Le bal - Irène Némirovsky - E-Book

Le bal E-Book

Irène Némirovsky

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Beschreibung

Le Bal décrit les tourments d'une adolescente de quatorze ans, Antoinette, qui entretient des rapports difficiles avec ses parents, parvenus de fraîche date, et spécialement avec sa mère. Celle-ci ayant refusé de la laisser assister au premier bal mondain qu'elle et son mari veulent donner, la jeune fille trouve à se venger cruellement. Aussi terrible qu'inattendue, la vengence d'Antoinette tombera comme un couperet, révélant le vrai visage de chacun. Roman fulgurant et initiatique sur l'enfance et ses tourments, Le Bal est l'un des premiers livres d'Irène Némirosky, disparue prématurément en déportation, en 1942. Irène Némirovsky a obtenu le Prix Renaudot 2004 pour son oeuvre posthume Suite française.
Édition intégrale avec table des matières interactive.

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Veröffentlichungsjahr: 2019

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Irène Némirovsky

LE BAL

© 2019 Éditions Synapses

Par le même auteur dans le catalogue Synapses :

David Golder

Jézabel

Les feux de l’automne

Les mouches d’automne

Les vierges et autres nouvelles

I

Mme Kampf entra dans la salle d’études en fermant si brus-quement la porte derrière elle que le lustre de cristal sonna, de toutes ses pendeloques agitées par le courant d’air, avec un bruit pur et léger de grelot. Mais Antoinette n’avait pas cessé de lire, courbée si bas sur son pupitre, qu’elle touchait la page des cheveux. Sa mère la considéra un moment sans parler ; puis elle vint se planter devant elle, les mains croisées sur sa poitrine.

– Tu pourrais, lui cria-t-elle, te déranger quand tu vois ta mère, mon enfant. Non ? Tu as le derrière collé sur ta chaise ? Comme c’est distingué… Où est miss Betty ?

Dans la pièce voisine, le bruit d’une machine à coudre rythmait une chanson, un What shall I do, what shall I do when you’ll be gone away… roucoulé d’une voix malhabile et fraîche.

– Miss, appela Mme Kampf, venez ici.

– Yes, Mrs Kampf.

La petite Anglaise, les joues rouges, les yeux effarés et doux, un chignon couleur de miel roulé autour de sa petite tête ronde, se glissa par la porte entrebâillée.

– Je vous ai engagée, commença sévèrement Mme Kampf, pour surveiller et instruire ma fille, n’est-ce pas ? et non pour vous coudre des robes… Est-ce qu’Antoinette ne sait pas qu’on se lève quand maman entre ?

– Oh ! Ann-toinette, how can you ? dit Miss avec une sorte de gazouillement attristé.

Antoinette se tenait debout à présent et se balançait gau-chement sur une jambe. C’était une longue et plate fillette de quatorze ans, avec la figure pâle de cet âge, si réduite de chair qu’elle apparaît, aux yeux des grandes personnes, comme une tache ronde et claire, sans traits, des paupières baissées, cernées, une petite bouche close… Quatorze ans, les seins qui poussent sous la robe étroite d’écolière, et qui blessent et gênent le corps faible, enfantin… les grands pieds et ces longues flûtes avec des mains rouges au bout, des doigts tachés d’encre, et qui deviendront un jour les plus beaux bras du monde, qui sait ?… une nuque fragile, des cheveux courts, sans couleur, secs et lé-gers…

– Tu comprends, Antoinette, que c’est à désespérer de tes manières à la fin, ma pauvre fille… Assieds-toi. Je vais entrer encore une fois, et tu me feras le plaisir de te lever immédiate-ment, tu entends ?

Mme Kampf recula de quelques pas et ouvrit une seconde fois la porte. Antoinette se dressa avec lenteur et une si évidente mauvaise grâce que sa mère demanda vivement en serrant les lèvres d’un air de menace :

– Ça vous gêne, par hasard, mademoiselle ?

– Non, maman, dit Antoinette à voix basse.

– Alors, pourquoi fais-tu cette figure ?

Antoinette sourit avec une sorte d’effort lâche et pénible qui déformait douloureusement ses traits. Par moments, elle haïssait tellement les grandes personnes qu’elle aurait voulu les tuer, les défigurer, ou bien crier : « Non, tu m’embêtes », en frappant du pied ; mais elle redoutait ses parents depuis sa toute petite enfance. Autrefois, quand Antoinette était plus petite, sa mère l’avait prise souvent sur ses genoux, contre son cœur, caressée et embrassée. Mais cela Antoinette l’avait oublié. Tandis qu’elle avait gardé au plus profond d’elle-même le son, les éclats d’une voix irritée passant par-dessus sa tête, « cette petite qui est toujours dans mes jambes… », « tu as encore taché ma robe avec tes sales souliers ! file au coin, ça t’apprendra, tu m’as entendue ? petite imbécile ! » et un jour… pour la première fois, ce jour-là elle avait désiré mourir… au coin d’une rue, pendant une scène, cette phrase emportée, criée si fort que des passants s’étaient retournés : « Tu veux une gifle ? Oui ? » et la brûlure d’un soufflet… En pleine rue… Elle avait onze ans, elle était grande pour son âge… Les passants, les grandes personnes, cela, ce n’était rien… Mais, au même instant, des garçons sortaient de l’école et ils avaient ri en la regardant : « Eh bien, ma vieille… » Oh ! ce ricanement qui la poursuivait tandis qu’elle marchait, la tête baissée, dans la rue noire d’automne… les lumières dansaient à travers ses larmes. « Tu n’as pas fini de pleurnicher ?… Oh, quel caractère !… Quand je te corrige, c’est pour ton bien, n’est-ce pas ? Ah ! et puis, ne recommence pas à m’énerver, je te conseille… » Sales gens… Et maintenant, encore, c’était exprès pour la tourmenter, la torturer, l’humilier, que, du matin au soir, on s’acharnait : « Comment est-ce que tu tiens ta fourchette ? » (devant le domestique, mon Dieu) et « tiens-toi droite. Au moins, n’aie pas l’air d’être bossue. » Elle avait quatorze ans, elle était une jeune fille, et, dans ses rêves, une femme aimée et belle… Des hommes la caressaient, l’admiraient, comme André Sperelli caresse Hélène et Marie, et Julien de Suberceaux, Maud de Rouvre dans les livres… L’amour… Elle tressaillit. Mme Kampf achevait :

– … Et si tu crois que je te paie une Anglaise pour avoir des manières comme ça, tu te trompes, ma petite…

Plus bas, tandis qu’elle relevait une mèche qui barrait le front de sa fille :

– Tu oublies toujours que nous sommes riches, à présent, Antoinette…, dit-elle.

Elle se tourna vers l’Anglaise :

– Miss, j’aurai beaucoup de commissions pour vous cette semaine… je donne un bal le 15…

– Un bal, murmura Antoinette en ouvrant de grands yeux.

– Mais oui, dit Mme Kampf en souriant, un bal…

Elle regarda Antoinette avec une expression d’orgueil, puis elle désigna l’Anglaise à la dérobée d’un froncement de sourcils.

– Tu ne lui as rien dit, au moins ?

– Non, maman, non, dit vivement Antoinette.