La fausse maîtresse - Honoré de Balzac - E-Book

La fausse maîtresse E-Book

Honore de Balzac

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Beschreibung

Une édition de référence de La fausse maîtresse d’Honoré de Balzac, spécialement conçue pour la lecture sur les supports numériques.


« Le comte et la comtesse venaient de déjeuner, le ciel offrait une nappe d’azur sans le moindre nuage, le mois d’avril finissait. Ce ménage comptait deux ans de bonheur, et Clémentine avait depuis deux jours seulement découvert dans sa maison quelque chose qui ressemblait à un secret, à un mystère. »

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Le plus grand soin a été apporté à la mise au point de ce livre numérique de la collection Candide & Cyrano, afin d’assurer une qualité éditoriale et un confort de lecture optimaux.

Malgré ce souci constant, il se peut que subsistent d’éventuelles coquilles ou erreurs. Les éditeurs seraient infiniment reconnaissants envers leurs lectrices et lecteurs attentifs s’ils avaient l’amabilité de signaler ces imperfections à l’adresse [email protected].

La Fausse Maîtresse

Honoré de Balzac

Dédié à la comtesse Clara Maffei.

I Un mystère dans le bonheur

Au mois de septembre 1835, une des plus riches héritières du faubourg Saint-Germain, Mlle du Rouvre, fille unique du marquis du Rouvre, épousa le comte Adam Mitgislas Laginski, jeune Polonais proscrit. Qu’il soit permis d’écrire les noms comme ils se prononcent, pour épargner aux lecteurs l’aspect des fortifications de consonnes par lesquelles la langue slave protège ses voyelles, sans doute afin de ne pas les perdre, vu leur petit nombre. Le marquis du Rouvre avait presque entièrement dissipé l’une des plus belles fortunes de la noblesse, et à laquelle il dut autrefois son alliance avec une demoiselle de Ronquerolles. Ainsi, du côté maternel, Clémentine du Rouvre avait pour oncle le marquis de Ronquerolles, et pour tante Mme de Sérizy. Du côté paternel, elle jouissait d’un autre oncle dans la bizarre personne du chevalier du Rouvre, cadet de la maison, vieux garçon devenu riche en trafiquant sur les terres et sur les maisons. Le marquis de Ronquerolles eut le malheur de perdre ses deux enfants à l’invasion du choléra. Le fils unique de Mme de Sérizy, jeune militaire de la plus haute espérance, périt en Afrique à l’affaire de la Macta. Aujourd’hui, les familles riches sont entre le danger de ruiner leurs enfants si elles en ont trop, ou celui de s’éteindre en s’en tenant à un ou deux, un singulier effet du Code civil auquel Napoléon n’a pas songé. Par un effet du hasard, malgré les dissipations insensées du marquis du Rouvre pour Florine, une des plus charmantes actrices de Paris, Clémentine devint donc une héritière. Le marquis de Ronquerolles, un des plus habiles diplomates de la nouvelle dynastie, sa sœur, Mme de Sérizy, et le chevalier du Rouvre convinrent, pour sauver leurs fortunes des griffes du marquis, d’en disposer en faveur de leur nièce, à laquelle ils promirent d’assurer, au jour de son mariage, chacun dix mille francs de rente.

Il est parfaitement inutile de dire que le Polonais, quoique réfugié, ne coûtait absolument rien au gouvernement français. Le comte Adam appartient à l’une des plus vieilles et des plus illustres familles de la Pologne, alliée à la plupart des maisons princières de l’Allemagne, aux Sapiéha, aux Radzivill, aux Rzewuski, aux Czartoriski, aux Leczinski, aux Iablonoski, aux Lubermiski, à tous les grands Ki sarmates. Mais les connaissances héraldiques ne sont pas ce qui distingue la France sous Louis-Philippe, et cette noblesse ne pouvait être une recommandation auprès de la bourgeoisie qui trônait alors. D’ailleurs, quand, en 1833, Adam se montra sur le boulevard des Italiens, à Frascati, au Jockey-Club, il mena la vie d’un jeune homme qui, perdant ses espérances politiques, retrouvait ses vices et son amour pour le plaisir. On le prit pour un étudiant. La nationalité polonaise, par l’effet d’une odieuse réaction gouvernementale, était alors tombée aussi bas que les républicains la voulaient mettre haut. La lutte étrange du Mouvement contre la Résistance, deux mots qui seront inexplicables dans trente ans, fit un jouet de ce qui devait être si respectable : le nom d’une nation vaincue à qui la France accordait l’hospitalité, pour qui l’on inventait des fêtes, pour qui l’on chantait et l’on dansait par souscription ; enfin une nation qui, lors de la lutte entre l’Europe et la France, lui avait offert six mille hommes en 1796, et quels hommes ! N’allez pas inférer de ceci que l’on veuille donner tort à l’empereur Nicolas contre la Pologne, ou à la Pologne contre l’empereur Nicolas. Ce serait d’abord une assez sotte chose que de glisser des discussions politiques dans un récit qui doit ou amuser ou intéresser. Puis, la Russie et la Pologne avaient également raison, l’une de vouloir l’unité de son empire, l’autre de vouloir redevenir libre. Disons en passant que la Pologne pouvait conquérir la Russie par l’influence de ses mœurs, au lieu de la combattre par les armes, en imitant les Chinois, qui ont fini par chinoiser les Tartares, et qui chinoiseront les Anglais, il faut l’espérer. La Pologne devait poloniser la Russie. Poniatowski l’avait essayé dans la région la moins tempérée de l’empire ; mais ce gentilhomme fut un roi d’autant plus incompris que peut-être ne se comprenait-il pas bien lui-même. Comment n’aurait-on pas haï de pauvres gens qui furent la cause de l’horrible mensonge commis pendant la revue où tout Paris demandait à secourir la Pologne ? On feignit de regarder les Polonais comme les alliés du parti républicain, sans songer que la Pologne était une république aristocratique. Dès lors la bourgeoisie accabla de ses ignobles dédains le Polonais que l’on déifiait quelques jours auparavant. Le vent d’une émeute a toujours fait varier les Parisiens du Nord au Midi, sous tous les régimes. Il faut bien rappeler ces revirements de l’opinion parisienne pour expliquer comment le mot Polonais était, en 1835, un qualificatif dérisoire chez le peuple qui se croit le plus spirituel et le plus poli du monde, au centre des lumières, dans une ville qui tient aujourd’hui le sceptre des arts et de la littérature. Il existe, hélas ! deux sortes de Polonais réfugiés, le Polonais républicain, fils de Lelewel, et le noble Polonais du parti à la tête duquel se place le prince Czartoriski. Ces deux sortes de Polonais sont l’eau et le feu ; mais pourquoi leur en vouloir ? Ces divisions ne se sont-elles pas toujours remarquées chez les réfugiés, à quelque nation qu’ils appartiennent, n’importe en quelles contrées ils aillent ? On porte son pays et ses haines avec soi. À Bruxelles, deux prêtres français émigrés manifestaient une profonde horreur l’un contre l’autre, et quand on demanda pourquoi à l’un d’eux, il répondit en montrant son compagnon de misère : « C’est un janséniste. » Dante eût volontiers poignardé dans son exil un adversaire des Blancs. Là gît la raison des attaques dirigées contre le vénérable prince Adam Czartoriski par les radicaux français et celle de la défaveur répandue sur une partie de l’émigration polonaise par les Césars de boutique et les Alexandre de la patente. En 1834, Adam Mitgislas eut donc contre lui les plaisanteries parisiennes. « Il est gentil, quoique polonais, disait de lui Rastignac. – Tous ces Polonais se prétendent grands seigneurs, disait Maxime de Trailles, mais celui-ci paie ses dettes de jeu ; je commence à croire qu’il a eu des terres. » Sans vouloir offenser des bannis, il est permis de faire observer que la légèreté, l’insouciance, l’inconsistance du caractère sarmate autorisèrent les médisances des Parisiens, qui d’ailleurs ressembleraient parfaitement aux Polonais en semblable occurrence. L’aristocratie française, si admirablement secourue par l’aristocratie polonaise pendant la Révolution, n’a certes pas rendu la pareille à l’émigration forcée de 1832. Ayons le triste courage de le dire, le faubourg Saint-Germain est encore en ceci débiteur de la Pologne. Le comte Adam était-il riche, était-il pauvre, était-ce un aventurier ? Ce problème resta pendant longtemps indécis. Les salons de la diplomatie, fidèles à leurs instructions, imitèrent le silence de l’empereur Nicolas, qui considérait alors comme mort tout émigré polonais. Les Tuileries et la plupart de ceux qui y prennent leur mot d’ordre donnèrent une horrible preuve de cette qualité politique décorée du titre de sagesse. On y méconnut un prince russe avec qui l’on fumait des cigares pendant l’émigration, parce qu’il paraissait avoir encouru la disgrâce de l’empereur Nicolas. Placés entre la prudence de la cour et celle de la diplomatie, les Polonais de distinction vivaient dans la solitude biblique de Super flumina Babylonis, ou hantaient certains salons qui servent de terrain neutre à toutes les opinions. Dans une ville de plaisir comme Paris, où les distractions abondent à tous les étages, l’étourderie polonaise trouva deux fois plus de motifs qu’il ne lui en fallait pour mener la vie dissipée des garçons. Enfin, disons-le, Adam eut d’abord contre lui sa tournure et ses manières. Il y a deux Polonais comme il y a deux Anglaises. Quand une Anglaise n’est pas très belle, elle est horriblement laide, et le comte Adam appartient à la seconde catégorie. Sa petite figure, assez aigre de ton, semble avoir été pressée dans un étau. Son nez court, ses cheveux blonds, ses moustaches et sa barbe rousses lui donnent d’autant plus l’air d’une chèvre qu’il est petit, maigre, et que ses yeux d’un jaune sale vous saisissent par ce regard oblique si célèbre par le vers de Virgile. Comment, malgré tant de conditions défavorables, possède-t-il des manières et un ton exquis ? La solution de ce problème s’explique et par une tenue de dandy et par l’éducation due à sa mère, une Radzivill. Si son courage va jusqu’à la témérité, son esprit ne dépasse point les plaisanteries courantes et éphémères de la conversation parisienne ; mais il ne rencontre pas souvent parmi les jeunes gens à la mode un garçon qui lui soit supérieur. Les gens du monde causent aujourd’hui beaucoup trop chevaux, revenus, impôts, députés pour que la conversation française reste ce qu’elle fut. L’esprit veut du loisir et certaines inégalités de position. On cause peut-être mieux à Pétersbourg et à Vienne qu’à Paris. Des égaux n’ont plus besoin de finesses, ils se disent alors tout bêtement les choses comme elles sont. Les moqueurs de Paris retrouvèrent donc difficilement un grand seigneur dans une espèce d’étudiant léger qui, dans le discours, passait avec insouciance d’un sujet à un autre, qui courait après les amusements avec d’autant plus de fureur qu’il venait d’échapper à de grands périls, et que, sorti de son pays où sa famille était connue, il se crut libre de mener une vie décousue sans courir les risques de la déconsidération. Un beau jour, en 1834, Adam acheta, rue de la Pépinière, un hôtel. Six mois après cette acquisition, sa tenue égala celle des plus riches maisons de Paris. Au moment où Laginski commençait à se faire prendre au sérieux, il vit Clémentine aux Italiens et devint amoureux d’elle. Un an après, le mariage eut lieu. Le salon de Mme d’Espard donna le signal des louanges. Les mères de famille apprirent trop tard que, dès l’an neuf cent, les Laginski se comptaient parmi les familles illustres du Nord. Par un trait de prudence antipolonaise, la mère du jeune comte avait, au moment de l’insurrection, hypothéqué ses biens d’une somme immense prêtée par deux maisons juives et placée dans les fonds français. Le comte Adam Laginski possédait quatre-vingt mille francs de rente. On ne s’étonna plus de l’imprudence avec laquelle, selon beaucoup de salons, Mme de Sérizy, le vieux diplomate Ronquerolles et le chevalier du Rouvre cédaient à la folle passion de leur nièce. On passa, comme toujours, d’un extrême à l’autre. Pendant l’hiver de 1836, le comte Adam fut à la mode, et Clémentine Laginska devint une des reines de Paris.

Mme de Laginska fait aujourd’hui partie de ce charmant groupe de jeunes femmes où brillent Mmes de l’Estorade, de Portenduère, Marie de Vandenesse, du Guénic et de Maufrigneuse, les fleurs du Paris actuel, qui vivent à une grande distance des parvenus, des bourgeois et des faiseurs de la nouvelle politique.