Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Abandonné par ses parents à la suite de leur arrestation par la police, Ali est pris en charge par un militaire en permission. Cet homme lui offrira l’hospitalité et lui donnera une identité de substitution afin qu’il puisse construire une nouvelle existence dans un univers en plein bouleversement. Le jeune garçon traversera cette période des Trente Glorieuses avec passion et engagement. Ainsi, ne se considérant pas comme une victime, il saisira chaque épisode de sa vie, telle une opportunité, pour vivre son époque jusqu’à son dernier souffle.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Pour faire face à son nouveau handicap,
Alain Nourisson se réfugie dans l’écriture. Autodidacte, il applique les techniques artistiques du modelage, couche par couche ou simplement phrase par phrase.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 222
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Alain Nourisson
Le chêne d’Ali
L’usurpateur
Roman
© Lys Bleu Éditions – Alain Nourisson
ISBN : 979-10-377-5791-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Avertissement
Ce récit est une fiction et toute ressemblance des personnages avec des personnes ayant existé ne serait que pure coïncidence.
Seuls les dates et évènements historiques contenus dans le texte ont fait l’objet de recherches documentaires, vérifiés avant d’y être intégrés pour construire le fil conducteur du récit à partir de notre histoire contemporaine récente qui a marqué toute mon enfance et ma jeunesse…
Après une longue traversée de la mer Méditerranée sur une frégate de l’armée et un trajet en train de Marseille à Paris où il put rejoindre enfin son dernier train à la gare d’Austerlitz via un trajet risqué en métro, Roger Mangefil prit place dans son compartiment réservé, au moment où un couple avec un enfant s’y installait.
Quelques minutes plus tard, deux policiers s’y invitèrent en demandant les pièces d’identité de chacun. Roger présenta ses papiers militaires et reçut un salut militaire de respect, alors que les deux autres passagers furent invités à les suivre, en laissant leur jeune enfant avec leurs bagages à la garde bienveillante de Roger, ce qui ne manqua pas de l’indisposer, mais ce qu’il accepta volontiers…
Ne voyant personne revenir, Roger s’adressa à l’enfant et lui demanda son prénom :
« Je m’appelle Ali et toi ?
— Roger, mais dis-moi, qu’ont fait tes parents pour être emmenés par la police ?
— Mais ils sont souvent contrôlés pour rien dans la rue, je ne sais pas pourquoi. »
Roger n’est pas étonné, car tous les Magrébins sont soupçonnés de terrorisme à cette époque, alors que les Algériens qu’il vient de quitter à Alger l’ont toujours accueilli avec bienveillance…
« Mais, dis-moi Ali, est-ce que tu es Français ? Ou Algérien ?
— Je ne sais pas, car je suis né à Paris, mais là mon père nous ramène chez lui en Algérie, chez ses parents.
— Quel âge as-tu ?
— J’ai 8 ans ; et toi, tu vas où ?
— Je rentre chez moi, en Touraine, je vais retrouver mes parents à la ferme pour les aider à faire la moisson. »
Le train roule maintenant vers la Touraine sans que le petit Ali endormi, la tête posée sur un sac en cuir, ait revu ses parents…
Roger regardait par la fenêtre défiler les champs de blé bien mûrs dans la plaine de La Beauce traversée par le train, des blés qui n’attendaient qu’à être fauchés ; il se projetait déjà en rêve sur la moissonneuse-lieuse tirée par les chevaux, laissant tomber les gerbes de blé sur le sol, que son père et sa mère empilaient soigneusement, les épis dressés vers le ciel sous le soleil d’été du mois de juillet…
C’était bon de rentrer chez soi et de quitter les horreurs de cette guerre d’Algérie, qui ne laissait sur le sol que des corps ensanglantés et des bâtiments en ruines…
En tant que guerre d’indépendance et de décolonisation, la guerre d’Algérie opposait des nationalistes algériens, principalement réunis sous la bannière du Front de Libération Nationale (FLN), aux forces armées de la métropole. Elle avait lieu principalement sur le territoire de l’Algérie française, avec également des répercussions en France métropolitaine par des actes de terrorisme et de meurtres et règlements de comptes entre communautés…
Combien de morts inutiles ? pensait Roger. Qu’est-ce qu’on était allé faire sur cette terre algérienne ? Et ce peuple algérien si accueillant, qui vous ouvrait les bras et leur porte en toute confiance, il vous offrait le thé, mais pourquoi se faisaient-ils la guerre entre frères ?
Une colère sourde et un goût amer et acide montait aux bords des lèvres de Roger…
En regardant le petit Ali, assis face à lui, avec ses beaux cheveux noirs bouclés, sa peau bronzée et ses yeux pétillants, Roger pensait avec dégoût à tous ces enfants, que des camions militaires avaient écrasés sur le sol d’Alger sans s’arrêter, ou pire à ceux qui avaient été égorgés avec leurs familles par d’autres Algériens fanatiques. Pourquoi tant de haine entre eux ? Quelle horreur cette guerre !
Il commençait aussi à comprendre la détresse et la peur des Algériens à l’approche des soldats français qui, pensait-il, n’étaient là que pour maintenir l’ordre et leur sécurité ; c’était ce pour quoi il avait accepté sa mission de surveillance et d’espionnage au sein d’un service spécialisé de l’armée française…
Même si l’envie de déserter le titillait un peu plus chaque jour face à toutes ces horreurs, c’était non ! Roger était trop fier d’accomplir son devoir de citoyen en effectuant son service militaire obligatoire en tant que sous-officier de l’armée française au service d’un peuple qu’il admirait et aimait…
Ses pensées allèrent alors vers son filleul mort au printemps dernier de la grippe qui avait fait plus de cent mille morts en cette année 1957 en France. Une larme coula doucement sur sa joue et il regarda alors le petit Ali avec tendresse, son neveu aurait eu le même âge que lui aujourd’hui.
Ali était bien vivant, plein d’énergie et d’humour ; Roger avait alors senti au plus profond de lui le devoir de le protéger, oui, mais de quoi et de qui ? Son statut de militaire gradé le protégerait tant qu’il serait à ses côtés, mais ensuite, il devrait trouver une solution et vite, ou retrouver sa famille, car ses parents n’avaient pas pu l’oublier, ce qu’il affirmait d’ailleurs à Ali, une maman n’abandonnerait jamais son enfant, cela rassurait un peu le petit garçon…
Un contrôleur était venu vérifier son ticket de transport et avait demandé celui du petit garçon. Roger avait alors compris que ses parents avaient oublié de le lui donner. Il se tourna vers le contrôleur et lui dit :
« Quelle tête en l’air, il a encore dû le perdre, mais il est avec moi, affirma Roger en montrant ses papiers militaires.
— Excusez-moi, avait dit le contrôleur en se retirant et en saluant Roger avec respect. Son statut de gradé des forces spéciales était un atout pour protéger Ali pour le voyage…
— Ouf ! j’ai eu de la chance, cette fois, merci, Roger, mais où sont passés mes parents ? demanda Ali en pleurant… »
Roger s’était alors précipité dans le couloir pour rattraper le contrôleur et lui demander s’il avait vu les policiers embarquer un couple à la gare d’Austerlitz.
Le contrôleur lui avait dit que oui et que la police avait bien embarqué plusieurs militants du FLN avant le départ, comme à chaque départ, précisa-t-il. Mais de nombreux Parisiens d’origine algérienne et cultivés fuyaient seulement les violences de la capitale pour les provinces françaises…
L’Algérie avait été une colonie française conquise progressivement et assez violemment. Ce territoire, alors marqué par des inégalités économiques, avait une place singulière par rapport aux autres colonies françaises…
L’Algérie était davantage liée à la métropole. Il existait une réelle interdépendance entre les deux territoires, que seule la mer Méditerranée séparait et liait en même temps.
À partir de 1954, la violence apparaît en Algérie. Le nationalisme algérien se radicalisa car les indépendantistes percevaient dans la défaite de la France en Indochine une opportunité de lutter contre la France. Le 1er novembre 1954, les attentats de la « Toussaint rouge » contre la France marquèrent le début la guerre d’Algérie…
La guerre d’Algérie avait été surnommée la « sale guerre » en raison de sa cruauté et de son extrême violence…
Le FLN, créé en octobre 1954, voulait obtenir de la France l’indépendance de l’Algérie, alors divisée en départements français, car le territoire de l’Algérie était plus grand que la métropole avec son immense et riche désert au sud.
Le FLN et sa branche armée, l’Armée de Libération Nationale (ALN), commencèrent alors une lutte armée contre l’empire colonial français.
De 1954 à 1962, les combats opposant l’armée française aux insurgés et révolutionnaires algériens se concentrèrent dans l’Algérie dite utile, sur une bande côtière de 200 à 300 kilomètres de largeur le long de la méditerranée où se concentraient les grandes villes et les ports des départements français d’Algérie.
Au cours des premiers mois de l’insurrection, les actes terroristes avaient surtout lieu dans la moitié orientale du pays, en particulier dans le Nord-Constantinois…
Après l’indépendance du Maroc, l’organisation nationaliste algérienne installa ses bases du côté marocain de la frontière algérienne.
En 1956, les chefs nationalistes uniformisèrent le quadrillage du territoire en créant six wilayas et la « zone autonome d’Alger », qui sera démantelée par les paras de Massu…
L’armée française réagissait en imposant sa propre organisation territoriale, elle ferma les frontières par des barrages à l’est et à l’ouest pour isoler l’Armée de Libération Nationale (ALN)…
Des militants du FLN quittaient la France régulièrement via l’Espagne et le Maroc pour aller rejoindre et retrouver un pays bientôt indépendant, leur liberté retrouvée et leurs familles en Algérie, ils partaient souvent en famille comme les parents d’Ali, pour limiter tous les soupçons de terrorisme qui pesaient sur toute la communauté algérienne en France…
Ils empruntaient alors un train plus sûr via Tours, Bordeaux et Hendaye puis ils rejoignaient le Maroc par bateau via le sud de l’Espagne, plus sûr que les ports de Marseille et Toulon étroitement surveillés, car ils servaient de point de départ, et de retour des militaires français mobilisés en Afrique du Nord…
Roger réalisa qu’il s’était trouvé nez à nez avec deux militants du FLN et que ces derniers lui avaient confié la surveillance de leur fils.
Un certain embarras avait alors envahi Roger qui se demandait ce qu’il pouvait faire de cet enfant dont les parents avaient finalement été arrêtés par la police…
Mais ce dont il fut sûr à cet instant, c’était qu’il ne pouvait pas l’abandonner lâchement en gare de Tours. Il s’engagea donc à le protéger comme son propre fils. Il y voyait un clin d’œil du destin, lui qui avait sans doute commis ou participé à quelques crimes, sous couvert de son statut militaire en Algérie…
Sa décision fut prise. Ali allait venir avec lui chez ses parents à la campagne et quoi que ces derniers en penseraient, il se fixa comme mission de protéger cet enfant abandonné dans la tourmente de cette sale guerre inutile, car à ses yeux, les Algériens étaient majeurs et ils méritaient bien leur autonomie et leur indépendance politique et économique, compte tenu des richesses que possédait leur territoire et de l’héritage colonial en infrastructures construites avec l’aide de la France…
Arrivé en gare de Tours, en montrant ses papiers militaires, Roger franchit tous les barrages de police, en se faisant saluer avec respect. Ali le suivait confiant et silencieux en lui tenant la main, Ali était devenu son neveu de circonstance avec qui il venait passer quelques jours de vacances en toute sécurité à la campagne, loin de la capitale où se perpétraient, chaque jour, des attentats sanglants à cette époque…
C’était le début des vacances scolaires d’été car nous étions début juillet…
Comme Ali devait certainement aller à l’école, car il avait 8 ans, il était de grande taille et il parlait avec aisance, Ali était un garçon maigre, élancé, vif, sûr de lui, intelligent et plein d’énergie et Ali s’exprimait très facilement sans accent…
En plus de l’enfant, Roger s’était aussi chargé du très beau sac de voyage en cuir abandonné par les parents d’Ali qui pesait très lourd et Roger se demanda bien ce qu’il devait contenir pour avoir un tel poids, peut-être une bombe, mais c’était impossible, car personne n’oserait confier une bombe à un enfant, mais il devrait vérifier cela rapidement…
Tous les deux prirent un car qui les conduisit en pleine campagne, dans la gâtine tourangelle que Roger reconnut au premier coup d’œil par son bocage, ses haies bordant les prés, ses bois, et ses champs cultivés ou couverts de blé mûr…
La Gâtine tourangelle était une région naturelle de France située au nord du département d’Indre-et-Loire et à l’ouest du département du Loir-et-Cher, entre le Loir et la Loire. La Gâtine de Touraine était constituée de plateaux séparés par des vallées souvent étroites.
Au Moyen Âge, cette région, entre la « campagne » de Mettray au nord de Tours et la vallée du Loir, était un territoire recouvert par la Forêt de Gastines. Ce « pays de gâtine » où la forêt fut défrichée à partir du XIe siècle par des moines avait peu à peu fait place aux landes et friches, mais elle ne fut réellement valorisée qu’au cours du XIXe siècle. C’est là que Roger avait vécu toute son enfance, dans une ferme appartenant à un comte local…
Le car traversa enfin son village natal.
Le village natal de Roger s’inscrivait au cœur d’un paysage vallonné où les coteaux plantés de vergers de pommiers alternaient avec les forêts giboyeuses, les champs cultivés et les prés entourés de haies. Malgré sa taille modeste, le bourg possédait une somptueuse collégiale érigée au Moyen Âge. Plusieurs maisons anciennes et un ancien lavoir construit en moellons de calcaire et en briques ajoutaient un certain charme au village. Il reconnut l’école, la mairie, l’église, la boucherie, la poste, l’épicerie - droguerie, la boulangerie, l’atelier du maréchal-ferrant et la menuiserie… Tous ces petits commerçants et artisans ruraux vivaient à la campagne grâce à l’agriculture, la principale activité économique du village et du pays à l’époque. Il y avait aussi de nombreux marchands ambulants qui venaient de la ville la plus proche pour proposer et vendre leurs différentes marchandises de ferme en ferme. Avec les tournées du facteur et du boulanger, cela agrémentait le quotidien des paysans qui pouvaient un instant, relever la tête de leur champ, dépenser quelques sous et avoir des nouvelles que les marchands ne manquaient jamais de colporter…
Depuis la fin de la guerre, de nouveaux marchands assidus se présentaient régulièrement, comme conseillers ou techniciens agricoles, dans les fermes pour y vendre leurs produits phytosanitaires et matériels agricoles.
Les nouvelles semences ; engrais et autres pesticides avaient déjà beaucoup de succès chez certains agriculteurs qui se modernisaient pour faire comme les Américains sur les conseils de ces vendeurs spéciaux…
La ferme traditionnelle était encore peu mécanisée et peu productive, la plupart des travaux se faisaient encore à la main. La surface de travail était liée à la capacité de travail avec les animaux et des hommes. L’animal était à la fois un outil, un compagnon, un produit et il apportait aussi la fumure des champs. Même si les chevaux avaient progressivement remplacé les bœufs, ces derniers restaient encore présents chez certains paysans…
Roger respirait à pleins poumons l’odeur de la campagne, avec ce sentiment de bien-être, heureux d’arriver enfin chez lui.
Après plusieurs kilomètres, il avait fait stopper le car en pleine campagne après un petit bois, celui des bois noirs, au bout d’un chemin de terre bordé d’une rangée d’arbres fruitiers, que Roger avait reconnu immédiatement et qui les conduisait à la ferme de ses parents et de son enfance…
Roger était enfin de retour chez lui, rassuré et bien vivant, bronzé, mal rasé, lourdement chargé de bagages, mais surtout accompagné d’un enfant inconnu qui le suivait sans rechigner, en confiance, le képi de Roger posé sur la tête…
Sur la droite, le chemin enherbé en son centre était bordé d’un champ de betteraves, suivi d’une parcelle remplie de citrouilles et de courges, toutes assoiffées, puis venait le verger et la vigne qui semblaient bien garnis de fruits cette année, les grappes de raisin étaient belles, les pommes semblaient en nombre suffisant, les pruniers chargés des dernières prunes qui tardaient à mûrir.
Le potager venait ensuite et montrait ses rangs bien droits, garnis de salades, artichauts, haricots, cardes et autres légumes appétissants. De magnifiques tomates rouges attendaient d’être cueillies.
Seules les pommes de terre semblaient souffrir de la chaleur d’été et il faudrait bientôt les arracher, car elles étaient arrivées à maturité.
Un chien aboya, Roger le reconnut immédiatement, c’était son chien qui devait s’agiter déjà depuis plusieurs heures déjà, sentant son maître tout proche…
C’était un phénomène étonnant que tout propriétaire de chien pouvait observer, l’instinct qui poussait l’animal à prévenir de l’arrivée de son maître en s’agitant, voire en allant au-devant de lui dans les heures qui précédaient son retour, comme si un lien invisible leur permettait de communiquer entre eux à distance…
Roger était heureux de constater qu’il n’avait rien oublié de ses réflexes de paysan qui savait humer la terre, surveiller la maturité des récoltes et suivre la météo ; les travaux qui l’attendaient lui faisaient chaud au cœur, car il aimait se sentir vivre en harmonie avec la nature, l’odeur des plantes, du foin que l’on coupe et celle des animaux, de la terre qu’on laboure, la couleur des blés et le goût des fruits, le doux toucher des animaux, le meuglement des vaches, le chant du coq chaque matin et le caquètement des poules et des pintades dans le poulailler toute la journée ; ici, il se sentait bien dans sa peau…
Mais ce que Roger préférait, c’étaient les bruits de la nuit, quand tout le monde dormait. Là, une chouette qui hululait, s’envolait et partait en chasse, au loin on entendait le glapissement d’un renard qui s’approchait du poulailler sans se méfier du chien qui montait la garde et que Roger envoyait d’un geste de la main vers lui.
Seul le vol aléatoire des chauves-souris gardait quelque chose de mystérieux dans la nuit. Malgré les explications de son ancien instituteur, Roger n’avait toujours pas compris comment elles pouvaient s’orienter dans le noir profond et réussir à capturer des insectes. Curieux de nature, il allait encore devoir chercher des informations avant de comprendre le mystère intrigant du vol aléatoire des chauves-souris…
Chaque été, lorsque l’air de la nuit était plus frais, Roger aimait sortir et regarder la voûte étoilée du ciel, mais le spectacle qu’il préférait, c’étaient les soirs d’orage lorsque le ciel s’illuminait de tous côtés en découpant des formes de nuages extraordinaires, et là, tout à coup, un éclair cisaillait le ciel, avant que le grondement du tonnerre ne le ramène à la réalité de la nuit et l’oblige à s’abriter…
Les soirs d’été viendraient bientôt s’égayer du spectacle des pluies d’étoiles filantes début août, comme chaque année… C’était bon d’être de retour vivant, sur ses terres, à la campagne, loin de l’horreur de la guerre, où seuls les tirs d’obus et les explosions des bombes illuminaient la nuit…
Cette année serait particulière, car Roger comptait bien faire découvrir toutes ces merveilles mystérieuses de la nature, autour de la ferme, au petit Ali.
De loin, Roger aperçut son chien, un magnifique Beauceron noir avec des poils roux sous le ventre et sur les pattes, avec sa mère Eugénie, qui accourait vers lui, en laissant tomber sur le chemin un sac en toile de jute rempli d’herbe fraîche qu’elle venait de couper pour ses lapins…
Le chien plus rapide se jeta sur Roger, le renifla et se laissa caresser…
Ali s’était un peu écarté, avant lui aussi, de devoir subir les assauts amicaux du chien, qui lui faisait un peu peur, avec ses coups de langue sur les joues…
Malgré son enthousiasme et sa curiosité d’arriver dans un univers inconnu, Ali réalisait à cet instant qu’une nouvelle vie inconnue s’ouvrait à lui…
Roger posa les bagages et se précipita dans les bras de sa mère qu’il adorait. Alors qu’ils n’en finissaient pas de s’embrasser, elle découvrit Ali et interrogea son fils. Roger lui expliqua en deux mots la présence de ce petit garçon à ses côtés et elle se précipita alors vers lui pour l’embrasser à son tour avec tendresse, et l’éloigner du chien…
Ali ressentit alors un réconfort et une sécurité qui le rassurèrent, un instant, sur son sort d’enfant abandonné, perdu dans ce monde inconnu. Il venait de rencontrer une grand-mère chaleureuse, comme celle dont il avait toujours rêvé, en écoutant son père lui parler de sa propre mère. Les joues fraîches et humides de larmes de cette femme avaient quelque chose de réconfortant pour lui…
« Venez vite à la maison, vous devez avoir faim. »
Eugénie se mit alors à crier :
— Venez vite ! Eugénie appela du plus fort que sa voix pouvait porter : Roger est de retour !
Lucien, le père, se précipita à son tour vers eux suivi des deux sœurs de Roger, l’aînée Renée et Nicole, la petite dernière qui venait d’avoir son baccalauréat, avec mention bien, « cela se fêtait », lui dit Roger. Ce n’étaient qu’embrassades et paroles ininterrompues, ils voulaient tout savoir, tout comprendre…
Enfin, ils étaient arrivés à la maison, après avoir traversé la grande cour vide de la ferme et s’être lavé les mains et le visage à l’eau fraîche du puits situé au milieu de la cour, à l’ombre d’un tilleul, dont les fleurs tardives embaumaient encore de leur doux parfum apaisant.
Enfin, chacun prenait place sur les bancs de bois, autour de la grande table en bois de chêne, qui trônait au milieu de la grande pièce à vivre, devant la grande cheminée, où dans cette dernière, on trouvait une marmite et un chaudron vides ainsi que des pinces à feu, tisonniers et quelques morceaux de bois sec ; sur la gauche, dans la cheminée, on découvrait un jambon et quelques saucissons suspendus en train de sécher…
À la droite de la cheminée, on apercevait, sur la cuisinière au feu de bois, une grande cafetière qui attendait à côté d’une bouilloire fumante qu’on la saisisse enfin…
À la gauche de la cheminée, coincé entre le mur et un buffet deux corps en bois de noyer nervuré, avec un vaisselier rempli d’assiettes, on trouvait un grand lit, celui que les parents occupaient chaque hiver, afin d’entretenir le feu les nuits froides d’hiver et maintenir un peu de chaleur dans cette grande maison mal isolée dont les portes et les fenêtres laissaient passer les courants d’air et sûrement les insectes et les souris, à la recherche des quelques miettes tombées sur le sol en tomettes de terre cuite rouge…
Entre la cuisinière et la porte d’entrée, on trouvait une grande fenêtre donnant sur la grande cour.
Sous la fenêtre, un large évier de pierre occupait toute la largeur, sa vidange coulait directement dans la cour par un tuyau de terre cuite et les eaux usées allaient se perdre ensuite dans une rigole mal odorante où pataugeaient les canards dans la cour ; sur l’évier, on trouvait une cuvette, ainsi qu’un seau en acier galvanisé gris rempli d’eau fraîche que l’on puisait à l’aide d’une petite casserole accrochée par une chaînette à son anse… Sous l’évier, un placard avait été agencé pour y stocker quelques bassines, les lessives, savons et autres ustensiles utiles à la vaisselle et à la lessive…
La pièce était sombre et mal éclairée, il fallait donc laisser la porte d’entrée grande ouverte pour y voir clair, une lampe à pétrole était accrochée à la poutre maîtresse du plafond à laquelle étaient aussi suspendus un jambon entamé et une ampoule électrique toute neuve ; l’électricité venait d’être installée dans la ferme, ce qui réjouissait Roger adepte de modernisme…
Renée était allée, dans l’arrière-cuisine, chercher un bon pain de campagne encore frais, dans lequel, elle coupa deux grandes tartines sur lesquelles elle étala une bonne couche de fromage de chèvre frais. Un régal pour nos deux voyageurs affamés, Roger retrouva dans le fromage, l’odeur de l’herbe fraîche broutée par les chèvres, la croûte du pain frais craqua sous ses dents…
Nicole apporta à son tour deux belles poires cueillies du matin dans le verger qui jouxtait la maison avec deux belles poignées de raisins secs venant de la treille, qui parcourait la façade sud de la maison de bout en bout…
Roger respira un grand coup, enfin, il se sentait bien et il se mit alors à raconter les dernières heures de son voyage en train et la raison de la présence du petit garçon avec lui, que ses deux sœurs entouraient déjà de leurs soins et bonnes attentions…
Lucien, le père, en bon patriarche, s’interrogea tout haut sur la meilleure attitude à adopter : devait-on confier l’enfant aux gendarmes ? Mais ces derniers le placeraient immédiatement dans le foyer de Meslay dont on connaissait la mauvaise réputation en Touraine…
Tous, unanimement décidèrent de garder l’enfant à la ferme en le faisant passer pour leur petit fils en vacances…
Ali avait l’âge qu’aurait eu le petit Albert, si celui-ci n’était pas décédé au printemps dernier.
Nicole était ravie et proposa donc qu’Ali s’appelât désormais Albert.
Même si cette décision semblait convenir à tout le monde, Ali ne comprenait pas trop ce qui se passait et il s’était endormi sur ses bras appuyés sur la table en pensant à ses parents, qui l’avaient oublié.
Albert, le désormais neveu, filleul et protégé de Roger fut alors transporté dans la grande chambre des filles et la discussion put continuer loin de ses oreilles…
Peu après, la grand-mère prit un air triste et raconta à son fils le drame du petit Albert qui n’avait pas pu être soigné ni enterré au cimetière à cause de cette sale guerre qui avait mobilisé le médecin, le maire, l’instituteur ainsi que le secrétaire de mairie et le curé…
Le corps de l’enfant avait donc été inhumé au fond du jardin sous un jeune buis planté après la bénédiction des rameaux ; cela avait eu lieu avant Pâques et depuis, aucun enregistrement du décès n’avait pu être effectué à la mairie.
Donc pour tout le monde, Albert était toujours vivant ce qui permettait à ses parents de continuer à percevoir les prestations familiales en attendant la naissance d’un quatrième enfant prévue en début d’année 1958…
Donc Albert, pour tout le monde, était bien en vacances chez ses grands-parents. Et cela fut bien ainsi…