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Cet ouvrage s’adresse à tous les praticiens qui rencontrent des enfants agités, impulsifs, agressifs, opposants, provocateurs ou désobéissants.
Fruit d’une recherche d’une dizaine d’années menée auprès d’enfants dits « difficiles » et de leurs parents, cet ouvrage vise à fournir aux praticiens des outils thérapeutiques utiles dans la prise en charge de leurs patients ainsi que quelques clés de compréhension indispensables.
La thématique n’est certes pas récente, mais elle continue à interpeller. Les études menées récemment ont en effet conclu que, si ces enfants n’étaient pas suivis, les troubles externalisés persistaient à l’âge adulte, impactant ainsi leur vie future. Il est donc primordial pour les praticiens de trouver les outils nécessaires à la prise en charge de ces enfants et/ou de leurs parents.
Un ouvrage essentiel pour mieux comprendre et traiter les troubles du comportement chez l'enfant.
EXTRAIT
« Mon enfant est difficile ; il ne tient pas en place et se fait remarquer. »
« Mon fils nous épuise ; il faut sans cesse lui répéter les mêmes consignes. Mais il s’oppose. Souvent même il provoque. »
« Ma fille frappe et mord les autres enfants. Il lui est même arrivé de lever la main sur moi ou sur l’enseignant. »
Ces phrases de parents, les praticiens les ont souvent entendues, car les troubles du comportement chez le jeune enfant sont un des motifs de consultation les plus fréquents. À chaque fois, la même interrogation : « Que faire ? » Chaque parent concerné espère que le praticien à qui il s’adresse possède les clés de compréhension et les outils nécessaires pour améliorer l’adaptation comportementale de son enfant. De nos rencontres avec les praticiens au détour des conférences et des formations continues, il est apparu que les clés de compréhension et surtout les outils thérapeutiques faisaient parfois défaut. C’est partant de ce constat qu’a germé l’idée de ce livre. À travers lui, nous souhaitons transmettre aux praticiens qui œuvrent auprès des enfants et de leur famille, des solutions pour la prise en charge des jeunes enfants dits « difficiles ».
À PROPOS DES AUTEURES
Toutes sont professeurs à l’Université catholique de Louvain.
Isabelle Roskam concentre ses travaux sur le développement du jeune enfant et sur la parentalité.
Nathalie Nader-Grosbois mène, quant à elle, des recherches sur le développement précoce, l’autorégulation et les compétences émotionnelles et sociales chez des enfants présentant des troubles de développement.
Marie-Pascale Noël inscrit ses travaux dans le domaine de la neuropsychologie de l’enfant avec deux axes de recherche majeurs : d’une part, le développement numérique et la dyscalculie et, d’autre part, le développement des fonctions exécutives, leur évaluation et leur prise en charge. Enfin,
Marie-Anne Schelstraete se consacre principalement aux troubles du développement du langage oral et de la communication suite à différentes atteintes développementales et sur l’efficacité des traitements logopédiques proposés en présence de tels troubles.
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Isabelle Roskam
« Mon enfant est difficile ; il ne tient pas en place et se fait remarquer. »
« Mon fils nous épuise ; il faut sans cesse lui répéter les mêmes consignes. Mais il s’oppose. Souvent même il provoque. »
« Ma fille frappe et mord les autres enfants. Il lui est même arrivé de lever la main sur moi ou sur l’enseignant. »
Ces phrases de parents, les praticiens les ont souvent entendues, car les troubles du comportement chez le jeune enfant sont un des motifs de consultation les plus fréquents. À chaque fois, la même interrogation : « Que faire ? » Chaque parent concerné espère que le praticien à qui il s’adresse possède les clés de compréhension et les outils nécessaires pour améliorer l’adaptation comportementale de son enfant.
De nos rencontres avec les praticiens au détour des conférences et des formations continues, il est apparu que les clés de compréhension et surtout les outils thérapeutiques faisaient parfois défaut. C’est partant de ce constat qu’a germé l’idée de ce livre. À travers lui, nous souhaitons transmettre aux praticiens qui œuvrent auprès des enfants et de leur famille, des solutions pour la prise en charge des jeunes enfants dits « difficiles ».
Le livre s’appuie sur douze années de recherche dans le programme « H2M Children » (Hard-t(w)o-Manage Children) qui ont permis de dégager des pistes pour :
expliquer la survenue des troubles du comportement chez le jeune enfant,
en évaluer l’intensité et la fréquence,
et enfin les prendre en charge concrètement.
Le chapitre 1 retrace, dans les grandes lignes, ces douze années de recherche. Il permet de donner sens aux solutions qui sont proposées dans les chapitres 2 à 6 et d’en expliquer le fondement. Chacun de ces chapitres est en effet consacré à la prise en charge d’un des facteurs associés aux comportements difficiles :
le fonctionnement exécutif, en particulier l’inhibition (chapitre 2) ;
la compréhension des états mentaux d’autrui et le traitement de l’information sociale (chapitre 3) ;
le langage (chapitre 4) ;
le sentiment de compétence parental (chapitre 5) ;
la régulation émotionnelle de l’enfant (chapitre 6).
Tous ont une structure commune. Ils expliquent comment chaque facteur influence le développement et le maintien des troubles du comportement. Puis ils décrivent l’intervention que nous avons menée. Les séances y sont détaillées avec des exemples concrets d’activités thérapeutiques à pratiquer avec l’enfant (chapitres 2 et 3) ou avec les parents (chapitre 4, 5 et 6). Les praticiens y trouveront de nombreux outils qu’ils pourront utiliser durant leurs consultations. Tous les chapitres proposent une analyse de l’efficacité de l’intervention et des points de discussion utiles pour le praticien. Enfin, ils se terminent par la liste des idées clés, sorte de synthèse des éléments importants pour le praticien.
Le dernier chapitre aborde deux questions transversales qui ne manqueront pas d’éveiller l’intérêt des praticiens :
Est-il plus efficace de prendre en charge l’enfant ou ses parents ?
Des cinq interventions proposées, laquelle est la plus efficace ?
Ce livre s’adresse donc à tous les praticiens qui rencontrent les enfants agités, impulsifs, agressifs, opposants, provocateurs, désobéissants. Il leur permettra de développer une clinique du comportement qui soit scientifiquement fondée et qui offre à ces enfants et à leur famille des solutions thérapeutiques ciblées et efficaces.
Isabelle Roskam
Le présent ouvrage est le fruit d’un programme de recherche dont les activités ont débuté en 2004. Ce programme intitulé « H2M Children », pour « Hard-t(w)o-Manage Children », s’est intéressé aux jeunes enfants dits « difficiles ». Il a tenté de répondre à quatre questions essentielles :
Quels sont les comportements considérés comme difficiles chez l’enfant ?
Comment ces comportements évoluent-ils au cours du développement ?
Comment expliquer ces comportements difficiles ?
Comment traiter les comportements difficiles ?
Cet ouvrage est consacré à la dernière des quatre questions. Il décrit des modalités d’intervention dont l’efficacité a pu être démontrée à partir de recherches de type evidence-based [144]1. Dans ce chapitre introductif, une synthèse des réponses apportées aux trois premières questions sera proposée afin de justifier du bien-fondé des interventions et de les situer dans une démarche de recherche globale2.
La recherche « H2M » a pour objectif principal l’étude des troubles externalisés du comportement chez le jeune enfant et s’est déroulée en deux phases. La première, de 2004 à 2010, a consisté en une vaste étude longitudinale portant sur 400 enfants, dont un tiers présentait des comportements externalisés à un niveau pathologique [289]. Les autres enfants ont servi de groupe contrôle permettant de comparer le comportement et le développement des enfants difficiles à ceux des enfants pour lesquels aucune plainte n’avait été formulée. Ces enfants avaient été adressés à des services de pédiatrie ou de psychiatrie infanto-juvénile partenaires de la recherche ou étaient recrutés dans des écoles ayant accepté de collaborer à cette recherche de grande envergure. À leur entrée dans le programme de recherche, les enfants étaient âgés de 2 à 6 ans. Ils ont été suivis longitudinalement pendant trois ans selon un design de type accéléré permettant, sur base des trois cohortes, d’obtenir des trajectoires de développement de 2 à 8 ans. Chaque enfant a bénéficié d’un bilan bisannuel réalisé par des psychologues et des orthophonistes, d’un suivi annuel par un neuropédiatre ou un pédopsychiatre et d’une visite annuelle dans le cadre scolaire. Les bilans visaient à évaluer périodiquement le comportement de l’enfant, mais ils s’intéressaient également aux facteurs de risque potentiellement associés aux problèmes de comportement. Les facteurs de risque sur lesquels l’étude « H2M » s’est penchée sont : l’insécurité d’attachement chez l’enfant et ses parents, les retards de langage, l’immaturité du fonctionnement exécutif chez l’enfant et les pratiques parentales coercitives. D’autres données concernant les relations au sein de la fratrie ou le QI ont permis de traiter des questions de recherche secondaires qui ont toutes fait l’objet de publications scientifiques. Les enfants participant à la première phase de la recherche n’ont pas bénéficié de traitements spécifiques. Certains parents ont eu recours à des pratiques habituelles comme des séances de psychomotricité relationnelle. Leur influence sur le suivi longitudinal a été contrôlé sur le plan statistique pour nous permettre d’analyser, d’une part, le développement « spontané » des comportements difficiles entre l’âge de 3 et de 8 ans et, d’autre part, l’influence des facteurs de risque sur l’évolution de ces comportements. À la fin de cette première étape de recherche, nous étions capables de mieux identifier les enfants souffrant de troubles du comportement. Nous avions acquis la certitude qu’en l’absence d’intervention, les difficultés de comportement persistaient et nous avions identifié plusieurs facteurs de risque expliquant l’occurrence et la persistance de ces difficultés [289, 290].
La deuxième phase de l’étude « H2M », de 2011 à 2016, est la suite logique de la première dans la mesure où elle avait pour objectif de mettre au point des interventions expérimentales visant à réduire les comportements-problème des jeunes enfants. Ces interventions se sont appuyées sur les facteurs de risque identifiés comme les plus importants. Elles visaient à diminuer l’impact de ces facteurs de risque en augmentant soit les compétences de l’enfant, soit les capacités de coping de ses parents. Pour ce faire, 400 enfants ont participé à des études randomisées. Les interventions ont d’abord été pré-testées en version brève grâce à la participation volontaire d’enfants tout-venant et de leurs parents [48, 148, 192, 236, 362, 361, 238]. Ces premiers essais nous ont permis de nous assurer du caractère malléable des variables choisies pour l’intervention et de leur capacité à susciter des changements positifs dans le comportement des enfants. À la suite de ces essais concluants, les interventions ont été implémentées dans une version plus longue de huit semaines auprès d’enfants et de parents provenant de milieux socioéconomiques faibles. Ces derniers ont été invités à participer sur base volontaire à nos recherches par l’intermédiaire d’écoles ciblées. Comparativement à des enfants grandissant dans des familles qui ne font pas face à l’adversité socioéconomique, ces enfants sont en effet plus à risque de présenter des comportements difficiles. Un groupe fondé sur un principe de liste d’attente a servi de groupe contrôle. Les enfants ont ensuite été orientés au hasard vers l’une des interventions mises au point dans le cadre du programme de recherche. Ces interventions sont décrites dans les chapitres 2 à 6. Leurs effets sur l’adaptation comportementale des enfants ont été mesurés. Les résultats ont montré que les interventions auprès des enfants ou de leurs parents produisaient des améliorations comportementales que nous avons cherché à reproduire auprès d’enfants présentant des troubles pathologiques du comportement. Ces enfants nous ont été adressés par leurs parents inquiets et en souffrance suite à une présentation de l’étude « H2M » diffusée par les pédiatres, dans les médias, sur notre site Internet et les réseaux sociaux. Comme pour les enfants de milieu défavorisé, une liste d’attente a été constituée, puis les enfants ont été orientés vers l’une des interventions proposées. Là encore, les effets sur l’adaptation comportementale des enfants ont été mesurés. Des comparaisons systématiques entre les différents types d’interventions ont été réalisées afin de savoir lesquelles devaient être considérées comme les plus efficaces : celles proposées aux enfants ou celles proposées à leurs parents. Le résultat de ces comparaisons est présenté dans le chapitre 7.
Les jeunes enfants dits « difficiles » présentent des comportements variés relevant de l’agitation motrice, de l’opposition, de la provocation, de l’agressivité, de l’impulsivité et de l’instabilité émotionnelle [58, 294]. Ces comportements ne sont pas tous présents de manière systématique chez tous les enfants difficiles. Les tableaux cliniques varient selon le nombre de comportements problématiques identifiés et leurs combinaisons multiples. Conceptuellement, on rassemble ces comportements sous l’appellation « troubles externalisés » parce qu’ils sont tournés vers la relation entre l’enfant et ses donneurs de soin ou les pairs. C’est la raison pour laquelle ils sont parfois assimilés à des conduites antisociales. On les oppose de ce fait aux « troubles internalisés » dont la caractéristique est d’être orientée vers le sujet lui-même. C’est notamment le cas de la dépression, du repli sur soi ou des troubles de l’estime de soi [3].
Les demandes de consultation pour des jeunes enfants présentant des troubles externalisés sont bien plus fréquentes que pour des troubles internalisés. Il ne s’agit pas seulement d’une question de prédominance ; les troubles externalisés gênent davantage l’adaptation familiale et scolaire de l’enfant que les troubles internalisés. Ceux-ci prendront une toute autre dimension chez les enfants plus âgés et les adolescents dont la tâche de développement consistant à établir des relations avec les pairs et à s’autonomiser par rapport aux parents devient prépondérante. Bien qu’ils soient souvent traités comme des entités séparées, une certaine comorbidité peut être observée entre les deux types de troubles en particulier lorsque l’enfant grandit [215]. En raison de ces troubles externalisés, il arrive que l’enfant vive l’exclusion des groupes de pairs et qu’il reçoive fréquemment des feed-back négatifs de la part de ses parents et des enseignants. Dans ces conditions, il n’est pas rare que l’enfant développe une image de lui-même qui soit très négative et qu’il s’isole sur le plan social. On peut alors voir apparaître des symptômes de dépression ou d’anxiété plus typiques des troubles internalisés qui viennent s’ajouter aux comportements externalisés. On parle alors de comorbidité, et les tableaux cliniques qui en résultent deviennent particulièrement préoccupants. Ils sont le résultat de cascades de développement où des difficultés dites primaires entraînent l’apparition de troubles secondaires [211].
L’utilisation des termes « comportements externalisés » chez les jeunes enfants permet d’éviter la référence à des entités nosologiques comme l’hyperactivité et le trouble des conduites tels qu’ils sont décrits dans les classifications internationales [8, 1]. Il est en effet préférable de ne pas poser ce type de diagnostic avant l’âge de 6-7 ans. Une démarche d’« étiquetage » trop précoce peut se révéler particulièrement dangereuse. En effet, la période de développement 2-6 ans est très plastique sur le plan du fonctionnement exécutif et du langage notamment. Sans avoir pu constater les progrès de l’enfant au cours de cette période, le risque est grand de diagnostiquer quantité de faux positifs. On sait par ailleurs que l’effet d’étiquetage peut être dramatique. Dans le suivi longitudinal des enfants de la recherche « H2M », nous avons constaté que la manière dont un enseignant évaluait les problèmes de comportement d’un enfant était fortement influencée par la manière dont l’enseignant de l’année précédente avait lui-même évalué le comportement de cet enfant [304].
Les comportements externalisés, tels que l’agitation motrice, l’opposition, la provocation, l’agressivité, l’impulsivité et l’instabilité émotionnelle, ne sont pas des comportements atypiques. On les rencontre chez tous les enfants. Il est en effet relativement banal qu’un enfant de 3 ans bouge, qu’il n’obéisse pas toujours du premier coup, qu’il se rebiffe parfois agressivement, qu’il ne réfléchisse pas avant d’agir ou de parler et qu’il fasse des colères. Dès lors, comment établir que des enfants présentent des « troubles » externalisés et non pas des comportements normaux ? Cette distinction s’appuie sur les notions d’intensité et de fréquence. Lorsque les comportements externalisés deviennent intenses et qu’ils se répètent fréquemment au quotidien, ils entravent l’adaptation de l’enfant dans ses milieux de développement, particulièrement dans le cadre familial et scolaire. L’agitation motrice intense et fréquente empêche par exemple l’enfant de répondre à une demande de rester assis sur une chaise pendant le temps du repas et de la lecture d’une histoire en classe. L’opposition excessive empêche l’enfant de respecter un minimum de règles permettant le « vivre ensemble » au sein du groupe familial ou du groupe de pairs. Notons qu’à l’inverse, un niveau d’agitation trop faible entraîne aussi des difficultés d’adaptation pour l’enfant. Certains niveaux de comportement de type externalisé faciliteraient donc l’adaptation de l’enfant à son environnement tandis que d’autres compliqueraient cet ajustement dynamique.
S’agissant de troubles relatifs et non absolus – comme c’est le cas de la trisomie 21 notamment – les troubles externalisés du comportement ne sont pas faciles à évaluer. Les évaluer consiste à positionner l’enfant-cible sur un continuum allant par exemple de « pas du tout agité » à « très agité » ou de « pas du tout agressif » à « très agressif ». Le positionnement sur ce continuum est dit relatif parce que l’exercice consiste à placer les enfants les uns par rapport aux autres : dans une classe, par exemple, allant du moins opposant au plus opposant ou en comparant un enfant à des normes de référence préétablies par les concepteurs d’un test standardisé. Dans cette approche relative, l’idée est bien de délimiter une zone optimale reflétant les niveaux de comportements externalisés favorables à l’adaptation de l’enfant. Les enfants qui seraient situés en dehors de cette zone et vers le haut du continuum en particulier, sont considérés comme présentant des troubles de type externalisés [287].
Cette pratique de l’évaluation a montré que le positionnement des enfants sur le continuum par les parents, les enseignants et les cliniciens, pouvait fortement différer. Ainsi, dans la plupart des cas les informateurs (terme désignant ceux qui évaluent le comportement de l’enfant dans ses différents milieux de vie) portent des regards différents sur le caractère adaptatif ou maladaptatif des comportements de l’enfant cible. Ce dernier peut dès lors être évalué comme présentant des troubles (niveau pathologique) ou comme étant « normal » au sens où il se situe sur la portion centrale du continuum. Ces divergences entre informateurs ont été rapportées dans de nombreuses autres études que celles menées dans le cadre du programme « H2M » [299, 306, 307]. On les explique par différents mécanismes. Tout d’abord, l’enfant, tel qu’il se comporte avec ses parents dans sa maison, n’est pas tout à fait le même que l’enfant lorsqu’il est avec d’autres enfants en cour de récréation ou en classe. Les demandes environnementales en famille ou à l’école sont différentes, et l’ajustement dont l’enfant peut faire preuve face à ces demandes fluctuent logiquement. Ensuite, le positionnement de l’enfant sur le continuum peut être influencé par le seuil de tolérance des informateurs à l’agitation ou à l’opposition de l’enfant. Certains parents ou enseignants sont particulièrement sensibles au bruit ou à l’imprévu si bien que l’agitation et l’impulsivité d’un enfant seront plus rapidement considérées comme intenses et fréquentes. Par ailleurs, chaque informateur se base sur des normes personnelles pour apprécier ce qu’un enfant de 3 ou de 4 ans est censé pouvoir faire. L’un considérera qu’à 3 ans un enfant devrait pouvoir rester attentif à une même activité durant 5 minutes, tandis que l’autre pensera qu’il peut s’y tenir pendant 10 minutes. En fonction de ces « normes », un enfant qui papillonne d’une activité à l’autre toutes les 7 minutes sera considéré par l’un comme plutôt concentré et par l’autre comme assez agité. Ces normes personnelles proviennent des expériences que les informateurs engrangent avec les frères et sœurs (pour les parents) ou avec les enfants de la classe (pour les enseignants) qui servent de groupe de comparaison lorsqu’il s’agit de positionner un enfant donné sur le continuum. Comparé à une sœur aînée particulièrement calme et posée, un enfant pourra sembler plus vite agité que s’il est comparé à une sœur aînée qui a toujours eu besoin de se défouler. Le positionnement d’un même enfant pourra également différer en fonction du profil des élèves de sa classe.
Les divergences entre informateurs sont en réalité précieuses parce qu’elles révèlent toute la complexité de l’enfant qui ne peut ni se résumer à une check-list de comportements ni à une observation standardisée. Ces divergences sont par ailleurs très utiles car elles révèlent le fait que l’enfant parvienne à s’ajuster aux demandes environnementales dans certaines situations concrètes et dans certains contextes relationnels, mais pas forcément dans tous. Il nous revient alors de l’aider à déployer les compétences qu’il parvient à mobiliser ici ou là dans d’autres situations. En l’absence de divergences et lorsque tous les informateurs positionnent l’enfant à un niveau pathologique de comportements externalisés, il s’est avéré, dans nos études longitudinales, que les troubles s’aggravaient à mesure que l’enfant grandit. L’évaluation pathologique convergente indiquerait que l’enfant ne peut s’appuyer sur des compétences nécessaires à son adaptation comportementale quel que soit le contexte relationnel ou la situation rencontrée. Une attention toute particulière de la part des professionnels à l’égard de ces enfants est requise. Pour ce faire, une évaluation multi-informateur devrait toujours être pratiquée3 [287].
Considérant leur relativité et les variations entre informateurs, l’épidémiologie précise des troubles externalisés du comportement est difficile à établir. Selon les sources, elle varie entre 2 et 6 % chez les enfants âgés entre 3 et 6 ans [245, 253, 279]. Cela représente un à deux enfants pour chaque classe de l’enseignement maternel composée en moyenne d’une vingtaine d’élèves. Nos contacts avec de nombreuses écoles dans le cadre de l’étude « H2M » confirme ces études épidémiologiques. Les enseignants rapportaient assez spontanément que, chaque année, un ou deux de leurs élèves présentaient des comportements de type externalisés à un niveau suffisamment intense et fréquent pour que son adaptation scolaire soit entravée [286]. Si l’on transpose cette prévalence à l’échelle de l’Union européenne, sachant que les statistiques officielles font état de 4,8 millions de naissances par an, le nombre d’enfants présentant des troubles du comportement externalisé varierait entre 84 et 288 000 selon que l’on prenne le seuil optimiste de 2 % ou pessimiste de 6. De ce point de vue, les comportements externalisés peuvent être considérés comme un véritable problème de santé publique d’autant qu’ils ne sont pas sans conséquence pour l’enfant. Ces problèmes comportementaux ont été mis en lien avec des difficultés relationnelles avec les pairs, des difficultés d’apprentissage et de motivation scolaire, d’insertion socioprofessionnelle, de conduites antisociales chez les adolescents et de consommation de substances [277, 32].
Les processus de développement qui mènent à de telles difficultés sont expliqués par des théories comme le modèle coercitif de Patterson [254, 256]. Il suggère que les troubles externalisés sont renforcés dans le cadre familial par des pratiques parentales coercitives, comme les punitions corporelles, l’escalade de la violence verbale et physique ou l’inconsistance des demandes. L’enfant apprend qu’il peut obtenir ce qu’il souhaite en adoptant des comportements externalisés qui font céder l’adulte. Ce qui a été appris dans les relations au sein de la famille est généralisé dans d’autres contextes et notamment à l’école [296]. Là, l’enfant peut être rejeté par ses pairs parce que ses comportements sont dérangeants. Il recherche alors des enfants qui fonctionnent comme lui et qui sont eux-mêmes moins intégrés socialement. Le modèle transactionnel de Sameroff vient compléter le modèle coercitif en insistant sur les échanges transactionnels entre l’enfant et son environnement [314]. Le fait qu’il adopte des comportements externalisés nuisant à la qualité de la relation induit en réponse des comportements plus négatifs et plus distants de la part des parents, des enseignants ou des pairs. À leur tour, ces comportements viennent renforcer les comportements externalisés de l’enfant qui recherche de l’attention ou qui se confronte à l’autorité. Des cercles vicieux s’installent ainsi. Ils sont responsables de la persistance des troubles sur le long terme et parfois même de leur aggravation. D’autres types de processus permettent aussi de comprendre l’impact des troubles externalisés sur les apprentissages, en particulier chez les enfants opposants, impulsifs et agités, pour qui des contraintes comme se taire, écouter les consignes et les appliquer sont de véritables challenges. L’échec dans les apprentissages scolaires conduit à la démotivation de l’enfant et de ses enseignants, au décrochage scolaire et finalement à la marginalisation.
Les troubles du comportement chez l’enfant persistent-ils lorsqu’il grandit ou tendent-ils à diminuer en intensité et en fréquence avec l’âge ? D’une part, il est légitime de craindre ce qui se passera une fois l’enfant devenu adolescent. S’il est intenable alors qu’il est « haut comme trois pommes », qu’en sera-t-il plus tard lorsque les parents ne pourront plus exercer de surveillance constante sur ses faits et gestes ? D’autre part, la maturation du système nerveux central, de la motricité et du langage, est tellement importante jusqu’à l’âge de 6-8 ans, qu’il est inévitable que l’agitation motrice s’apaise, que l’enfant s’autorégule mieux et qu’il parvienne à prendre en considération les besoins des autres au-delà des siens. Ces deux tendances sont longtemps restées en opposition. Forts de la première, certains ont recommandé la mise en œuvre d’interventions précoces systématiques. Forts de la seconde, d’autres ont suggéré d’adopter une position de type attentiste consistant à laisser le développement faire son œuvre.
Les études longitudinales rétrospectives ont largement contribué à soutenir la première option [185, 382]. Celles-ci se caractérisent par le recrutement d’adolescents et d’adultes présentant des troubles externalisés du comportement, typiquement des sujets ayant commis des délits et des actes antisociaux. Ils sont recrutés dans des centres fermés pour jeunes, des centres pénitentiaires ou via des services de police. Les chercheurs s’intéressent à leur profil comportemental lorsqu’ils étaient enfants. Se basant sur des mesures auto-rapportées ou sur des données fournies par les parents proches, les études rétrospectives ont – sans surprise – montré que la vaste majorité de ces sujets avaient déjà des troubles comportementaux de type externalisé lorsqu’ils étaient enfants. On a conclu que ces troubles étaient persistants et qu’une prise en charge précoce aurait sans doute permis d’éviter à ces enfants de devenir des adolescents ou des adultes « pathologiques » ou délinquants. Cette conclusion fait évidemment abstraction du fait que la méthode rétrospective présente un biais d’échantillonnage important [143]. Elle ne donne en effet pas accès aux individus qui présentaient des troubles externalisés du comportement étant enfant mais qui, une fois adolescent ou adulte, ne présentent plus aucune difficulté. Ceux-là sont intégrés dans la société : ils font des études ou travaillent, ont des amis, ont fondé une famille et n’ont jamais eu affaire aux services de police. De ce fait, ils échappent aux recherches rétrospectives qui ne peuvent évaluer la proportion d’enfants difficiles qui ont eu des trajectoires de développement négatives ou à l’inverse, positives.
Cette réalité se rapporte au concept de multifinalité [64] qui désigne le fait de parvenir à des issues développementales différentes à partir de points de départ similaires. Ainsi, des enfants qui présentaient tous des troubles du comportement à 2-3 ans ont pour les uns un développement « normalisé » leur permettant de s’adapter aux exigences de l’environnement familial, scolaire et social au sens large. D’autres enfants qui présentaient eux aussi des troubles du comportement à 2-3 ans ont, par contre, un développement pathologique ne leur permettant pas de s’insérer dans la vie familiale, scolaire et professionnelle. Le défi pour les chercheurs est donc de parvenir à identifier les enfants à risque de s’inscrire dans une trajectoire de développement négative et à les distinguer des autres dont le développement est plus favorable.
C’est à ce défi que le programme de recherche « H2M » a tenté d’apporter sa contribution. Pour ce faire, il a adopté une méthodologie de recherche longitudinale prospective et non rétrospective. Les enfants ont été recrutés lorsqu’ils avaient entre 2 et 5 ans et ont été suivis pendant trois années consécutives. Grâce à des méthodes dites de design accéléré, nous avons pu étudier des trajectoires de développement allant de 2 à 8 ans. Les analyses nous ont montré que ces trajectoires étaient en moyenne plates, c’est-à-dire que les enfants dont les comportements étaient évalués comme très externalisés à 3 ans, par exemple, occupaient encore la même position sur le continuum d’évaluation plusieurs années plus tard [221]. Les résultats du programme « H2M » sont donc en faveur d’une hypothèse de stabilité des troubles du comportement et ils rejoignent ainsi ceux d’autres études longitudinales menées notamment aux États-Unis et au Canada [40, 59, 183, 226, 277].
Cependant, la trajectoire de développement moyenne qui ressort des analyses résulte de trajectoires individuelles (autant de trajectoires que d’enfants dans l’échantillon) dont certaines sont ascendantes (témoignant d’un comportement en évolution positive), plates (témoignant d’une stabilité du comportement) ou descendantes (témoignant d’une aggravation des troubles comportementaux). En créant des sous-groupes d’enfants en fonction du profil de leur trajectoire, nous avons tenté d’identifier les caractéristiques qui différencient ces sous-groupes. Comme nous l’avons déjà évoqué plus avant, l’évaluation pathologique convergente entre tous les informateurs constitue un élément très important. Les enfants dont les trajectoires sont descendantes sont en effet caractérisés par le fait que les mères, les pères, les enseignants et les cliniciens ont objectivé les troubles externalisés. Contrairement à ceux qui réussissent à mobiliser leurs compétences adaptatives dans au moins un milieu de développement, les enfants qui ne peuvent pas s’adapter aux demandes familiales, scolaires ou sociales, présentent un risque accru de trajectoire développementale négative. Ce sont ces enfants qui doivent faire l’objet d’une prise en charge précoce et bénéficier de l’attention des professionnels.
La stabilité moyenne des troubles externalisés du comportement s’explique encore par d’autres facteurs de risque qui seront détaillés dans le point suivant. La stabilité des facteurs de risque eux-mêmes explique le maintien des troubles comportementaux chez l’enfant. Par exemple, si les troubles comportementaux sont liés à des pratiques parentales coercitives, la persistance de ces pratiques dans les interactions quotidiennes entre l’enfant et ses parents, est un élément de continuité des troubles comportementaux [298]. Leur renforcement continu dans le cadre de ces interactions dysfonctionnelles tend à les « normaliser » : l’enfant considère cette façon de se comporter (avec agressivité par exemple) comme la seule possible et efficace pour se faire entendre ou obtenir ce qu’il souhaite. Plus un comportement est renforcé, plus il devient rigide, automatique et inflexible. Sa modification ne peut intervenir sans un changement en amont dans les pratiques parentales et dans le mode d’interaction parent-enfant.
Les pratiques parentales sont cependant loin d’être les seules à contribuer au maintien des troubles externalisés du comportement. Dans le point suivant, nous allons passer en revue les facteurs de risque qui ont été étudiés dans le cadre du programme de recherche « H2M ». Nous mettrons en évidence les relations qu’ils entretiennent avec le comportement du jeune enfant et les processus par lesquels ils l’influencent.
Avant de détailler les facteurs de risque auxquels l’étude « H2M » s’est intéressée, il convient de définir ce que l’on entend par « facteur de risque ». Contrairement à une cause qui entraîne de facto la survenue d’un trouble ou d’une maladie, un facteur de risque est une donnée biologique, psychologique ou sociale qui augmente la probabilité d’apparition d’un trouble donné [24, 76]. Les troubles externalisés du comportement sont considérés comme étant d’origine multifactorielle, c’est-à-dire que leur survenue – soit l’augmentation significative de la fréquence et de l’intensité de comportements externalisés – est comprise à partir de la présence conjointe de divers facteurs de risque. À ce titre, l’hypothèse qui a retenu notre attention est l’hypothèse cumulative [7, 126]. Elle explique l’occurrence des troubles par l’addition, à un moment donné, de facteurs de risque dans les sphères bio-psycho-sociales de l’enfant. Dans cette hypothèse cumulative, c’est moins la nature des facteurs de risque qui importe que leur nombre. L’accumulation de risques dépasse les capacités de résilience de l’enfant et entraîne une détérioration des conduites. Le comportement est ainsi conçu comme un révélateur de la santé mentale ou du bien-être de l’enfant. La présence d’un nombre trop important de facteurs de risque compromet ce bien-être et la possibilité pour cet enfant de répondre aux sollicitations provenant de ses milieux de développement.
Dans l’étude « H2M », les analyses ont montré que, au-delà des caractéristiques sociodémographiques, l’accumulation d’au moins trois facteurs de risque dans les variables propres à l’enfant et dans les variables familiales, entraînait une augmentation significative de la fréquence et de l’intensité des troubles du comportement [301]. Nous avons montré que, parmi les enfants témoins dont le comportement ne posait aucun souci d’adaptation, beaucoup présentaient un ou deux facteurs de risque. Certains avaient par exemple un retard de langage ou des parents dont les pratiques éducatives étaient coercitives, voire les deux réunis. Mais ces facteurs de risque n’entraînaient pas de comportements difficiles. Par contre, une très faible minorité d’enfants du groupe contrôle présentait trois facteurs de risque ou plus. Ce type de tableau clinique était caractéristique des enfants dont les parents étaient venu consulter.
Des caractéristiques de l’enfant sont susceptibles d’augmenter la probabilité d’occurrence des troubles comportementaux. Il en va ainsi des déficits du fonctionnement exécutif, des déficits langagiers et des déficits en cognition sociale.
En ce qui concerne le fonctionnement exécutif, les théories neuropsychologiques suggèrent qu’un déficit ou une immaturité du fonctionnement exécutif pourrait expliquer la survenue et la persistance de troubles externalisés chez l’enfant. Plus spécifiquement, c’est le déficit d’inhibition qui constituerait un facteur de risque pour les enfants âgés de 2 à 7 ans. Les capacités d’inhiber une réponse prédominante, de contrôler les interférences et de faire preuve de flexibilité cognitive sont en effet des compétences nécessaires pour pouvoir réguler son comportement. Le lien entre capacités d’inhibition et comportements externalisés a été démontré dans plusieurs études empiriques : au cours d’études comparatives entre les enfants présentant des troubles externalisés et des enfants contrôles [50], d’études longitudinales prédisant l’intensité et la fréquence ultérieure des comportements externalisés à partir du fonctionnement exécutif précoce [244], d’études menées en laboratoire [108] et d’études établissant un lien positif entre capacité d’inhibition et comportement social [280].
Il est généralement admis que le cortex préfrontal dans le cerveau joue un rôle clé dans le fonctionnement exécutif. La maturation du cortex préfrontal n’est pas achevée à la naissance de l’enfant ; la maturation est progressive, et on parle d’une période critique allant de 2 à 7 ans. À cette période du développement, la maturation du cortex préfrontal est particulièrement active et rapide. De ce fait, les expériences et les stimulations rencontrées par l’enfant dans l’environnement influencent le développement et les processus liés à la maturation [305]. On comprend dès lors que les jeunes enfants présentent tous des difficultés en inhibition et qu’ils éprouvent des difficultés à réguler leur comportement. L’adulte joue un rôle essentiel de corégulateur : il aide par exemple l’enfant à réguler son agitation motrice (et mentale), à planifier ses gestes quotidiens pour éviter les catastrophes et les mises en danger, à focaliser son attention sur des stimuli donnés ou à limiter la présence de distracteurs lorsqu’il doit réaliser une tâche. En grandissant, l’enfant devient progressivement capable de s’autoréguler en l’absence de l’adulte. Son propre fonctionnement exécutif lui permet de se passer d’une surveillance constante et de s’autonomiser dans divers milieux de développement. À l’inverse, lorsque le fonctionnement exécutif reste immature ou qu’un déficit franc est présent, on comprend que cela augmente la probabilité de troubles externalisés chez l’enfant. Le chapitre 2 reviendra plus en détail sur les liens existant entre comportement externalisé et fonctionnement exécutif chez l’enfant.
En ce qui concerne le déficit langagier, le programme de recherche « H2M » n’avait pas anticipé dès le départ le rôle prépondérant joué par les capacités langagières de l’enfant. En effet, dans la première phase du programme, le langage était « sondé » pour permettre la réorientation des enfants ayant un profil de dysphasie (critère d’exclusion de l’étude « H2M »). Les bilans successifs réalisés avec les enfants nous ont montré qu’environ 25 % d’entre eux présentaient des retards significatifs de langage sans que cela ne soit apparu explicitement dans les plaintes parentales ou scolaires [356]. Nous nous sommes donc intéressés aux facteurs langagiers après avoir fait ce constat. Divers processus par lesquels la probabilité des troubles externalisés augmente ont pu être évoqués. On peut tout d’abord suspecter que les enfants dont le niveau réceptif (compréhension) du langage est faible ne comprennent pas les consignes ou demandes qui leur sont adressées par leurs parents, les enseignants ou les pairs. En l’absence d’une objectivation d’un retard dans la compréhension langagière, le comportement de l’enfant peut être considéré à tort comme de la désobéissance ou de l’opposition par exemple. Il peut également entraîner des réactions agressives entre pairs basés sur des malentendus. Par ailleurs, lorsque c’est la production du langage qui pose problème, les enfants ne sont pas à même de « négocier » avec leurs partenaires d’interaction. Ils ne peuvent pas communiquer leurs désirs à ceux qui les entourent ni trouver des compromis qui les aident à affronter une éventuelle frustration. On est alors dans le cas de figure bien connu des enfants de 15-24 mois qui font aisément des colères lorsque l’adulte leur refuse quelque chose. Le développement de la conscience de soi leur permet de générer des envies et des besoins, mais ils ne parviennent pas à les communiquer de manière efficace à l’entourage. Les relations entre langage et comportements externalisés sont toutefois complexes, et il serait erroné de penser qu’elles se limitent à ces deux cas de figures.
Une synthèse des difficultés langagières présentées par les enfants avec troubles externalisés du comportement a finalement été réalisée dans le cadre de l’étude « H2M » [355, 356]. Elle montre que, sur le plan de la réception, les enfants avec troubles comportementaux ont des difficultés spécifiques en morphosyntaxe, dans des aspects lexico-sémantiques et en sémantique discursive. Sur le plan de la production du langage, ces enfants présentent des difficultés articulatoires, morphosyntaxiques, lexico-sémantiques et en sémantique discursive. Des difficultés dans le domaine de la pragmatique ont également été observées mais elles sont assez peu documentées. Pour cette raison, les diverses recherches menées dans le cadre du programme « H2M » ont, entre autres, visé ces difficultés pragmatiques. Le chapitre 4 reviendra plus en détail sur les liens existant entre comportement externalisé et développement du langage chez l’enfant.
En ce qui concerne le déficit en cognition sociale, les modèles issus de la théorie du social information processing [69, 312] et de la Théorie de l’Esprit [213, 341] suggèrent une autre explication aux troubles externalisés chez l’enfant. Ils seraient en effet liés à un déficit d’identification et d’interprétation des indices sociaux disponibles dans une situation sociale ou à un déficit dans la sélection des réponses sociales appropriées à cette situation [93, 117]. Le terme « cognition sociale » renvoie à l’ensemble des processus cognitifs impliqués dans les interactions sociales, qu’il s’agisse des perceptions, des émotions, du raisonnement, de l’attention ou de la mémorisation par exemple. Une difficulté spécifique pour comprendre ses propres états mentaux et ceux de l’interlocuteur, pour identifier ou réguler ses propres états émotionnels, ainsi qu’une focalisation attentionnelle et une mémorisation préférentielle pour les indices sociaux négatifs, permettraient de rendre compte de la fréquence et de l’intensité des comportements externalisés chez les jeunes enfants. Ces comportements étant spécifiquement tournés vers la relation à l’autre, on comprend aisément qu’un déficit dans les cognitions impliquées dans les interactions sociales puisse être à l’origine de comportements inappropriés.
Un exemple représentatif des déficits en cognition sociale chez les enfants présentant des troubles comportementaux consiste en la présence de biais d’attribution hostile [330]. Il consiste en une tendance à interpréter le comportement et les intentions d’autrui comme agressifs et menaçants et ce, au travers de diverses situations. Dans des situations sociales où subsiste un peu d’ambiguïté, comme le fait d’avoir reçu un ballon sur la tête sans avoir connaissance des circonstances exactes ou de l’auteur des faits, les enfants avec troubles externalisés partiront volontiers du principe que c’est forcément telle personne qui a produit ce geste et qu’elle avait les plus mauvaises intentions en le faisant, c’est-à-dire celles de l’atteindre lui personnellement et de lui faire mal ou de le ridiculiser. D’autres enfants dont les compétences en cognition sociale sont meilleures collecteront d’abord l’information sociale disponible (qui pourrait être l’auteur ? quels sont les états émotionnels que je peux inférer à partir de ses mimiques faciales ou de son attitude ? quelles sont mes relations habituelles avec l’auteur ?, etc.) pour donner une interprétation moins automatique des faits et, dès lors, ajuster leur comportement à la situation spécifique. Il se peut en effet que l’auteur ne soit pas celui que j’imaginais d’emblée et qu’il soit sincèrement désolé de sa maladresse car il n’a pas lancé le ballon expressément dans ma direction avec l’intention de me viser. Le chapitre 3 sera consacré aux liens entre la cognition sociale et les comportements externalisés chez l’enfant.
D’autres facteurs propres à l’enfant peuvent également augmenter le risque d’apparition et de maintien des troubles externalisés du comportement. Il s’agit notamment du tempérament. Le tempérament est défini comme les bases biologiques de la personnalité. Dans l’approche de Rothbart [308-310], il s’organise autour de trois dimensions chez le jeune enfant : surgency/extraversion, affect négatif et effortful control. La dimension surgency/extraversion fait référence à l’anticipation positive, l’impulsivité, un niveau élevé d’activité et la recherche de sensations. Elle reflète la manière dont un enfant est joyeux, vif, vocalise et recherche activement des stimulations. Les enfants ayant des scores élevés sur cette dimension sont plus à risque de présenter des troubles externalisés mais moins à risque de souffrir de troubles internalisés, tels que le retrait social ou un déficit d’estime de soi. La dimension d’affect négatif inclut la peur, la tristesse, la frustration, l’inconfort et la colère. Elle reflète la manière dont un enfant est timide et ne se laisse pas facilement apaiser. Cette dimension est repérable/évaluable dès l’âge de 2 à 3 mois. Intolérance à la frustration et colère augmentent de concert la probabilité pour l’enfant de présenter tant des troubles externalisés qu’internalisés du comportement. La peur, identifiable par l’inhibition comportementale, peut être évaluée chez le bébé à partir de 7-10 mois ; elle est liée au retrait social et à des niveaux faibles d’agressivité chez les enfants plus âgés. La dimension effortful control porte sur la manière dont l’enfant focalise son attention et parvient à changer de focus attentionnel, sur le contrôle de l’inhibition et la sensibilité perceptuelle. Elle reflète la manière dont un enfant peut fixer son attention sans être distrait, peut inhiber une réponse dominante et en exécuter une autre, et planifier son action. Les enfants qui scorent haut sur cette dimension se montrent généralement plus empathiques et moins agressifs lorsqu’ils grandissent. Ils sont moins à risque de présenter des troubles externalisés du comportement. La dimension effortful control est liée au développement des fonctions exécutives dont il a été question plus avant. En tant que dimension tempéramentale, on peut la voir comme un facteur facilitateur ou non du fonctionnement exécutif tel qu’il se développe pendant les premières années de vie. On peut donc aisément comprendre que les facteurs propres à l’enfant n’agissent pas de manière indépendante les uns des autres. Ce qui est vrai pour le tempérament et le fonctionnement exécutif peut également être vrai pour le langage, la cognition sociale et le fonctionnement exécutif dans la mesure où des relations entre ces trois facteurs ont été suggérées dans des modèles comme celui de Yeates et démontrées dans des études empiriques [356].
Outre le tempérament, le profil intellectuel de l’enfant constitue un facteur de risque ou de protection associé aux comportements externalisés. Dans l’étude « H2M », aucun enfant ne présentait de déficience intellectuelle au sens strict du terme. Mais on a observé une certaine dispersion des scores aux épreuves de QI [376, 375] allant d’un niveau moyen inférieur à un niveau moyen supérieur et de douance intellectuelle. Comme cela a déjà été rapporté dans la littérature, les relations entre les performances intellectuelles et les troubles externalisés du comportement forment une courbe en U. D’un côté du continuum, la probabilité d’occurrence de ces troubles augmente d’autant plus que le QI est bas. Les comportements externalisés sont en effet assez courant chez les enfants présentant un déficit intellectuel [77]. De l’autre côté du continuum, la probabilité d’occurrence de ces troubles augmente également : ce qui fait écho aux études empiriques menées avec des enfants à haut potentiel. Les difficultés d’adaptation sociale et comportementale ne sont pas rares. Toutefois, si certaines études comparatives suggèrent une plus grande fréquence de ces difficultés chez les enfants dits à « haut potentiel » que chez les enfants témoins [123], d’autres indiquent que la fréquence des troubles comportementaux n’est pas plus élevée chez ces enfants [122].
Les facteurs familiaux jouent un rôle essentiel dans l’apparition et le maintien des troubles externalisés chez le jeune enfant. Le cercle familial est en effet le premier milieu de développement au sein duquel l’enfant fait son apprentissage social. Les parents sont les premiers partenaires à renforcer, valoriser ou décourager certains comportements. Par imitation et par réaction à des attitudes parentales, les comportements de l’enfant vont se modeler et s’ajuster à des patterns d’interactions familiales typiques. De ce fait, la qualité des relations parent-enfant étudiée à partir du concept d’attachement, de pratiques éducatives parentales et de sentiment de compétence parentale joueront un rôle important dans la dynamique comportementale de l’enfant [296].
La notion d’attachement repose sur la recherche de proximité avec le familier [264]. Elle est sous-tendue par l’attente de réconfort et conduite par une sorte de script mental (on parle à ce propos de « modèle interne opérant ») selon lequel la peur, la tristesse, l’expérience de stress peuvent être suivis d’un apaisement si l’on parvient à établir une certaine proximité avec des figures, des endroits, des objets ou des habitudes familiers [337].
Le processus à l’œuvre dans l’émergence et la persistance des troubles externalisés du comportement repose sur le rôle prépondérant de l’hyper-activation des signaux d’attachement. Voyons comment opère ce processus, illustré à partir d’exemples familiers. Lorsque l’enfant ressent du stress (suite à un bruit soudain) ou éprouve des émotions négatives (parce qu’il ne parvient pas à trouver le jeu qu’il cherche), son système d’exploration de l’environnement s’interrompt (l’enfant s’arrête de jouer avec ses blocs) pour lui permettre d’émettre des signaux à destination de ses figures d’attachement (il se met à pleurer – comportement aversif – ou à courir vers sa mère – comportement d’approche). Dans la plupart des situations, l’enfant fait une expérience de sécurité : la figure d’attachement perçoit les signaux (la mère entend l’enfant pleurer), les décode (la mère comprend que son enfant est en détresse et qu’il l’appelle) et y répond (la mère s’approche de l’enfant, tente de le réconforter et de solutionner le problème avec lui pour l’apaiser). Mais certains enfants font régulièrement des expériences insécurisantes. C’est le cas lorsque la figure d’attachement ne perçoit pas les signaux (elle est rarement physiquement proche de l’enfant, ou elle est préoccupée par d’autres choses et ne focalise pas son attention sur l’enfant, ou l’enfant émet des signaux peu perceptibles), lorsqu’elle ne les interprète pas correctement (elle considère les pleurs de l’enfant comme une marque de désamour ou elle considère le fait que l’enfant se précipite vers elle comme une agression, ou l’enfant émet des signaux très ambigus) et qu’elle n’y répond pas de manière adéquate (elle se détourne de l’enfant, elle ne réagit pas et poursuit ses propres activités ou elle se met en colère contre l’enfant). Ces situations entraînent un inconfort relationnel désigné comme « insécurité d’attachement ». Lorsque ces situations se répètent, elles amènent l’enfant à réagir soit en inhibant ses signaux (lorsqu’il ressent du stress ou des émotions négatives, il ne les communique plus sachant qu’aucune solution ne viendra de sa relation avec ses figures d’attachement), soit en les hyperactivant (en cas de stress ou d’émotions négatives, il émet des signaux exagérés pour forcer ses figures d’attachement à lui venir en aide).
Nous postulons que c’est en adoptant la voie de l’hyperactivation que l’enfant peut développer des comportements tels que l’agitation, l’impulsivité, l’instabilité émotionnelle et typiquement les colères. En effet, l’agitation motrice constitue un excellent moyen de signaler sa présence, de ne pas se laisser oublier ou de prendre beaucoup de place. L’impulsivité permet à l’enfant de demeurer au centre des préoccupations de l’adulte qui sait combien l’enfant peut se mettre en danger ou se montrer maladroit. Il en va de même pour l’instabilité émotionnelle qui maintient, quant à elle, le parent dans la position du corégulateur : l’enfant a besoin de la présence de l’adulte pour l’aider à réguler ses états émotionnels [288]. L’autonomisation n’est donc pas fonctionnelle pour ces enfants désireux de maintenir à tout prix la proximité avec les figures d’attachement. Une fois ces comportements adoptés, l’enfant va aussi faire l’expérience de leur efficacité. En effet, tant l’agitation que l’impulsivité ou l’instabilité émotionnelle vont lui permettre d’atteindre ses objectifs : amener ses figures d’attachement à percevoir ses signaux et à y répondre. Et même si les réponses de l’adulte ne sont pas toujours positives, l’enfant aura tout de même gagné l’attention qu’il recherche. Cette attention est toujours préférable à l’indifférence ou à l’absence d’interaction ! C’est ainsi que les comportements d’agitation, d’impulsivité et d’instabilité émotionnelle typiques de l’enfant vont se trouver intensifiés et renforcés dans un contexte relationnel inconfortable.
Plusieurs approches théoriques, comme le modèle transactionnel [314] ou les cascades développementales [210, 211, 302], suggèrent que les modes d’interaction appris dans un milieu de développement (ici dans le cadre familial) ont tendance à se généraliser à d’autres milieux. Ainsi, l’enfant qui a appris qu’il est nécessaire d’hyperactiver ses signaux pour que ses parents les perçoivent, les décodent et y répondent, considère par défaut que c’est de cette façon qu’il faut interagir. Il se comporte dès lors de manière agitée, impulsive et instable émotionnellement avec ses enseignants et ses pairs. De ce fait, l’enfant peut être stigmatisé dans le contexte scolaire ou subir le rejet. Cette exclusion sociale le conduit parfois à rechercher la compagnie d’autres enfants avec des comportements semblables aux siens. On est alors face à des bandes d’enfants dont les comportements externalisés se renforcent mutuellement.
Dans le cadre du programme « H2M », outre l’attachement insécure avec hyperactivation, nous avons été frappés par la fréquence des profils d’attachement désorganisé chez les enfants [112