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Si les notions de populisme, de droite radicale et d’extrême droite sont souvent utilisées dans un sens flou, et qu’elles s’apparentent même parfois à des injures, elles continuent à structurer le débat public, et surtout, elles restent plus que jamais des concepts complexes mais utiles en Science politique.
Avec de nombreuses contributions qui couvrent différents pays d’Europe, des approches comparatives et des analyses transversales, l’ouvrage offre un regard approfondi sur la question de l’extrême droite en Europe en 2016. Il prend d’abord la mesure de l’évolution des phénomènes depuis plus de trente ans, et intègre ensuite, dans la réflexion, la naissance de dynamiques, certes connexes, mais déterminantes. Ainsi, à l’approche « pays par pays », il ajoute des travaux sur les rapports entre l’extrême droite et la construction européenne, sur le rôle d’Internet dans la structuration de certains mouvements et dans la circulation des idées, sur l’évolution du discours raciste et l’émergence d’un langage codé face à la législation antiraciste, il propose également une réflexion sur la question de l’islam comme nouvelle cible de nombreux partis classés à l’extrême droite de l’échiquier politique.
Au final, l’ouvrage offre un portrait complexe et extrêmement diversifié d’un phénomène global en pleine mutation. Il s’adresse aux universitaires qui s’intéressent à la démocratie face aux mouvements radicaux, plus particulièrement en Science politique, en Sociologie politique, en Communication et en Histoire. En parallèle, il offre un cadre d’analyse relativement accessible pour les journalistes et les commentateurs politiques qui couvrent la question des populismes et des radicalismes en Europe.
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© Groupe Larcier s.a., 2016
Éditions Bruylant
Espace Jacqmotte
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Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
ISBN : 9782802755548
La collection « Idées d’Europe » est dirigée par l’Institut d’études européennes de l’Université Saint-Louis – Bruxelles. Elle se caractérise par une approche résolument pluridisciplinaire qui permet de mieux cerner, dans toute leur complexité, les grandes problématiques européennes. La collection a pour objectif de croiser les regards d’académiques, de chercheurs et d’experts des différentes disciplines des sciences humaines spécialisés dans les affaires européennes. Elle entend contribuer à la réflexion sur les institutions et les sociétés européennes de manière à la fois réaliste, critique et inventive.
Déjà parus :
Les modèles sociaux en Europe. Quel avenir face à la crise ?, sous la direction de Jean-Luc De Meulemeester, Jean-Christophe Defraigne, Denis Duez et Yannick Vanderborght, 2013.
Net Neutrality in Europe – La neutralité de l’Internet en Europe, sous la direction d’Alain Strowel, 2013.
L’européanisation. Sciences humaines et nouveaux enjeux, sous la direction de Denis Duez, Olivier Paye et Christophe Verdure, 2014.
Le pacte constitutionnel européen, t. 1, Fondements du droit institutionnel de l’Union, Antoine Bailleux et Hugues Dumont, 2015.
– Baudewyns P., Braspenning T., Legrand V., Jamin J., Paye O. et Schiffino N., Fondements de Science politique, Bruxelles, De Boeck, 2014.
– Grandjean G. et Jamin J., La concurrence mémorielle, coll. Recherches, Paris, Armand Colin, 2011.
– Jamin J., L’imaginaire du complot. Discours d’extrême droite en France et aux États-Unis, coll. IMISCOE dissertations, Amsterdam, Presses Universitaires d’Amsterdam, 2009.
– Gsir, S., Jamin J., Perrin N., Jeurissen L. et Martiniello M., Langue française, allophonie et défis sociaux. Le cas des adultes en situation postmigratoire, coll. Français et Sociétés, Bruxelles, E.M.E., 2008.
– Jacquemain M. et Jamin J., L’histoire que nous faisons. Contre les théories de la manipulation, coll. Liberté j’écris ton nom, Bruxelles, Labor, 2007.
– Jamin J., Faut-il interdire les partis d’extrême droite ? Démocratie, droit et extrême droite, coll. Voix de la mémoire, Bruxelles et Liège, Les Éditions Luc Pire et Les Territoires de la mémoire, 2005.
– Dohet J. et Jamin J., La Belgique de Jacques Yerna – Entretiens, coll. La Noria – Entretiens, Bruxelles, Labor, 2003.
– Florence E. et Jamin J., Médiations interculturelles et institutions, coll. Cahiers Migrations (avec Eric Florence), Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, 2003.
Pieter BEVELANDER
is professor of International Migration and Ethnic Relations (IMER) at the Department of Global Political Studies and Director of MIM, Malmö Institute of Migration, Diversity and Welfare, Malmö University, Sweden. His main research field is international migration and different aspects of immigrant integration and attitudes towards immigrants and ethnic minorities.
Benjamin BIARD
est chercheur-aspirant F.R.S.-FNRS en science politique à l’Université catholique de Louvain (Belgique). Ses recherches portent sur le populisme, la droite radicale, la démocratie et les politiques publiques. En 2015, il se rend à l’Université de Lausanne (IDHEAP) pour six mois dans le cadre d’un séjour de recherche.
András BIRO-NAGY
is co-director of Policy Solutions. He is also Researcher at the Hungarian Academy of Sciences (MTA TK PTI) and Lecturer at Corvinus University of Budapest. His publications mainly focus on the radical right, populism, Hungarian politics and the politics of the European Union.
Nathalie BLANC-NOËL
est Maître de conférences en Science politique à l’Université de Bordeaux et chercheur au CMRP-IRM. Elle est spécialiste des pays nordiques et a co-fondé la revue Nordiques.
Tamás BOROS
is political analyst, co-director of the Budapest and Brussels based Policy Solutions. He is also member of the Scientific Council of the Foundation for European Progressive Studies (FEPS). His publications mainly focus on euroscepticism, right-wing extremism and populism. Tamás Boros is regularly invited as political commentator in Hungary’s leading news channels.
Jean-Yves CAMUS
dirige depuis 2014 l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès, il est chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques.
Sébastien CHAZAUD
a étudié l’histoire, l’espagnol et la science politique à l’Université de Genève. Il s’intéresse aux mouvements extrémistes et a rejoint le Centre d’études Démocratie (Université de Liège) en tant que collaborateur scientifique. Ses recherches portent actuellement sur le discours de l’UDC face à l’islam.
Benjamin DE CLEEN
is an assistant professor at the VUB Communication Studies Department where he is the coordinator of the English-language Communication Studies master on Journalism and Media in Europe. His research is situated within discourse studies, and has mainly been focused on radical right rhetoric, on the role of expressive culture in the resistance against the radical right, and on the discourse-theoretical development of the concepts of populism, nationalism and conservatism.
François DEBRAS
est détenteur d’un Bachelier en Communication et Information ainsi que d’un Master en Sciences politiques orientation générale, à finalité spécialisée en Relations Internationales. Il est actuellement Assistant-Doctorant au sein de la Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie de l’Université de Liège. Ses domaines de recherches portent essentiellement sur les notions de pouvoir et de conflit au sein des démocraties occidentales contemporaines.
Henri DELEERSNIJDER
est professeur d’histoire, licencié en Arts et Sciences de la communication et collaborateur à l’Université de Liège, institution où il écrit régulièrement dans le mensuel Le 15ejour du mois et sur le site de vulgarisation scientifique Reflexions. Il est aussi essayiste et chroniqueur au trimestriel Aide-Mémoire, périodique du Centre d’éducation à la résistance et à la citoyenneté. Soucieux de mettre en évidence les mouvements historiques du temps long, ces courants politiques profonds et durables que l’écume de l’actualité immédiate empêche trop souvent de déceler, il s’implique en particulier comme politologue dans des recherches à l’intersection de l’histoire et des médias.
Marie DEMKER
is Professor of Political Science, Gothenburg University. Her main area of research has been political parties and political ideologies in Europe, during a couple of years now she has explored the consequences for democracy of new cleavages and popular mobilization along these.
Julien DOHET
est licencié et agrégé en histoire de l’université de l’ULg. Ses thèmes de recherche sont : l’idéologie d’extrême droite, l’histoire du mouvement ouvrier et la gauche radicale. Il travaille également sur l’actualité à travers la caricature. Il est par ailleurs trésorier de l’Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale (IHOES).
Emil EDENBORG
is finishing his Ph.D. in political science at Lund University in 2016. He teaches IMER (International Migration and Ethnic Relations) and European Studies at Malmö University, and was a visiting researcher at UC Berkeley in 2015. His research concerns belonging, gender, and nationalism, particularly in the Russian context.
Geoffrey GRANDJEAN
est chargé de cours à la Faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie de l’Université de Liège et aux Écoles de Sciences Administratives de Liège et Namur. Ses enseignements et ses recherches portent sur les interactions entre normes et politiques ainsi que sur les mobilisations politiques du passé.
Anders HELLSTRÖM
is Associate Professor in Political Science, researcher at Malmö Institute for Studies of Migration, Diversity and Welfare (MIM) and senior lecturer at Global Political Studies (GPS), Malmö University, Sweden. He currently chairs a collaborative project, funded by Nordcorp (NOS-HS) on nationalism populism in the Nordic countries.
Daniel KOEHLER
studied religious studies, political sciences and economics at Princeton University and Free University Berlin. After having finished the postgraduate program ‘Master of Peace and Security Studies’ at the University of Hamburg he specialized on terrorism, radicalization, and de-radicalization. He worked as a de-radicalization and family counsellor in multiple programs since 2010. He founded the German Institute on Radicalization and De-radicalization Studies (GIRDS) in 2015 and developed several methodological approaches to de-radicalization (for example the family counselling methodologies and training courses for deradicalization mentors). In addition he gave expert interviews for leading international news outlets such as Wall Street Journal, Christian Science Monitor, National Public Radio, Rolling Stone Magazine, Associated Press, and the London Sunday Times. Daniel Koehler is also the co-founder of the first peer reviewed open access journal on de-radicalization. In June 2015 GIRDS Director Daniel Koehler was named a fellow of George Washington University’s new Program on Extremism at the Center for Cyber and Homeland Security. He was appointed the first court expert on de-radicalization for a US Federal Court in 2016.
Paul JACKSON
is a Senior Lecturer in History at the University of Northampton and has written widely on the extreme right. He is currently completing a monograph, Colin Jordan and Britain’s Neo-Nazi Movement: Hitler’s Echo (2016), and also edits the Bloomsbury book series A Modern History of Politics and Violence.
Jérôme JAMIN
est Professeur de Science politique à la Faculté de Droit, Science politique et Criminologie de l’Université de Liège. Il est directeur du centre d’études Démocratie et co-directeur de la Maison des Sciences de l’Homme de l’Université de Liège. Il a notamment publié comme auteur ou comme co-auteur Fondements de Science politique (De Boeck), La concurrence mémorielle(Armand Colin) et L’Imaginaire du complot (Amsterdam University Press).
Nicolas LEBOURG
est chercheur associé au Centre d’Études Politiques de l’Europe Latine (CEPEL, UMR 5112 CNRS-Université de Montpellier). Il est membre de l’Observatoire des radicalités politiques (ORAP, Fondation Jean Jaurès). Il participe aux programmes « European Fascism » (EURFA, George Washington University) et « Violences et radicalisations militantes en France » (Agence Nationale de la Recherche).
Jacques Ch. LEMAIRE
est docteur en Philosophie et lettres et spécialiste de la langue et de la littérature françaises du Moyen-Âge. Professeur à l’Université libre de Bruxelles, il est membre de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique. Depuis 1975, il assume la direction des publications de La Pensée et les Hommes.
Jérémy MANDIN
is a PhD student in anthropology and social sciences at the KULeuven and at the ULg. His fields of interest include contemporary phenomenon of European emigration, diversity and social cohesion in urban contexts and far right and populist movements in Italy.
Alessandro MAZZOLA
is a PhD candidate in Political and Social Sciences at the Center for Ethnic and Migration Studies (CEDEM), University of Liège, Belgium, and researcher at the Research Unit on Social Topographies (UriT), SOB University of Naples, Italy. He has recently worked on the role of music in the criminalization of Naples’ underclass (2015), and on the uses of music in the making of the issues of Flemish nationalist groups in Belgium (forthcoming).
Patrick MOREAU
is born in Wetzlar, Germany, in 1951, studied philosophy and history at the University Paris I – Sorbonne; 1978: PhD; studied political sciences at the Institut d’Etudes Politiques in Paris; habilitation: 1984; former scholarship holder of the Alexander-von-Humboldt-Foundation and the Deutsche Forschungsgemeinschaft (German Research Foundation); 1984 – 1998: member of the Enquete commission of the German Bundestag “Überwindung der Folgen der SED-Diktatur” (the commission investigating the consequences of the SED dictatorship). Centre National de la recherche scientifique, Currently: Pensioner, Berlin.
Jérôme NOSSENT
est détenteur d’un Master en sciences politiques orientation générale, à finalité spécialisée en administrations publiques de l’Université de Liège. Il est actuellement assistant-doctorant au sein du Département de Science Politique de l’ULg. Rattaché au pôle « Mémoire » du centre de recherche et d’enseignement Démocratie, il consacre ses recherches aux instrumentations politiques de la mémoire.
Jonas OTTERBECK
is professor of Islamic Studies at Lund University, Sweden. Previously he worked at International Migration and Ethnic Relations at Malmö University, Sweden. His research interests include Islamic discourse, Islamophobia, Muslim youth and organisations in Europe and Islamic theology about music.
Julien PAULUS
est licencié en anthropologie et coordinateur du pôle de recherches et d’éditions des Territoires de la Mémoire, centre d’éducation à la résistance et à la citoyenneté. Il est également rédacteur en chef de la revue Aide-mémoire et collaborateur scientifique à l’Université de Liège.
Alessio POSTIGLIONE
is a political analyst and a journalist who has worked/works for The Huffington Post Italia, Euractiv.eu, Repubblica, l’Espresso, Europa. He is now the policy advisor to the mayor of Naples and past president of Committee on Budgetary Control of the European Parliament, Luigi de Magistris.
Nathalie SCHIFFINO
is a professor of political science at the University of Louvain (UCL, Belgium). She earned a PhD in government and public administration. Her research and teaching concern democracy and policy analysis. Results have been published among others in Risk Analysis, International Review of Administrative Sciences, or West European Politics.
Sara VAN DER MEIDEN
is a master student and research assistant at the department of Political Science at University of Gothenburg, Sweden. Her research interest centers around political parties, political attitudes and voting behavior. She is particularly interested in right-wing populist parties and attitudes towards immigration.
Koen VOSSEN
is a political historian, independent researcher and a lecturer in political science at the Radboud University in Nijmegen. He has published both in journalistic and scientific media on populism, new parties, anti-democratic movements and authoritarian regimes in past and present.
José Pedro ZÚQUETE
is a political scientist. His research focuses on comparative politics and social movements. He is currently a research fellow at the Institute of Social Sciences- University of Lisbon, Portugal.
Du même auteur
Liste des auteurs
Introduction générale, par Jérôme Jamin
Partie I Les mots et les choses
Droites extrêmes, droites radicales en Europe : continuités et mutations, par Jean-Yves Camus
Idéologies et populismes, par Jérôme Jamin
Le darwinisme social comme ciment idéologique de l’extrême droite, par Julien Dohet
Partie II L’extrême droite en Europe pays par pays
The Dutch whistleblower; Geert Wilders as figurehead of international anti-Islam alarmism, by Koen Vossen
Aube dorée et l’extrême droite en Grèce, par Henri Deleersnijder
L’extrême droite en Espagne et au Portugal, par Julien Paulus
The FPÖ: the road to power, by Patrick Moreau
(Re)producing others: diversity and discrimination in the discourse of Northern League, by Jérémy Mandinand Alessandro Mazzola
La reconfiguration des extrêmes droites françaises, des marges sociales à l’offre politique, par Nicolas Lebourg
Political violence from the far right in Germany; terrorism, hate crimes and dynamics of escalation, by Daniel Koehler
Surveying the contemporary extreme right in Britain: networking and fragmentation, by Paul Jackson
Representing the people: the articulation of nationalism and populism in the rhetoric of the Vlaams Belang, by Benjamin De Cleen
Jobbik going mainstream; strategy shift of the far right in Hungary, by András Bíró-Nagy and Tamás Boros
L’UDC et l’islam en Suisse, par Sébastien Chazaud
Swedish adolescents’ attitudes towards immigrants, by Pieter Bevelander and Jonas Otterbeck
Xenophobia in Sweden – Public Opinion and Political Mobilization, by Marie Demker and Sara van der Meiden
Populisme et détournement du récit identitaire national : le cas du Parti du peuple danois, par Nathalie Blanc-Noël
Partie III L’extrême droite sur la scène internationale
A cognitive challenge: the study of the radical right between nationalism and transnationalism, by José Pedro Zúquete
La recomposition des droites nationalistes et radicales en Europe, par Jean-Yves Camus
Memory of the political construction of Europe in far right positions, by Geoffrey Grandjean
Le Front National et les élections européennes de 2014, par Benjamin Biard
Partie IV Extrême droite, médias et réseaux sociaux
gatesofvienna.net: transnational Islamophobia on the Internet, by Paul Jackson
Politics of shame: life stories of the Sweden Democrats’ voters in a counter public sphere, by Anders Hellström and Emil Edenborg
The leftist rhetoric of extreme right propaganda, by Alessio Postiglione
Partie V Contributions thématiques et analyses transversales
L’instrumentalisation de figures historiques : comparaison des utilisations de Jeanne d’Arc par le FN et de saint George par l’UKIP, par Jérôme Nossent
L’influence des partis populistes sur les politiques publiques : quel bilan en science politique ?, par Nathalie Schiffino et Benjamin Biard
L’extrême droite et la démocratie : entre opposition et récupération, par François Debras
Le complot judéo-maçonnique et l’extrême droite, par Jacques Ch. Lemaire
Conclusion générale
Conclusion, par Jérôme Jamin
Table des matières
Par
Jérôme Jamin
Professeur
Université de Liège
Le titre d’un ouvrage doit être court, il doit viser juste, et idéalement il doit aussi être plein de sens. Dans le champ qui nous intéresse, ces trois exigences sont contradictoires, car l’extrême droite renvoie à une famille idéologique complexe. Dans une perspective comparative, évidemment ! Mais aussi, à l’intérieur de chaque nation où parfois plusieurs formations politiques sont actives dans ce domaine, où souvent une multitude de groupes, de mouvements, de réseaux et autres associations produisent, relaient et diffusent des idées d’extrême droite. Non seulement il est très difficile de saisir des invariants propres à l’extrême droite qui résistent à la diversité des situations politiques et des contextes nationaux, mais de surcroît, même à l’intérieur de chaque pays, même dans un petit pays, le défi reste énorme ! Les conjonctures nationales parfois très différentes, le niveau de pouvoir concerné par un éventuel succès électoral de l’extrême droite, le scrutin (majoritaire ou proportionnel), et le rythme soutenu des élections un peu partout en Europe empêchent une analyse systématique. L’évolution des programmes, l’adaptation des discours – notamment en réaction à la législation antiraciste –, l’implantation électorale rapide, l’évolution dans la durée, ou la chute de partis aussi différents que le Vlaams Belang en Flandre (Belgique), le Parti pour la liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas, l’Union Démocratique du Centre en Suisse, la Ligue du Nord en Italie ou encore, entre autres exemples, le FPÖ en Autriche, fragilisent dès le départ toute tentative de définition et toute approche comparative. « L’extrême droite en Europe » est un titre court plein de sens, mais pour être complet, il aurait sans doute fallu l’intituler « L’extrême droite, les droites radicales, le populisme de droite et les partis xénophobes ou anti-immigration en Europe ».
La notion d’extrême droite a une histoire dans la littérature, et plusieurs contributions dans cet ouvrage vont nous aider à resserrer sa signification autour de quelques éléments forts, quitte à constater que le populisme n’est pas systématiquement, tant s’en faut, synonyme d’extrême droite! Le populisme n’est pas une idéologie, il se greffe sur des idéologies, et il peut épouser l’idéologie d’extrême droite. Quitte aussi à entrevoir qu’il ne suffit pas de s’opposer virulemment à l’immigration ou aux réfugiés pour rejoindre cette famille idéologique comme en témoignent les différences majeures entre des partis anti-immigration dans les pays scandinaves et, par exemple, l’extrême droite hongroise. La notion a une histoire, de nombreux partis ont été nommés par le passé de cette manière en Europe, et il est possible d’identifier un noyau doctrinal cohérent avec une vision du monde spécifique, un monde qui implique un rapport très particulier à la notion d’égalité et à l’idée de frontière, et, bien entendu, des hommes et des femmes, des discours, des lois et des actes qui prolongent ce qui précède, chacun à leur manière, dans la vie quotidienne.
La littérature scientifique et la recherche doivent aussi s’appuyer sur plusieurs niveaux d’analyse pour saisir correctement et décrire ces phénomènes dans leur ensemble. Ainsi, la question de savoir si c’est le discours, le programme, l’organisation, les individus ou les actes (dans l’opposition ou au pouvoir), une partie ou tous ces éléments à la fois qui font l’extrême droite est déterminante. À titre d’exemple, en France aujourd’hui, c’est moins le travail concret des élus du Front National que le discours d’une partie d’entre eux, et le souvenir du fondateur(1), qui maintiennent le label « extrême droite » puissant. En Hongrie et en Grèce, c’est l’organisation paramilitaire d’une partie de l’extrême droite et l’usage de signes et de symboles à la gloire des partis fascistes de l’entre-deux-guerres qui suscitent l’inquiétude. Aux Pays-Bas, c’est essentiellement le discours de Geert Wilders sur les musulmans qui lui vaut, selon certains analystes, le label « extrême droite ».
Les sanctions votées contre l’Autriche en 2000 après l’arrivée de Jörg Haider (FPÖ) au pouvoir dans un gouvernement national, et la levée de ces dernières quelques mois plus tard, témoignent également de cet embarras lié aux paroles et aux actes. À l’époque, le rapport des « sages » commandé par l’Union européenne pour vérifier le respect de certains principes a eu beaucoup de mal à démontrer que la population étrangère et les minorités étaient mal traitées sous le gouvernement de coalition regroupant le parti conservateur du Chancelier Wolfgang Schüssel et le FPÖ de Jörg Haider. Plus exactement, et cet aspect est déterminant, le rapport affirmait dans ses conclusions que « dans certains domaines, et notamment concernant les droits des minorités nationales, les normes autrichiennes (pouvaient) être considérées comme étant d’un niveau supérieur à celles appliquées dans plusieurs autres pays de l’Union européenne »(2). Les auteurs du rapport sur le FPÖ et son exercice du pouvoir ne sont jamais parvenus à mettre en évidence une quelconque différence entre le traitement des minorités en Autriche et ailleurs, même si quelques années plus tôt, dans un autre domaine, Jörg Haider affirmait à des anciens Waffen SS qu’ils « ont droit aux honneurs et au respect auxquels a droit toute armée » et que le terrible camp de Mauthausen n’était « qu’un simple camp punitif »(3).
L’extrême droite est consciente que juger un parti implique de juger un programme, mais surtout des actes politiques, et en période de crise avec l’afflux de réfugiés, elle n’hésite pas à rappeler qu’à ce jour, les barbelés aux frontières, les expulsions et les centres fermés, ce sont les gouvernements qui les organisent et les financent…
Au-delà de la littérature, la notion d’extrême droite a également une histoire en politique, elle est foncièrement péjorative, elle s’apparente à une injure, et rares sont ceux qui s’affirment ouvertement d’extrême droite. Ce qui précède n’est pas anodin, l’appellation a une influence déterminante sur la vie politique, elle joue sur la constitution des coalitions – faut-il faire une alliance avec l’extrême droite ? –, elle influence la possibilité de déposer une liste électorale, elle a un impact sur l’opportunité de se porter candidat, etc. En d’autres termes, le travail savant sur ce qui relève de l’extrême droite participe – dans le domaine politique – à l’exclusion directe ou passive de certains élus ou de certaines listes jugées trop proches de l’extrême droite. En France, la littérature sur le Front National et son marquage à l’extrême droite pèse énormément sur les rapports de la classe politique au FN, notamment au niveau de la formation des coalitions et des consignes de vote lors de ballottages où le FN est en mesure de l’emporter sans report de voix de « partis traditionnels » à « partis traditionnels ».
Avec le temps, la charge foncièrement négative que comporte la notion d’extrême droite a poussé le monde académique et certains acteurs politiques à davantage de prudence. Les premiers ont compris qu’il était inexact et parfois injuste d’enfermer tous les discours contre l’immigration, contre les réfugiés, contre l’Europe ou contre l’islam dans la catégorie « extrême droite ». Ce qui explique le succès des concepts de « droite radicale » ou de « partis xénophobes ». Les seconds – les acteurs qui font l’objet d’une suspicion – ont bien compris que leur survie politique et électorale dépendait de leur capacité à s’écarter des modèles historiquement marqués à l’extrême droite. Si la mutation du FN français entreprise par la fille de son fondateur Marine Le Pen est connue, et à bien des égards troublante, on connaît moins les efforts entrepris par d’autres formations politiques. Ainsi, le British National Party en Grande-Bretagne, depuis déjà quelques années, et Jobbik en Hongrie, plus récemment, ont tous les deux décidé de mettre un terme au discours antisémite de leurs représentants avec plus ou moins de succès.
Dans ce livre, au-delà de l’étude de l’extrême droite en Europe, et en prenant conscience de la dimension politique péjorative du concept, on va donc également s’intéresser aux multiples individus, groupes, partis et médias qui entretiennent un discours raciste, s’opposent à l’immigration, critiquent violemment la religion musulmane ou s’en prennent à des minorités ethniques sans être pour autant des partis clairement identifiés à l’extrême droite. Ces derniers naviguent dans une zone grise qui semble parfois compatible avec le jeu démocratique même si les idées, les hommes et les femmes, les angoisses, les peurs, les projets et les alliances qu’elle regroupe rappellent les partis d’extrême droite. Une zone grise qui rassemble aussi des mouvements, des blogs, des réseaux sociaux qui rejettent toute initiative politique et électorale au profit d’une bataille pour les idées à l’instar, notamment, de Gates of Vienna et la vaste blogosphère islamophobe qui a inspiré, notamment, Anders Breivik. Une zone grise où l’on trouve des partis politiques habiles, capables de redéfinir la lutte contre l’immigration dans le cadre d’un discours à prétention laïque, républicaine, démocratique, hostile aux religions. Une zone où parfois la défense de l’État d’Israël (« rempart contre l’islam triomphant ») se substitue à la haine du juif (la marque historique de l’extrême droite), où la défense de l’homosexuel passe par la haine du musulman « machiste, sexiste et homophobe ». Un espace où les catégories pour séparer les partis traditionnels de l’extrême droite ne fonctionnement plus aussi bien qu’avant.
L’ouvrage s’intéresse à l’extrême droite en Europe, et à tout ce qui se trouve dans la zone grise. À la fois pour offrir au lecteur une étude exhaustive, un baromètre, un état des lieux, mais aussi pour susciter la réflexion sur l’attitude qu’il faut avoir vis-à-vis d’une multitude d’acteurs qui, pour une partie seulement, s’affiche ouvertement contre les valeurs démocratiques, le pluralisme, l’égalité entre les individus, l’État de droit, etc. Et enfin pour susciter la réflexion sur l’évolution du langage, des mots utilisés et des discours.
Historiquement, contrairement à d’autres recherches scientifiques sur les formations politiques, l’étude des partis d’extrême droite se singularise par un questionnement tacite sur la menace que l’extrême droite ferait peser sur les régimes dits démocratiques et les partis dits traditionnels. Cela ne veut pas dire que la littérature savante sur l’extrême droite s’autorise une sorte d’engagement politique ou moral, mais il est rare qu’un auteur ne prenne pas la peine de rappeler le rapport très particulier que l’extrême droite entretient avec la démocratie, et l’intérêt qui en découle de mieux comprendre ce que cette dernière signifie dans des contextes nationaux particuliers. En allant bien au-delà de l’extrême droite, ce livre n’indique pas que la menace est partout, il indique qu’elle est devenue diffuse.
Il en va ainsi parce que dans plusieurs pays d’Europe, les frontières entre les partis extrémistes et les partis traditionnels s’amenuisent, les marqueurs sont plus mitigés, les désaccords sont plus modérés. Des mouvements xénophobes sans base électorale, mais très présent sur Internet pèsent sur le débat public au moment où les partis traditionnels, tétanisés par l’érosion électorale, s’emparent de la menace du migrant, du réfugié, de l’islamiste, du musulman, au risque de jeter le trouble sur ce qui les sépare de l’extrême droite. Depuis une petite quinzaine d’années, les programmes sécuritaires et xénophobes ne sont plus le privilège exclusif de l’extrême droite qui a perdu l’essentiel de son monopole sur toutes les questions liées directement ou indirectement à l’insécurité, au chômage et à l’immigration. La rhétorique sur l’Europe « en état de siège » ou l’Europe « passoire », la menace de l’immigration « incontrôlée », la figure ambiguë du réfugié (mi-victime, mi-profiteur), la thématique du clandestin et la rhétorique sécuritaire dans les quartiers difficiles caractérisent le discours de nombreux partis traditionnels, avec en toile de fond la question de l’islam depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Pendant que l’extrême droite adapte son discours et soigne son vocabulaire pour échapper aux condamnations parfois très lourdes que permet la législation contre le racisme et le négationnisme, pendant qu’elle limite les dérapages verbaux et garde les excès pour les réunions privées où les échanges sur Facebook, pendant qu’elle exclut de ses rangs les éléments les plus radicaux – quitte à les récupérer dans son service d’ordre –, les grands partis traditionnels singent son programme, et promettent de le réaliser dans un cadre « démocratique et républicain ». L’insécurité, le chômage et l’immigration ne sont plus des thèmes de campagne caractéristiques de l’extrême droite, même si le lien, et ce point est également déterminant, même si le lien entre ces trois composantes en termes de causalité n’est en général affirmé que chez les extrémistes.
La zone grise ne veut pas dire que l’extrême droite a disparu et que les partis traditionnels ont tous fondamentalement trahi leurs idéaux démocratiques. Bien au contraire, elle indique seulement la grande difficulté aujourd’hui pour se positionner devant des partis de plus en plus nombreux à critiquer violemment l’immigration, la religion islamique, l’Union européenne et la mondialisation, celles-ci étant jugées responsables de celles-là.
** *
L’ouvrage se compose de 5 parties, qui reprennent une trentaine de contributions et d’auteurs.
La première partie offre des outils pour mettre un contenu stable derrière les notions de droite radicale, d’extrême droite et de populisme. Ces contenus ne sont pas dogmatiques et la grande richesse des terrains étudiés montre leur utilité, mais aussi leur limite lorsqu’on embrasse un continent sur une question aussi complexe.
La deuxième partie propose un tour d’Europe, pays par pays, pour saisir la grande diversité des manifestations de l’extrême droite, quitte, comme indiqué plus haut, à étudier des phénomènes qui relèvent plus de la zone grise que de l’extrême droite, soit au niveau du discours, soit au niveau des actes, soit au niveau organisationnel (partis, mouvements, association, médias, blogs, etc.).
La troisième partie porte sur les acteurs et la scène internationale. D’abord sur le plan structurel, notamment au niveau du Parlement européen d’une part, et des relations qu’entretiennent, entre eux, de nombreux acteurs en Europe et aux États-Unis d’autre part. Ensuite sur le plan des représentations que véhicule l’Europe à l’extrême droite. Enfin, au niveau de l’islam, qui incarne une nouvelle menace structurante (« l’affaiblissement du monde chrétien ») et qui se substitue à une menace plus ancienne : le déclin et la disparition de la « race blanche ».
Dans la continuité, la quatrième partie s’intéresse au rôle central joué par les nouveaux médias dans la structuration idéologique de mouvements transnationaux, c’est-à-dire des groupes déterminés à peser sur les représentations collectives sans systématiquement chercher à jouer un rôle politique direct à travers les élections. Les blogs, les réseaux sociaux et des outils technologiques de pointe permettent de faire connaître dans l’espace public des idées jadis condamnées à l’intimité de revues rarement accessibles en dehors de quelques librairies spécialisées.
Enfin dans la cinquième partie, l’ouvrage ouvre son horizon à une recherche transversale qui a un lien fort, mais indirect, avec l’extrême droite, en l’occurrence l’étude de la théorie du complot judéo-maçonnique. Il propose également trois recherches thématiques totalement inédites issues de thèses de doctorat en cours.
(1) Jean-Marie Le Pen s’est progressivement retiré du parti, mais son ombre et ses propos restent dans toutes les mémoires.
(2)Rapport des « sages », adopté par Martti Ahtisaari, Jochen Frowein et Marcelino Oreja le 8 septembre 2000 à Paris, p. 32.
(3) Extraits de propos de J. Haider repris dans Tolérance. Des mots pour le dire, Bruxelles, Présence et action culturelles, 2004, p. 7.
Par
Jean-Yves Camus
Chercheur associé
Institut de relations internationales et stratégies
Si l’on date l’émergence des populismes d’extrême droite au début des années 1980, plus de trente ans ont passé sans qu’apparaisse plus clairement, dans l’abondante littérature scientifique, de définition à la fois précise et opérationnelle de cette catégorie politique. Ce qui est communément nommé « extrême droite » ou « populisme », constitue une catégorie fourre-tout et c’est dans cette confusion qu’il faut tenter d’y voir plus clair. Cet essai de clarification passe d’abord par une tentative de définition.
En Europe depuis 1945 ce terme désigne des phénomènes très différents : populismes xénophobes et « anti-système », partis politiques nationaux-populistes, parfois fondamentalismes religieux (le fameux « fascisme vert »). La consistance du concept est sujette à caution dans la mesure où, d’un point de vue plus militant qu’objectif, les mouvements affublés de cette étiquette sont interprétés comme une continuation, parfois adaptée aux nécessités de l’époque, des idéologies nationale-socialiste ; fasciste et nationaliste-autoritaire dans leurs diverses déclinaisons nationales. Or, la réalité est bien plus complexe. Certes, le néo-nazisme allemand (et le NPD dans une certaine mesure), le néo- fascisme italien (réduit à CasaPound ; Fiamma tricolore et Forza Nuova : 0,53 % des voix au total) les avatars tardifs des mouvements des années 30 en Europe centrale et orientale (Ligue des familles polonaises ; Parti national slovaque ; Romania Mare) s’inscrivent bien dans la continuité idéologique de leurs modèles. Toutefois sur le plan électoral, seul le défunt Mouvement social italien, dont l’histoire s’interrompt en 1995 avec le tournant conservateur impulsé par Gianfranco Fini, a réussi, en Europe occidentale, à sortir cette famille politique de la marginalité et aujourd’hui à l’est, elle marque le pas. Même si les succès d’Aube dorée et de Jobbik prouvent qu’elle n’est pas définitivement enterrée, en 2014 elle est très minoritaire. Cette extrême droite traditionnelle repose sur des valeurs inadaptées à la post-modernité, en particulier à notre époque où les grandes idéologies prônant l’avènement d’un homme et d’un monde nouveaux sont mortes. Le culte du chef et du parti unique répond mal aux attentes des sociétés éclatées, hyper-individualistes et dans lesquelles l’opinion se forge par la fréquentation des réseaux sociaux et les débats télévisés. Toutefois, le legs idéologique de cette extrême droite « à l’ancienne » est fondamental. Il tient d’abord dans sa conception ethniciste du peuple et de l’identité nationale dont découle la double détestation de l’ennemi extérieur, sous la forme de l’individu ou de l’État étrangers et de l’ennemi intérieur, comprenant les minorités ethniques ou religieuses et l’ensemble de leurs adversaires politiques. Il est aussi dans le modèle de société organiciste, souvent corporatiste, basée sur un anti-libéralisme économique et politique niant le primat des libertés individuelles et l’existence des antagonismes sociaux, si ce n’est celui entre « le peuple » et « les élites ».
Dans les années 1980-1990 vient le grand succès électoral d’une autre famille que les médias comme nombre de commentateurs ont continué à nommer « extrême droite », alors qu’intuitivement, chacun sentait que la comparaison avec les fascismes des années 1930 n’était plus pertinente. Pour nommer les populismes xénophobes scandinaves, le Front National français, le Vlaams Blok flamand, le FPÖ autrichien, la grande querelle terminologique commençait, qui n’est pas encore close. National-populisme (terme forgé par Pierre-André Taguieff(1)), droites radicales, extrême droite : la description des controverses sémantiques qui animent les politistes prendrait tout un livre. Suggérons donc simplement que les partis mentionnés précédemment ont muté de l’extrême droite vers la catégorie des droites populistes et radicales. Quelle est la différence ?
Elle tient à ce que, formellement et le plus souvent sincèrement, ces partis acceptent la démocratie parlementaire et l’accession au pouvoir par la seule voie des urnes. Si leur projet institutionnel reste flou, il est clair qu’il valorise la démocratie directe, par le moyen du référendum d’initiative populaire, au détriment de la démocratie représentative. Le slogan du « coup de balai » destiné à chasser du pouvoir des élites jugées corrompues et coupées du peuple leur est commun et vise tout à la fois la social-démocratie, les libéraux et la droite conservatrice. Le peuple est pour eux une entité transhistorique englobant les morts, les vivants et les générations à venir, reliés par un fonds culturel invariant et homogène, ce qui induit la distinction entre les nationaux « de souche » et les immigrés, en particulier extra-européens, ces derniers devant voir limités leurs droits de résidence ainsi que leurs droits économiques et sociaux. Les droites radicales sont pour l’économie de marché dans la mesure où celle-ci permet à l’individu d’exercer son esprit d’entreprise, mais le capitalisme qu’elles promeuvent est exclusivement national, d’où leur hostilité à la mondialisation. Ce sont en somme des partis nationaux-libéraux, qui admettent l’intervention de l’État non plus seulement dans les champs de compétence régalienne, mais aussi dans celui de la protection des laissés pour compte de l’économie globalisée et financiarisée : tel est le discours de Marine Le Pen.
En quoi les droites radicales se distinguent-elles finalement des droites extrêmes ? Avant tout par leur moindre degré d’antagonisme envers la démocratie. Uwe Backes(2) montre que la norme juridique en vigueur en Allemagne admet comme légitime et légale la critique radicale de l’ordre économique et social existant, tandis qu’elle définit comme un danger pour l’État l’extrémisme, qui est un refus total des valeurs contenues dans la Loi fondamentale. Sur la base de cette classification, il semble pertinent de nommer « droites extrêmes » les mouvements qui récusent totalement la démocratie parlementaire et l’idéologie des droits de l’homme et de qualifier de « droites radicales » ceux qui s’en accommodent. Les deux familles ont en outre une place différente dans le système politique. Non seulement l’extrême droite est dans la situation de ce que Piero Ignazi appelle le « tiers exclu »(3), mais encore, elle se fait gloire et tire ressources de cette position. Les droites radicales elles, acceptent de participer au pouvoir soit comme partenaires d’une coalition gouvernementale (Lega nord-italienne ; UDC suisse ; Parti du Progrès norvégien) soit comme force d’appoint au Parlement d’un cabinet dans lequel elles ne siègent pas (PVV de Geert Wilders ; Parti du Peuple danois). Leur pérennité est-elle assurée ? Ce type de parti vit constamment sur le fil entre une marginalité qui, si elle devient durable, conduit à un « plafond de verre » électoral et une normalisation qui, si elle s’avère trop évidente, peut conduire au déclin. L’exemple grec est à cet égard un cas d’école. Jusqu’en 2009 inclus et après presque 30 ans d’existence groupusculaire, le mouvement néo-nazi grec Aube dorée remporte près de 7 % des voix lors des deux élections législatives tenues en 2012. Faut-il en déduire que le racisme esotérico-nazi de Chrissi Avghi a subitement gagné 426 000 électeurs ? Nullement. Ceux-ci ont d’abord préféré l’extrême droite traditionnelle incarnée par l’Alarme populaire orthodoxe (LAOS), entré au Parlement en 2007. Mais entre les deux scrutins législatifs de 2012 se déroule un événement-clé : la participation de LAOS au gouvernement d’union nationale dirigé par Lucas Papademos dont la feuille de route consiste à faire approuver par le Parlement un nouveau plan de sauvetage financier, accordé par l’Eurogroupe au prix de mesures drastiques d’austérité. Devenu une droite radicale, ce qui est somme toute logique compte tenu de l’appartenance antérieure de son dirigeant Georgios Karatzaferis à la Nouvelle démocratie, LAOS a perdu son attrait au profit d’une Aube dorée sans concession. À l’inverse, dans la plupart des pays européens, les droites radicales ont soit totalement supplanté leurs rivales extrémistes (Suède, Norvège, Suisse et Pays-Bas), voire ont réussi à émerger dans des pays où celles-ci avaient échoué (les Vrais finnois). Dernier cas de figure, qui devient fréquent : celui où la droite radicale est soumise à la concurrence électorale de formations souverainistes dont le cœur de programme est la volonté de sortir de l’Union européenne, mais qui exploitent aussi les thématiques de l’identité, de l’immigration et du déclin culturel sans avoir le stigmate des origines extrémistes et en évacuant la dimension raciste. On mentionnera Alternative für Deutschland,l’UKIP britannique, la liste Stronach en Autriche, et Debout la République, dirigé par Nicolas Dupont-Aignan.
Ce n’est pas le moindre défaut du terme populisme que d’être utilisé à tort et à travers, en particulier pour discréditer toute critique du consensus idéologique libéral, toute remise en question de la bipolarisation en cours du débat politique européen entre conservateurs-libéraux et sociaux-démocrates, toute expression dans les urnes du sentiment populaire de défiance envers les dysfonctionnements de la démocratie représentative. Ainsi, Paul Taggart, malgré les qualités et la relative précision de sa définition des populismes de droite, ne peut s’empêcher d’établir une symétrie entre la gauche alternative et ces derniers, évacuant ainsi la différence fondamentale que constitue l’ethnicisme explicite ou latent des droites extrêmes et radicales(4). Chez lui comme chez bien d’autres auteurs le populisme de la droite radicale ne se définit pas par sa singularité idéologique, mais par sa position de dissensus au sein d’un système politique où seuls seraient légitimes les paris du mainstream. De la même manière, l’idée défendue par Giovanni Sartori, selon laquelle le jeu politique s’ordonnerait autour de la distinction entre partis du consensus et partis protestataires, les premiers étant ceux qui ont la capacité potentielle d’exercer le pouvoir et ceux qui sont acceptables comme partenaires possibles de coalition par les autres partis de gouvernement, pose le problème d’une démocratie de cooptation, d’un système fermé. Si la source de toute légitimité tient dans le peuple et qu’une partie conséquente de celui-ci (entre 15 % et 25 % dans de nombreux pays), vote pour une droite radicale « populiste » et « anti-système », au nom de quel principe faut-il la protéger contre elle-même en maintenant un ostracisme qui tient ces formations à l’écart du pouvoir, sans d’ailleurs, sur la longue durée, réussir à les réduire ? Ce point de philosophie politique est d’autant plus important qu’il concerne aussi l’attitude des faiseurs d’opinions à l’égard des gauches alternatives et radicales, délégitimées parce qu’elles veulent transformer et non aménager la société. Ce qui leur vaut souvent, selon la vieille fausse idée des « extrêmes qui se rejoignent », d’être désignées comme des doubles inversés des radicalités de droite. Le politiste Meindert Fennema construit ainsi une vaste catégorie des « partis protestataires », définis comme s’opposant à l’ensemble du système politique, blâmant celui-ci pour tous les maux de la société et n’offrant, selon lui, aucune réponse précise aux problèmes qu’ils soulèvent. Mais qu’est-ce qu’une « réponse précise » aux problèmes que la social-démocratie et la droite libérale-conservatrice n’ont pas réussi à résoudre ?
Le problème de l’Europe est-il la montée des droites extrêmes et radicales ou le changement de paradigme idéologique des droites ? Un des phénomènes majeurs des années 2010 est que la droite mainstream a de moins en moins de réticences à accepter les droites radicales comme partenaires de gouvernement (ce qu’ont été la Lega Nord, l’UDC suisse, le FPÖ, la Ligue des familles, Romania Mare et le SNS slovaque et ce qu’est désormais le Parti du Progrès norvégien). Il ne s’agit pas que de tactique et d’arithmétique électorale, la porosité croissante des électorats du FN et des Républicains (anciennement UMP) le démontre au point que le modèle des trois droites (contre-révolutionnaire, libérale et plébiscitaire) élaboré naguère par René Rémond(5), même si on y ajoute une quatrième(6) incarnée par le Front National, ne rend plus compte de la réalité française. Sans doute va-t-on vers une concurrence entre deux droites. L’une nationale-républicaine, synthèse souverainiste et moralement conservatrice de la tradition plébiscitaire et d’une droite radicale frontiste. Ce serait le retour de la famille « nationale ». L’autre fédéraliste européenne, libre-échangiste et libérale au plan sociétal. Avec bien sûr des variantes locales, le leadership de la grande famille des droites se joue partout en Europe autour des mêmes clivages : État-nation contre gouvernement européen ; « une terre, un peuple » contre société multiculturelle ; « soumission totale de la vie à la logique du profit »(7) ou primat de la communauté. Avant de penser la manière de battre les droites radicales dans les urnes, les partis traditionnels en Europe devront admettre les mutations de leurs adversaires. On en est encore loin.
Backes, U., Political Extremes. A conceptual history from antiquity to the present, Oxford, Routledge, 2010.
Ignazi, P., Il polo escluso. Profilo del Movimento Sociale Italiano,Bologne, Il Mulino, 1989.
Taggart, P. A., The New Populism and the New Politics, New York, St. Matin’s Press, 1996.
Rémond, R., La Droite en France de 1815 à nos jours. Continuité et diversité d’une tradition politique,Paris, Aubier, 1954.
Rémond, R., Les Droites aujourd’hui, Paris, Audibert, 2005.
De Herte, R., « Éditorial », Éléments, n° 150, janvier-mars 2014.
Taguieff, P.-A., L’illusion populiste, Paris, Berg International, 2002.
(1) P.-A. Taguieff, L’illusion populiste, Paris, Berg International, 2002.
(2) U. Backes, Political Extremes. A conceptual history from antiquity to the present, Oxford, Routledge, 2010.
(3) P. Ignazi,Il polo escluso. Profilo del Movimento Sociale Italiano,Bologne, Il Mulino, 1989.
(4) P.A. Taggart, The New Populism and the New Politics, New York, St. Martin’s Press, 1996.
(5) R. Rémond, La Droite en France de 1815 à nos jours. Continuité et diversité d’une tradition politique,Paris, Aubier, 1954.
(6) Ajout pris en compte par R. Rémond, in Les Droites aujourd’hui, Paris, Audibert, 2005.
(7) R. De Herte, « Éditorial », Éléments, n° 150, janvier-mars 2014.
Par
Jérôme Jamin
Professeur
Université de Liège
Si d’aucuns considèrent que le terme « populisme » est un concept flou qui sert à décrire des acteurs politiques « qu’il est impossible de classer dans une seule catégorie »(1), le concept n’est certainement pas vide de sens, il a même une longue histoire, et pour bien le comprendre, l’ouvrage de Margaret Canovan Populism, publié en 1981(2), reste une référence. Ce dernier fait partie des premiers livres sur le sujet(3), mais surtout, et nous ne ferons pas l’exception, la plupart des travaux sur le populisme s’inspirent ou font référence à ce dernier sans jamais remettre en question sa thèse principale.Canovan met en évidence les concepts de « peuple » et d’« élite », et articule son analyse à partir de l’opposition structurante entre ces derniers.
Dans la rhétorique populiste, explique-t-elle, le concept de « peuple » renvoie à l’idée de majorité et par inférence à l’idée de légitimité : le peuple représente un groupe majoritaire par rapport à d’autres composantes de la population ; son opinion est légitime et il faut l’écouter et en tenir compte ; la légitimité sous-entend également l’idée de « vérité » voire de « vertu »(4). Cette idée fait l’unanimité et il n’est pas rare de la retrouver aujourd’hui, plus de trente ans après, par exemple chez Ben Stanley lorsqu’il explique que l’idée de majorité renforce l’authenticité de la volonté du peuple(5), et par extension l’authenticité du peuple lui-même. La rhétorique populiste obéit au schéma suivant explique Jean Leca : « si le peuple est bon alors que ses ‘représentants’ sont mauvais, il s’ensuit que : 1) la volonté du peuple […] identifiée au bon sens, la justice et la moralité, prévaut sur toute norme institutionnelle construite par les hommes (c’est-à-dire les élites) ; 2) les gouvernants ne sont bons que dans la mesure où ils sont directement liés au peuple, par-dessus les élites intermédiaires, intellectuels, experts, technocrates et autres “têtes d’œuf” »(6).
Face à ce peuple (et contre lui), Canovan évoque les « élites minoritaires et corrompues », ce sont les bureaucrates, les banquiers, les spéculateurs et les politiciens professionnels. Les élites sont de connivence avec un « autre réputé dangereux »(7), elles sont soupçonnées de ne pas agir au nom et dans l’intérêt du peuple, mais plutôt au profit de leurs intérêts immédiats et privés. La tension entre le peuple légitime qui travaille dur et les élites illégitimes qui profitent du système constitue le cœur du populisme bien avant d’autres caractéristiques. Cette idée a été maintes fois défendue au-delà des différences de cas et de terrain.
Ce qui précède ne veut donc pas dire que le populisme rejette la démocratie ou qu’il en est son contraire, ou sa négation. Au contraire, indique Canovan, le populisme est une demande radicale pour plus de démocratie, même si au cas par cas, on pourra douter en partie ou totalement de la sincérité de ceux qui se drapent d’un objectif aussi vertueux. Le populisme apparaît souvent comme le grand défenseur de « l’autogouvernement le plus fort possible »(8), comme en témoignent les nombreuses formules de réappropriation du pouvoir proposées par des mouvements populistes tels que le référendum d’initiative populaire (notamment en Suisse) ou le recall (dans de nombreux États aux États-Unis) qui permet de démettre un élu, comme c’est le cas par exemple en Californie. Le populisme peut donc être aussi une dénonciation de la démocratie dans sa dimension « représentative » au sens où les élites auraient profité de la délégation du pouvoir pour confisquer ce dernier. Et il est parfois une demande de pratiques démocratiques plus participatives et plus délibératives(9), « plus directe »(10). Le « populisme se présente à la fois comme une critique de la démocratie, comme un rejet de la démocratie (sous sa forme représentative) et comme une exigence de démocratie »(11).
Toujours dans la lignée des travaux de Canovan, Marc-Vincent Howlett indique que le « populisme joue sur une division unique qui ne souffre aucune exception, en annihilant le jeu des multiples contradictions qui agitent le corps social ». C’est ainsi, ajoute-t-il, que le populisme « entend soumettre l’analyse (ou plutôt son défaut d’analyse) à la seule figure de la dyade, par exemple le peuple contre l’État, le riche contre le pauvre, le travailleur contre l’assisté, le privé contre le public, l’immigré contre le travailleur national, le Bien contre le Mal, la Civilisation contre la Barbarie […] »(12). Si le populisme est une rhétorique qui oppose un peuple à une élite dans le cadre d’une société vue par les populistes comme divisée, dichotomique, traversée par des antagonismes(13), peut-on dès lors parler d’une idéologie politique reposant sur un ensemble de principes et de valeurs ? Où est-il au contraire une manière de faire de la politique, un style, une tactique ou une stratégie politique destinée à amadouer les foules ? La question est complexe, car le populisme semble à la fois se greffer sur des idéologies très différentes et en même temps, sa dimension antiélitiste ou antisystème semble indiquer que ce type de discours veut précisément aller plus loin, ou au-delà des clivages politiques traditionnels. Le populisme n’est pas une idéologie, car il n’a pas de théoricien, pas de héros, pas de doctrine, même s’il a une histoire(14). En revanche, il épouse assez facilement les idéologies en déclinant au cas par cas la nature de son peuple (les travailleurs, les pauvres, les blancs, etc.) et de son élite (les élus, les syndicats, les banquiers, etc.). Ben Stanley parle d’idéologie « fine », ou « mince » (thin ideology) en opposition aux idéologies complètes(15) (full ideologies). Une idéologie fine est incapable de fournir un programme politique dense et cohérent pour répondre à de multiples enjeux politiques cruciaux. Ce qui précède explique pourquoi à bien des égards, « le populisme n’est ni nécessairement négatif ni nécessairement positif »(16), et qu’il peut prendre des formes multiples et variées, réactionnaires ou progressistes, contre le système, ou contre une partie ou un acteur au sein du système, etc.
Par le biais d’un usage intensif du concept « flou » de peuple(17), le populisme substitue une opposition peuple/élite à une opposition gauche/droite sans supprimer complètement cette dernière, en tout cas au niveau du sens(18). En effet, à l’analyse, ceux qui sont visés par le concept de peuple affichent des différences parfois fortes, révélant le soutien par un parti d’une classe sociale ou d’une catégorie spécifique de la population, ce qui peut faire resurgir la pertinence du clivage gauche/droite même si officiellement le parti concerné rejette ce dernier ou prétend allez au-delà(19). Des différences idéologiques peuvent donc apparaître (peuple travailleur, peuple exploité, peuple de souche, peuple blanc, etc.). Face à cette diversité, Guy Hermet(20) propose de faire la part des choses entre les « peuples du populisme », le « populisme des anciens » et celui « des modernes », les « populismes fondateurs » (les narodniki russes, le boulangisme, le People’s Party des petits fermiers américains), les populismes d’Amérique latine (Vargas et Perón), les populismes d’Europe centrale et de Russie, les populismes de la décolonisation et le populisme européen avec notamment le Front National de Jean-Marie Le Pen et le Parti de la liberté de Jörg Haider, une diversité de situations où à chaque fois le peuple, l’élite et ce qui alimente leur opposition prennent une figure particulière. Hermet précise qu’à la différence « des autres familles politiques, du traditionalisme monarchiste au marxisme en passant par le libéralisme, le socialisme, le fascisme ou l’anarchisme, le populisme ne compte ni théoriciens d’envergure ni doctrines élaborées »(21). Nombreux sont les auteurs qui s’accordent à décrire avant tout un style politique, une rhétorique spécifique, une stratégie mobilisatrice qui exploitent le ressentiment(22), un discours démagogique(23), une impulsion, un moyen de persuasion(24) destinés à amadouer le plus grand nombre d’électeurs possible.
Les leaders, les partis, les discours et les programmes politiques dits populistes appuient tous leur argumentation sur une certaine représentation du peuple, et une certaine idée de son rôle en tant qu’acteur, en tant que « moteur » de l’histoire. Les contenus derrière le concept de peuple peuvent varier d’un discours à l’autre, mais à chaque fois on retrouve l’idée de majorité, l’idée d’homogénéité et l’idée du travail dur, c’est-à-dire la représentation d’un peuple laborieux qui effectue un travail physique difficile.
Les gens qui sont évoqués dans les discours populistes sont souvent des gens présentés comme exclus du système soit sur le plan de la réussite économique, soit au niveau de la capacité à posséder voire à s’enrichir, soit au plan politique, c’est-à-dire au niveau de la participation au pouvoir et à la prise de décision. Ces gens sont en dehors des lieux de décision, mais ils n’en sont pas moins les représentants du plus grand nombre. Dans la littérature, on dit qu’ils incarnent la majorité de ces « hommes de la rue », de ces « hommes ordinaires »(25), de ces « Monsieur Tout-le-monde »(26). Le peuple du populisme est donc systématiquement présenté comme majoritaire, il se confond avec l’idée du plus grand nombre, de la masse, il est le « monde des petits »(27) qui, ensemble, forme la grande majorité de la population. Le « peuple » du populisme, c’est la masse des gens qui incarne la souveraineté démocratique, la souveraineté populaire(28).
Évoquant le People’s party à la fin du XIXe siècle aux États-Unis, Hermet insiste sur le fait que celui-ci « naît d’une véritable protestation populaire exprimée par ceux qui constitueront sa base humaine : les petits exploitants agricoles de l’Ouest […] et à un moindre degré les mineurs, les prohibitionnistes, les socialistes chrétiens, les femmes des milieux modestes et quelques autres encore, toujours issus de couches plébéiennes »(29). Et Hermet d’évoquer un « populisme plébéien » rassemblant l’ensemble des catégories de la population, l’ensemble des petits, la grande « majorité » exploitée par une « minorité ».
Forgé sur l’idée de majorité et du plus grand nombre, le concept de « peuple » possède du même coup deux significations importantes, mais contradictoires. Avec sa dimension de masse et donc de diversité et de multiplicité, le « peuple » peut signifier énormément de segments de la population (classes sociales, travailleurs, retraités, jeunes et vieux, etc.), et à ce titre, ce concept est fondamentalement flou, mais d’autre part, étant donné son usage « unificateur », « rassembleur » et « simplificateur » dans la rhétorique populiste, il doit, pour être efficace, renvoyer également à un groupe social radicalement homogène(30) afin que les personnes concernées ou visées par le discours se reconnaissent. Les traits d’homogénéité peuvent donc varier fortement d’un parti populiste à un autre, ces derniers pouvant utiliser « plusieurs peuples » aux significations multiples et différentes, et faire un usage variable de ce terme selon les circonstances, les publics, les auditoires, et les opportunités politiques(31). Par exemple, il n’est pas rare qu’un leader populiste défende plusieurs catégories de travailleurs, mais pas en même temps ni au même endroit, afin d’éviter de donner l’impression de rassembler des gens aux aspirations trop différentes. C’est l’idée d’homogénéité du peuple qui est importante et non la réalité effective de cette dernière, c’est l’affirmation qu’un groupe d’individus majoritaire dans la société partage des traits, des objectifs et des aspirations communes qui est importante, que ces derniers soient réels (ou non) importent peu.
En 1981, Canovan établit une différence entre trois « peuples ». Elle distingue le peuple uni (united people), incarné par la nation ou le pays(32), et contre les partis et les intérêts particuliers qui le divisent ; le peuple « identitairement » spécifique, « notre peuple », le peuple ethnique (our people)(33) contre les immigrés et les étrangers ; et troisièmement le peuple ordinaire (ordinary people) qui est normal et « banal » (au sens ordinaire et non péjoratif) face aux élites et aux privilégiés(34). Pierre-André Taguieff distingue, lui, deux grandes catégories de peuple selon que le peuple auquel on fait appel est considéré comme dêmos ou comme ethnos. Dans la première catégorie, à laquelle correspond le « populisme protestataire », l’appel au peuple est orienté vers/contre les élites. Le peuple, « l’ensemble des citoyens ordinaires », s’affirme donc ici dans sa différence vis-à-vis de « ceux d’en haut », et il est facile de positionner un tel discours à gauche, voire à l’extrême gauche, si cette opposition est doublée d’un clivage opposant les riches et les pauvres ou les riches et les classes moyennes. Dans la deuxième catégorie, à laquelle correspond le « populisme identitaire », l’appel au peuple se fixe sur l’idée nationale(35), et il peut aisément être associé à un rejet des étrangers, à un discours raciste ou nationaliste, et à un rejet des élites associées à « l’Anti-France » ou au « Parti de l’étranger ». Hermet distingue également deux peuples : le « peuple-nation », entier et indifférencié, national et patriotique, qui se différencie des étrangers, et le « peuple-plèbe », le peuple des « petites gens », des pauvres et des exclus, le peuple des « petits contre les gros ». Et Hermet d’ajouter que « selon les moments et les publics auxquels ils s’adressent, les populistes tirent leur légitimité de l’un ou de l’autre ». Réussissant même souvent à « se proclamer des deux à la fois »(36).
Dans une contribution consacrée au populisme et au communisme en France, Marc Lazar décrit le populisme de gauche comme une « représentation idéalisée d’un peuple exploité, mais uni, travailleur et collectivement producteur, profondément juste et bon, vertueux et invincible »(37). Dans certaines circonstances, ajoute-t-il, le populisme peut emprunter au registre de la lutte des classes et aux discours progressistes d’émancipation des individus et des peuples face à l’oppression. Dans le même registre, mais plus récemment, dans la Grèce qui suit la crise de 2008, Stavrakakis et Katsambekis décrivent le parti populiste de gauche Syriza dans le cadre d’un discours qui oppose un peuple de « non privilégiés » à une élite. Celle-ci renvoie aux « forces pro-austérité » ou à « l’establishment », ou à la « troïka »(38), et dans tous les cas, elle ne tient pas compte des aspirations populaires à l’instar de ce slogan lors de la campagne électorale de mai 2012 : « Ils ont décidé sans nous, on avancera sans eux »(39).
Évoquant le populisme aux États-Unis, Chip Berlet considère que « les mouvements populistes peuvent être de droite, de gauche ou du centre ». Ils peuvent, explique-t-il, « être égalitaire ou autoritaire, et compter soit sur un réseau décentralisé(40) ou un chef charismatique. Ils peuvent revendiquer de nouvelles relations sociales et politiques ou romancer le passé »(41). Les mouvements populistes « peuvent promouvoir certaines formes d’antiélitisme qui visent soit de véritables structures d’oppression soit des boucs émissaires prétendument membres d’un complot secret. Ils peuvent définir le “peuple” d’une manière qui est inclusive et qui remet en question les hiérarchies traditionnelles, ou d’une manière qui réduit au silence et diabolise certains groupes oppressés »(42). Dans le même ordre d’idée, Stavrakakis et Angelopoulos ajoutent que « l’enjeu n’est pas d’admettre ou de nier l’existence du populisme, mais de prendre en compte la fonction concrète (démocratique ou anti-démocratique) de chaque populisme »(43). Le lien ou l’absence de lien entre le discours populiste et la « réalité » partagée par les autres acteurs (partis, médias, intellectuels, etc.) sont à la fois un vecteur de dynamisme politique (le parti populiste propose de nouvelles idées, de nouvelles interprétations) mais aussi potentiellement un vecteur de démagogie et de simplisme (le parti populiste peut détourner la colère populaire à l’encontre d’un ennemi soit imaginaire, soit sans rapport avec les problèmes dénoncés).
Majoritaire et homogène, le peuple du populisme est aussi laborieux. En effet, les discours populistes font référence, d’une manière ou d’une autre, même indirectement, au travail, et plus particulièrement au dur labeur de la population. Les laissés-pour-compte, les « gens d’en bas », les ouvriers, les working poors, les fermiers et les « hommes de la rue » sont tous, avant tout, des gens qui travaillent dur – ou voudraient travailler dur –, pour gagner leur vie, des gens qui « respectent la réussite honnête par le travail », explique Taguieff dans une description du peuple auquel le discours thatchérien s’adressait dans les années 80(44). Les travailleurs du populisme contribuent à la richesse collective à la sueur de leur front, ils sont attachés à une éthique du producteur de biens et de richesses basée sur le mérite et l’effort individuels(45).