Le Colonel Chabert - Honoré de Balzac - E-Book

Le Colonel Chabert E-Book

Honore de Balzac

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Beschreibung

Une édition de référence du Colonel Chabert de Honoré de Balzac, spécialement conçue pour la lecture sur les supports numériques.

« Les mains étaient étendues vers la mère, et les deux voix enfantines se mêlaient. Ce fut un tableau soudain et délicieux !

– Pauvres enfants ! s’écria la comtesse en ne retenant plus ses larmes, il faudra les quitter, à qui le jugement les donnera-t-il ? On ne partage pas un cœur de mère, je les veux, moi !

– Est-ce vous qui faites pleurer maman ? dit Jules en jetant un regard de colère au colonel.
– Taisez-vous, Jules ! s’écria la mère d’un air impérieux.

Les deux enfants restèrent debout et silencieux, examinant leur mère et l’étranger avec une curiosité qu’il est impossible d’exprimer par des paroles. »
(Extrait de la Deuxième partie.)

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Le plus grand soin a été apporté à la mise au point de ce livre numérique de la collection Candide & Cyrano, afin d’assurer une qualité éditoriale et un confort de lecture optimaux.

Malgré ce souci constant, il se peut que subsistent d’éventuelles coquilles ou erreurs. Les éditeurs seraient infiniment reconnaissants envers leurs lectrices et lecteurs attentifs s’ils avaient l’amabilité de signaler ces imperfections à l’adresse [email protected].

Le Colonel Chabert

Honoré de Balzac

À madame la comtesse Ida de Bocarmé,née du Chasteler.

I Une étude d’avoué

– Allons ! encore notre vieux carrick !

Cette exclamation échappait à un clerc appartenant au genre de ceux qu’on appelle dans les études des saute-ruisseaux, et qui mordait en ce moment de fort bon appétit dans un morceau de pain ; il arracha un peu de mie pour faire une boulette qu’il lança railleusement par le vasistas d’une fenêtre sur laquelle il s’appuyait. Bien dirigée, la boulette rebondit presque à la hauteur de la croisée, après avoir frappé le chapeau d’un inconnu qui traversait la cour d’une maison située rue Vivienne, où demeurait maître Derville, avoué.

– Allons, Simonnin, ne faites donc pas de sottises aux gens, ou je vous mets à la porte. Quelque pauvre que soit un client, c’est toujours un homme, que diable ! dit le premier clerc en interrompant l’addition d’un mémoire de frais.

Le saute-ruisseau est généralement, comme était Simonnin, un garçon de treize à quatorze ans, qui dans toutes les études se trouve sous la domination spéciale du principal clerc, dont les commissions et les billets doux l’occupent tout en allant porter des exploits chez les huissiers et les placets au Palais. Il tient au gamin de Paris par ses mœurs, et à la chicane par sa destinée. Cet enfant est presque toujours sans pitié, sans frein, indisciplinable, faiseur de couplets, goguenard, avide et paresseux. Néanmoins presque tous les petits clercs ont une vieille mère logée à un cinquième étage avec laquelle ils partagent les trente ou quarante francs qui leur sont alloués par mois.

– Si c’est un homme, pourquoi l’appelez-vous vieux carrick ? dit Simonnin de l’air de l’écolier qui prend son maître en faute.

Et il se remit à manger son pain et son fromage en accotant son épaule sur le montant de la fenêtre, car il se reposait debout, ainsi que les chevaux de coucou, l’une de ses jambes relevée et appuyée contre l’autre, sur le bout du soulier.

– Quel tour pourrions-nous jouer à ce chinois-là ? dit à voix basse le troisième clerc nommé Godeschal en s’arrêtant au milieu d’un raisonnement qu’il engendrait dans une requête grossoyée par le quatrième clerc, et dont les copies étaient faites par deux néophytes venus de province.

Puis il continua son improvisation :

– ... Mais, dans sa noble et bienveillante sagesse, Sa Majesté Louis Dix-huit (mettez en toutes lettres, hé ! monsieur le savant qui faites la grosse !), au moment où il reprit les rênes de son royaume, comprit... (qu’est-ce qu’il comprit, ce gros farceur-là ?) la haute mission à laquelle il était appelé par la divine Providence!...... (point admiratif et six points : on est assez religieux au Palais pour nous les passer), et sa première pensée fût, ainsi que le prouve la date de l’ordonnance ci-dessous désignée, de réparer les infortunes causées par les affreux et tristes désastres de nos temps révolutionnaires, en restituant à ses fidèles et nombreux serviteurs (nombreux est une flatterie qui doit plaire au tribunal) tous leurs biens non vendus, soit qu’ils se trouvassent dans le domaine public, soit qu’ils se trouvassent dans le domaine ordinaire ou extraordinaire de la couronne, soit enfin qu’ils se trouvassent dans les dotations d’établissements publics, car nous sommes et nous nous prétendons habiles à soutenir que tel est l’esprit et le sens de la fameuse et si loyale ordonnance rendue en...  – Attendez, dit Godeschal aux trois clercs, cette scélérate de phrase a rempli la fin de ma page.  – Eh bien, reprit-il en mouillant de sa langue le dos du cahier afin de pouvoir tourner la page épaisse de son papier timbré, eh bien, si vous voulez lui faire une farce, il faut lui dire que le patron ne peut parler à ses clients qu’entre deux et trois heures du matin : nous verrons s’il viendra, le vieux malfaiteur !

Et Godeschal reprit la phrase commencée :

– Rendue en... Y êtes-vous ? demanda-t-il.

– Oui, crièrent les trois copistes.

Tout marchait à la fois, la requête, la causerie et la conspiration.

– Rendue en... Hein ? papa Boucard, quelle est la date de l’ordonnance ? il faut mettre les points sur les i, saquerlotte ! Cela fait des pages.

– Saquerlotte! répéta l’un des copistes avant que Boucard le maître clerc n’eût répondu.

– Comment, vous avez écrit saquerlotte? s’écria Godeschal en regardant l’un des nouveaux venus d’un air à la fois sévère et goguenard.

– Mais oui, dit le quatrième clerc en se penchant sur la copie de son voisin, il a écrit : Il faut mettre les points sur les i, et sakerlotte avec un k.

Tous les clercs partirent d’un grand éclat de rire.

– Comment ! monsieur Huré, vous prenez saquerlotte pour un terme de droit, et vous dites que vous êtes de Mortagne ! s’écria Simonnin.

– Effacez bien ça ! dit le principal clerc. Si le juge chargé de taxer le dossier voyait des choses pareilles, il dirait qu’on se moque de la barbouillée! Vous causeriez des désagréments au patron. Allons, ne faites plus de ces bêtises-là, monsieur Huré ! Un Normand ne doit pas écrire insouciamment une requête. C’est le Portez arme! de la basoche.

– Rendue en... en ?... demanda Godeschal. Dites-moi donc, quand, Boucard ?

– Juin 1814, répondit le premier clerc sans quitter son travail.

Un coup frappé à la porte de l’étude interrompit la phrase de la prolixe requête. Cinq clercs bien endentés, aux yeux vifs et railleurs, aux têtes crépues, levèrent le nez vers la porte, après avoir tous crié d’une voix de chantre :

– Entrez.

Boucard resta la face ensevelie dans un monceau d’actes, nommés broutille en style de Palais, et continua de dresser le mémoire de frais auquel il travaillait.

L’étude était une grande pièce ornée du poêle classique qui garnit tous les antres de la chicane. Les tuyaux traversaient diagonalement la chambre et rejoignaient une cheminée condamnée sur le marbre de laquelle se voyaient divers morceaux de pain, des triangles de fromage de Brie, des côtelettes de porc frais, des verres, des bouteilles, et la tasse de chocolat du maître clerc. L’odeur de ces comestibles s’amalgamait si bien avec la puanteur du poêle chauffé sans mesure, avec le parfum particulier aux bureaux et aux paperasses, que la puanteur d’un renard n’y aurait pas été sensible. Le plancher était déjà couvert de fange et de neige apportée par les clercs. Près de la fenêtre se trouvait le secrétaire à cylindre du principal, et auquel était adossée la petite table destinée au second clerc. Le second faisait en ce moment le Palais. Il pouvait être de huit à neuf heures du matin. L’étude avait pour tout ornement ces grandes affiches jaunes qui annoncent des saisies immobilières, des ventes, des licitations entre majeurs et mineurs, des adjudications définitives ou préparatoires, la gloire des études ! Derrière le maître clerc était un énorme casier qui garnissait le mur du haut en bas, et dont chaque compartiment était bourré de liasses d’où pendaient un nombre infini d’étiquettes et de bouts de fil rouge qui donnent une physionomie spéciale aux dossiers de procédure. Les rangs inférieurs du casier étaient pleins de cartons jaunis par l’usage, bordés de papier bleu, et sur lesquels se lisaient les noms des gros clients dont les affaires juteuses se cuisinaient en ce moment. Les sales vitres de la croisée laissaient passer peu de jour. D’ailleurs, au mois de février, il existe à Paris très peu d’études où l’on puisse écrire sans le secours d’une lampe avant dix heures, car elles sont toutes l’objet d’une négligence assez concevable : tout le monde y va, personne n’y reste, aucun intérêt personnel ne s’attache à ce qui est si banal ; ni l’avoué, ni les plaideurs, ni les clercs ne tiennent à l’élégance d’un endroit qui pour les uns est une classe, pour les autres un passage, pour le maître un laboratoire. Le mobilier crasseux se transmet d’avoué en avoué avec un scrupule si religieux que certaines études possèdent encore des boîtes à résidus, des moules à tirets, des sacs provenant des procureurs au Chlet, abréviation du mot Chatelet, juridiction, qui représentait dans l’ancien ordre de choses le tribunal de première instance actuel. Cette étude obscure, grasse de poussière, avait donc, comme toutes les autres, quelque chose de repoussant pour les plaideurs, et qui en faisait une des plus hideuses monstruosités parisiennes. Certes, si les sacristies humides où les prières se pèsent et se payent comme des épices, si les magasins des revendeuses où flottent des guenilles qui flétrissent toutes les illusions de la vie en nous montrant où aboutissent nos fêtes, si ces deux cloaques de la poésie n’existaient pas, une étude d’avoué serait de toutes les boutiques sociales la plus horrible. Mais il en est ainsi de la maison de jeu, du tribunal, du bureau de loterie et du mauvais lieu. Pourquoi ? Peut-être dans ces endroits le drame, en se jouant dans l’âme de l’homme, lui rend-il les accessoires indifférents, ce qui expliquerait aussi la simplicité du grand penseur et des grands ambitieux.

– Où est mon canif ?

– Je déjeune !

– Va te faire lanlaire, voilà un pâté sur la requête !

– Chît ! messieurs.

Ces diverses exclamations partirent à la fois au moment où le vieux plaideur ferma la porte avec cette sorte d’humilité qui dénature les mouvements de l’homme malheureux. L’inconnu essaya de sourire, mais les muscles de son visage se détendirent quand il eut vainement cherché quelques symptômes d’aménité sur les visages inexorablement insouciants des six clercs. Accoutumé sans doute à juger les hommes, il s’adressa fort poliment au saute-ruisseau, en espérant que ce pâtira lui répondrait avec douceur.

– Monsieur, votre patron est-il visible ?

Le malicieux saute-ruisseau ne répondit au pauvre homme qu’en se donnant avec les doigts de la main gauche de petits coups répétés sur l’oreille, comme pour dire : « Je suis sourd. »

– Que souhaitez-vous, monsieur ? demanda Godeschal qui, tout en faisant cette question, avalait une bouchée de pain avec laquelle on eût pu charger une pièce de quatre, brandissait son couteau, et se croisait les jambes en mettant à la hauteur de son œil celui de ses pieds qui se trouvait en l’air.

– Je viens ici, monsieur, pour la cinquième fois, répondit le patient. Je souhaite parler à M. Derville.

– Est-ce pour affaire ?

– Oui, mais je ne puis l’expliquer qu’à monsieur...

– Le patron dort ; si vous désirez le consulter sur quelques difficultés, il ne travaille sérieusement qu’à minuit. Mais, si vous vouliez nous dire votre cause, nous pourrions, tout aussi bien que lui, vous...

L’inconnu resta impassible. Il se mit à regarder modestement autour de lui, comme un chien qui, en se glissant dans une cuisine étrangère, craint d’y recevoir des coups. Par une grâce de leur état, les clercs n’ont jamais peur des voleurs, ils ne soupçonnèrent donc point l’homme au carrick et lui laissèrent observer le local, où il cherchait vainement un siège pour se reposer, car il était visiblement fatigué. Par système, les avoués laissent peu de chaises dans leurs études. Le client vulgaire, lassé d’attendre sur ses jambes, s’en va grognant, mais il ne prend pas un temps qui, suivant le mot d’un vieux procureur, n’est pas admis en taxe.

– Monsieur, répondit-il, j’ai déjà eu l’honneur de vous prévenir que je ne pouvais expliquer mon affaire qu’à M. Derville, je vais attendre son lever.

Boucard avait fini son addition. Il sentit l’odeur de son chocolat, quitta son fauteuil de canne, vint à la cheminée, toisa le vieil homme, regarda le carrick et fit une grimace indescriptible. Il pensa probablement que, de quelque manière que l’on tordît ce client, il serait impossible d’en tirer un centime ; il intervint alors par une parole brève, dans l’intention de débarrasser l’étude d’une mauvaise pratique.

– Ils vous disent la vérité, monsieur. Le patron ne travaille que pendant la nuit. Si votre affaire est grave, je vous conseille de revenir à une heure du matin.

Le plaideur regarda le maître clerc d’un air stupide, et demeura pendant un moment immobile. Habitués à tous les changements de physionomie et aux singuliers caprices produits par l’indécision ou par la rêverie qui caractérisent les gens processifs, les clercs continuèrent à manger, en faisant autant de bruit avec leurs mâchoires que doivent en faire des chevaux au râtelier, et ne s’inquiétèrent plus du vieillard.

– Monsieur, je viendrai ce soir, dit enfin le vieux, qui, par une ténacité particulière aux gens malheureux, voulait prendre en défaut l’humanité.

La seule épigramme permise à la misère est d’obliger la Justice et la Bienfaisance à des dénis injustes. Quand les malheureux ont convaincu la Société de mensonge, ils se rejettent plus vivement dans le sein de Dieu.

– Ne voilà-t-il pas un fameux crâne ? dit Simonnin sans attendre que le vieillard eût fermé la porte.

– Il a l’air d’un déterré, reprit le dernier clerc.

– C’est quelque colonel qui réclame un arriéré, dit le premier clerc.

– Non, c’est un ancien concierge, dit Godeschal.

– Parions qu’il est noble ? s’écria Boucard.

– Je parie qu’il a été portier, répliqua Godeschal. Les portiers sont seuls doués par la nature de carricks usés, huileux et déchiquetés par le bas comme l’est celui de ce vieux bonhomme. Vous n’avez donc vu ni ses bottes éculées qui prennent l’eau, ni sa cravate qui lui sert de chemise ? Il a couché sous les ponts.

– Il pourrait être noble et avoir tiré le cordon, s’écria le quatrième clerc. Ça s’est vu !

– Non, reprit Boucard au milieu des rires, je soutiens qu’il a été brasseur en 1789, et colonel sous la République.

– Ah ! je parie un spectacle pour tout le monde qu’il n’a pas été soldat, dit Godeschal.

– Ça va, répliqua Boucard.

– Monsieur ! monsieur ? cria le petit clerc en ouvrant la fenêtre.

– Que fais-tu, Simonnin ? demanda Boucard.

– Je l’appelle pour lui demander s’il est colonel ou portier, il doit le savoir, lui.

Tous les clercs se mirent à rire. Quant au vieillard, il remontait déjà l’escalier.

– Qu’allons-nous lui dire ? s’écria Godeschal.

– Laissez-moi faire ! répondit Boucard.

Le pauvre homme rentra timidement en baissant les yeux, peut-être pour ne pas révéler sa faim en regardant avec trop d’avidité les comestibles.

– Monsieur, lui dit Boucard, voulez-vous avoir la complaisance de nous donner votre nom afin que le patron sache si... ?

– Chabert.