiques. Entre mondialisation et diversité culturelle.
Dans le cadre de son programme, les chercheurs qui y sont associés, sur le plan local comme sur le plan international, ont organisé, à Strasbourg, trois journées d’études internationales, du 14 au 17 février 2012, sous le patronage du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe. Fort intéressé, Keith Whitmore, son président, a regretté de ne pouvoir y assister en raison de ses engagements antérieurs. Elles faisaient suite à trois rencontres antérieures sur la problématique de l’expression médiatique de la diversité culturelle dans une région du monde qui se sont successivement déroulées à l’Université Michel de Montaigne (Bordeaux, 2010) pour l’Europe du Sud, à l’Université de Ouagadougou (Burkina Faso, janvier 2011) pour l’Afrique subsaharienne, et en Slovaquie (Čierna Voda, juin 2011), pour l’Europe centrale et orientale, étape organisée par les Universités Saints Cyrille et Méthode de Trnava et Comenius de Bratislava.
Le thème traité à Strasbourg portait sur « Les médias de l’expression médiatique de la diversité culturelle. Constats et perspectives », dont des communications ont été retenues pour le présent ouvrage.
Nos premiers remerciements vont à tous ceux qui, constamment, apportent leur contribution à la réalisation de ce type de manifestation, à son Comité de pilotage, aux membres du Comité scientifique et organisateurs de cette rencontre internationale, ainsi qu’aux participants. L’ensemble a été conduit à bonne fin grâce à l’appui de l’Université de Strasbourg et de son Département de la recherche, de l’Organisation internationale de la francophonie qui a subventionné toutes les étapes citées, et au soutien du Conseil régional d’Alsace et de la Ville de Strasbourg. Nous remercions particulièrement Guy Berger, venu représenter l’UNESCO en sa qualité de directeur de la Division de la liberté d’expression et du Développement des médias. En effet, ces manifestations, avec les ouvrages en ayant résulté chaque fois, relèvent de l’appui politique et moral accordé à notre problématique par l’UNESCO qui a décidé de la création de la Chaire de Strasbourg en 2007.
Les Éditions Larcier-Bruylant méritent notre constante reconnaissance pour les réalisations de publications portant sur des thèmes concernant un débat international.
PR. MICHEL MATHIEN
TITULAIRE DE LA CHAIRE
Les publications de la collection
–SERAFÍNOVÁ, D. et MATHIEN, M. (dir.), L’expression médiatique de la diversité culturelle en Europe centrale et orientale, 2013.
–LA BROSSE (de), R., Médias et démocratie en Afrique : L’enjeu de la régulation, 2012.
–BALIMA S.T. et MATHIEN, M. (dir.), Médias de la diversité culturelle en Afrique. Entre traditions et mondialisation, 2012.
–LENOBLE-BART, A. et MATHIEN, M. (dir.), Les médias de la diversité culturelle dans les pays latins d’Europe, 2011.
–LATOUCHE, R. et MATHIEN, M. (dir.), Histoire, mémoire et médias, 2009.
–ROUET, G. (dir.), Les journalistes et l’Europe, 2009.
–MATHIEN, M. (dir.), Les jeunes dans les médias en Europe. De 1968 à nos jours, 2009.
–BADILLO, P.-Y. (dir.) L’Écologie des médias, 2008.
–FULLSACK, J.-L. et MATHIEN, M. (dir.), Éthique de « la société de l’information », 2008.
–PÉLISSIER, N., Le journalisme : avis de recherches. Les études françaises dans le contexte international, 2008.
–MATHIEN, M. (dir.), Le Sommet mondial sur la société de l’information et « après » ?, Perspectives sur la Cité globale, 2007.
–ARBOIT, G. et MATHIEN, M. (dir.), La Guerre en Irak. Les médias face aux conflits armés, 2006.
–KIYINDOU, A. Évolution de l’économie libérale et liberté d’expression, 2006 (préf. F. BALLE).
–MATHIEN, M. (dir.), La « société de l’information ». Entre mythes et réalités, 2005 (préf. M. GENDREAU-MASSALOUX).
–MATHIEN, M. (dir.), La médiatisation de l’histoire. Ses risques et ses espoirs, 2004 (préf. J. FAVIER).
Comité scientifique et d'organisationdes journées internationalesde strasbourg et de la publication
–Serge Théophile BALIMA, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Université de Ouagadougou (Burkina Faso).
–Renaud DE LA BROSSE, maître de conférences habilité à diriger des recherches, Université de Reims Champagne-Ardenne (France).
–Jean-Louis FULLSACK, ingénieur retraité du service public français des télécommunications, consultant, ancien expert principal à l’UIT, membre de l’International Solar Energy Society (ISES) et de la Fédération des ingénieurs des télécommunications de la Communauté européenne (FITCE), membre du Comité de pilotage de la Chaire UNESCO.
–Yves JEANCLOS, professeur émérite à la Faculté de droit de l’Université de Strasbourg, membre du Comité de pilotage de la Chaire UNESCO, ancien directeur du Centre d’études de défense et de Stratégie (France).
–Anne-Marie LAULAN, professeur honoraire de sociologie de l’Université Michel de Montaigne de Bordeaux 3, présidente d’honneur de la Société française des sciences de l’information et de la communication (France).
–Annie LENOBLE-BART, agrégée d’histoire, professeur émérite de sciences de l’information et de la communication à l’I.U.T.-Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3, (France).
–Michel MATHIEN, professeur de sciences de l’information et de la communication, Chaire UNESCO en Communication, Université de Strasbourg, (France).
–Gina PUICÀ, assistante titulaire à l’Université Ştefan cel Mare de Suceava (Roumanie), actuellement lectrice de roumain à l’Université de Strasbourg, doctorante en littérature, membre du Comité de pilotage de la Chaire UNESCO.
–Claude RÉGNIER, démographe, professeur honoraire des universités, ancien président de l’Université des sciences humaines de Strasbourg, membre du Comité de pilotage de la Chaire UNESCO.
–Danuša SERAFÍNOVÁ, professeur à la Chaire (ou Département) de journalisme de la Faculté des lettres de l’Université Comenius de Bratislava (Slovaquie).
–Yves THÉORÊT, professeur à l’École des médias de la Faculté de communication, Université du Québec à Montréal (UQAM), secrétaire général du Réseau des chaires UNESCO en communication (ORBICOM).
PréfaceLa promotion du dialogueinterculturel
PAR
JEAN-CLAUDE MIGNON
PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE
J’ai été très heureux de me trouver à l’inauguration du colloque international organisé par la Chaire UNESCO de l’Université de Strasbourg puis d’écrire la préface du présent ouvrage qui en résulte. En effet, la diversité du Conseil de l’Europe reflète la diversité de la société dans laquelle nous vivons. C’est donc tout à fait naturel que nous ayons été associés à ce colloque et je me réjouis du fait que pendant ces quelques jours le travail se soit, en outres, basé sur l’expertise du Conseil de l’Europe.
Le Conseil de l’Europe réunit aujourd’hui pratiquement tous les pays européens, avec la seule exception du Bélarus. Nous représentons 47 États membres et 800 millions d’Européens. Non seulement coexistent au sein de notre organisation une grande variété d’idéologies politiques, mais on y trouve aussi une grande variété de cultures, langues, traditions et religions. Notre succès réside dans cette « unité dans la diversité ». Cette diversité a animé le processus de construction européenne en permettant de créer un cadre politique et juridique commun pour l’ensemble du Continent sur la base de modèles politiques et économiques différents et d’un vaste éventail de bonnes pratiques innovantes et efficaces.
Tolérance et respect des différences
La diversité culturelle est donc un atout économique, social et politique qui a besoin d’être développé et géré de façon adéquate. Cependant, cette diversité peut aussi engendrer la peur et le rejet. Elle peut provoquer des incompréhensions, l’intolérance et la discrimination. Elle peut mener à la violence, à la montée de l’extrémisme, de la xénophobie ou encore, comme nous l’avons vu récemment dans plusieurs pays, au terrorisme. Nous sommes convaincus que la réponse la plus efficace à ces défis est la promotion du dialogue interculturel. Nous considérons qu’il faut tirer le maximum d’atouts de cette diversité culturelle et développer un dialogue positif qui pourra aider à combattre la montée de l’intolérance et de l’extrémisme.
Le Conseil de l’Europe s’est beaucoup investi sur cette question. En 2008, nous avons adopté le Livre Blanc sur le dialogue interculturel, une de nos plus grandes réalisations dans ce domaine. L’Assemblée parlementaire a aussi pleinement pris en compte le Livre Blanc dans ses travaux. Par exemple, en avril 2011, nous nous sommes penchés sur un aspect très spécifique et important du dialogue interculturel, la dimension religieuse de ce dialogue. Nous avons organisé un débat très intéressant avec la participation de cinq dignitaires religieux européens (catholique, protestant, orthodoxe, musulman et juif) représentant les grandes religions de notre continent.
De plus, en juin 2011, faisant suite au rapport du Groupe d’Éminentes Personnalités, préparé à l’initiative du Secrétaire général du Conseil de l’Europe, Torbjorn Jagland, et de la Présidence du Comité des Ministres, nous avons proposé de lancer une vaste campagne sur le « Vivre ensemble », afin de promouvoir les principes de tolérance et de respect de nos différences, le dialogue interculturel et la lutte contre l’extrémisme et la xénophobie dans nos sociétés. Et, à la suite du lancement d’une série d’initiatives politiques, le Conseil de l’Europe a développé un vaste éventail de conventions regroupant des standards juridiques contraignants, qui encadrent les droits des personnes appartenant à des minorités. La Convention-cadre sur la protection des minorités nationales a été adoptée en 1995 et vise à leur permettre de s’exprimer pleinement, de préserver et développer leur identité, en faisant valoir leurs différences qui enrichissent le paysage européen. Le Conseil de l’Europe a aussi adopté une Convention plus spécialisée comme la Chartre européenne sur les langues régionales ou minoritaires (1992). Aujourd’hui, ces deux conventions, signées et ratifiées par la majorité des États européens, constituent de vraies références juridiques au niveau mondial.
Les médias acteurs du dialogue interculturel
Le sujet principal de cet ouvrage concerne un aspect spécifique du dialogue interculturel : le rôle des médias dans l’expression de la diversité culturelle. C’est une très bonne initiative pour encourager les professionnels des médias à incorporer dans leurs pratiques journalistiques et leurs travaux les valeurs de tolérance, de compréhension et de respect de la dignité humaine. En effet, les médias jouent un rôle essentiel dans la diffusion de l’information et la stimulation du débat public. Leur pouvoir est énorme et il s’accroît de plus en plus avec le développement des nouvelles technologies de l’information, avec Internet, la révolution Facebook, Twitter, etc.
C’est pour cette raison que le Conseil de l’Europe avait lancé, en 2008, une campagne appelée « Dites non à la discrimination » destinée à former les professionnels des médias au traitement de l’actualité sur la discrimination et le dialogue interculturel. Cette campagne avait aussi pour but de diffuser la diversité culturelle dans les médias, en aidant les personnes issues de minorités à faire entendre leur voix, en facilitant leur accès aux métiers des médias et à la production médiatique. En même temps, il ne faut pas oublier que, du fait de leur influence considérable, les médias ont aussi un grand devoir de responsabilité. Nous pouvons et devons utiliser ce pouvoir afin de véhiculer un message positif du dialogue interculturel et promouvoir la diversité idéologique, culturelle, ethnique, linguistique et religieuse. Les médias sont les outils principaux qui vont diffuser cette diversité et contribuer à construire une société où différentes cultures peuvent vivre ensemble et interagir.
Enfin, il est très symbolique que le dernier colloque faisant suite à une série d’événements se soit tenu à Strasbourg, ville profondément multiculturelle et européenne. Ville très diverse, tant par son histoire que par sa culture, symbole de la réconciliation franco-allemande et siège des institutions que sont le Parlement européen, le Conseil de l’Europe et la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Message de la commission nationalefrançaise pour l’UNESCO
PAR
SUZY HALIMI
VICE-PRÉSIDENTE
La Commission française, présidée par Jean Audouze, compte trois structures de travail et de réflexion : le Comité culture et communication, le Comité sciences et sciences humaines et sociales, et le Comité éducation et formation. Elle gère deux réseaux importants, celui des chaires UNESCO au niveau de l’enseignement supérieur et de la recherche, et celui des écoles associées à l’UNESCO, au niveau de l’enseignement secondaire et primaire, les deux réseaux ayant pour mission de développer la coopération Nord-Sud autour des valeurs de l’UNESCO.
Nous avons une trentaine de chaires en France, c’est-à-dire pilotées par un enseignant-chercheur, mais bien entendu, la vocation même de ces chaires est de développer des partenariats et des actions de formation et de recherche avec des collègues d’autres établissements. Nous venons d’obtenir la labellisation d’une nouvelle chaire, pilotée par l’École normale supérieure de Lyon, et l’Institut français de l’Éducation (I.F.E) sur « la formation des enseignants au XXIe siècle ».
Nous souhaitons encourager cette année une coopération entre chaires et écoles associées, entre la recherche et le travail de terrain, un peu comme l’expérience, si fructueuse, de La main à la pâte.
Nous saluons le thème du colloque. Les médias de l’expression de la diversité culturelle sont un vaste sujet où se rejoignent deux problématiques, celle de la communication et celle de la diversité culturelle. Nous lirons les actes avec profit, d’autant que ce thème incite à évoquer le rapport intitulé Apprendre les langues – Apprendre le monde, que nous venons personnellement de remettre au ministre de l’Éducation nationale. Accessible sur le site du ministère, vous y trouverez une belle convergence avec plusieurs des thématiques abordées. Déjà le titre met l’accent sur la diversité linguistique et sur le fait que toute langue est le véhicule d’une culture.
Notre Comité stratégique a, par ailleurs, mis l’accent sur la nécessaire sensibilisation des enfants aux langues dès la maternelle, sur le rôle des médias pour créer un environnement linguistique dans leur vie quotidienne comme dans celle des adultes – comme cela est d’ailleurs le cas dans les pays scandinaves – sur celui des outils numériques à l’école, sur l’importance des séjours linguistiques à l’étranger pour une immersion totale et, enfin, sur l’importance des langues comme enjeu national pour la croissance et l’insertion professionnelle à l’heure de la construction européenne et de la mondialisation.
Le colloque, suivi du présent ouvrage, s’inscrit donc dans deux préoccupations majeures de l’UNESCO et apporte une contribution précieuse à la réflexion sur les thèmes croisés de la communication et de la diversité culturelle.
Message de l'organisationinternationale de la francophonie
PAR
HUGO SADA
DÉLÉGUÉ À LA PAIX, LA DÉMOCRATIE ET AUX DROITS DE L’HOMME
Sans majuscule, la francophonie revêt une dimension sociolinguistique, c’est-à-dire l’ensemble des personnes pouvant s’exprimer en français à des titres divers. Aujourd’hui, 220 millions de personnes parlent le français sur les cinq continents, ce qui place le français au 9e rang des langues les plus parlées. En 2050, selon les projections sociodémographiques, la planète comptera 715 millions de francophones, dont plus de 500 millions en Afrique.
Avec une majuscule, la Francophonie devient une entité géopolitique, une structure institutionnelle qui rassemble les pays « ayant le français en partage » au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie. Ils étaient 21 en 1970 pour créer l’Agence de coopération culturelle et technique, l’ancêtre de l’OIF. Aujourd’hui, la communauté francophone rassemble 75 États et gouvernements, dont 56 membres et 19 observateurs. Soit beaucoup plus du tiers des États membres de l’Organisation des Nations Unies.
L’OIF s’est engagée, dès 2001, pour l’élaboration d’un cadre réglementaire universel en faveur de la diversité culturelle appelée de ses vœux dans la déclaration adoptée à Cotonou par les ministres francophones de la Culture. L’implication continue et multiforme de la Francophonie aura notamment contribué à l’adoption, au sein de l’UNESCO, le 20 octobre 2005, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
À l’instar d’autres organisations internationales, l’OIF a pour mission de susciter la réflexion, la concertation, la coopération au sein de son espace institutionnel, mais elle a aussi vocation, de par sa philosophie et ses valeurs, à engager un dialogue et une collaboration bien au-delà de cet espace, comme elle le fait avec les organisations, hispanophone, lusophone, arabophone, ou encore avec le Commonwealth comme avec les institutions onusiennes, européennes et africaines.
C’est dire que nous continuons à entretenir des échanges fréquents et approfondis. Car il serait paradoxal que la mobilisation sans précédent qui s’est manifestée lors de l’élaboration et de l’entrée en vigueur de la Convention de l’UNESCO, ne se transforme pas en une occasion inédite de vivre pleinement la diversité : diversité des points de vue, diversité des politiques, diversité des cultures, en d’autres termes, de vivre pleinement la dialectique de l’universel et du particulier. Car la culture, en tant que système de pensées, de normes, de valeurs et d’interaction dans et entre les sociétés, est un facteur déterminant de la gestion de la mondialisation.
La Francophonie, qui est une expression concrète de la diversité culturelle, inscrit résolument son action dans un soutien à l’élaboration et au développement de politiques culturelles nationales, tant sectorielles que globales ; un soutien à la création de filières d’industries culturelles, singulièrement dans le secteur de l’image, du livre et du spectacle vivant ; un soutien, enfin, à la circulation des artistes et de leurs œuvres.
Ces journées d’études internationales viennent ponctuer une série de trois colloques organisés dans des villes francophones : Bordeaux en 2010 pour les pays latins ; Ouagadougou pour l’Afrique subsaharienne en janvier 2011, et Čierna Voda/Bratislava en juin 2011 pour l’Europe centrale et orientale. Lors de ces rendez-vous régionaux, l’OIF a permis de donner la parole à des experts de pays francophones, avec pour objectif de favoriser une diversité des points de vue et d’analyse. Car comment parler de diversité culturelle sans vouloir prendre en compte la diversité des participants ?
Pour la Délégation à la paix, à la démocratie et aux droits de l’homme de l’OIF, les médias sont tout à la fois des acteurs et des vecteurs de la diversité culturelle, mais ils participent aussi à la vie démocratique. La culture est l’expression de modes de vie, de valeurs, de traditions, d’une certaine représentation du monde que les médias contribuent à véhiculer. C’est pourquoi, pour favoriser la production et la circulation d’informations produites par les pays du Sud, l’OIF appuie la presse écrite et les télévisions francophones. Une information libre et pluraliste constitue, partout dans le monde, l’un des principaux vecteurs de la démocratie. C’est pourquoi l’OIF soutient le développement de cadres réglementaires favorables à la liberté de la presse, le déploiement d’instances de régulation des médias indépendantes et leur mise en réseau à travers le Réseau francophone des régulateurs des médias.
Dans un monde en manque de repères, avec une Europe en proie au repli sur soi nationaliste, à nous de savoir si nous voulons que la diversité culturelle, présentée en termes de différences inconciliables et irréconciliables, devienne une nouvelle forme de revendication et d’affrontement, face aux carences démocratiques et aux inégalités persistantes du système international, ouvrant par là même la porte à un relativisme menaçant pour un universalisme sans cesse à conquérir.
Mais si nous voulons, à l’inverse, que la diversité des cultures soit un élément fécondant, le levain de nouveaux cadres de normes et de références, d’une nouvelle forme de coopération internationale, dans lesquels toutes les expressions culturelles se reconnaîtront et seront reconnues, tout en acceptant de transcender leurs divergences alors, comme nous y invitait Paul Valéry, « Mettons en commun ce que nous avons de meilleur et enrichissons-nous de nos mutuelles différences ».
Introduction ILes médias de l'expressionde la diversité culturelle.constats et perspectives d'avenir
PAR
MICHEL MATHIEN
Le cadre
Le présent ouvrage résulte d’une rencontre internationale organisée au sein de l’Université de Strasbourg dans son cadre environnemental spécifique, tant sur le plan institutionnel que géographique et historique.
En effet, dans la dynamique promue par l’UNESCO, qui invite à coopérer sur le plan international en privilégiant le dialogue Nord-Sud, nous avons déjà eu trois rencontres sur trois sites différents. C’est dire que chaque lieu choisi pour nos observations a inévitablement conduit à écouter et dialoguer, in situ et de visu, notamment dans une dynamique d’échanges se voulant à la fois explicite et compréhensive, du moins… le plus possible.
En l’occurrence, nous sommes dans le réseau ORBICOM UNITWIN des chaires UNESCO en communication créé en 1994, et dont son initiateur, Alain Modoux, ancien directeur général adjoint de l’UNESCO, ainsi que son nouveau secrétaire général, le professeur Yves Théorêt de l’Université du Québec à Montréal, présents à Strasbourg, ont apporté leur contribution à l’ouvrage.
Nos étapes antérieures en rappel
La première rencontre sur la thématique s’est déroulée en France, à l’Université Michel de Montaigne de Bordeaux en juin 2010, grâce à la dynamique du professeur Annie Lenoble-Bart. Il a concerné les pays latins d’Europe qui, sur le sujet, ont abordé et géré les minorités culturelles à leur manière, au regard de leur histoire et de leur contexte politique évolutif lié à leurs engagements internationaux.
Le deuxième s’est tenu à Ouagadougou sur le thème « Les médias de la diversité culturelle en Afrique. Entre traditions et mondialisation ». Nous y avons surtout examiné la situation dans les pays subsahariens et majoritairement francophones. Ceux-ci sont confrontés à leurs langues, à leur passé et à un environnement médiatico-culturel complexe. Le professeur Serge Théophile Balima en a été le principal organisateur sur place pour mettre en avant les enjeux essentiels à partir des questionnements majeurs portés par ce continent, face à ses problèmes spécifiques et à ceux posés par la mondialisation-occidentalisation.
Le troisième, à Čierna Voda/Bratislava en Slovaquie, a porté sur les pays d’Europe centrale et orientale grâce à sa principale organisatrice, en la personne du professeur Danuša Serafínová.
Sur le registre qui est le nôtre, et a fortiori dans cette région de l’Europe avec son histoire ayant marqué plusieurs générations, un constat majeur s’est imposé. Il va à l’encontre d’un verset d’un poème devenu « hymne international », réalisé par le Français Eugène Pottier, à savoir « Du passé faisons table rase ! »1.
En est-on encore convaincu de nos jours ? Qu’en serait-il alors du présent, avec ses références aux épreuves traversées par les populations des États d’Europe centrale et orientale lors des luttes idéologiques et des régimes autoritaires ayant suivi les « révolutions » du siècle passé ? Notamment des populations qui sont devenues minoritaires à la suite d’accords internationaux ? Des populations récemment passées, et lors d’une courte période au regard du temps, d’un contexte socioculturel et médiatique à un autre. Autrement dit, le « retour du refoulé » décrit en son temps par Sigmund Freud ne relève pas que de la seule psychologie individuelle.
À la suite de ces rencontres ayant chacune donné lieu à une publication (cf. la synthèse en Introduction II), les questions ne manquent pas sur l’évolution de nos systèmes sociaux et les liens établis entre eux.
Le thème : minorités et reconnaissances via leurs expressions et représentations
Dans notre démarche, et nous dirions même que cela va de soi, les médias sont un enjeu pour l’expression des minorités et leur reconnaissance au sein des États. Cela est souligné dans plusieurs textes internationaux. Notamment, la Charte des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe de 1992, sa Convention-cadre pour la protection des minorités nationales de 1995, et la Convention de l’UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité culturelle.
Mais cette thématique était déjà présente dans l’intention originelle des Nations Unies en vue de créer un ordre international fondé sur la quête de la paix, dans le respect des cultures, des nations et des religions. Par ces brefs rappels, nous soulignons la réalité évolutive de la problématique qui relève, et plus que jamais, de l’actualité sous ses diverses approches. Les préoccupations portant sur la diversité culturelle comme un enjeu majeur pour l’avenir, notamment à propos des « langues en danger », peuvent-elle s’envisager sans supports et sans relais d’expression et de communication appropriés ?
Les médias, au sens large, car en charge de l’information et des industries culturelles, sont concernés en priorité. Surtout quand on fait le lien non seulement avec le politique, mais avec l’économie en général.
Les interrogations portant sur l’évolution qualifiée de mondialisation, ou de sa traduction originelle du mot globalization, avec ses références à l’espace économique comme « libre marché », ont entraîné des mots réactifs développés dans nos rencontres précédentes. On y a parlé de l’occidentalisation du monde, de l’uniformisation culturelle, surtout en Afrique, mais aussi en Europe centrale et orientale, où l’on a utilisé, entre autres, les expressions de décolonisation et de colonisation culturelle autour de cette année symbolique de 1989.
Manifestement, et quoi que l’on puisse penser individuellement, le cadre de l’évolution de l’humanité interroge d’autant plus que les perspectives d’avenir ne sont guère débattues. Ne serait-ce que dans un espace public suffisamment partagé. Et a fortiori à une époque où, avec les multiples innovations que nous avons connues, les environnements médiatiques et communicationnels se sont complexifiés dans leur expansion, tout en modifiant aussi le concept d’« espace public » tel que développé par Jürgen Habermas et largement repris par la suite dans la communauté des chercheurs. Autrement dit encore, la multiculturalité, notamment sous l’aspect de la « diversité linguistique », reconnue ou à reconnaître, est une réalité de l’existence des communautés humaines. Et cela, quels que soient leurs dimensions démographiques et leurs lieux de vie au sein des entités territoriales reconnues à l’échelle internationale que sont les États.
Aussi nous importe-t-il de donner quelques précisions sur la démarche et nos réflexions afin d’éviter au maximum des incompréhensions ou malentendus. Nous étant déjà exprimé à chaque rencontre et publication, nous ne pouvons y échapper une nouvelle fois dans l’intérêt d’une meilleure compréhension possible, quitte à nous répéter brièvement et à renvoyer le lecteur aux situations déjà examinées2.
Le rôle des instances internationales
Rappels du passé
Notre démarche se place dans un contexte premier de référence. À savoir, celui de l’UNESCO, qui, fidèle à sa vocation première, est en charge de promouvoir « la féconde diversité des cultures » et « faciliter la libre circulation des idées, par le mot et par l’image ». Cela est inscrit dans son Acte constitutif de 1946. La Convention de 2005 prend prioritairement en compte le domaine relevant de l’article 8 de la Déclaration universelle de 2001 considérant « les biens et services culturels, des marchandises pas comme les autres ».
Cet aspect n’est pas inutile d’être rappelé au regard des débats de la dernière décennie du XXe siècle dont ceux provoqués par le GATT (General Agreement about Tariffs and Trade ou Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) puis l’Organisation mondiale du commercre (OMC) sur « l’exception culturelle », expression initialisée par le Canada et la France, puis défendue, à leur façon par l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, quitte à l’abandonner pour celle de « diversité culturelle ». Débats certes tendus, notamment avec les États-Unis et le Royaume-Uni ne voulant pas envisager d’« exception culturelle », mais débats ayant déjà eu deux référents au cours des années 1970 et 1980. Le premier portait sur le Nouvel ordre économique international (NOEI) et le second sur le Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC), tous deux ayant été initialisés par les pays non alignés sur les deux Blocs et par les pays récemment décolonisés soucieux, eux, de sortir de la dépendance économique et culturelle par rapport à leurs anciens colonisateurs3.
Ainsi, dans son article 4 portant sur les définitions, la Convention de 2005 précise : « “activités, biens et services culturels” renvoie aux activités, biens et services qui, dès lors qu’ils sont considérés du point de vue de leur qualité, de leur usage ou de leur finalité spécifiques, incarnent ou transmettent des expressions culturelles, indépendamment de la valeur commerciale qu’ils peuvent avoir ».
Et, dans son préambule, il est réaffirmé que « la liberté de pensée, d’expression et d’information, ainsi que la diversité des médias, permettent l’épanouissement des expressions culturelles au sein des sociétés ».
Puis, l’article 6, stipule que chaque partie à la Convention « peut adopter des mesures destinées à protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur son territoire ».
Ces mesures peuvent inclure celles qui « visent à promouvoir la diversité des médias, y compris au moyen du service public de radiodiffusion ».
Pour sa part, dès 1954, le Conseil de l’Europe avait mis en place une convention dans le but de protéger et promouvoir la diversité culturelle, ainsi que de valoriser la variété des identités nationales formant un « patrimoine commun ». Dans une étape ultérieure, et dans une perspective plus élargie et plus concrète, l’instance de Strasbourg a élaboré une Charte des langues régionales ou minoritaires en 1992 (et à la Convention qui en a résulté par la suite).
L’article 11, concernant les médias est particulièrement long, mais clair et concret sur l’engagement des parties pour favoriser l’expression des locuteurs des langues régionales ou minoritaires « sur les territoires ou ces langues sont pratiquées ».
Ce texte a été suivi par la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales de 1994, devenue le premier instrument multilatéral juridiquement contraignant en 1998.
Nous ne poursuivons pas davantage sur ces registres. Nous voulions seulement rappeler que la problématique n’est pas neuve et que les organisations internationales ont joué un rôle déterminant quant à sa prise en compte sur le plan régional et universel. Même si l’application des textes n’est pas sans questions ! En particulier lors de l’émergence de guerres civiles, avec l’éclatement d’un État, comme cela a été le cas de la Yougoslavie, voire de la création d’un nouvel État, comme le Sud-Soudan en 2011 !
Les définitions toujours en débat
Rappelons que les définitions des termes-clés relatifs à notre sujet sont loin d’être réglées en soi, selon les points de vue auxquels on se fixe, et surtout si l’on prétend vouloir la scientificité maximale en la matière.
La Recommandation 1201 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 1er février 1993, en faveur d’un protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme sur les droits des minorités, peut servir – et sert souvent – de référence comme en témoigne son article 1er.
« L’expression minorité nationale désigne un groupe de personnes dans un État qui :
a. résident sur le territoire de cet État et en sont citoyens ;
b. entretiennent des liens anciens, solides et durables avec cet État ;
c. présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques ;
d. sont suffisamment représentatives, tout en étant moins nombreuses que le reste de la population de cet État ou d’une région de cet État ;
e. sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue ».
Bien que la définition des termes reste toujours discutable, y compris avec leurs représentations induites, notamment dans leurs traductions d’une langue à l’autre, les instances internationales n’ont pas développé une culture du blocage terminologique. Ce n’est pas parce que les acteurs décisionnels ne se sont pas entendus sur les termes, notamment sur le registre le plus scientifique possible, que les orientations prises sont sans effets, sur le plan de l’action comme sur ceux de l’observation et de la réflexion.
Mais, dans l’ensemble des documents auxquels nous nous référons, on retrouve l’essentiel des définitions données par la sociologie ou les sciences humaines. Notamment, pour les minorités, ce sont celles ayant fait suite aux expertises réalisées par le sociologue italien Francesco Capotorti lors de sa mission de rapporteur de la Sous-commission des Droits de l’Homme des Nations Unies à la fin des années 19704.
À savoir :
–la qualité de citoyen reconnue au sein d’un État ;
–la différence identifiée d’une minorité par rapport à une majorité ;
–la démographie inférieure à celle de la majorité (même si la minorité peut être majoritaire sur une partie du territoire) ;
–et la conscience ou le sentiment d’appartenance à une collectivité minoritaire.
Mais, si les États ont une marge d’interprétation, ils ont le devoir de s’expliquer, voire de se justifier. C’est le cas pour la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (1994-1998).
À propos d’un autre mot, le Comité Directeur pour les Droits de l’Homme (C.D.D.H.) a reconnu que « le terme de nation a un sens différent selon les contextes ». Se fondant également sur les avis d’experts, il admet « qu’il n’est pas possible dans ces circonstances d’arriver à une définition commune. Cela n’est d’ailleurs pas indispensable à la mise en œuvre effective des normes du Conseil de l’Europe concernant les minorités nationales, notamment la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales ».
De même pour la Charte des langues régionales ou minoritaires5. Ainsi, au Portugal, on ne saurait parler de minorité « nationale » à propos des quelque 7 000 membres de la communauté mirandaise, ceci du fait que la Constitution ne reconnaît qu’une seule « nation », celle des Portugais. Or, établie dans l’extrême nord-est du pays depuis le Moyen Âge, cette communauté dispose d’une langue fort ancienne proche de l’asturien ainsi que d’une culture caractéristique. Malgré cet état de fait, le peuple cité répond à tous les critères rappelés par les textes internationaux concernant les langues régionales ou minoritaires pratiquées. Et dans son rapport officiel au Conseil de l’Europe, tout en discutant de la non-définition du mot « nation », le Portugal reconnaît les « minorités sociales », donc les Mirandais. C’est dire qu’on ne se lasse pas de jouer sur les mots et l’argumentation pour reconnaître les réalités humaines.
Pour avancer, le réalisme s’impose !
En effet, pour nous, depuis le début de notre démarche, et sans entrer dans les débats propres à chaque État, nous nous référons aux réalités humaines. Autrement dit, à tout ce qui constitue un « fait social », et a fortiori quand l’évidence s’impose. Si nous nous référons à l’historien Fernand Braudel, toute collectivité s’observe sous quatre aspects : politique, économique, culturel et social. Et, par rapport à l’évolution évoquée de la mondialisation, il avait déjà précisé en son temps : « l’histoire économique du monde, c’est l’histoire entière du monde, mais vue d’un seul observatoire, l’observatoire économique. Choisir cet observatoire, c’est privilégier à l’avance une forme d’explication unilatérale et dangereuse »6.
Et, comme aussi démontré par l’anthropologue Edward T. Hall, son contemporain, « chaque culture est un ensemble unifié, dont toutes les composantes sont étroitement intriquées »7. Nous ne poursuivons pas sur le « chemin » des références qui, lui aussi, « se fait en marchant », pour nous rappeler le poète espagnol Antonio Machado (1875-1939). Notamment sur celui des sciences sociales et humaines. Mais nous sommes tenté, en la circonstance, de citer le philosophe de l’histoire et des sciences de l’homme et de la société (SHS)8 que fut à Strasbourg Georges Gusdorf (1912-2000). Ne s’était-il pas interrogé sur les morcellements du savoir liés aux modèles des sciences dures ou cognitives avec ses risques pour la culture et la compréhension générale, incluant les images et représentations des uns et des autres ? De même, pour le psychosociologue de la communication que fut Abraham Moles (1920-1992), avec son concept de « culture mosaïque » qui, du fait de la sociodynamique générale des médias qu’il avait décrite dans son essor au cours des années 1960, interroge toujours de nombreux aspects de nos préoccupations contemporaines9. Ne serait-ce qu’à propos de la segmentation accrue de l’offre et des usages via les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et de la fragmentation accrue des publics10.
Les SHS, en présence de l’histoire et d’un passé inscrit dans la culture de chaque communauté, sont bien concernées par les observations et les questions relevant de nos rencontres. Mais, comme expliqué à chaque étape, nous faisons appel à toutes les disciplines utiles pour saisir et comprendre au mieux les réalités qui nous préoccupent. C’est-à-dire que nous sommes dans une optique transdisciplinaire fondée sur le dépassement de toute discipline et de sa mise au service de la recherche engagée (transentre, à travers et au-delà).
D’ailleurs, la transdisciplinarité vient d’être revalorisée, dans l’actualité du futur en débat, par Stéphane Hessel et Edgar Morin dans leur ouvrage commun, Le chemin de l’espérance, leur dernier petit best-seller paru fin 2011. Cela ne nous a pas surpris de la part d’Edgar Morin, spécialiste de la pensée complexe et de la science du complexus (de « ce qui est tissé ensemble »). Il fut l’un des principaux rédacteurs et signataires de la charte de la transdisciplinarité réalisée au congrès d’Arrabida (Portugal) en 1994 (2-6 novembre) sous l’égide de l’UNESCO. Nous l’avons aussi signée sur place.
L’esprit de dialogue entre observateurs et acteurs
L’ouverture élargie
L’ouvrage se présente en quatre parties. À la suite de notre propos, Annie Lenoble-Bart, Serge Théophile Balima et Danuša Serafínová présentent les synthèses et réflexions majeures portées lors des rencontres antérieures (Introduction II).
Sont ensuite abordés d’autres continents (Partie I). Ainsi, jetons-nous des regards sur « les » Amériques, le Moyen-Orient, l’Asie et l’Australie, afin d’avoir à l’esprit l’universalité du sujet. Mais nous ne traiterons pas de la disparition des langues des Papous ou de la minorité malaise et musulmane de Thaïlande en elles-mêmes, le but étant d’élargir la perspective et non de rechercher une impossible exhaustivité.
Nous examinons ensuite, en raison de l’opportunité et des circonstances, la situation de l’Europe du Nord ainsi que celle d’une région naturelle liée à un grand fleuve, le Rhin, et à la dynamique humaine en rapport avec l’histoire (Partie II).
Comme observé, la spécificité voulue et conjoncturelle de la thématique réside aussi dans l’action des institutions internationales et européennes déjà citées, ainsi que des organisations internationales non gouvernementales (OING) concernées. Parmi elles, il y a celles qui relèvent de l’initiative d’universitaires ou de chercheurs, engagés dans l’un ou l’autre des aspects de notre problématique, et celles des acteurs concernés, professionnels ou bénévoles de la société civile (Partie III).
Les quatre parties
Dans la première partie, des regards sont donc portés sur d’autres continents dans le but de montrer que le sujet est présent au-delà des régions du monde déjà abordées. Ainsi, Carmen Rico De Sotelo traite de la question dans « les » Amériques latines sous les regards du passé, mais aussi de l’évolution et de la situation actuelle des minorités et de leurs différences culturelles (Chapitre 1). Puis, Yves Théorêt poursuit la comparaison entre deux entités étatiques face à la problématique, à savoir les États-Unis et le Canada (Chapitre 2). L’Atlantique est franchi de nouveau pour aborder la thématique au Moyen-Orient, région du monde où, depuis la nuit des temps, les peuples sont plus que jamais confrontés à la diversité culturelle sous ses divers aspects. Y compris dans l’actualité des représentations données par les médias qui, trop souvent, oublient bien des aspects de leur histoire respective. Spécialiste de cette région, Joseph Yacoub met en avant les questions relatives à la nécessaire reconnaissance de ces peuples (Chapitre 3). Plus loin encore, en direction de l’ancien Empire du Milieu, Katia Buffetrille et Marie-Dominique Even dressent un tableau de la situation de deux minorités majeures en Chine, les Mongols et les Tibétains, deux peuples historiques ayant de fortes difficultés à se faire reconnaître (Chapitre 4). Dans cette même logique, Martin Préaud aborde la situation des autochtones et leurs possibilités de s’exprimer dans l’espace médiatique en Australie, État qui, après un refus remarqué, a finalement adopté, en 2009, la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, votée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 septembre 2007 (Chapitre 5).
La deuxième partie conduit à un retour sur l’Europe, celle allant du Nord au Rhin. Les spécificités finlandaises à l’endroit des minorités historiques et de leurs médias d’expression sont présentées par Renaud de La Brosse (Chapitre 6). L’analyse est poursuivie sur la Suède et la mise en œuvre de son esprit de tolérance par Peter Dahlgren (Chapitre 7). Puis, Ursula Koch dresse un état des lieux sur les cinq minorités officiellement reconnues au sein de la République fédérale allemande en souligant le rôle joué par les Länder (Chapitre 8). Dans cette continuité, Claudia Huisman expose la situation des minorités aux Pays-Bas en pointant celles des Frisons et des Indo-Néerlandais émigrés de la colonisation (Chapitre 9). La spécificité de la Belgique francophone est analysée par Manfred Peters (Chapitre 10) sous l’angle de l’Euregio Meuse-Rhin regroupant des territoires de trois États aux confins de la Germania et de la Romania. Puis, avec Laurent Moyse, nous passons au Grand-Duché de Luxembourg, à la problématique de son identité nationale construite au fil de l’histoire et incluant trois langues officielles (Chapitre 11). Avec l’action de la ville de Sarreguemines et de communes voisines, un exemple est donné par Marc Zingraff de la volonté de collectivités territoriales de favoriser le bilinguisme et la culture régionale dans une zone frontière entre la France et l’Allemagne (Chapitre 12).
Nous passons à la vallée du Rhin et à l’Alsace avec Marc Lienhard qui aborde la question ancienne de l’évolution de l’identité alsacienne au fil de l’histoire de cette région caractéristique (Chapitre 13), mais loin d’être culturellement uniformisée, ne serait-ce que par ses dialectes, comme en témoigne Erich Weider dans son analyse de la partie sud, au « triangle des trois frontières », entre la Suisse, l’Allemagne et la France (Chapitre 14). Puis, Jean-Marie Woehrling se saisit de la question de l’identité rhénane en tant que mythe ou réalité, au regard du passé de la bande rhénane et des populations y habitant (Chapitre 15). Enfin, eu égard à la proposition originale faite par son auteur, Alain Viaut, nous revenons au nord de l’Europe pour examiner la situation de la Carélie comme territoire spécifique marqué par les confrontations passées entre la Finlande et la Russie, et dont l’histoire peut être comparée à celle de l’Alsace, mais où le carélien a récemment obtenu le statut sociolinguistique de langue qui a renforcé son identité culturelle (Chapitre 16).
La troisième partie porte sur les institutions et organisations internationales. Bien que souvent citées, les premières méritent d’être présentées par rapport à leurs missions et à leurs actions concrètes. De même pour les organisations internationales non gouvernementales (OING), qui défendent des causes allant dans le même sens. Il en va ainsi de l’UNESCO, dont les orientations sont décrites par Alain Modoux, quitte à rappeler aussi les contextes passés au cours desquels cette agence spécialisée des Nations Unies a été menacée (Chapitre 17). Puis, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), avec Hervé Barraquand, expose ses engagements dans le domaine de la défense et de la promotion de la diversité culturelle au sein de ses pays membres (Chapitre 18).
Le Conseil de l’Europe, institution portant notre thématique depuis ses origines, est particulièrement attentif aux engagements des États parties de la Convention sur les langues régionales ou minoritaires. Alexey Kozhemyakov, responsable de ce suivi, dresse un état de la situation la plus actuelle (Chapitre 19). Puis, autre organisation présente à Strasbourg, le fonds Eurimages en charge du soutien à l’industrie cinématographique, avec Francine Raveney, nous dresse également un bilan de son action (Chapitre 20). Enfin, les constats d’une autre structure relevant du Conseil de l’Europe, l’Observatoire européen de l’audiovisuel, par l’intermédiaire d’André Lange, nous sont présentés, en particulier sur les télévisions subnationales, régionales et locales favorisant le pluralisme culturel au sein des pays membres (Chapitre 21). Cet état des lieux supranational est complété par une analyse économétrique de Florence Lévy-Hartmann sur l’industrie cinématographique et son approche spécifique de la diversité, fondées sur le registre commercial et non pas sur la variété culturelle, approche à prendre en compte dans les débats (Chapitre 22). L’Union européenne, à son tour, est sollicitée sur sa politique du multilinguisme dans le contexte du dialogue interculturel indispensable à son avenir. Celle-ci est exposée par Diego Marani (Chapitre 23).
Du côté de la société civile, une structure internationale a été constituée à la suite de la démarche de l’UNESCO en faveur de la diversité culturelle. Il s’agit de la Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle (FICDC), qui regroupe des organisations professionnelles du monde entier engagées à soutenir la Convention de 2005. Sa philosophie et son activité sont présentées par Charles Vallerand (Chapitre 24).
Autre organisation, l’Observatoire européen du plurilinguisme agit dans le respect et la promotion des langues comprises dans leurs dimensions multisémiques et non pas seulement d’usage ou de communication fonctionnelle. Autrement dit, les langues de service ne sont pas les langues de culture. Expliquées par Christian Tremblay, elles contribuent à renforcer la dimension du patrimoine culturel et de la richesse des échanges plurilingues (Chapitre 25).
La quatrième partie revient sur la problématique de la mondialisation et de la diversité culturelle. En se fondant sur la situation d’une région de l’Afrique, Michèle Leclerc-Olive aborde trois problématiques ayant pour objet la valorisation des langues : la sauvegarde de leur diversité, l’approche identitaire, et le plurilinguisme dans l’espace public (Chapitre 26). Pour sa part, Thierry Vissol reprend le débat non clos sur les risques identitaires du multilinguisme pouvant aboutir aux nationalismes (Chapitre 27). Puis, Claude Régnier met en rapport la problématique globale de la diversité culturelle avec celle de la diversité des évolutions démographiques à l’échelle du monde (Chapitre 28). Quant à Yves Jeanclos, il aborde un sujet qui demeure dans l’actualité quasi constante : celui des conflits en rapport avec les problèmes relevant des relations majorités-minorités, ou des politiques des gouvernements des États à l’égard des minorités, quand il ne s’agit pas non plus d’enjeux géopolitiques dont les minorités peuvent être victimes (Chapitre 29). Si les médias, dont ceux en charge de l’expression des minorités culturelles, peuvent exister, cela est dû aux infrastructures de télécommunications, a fortiori Internet, en tant qu’acteur du multimédia. Cet aspect, avec ses questions et ses limites, est traité par Jean-Louis Fullsack qui en montre les enjeux (Chapitre 30). Par rapport à un autre phénomène en développement dans la société de l’information, en l’occurrence l’usage de l’anglais comme langue universelle, Michaël Oustinoff dresse un tableau de la situation en pondérant les discours à ce sujet (Chapitre 31). Guy Berger présente ensuite l’enjeu de l’éducation aux médias et de la formation des journalistes dans la perspective du dialogue interculturel et du plurilinguisme (Chapitre 32). Il appartient ensuite à Anne-Marie Laulan d’assumer la tâche de distanciation du philosophe préoccupé de l’avenir des rapports humains en revenant sur l’enjeu de la reconnaissance des minorités culturelles dans l’évolution en cours (Chapitre 33).
Enfin, nous concluons sur la nécessité du dialogue entre communautés culturelles, à tous les niveaux de la vie sociale et politique, ainsi qu’à tous les échelons des organisations en charge des relations internationales et de la construction de la Paix.
1. Pottier (1816-1887) l’écrivit lors de la Commune de Paris en 1871, Pierre Degeyter le mit en musique en 1888, (« Qu’enfin le passé s’engloutisse ! » (6e couplet de la première version chantée) passé au 5e verset du 1er couplet devenu universel : « Du passé faisons table rase ».
2. D. SERAFÍNOVÁ et M. MATHIEN (dir.), L’expression médiatique de la diversité culturelle en Europe centrale et orientale, Bruxelles, Bruylant, 2012. S.T. BALIMA et M. MATHIEN (dir.), Médias de la diversité culturelle en Afrique. Entre traditions et mondialisation, Bruxelles, Bruylant, 2012. A. LENOBLE-BART et M. MATHIEN (dir.), Les médias de la diversité culturelle dans les pays latins d’Europe, Bruxelles, Bruylant, 2011.
3. Cf., en plus de l’avant-propos et de l‘introduction des ouvrages cités, notre art. « L’actualité du NOMIC ou la récurrence d’un débat international discret », AFRI, vol. 12, Bruxelles, Bruylant, Paris, La Documentation française, juin 2011, pp. 967-987.
4. F. CAPOTORTI, rapporteur de la Sous-commission des Droits de l’Homme des Nations Unies, Study on the Rights of Persons Belonging to Ethnic, Religious and Linguistic Minorities, New York, ONU, 1979.
5. Commentaire du C.D.D.H. sur la Recom. 1735 (2006) de l’Assemblée parlementaire sur le concept de « nation » adoptés à sa 65e réunion, 6-9 novembre 2007.
6. Selon J. LE GOFF, « Heurs et malheurs des mondialisations », Cahiers français, Paris, La Documentation française, décembre 2001, n° 305, pp. 3-6. Cf. F. BRAUDEL, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, Paris, Armand Colin, 1979.
7. Cf. E.T. HALL,Guide du comportement dans les affaires internationales, Paris, Seuil, 1990.
8. Cf. G. GUSDORF,Les sciences humaines et la pensée occidentale, Paris, Payot, 1965.
9. Cf. A. MOLES,Sociodynamique de la culture, Paris, Masson, 1967.
10. Cf. M. MATHIEN, « Segmentation des médias et fractalisation du système social. Les journalistes sans la République ? », Communication et Langages, n° 134, 4e trimestre 2002, pp. 4-21.
Introduction IITrois regardssur la diversité culturelle
Les pays latins d'Europe une partiede l’Afrique l’Europe centrale et orientale
PAR
ANNIE LENOBLE-BART,
SERGE THÉOPHILE BALIMA,
DANUŠA SERAFÍNOVÁ
Les pays latins d’Europe
ANNIE LENOBLE-BART
La rencontre internationale de Bordeaux, en juin 2010, a été le début du tour d’horizon sur les médias témoignant de la diversité linguistique, culturelle et médiatique, diversité qui n’a fait que se confirmer quand les cas de l’Afrique ou d’une Europe plus orientale ont été abordés par la suite. L’actualité récente a justifié, une nouvelle fois, l’intérêt indéniable de la thématique choisie.
Isabelle Rigoni et ses collègues nous semblent bien synthétiser la problématique choisie : « le champ médiatique représente un laboratoire utile à la compréhension de la promotion politique de la diversité culturelle dans le sens où il contribue à véhiculer les différents courants de pensée qui lui sont liés et où il met en œuvre, dans l’espace public, les récentes réformes politiques et juridiques en la matière. […] Le discours consensuel sur le respect, voire la promotion des différences culturelles, ainsi que les récentes législations en la matière favorisent-ils un changement dans les modalités et les pratiques de représentation des minorités culturelles et linguistiques dans l’espace public ? […] »
« L’expression de différences culturelles et linguistiques internes s’inscrit dans le processus idéologique de construction de chaque État-nation. De ce fait, les acteurs politiques expriment une variété de positionnements idéologiques, notamment liés à des contextes historico-politiques nationaux particuliers. Dès lors, comment les différents discours s’articulent-ils autour du thème de la diversité et de sa promotion, en particulier dans l’espace journalistique ? Quels sont les enjeux portés par les médias en matière de défense et de promotion de la diversité ? »1.
Différentes études de cas, replacées dans le contexte d’un échantillon de la diversité européenne ont permis d’apporter quelques réponses qui restent cependant à étoffer encore.
Il est toujours difficile de ne pas trahir deux jours d’exposés et de débats. Nous ferons des emprunts aux diverses interventions pour essayer de mettre en valeur des conclusions importantes2. Nous avons détaillé quelques aspects de la multiplicité des cultures, des langues, des pratiques d’une Europe « latine » – voire au-delà, puisque les diasporas sud-américaines ou la situation du Liban ont été abordées, compte tenu des interférences qu’elles connaissent avec cette Europe ; elles confirment l’impossibilité de toute généralisation. Même à l’aune des politiques incitatrices de l’UNESCO et unificatrices des institutions européennes, des singularités perdurent, voire se multiplient. Une seule exception, peut-être, celle du Portugal3…
L’éventail géographique abordé a été très vaste, mais certains « cas » ont davantage retenu l’attention, quelques-uns étant même emblématiques comme celui du Pays Basque ou de la Bretagne.
Quelques exemples
La France, bien sûr, reste attachée à son « exception culturelle » et n’a encore signé que 39 des 98 articles de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, adoptée avec la Convention européenne de 1992 sous les auspices du Conseil de l’Europe. Sa centralisation passée et son souci de cohésion nationale ne l’empêchent pas de donner accès à des langues minoritaires sur les antennes délocalisées de Radio-France ou de France Télévisions. Les cas breton, basque ou corse ont été décortiqués et d’autres langues simplement évoquées.
Les situations de l’Italie, de la Belgique, de l’Espagne (type de l’État décentralisé) comportent bien des différences liées à l’Histoire et ses turbulences, à la démographie ou à bien d’autres facteurs locaux. En dehors de l’Union européenne, le cas de la Suisse reste emblématique d’un kaléidoscope assez remarquable et a paru avoir la plus grande diversité de médias en langues diverses de notre parcours.
Les frontières nationales ne sont pas toujours pertinentes : ainsi, des médias frontaliers le long des Pyrénées ou franco-belges « donnent les clefs nécessaires à une meilleure assimilation par exemple de ce qu’est une Eurorégion ou un Eurodistrict »4. Le cas de la Sardaigne est aussi très révélateur de ce qu’une île – mais au carrefour de voies maritimes – peut sécréter.
Quelles logiques structurantes ?
Il ne s’agit pas de faire de prospective hasardeuse. Mais au-delà des exemples présentés, il est prouvé qu’il faut une politique volontariste ou beaucoup de militantisme pour que des médias déjà en difficulté, soumis plus que jamais en période de crise aux lois du marché, perdurent quand les locuteurs sont là, mais parfois diminuent, voire sont en voie d’extinction.
La question de la transmission a été régulièrement évoquée, en filigrane ou plus crûment comme ce fut pour le breton : « quand les grands-parents étaient monolingues bretonnants, les parents ont été ou sont bilingues et les enfants sont monolingues francophones. […] Le breton est depuis déjà plusieurs décennies une langue non transmise de génération en génération. L’usage du français s’est généralisé, au point que selon le dernier sondage, 87 % des habitants de la zone concernée ne sont plus en mesure de s’exprimer couramment en breton. Par ailleurs, tous les bretonnants sont désormais bilingues »5.
Ce qui n’est pas précisé, c’est que les enfants ont certainement appris au collège deux langues internationales qui les mènent vers d’autres médias. Car se pose la question du choix des langues dans la scolarisation (et de son coût) qui fait qu’on préfère ensuite lire des journaux dans une langue ou simplement l’écouter dans un média audiovisuel. Avec, pour les écoles et les médias une question de seuil de rentabilité, crûment posée au niveau européen comme à une échelle plus réduite. Thierry Vissol l’a clairement exprimé : « les coûts de production, d’adaptation ou de traduction ne sont pas proportionnels au nombre de locuteurs d’une langue, mais identiques quel que soit ce nombre. En conséquence, plus ce nombre est petit, plus le coût par auditeur, lecteur ou téléspectateur est élevé. La péréquation entre l’égalité de tous les citoyens, quelle que soit leur langue, devant l’offre d’information et la maximisation des ressources (limitées, voire rares) utilisées devient éminemment complexe »6.
Le choix des parents pèse-t-il ? En général, leur principal critère est celui d’une utilité immédiate sauf s’ils sont militants. Le cas du basque est, à cet égard, révélateur : la manière dont le statut social de la langue s’établit peut être celle de l’absence d’un besoin urgent. Ceux qui n’étudient pas le basque, et n’ont pas l’intention de le faire, le justifient par le fait de ne pas en avoir besoin pour communiquer, car tous savent le castillan ou le français et préfèrent consacrer leur temps à d’autres activités. À l’inverse, un certain volontarisme est fondamental pour le faire étudier à ses enfants.
Quelles perspectives à court ou moyen terme ?
La question de l’identité (personnelle, collective, nationale, régionale, politique, culturelle…) a été au cœur des débats. Les principes normatifs de « l’identité nationale » en France, par exemple, font que la peur du communautarisme guide un certain nombre de réticences à des expressions médiatiques. Pourtant, on a entendu que R.F.O. a connu ce qui a été qualifié de « buissonnage linguistique » (en particulier dans les départements créolophones où s’est pratiquée « une conduite de rupture opportuniste par rapport à une norme imposée et ceci en vue d’une gratification identitaire située aux marges de l’identité officielle »7). En Suisse au contraire, le ciment national est moins la langue qu’une certaine pratique du consensus démocratique. La Constitution fédérale attribue même à l’État (art. 2) la mission de promouvoir la cohésion interne et la diversité culturelle du pays8.
Globalement pourtant, on s’accorde sur le fait que « les médias des minorités culturelles et linguistiques constituent des acteurs importants des débats relatifs à la construction identitaire et au positionnement politique des minorités »9.
Mais il y a minorités et minorités. On peut être confronté à des médias animés par le souci d’une normativisation et standardisation de la langue (par exemple, le basque, ou peut-être l’allemand de Suisse ?), mais aussi à des médias qui se préoccupent d’abord de normaliser la pratique – ne serait-ce que l’écoute – de dialectes ou de variantes linguistiques partiellement normées, en remplissant une fonction patrimoniale et symbolique. Généralement, les médias contribueraient plus ou moins à accentuer le fossé générationnel (en liaison avec la scolarisation), mais également entre les populations urbaines et rurales dont les pratiques linguistiques sont de plus en plus différentes.
Une limite, cependant, est à noter avec le Pays basque encore : « Ironie des temps, pour ces langues régionales davantage standardisées, la volonté d’unification des militants basques – inséparable d’un processus de centralisation –, suscite une réaction identitaire des Souletins ou des Biscayens, par exemple, à nouveau menacés d’être engloutis dans une unité plus englobante et de voir leur particularité renvoyée au statut de particularisme, tandis que leur langue – rabaissée au rang de dialecte – serait vouée à la correction »10.
Cet exemple est révélateur d’autres situations similaires. Cela entraîne un défi de taille, en particulier pour les radios associatives, les médias publics autonomes ou la presse en langues régionales : normaliser l’idée que des langues régionales longtemps assimilées (de fait) à un ensemble de langues vernaculaires locales, puissent devenir des langues véhiculaires à l’échelle transfrontalière, voire européenne. Pascal Ricaud le confirme : « À ce titre, la médiatisation est non seulement un moyen puissant de standardisation, de normalisation et in fine d’extension sociale d’une langue […], mais c’est également un moyen d’acquérir une plus grande valeur marchande et politique, jusqu’à inverser le rapport de domination avec une autre langue (renversement diglossique), voire à viser un processus de substitution. L’extension ou la domination d’une langue symbolise à un moment donné l’ambition ou la puissance économique et politique. Accéder aux médias n’est pas seulement de ce point de vue un enjeu social et culturel pour les langues régionales, mais c’est aussi un enjeu symbolique et politique. Même si certains médias en langues régionales ou bilingues s’en défendront, affirmant – avec sincérité parfois ou par défiance – qu’ils remplissent une fonction purement culturelle et non politique ».
Reste qu’il faut avoir les moyens de ses ambitions.
Un contexte économique peu favorable
La question de la rencontre entre un concept éditorial, des acheteurs qui l’adoptent, des éditeurs et annonceurs qui en permettent la viabilité financière est régulièrement au premier plan même s’il peut exister des « produits » qui vivent uniquement grâce à la manne publicitaire ou financière d’éditeurs de presse, voire à des subventions.
Même dans la très riche Suisse se posent des problèmes de financement : ses médias, très diversifiés, « traversent une période de crise liée aux mutations du double marché (lectorat et annonceur), avec pour conséquence notamment des réductions de coûts et une concentration de titres. Les conséquences de ces mutations sur les équilibres linguistiques du pays ne sont pas encore clairement perceptibles »11. Avec la multiplication des problèmes économiques, même là, on pourrait peut-être avoir désormais quelques éléments de réponse.
Les « impératifs » financiers peuvent également cacher d’autres réalités à l’instar de ce qu’en écrit Frédéric Antoine : « Le Moniteur belge,