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Depuis l’aube de la vie, la prédation a été un principe fondamental de l’équilibre écologique. Avec des facultés cognitives hors norme, l’homme est devenu le prédateur ultime, capable d’éliminer toute forme d’adversité. Cette suprématie a engendré des conséquences dramatiques, soulignant ainsi l’impératif d’une spiritualité prédominante pour restaurer une harmonie authentique avec la nature et éviter la possible extinction de l’humanité.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Gérard Pacros, auteur de sept ouvrages publiés, s’est impliqué activement dans la préservation des espaces naturels et de la biodiversité en tant que maire au sein de la communauté urbaine de Lyon. Musicien et poète, il a également composé de nombreux chants et poésies et a produit avec succès un spectacle intitulé "Sons et Lumières sur la vie du Christ", présenté dans toute la France.
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Gérard Pacros
L’invisible
Notre raison de vivre
Essai
© Lys Bleu Éditions – Gérard Pacros
ISBN : 979-10-422-2410-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Cet ouvrage n’est ni savant, ni exégétique, ni moraliste.
Son origine tient à un constat que tout terrien normalement constitué peut faire, vivant dans une société qui semble perdre ses repères et une planète souffrant des multiples asservissements imposés par l’homme.
Interrogées à juste titre par les jeunes générations qui ne sont en rien responsables des dégâts mettant en péril leur propre avenir, celles-ci sont en droit de demander des comptes, sinon des explications sur le bien-fondé d’une civilisation qui leur est imposée.
Face à l’impasse matérialiste, et contrairement à ce que certains croient, la jeunesse n’est nullement fermée à la notion de Dieu, qui induit le dépassement de soi et ouvre une brèche dans le mur d’impossibilités édifié par un progrès qui s’est largement trompé de direction.
Resituant les causes à leur endroit et replaçant Dieu comme cet Invisible n’échappant pas aux jeunes, rompus aux arcanes d’une science tout aussi porteuse de mystères que nos vieux catéchismes, le dialogue peut être fécond.
S’agit-il de changer nos vieux logiciels pour de plus neufs et plus adaptés.
Quelques réflexions d’ordre scientifique, notamment, dans le troisième chapitre de cet ouvrage, ne devraient pas décourager le lecteur. Au contraire, l’inciter à découvrir des pages où Dieu et la pensée moderne devraient faire bon ménage. Peut-être même le ménage sur cette planète unique et merveilleuse que seul un hominidé recadré, et mieux inspiré, pourra aider à continuer la route vers des lendemains qui chantent.
Bonne route vers demain !
Qu’est-ce que la foi ?
Ce « je ne sais quoi » – aurait dit Jean de la croix – blotti au tréfonds de l’âme pour épargner celle-ci des attaques d’une guerre endémique dont le monde souffre depuis qu’il est monde. La Foi : Substance fragile voletant aux nuits de nos incertitudes tel l’oiseau tombé du nid, attendant, orphelin, qu’un bec bienveillant vienne apaiser sa faim. Insatiable faim du nouveau-né. Incapable de cerner ce monde trop vaste, offrant à celui qui ouvre les yeux pour la première fois, l’infranchissable étendue de son corps titanesque. Mystérieux. Et muet.
Je suis né de trois visages différents. Trois visages de femmes ayant laissé sur ma peau fragile, la caresse indélébile de leur immanente éternité. Il y a en effet de l’éternité substantielle qui nous colle à la peau, telle la lumière d’un ciel qu’un œil clos ne peut dissiper, tant son éclat fut pur et attachant.
J’avais trois jours quand je perçus dans les vapeurs d’une aube, le visage de Perrine. Épouse du forgeron du village de mes premiers amours, cette sainte incarnée insuffla dans ma mémoire balbutiante, l’impérissable certitude d’une fidélité d’airain. Il y a, dans la nature, des êtres d’exception dont le premier regard se porte garant de votre vulnérabilité absolue. Perrine était de ces magiciennes-là. Incapable de faire passer avant la vôtre – sacrée – sa propre existence. Notre idylle dura trois ans à temps plein, de jour comme de nuit. Puis elle se perpétua de longues années jusqu’à ce matin d’hiver où je déposai sur son cercueil lavé de pluie, la petite violette dérobée à l’itinéraire de notre ultime rendez-vous.
Le second visage, qui planta dans ma chair les braises de son âme, fut bien sûr Augustine. Sœur presque jumelle de la première. Cette célibataire de Dieu possédait la parole sacrée offerte chaque matin à l’inconnu qui l’habitait de chair et de sang. Confondu à un fiancé perdu corps et bien dans les tranchées de 14/18, le silence auquel elle s’adressait prenait dans mon cerveau d’enfant, le profil intime auquel je m’identifiai. À mon tour, je recevais de cette femme l’attrait d’un amour sans retenue.
Puis il y eut l’autre. Première en vérité dans l’ordre d’une création qui faillit la laisser pour morte le jour où elle mit bas le minuscule animal que je fus, un soir d’ultime bataille pour la vie. L’institutrice brillante qui me donna le jour dut en effet, pour des questions de survie, me confier dès le troisième soir aux mains des deux sœurs siamoises que je viens d’évoquer. Ainsi, ce corps tricéphale prit en charge le nouvel arrivant ; voué aux canonnades d’une drôle de guerre qui ne tarda pas de recouvrir la terre de ses grondements d’outre-tombe.
Quant au père, invisible, lui aussi fut un mythe. Mobilisé avant que cette guerre ne l’embrigade pour de bon dans les ornières de ses turpitudes, il disparut d’une scène où le seul fait d’évoquer son existence assombrissait les visages. Il fallut faire sans lui. Jusqu’au jour où l’on apprit qu’embarqué comme prisonnier, il avait sauté d’un train puis rejoint la résistance, et donc la clandestinité… Autre terrain vague d’où l’on ne revient pas forcément et dont les images colportées restaient énigmatiques et imprécises.
Jusqu’à la fin de la guerre, je vécus donc heureux et choyé dans un imbroglio de joues et de mains qui pétrirent de concert la pâte fraîche de l’homme en devenir. Il serait faux de croire que les souffrances inhérentes à la vie de cette époque empêchèrent cette vie d’être heureuse. Notamment celle d’un enfant. C’est exactement le contraire. Cette mère à trois visages, dont je confondais les larmes et les rires, incrusta dans ma chair son charme à triple dose de générosité spontanée. La précarité matérielle de deux de ces femmes, mises au travail dès l’âge de huit ans, et l’aise relative de leur consœur improvisée, furent l’addition miraculeuse de sensations aux contrastes inédits. Mis à profit par le petit bonhomme jamais rassasié, cet amour surabondant marqua ma vie d’un sceau inaltérable gravé dans mes entrailles. De ce temps-là, mon âme et ma chair confondirent leur propre substance, qu’aujourd’hui encore j’ai tant de mal à disjoindre.
La foi serait donc cela ! Cette alchimie rare confondant la matière et l’esprit. La douleur et l’amour. L’absurdité et l’espérance. L’éternel et l’éphémère. La bêtise du monde et l’intelligence des prophètes. La présence et l’absence de l’aimé. Le souvenir immortel et la vie bien réelle. L’autre avec soi-même. Et puis Dieu, bien sûr… Invisible. Mais plus présent que soi.
Quand un jour, l’ami me demandera par quel biais l’on acquiert cette foi pouvant surprendre, je n’aurai que cette réponse ingénue : la foi ne s’apprend pas ! Elle se communique. Parce qu’elle est disponible partout dans la nature. Suffit-il de s’en saisir. Parfois faut-il chercher un peu et apprendre à s’en émerveiller. Car cette perle fait toujours son nid là où l’on ne saurait voir… Chez les vivants véritables qui ont une âme plus grosse que le corps. Ces femmes et ces hommes qui ne savent pas qu’ils sont des exemples, mais qui le sont. La foi ? Une matière précieuse qui déborde la vie lorsque celle-ci est véritablement la vie.
Une chose est certaine : avec leurs mots tout appris ou mal appris, tous les catéchismes du monde ne parviendront jamais à remplacer la vie des gens exemplaires. De mes trois mamans d’occasion, l’une n’entrait pas dans les églises car gênée par le faste et les pompes. Les deux autres n’avaient pas de mots, disaient-elles pour expliquer ce qui ne s’explique pas. Par l’harmonie de leurs existences débordantes de générosité, elles inoculèrent en moi le sens du mystère. Quand je manifestai un jour le désir d’élucider l’énigme de l’homme sur sa croix au carrefour du chemin, même la moins dévote s’impliqua dans la recherche de réponses qu’un cœur d’enfant puisse se saisir. À mon tour aujourd’hui, de ne pas avoir de mots pour expliquer l’inébranlable certitude plantée dans mon âme par ces trois êtres d’exception.
La Foi ?
Une forme d’humilité qui consiste à être simplement soi.
À l’intérieur du corps mystérieux mais grandiose qu’édifient autour de nous ceux qui savent se faire si petits, qu’ils nous font exister en plénitude. Et souvent… Malgré nous.
La « vie moderne », que l’on nomme ainsi depuis que les humains sont devenus les esclaves des machines, me contraint à répondre sans l’ombre d’une hésitation :NON! Sans le regard ostensiblement tourné vers l’invisible qui nous habite – que nous le voulions ou non – la vie n’est pas viable. Bien sûr, l’écrasante majorité de mes contemporains seront stupéfaits de ce constat perçu comme archaïque. Je ne m’offusquerai pas de ces réactions hâtives. Elles montrent dans quel désert spirituel se sont enlisées les générations des deux siècles accouchant de cette sacro-sainte modernité. J’argumenterai ma conviction par quelques témoignages dont la courte liste intéressera les esprits libres, disséminés dans une foule fascinée par le mirage de l’artificiel.
Il n’est pas besoin d’être agrégé en science expérimentale pour reconnaître que les yeux humains ne voient du monde que l’infime partie d’une profusion d’objets disparates. La nature est une matière fabuleuse dont nous ne percevons qu’un masque éphémère et fragile. Souvent provisoire. La part visible et invisible de chaque élément du vaste panorama s’imbrique en un tout dont dépend entièrement notre existence. Il est curieux que les temps nouveaux aient omis d’introduire cette évidence dans des cervelles d’homo sapiens pourtant éprouvés. S’obstiner à croire que ce que l’on voit constitue la réalité du monde, dénote une chimère tenace. Par leurs découvertes mal exploitées, les modernes ont dressé un mur, obstruant le chemin qui ouvre sur davantage de lumière. Heureusement… ce mal qui affecte l’humanité, aveuglée par un progrès factice, va buter très vite sur les aberrations qu’engendre celui-ci. C’est par un manque d’âme que l’homme du vingtième siècle en est venu à dérégler les rouages subtils de l’astre qui l’abrite. Mettant en péril sa propre survie. Si le recours à quelque providence insoupçonnée n’incite le genre humain à un sursaut salutaire, il est certain qu’il en est fini à court terme de cette race de prédateurs, martyrisant un cosmos promis à un si brillant avenir.
Anxieux de ce constat sans appel, quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’ouvrant avec l’un de mes petits-enfants un débat sur le sujet, ce dernier s’étonna de mon inquiétude excessive. Armé de ses diplômes à rallonges, celui-ci me fit remarquer que Dieu était une évidence dont nous n’avions pas besoin de parler à tout bout de champ. Je compris à quelle vitesse les jeunes générations que l’on croit dépourvues de spiritualité, nous dépassent souvent de leur réalisme ébouriffant.
L’énigme évolutive de la matière, traçant le chemin des destinées du monde, n’a nullement fui ces jeunes cerveaux qui n’aiment plus parler de Dieu. Le fossé creusé entre vieux et modernes demande à être franchi avec réalisme. S’il n’est pas raisonnable de confondre sans nuances Dieu et l’invisible, il est recommandé d’en distinguer l’attrait, inscrit depuis des millénaires sur les roches de nos habitats antiques. Depuis qu’il se rapprocha du ciel en prenant la position verticale, le mammifère-humain tient visiblement à élucider le mystère qui l’accouche. La nébuleuse dans laquelle il est contraint d’évoluer, l’angoisse. Au point qu’il transcendât son irréductible ignorance en des œuvres admirables, partout, sur cette terre.
Nous convînmes donc avec mon petit-fils que Dieu et l’invisible étaient cousins germains. Nous partageâmes cette conviction qu’une descendance commune à ces deux concepts avait bien installé cette race dont lui comme moi, étions des spécimens avérés. Nous reconnûmes que feindre d’ignorer notre complicité, dans l’évolution boiteuse de nos sociétés, serait déraisonnable. Nous fîmes le constat que cette évolution demandait l’apanage d’un progrès respectueux, et approprié. Que les civilisations successives, y compris les plus brillantes, étaient loin d’avoir honoré ce contrat. Nous jugeâmes que si des milliards d’années furent nécessaires pour faire de notre planète une merveille d’équilibre, il avait suffi qu’une race délétère apparaisse pour qu’en quelques siècles, l’ensemble se corrompe et dépérisse. Nous affûtâmes notre jugement pour constater de concert que cette race à laquelle nous appartenions était affectée d’un gène, nulle part présent chez les autres vivants. Que celui-ci se nommait « liberté ». Nous insistâmes l’un et l’autre pour déclarer – non sans malice – que si l’invisible était ce qu’il était, sa vulnérabilité fût mise à mal dès la résurgence de cette faculté, affectant la dernière espèce apparue. Nous convînmes que Dieu avait pris beaucoup de risques à doter cette espèce-là d’une telle aptitude. Un peu confus, mon interlocuteur avoua que pour la première fois, il cernait les nuances concernant cette épithète controversée, associée au mystère ambiant : « Dieu ! » Un être forcément surdoué. Capable d’avoir mis en route un cosmos inédit, mais fort mal inspiré d’en avoir confié le gouvernail à des apprentis trop orgueilleux pour être honnêtes. Nous convînmes qu’il nous revenait d’ouvrir nos méninges sur la nouvelle donne du monde. Qu’à ne pas le faire, nous resterions nous aussi d’horribles imposteurs. Nous comprenions que participer à la bonne marche de l’entreprise était notre unique devoir d’état. Quant à ce Dieu, vilipendé ou adoré, nous découvrions d’évidence qu’il implorait l’aide de cette engeance dont l’effronterie le gratifiait d’impardonnables trahisons. Un monde non ouvert sur le cœur et l’abnégation n’était donc tout simplement pas possible !
Comme deux camarades studieux, nous entreprirent, mon petit-fils et moi, de rouvrir fréquemment l’épineux dossier… Prenant soin de noter l’analyse de certains de nos congénères que nous n’hésitions pas à qualifier d’authentiques prophètes.
1844 – 1900. Friedrich Nietzsche ne fut-il pas l’un d’eux quand il lança par la bouche de l’un de ses héros,cette affirmation célèbre qui en surprit plus d’un :
Dieu est mort ! …
– N’avez-vous pas entendu parler de cet homme fou qui, en plein jour, allumait une lanterne et se mettait à courir sur la place publique en criant sans cesse : “Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu !” – Comme il se trouvait là beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu, son cri provoqua une grande hilarité. A-t-il donc été perdu ? disait l’un. S’est-il égaré comme un enfant ? demandait l’autre. Ou bien s’est-il caché ? A-t-il peur de nous ? S’est-il embarqué ? A-t-il émigré ? – Ainsi criaient-ils pêle-mêle. Le fou sauta au milieu d’eux et les transperça de son regard. Où est allé Dieu, s’écria-t-il, je veux vous le dire ! Nous l’avons tué– vous et moi – Nous tous, nous sommes ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon ? Qu’avons-nous fait lorsque nous avons détaché cette terre de la chaîne de son soleil ? Où la conduisent maintenant ses mouvements ? Où la conduisent nos mouvements ? Loin de tous les soleils ? … Ne faut-il pas allumer les lanternes avant midi ? N’entendons-nous rien du bruit des fossoyeurs qui enterrent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la décomposition divine ? Les dieux, eux aussi, se décomposent ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, les meurtriers de meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu’à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau. Qui effacera de nous ce sang…
Extrait duGai Savoir –
traduction d’Albert au Mercure de France
Le même Nietzsche, ultra-sensible aux comportements humains de son époque, nous expliquera peu après dans « Zarathoustra » qu’il s’agit dorénavant d’inventer le surhumain !
… Zarathoustra parla au peuple et lui dit : je vous enseigne le surhumain. L’homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu’avez-vous fait pour le surmonter ?
Tous les êtres jusqu’à présent ont créé quelque chose au-dessus d’eux, et vous voulez être le reflux de ce grand flot et plutôt retourner à la bête que de surmonter l’homme ?
Qu’est le singe pour l’homme ? Une dérision ou une honte douloureuse. Et c’est ce que doit être l’homme pour le surhumain : une dérision ou une honte douloureuse.
…
L’homme est une corde tendue entre la bête et le surhumain. Une corde sur l’abîme.
Il est dangereux de passer de l’autre côté, dangereux de rester en route, dangereux de regarder en arrière - frisson et arrêt dangereux.
Ce qu’il y a de grand dans l’homme, c’est qu’il est un pont et non un but : ce que l’on peut aimer en l’homme, c’est qu’il est un passage et un déclin.
J’aime ceux qui ne savent vivre autrement que pour disparaître, car ils passent au-delà.
J’aime les grands contempteurs, parce qu’ils sont de grands orateurs, les flèches du désir vers l’autre rive.
J’aime ceux qui ne cherchent pas, derrière les étoiles, une raison pour périr et pour s’offrir en sacrifice ; mais ceux qui se sacrifient à la terre, pour qu’un jour la terre appartienne au surhumain…
Ainsi parlait Zarathoustra – traduction d’Albert, Mercure de France.
Ces propos, écrits il y a environ deux cents ans, émanent d’un philosophe parmi les plus connus dans le monde. Comment ne pas tenter, deux siècles plus tard, de les confronter à la pensée contemporaine ? Celle de spécialistes aux visions parfois surprenantes. Je ne peux m’empêcher de retenir ici l’étonnant Bruno Latour dont la conception du vivant est une révolution copernicienne, extraordinairement réaliste.
À 75 ans, ce philosophe-chercheur travaille une anthropologie de la modernité tout à fait révolutionnaire. Comment son œuvre s’est-elle métabolisée en une pensée du monde percuté par la crise écologique ? Parce que, affirme-t-il, « Nous avons changé d’ère et déjà quitté la modernité. » Rien que cela ! Et si vous insistez pour mieux comprendre, il vous expliquera que nous sommes portés par « Gaïa » : cette planète vivante qui rétroagit sur l’ensemble de nos existences. Nous dépendons d’elle au point qu’il nous revient d’en assurer la survie. Faute de compromettre la nôtre irrémédiablement. Bruno Latour pense que nous avons pris conscience, désormais, qu’il ne peut être question qu’un sujet tout-puissant – l’homme moderne – puisse manipuler notre environnement jusqu’à la prédation fatale.
Il développe en cela le concept d’holobionte. Nous ne sommes pas des entités indépendantes, plongées dans un espace donné. Ce serait une grossière erreur de voir les choses ainsi. Toutes les frontières sont floues entre tous les vivants, quels qu’ils soient. Une énorme partie de notre poids est constitué de bactéries et d’organismes sans lesquels nous ne pouvons subsister. Impossible donc de considérer ceux-ci comme des entités extérieures. L’holobionte est un assemblage entre un être vivant et une multitude d’espèces qui prospèrent en lui et autour de lui, pour le bon conditionnement de chacun. Nous sommes en vérité un amas de vies. Vies qui se superposent dans un espace sans frontières. Bougrement orgueilleux et insensé, celui qui prétendrait en cerner les limites et les contours !
Bruno Latour écrit :
Que peut signifier la sélection naturelle d’une vache si la fabrication de son intestin dépend de la sélection parallèle d’une myriade de bactéries qui, pourtant, ne font pas partie de son ADN ? Qu’est-ce qu’un corps « humain » si le nombre des microbes nécessaires à son entretien dépasse de plusieurs ordres de grandeur le nombre de ses cellules ? L’incertitude sur les bords exacts d’un corps est si grande que Lynn Margulis a proposé de remplacer la notion trop réduite d’organisme par ce qu’elle appelle des « holobiontes », ensemble d’agissants en forme de nuages aux contours flous qui permettent à des membranes un peu durables de subsister grâce au secours que l’extérieur apporte à ce qui tient à l’intérieur.
Où suis-je paru en 2021, Page 63
S’appuyant également sur le travail du grand scientifique James Lovelock, Bruno Latour démontre que tels les termites, ce sont les êtres vivants qui ont progressivement créé l’environnement qui leur convient. Nous ne sommes pas apparus dans une nature toute faite. Des générations d’organismes hétérogènes et complémentaires ont concouru à la formation de notre espace environnemental. Ce travail gigantesque a nécessité des millions d’années. Minéraux, végétaux, animaux sont tous impliqués dans ce labeur d’interdépendance qui conditionne la survie de l’ensemble.
Afin d’assumer notre mue dans l’ère nouvelle qui débute, la guerre est donc déclarée entre les milliardaires qui épuisent les ressources de cette terre généreuse accouchant de nous, et les besogneux qui s’échinent quotidiennement à réparer les dégâts. La distinction entre ces deux espèces n’est hélas pas toujours évidente à établir. Le défi entrepris n’est pas simple à relever. Il en va pourtant de la vie sur cet astre miraculeux, tributaire de milliards d’êtres différents, dont l’intérêt de chacun n’est autre que de veiller ardemment à celui de tous les autres.
Bruno Latour écrit encore :
Pour les croyants – mais il ne s’agit justement plus de « croire » – tout repose maintenant sur la capacité de vivre autrement ce même monde qui n’est plus exactement “matériel” au sens moderne. Les voilà délivrés du spirituel et de l’obligation de fuir hors du monde en tournant les yeux vers le ciel. C’est la chance que saisit pour eux le pape François : délivrés d’un salut en forme d’échappatoire, les voilà tenus de réinvestir la valeur que les religions figuraient un peu naïvement et de plus en plus faussement « en haut », par contraste avec l’ici-bas, grâce à d’autres figures qui travailleraient le même contraste, mais déplacé cette fois-ci dans d’autres images, d’autres rituels, d’autres prières. Non plus le haut et le bas, non plus le matériel et le spirituel, mais la tension entre la vie sur terre et la vie avec terre ? La même exigence de finalité et d’absolu, mais racontée par des formes entièrement différentes ? Ce qui permet enfin dans la crainte et le tremblement de comprendre ce qui était latent dans les figures du passé. Nombreux sont ceux qui s’y essaient. Il y faut de la prudence et du doigté, mais il est indispensable de l’espérer, puisque la figure de l’incarnation résonne avec celle de l’atterrissage… il y a donc à creuser là d’autres figures de l’eschatologie, c’est-à-dire de la fin, de la finalité comme de la finitude du monde. « Envoie ton esprit qui renouvelle la face de la terre », dit le psaume 103.30.
Où suis-je
Bruno Latour Page 74
site : http://www.bruno-latour.fr/fr.html
Et alors Dieu dans tout cela ? Assassiné comme l’a craint Nietzsche, ou plutôt grand Coordonnateur de cet invisible formatant l’exubérance universelle ? Est-il ce corps vivant que dépeint Saint Paul et dont nous serions les membres singuliers et vitaux ? Autrement dit, ce CHRIST dont Pierre Teilhard de Chardin nous révèle l’universalité en d’éclairantes pages dont nous citerons quelques passages au hasard…
Évocation au caractère très eucharistique :
Seigneur, c’est Vous qui, par l’aiguillon imperceptible d’un charme sensible, avez pénétré dans mon cœur pour faire écouler ma vie en vous. Vous êtes descendu en moi à la faveur d’une petite parcelle des choses ; et puis, soudain, vous vous êtes déployé, à mes yeux, comme l’universelle existence. Seigneur, sous cette figure première, si proche et si concrète, laissez-moi vous goûter longuement, dans tout ce qui vivifie et tout ce qui déborde, et tout ce qui pénètre, et tout ce qui enveloppe…
Écrits du temps de la guerre – Le Milieu mystique,
pages 140/141
Il faut avoir profondément senti la peine d’être plongé dans le multiple, qui tourbillonne et fuit sous les doigts, pour mériter de goûter l’enthousiasme dont l’âme est soulevée, quand, sous l’Action unifiante de la Présence universelle, elle voit que le réel est devenu non seulement transparent, mais solide.
Écrits du temps de la guerre, page 144
Je veux Seigneur, pour vous mieux embrasser, que ma conscience devienne aussi vaste que les cieux, la terre et les peuples, aussi profonde que le passé, le désert et l’océan, aussi subtile que les atomes de la matière et les pensées du cœur humain…
Ne faut-il pas que j’adhère à Vous par toute l’extension de l’Univers, et que mon amour ait une racine en chaque chose, puisque c’est par la surface totale du monde que vous vous offrez à moi, pour que je vous sente et que je vous tienne ?
Écrits du temps de la guerre, page 145
Qu’ajouter à ces quelques fragments de textes émanant d’auteurs aussi différents que prestigieux, sinon constater l’aspect global et solidaire d’un monde que tous reconnaissent aujourd’hui comme partie intégrante d’eux-mêmes. Pourquoi donc séparer et discriminer ? Croyants et incroyants ne sont-ils pas tous frères ? Tirant leur vie de cet invraisemblable organisme dont ils sont chacun l’élément précieux. Quant à la foi – au sens universel du terme – n’est-elle pas le lien qu’aucun vivant ne puisse rompre, sans s’extraire artificiellement de l’indicible ouvrage ? On comprend mieux, dès lors, ce curieux ministre du général de Gaulle revendiquant son athéisme et lançant son étonnante prophétie : « Le vingt et unième siècle sera religieux ou ne sera pas. » Tout est dit dans les paroles de cet homme érudit et courageux. Si religieux signifie conscience et rigueur, quel être sensé contreviendrait-il à cette discipline sans avoir la sensation de faillir ?
J’ai croisé pour ma part tant d’agnostiques voués corps et âme à leur juste tâche… Si Dieu est Celui qui trime avec nous sur les échafaudages de l’immense pyramide, il fut bien le seul à ne s’offusquer jamais des rocambolesques qualificatifs qu’on lui attribua au cours des siècles. Nuire par contre à la moindre des créatures qui le constituent de pied en cape, constituerait bien le crime par excellence. Voilà ce que signifia le ministre André Malraux, luttant héroïquement contre toutes les guerres de son temps.