La femme abandonnée - Honoré de Balzac - E-Book

La femme abandonnée E-Book

Honore de Balzac

0,0

Beschreibung

Une édition de référence de La femme abandonnée d’Honoré de Balzac, spécialement conçue pour la lecture sur les supports numériques.


« Monsieur de Nueil, tout en entendant la voix de son interlocutrice, ne l’écoutait plus. Il était absorbé par mille fantaisies. Existe-t-il d’autre mot pour exprimer les attraits d’une aventure au moment où elle sourit à l’imagination, au moment où l’âme conçoit de vagues espérances, pressent d’inexplicables félicités, des craintes, des évènements, sans que rien encore n’alimente ni ne fixe les caprices de ce mirage ? L’esprit voltige alors, enfante des projets impossibles et donne en germe les bonheurs d’une passion. »

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 80

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Le plus grand soin a été apporté à la mise au point de ce livre numérique de la collection Candide & Cyrano, afin d’assurer une qualité éditoriale et un confort de lecture optimaux.

Malgré ce souci constant, il se peut que subsistent d’éventuelles coquilles ou erreurs. Les éditeurs seraient infiniment reconnaissants envers leurs lectrices et lecteurs attentifs s’ils avaient l’amabilité de signaler ces imperfections à l’adresse [email protected].

La Femme abandonnée

Honoré de Balzac

À Madame la Duchesse d’Abrantès,Son affectionné serviteur,Honoré de Balzac. (Paris, août 1835)

La Femme abandonnée

En 1822, au commencement du printemps, les médecins de Paris envoyèrent en Basse-Normandie un jeune homme qui relevait alors d’une maladie inflammatoire causée par quelque excès d’étude, ou de vie peut-être. Sa convalescence exigeait un repos complet, une nourriture douce, un air froid et l’absence totale de sensations extrêmes. Les grasses campagnes du Bessin et l’existence pâle de la province parurent donc propices à son rétablissement.

Il vint à Bayeux, jolie ville située à deux lieues de la mer, chez une de ses cousines, qui l’accueillit avec cette cordialité particulière aux gens habitués à vivre dans la retraite, et pour lesquels l’arrivée d’un parent ou d’un ami devient un bonheur.

À quelques usages près, toutes les petites villes se ressemblent. Or, après plusieurs soirées passées chez sa cousine madame de Sainte-Sevère, ou chez les personnes qui composaient sa compagnie, ce jeune Parisien, nommé monsieur le baron Gaston de Nueil, eut bientôt connu les gens que cette société exclusive regardaient comme étant toute la ville. Gaston de Nueil vit en eux le personnel immuable que les observateurs retrouvent dans les nombreuses capitales de ces anciens États qui formaient la France d’autrefois.

C’était d’abord la famille dont la noblesse, inconnue à cinquante lieues plus loin, passe, dans le département, pour incontestable et de la plus haute antiquité. Cette espèce de famille royale au petit pied effleure par ses alliances, sans que personne s’en doute, les Créqui, les Montmorenci, touche aux Lusignan, et s’accroche aux Soubise. Le chef de cette race illustre est toujours un chasseur déterminé. Homme sans manières, il accable tout le monde de sa supériorité nominale ; tolère le sous-préfet, comme il souffre l’impôt ; n’admet aucune des puissances nouvelles créées par le dix-neuvième siècle, et fait observer, comme une monstruosité politique, que le premier ministre n’est pas gentilhomme. Sa femme a le ton tranchant, parle haut, a eu des adorateurs, mais fait régulièrement ses Pâques ; elle élève mal ses filles, et pense qu’elles seront toujours assez riches de leur nom. La femme et le mari n’ont d’ailleurs aucune idée du luxe actuel : ils gardent les livrées de théâtre, tiennent aux anciennes formes pour l’argenterie, les meubles, les voitures, comme pour les mœurs et le langage. Ce vieux faste s’allie d’ailleurs assez bien avec l’économie des provinces. Enfin c’est les gentilshommes d’autrefois, moins les lods et ventes, moins la meute et les habits galonnés ; tous pleins d’honneur entre eux, tous dévoués à des princes qu’ils ne voient qu’à distance. Cette maison historique incognito conserve l’originalité d’une antique tapisserie de haute-lice. Dans la famille végète infailliblement un oncle ou un frère, lieutenant-général, cordon rouge, homme de cour, qui est allé en Hanovre avec le maréchal de Richelieu, et que vous retrouvez là comme le feuillet égaré d’un vieux pamphlet du temps de Louis XV.

À cette famille fossile s’oppose une famille plus riche, mais de noblesse moins ancienne. Le mari et la femme vont passer deux mois d’hiver à Paris, ils en rapportent le ton fugitif et les passions éphémères. Madame est élégante, mais un peu guindée et toujours en retard avec les modes. Cependant elle se moque de l’ignorance affectée par ses voisins ; son argenterie est moderne ; elle a des grooms, des nègres, un valet de chambre. Son fils aîné à Tilbury ne fait rien, il a un majorat ; le cadet est auditeur au conseil d’État. Le père, très au fait des intrigues du ministère, raconte des anecdotes sur Louis XVIII et sur madame du Cayla, il place dans le cinq pour cent, évite la conversation sur les cidres, mais tombe encore parfois dans la manie de rectifier le chiffre des fortunes départementales ; il est membre du conseil général, se fait habiller à Paris, et porte la croix de la Légion-d’Honneur. Enfin ce gentilhomme a compris la restauration, et bat monnaie à la Chambre ; mais son royalisme est moins pur que celui de la famille avec laquelle il rivalise. Il reçoit la Gazette et les Débats. L’autre famille ne lit que la Quotidienne.

Monseigneur l’évêque, ancien vicaire-général, flotte entre ces deux puissances qui lui rendent les honneurs dus à la religion, mais en lui faisant sentir parfois la morale que le bon La Fontaine a mise à la fin de l’Âne chargé de reliques. Le bonhomme est roturier.

Puis viennent les astres secondaires, les gentilshommes qui jouissent de dix ou douze mille livres de rente, et qui ont été capitaines de vaisseau, ou capitaines de cavalerie, ou rien du tout. À cheval par les chemins, ils tiennent le milieu entre le curé portant les sacrements et le contrôleur des contributions en tournée. Presque tous ont été dans les pages ou dans les mousquetaires, et achèvent paisiblement leurs jours dans une faisance-valoir, plus occupés d’une coupe de bois ou de leur cidre que de la monarchie. Cependant ils parlent de la charte et des libéraux entre deux rubbers de whist ou pendant une partie de trictrac, après avoir calculé des dots et arrangé des mariages en rapport avec les généalogies qu’ils savent par cœur. Leurs femmes font les fières et prennent les airs de la cour dans leurs cabriolets d’osier, elles croient être parées quand elles sont affublées d’un châle et d’un bonnet ; elles achètent annuellement deux chapeaux, mais après de mûres délibérations, et se les font apporter de Paris par occasion ; elles sont généralement vertueuses et bavardes.

Autour de ces éléments principaux de la gent aristocratique se groupent deux ou trois vieilles filles de qualité qui ont résolu le problème de l’immobilisation de la créature humaine. Elles semblent être scellées dans les maisons où vous les voyez : leurs figures, leurs toilettes font partie de l’immeuble, de la ville, de la province ; elles en sont la tradition, la mémoire, l’esprit. Toutes ont quelque chose de raide et de monumental, elles savent sourire ou hocher la tête à propos, et, de temps en temps, disent des mots qui passent pour spirituels.

Quelques riches bourgeois se sont glissés dans ce petit faubourg Saint-Germain, grâce à leurs opinions aristocratiques ou à leurs fortunes. Mais, en dépit de leurs quarante ans, là chacun dit d’eux : – Ce petit un tel pense bien ! Et l’on en fait des députés. Généralement ils sont protégés par les vieilles filles, mais on en cause.

Puis enfin deux ou trois ecclésiastiques sont reçus dans cette société d’élite, pour leur étole, ou parce qu’ils ont de l’esprit, et que ces nobles personnes, s’ennuyant entre elles, introduisent l’élément bourgeois dans leurs salons comme un boulanger met de la levure dans sa pâte.

La somme d’intelligence amassée dans toutes ces têtes se compose d’une certaine quantité d’idées anciennes auxquelles se mêlent quelques pensées nouvelles qui se brassent en commun tous les soirs. Semblables à l’eau d’une petite anse, les phrases qui représentent ces idées ont leur flux et reflux quotidien, leur remous perpétuel, exactement pareil : qui en entend aujourd’hui le vide retentissement l’entendra demain, dans un an, toujours. Leurs arrêts immuablement portés sur les choses d’ici-bas forment une science traditionnelle à laquelle il n’est au pouvoir de personne d’ajouter une goutte d’esprit. La vie de ces routinières personnes gravite dans une sphère d’habitudes aussi incommutables que le sont leurs opinions religieuses, politiques, morales et littéraires.

Un étranger est-il admis dans ce cénacle, chacun lui dira, non sans une sorte d’ironie : – Vous ne trouverez pas ici le brillant de votre monde parisien ! et chacun condamnera l’existence de ses voisins en cherchant à faire croire qu’il est une exception dans cette société, qu’il a tenté sans succès de la rénover. Mais si, par malheur, l’étranger fortifie par quelque remarque l’opinion que ces gens ont mutuellement d’eux-mêmes, il passe aussitôt pour un homme méchant, sans foi ni loi, pour un Parisien corrompu, comme le sont en général tous les Parisiens.