Le couple en quête de sens - Jean-Jacques Picart - E-Book

Le couple en quête de sens E-Book

Jean-Jacques Picart

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Beschreibung

Jean-Jacques Picart, psychothérapeute, prend la plume pour partager les expériences des thérapies de couple qu'il mène.

L’étymologie du mot couple vient du latin « copula » qui signifie chaîne. Aux origines, la fonction principale du couple était d’assurer la survie de l’espèce. Mais aujourd’hui, les partenaires considèrent leur union comme le marchepied qui leur permettra d’atteindre le bonheur.
La liberté de choisir le cours de son existence est désormais préférée à l’enchaînement qui était la norme des siècles passés. Mais construire un couple durable n’est pas chose aisée. L’allongement de la durée de la vie nous confronte désormais au défi permanent de devoir chercher du sens à la cohabitation. Il faut désormais trouver chaque jour des raisons de continuer le chemin ensemble, pour ne pas sombrer dans la routine, l’épuisement ou le désamour.
Jean-Jacques Picart, praticien en psychothérapie, nous livre une restitution fine et détaillée de son travail de consultation, permettant aux couples d’avancer sur ce chemin escarpé et de trouver l’équilibre qui les rendra heureux. Ce livre, émaillé de très nombreux exemples, donne à réfléchir sur tous les thèmes qui jalonnent la vie à deux : l’amour, l’influence de la famille, la place des enfants, la communication, les comportements déviants, la sexualité, la spiritualité, la disparition du conjoint, mais aussi la séparation lorsque celle-ci est devenue inévitable…
Toutes les questions posées dans ce livre sont abordées sans jugement, avec une vision humaniste, dans l’espoir que chacun puisse trouver matière à approfondir sa propre pensée.

Un ouvrage qui apportera des réponses aux questions que vous vous posez au sein de votre couple.
À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Jacques Picart pratique une thérapie humaniste et multi-référentielle. Il accompagne depuis plusieurs années les couples en difficulté qui cherchent à retrouver l’élan amoureux de leur rencontre. Il a récemment publié un livre sur la souffrance au travail : Et si l’entreprise rendait heureux ? qui a obtenu une belle reconnaissance de la part de ses lecteurs.

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Jean-Jacques Picart

Le couple en quête de sens

À Louanne

Remerciements

Je remercie chaleureusement mon épouse, mes enfants et tous mes amis qui m’ont apporté leur soutien pendant l’écriture de ce livre.

Je remercie aussi toutes les personnes que j’ai rencontrées et qui m’ont transmis leur savoir-faire et leur passion sur le travail de couples et plus généralement sur le travail en systémique familiale.

Je remercie Jean-Paul Fluteau, psychologue, psychothérapeute, Directeur d’Espace Transformation, qui a été l’un des premiers à me transmettre son expérience pratique de la psychothérapie de couple.

Je remercie Alain Héril, psychanalyste, sexothérapeute et écrivain pour la très grande richesse de son enseignement sur le fonctionnement du couple selon une approche psychopathologique et sur la sexualité du couple en particulier, allant de pair avec la problématique du désir.

Je remercie Georges Colleuil, réalisateur, psychanalyste et psychothérapeute, auteur du référentiel de naissance, qui m’a transmis sa vision du monde, hautement philosophique et humaniste, dans laquelle la vie du couple s’inscrit naturellement.

J’éprouve une pensée particulière pour Claude Pipitone, psychothérapeute, spécialiste renommé du décodage biologique et de l’approche psychogénéalogique dont l’enseignement m’a permis de replacer le couple dans son histoire familiale. Cette approche puissante permet de saisir toutes les subtilités à l’œuvre dans les interactions du couple. Claude nous a quittés récemment et je veux honorer la mémoire de ce grand humaniste.

Je remercie Marie-Gabrielle Bernard et Anne Wagner Bellancourt, psychothérapeutes, qui m’ont accompagné tout au long de ces dernières années par un magnifique travail de supervision et dont les conseils avisés m’ont permis de trouver ma juste place dans la relation thérapeutique que je mets en place avec mes patients.

Je remercie enfin tous les couples avec lesquels j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler, qui ont bien voulu que leurs histoires profondément riches et humaines, émaillent de temps en temps les chapitres de ce livre. Ils m’ont donné le privilège et la chance de nourrir ma réflexion, de l’enrichir jour après jour de points de vues et d’expériences différentes.

Ils m’ont surtout permis de progresser sur ma compréhension de la systémique de couple, d’en approcher de plus près la complexité et de plonger au cœur d’une relation humaine à la fois belle et émouvante.

Je remercie enfin Martine Rachidi pour la précieuse collaboration qu’elle m’a apportée dans la finalisation de ce livre en prenant le temps d’une relecture minutieuse, élégante et attentive. Les corrections que Martine m’a suggérées concourent à rendre la lecture du texte plus fluide et plus agréable.

Que toutes ces personnes soient chaleureusement remerciées pour leur précieuse contribution.

Avertissement

Tous les exemples qui parsèment ce livre sont issus du travail que je mène avec les couples, au sein de mon cabinet de consultation. Toutes les paroles rapportées sont réelles. Cependant les prénoms des protagonistes, leur âge ou les détails de leur vie personnelle ont été modifiés de façon à ce que ces personnes puissent rester dans l’anonymat. Certaines personnes ont souhaité garder leur prénom. Je les en remercie.

1 - Introduction

J’ai écrit ce livre avec envie, mais aussi avec modestie. Cet ouvrage est une goutte d’eau dans la mer immense d’un sujet mille fois traité par les plus grands auteurs, penseurs, chercheurs, poètes, psychologues, psychanalystes et sociologues de tous les temps. Tous ont apporté et apportent encore une contribution intelligente et éclairée à ce thème millénaire.

J’ose espérer que ma contribution ne déméritera pas. Je suis simplement animé par le désir de transmettre à toutes les personnes que j’aime, la riche et profonde expérience que je vis chaque jour au sein de mon cabinet de consultation.

Je n’éprouve aucune supériorité morale ou intellectuelle sur ce sujet si sensible, expérimentant ou ayant eu à expérimenter par moi-même les difficultés inhérentes à la vie de couple. Je n’ai aucune vérité à énoncer ni aucun message à transmettre. Tout au plus m’autoriserai-je à dire ce que je crois utile, en espérant que parmi les personnes qui liront ce livre, quelques-unes puissent y trouver des pistes de réflexion leur permettant de nourrir leur propre parcours.

Vivre en couple. À quoi cela sert-il? Pourquoi rêvons-nous de former avec celui ou celle que nous aimons un assemblage indestructible capable de résister au temps? D’où vient cette exigence existentielle, contre laquelle nous ne pouvons pas lutter, qui nous pousse à envisager de passer une vie entière avec un semblable, alors même que nous savons intuitivement que ce sera l’expérience la plus difficile que nous aurons à vivre?

En effet, comme le rappelle le Dr Juan-David Nasio, psychanalyste lacanien fondateur des séminaires psychanalytiques de Paris, «la vie de couple est un phénomène social, planétaire, préhistorique, historique auquel il est difficile d’échapper».

L’étymologie du mot «couple» telle que nous la trouvons dans l’ancien dictionnaire latin Gaffiot réserve toutefois une surprise. Le mot «couple» provient de «copula», qui signifie «chaîne» ou «lien» ou «attache», la signification de ce mot ayant d’ailleurs évolué au fil du temps.

Deux siècles avant notre ère, la «copula» désignait tout ce qui servait à attacher, puis, sous Jules César, elle désignait une ancre d’embarcation, un grappin et enfin, au 6ème siècle après J-C, ce mot désignait la femme unie à l’homme par le mariage. On note au passage qu’à cette époque, la femme est considérée comme un «complément» naturel de l’homme et que, par conséquent, la relation n’est pas envisagée d’un point de vue strictement égalitaire.

Dans cette approche étymologique, apparaît déjà toute l’ambiguïté du couple tel que nous l’appréhendons aujourd’hui dans sa réalité quotidienne. Nous rêvons toutes et tous au moment de la rencontre avec notre partenaire que notre couple soit uni par le lien. On parle de lien du mariage, de lien fort, de lien durable envisagé comme une promesse de bonheur.

Pourtant et dans le même temps, chacun rejette le spectre de l’enchaînement qui symbolise l’enfermement et la privation de liberté. Le «grappin», quant à lui, est le symbole d’un couple figé et l’expression populaire «Il ou elle, lui a mis le grappin dessus» rappelle combien il est plus facile de laisser le couple à quai que de le faire naviguer et avancer.

On peut aussi remarquer que le mot «couple» est rarement utilisé pour désigner deux objets qui vont nécessairement ensemble. Ainsi on ne parle jamais d’un couple de chaussures. Voilà peut-être une réflexion qui sera de nature à rassurer les anxieux qui pensent que leurs personnalités sont trop différentes pour s’associer dans un couple pérenne.

Mais il faut rendre grâce aux physiciens, qui sont aussi des poètes, car ils ont utilisé le mot «couple» pour désigner un ensemble conjugué de forces permettant de décupler une action. C’est ainsi que le couple peut devenir un amplificateur de bonheur.

Ces mêmes physiciens utilisent aussi ce mot pour décrire la réunion de deux métaux de nature différente qui, lorsqu’ils se touchent et sont placés sous l’effet de la chaleur, fabriquent de l’électricité. Cette belle métaphore, que chacun est libre de transposer aux moments qu’il lui plaira, est de nature à nous rappeler que le couple a bien une fonction énergisante.

Le couple qui, depuis la nuit des temps, était une nécessité pour la survie de notre espèce, est devenu un concept de plus en plus complexe à mettre en œuvre et à manier. Il doit tenir compte de l’allongement de la durée de la vie et de la nécessité d’envisager une vieillesse commune, du besoin d’émancipation sociale résultant du monde dans lequel nous vivons, des perspectives infinies de développement personnel qui nous sont offertes, de nos aspirations à vivre toujours plus libres et heureux.

La notion de couple dont il sera question dans ce livre s’applique indifféremment aux unions hétérosexuelles et homosexuelles car l’amour n’a pas de sexe. Pour des raisons de facilité d’écriture, le modèle hétérosexuel est, dans ce livre, celui qui est le plus mis en avant. Mais je constate que les unions homosexuelles sont, d’un point de vue émotionnel, extrêmement belles et riches et ne présentent aucune différence avec les unions hétérosexuelles. Je n’ai jamais eu la chance de travailler avec des personnes transgenres, mais j’imagine qu’il doit en être de même.

Il est fini le temps de nos arrière-grands-parents qui se contentaient de peu, étaient capables de courber le dos devant les difficultés inhérentes à la vie et prenaient le temps de s’adapter. Désormais, nous souhaitons tous que chaque journée nous apporte un maximum de richesse émotionnelle. Le couple n’est plus considéré comme une fin en soi, mais il est devenu un outil au service de la réalisation de soi. Cette fonction réductrice du couple pose néanmoins un problème, car elle crée de l’urgence là où il n’y en a pas. Elle conduit certaines personnes en recherche de l’âme sœur à ne jamais choisir, à devenir des adeptes du couple «mouchoir jetable» dans l’espoir sans cesse entretenu de trouver mieux ailleurs; elle fait la fortune des sites de rencontres où il est désormais possible de «faire son marché» dans l’espoir d’y trouver le conjoint idéal.

L’idée selon laquelle un couple sera éphémère ou durable, en fonction des satisfactions que l’on en retirera, est de plus en plus partagée parmi les jeunes personnes. L’éventualité d’une séparation, même si elle est toujours douloureusement envisagée, fait désormais partie des hypothèses de départ. Elle est intégrée dès les premiers instants dans le schéma existentiel du couple. Je remarque que cette idée fait tache d’huile et qu’il n’est plus rare de rencontrer des personnes beaucoup plus âgées qui se reposent cette question fondamentale : pourquoi suis-je en couple et en quoi cela m’aide-t-il à vivre?

Le niveau d’exigence de chacun s’accroît et cela explique que le couple soit devenu l’un des projets de vie les plus difficiles à construire, puis à mettre en œuvre et enfin à consolider. Pour ne pas s’étioler ni mourir, le couple exige de l’inventivité, de la patience, une remise en cause permanente et quasi quotidienne de ce qui semble acquis. Le couple est perçu comme un instrument au service de l’autre, mais aussi au service de soi et de son épanouissement personnel.

«Le couple, chemin de partage», m’a dit un jourPauline Freiermuth, collègue de travail psychothérapeute. Sa magnifique métaphore m’a soutenu et inspiré dans l’écriture de ce livre et je la remercie.

La vie de couple est un long chemin, pour peu que l’on envisage d’y rester et de faire face aux écueils et aux ornières que l’on va immanquablement rencontrer. Un chemin conduit forcément quelque part. Aller sur le bon chemin, ne pas se tromper de route aux embranchements, faire face aux tempêtes que l’on va rencontrer, savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va, et au passage, savoir où l’on est. C’est un peu, en résumé, le travail que je propose aux couples qui viennent me rencontrer, travail qu’ils poursuivent ensuite dans leur intimité.

Le couple pour se construire, doit se cimenter avec des valeurs communes fondamentales. L’amour est probablement l’ingrédient le plus indispensable, car il permet d’avancer en lissant les aspérités.

Mais le couple doit être équilibré. C’est sa condition de survie sur le long terme. Le Dr Juan-David Nasio, dit que l’on ne peut aimer que quelqu’un qui nous ressemble. C’est la condition sans laquelle il est difficile, voire impossible de partager.

Pour que la vie de couple vaille la peine d’être vécue, il faut que chacun y trouve du sens, il faut que le désir sous toutes ses formes soit omniprésent. La liste est longue : le désir de construire ensemble, le désir de partager des moments de bonheur, le désir d’enrichir sa propre expérience de vie, le désir d’apporter à l’autre ce qu’il attend, sans attendre de contrepartie, le désir d’une sexualité épanouie, mais aussi le désir de recevoir l’amour de l’autre qui répond au besoin fondamental et existentiel de notre narcissisme primaire.

Il faut, pour que le couple ait une chance de durer, que chacun y trouve sa place, une place juste et équilibrée excluant tout rapport de domination.

Le couple n’est pas forcément un espace de tranquillité. Parfois il l’est, mais le plus souvent, la vie de couple demande un travail constant de la part de chacun des partenaires. C’est de ce travail dont il est question tout au long de ce livre.

2 - À l’origine du couple,la rencontre

Lorsque je travaille avec les couples, j’éprouve toujours un grand plaisir à leur faire raconter le moment de leur rencontre. C’est un moment empreint de magie et d’émotion positive, et tous, en règle générale, s’en souviennent. Cependant, les deux partenaires me racontent presque toujours des moments différents.

Pourtant, une chose est sûre : les deux conjoints se sont physiquement rencontrés au même moment. Mais le moment qui reste gravé dans l’esprit de chacun est celui de la première émotion provoquée par l’autre. La rencontre est avant tout une rencontre émotionnelle.

Ce moment émotionnel n’est pas forcément confondu avec celui de la première rencontre lors de laquelle nous sommes soumis à des flux hormonaux chargés de vérifier que nous sommes sexuellement compatibles. La toute première fois, l’attirance physique et le coup de foudre activent dans notre cerveau les circuits de la récompense. Nous sommes noyés sous des vagues de dopamine et d’endorphines. Il s’agit d’un processus automatique et inconscient qui laisse peu de place à l’analyse et à la raison. Il me plaît, elle me plaît. J’ai terriblement envie de le rencontrer ou de la rencontrer. Je veux aller plus loin. Je le veux ou je la veux, quel que soit le prix à payer. Les circuits du cerveau activés par le coup de foudre sont à peu près les mêmes que ceux activés par la dépendance à une drogue.

Peu importe que celui ou celle que nous désirons soit riche ou pauvre, puissant ou misérable, stupide ou intelligent. Nous obéissons aveuglément à notre flux hormonal qui nous dirige inexorablement vers l’autre.

Lorsque le flux hormonal s’apaise enfin, il ouvre la deuxième séquence de la rencontre et laisse la place à l’émotion.

À ce stade, et avant de poursuivre, il nous faut définir de quoi sont constituées nos émotions : elles sont étroitement liées à notre vision du monde, à notre culture, à nos expériences de vie, à la façon dont nous avons été autorisés à profiter du milieu dans lequel nous étions plongés, à la façon dont nous avons été aimés ou détestés, ignorés, ou abandonnés… la liste est longue.

Nos émotions d’aujourd’hui sont intimement liées à celles que nous avons vécues lors de nos premières années de vie. Lorsqu’elles étaient intenses et négatives, les émotions de notre petite enfance ont imprimé dans notre inconscient des marquages émotionnels, s’apparentant parfois à des traumatismes.

Jean-Paul Fluteau, psychothérapeute, auteur du livre «Au cœur de nos émotions, un enfant intérieur, l’enfant gigogne», classe ces marquages en trois catégories : tout d’abord, les marquages légers, qui sont facilement accessibles à notre mémoire. Ce sont les vexations subies pendant l’enfance, qui nous rendent timides à l’âge adulte, les sentences prononcées par les parents qui disaient aux enfants que nous étions : «tu n’arriveras jamais à rien!».

Puis viennent les marquages plus profonds qu’il est parfois difficile de ramener au niveau de la conscience active. Ce sont les violences verbales, les injustices qui nous ont frappés, les relations toxiques de parents qui se détestaient et qui sapaient les bases heureuses de notre enfance.

Viennent enfin les traumatismes lourds, souvent relégués dans des oubliettes cachées, très profondes et qui ne sont guère accessibles, si ce n’est par des techniques hypnotiques et encore… C’est dans ces oubliettes que viennent se loger, par exemple, les souvenirs d’abus sexuels vécus pendant l’enfance qui n’ont pas pu être rangés par l’hippocampe, cette petite partie de notre système limbique qui se charge de classer les émotions reçues par sa voisine l’Amygdale.

Ces oubliettes ont une fonction. Elles permettent à l’enfant de continuer à vivre et à grandir. Ainsi, Flavie Flament, abusée par le photographe David Hamilton alors qu’elle était enfant, raconte dans son livre «La consolation» le processus d’amnésie traumatique qui s’est ensuite mis en place et qui lui a permis de survivre en anesthésiant sa souffrance.

Le film d’animation «Vice Versa», réalisé par les studios Pixar, donne d’ailleurs une représentation assez juste de ces émotions négatives que l’on préfère oublier. Elles sont encapsulées dans des petites boules grises, elles-mêmes enfouies dans de profonds précipices noirs et inaccessibles.

Revenons à nos marquages émotionnels qui entrent en jeu dans le processus de la rencontre : l’enfant blessé qui n’a jamais été réparé est toujours présent en nous, comme intériorisé, en arrière-plan. Il nous poursuit, alors même que nous sommes devenus adultes, jusqu’à ce qu’il puisse enfin trouver une réparation définitive.

Lors de la rencontre amoureuse, c’est l’un de nos enfants intérieurs qui est aux commandes de notre vie. Ce n’est pas notre «Moi», qui correspond à notre niveau de conscience le plus élevé, qui nous dirige à cet instant.

Pourquoi elle ou lui plutôt qu’un-e autre? Nous percevons intuitivement que celui ou celle sur qui nous allons jeter notre dévolu est celui ou celle qui peut réparer les marquages traumatiques de notre enfance.

Alors tant pis pour toutes celles et ceux qui ont cru choisir l’autre! À l’instant précis de la rencontre émotionnelle, ce sont nos enfants intérieurs qui décident de la suite. Cette notion d’enfant intérieur est assez similaire à celle de l’inconscient Freudien qui se construit dès l’enfance par la mise en mémoire des expériences de vie et qui emmagasine aussi toutes les pulsions refoulées à l’origine de nos rêves, de nos blocages ou de nos fantasmes.

Tomber amoureux reste définitivement un processus inconscient et incontrôlable. L’inconscient, notion abstraite souvent décriée, est le résultat d’interactions neuronales globalisées qui nous échappent en partie. Les neurosciences ont parfaitement montré que les décisions que nous croyons prendre sont totalement dictées par une zone particulière de notre cerveau, laquelle n’est pas accessible à notre pensée consciente.

La célèbre phrase prononcée par S. Freud, en clôture de l’une de ses conférences psychanalytiques en 1932 : «Là où le « ça » est, le « Je » doit apparaître» souligne que le but d’un travail thérapeutique est d’explorer la partie immergée de notre iceberg personnel afin d’en saisir les processus inconscients. Lorsque ces derniers sont conscientisés, nous devenons libres de décider ou non de la modification de nos comportements. L’objet du travail thérapeutique n’est donc pas de nous rendre plus heureux, mais plus libres.

Jean-Paul Fluteau décrit un deuxième mécanisme à l’œuvre dans le processus de la rencontre. Il s’agit de la recherche de la contre-référence :

Mon père était violent avec ma mère? Alors je veux rencontrer un homme doux, se dit la jeune fille amoureuse. Ma mère était dans le contrôle permanent de mes actions, alors je veux rencontrer une femme qui me laissera libre, se dit le jeune homme en quête de sa future compagne.

Mais cette recherche conduit à créer un état de mutuelle illusion qui, comme l’affirme le Docteur J. D. Nasio, ne dure qu’un temps. En effet, après l’illusion, vient assez rapidement… la désillusion et son cortège de ressentis négatifs.

À qui la faute? Au conjoint incriminé qui arrive dans la relation sans connaître l’attente monumentale que l’autre a placée sur lui? Probablement pas. Il n’y a pas de faute, il n’y a pas de coupable. Il s’agit juste d’un processus naturel et inévitable.

Pour autant, cette désillusion, souvent passagère, ne signe évidemment pas la fin de l’état amoureux. Elle est cependant nécessaire pour passer à autre chose. Elle est une étape qui, bien que douloureuse, s’avère indispensable à la construction d’une relation plus solide.

Je voudrais terminer ce chapitre en évoquant un problème qui fait de plus en plus l’objet de demande de consultations. Ce problème est celui des personnes qui ne savent pas où trouver «l’autre» ni comment le chercher. Il touche toutes les tranches d’âges, mais se concentre particulièrement chez les hommes et les femmes d’une quarantaine d’années, qui sont restés célibataires ou qui, ayant déjà vécu en couple, se sont ensuite séparés. Ces personnes souhaitent mettre un terme à leurs errances sentimentales mais n’ont plus de mode d’emploi pour la rencontre.

Par ailleurs, de nombreuses jeunes personnes ne savent pas comment entrer en relation. Elles aimeraient bien le faire mais n’osent pas. Elles ne se sentent pas à la hauteur.

Ce problème touche enfin des personnes plus âgées, en troisième partie de vie, qui aimeraient bien reconstruire une existence heureuse après un veuvage, mais qui se trouvent trop vieilles. «À quoi bon?» se disent-elles. «Qui voudra de moi à mon âge?».

Dans ces différents cas de figure, on constate un dénominateur commun : «L’autre» est vu comme un idéal fantasmé et inaccessible. Évidemment, chacun sait combien il est difficile d’entrer en communication avec les anges du paradis…

Ces personnes se lancent dans une recherche désordonnée qui les conduit à de multiples et fréquentes déceptions. Le plus en vogue parmi ces modes de recherche, toutes tranches d’âges confondues, fait appel à internet.

Les réseaux spécialisés de toute nature fleurissent. Il est facile, caché derrière un écran d’ordinateur de «faire son marché». Le premier critère de sélection de ces réseaux est le physique, limité au visage d’un selfie au sourire calculé, ni trop ni trop peu, soigneusement cadré, avec un léger profil orienté de bas en haut, qui gomme les imperfections et donne l’air beau ou intelligent.

La tendance est donc de se rencontrer à partir d’une vignette photographique. L’émotion de la première rencontre est ici à un degré proche de zéro, mais peu importe, on essaye quand même en se disant que derrière ce visage bronzé, se cache peut-être un prince charmant ou une Cendrillon qui attend qu’on lui enfile son soulier de verre. Le tchat s’organise, on dévoile ce que l’on veut bien dire de soi, généralement en mentant un peu sur soi-même, toujours dans le but d’apparaître sous un jour parfaitement contrôlé. Juste la bonne dose de lumière pour gommer les ombres.

Et puis, catastrophe! La première rencontre a lieu. Quatre-vingt-dix pour cent des hommes inscrits sur ces sites, sont juste dans la recherche d’une aventure sexuelle sans lendemain. Ils ont trop peur de l’engagement. Ce n’est pas ce qu’ils recherchent. La belle photo vole alors en éclat. La rencontre se termine en désillusion : «On va chez toi ou tu viens chez moi?».

Alors, certaines personnes acceptent et se contentent de ces ersatz de rencontre qui les conduisent à douter de plus en plus d’elles-mêmes. «Ne suis-je bonne qu’à attirer tous les paumés de la terre?» se dit Nathalie qui après deux unions infructueuses tente désespérément de trouver l’âme sœur sur le plus célèbre de ces réseaux de rencontre.

Bien sûr que non. Pourquoi cette urgence? «Parce que je vieillis et que plus personne ne voudra bientôt plus de moi» me répond Nathalie.

Ah bon? Vous avez une date de péremption, comme sur un bocal de choucroute alsacienne? Et Nathalie de sourire en s’imaginant transformée en boîte de conserve.

Alors comment agir? Tout d’abord, Nathalie et moi faisons l’inventaire de ses valeurs. Qui est-elle vraiment? Comment se présente-t-elle à l’autre? Et la liste est impressionnante : Nathalie me confie qu’elle est sensible, généreuse, aimante, gaie, intelligente, douce, tournée vers les autres, aimant la vie… Je confirme ce qu’elle m’apprend sur elle-même. Nous laissons de côté les points négatifs qui ne présentent pas d’intérêt.

Elle prend conscience qu’elle mérite mieux qu’une relation au rabais. Elle se doit d’être exigeante pour elle-même et décide de ne pas sauter dans les bras du premier venu.

Reste pour Nathalie une question fondamentale : où chercher l’être idéal qui lui correspondra et lui donnera cette émotion primitive? Dans la stratégie de recherche de Nathalie, se trouvent les discothèques. Elle convient que ce n’est pas le meilleur endroit pour trouver l’homme de sa vie. Les soirées pourraient se terminer dans des relations alcoolisées sur les sièges arrière d’une voiture. Alors, où chercher?

Mais dans la vraie vie évidemment! Au gré des circonstances, un premier mot échangé dans la file d’attente de la boulangerie, dans les rencontres amicales, dans les relations de travail dont il est prouvé qu’elles conduisent à près de 50 % de la formation des couples, en acceptant les invitations des amis. Nathalie me dit : «oui, mais les amis arrivent tous en couple». Cette affirmation est fausse, car les amis qui invitent se transforment souvent en agents matrimoniaux. Ils se disent : «Tiens, et si on invitait François seul lui aussi, pour faire compagnie à Nathalie? Qui sait? Ça va peut-être flasher entre eux deux?» «Et tant pis si « ça ne flashe pas » au moins on aura essayé!», se disent les amis.

Existent aussi les clubs de danse qui facilitent les rapprochements, les conférences qui facilitent les prises de contact et les discussions, les musées où l’on peut s’extasier à deux sur le même tableau : «Ah bon, vous aimez vous aussi? Quelle émotion n’est-ce pas?». Et Cupidon, qui s’était profondément endormi, se réveille en sursaut en se dépêchant d’armer son archet.

«Encore faut-il essayer. Oser, y croire, se forcer» dis-je à Nathalie. Y croire est essentiel car notre inconscient met alors tout en œuvre pour que l’objectif se réalise. Il crée les synchronicités nécessaires, met les sens en éveil et les antennes radar en alerte.

Il n’est pas dans mon intention de discréditer les réseaux de rencontre. Ils sont parfois à l’origine de belles histoires d’amour. J’ai pu le vérifier à de multiples reprises. Mais j’ai cru comprendre que certains sites web étaient plus sérieux que d’autres et qu’il fallait dépenser un peu d’argent pour obtenir un premier niveau de filtrage.

Le problème chez les personnes âgées est un peu différent. Elles ont l’expérience, mais ne croient plus en un avenir possible. Le travail consiste à les ramener à la vie, à les rapprocher de leur désir. Cela passe généralement par un travail sur la perspective de la mort, qui est perçue comme un mur vers lequel on s’avance de plus en plus vite.

Je leur conseille de lire le merveilleux livre de Jean-Claude Carrière «La vallée du Néant» qui est à lui tout seul un hymne monumental à la vie. La vie est un torrent, bruyant, vivant, parfois périlleux. Personne ne sait véritablement où il va, comment il se transforme. Pour le vieux japonais qui s’y baigne, cette question n’a aucune importance. Il ne se soucie pas de ces questions existentielles. Il passe sous les cascades sans difficulté, boit dans le creux de sa main, ramasse la mousse, pêche les poissons, monte et descend dans les remous avec l’agilité de ses vingt ans.

Il sera temps de découvrir ce qu’il y a derrière le «passage» lorsque nous y serons. Peut-être Dieu sera-t-il présent et nous honorera-t-il par une petite fête d’arrivée avec quelques bulles célestes? Peut-être retournerons-nous simplement au néant ou peut-être ferons-nous l’objet d’une réincarnation selon les croyances de chacun? Dans ce cas, j’exige pour moi-même d’être réincarné en chat. «En attendant», dis-je à ces personnes âgées, «dépêchez-vous d’attraper les poissons de votre torrent personnel!».

Quant aux jeunes qui sortent de l’adolescence, il est urgent de les sortir des réseaux sociaux et des jeux vidéo pour les faire entrer dans la vraie vie. Il s’agit de leur donner la confiance en eux qu’ils n’ont que très rarement éprouvée. Cette confiance est nécessaire pour qu’ils puissent aller à la rencontre de l’autre.

La confiance en soi, ou en l’autre, s’apparente alors à un soleil qui réchauffe, qui fait du bien, qui guérit, qui permet de voir plus loin. Elle permet d’envisager des perspectives jusqu’alors inimaginables.

Clément, un de mes jeunes patients âgé de vingt ans, vient me consulter car il n’a presque pas de vie sociale et se sent triste à mourir.

Je lui dis qu’il me donne l’impression d’être un tonneau rempli de larmes, et que notre travail, à tous les deux, consistera à vider ce maudit tonneau. Ma remarque lui arrache un tout petit sourire, immédiatement suivi par les larmes en question.

Clément n’a jamais fait de rencontre amoureuse. Il n’a pas d’amis, vit reclus dans sa chambre lorsqu’il joue aux jeux vidéo. Il habite une vie parallèle. Clément, lorsqu’il me parle, ne me regarde pas. Son regard est posé sur le sol. Je sais, depuis deux séances déjà, qu’une certaine Roxane lui trotte dans la tête.

Roxane est une amie d’enfance qu’il a perdue de vue, mais qui lui écrit tous les jours sur Facebook. Ils ont échangé quelques photos. Clément lui répond et cette correspondance dure depuis deux ans. Ils habitent très près l’un de l’autre mais ne se sont toujours pas rencontrés.

Clément est tétanisé à l’idée d’aller à la rencontre de Roxane. Il lui est impossible d’envisager ce moment. Je me suis bien employé à dédramatiser cette future rencontre - en lui suggérant de proposer une séance de cinéma à Roxane par exemple - à éliminer tous les obstacles insurmontables qu’il s’est construits, mais sans succès.

Clément convient qu’inviter Roxane au cinéma n’engage à rien, mais il a peur de son refus. À l’évocation de cette hypothèse, Clément se retrouve au dixième sous-sol. Je lui demande de quoi il aurait besoin pour inviter Roxane par messagerie et appuyer sur le bouton «envoyer» du téléphone. Il me répond : «J’aurais besoin de courage et de confiance en moi».

Nous cherchons alors les situations de confiance qu’il a déjà vécues. Elles sont rares. Il nous faut remonter très loin dans le passé. Nous arrivons en classe de sixième lorsqu’il a pris l’initiative de lever le doigt pour déclamer une récitation apprise par cœur, il avait réussi, il se souvient qu’il était fier de lui. Il l’avait fait!

Nous sommes en association, je lui fais me raconter cet épisode les yeux fermés. Nous remontons dix ans en arrière. Nous prenons notre temps, Clément me raconte sa classe, il se voit, debout devant le professeur, comme s’il se regardait au travers de l’objectif d’une caméra placée au-dessus de lui.

Il me raconte la petite angoisse qu’il éprouve au moment de se lever pour réciter, mais il en connaît tellement bien le texte qu’il va y arriver.

Son visage s’éclaire. Je mesure la fierté qu’il éprouve, même les yeux fermés.

Je lui fais un ancrage sur la main droite, tout en m’exprimant à mon tour : «Es-tu fier de toi Clément, d’avoir réussi à déclamer cette récitation?». Il me répond : «Oui, oui, je suis fier!». Son visage s’anime, sa tête se redresse, ses joues sont colorées. Je suis ému de voir que nous sommes parvenus tous les deux à ce moment magique.

Nous sommes tous les deux en confiance pour la suite de l’exercice :

Clément a toujours les yeux fermés. J’active la ressource «confiance-en-soi» que j’ai ancrée sur sa main droite et je lui demande d’écrire mentalement le message à Roxane. «Dois-je mimer avec mes doigts?», me demande-t-il. Je lui réponds que c’est inutile. Il me dit ce qu’il est en train d’écrire. C’est court, mais efficace : «Roxane, est-ce que cela te ferait plaisir qu’on aille au cinéma ensemble?».

Nous arrivons au moment où il faut appuyer sur bouton «envoyer» de notre téléphone imaginaire. Je sens une hésitation. Je réactive l’ancre ressource posée sur sa main droite. Je vois un relâchement sur son visage. «Ça y est! Je l’ai fait, me dit-il». J’enchaîne : «Es-tu toujours fier de toi?» «Oui je suis fier», répond-il. Il ouvre les yeux. Son regard est vivant. Je lui fais remarquer que j’aime ce regard-là qui le connecte à l’autre. À ce moment précis, il est heureux.

Je partage alors avec lui la fierté qu’il éprouve en faisant émerger cette ressource inscrite au plus profond de lui-même.

Clément est revenu la fois suivante. Il avait «pour de vrai» envoyé le message à Roxane. Ils étaient allés au cinéma ensemble. Il avait découvert sa capacité à entrer en relation. Sa vie était en train de basculer dans le désir et dans le vivant.

3 - L’amour dans le couple

Pour qu’un couple soit fort, il faut que l’amour soit présent. Il en est l’essence même. Mais qu’est-ce que l’amour?

La question agite l’humanité toute entière depuis qu’elle est en mesure de penser et de réfléchir. Est-ce un besoin? Une pulsion libidinale? Une émotion? Un sentiment? Une poésie? Une combinaison particulière de notre chimie organique? Une manifestation du divin dans notre enveloppe charnelle? Il existe mille définitions possibles de l’amour. Les éléments de réponse que nous donnent les grands sociologues, comme Jean-François Dortier, Directeur de la Revue Sciences Humaines, ou les grands noms de la psychanalyse tels que S.Freud, C.G.Jung, J. Lacan, F.Dolto ou bien d’autres encore, nous éclairent sur ce sujet.

Mais quelle que soit la signification que nous donnons à ce mot, sans amour, il n’y a pas de vie de couple épanouie. Le couple n’est alors que la juxtaposition de deux êtres liés par les conventions sociales, les pressions familiales, l’intérêt commun, et dans le meilleur des cas, les conjoints sont unis par un lien qui ressemble juste à de l’amitié.

Je voudrais poursuivre ce chapitre par une belle histoire qui viendra honorer la promesse que j’ai faite à ma petite fille de l’inclure dans ce livre. Cette histoire est celle de Nicoé et de Princesse, un cheval et une jument d’un centre équestre de Vendée où ma petite fille se rend régulièrement pour ses cours d’équitation.

Un jour, alors que mon épouse et moi-même l’accompagnions à son activité, je la regardais préparer Nicoé qu’elle allait monter dans l’heure suivante, le brossant soigneusement, réglant la bride et le licol. J’ai toujours eu un peu de méfiance à l’égard des chevaux, n’arrivant pas à percer le mystère de ces créatures probablement animées d’une vie intérieure très riche. Je me tenais donc un peu à l’écart, par précaution.

Nicoé semblait très agité. Il ne tenait pas en place et faisait régulièrement vibrer l’air ambiant par des hennissements puissants et répétitifs. La cavalière, maître d’équitation qui accompagnait ses élèves me dit alors d’un air enjoué : «C’est normal! Nicoé est amoureux de Princesse, elle lui manque!».

«Ah bon?» répondis-je amusé, alors qu’au loin, nous entendions d’autres hennissements en réponse à ceux de Nicoé. «C’est Princesse qui lui répond!» continua-t-elle… «Ah, ces deux-là, j’espère qu’ils vont nous faire un joli poulain!».

Le cours de ma petite fille s’acheva et Nicoé se présenta le premier à la barrière pour quitter le manège sur lequel il avait travaillé. Le groupe d’enfants conduisit alors les chevaux vers un petit enclos, à une centaine de mètres de là, où ils pouvaient se reposer après l’effort. Nicoé, en tête, accélérait le pas. Derrière la barrière de l’enclos, Princesse, magnifique jument, attendait son amoureux, tête haute.

L’instant qui suivit fut vraiment émouvant pour toutes celles et ceux qui eurent la chance d’y assister. A peine Nicoé et Princesse furent-ils réunis, qu’ils blottirent leur tête l’une contre l’autre avec des mouvements d’une très grande douceur. Ils restèrent ainsi de longues secondes dans ce qui ressemblait à un élan de tendresse. S’aimaient-ils au sens où nous l’entendons, nous humains? Ils avaient manifestement besoin l’un de l’autre. Le couple qu’ils formaient était porteur de vie et semblait dépositaire d’une petite part d’éternité.

Puis Nicoé partit plus loin et Princesse emboîta fièrement le pas dans son sillage, à quelques dizaines de centimètres de lui. Ils semblaient inséparables, puissants, immortels.

Le cours terminé, ému par ce que je venais de voir, je me laissais aller à penser que l’amour, s’il touchait aussi le règne animal, était probablement une énergie universelle. Mes tentatives de rationalisation et de pensée structurée me renvoyant à ce que nous savons du mécanisme de survie des espèces ne me furent pas d’une grande utilité pour m’aider à comprendre la scène à laquelle je venais d’assister. La rencontre entre Princesse et Nicoé dépassait le simple processus de procréation.

Parler «d’énergie d’amour» est probablement totalement irrationnel. Les scientifiques disposent de théories et de moyens de mesures extrêmement sophistiqués pour explorer tout ce qui touche au domaine énergétique, mais l’amour échappe aux données scientifiques. René Descartes dans la troisième méditation métaphysique, écrivait : «Je suis une chose qui pense, c’est à dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui aime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent…». Face à Princesse et Nicoé, la pensée toujours vivante de René Descartes me revenait en mémoire et prenait une acuité tout à fait particulière.

Mais revenons au règne des humains…

Deux siècles après Descartes, dans son ouvrage «l’Amour et la Haine» coécrit avec Joan Rivière, Mélanie Klein nous montrait comment les émotions et les sentiments qui nous submergent dès les premiers jours de notre enfance sont étroitement mêlés les uns aux autres et se combinent dans notre psychisme pour créer, ou non, une synthèse harmonieuse.

L’amour, subtil mélange de rêve et de rationalité, d’émotions et de sentiments, peut être heureux ou malheureux, il peut nourrir ou affamer, construire ou détruire. Il reste pourtant l’un des leviers les plus puissants dans la construction de l’Humanité, car il est le seul à pouvoir apporter simultanément une réponse à nos besoins fondamentaux. L’amour est donc une énergie puissante qui fait partie de notre colonne vertébrale psychique et de la colonne vertébrale du couple. L’amour s’exprime de multiples manières. Il peut, ainsi que le suggère Alain Héril lorsqu’il évoque le terrain de la sexualité, revêtir une dimension sensuelle, poétique, spirituelle, sexuelle, ou même existentielle. Selon l’objet du désir qui en est la cible, l’amour pourra s’adresser à un être de chair bien réel, ou à une représentation sublimée de l’être idéal, ou bien encore à l’image fantomatique d’une personne ayant existé, ou encore à la représentation symbolique hautement spirituelle d’un idéal inaccessible et fantasmé.

L’amour inconditionnel de l’humanité doit être rangé dans cette dernière catégorie puisque celui qui l’éprouve se rapproche de la notion divine de l’infini.

L’amour est intimement lié à notre pulsion de vie, à notre éros. Il nous est aussi indispensable pour vivre que l’air que nous respirons. Cela revient à dire qu’il est impossible d’y échapper. Cependant, il nous reste, en définitive, le choix de son mode d’expression et de ce que nous pouvons en faire.

Il est très difficile de parler d’amour en restant rationnel. Toutes celles et ceux qui ont été confrontés au sentiment amoureux savent que l’amour se vit, se ressent, mais ne s’explique pas. Pourquoi celui-ci ou celle là plutôt qu’un ou une autre? L’amour garde sa part de mystère.

Les praticiens de la psychothérapie dont je fais partie savent qu’il est difficile de traiter ce sujet en gardant les pieds sur terre, car il échappe à toute tentative de pensée structurée, réfléchie et raisonnable. Si l’on ajoute à cette constatation le fait que le processus thérapeutique s’appuie nécessairement sur un double mouvement de transfert et de contre-transfert, on voit combien est ardue la tâche du thérapeute. Ce dernier, en s’immergeant dans l’histoire de ses patients, propose un socle réparateur, mais fait en même temps appel à sa propre histoire, elle aussi remplie d’ombres et de lumières.

Le travail thérapeutique mené avec mes patients me conduit à constater que le ressenti du «manque d’amour» est l’une des premières causes de consultation.

Il arrive que l’amour et son cortège d’émotions se fasse toujours attendre, ou bien qu’il se présente sous une forme passionnelle impossible à apaiser ni maîtriser, ou bien encore qu’il se termine par une rupture laissant de profondes blessures. L’amour est presque toujours au centre des préoccupations humaines. L’amour vécu au sein du couple prend ses racines au cœur même de la petite enfance, ce que traduit parfaitement Mélanie Klein dans «L’amour et la haine».

Pour tenter de rationaliser un tant soit peu l’expression du sentiment amoureux, il me semble nécessaire d’opérer une classification sommaire. Abraham Maslow, pense que nous avons le choix entre deux formules :

l’amour égocentrique ou déficient, qui s’apparente à l’amour passionnel, et l’amour altruiste qui conduit vers la croissance.

L’amour le plus solide, et je le constate chaque jour avec les couples que je reçois, est l’amour altruiste. C’est un amour qui se construit et grandit au fil des jours et des années. Il s’inscrit durablement dans l’histoire de nos vies pour en constituer le socle. Mais l’amour altruiste n’attend pas de retour. Il se donne de manière inconditionnelle. C’est justement parce qu’il n’attend rien en retour qu’il a toutes les chances d’être vécu en réciprocité. Ce n’est pas le moindre de ses paradoxes.

L’amour véritable se met en place jour après jour, au travers de la mise à l’épreuve, et se renforce avec la solidité du lien. Il est le résultat d’une co-construction permanente.

Toutefois, construire en commun n’est pas suffisant pour faire vivre un amour. Je vois, dans mon cabinet de consultation, des couples qui ont construit une famille, ont eu des enfants, se sont épanouis dans une vie professionnelle bien remplie, et qui pourtant éprouvent moins d’intérêt à vivre l’un près de l’autre, comme si le temps avait balayé et effacé le bonheur de vivre ensemble.