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Luna est une jeune femme dotée d’un don extraordinaire. Sans jamais avoir appris le solfège ni la lecture de la musique, elle possède la capacité de mémoriser et de jouer d’oreille n’importe quelle composition, même la plus complexe, grâce à une concentration hors du commun. Son talent exceptionnel attire l’attention d’un pianiste de renommée internationale qui, fasciné, décide de la prendre sous son aile et de la guider vers une carrière d’interprète de premier plan. Ce parcours, en apparence tracé vers la gloire, cache des défis inattendus. Luna devra faire face à des sacrifices et des choix déchirants. Parviendra-t-elle à réaliser ses rêves sans se perdre elle-même ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ancien secrétaire de rédaction puis rédacteur en chef technique dans un journal spécialisé pour ingénieurs, cadres et techniciens,
Vladimir Sartin a choisi de consacrer sa retraite à la réalisation de son rêve de toujours : écrire un ouvrage littéraire. Après plus de trente ans dans une carrière proche de sa passion, il profite désormais de son temps libre pour explorer pleinement son talent d’écrivain.
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Vladimir Sartin
Le fabuleux don de Luna
Roman
© Lys Bleu Éditions – Vladimir Sartin
ISBN : 979-10-422-3420-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Pourquoi la musique ? Pourquoi l’art en général ?
Pour échapper à l’enfer, pour transformer le chaos
de ce monde en une part d’Éden.
Hélène Grimaud, Renaître
Moderato
Je m’appelle Nathan Emerstein. Mes parents m’ont prénommé Nathan pour pouvoir m’attribuer le diminutif de Nat, en hommage au pianiste Yves Nat dont ils ont été des admirateurs inconditionnels. Malheureusement, ils n’ont jamais pu l’entendre directement, car il avait interrompu sa carrière de concertiste après avoir été nommé professeur au Conservatoire de Paris, en 1935. Mais ils raffolaient des disques qu’il avait continué à enregistrer jusqu’à la fin des années 1950. Et c’est d’ailleurs en fouinant sur les gondoles d’un disquaire que mes parents se sont rencontrés et qu’ils se sont plu. Jean, mon père, était non seulement mélomane, mais il pratiquait plutôt bien le piano en amateur. Il rêvait pour moi d’une carrière de musicien. Myriam, ma mère, m’a raconté que, dès l’âge de deux ans, j’avais ma place sur le tabouret du piano auprès de lui lorsqu’il se mettait à jouer ; je savais à peine parler, mais à la moindre fausse note, je m’écriais : « Pas beau, papa ! ».
Plus tard, il m’autorisa à m’asseoir seul devant l’instrument. Toujours selon Myriam, je restais des heures à frapper les deux mêmes notes, un la et un do, ensemble ou séparément, en testant la puissance de la frappe, la durée du son quand mes doigts s’attardaient sur les touches, les rythmes engendrés selon la fréquence des impulsions, etc. Ces expérimentations avaient le don d’exaspérer mon père, persuadé que j’étais porteur d’une grave déficience mentale. Il est revenu sur ce jugement lorsque, vers l’âge de cinq ans, j’ai commencé à reproduire d’oreille, bien qu’imparfaitement, des morceaux que je l’avais entendu interpréter. Et il m’a reconnu comme son digne héritier quand j’ai été admis au Conservatoire de Paris, à l’âge de onze ans, où j’ai rencontré Simon Illouz qui allait devenir un grand violoncelliste et mon plus cher ami.
Mon nom de scène est donc Nat Emerstein. Je suis pianiste-concertiste. Je donne régulièrement des concerts avec les plus grands orchestres du monde entier. Mon répertoire est souvent consacré aux œuvres de Schubert, mon compositeur de prédilection, mais je joue aussi des sonates et des concertos de Beethoven, Mozart, Chopin, Prokofiev, Rachmaninov, etc. Je suis également professeur au Conservatoire national supérieur de musique de Paris.
Je voudrais être sûr de ne rien oublier des événements improbables qui sont en train de bouleverser mon existence, hasard magnifique, rencontre inattendue : j’entame une aventure avec une pianiste d’une vingtaine d’années. Ce n’est pas une histoire d’amour, enfin pas au sens où on l’entend habituellement. La première fois que je l’ai entendue, elle interprétait, sur le piano public de la gare de Lyon, à Paris, la Sonate pour piano no 8, dite « Pathétique », de Beethoven, sans la moindre fausse note, se jouant des difficultés techniques, respectant les indications de la partition – je la connais par cœur, c’est l’un de mes morceaux préférés en concert – et avec une sensibilité digne d’une très grande pianiste. Et toutes ces qualités étaient perceptibles malgré la piètre sonorité de ce malheureux piano désaccordé.
Ma curiosité a instantanément été éveillée : je connais tous les étudiants, anciens et nouveaux élèves du CNSM de ces dix dernières années. Je savais qu’elle n’y avait jamais été inscrite, et je me suis demandé où – peut-être dans un conservatoire étranger – elle aurait pu acquérir une telle maîtrise technique et un tel sens de l’interprétation. Je me suis donc présenté à cette jeune femme et je lui ai proposé de venir chez moi pour jouer sur un de mes pianos de concert et faire connaissance. Elle avait vu des photos de moi sur des pochettes de CD et connaissait mon nom. Rouge de confusion d’avoir été remarquée par un musicien connu, elle a accepté de se rendre à un rendez-vous à mon domicile, d’autant que je lui ai promis que mon épouse Hélène, elle-même violoniste réputée, serait présente.
Luna est venue dans notre maison le lendemain. Hélène l’a accueillie à bras ouverts, et elles ont immédiatement sympathisé. Après un bavardage à bâtons rompus qui nous a permis de faire mutuellement connaissance, nous avons prié Luna de se mettre au piano et de nous interpréter un morceau de son choix. Elle était visiblement intimidée : jouer sans préparation devant deux musiciens connus ne devait pas être chose facile.
« Prenez votre temps, respirez, dégourdissez-vous les doigts si vous en avez envie…
— Non merci, ce ne sera pas nécessaire. »
Et d’entamer le Klavierstück no 1 de Schubert. Hélène et moi nous regardons, médusés. Cette jeune inconnue, du haut de ses vingt ans, joue comme une grande virtuose. Compréhension de l’œuvre, précision, énergie, fluidité d’exécution… tout est en place. C’est tellement beau que nous en avons les larmes aux yeux. Brusquement, nous remarquons pratiquement ensemble une anomalie qui ne nous avait pas frappés d’emblée : cette pièce que Schubert a écrite en mi bémol mineur, Luna la joue en mi mineur, donc un demi-ton plus haut. Comment une telle transcription est-elle possible ? La plupart des auditeurs n’auraient pas remarqué la différence, mais Hélène et moi avons tous deux l’oreille absolue et sommes capables d’identifier une note au comma près. D’autant que nous connaissons bien la partition, puisque c’est celle d’une œuvre que j’interprète fréquemment en récital et que j’ai déjà enregistrée.
Hélène est non seulement interloquée, mais elle semble également choquée, bouleversée ; sur son visage, une palette d’émotions extrêmes se succèdent à vive allure : l’attention, l’intérêt, l’incrédulité, la joie, la panique, la peur même ! Hélène fond en larmes.
Je lui demande : « Que se passe-t-il ? Que t’arrive-t-il ?
— Tu ne te rends pas compte ? Tu ne remarques rien ?
— Euh…
— Elle t’a vampirisé ! Ce n’est pas elle qui joue, c’est toi !
— Mais que dis-tu là…
— Oui, elle a volé ta façon de jouer. »
Luna a terminé son interprétation. Elle pivote sur le tabouret, nous observe avec anxiété et, visiblement, ne comprend pas ce qui se passe. Je décide de détendre l’atmosphère. « Luna, je te félicite, ton interprétation est absolument parfaite. Tu es déjà une grande pianiste. Aucun de mes élèves au CNSM ne t’arrive à la cheville. Et je connais beaucoup de musiciens connus qui seraient incapables de jouer avec une telle intensité et une telle compréhension de l’œuvre. Où as-tu appris à jouer comme cela ? Il n’y a que les Russes pour obtenir de tels résultats avec leurs élèves. As-tu étudié à Saint-Pétersbourg ? À Moscou ?
— Non, ni en Russie, ni dans aucun autre pays. Je me suis formée toute seule.
— J’ai infiniment de mal à te croire, c’est impossible. Mais puisque tu le dis… Pourquoi as-tu transposé ce morceau en mi bécarre au lieu de mi bémol ? As-tu découvert un manuscrit de Schubert inconnu à ce jour ? Une nouvelle partition ?
— Non, rien de tout cela, je ne connais pas la partition.
— Mais que dis-tu ? C’est invraisemblable !
— Je ne sais pas lire la musique, je joue d’oreille. Je joue ce morceau de cette façon parce que c’est plus facile pour moi de n’avoir à frapper que deux touches noires au lieu de cinq. »
Hélène et moi nous regardons, abasourdis.
J’avais bien remarqué quelque chose de familier dans le jeu de Luna, mais brusquement je réalise que mon épouse, en fine analyste, a raison : c’est un clone de moi-même qui a interprété ce Klavierstück.
« Luna, ce qu’a dit Hélène est vrai : tu joues ce morceau exactement comme moi. Comment est-ce possible ? »
Luna se trouble, baisse la tête, balbutie…
« C’est en écoutant votre enregistrement que j’ai eu envie d’apprendre ce morceau, et c’est lui qui m’a servi de modèle. »
Nous apprenons également qu’elle adore le jazz et qu’elle joue le soir dans des night-clubs pour assurer sa subsistance.
Non seulement Luna possède un don miraculeux pour le piano, mais elle semble également être dotée d’une personnalité attachante, tout en retenue, modestie et timidité ; elle est, de toute évidence, travailleuse et organisée dans sa vie. L’ensemble assorti d’une apparence physique aussi exceptionnelle que ses qualités – bref, je cesse de tourner autour du pot au risque de paraître machiste : elle est incroyablement belle. Nous lui proposons de prendre en main son éducation musicale, Hélène pour la partie théorique, moi pour la pratique du piano. Incrédule, Luna se confond en remerciements et nous convenons d’un rendez-vous quotidien, le matin avec Hélène, l’après-midi avec moi, dans la mesure où nos activités professionnelles nous le permettront.
Presto
Luna a quasiment élu domicile chez moi. Elle arrive en fin de matinée et, après les politesses d’usage et la dégustation d’un café ou d’un jus de fruits, elle commence une journée de bagne musical, d’abord avec Hélène, puis avec moi. Mon épouse tente de lui enseigner le solfège, la théorie musicale et les bases de l’harmonie : l’ordre des dièses et des bémols, la façon dont leur combinaison détermine la tonalité d’une partition, la structure des accords, leur résolution, leurs renversements et leur utilisation par les grands compositeurs, etc. Hélène est patiente et possède un véritable don pour la pédagogie.
Luna est intéressée, mais elle refuse de se livrer aux exercices indispensables pour apprendre le solfège. Cependant, elle semble avoir réalisé que ces connaissances théoriques pourraient considérablement faciliter ses capacités d’apprentissage et de mémorisation des œuvres musicales, en particulier l’agencement et l’identification des accords. Quant à moi, j’ai réussi à négocier avec l’administration du conservatoire un congé censé me permettre de préparer un récital que je dois donner au festival de Tardeville, d’autant que l’année universitaire s’achève bientôt et que je passe beaucoup de temps avec Luna. Je lui fais écouter des morceaux écrits pour le piano en essayant d’établir une progression dans la complexité des œuvres. Soit je lui joue des partitions, soit je lui fais entendre des enregistrements de grands interprètes. Elle se concentre intensément et, après quelques écoutes, elle arrive à les mémoriser et à les reproduire sans fautes. Lorsque la composition est complexe ou que la rapidité d’exécution demande une attention particulière, je lui joue au ralenti les passages concernés en détachant bien chaque note pour lui permettre de comprendre la structure de l’œuvre. Elle assimile vite et peut même discriminer la partie de piano dans des œuvres de musique de chambre ou des concertos…
Luna fait des progrès rapides, mais je me garde bien de le lui dire. Je suis d’une grande exigence et je ne laisse rien passer. Je sais que ce doit être pénible, mais j’ai de telles ambitions pour elle que je ne peux accepter la moindre imprécision, et je l’oblige parfois à rejouer plusieurs fois le même passage, jusqu’à ce que j’aie considéré qu’elle a atteint la perfection.
Son répertoire s’enrichit chaque jour. Pour bien mémoriser le morceau qu’elle vient d’apprendre, elle s’exerce à le jouer jusqu’à ce que ses doigts l’aient parfaitement assimilé. Si bien qu’elle passe ses après-midi à travailler sur le piano, sans perdre une minute. Non seulement elle reproduit ce qu’elle a entendu, mais elle intègre aussi le style de l’interprète et, à la fin de ces exercices compliqués et exigeants, elle restitue des « à la manière de… » à chaque fois plus convaincants par le rendu et la virtuosité.
Chaque jour, je lis sur son visage les stigmates de la fatigue : pour ne pas perdre le contact avec les dirigeants des clubs de jazz où elle se produit, elle retourne tous les soirs dans ces établissements, et elle y joue, jusque tard dans la nuit, des compositions de Tatum, Ellington, Brubeck, Jarrett, etc., avec une prédilection pour Mehldau et le jazz moderne. Très appréciée, elle peut répondre à toutes les demandes du public : elle connaît par cœur la presque intégralité des standards des plus grands pianistes de jazz et elle est capable d’improviser des variations savantes sur tous les grands thèmes. Elle se couche à 3 ou 4 heures du matin, après avoir consommé de l’alcool au cours de ces prestations. Bref, elle mène une existence épuisante et pas très saine. Mais ses facultés musicales ne cessent de s’accroître. J’ai beau lui faire la leçon, elle me répond que je ne suis pas son père, qu’elle est majeure et qu’elle sait ce qu’elle fait. C’est l’un des premiers accrocs dans notre relation.