Le grand secret - Maurice Maeterlinck - E-Book

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Maurice Maeterlinck

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Qu'on ne s'attende pas à trouver ici une histoire ou une monographie méthodique de l'occultisme. Il y faudrait consacrer des volumes que remplirait forcément une grande partie du fatras que je veux avant tout épargner au lecteur. Je n'ai d'autre dessein que de dire aussi simplement que possible ce que m'ont appris plusieurs années passées dans ces régions assez décriées et peu fréquentées. J'en rapporte les impressions d'un voyageur de bonne foi qui les a parcourues en curieux plutôt qu'en croyant. Ce sera, si l'on veut, une sorte de résumé ou de mise au point provisoire.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Maurice Maeterlinck, né le 29 août 1862 à Gand (Belgique) et mort le 6 mai 1949 à Nice (France), est un écrivain francophone belge, prix Nobel de littérature en 1911.

Figure de proue du symbolisme belge, il reste aujourd'hui célèbre pour son mélodrame Pelléas et Mélisande (1892), sommet du théâtre symboliste mis en musique par Debussy en 1902, pour sa pièce pour enfants L’Oiseau bleu (1908), et pour son essai inspiré par la biologie La Vie des abeilles (1901), œuvre au centre du cycle d'essais La Vie de la nature, composé également de L'Intelligence des fleurs (1910), La Vie des termites (1926), La Vie de l’espace (1928) et La Vie des fourmis (1930).

Il est aussi l'auteur de treize essais mystiques inspirés par Ruysbroeck l'Admirable et réunis dans Le Trésor des humbles (1896), de poèmes recueillis dans Serres chaudes (1889), ou encore de Trois petits drames pour marionnettes (1894, trilogie formée par Alladine et Palomides, Intérieur, et La Mort de Tintagiles).

Son œuvre fait preuve d'un éclectisme littéraire et artistique (importance de la musique dans son œuvre théâtrale) propre à l'idéal symboliste.

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Seitenzahl: 262

Veröffentlichungsjahr: 2021

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Maurice Maeterlinck

Le grand secret

Nombre de pages : 348

Titre : Le grand secret / Maurice Maeterlinck

Auteur : Maeterlinck, Maurice (1862-1949). Auteur du texte

Éditeur : (Paris)

Date d'édition : 1950

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : 1 vol. (320 p.) : 19 cm

Format : Nombre total de vues : 348

Droits : domaine public

Identifiant : ark :/12148/bpt6k3351324f

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 16-R-3593

Notice du catalogue : http ://catalogue.bnf.fr/ark :/12148/cb324066055

Provenance : Bibliothèque nationale de France

 

LE GRAND SECRET

 

FASQUELLE ÉDITEURS, 11, rue de Grenelle  

 

MAURICE MAETERLINCK

LE GRAND SECRET

PARIS

BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER FASQUELLE ÉDITEURS

11, RUE DE GRENELLE, 11

 

 

 

 

PRÉLIMINAIRES

I

Qu'on ne s'attende pas à trouver ici une histoire ou une monographie méthodique de l'occultisme. Il y faudrait consacrer des volumes que remplirait forcément une grande partie du fatras que je veux avant tout épargner au lecteur. Je n'ai d'autre dessein que de dire aussi simplement que possible ce que m'ont appris plusieurs années passées dans ces régions assez décriées et peu fréquentées. J'en rapporte les impressions d'un voyageur de bonne foi qui les a parcourues en curieux plutôt qu'en croyant. Ce sera, si l'on veut, une sorte de résumé ou de mise au point provisoire. Je ne sais rien de plus que ce que pourrait apprendre le premier venu qui ferait la même excursion. Je ne suis pas un initié, je n'ai pas eu de maîtres évanescents et mystérieux venus tout exprès des confins de ce monde ou d'un autre pour me révéler les dernières vérités et me défendre de les répéter. Je n'ai pas eu accès aux bibliothèques cachées, à ces sources secrètes de la suprême Sagesse qui, paraît-il, existent quelque part, mais seront toujours pour nous comme si elles n'étaient point, attendu qu'en y pénétrant on se condamne, sous peine de mort, à un silence inviolable. Je n'ai pas davantage déchiffré d'incompréhensibles grimoires ni découvert une clef nouvelle aux livres sacrés des grandes religions. J'ai seulement lu et étudié la majeure partie de ce qui a été écrit sur ces questions ; et parmi une masse énorme de documents absurdes, puérils, ressassés et inutiles, je ne me suis attaché qu'aux œuvres maîtresses qui ont vraiment à nous apprendre quelque chose que nous ne trouvons pas ailleurs. En déblayant ainsi les abords d'une étude trop souvent encombrée de débris rebutants, je faciliterai peut-être la tâche de ceux qui voudront et sauront aller plus loin que moi.

II

Grâce aux travaux d'une science assez récente, notamment grâce aux recherches des indianistes et des égyptologues, il nous est aujourd'hui beaucoup plus facile que naguère de retrouver les sources, de remonter le cours et de débrouiller le réseau souterrain du grand fleuve mystérieux qui depuis l'origine de l'histoire a coulé sous toutes les religions, sous toutes les croyances, sous toutes les philosophies, en un mot sous toutes les manifestations diurnes ou à ciel ouvert de la pensée humaine. Il n'est plus guère contestable que cette source se trouve dans l'Inde antique. De là, l'enseignement sacré se répandit probablement en Égypte, gagna la Perse ancienne, la Chaldée, satura le peuple hébreu, s'infiltra dans la Grèce et le nord de l'Europe, atteignit la Chine et même l'Amérique où la civilisation Astèque n'était qu'une réplique plus ou moins déformée de la civilisation égyptienne.

Nous avons ainsi trois grands dérivés de l'occultisme primitif, Aryo ou Atlantéo-Hindou : 1° l'occultisme antique, c'est-à-dire égyptien, persan, chaldéen, juif et celui des mystères grecs ; 2° l'ésotérisme judéo-chrétien avec les Esséniens, les gnostiques, les néo-platoniciens d'Alexandrie et les kabbalistes du moyen âge, et 3° l'occultisme moderne plus ou moins imprégné des précédents, mais qui, sous le vocable d'ailleurs assez inexact d'occultisme, désigne plus spécialement, à côté des théosophes, les spirites et les métapsychistes d'aujourd'hui.

III

Quant aux sources de la source primaire, il est à peu près impossible de les retrouver. Nous n'avons ici que les affirmations de la tradition occultiste, affirmations que des découvertes historiques semblent d'ailleurs çà et là confirmer. Ces traditions attribuent l'immense réservoir de sagesse qui s'était formé quelque part, dès l'origine de l'homme, et, à ce qu'elles disent, même avant sa venue sur cette terre, à des entités plus spirituelles, à des êtres moins engagés dans la matière, à des organismes psychiques, dont les derniers venus, les Atlantes, n'auraient été que les représentants dégénérés.

Au point de vue historique, au delà de cinq ou six mille ans, sept mille peut-être, les documents nous font absolument défaut. Nous ne pouvons pas savoir comment est née la religion des Hindous et des Égyptiens. Quand nous la trouvons, elle est déjà toute faite dans ses grandes lignes, dans ses grands principes. Non seulement elle est toute faite ; mais plus on remonte, plus elle est parfaite, plus elle est pure, plus elle se rapproche des plus hautes spéculations de l'agnosticisme d'aujourd'hui. Elle suppose une civilisation antérieure, dont, étant donnée la lenteur de toute évolution humaine, il est impossible d'évaluer la durée. Cette durée doit vraisemblablement se calculer par milliers de milliers d'années. C'est ici que la tradition occultiste vient à notre aide. Pourquoi cette tradition serait-elle, à priori, inacceptable et méprisable, alors que presque tout ce que nous savons de ces religions primitives est également fondé sur la tradition orale, car les textes écrits sont de beaucoup postérieurs ; et qu'en outre tout ce que nous dit cette tradition concorde curieusement avec ce que nous avons appris d'autre part ?

IV

En tout cas, si l'on a besoin de la tradition occultiste pour expliquer l'origine de cette sagesse qui nous paraît à bon droit surhumaine, on peut fort bien s'en passer pour ce qui concerne l'essentiel de cette sagesse même. Des textes authentiques et qu'on peut situer dans l'histoire, le contiennent tout entier ; et sous ce rapport, les théosophes modernes qui prétendent avoir eu à leur disposition des documents secrets et avoir profité de révélations extraordinaires que leur auraient faites des Adeptes ou Mahatmas, d'une fraternité mystérieuse, ne nous ont rien appris qui ne se trouve dans les écrits accessibles à tous les orientalistes. Ce qui sépare les occultistes, — les théosophes de l'école de Blawasky, par exemple, qui domine toutes les autres, — des indianistes et des égyptologues scientifiques, ce n'est pas ce qui a rapport à l'origine, à l'économie, au but de l'univers, aux fins de la terre et de l'homme, à la nature de la divinité, aux grands problèmes de la morale ; ce sont presque uniquement des questions qui ont trait à la préhistoire, à la nomenclature des émanations de l'inconnaissable et à la manière de maîtriser et d'utiliser les forces inconnues de la nature.

Occupons-nous d'abord des points où ils s'accordent  ; ce sont du reste les plus intéressants ; car tout ce qui touche à la préhistoire est forcément hypothétique, les noms et les fonctions des dieux intermédiaires n'ont qu'un intérêt de second ordre ; quant à l'utilisation des forces inconnues, elle regarde plutôt les sciences métapsychiques dont nous reparlerons plus loin.

V

« Ce que nous lisons dans les Védas, dit Rudolph Steiner, l'un des plus érudits et aussi des plus déconcertants parmi les occultistes contemporains, ce que nous lisons dans les Védas, ces archives de la sagesse hindoue, ne nous donne qu'une faible idée des sublimes enseignements des anciens instructeurs et non pas dans leur forme originelle. Seul le regard du clairvoyant, porté sur les arcanes du passé, peut découvrir la sagesse inédite qui se cache derrière ces écrits. »

Historiquement, il est fort probable que Steiner a raison. En effet, comme je l'ai déjà dit, plus les textes sont anciens, plus ce qu'ils révèlent est pur et grandiose ; et il est vraisemblable qu'ils ne sont eux-mêmes, selon l'expression de Steiner, qu'un écho affaibli d'enseignements plus sublimes. Mais ne possédant pas le regard du clairvoyant, nous devons nous contenter de ce que nous avons sous les yeux.

Les textes que nous possédons sont les livres sacrés de l'Inde, que viennent corroborer ceux de l'Égypte et de la Perse. L'influence qu'ils exercèrent sur la pensée humaine, sinon dans leur forme présente, du moins par la tradition orale qu'ils n'ont fait que fixer, remonte aux origines de l'histoire, se répandit partout et ne cessa jamais de se faire sentir ; mais, pour le monde occidental, leur découverte et leur étude méthodique sont relativement récentes. « Il y a cinquante ans, écrivait en 1875 Max Muller, il n'existait pas un lettré qui sût traduire une ligne du Véda, une ligne du Zend-Avesta ou une ligne du Tripitâka Bouddhique, sans parler des autres dialectes ou langages. »

Si les faits prenaient d'abord, dans les annales de l'homme, les proportions qu'ils acquerront plus tard, la découverte de ces livres sacrés eût probablement bouleversé l'Europe ; car c'est sans nul doute l'événement spirituel le plus important qui s'y soit produit depuis le christianisme. Mais il est rare qu'un événement spirituel ou moral se répande rapidement dans les masses. Il a contre lui trop de forces qui ont intérêt à l'étouffer. Celui-ci demeura confiné dans un petit cercle de savants et de philologues et atteignit même moins qu'il n'était présumable les métaphysiciens et les moralistes. Il attend encore l'heure de son expansion.

VI

La première question qui se pose est celle de la date de ces textes. Il est très difficile d'y donner une réponse précise ; car s'il est relativement aisé de déterminer l'époque où les livres furent écrits, il est impossible d'évaluer le temps durant lequel ils existèrent uniquement dans la mémoire des hommes. Selon Max Muller, il n'y a guère de manuscrit sanscrit qui remonte plus haut que l'an mil de notre ère, et tout semble indiquer que l'écriture n'a été connue en Inde qu'au commencement de la période bouddhique (Ve siècle avant J.-C.), c'est-à-dire à la fin de la vieille littérature védique. Le Rig-Véda qui compte 1.028 hymnes, d'une moyenne de dix vers, soit 153.826 mots, a donc été conservé par le seul effort de la mémoire. Aujourd'hui encore, les Brahmanes savent tous le Rig-Véda par cœur, comme leurs ancêtres d'il y a trois mille ans. C'est au delà du Xe siècle avant J.-C. que nous devons placer le développement spontané de la pensée védique telle que nous la trouvons dans le Rig-Véda. Déjà trois cents ans avant J.-C., toujours selon Max Muller, le sanscrit avait cessé d'être parlé par le peuple, ce qui est prouvé par une inscription dont la langue est au sanscrit ce que l'italien est au latin.

Cette période des « Chandas », selon d'autres orientalistes, remonte probablement à deux ou trois mille ans avant J.-C., de sorte que nous voilà déjà à cinq mille ans, date la plus modeste et la plus prudente. « Une chose est certaine, ajoute Max Muller, c'est qu'il n'y a rien de plus ancien ni de plus primitif que les hymnes du Rig-Véda, non seulement dans l'Inde, mais dans tout le monde Aryen. En tant qu'Aryen de langue et de pensée, le Rig-Véda est notre livre sacré le plus ancien1.»

Depuis les travaux du grand orientaliste, d'autres savants ont notablement reculé la date des premiers manuscrits et surtout celle des premières traditions ; mais ils restent encore à d'énormes distances de la computation des Brahmanes qui reportent l'origine de leurs livres à des milliers de siècles avant notre ère. « Il y a actuellement plus de cinq mille ans, dit Swâmi Dayanound Saraswati, que les Védas ont cessé d'être un objet d'études » ; et selon les calculs de l'orientaliste Halled, les Çastras, d'après la chronologie des Brahmanes, doivent avoir sept millions d'années.

Sans prendre parti dans ces querelles, le seul point qu'il importe d'établir, c'est que ces livres, ou plutôt la tradition qu'ils ont recueillie et fixée, est évidemment antérieure, l'Égypte, la Chine et la Chaldée peut-être exceptées, à tout ce que nous connaissons dans l'histoire de l'homme.

VII

Cette littérature comprend d'abord les quatre Védas : le Rig, le Suma, l'Yadjour et l'Atharva-Véda, complétés par les commentaires ou Brahmanas et les traités de philosophie appelés Aranyakas et Upanischads, auxquels il faut ajouter les Çastras, ou Sastras dont le plus connu est le Manava-Dharma-Çastra, ou Lois de Manou — qui, selon William Jones, Chézy et Loiseleur-Deslongchamps, remonte au XIIIe siècle avant notre ère, — et les premiers Pouranas.

De ces textes, le Rig est incontestablement le plus ancien. Les autres s'échelonnent sur un espace de plusieurs centaines, voire de plusieurs milliers d'années ; mais tous, excepté les derniers Pouranas, sont antérieurs à l'ère chrétienne, ce qu'il ne faut pas perdre de vue, non dans un sentiment d'hostilité envers la grande religion occidentale, mais pour mettre celle-ci à sa place dans l'histoire et dans l'évolution de la pensée humaine.

Le Rig-Véda est encore plus polythéiste que panthéiste et les sommets de la doctrine n'y émergent que çà et là, par exemple dans les stances que nous citons plus loin. Ses divinités ne représentent que des forces physiques amplifiées que le Sama-Véda et surtout les Brahmanes ramenèrent par la suite à des conceptions métaphysiques et à l'unité. Le Sama-Véda affirme l'Inconnaissable et le Yadjour-Véda le Panthéisme. Quant à l'Atharva, le plus ancien, selon les uns, le plus récent selon les autres, il est avant tout rituel.

Ces idées furent développées par les commentaires des Brahmanes qui se multiplièrent surtout entre les XIIe et VIIe siècles avant J.-C. ; mais se rattachent probablement à des traditions beaucoup plus anciennes que prétendent avoir retrouvées nos modernes théosophes, sans du reste étayer leurs assertions de preuves suffisantes.

Il faut donc, quand on parle de la religion de l'Inde, la considérer dans son ensemble, depuis le Védisme primitif, en passant par le Brahmanisme et le Krichnaïsme, jusqu'au Bouddhisme ; en s'arrêtant, si l'on veut, deux ou trois siècles avant notre ère, pour éviter tout soupçon d'infiltration judéo-chrétienne.

Toute cette littérature à laquelle on peut annexer, entre bien d'autres, les textes semi-profanes du Ramayana et du Maha-Bahrata, au milieu duquel s'épanouit le Bhagavat-Gita ou Chant du Bienheureux, cette magnifique fleur du mysticisme hindou, est encore très imparfaitement connue et nous n'en possédons que ce que les Brahmanes ont bien voulu nous on livrer.

Elle soulève une foule de questions extrêmement complexes dont bien peu ont été jusqu'ici résolues. Ajoutons que la traduction des textes sanscrits, surtout des plus anciens, est encore fort incertaine. Selon Roth, le véritable fondateur de l'exégèse védique, « le traducteur qui rendra le Véda intelligible et lisible, mutatis mutandis, comme Homère l'est devenu depuis les travaux de Voss, est encore à venir et l'on ne peut guère prévoir sa venue avant le siècle prochain ».

Pour se faire une idée de l'incertitude de ces traductions, il suffit de voir à titre d'exemple, à la fin du troisième volume de la Religion Védique d'Abel Bergaigne, le grand orientaliste français, les discussions qui s'élèvent entre les indianistes les plus célèbres, tels que Grassmann, Ludwig, Roth et Bergaigne lui-même, au sujet de l'interprétation de presque tous les mots essentiels de l'hymne 1-123, à l'Aurore. « Elle étale, comme le dit Bergaigne, les misères de l'interprétation actuelle du Rig-Véda2. »

Les néo-théosophes se sont efforcés de résoudre quelques-uns des problèmes que soulèvent l'antiquité hindoue ; mais leurs travaux, très intéressants en ce qui concerne la doctrine, sont extrêmement faibles au point de vue de la critique ; et il est impossible de les suivre sur un terrain où l'on ne rencontre que des hypothèses invérifiables. La vérité c'est que, quand il s'agit de l'Inde, il faut renoncer à toute certitude chronologique. Pour prendre un minimum, sans doute très inférieur à la réalité, en laissant derrière nous une marge peut-être immense de siècles nébuleux, ne reportons pas à plus de trois DU quatre mille ans l'épanouissement des Brahmanas ; nous constatons ainsi qu'existait à cette époque, au pied de l'Himalaya, une grandiose religion panthéiste et agnostique, qui plus tard devint ésotérique ; et c'est tout ce qui, pour l'instant, nous importe.

VIII

Et l'Égypte, dira-t-on, ses monuments et ses hiéroglyphes ne sont-ils pas bien plus anciens ? Écoutons sur ce point le très érudit égyptologue Le Page Renouf3, une des grandes autorités en la matière. Il estime que les monuments égyptiens et leurs inscriptions ne peuvent servir de bases à des dates certaines ; que les calculs fondés sur le lever héliaque des étoiles n'est pas probant, attendu que dans les textes il est plus vraisemblable qu'il s'agit de leur passage que de leur lever. Mais il est convaincu que, d'après les calculs les plus modérés, la monarchie égyptienne existait déjà plus de 2.000 ans avant que l' Exode fût écrit : or, l' Exode remonte probablement à l'an 1310 avant J.-C. ; et la date de la grande pyramide ne peut être reportée à moins de 3.000 ou 4.000 ans avant notre ère. Ces calculs, de même que ceux qui font commencer l'ère chinoise 2.697 ans avant J.-C., nous ramènent assez curieusement à l'époque assignée par les indianistes au développement de la pensée védique, développement qui suppose une période de gestation et de formation infiniment plus reculée. Ils n'impliquent pas du reste que la civilisation égyptienne, tout comme la civilisation hindoue, ne soit beaucoup plus ancienne. Un autre grand égyptologue, Léonard Horner, de 1851 à 1854, fit creuser dans la vallée du Nil, en divers endroits, quatre-vingt-quinze puits. On constate que la hauteur que le Nil ajoute chaque siècle à son lit d'alluvions est de 5 pouces, hauteur qui doit être moindre pour les couches inférieures, à cause de la pression ; or, jusqu'aux profondeurs de 75 pieds, on trouva des sculptures de granit, des figures humaines et animales, des mosaïques, des vases, des fragments de briques et de poteries (celles-ci aux grandes profondeurs). Comme il y a 12 pouces dans un pied, cela nous reporte à plus de 17.000 ou 18.000 ans. A une profondeur de 33 pieds 6 pouces on exhuma une tablette avec des inscriptions qui, d'après un calcul facile, avait par conséquent près de 8.000 ans. L'hypothèse de puits ou citernes, sur lesquels on serait tombé par hasard, doit être écartée, car le même fait s'est vérifié partout. Ces constatations, pour le dire en passant, donnent une fois de plus raison aux traditions occultistes, touchant l'antiquité de la civilisation humaine. Cette antiquité prodigieuse est en outre confirmée par les observations sidérales des anciens. Il existe par exemple un catalogue d'étoiles qu'on appelle le catalogue de Souryo-Shiddhanto ; or, les différences de position de huit de ces étoiles fixes, prises au hasard, démontrent que les observations de Souryo remontent à plus de 58 000 ans.

IX

Est-ce l'Inde ou l'Égypte qui fut l'héritière directe de la sagesse légendaire que nous léguèrent des peuples plus anciens, notamment les probables Atlantes  ? Dans l'état présent de notre science, et sans tenir compte des traditions occultistes, il n'est pas encore possible de répondre.

Il y a moins d'un siècle on ignorait à peu près complètement l'Égypte antique. On ne la connaissait que par des ouï-dire et des légendes plus ou moins fantaisistes recueillies par des historiens tard venus et surtout par les divagations des philosophes et des théurgistes de l'époque Alexandrine. C'est seulement en 1820, que Jean-François Champollion, grâce au triple texte de la célèbre pierre hiéroglyphique de Rosette, trouva la clef de l'écriture mystérieuse qui couvre tous les monuments, tous les tombeaux et presque tous les objets de la terre des Pharaons. Mais la mise en œuvre de la découverte fut longue et pénible ; et ce n'est guère que quarante ans plus tard que l'un des plus illustres successeurs de Champollion, de Rougé, put dire qu'il n'y avait plus de texte égyptien qu'on ne fût à même de traduire. On déchiffra des documents sans nombre, et on acquit, quant au sens matériel de la plupart des inscriptions, une certitude presque définitive.

Néanmoins, il paraît de plus en plus probable que sous le sens littéral des inscriptions religieuses, s'en cache un autre qu'on ne peut pénétrer. C'est l'hypothèse à laquelle, en présence du flottement de bien des mots, aboutissent forcément les égyptologues les plus objectifs, les plus scientifiques, bien qu'ils ajoutent aussitôt que rien ne la confirme formellement. Il est donc extrêmement vraisemblable que sous la religion officielle enseignée aux profanes, il y en avait une autre réservée aux prêtres et aux initiés ; et l'hypothèse à laquelle sont contraints les savants, vient ici confirmer une fois de plus les assertions des occultistes, notamment celles des néo-platoniciens d'Alexandrie, au sujet des mystères égyptiens

X

Quoi qu'il en soit, des textes sur l'authenticité desquels il n 'y a pas le moindre doute, le Livre des Morts, les Livres des hymnes, le Recueil des sentences morales de Ptahhoteph, le plus ancien livre de la terre, puisqu'il est contemporain des Pyramides, et beaucoup d'autres, permettent de nous faire une idée très précise de la haute morale d'abord et surtout de la théosophie fondamentale de l'Égypte, avant que cette théosophie ne se corrompît pour donner satisfaction au vulgaire et ne se transformât en un monstrueux polythéisme, qui du reste fut toujours plus apparent que réel.

Or, plus les textes sont anciens, plus leurs enseignements se rapprochent de la tradition hindoue. Qu'ils soient antérieurs ou postérieurs à ceux-ci, la question est en somme secondaire ; ce qui est plus intéressant, c'est le problème de l'origine commune, origine unique et immémoriale, dont la probabilité s'accroît à chaque pas qu'on hasarde dans la préhistoire. Plus on remonte dans le temps, plus nettement se révèle l'accord sur les points essentiels. Voici, par exemple, l'idée que se faisait de Dieu la religion égyptienne à ses débuts. Nous en trouverons un peu plus loin l'original ou la réplique hindoue, de même que nous aurons l'occasion de confronter les deux théogonies, les deux cosmogonies et les deux morales qui sont évidemment les sources de toutes les théogonies, de toutes les cosmogonies et de toutes les morales de l'humanité.

Pour l'Égyptien qui a gardé la foi des origines, il n'y a qu'un seul Dieu, un Dieu unique. « Pas d'autre que lui. » — « Il est le seul être vivant en substance et en vérité. » — « Tu es seul et des millions d'êtres procèdent de toi. » — « Il a fait toutes choses et lui seul n'a pas été fait. » — « Partout et toujours, il est l'unique substance et il est inapprochable. » — « Il est l'un de l'un. » — « Il est hier, aujourd'hui et demain. » — « Il est Dieu se faisant Dieu, existant par lui-même, l'être double, c'est-à-dire, s'engendrant lui-même, générateur dès le commencement. »

« Voici plus de cinq mille ans, dit de Rougé, que dans la vallée du Nil commença l'hymne à l'unité de Dieu et à l'immortalité de l'âme... La croyance à l'unité du Dieu suprême et à ses attributs comme créateur et législateur de l'homme qu'il dota d'une âme immortelle, voilà les notions primitives, serties comme des diamants indestructibles dans les superfétations mythologiques accumulées par les siècles qui ont passé sur cette antique civilisation3. »

 

Assurément, il n'y a pas ici, dans la définition de la divinité, la pénétration, la subtilité et l'espace métaphysique, le bonheur d'expression, la magnificence verbale, le génie, en un mot, que nous trouverons dans les définitions hindoues. C'est que l'esprit égyptien est plus froid, plus sec, plus sobre, plus anguleux, plus réaliste, il a une imagination plus concrète, que l'inaccessible infini n'enflamme pas comme celle des peuples de l'Asie. Au surplus, ne perdons pas de vue que nous ne connaissons pas encore le sens secret qui se cache peut-être au fond de ces définitions. En tout cas, telles que nous les lisons, l'idée est la même et marque une même origine, que l'on peut, conformément aux traditions ésotériques et en attendant d'autres éclaircissements, appeler la pensée Atlantéenne. C'est une supposition que vient confirmer du reste le fameux passage du Timée, d'après lequel, au dire du prêtre égyptien qui parlait à Solon, l'Égypte aurait été, il y a 12.000 ans, une colonie Atlantéenne

XI

Pour le Mazdéisme ou Zoroastrisme, la troisième des grandes religions, le problème de la filiation est plus simple, bien que celui des dates soit également compliqué. Zoroastre, ou plutôt l'un des Zoroastres, le dernier, aurait vécu, selon Aristote, au VIIe siècle avant notre ère. Pline le fait remonter à dix siècles avant Moïse, Hermippe de Smyrne, qui traduisit ses livres en grec, à 4.000 ans avant la prise de Troie et Eudoxe à 6.000 ans avant la mort de Platon.

La science moderne, comme le constate Édouard Schuré d'après les savantes études d'Eugène Burnouf, de Spiegel, de James Darmesteter et de Harlez, déclare qu'il n'est pas possible de fixer la date où vécut le grand philosophe iranien, auteur du Zend-Avesta, mais la recule en tout cas à 2.500 ans avant J.-C. Max Muller, de son côté, a fourni la preuve que Zoroastre ou Zarathustra et ses disciples avaient résidé dans l'Inde. « Plusieurs des dieux zoroastriens, ajoute-t-il, ne sont que des réflexions, des déflexions des dieux primitifs et authentiques des Védas. » Ici il n'y a donc pas le moindre doute au sujet de l'antériorité des livres hindous ; et en même temps est corroborée une fois de plus la fabuleuse antiquité de ces livres ou de ces traditions.

Ces observations préliminaires, dont le développement exigerait des volumes, suffisent, — et c'est ce qui nous intéresse pour l'instant, — à établir que l'enseignement qu'on retrouve dans la suite des temps au fond de toutes les religions, sous forme de mystères, d'initiation, de doctrine secrète, remonte, selon les calculs les plus timides, à des milliers d'années. Elles suffisent en tout cas à écarter la thèse assez puérile de ceux qui soutiennent qu'il est relativement récent et a subi l'influence des révélations judéo-chrétiennes. On ne défend plus sérieusement cette thèse ; mais on tourne la difficulté en disant ? Oui, il y a des vérités de cette religion primitive et même des textes ayant date plus ou moins certaine, antérieurs à Moïse et à Jésus-Christ ; mais qui pourrait faire le départ des interpolations successives qui les ont transformés ?

Il existe dans l'Inde, paraît-il, plus de 1.200 textes des Védas et plus de 350 textes des Lois de Manou, sans compter ceux des livres sacrés que les Brahmes ne nous ont pas livrés, et il est incontestable que dans ces textes ou dans les enseignements qu'ils reproduisent, se trouvent d'évidentes interpolations. Il ne faut jamais perdre de vue que la religion orientale que nous appelons vulgairement et fort improprement le Bouddhisme, se divise en trois grandes périodes qui correspondent assez exactement aux trois périodes qu'on pourrait marquer dans le christianisme, à savoir le Védisme ou la religion primitive, que les Brahmanes commentèrent, compliquèrent et corrompirent enfin à leur profit et qui devint le Brahmanisme contre lequel se révolta et que réforma au Vème siècle avant J.-C. Siddharta Gautama Bouddha ou Çakya-Mouni.

Les indianistes, grâce surtout aux repères historiques que leur donne l'institution des castes, les changements de langue et de mètre, ont appris à démêler assez facilement, dans les . textes suspects, ces trois courants ; et sous la luxuriance et l'enchevêtrement des interpolations, apparaissent toujours les grandes lignes et les vérités essentielles qui nous importent seules.

 

1MAX MULLER, Origine et développement de la religion. Trad. J. D armes te ter, p. 142.

2La Religion védique d'après les hymnes du Rig-Véda, par A. BERCAIGNE, t. III, p. 233 et suiv.

3DE ROUGÉ, Annales de la Philosophie chrétienne, t. XX, p. 327.

L'INDE

I

Voyons d'abord l'idée qu'en même temps que les Égyptiens, et beaucoup plus probablement avant eux, se faisaient de la divinité ces ancêtres dont les traditions ont au moins 5.000 ou 6.000 ans et qui eux-mêmes tenaient ces traditions de peuples aujourd'hui disparus, dont la dernière trace dans la mémoire des hommes, selon le Timée et le Critias de Platon, remonte à cent vingt siècles.

Je fais grâce au lecteur de l'inextricable nomenclature de la mythologie orientale, de la pullulation des dieux anthropomorphes que les prêtres de l'Inde, comme ceux de l'Égypte, de la Perse et de tous les temps et de tous les pays, furent forcés de créer pour répondre aux exigences de l'idolâtrie populaire. Je lui épargne également l'ostentation d'une érudition facile et prodigue de noms imprononçables, pour en venir directement et m'en tenir uniquement à la notion essentielle de la cause première, telle qu'on la trouve aux sources les plus reculées, et qui, peu à peu, si elle ne fut pas cachée au vulgaire ne fut plus comprise par lui, et devint le grand secret de l'élite des prêtres et des initiés.

Écoutons tout de suite le Rig-Véda, le plus authentique écho des plus immémoriales traditions, quand il aborde la question formidable :

« Il n'y avait ni l'Être ni le Non-Être. Il n'y avait ni l'atmosphère, ni le ciel au-dessus. Qu'est-ce qui se meut ? En quel sens ? Sous la garde de qui ? Y avait-il des eaux et le profond abîme ?

« Ni la mort n'était alors, ni l'immortalité. Le jour n'était pas séparé de la nuit Seul, l'Un respirait, sans souffle étranger, de lui-même ; et il n'y avait rien d'autre que lui.

« Alors s'éveilla en lui pour la première fois le désir ; ce fut le premier germe de l'esprit.

Le lien de l'Être, ils le découvrirent dans le Non-Être, les sages s'efforçant, pleins d'intelligence, en leur cœur...

« Qui sait, qui peut nous dire d'où naquit, d'où vint la création, et si les dieux ne sont nés qu'après elle ? Qui sait d'où elle est venue  ?

« D'où cette création est venue, si elle est créée ou non créée, celui dont l'œil veille sur elle du plus haut ciel, celui-là seul le sait, et encore le sait-il4  ? »

Est-il possible de trouver dans les annales humaines, paroles plus grandioses, plus chargées d'angoisse solennelle et qui rendent un son plus auguste, plus sacré et plus redoutable ? Est-il possible de trouver à la base de tout, aveu d'ignorance plus total et plus irréductible ; et du fond de notre agnosticisme que des milliers d'années ont agrandi, pourrions-nous en élargir l'horizon ? D'emblée il dépasse tout et va plus loin que nous n'oserons jamais aller de peur de désespérer, puisqu'il ne craint pas do se demander si l'Être suprême sait ce qu'il a fait, sait s'il a créé ou non et doute s'il a pris conscience de lui-même...

II

Écoutons ensuite le Sama-Véda confirmer et développer ce magnifique aveu d'ignorance ?

« Si tu dis : Je connais parfaitement l'Être suprême, tu te trompes ; qui pourrait dénombrer ses attributs ? Si tu dis : Je pense le connaître, non que je croie le connaître parfaitement ni ne pas le connaître du tout, mais je le connais partiellement ; car celui qui connaît toutes les manifestations des dieux qui procèdent de lui, connaît l'Être suprême, si tu dis cela tu te trompes, ce n'est pas le connaître que de ne pas l' ignorer entièrement.

« Celui, au contraire, qui croit ne pas le connaître, c'est celui qui le connaît ; et celui qui croit le connaître, c'est celui qui ne le connaît pas. Il est regardé comme incompréhensible par ceux qui le connaissent le plus et connu parfaitement par ceux qui l'ignorent entièrement. »

A cet agnosticisme fondamental, l'Yadjour-Véda vient ajouter son panthéisme total

« Le sage fixe ses regards sur cet être mystérieux dans lequel existe perpétuellement l'univers qui n'a pas d'autre base que Lui. En Lui ce monde est enfermé, c'est de Lui que ce monde est sorti. Il est enlacé et tissu dans toutes les créatures sous les diverses formes de l'existence.

« Cet être unique, que rien ne peut atteindre, est plus rapide que la pensée ; et les dieux eux-mêmes ne peuvent comprendre ce moteur suprême qui les a tous devancés. Il est loin et près de toutes choses. Il remplit cet univers entier et le dépasse encore infiniment.