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Le Misanthrope est un chef-d'œuvre de la comédie classique française écrit par Molière en 1666. Il met en scène Alceste, un homme qui critique la société hypocrite et les faux-semblants des gens autour de lui, tout en luttant contre ses propres contradictions. Le livre est rempli d'une ironie acérée, de situations comiques, de personnages hauts en couleur, et de dialogues incisifs. Il explore les thèmes de l'amour, de l'amitié, de l'hypocrisie, et de la vérité. Il est à la fois divertissant et profond, et reste pertinent jusqu'à nos jours. Si vous aimez la comédie classique, les réflexions sur la nature humaine, et les histoires passionnantes, Le Misanthrope de Molière est un livre qu'il ne faut pas manquer.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Molière, de son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin, est considéré comme l'un des plus grands comédiens et dramaturges français de tous les temps. Il a écrit et joué dans de nombreuses pièces comiques telles que "
Tartuffe", "
Les Fourberies de Scapin" et "
L'Avare", qui ont encore un impact sur le théâtre et la culture populaire aujourd'hui. Il a également joué dans ses propres pièces et a dirigé sa propre troupe de théâtre, le Théâtre du Palais-Royal. Il a révolutionné le théâtre français en introduisant des personnages complexes et en explorant des thèmes sociaux et politiques. Sa vie privée était également riche en histoires et en controverses. Il est mort sur scène en 1673 lors d'une représentation de son dernière pièce "
Le Malade Imaginaire". Molière est considéré comme un génie de la comédie et une icône culturelle en France.
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Le Misanthrope
Molière
– 1666 –
PERSONNAGES
Alceste, amant de Célimène1,Philinte, ami d’Alceste2,Oronte, amant de Célimène3,Célimène, amante d’Alceste4,Éliante, cousine de Célimène5,Arsinoé, amie de Célimène6,
Acaste7,Clitandre,
marquis
Basque, valet de Célimène,
Un garde de la maréchaussée de France8,Dubois, valet d’Alceste9.
La scène se passe à Paris, dans la maison de Célimène.
1Acteurs de la troupe de Molière : Molière
2La Thorillière
3Du Croist
4Armande Béjart, femme de Molière
5Mademoiselle De Brie
6Mademoiselle du Parc
7La Grange
8De Brie
9Béjart
ACTE I
Scène première
Philinte, Alceste.
Philinte
Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ?
Alceste, assis.
Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ? Laissez-moi, je vous prie.
Philinte
Mais encor, dites-moi, quelle bizarrerie…
Alceste
Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher.
Philinte
Mais on entend les gens au moins sans se fâcher.
Alceste
Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre.
Philinte
Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre ;
Et, quoique amis enfin, je suis tout des premiers…
Alceste, se levant brusquement.
Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers.
J’ai fait jusques ici profession de l’être ;Mais, après ce qu’en vous je viens de voir paraître,Je vous déclare net que je ne le suis plus,Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.
Philinte
Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre compte ?
Alceste
Allez, vous devriez mourir de pure honte ;
Une telle action ne saurait s’excuser,Et tout homme d’honneur s’en doit scandaliser.Je vous vois accabler un homme de caresses,Et témoigner pour lui les dernières tendresses ;De protestations, d’offres, et de serments,Vous chargez la fureur de vos embrassements :Et quand je vous demande après quel est cet homme,À peine pouvez-vous dire comme il se nomme ;Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant,Et vous me le traitez, à moi, d’indifférent !Morbleu ! c’est une chose indigne, lâche, infâme,De s’abaisser ainsi jusqu’à trahir son âme ;Et si, par un malheur, j’en avais fait autant,Je m’irais, de regret, pendre tout à l’instant.
Philinte
Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable ;
Et je vous supplierai d’avoir pour agréable,Que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt,Et ne me pende pas pour cela, s’il vous plaît.
Alceste
Que la plaisanterie est de mauvaise grâce !
Philinte
Mais, sérieusement, que voulez-vous qu’on fasse ?
Alceste
Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur
On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.
Philinte
Lorsqu’un homme vous vient embrasser avec joie,
Il faut bien le payer de la même monnoie,Répondre, comme on peut, à ses empressements,Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.
Alceste
Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu’affectent la plupart de vos gens à la mode ;Et je ne hais rien tant que les contorsionsDe tous ces grands faiseurs de protestations,Ces affables donneurs d’embrassades frivoles10,Ces obligeants diseurs d’inutiles paroles,Qui de civilités avec tous font combat,Et traitent du même air l’honnête homme et le fat.Quel avantage a-t-on qu’un homme vous caresse,Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,Et vous fasse de vous un éloge éclatant,Lorsque au premier faquin il court en faire autant ?Non, non, il n’est point d’âme un peu bien situéeQui veuille d’une estime ainsi prostituée ;Et la plus glorieuse a des régals peu chersDès qu’on voit qu’on nous mêle avec tout l’univers :Sur quelque préférence une estime se fonde,Et c’est n’estimer rien qu’estimer tout le monde.Puisque vous y donnez dans ces vices du temps,Morbleu ! vous n’êtes pas pour être de mes gens ;
Je refuse d’un cœur la vaste complaisanceQui ne fait de mérite aucune différence ;Je veux qu’on me distingue ; et, pour le trancher net,L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait.
Philinte
Mais quand on est du monde, il faut bien que l’on rende
Quelques dehors civils que l’usage demande.
Alceste
Non, vous dis-je ; on devrait châtier sans pitié
Ce commerce honteux de semblants d’amitié.Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontreLe fond de notre cœur dans nos discours se montre,Que ce soit lui qui parle, et que nos sentimentsNe se masquent jamais sous de vains compliments.
Philinte
Il est bien des endroits où la pleine franchise
Deviendrait ridicule, et serait peu permise ;Et parfois, n’en déplaise à votre austère honneur,Il est bon de cacher ce qu’on a dans le cœur.Serait-il à propos, et de la bienséance,De dire à mille gens tout ce que d’eux on pense ?Et quand on a quelqu’un qu’on hait ou qui déplaîtLui doit-on déclarer la chose comme elle est ?
Alceste
Oui.
Philinte
Oui. Quoi ! vous iriez dire à la vieille Émilie
Qu’à son âge il sied mal de faire la jolie ?Et que le blanc qu’elle a scandalise chacun ?
Alceste
Sans doute.
Philinte
Sans doute. À Dorilas, qu’il est trop importun ;
Et qu’il n’est à la cour, oreille qu’il ne lasseÀ conter sa bravoure et l’éclat de sa race ?
Alceste
Fort bien.
Philinte
Fort bien. Vous vous moquez.
Alceste
Fort bien. Vous vous moquez. Je ne me moque point.
Et je vais n’épargner personne sur ce point.Mes yeux sont trop blessés, et la cour et la villeNe m’offrent rien qu’objets à m’échauffer la bile ;J’entre en une humeur noire, en un chagrin profond,Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font ;Je ne trouve partout que lâche flatterie,Qu’injustice, intérêt, trahison, fourberie ;Je n’y puis plus tenir, j’enrage ; et mon desseinEst de rompre en visière à tout le genre humain.
Philinte
Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage.
Je ris des noirs accès où je vous envisage,Et crois voir en nous deux, sous mêmes soins nourris,Ces deux frères que peint l’École des maris,Dont…
Alceste
Dont… Mon Dieu ! laissons là, vos comparaisons fades.
Philinte
Non : tout de bon, quittez toutes ces incartades.
Le monde par vos soins ne se changera pas :Et puisque la franchise a pour vous tant d’appas,Je vous dirai tout franc que cette maladie,Partout où vous allez donne la comédie ;Et qu’un si grand courroux contre les mœurs du tempsVous tourne en ridicule auprès de bien des gens.
Alceste
Tant mieux, morbleu ! tant mieux, c’est ce que je demande.
Ce m’est un fort bon signe, et ma joie en est grande.Tous les hommes me sont à tel point odieux,Que je serais fâché d’être sage à leurs yeux.
Philinte
Vous voulez un grand mal à la nature humaine.
Alceste
Oui, j’ai conçu pour elle une effroyable haine11.
Philinte
Tous les pauvres mortels, sans nulle exception,
Seront enveloppés dans cette aversion ?
Encore en est-il bien, dans le siècle où nous sommes…
Alceste
Non, elle est générale, et je hais tous les hommes :
Les uns, parce qu’ils sont méchants et malfaisants,Et les autres, pour être aux méchants complaisants12,Et n’avoir pas pour eux ces haines vigoureusesQue doit donner le vice aux âmes vertueuses.De cette complaisance on voit l’injuste excèsPour le franc scélérat avec qui j’ai procès.Au travers de son masque on voit à plein le traître ;Partout il est connu pour tout ce qu’il peut être ;Et ses roulements d’yeux, et son ton radouci,N’imposent qu’à des gens qui ne sont point d’ici.On sait que ce pied-plat, digne qu’on le confonde,Par de sales emplois s’est poussé dans le monde,Et que par eux son sort, de splendeur revêtu,Fait gronder le mérite et rougir la vertu.Quelques titres honteux qu’en tous lieux on lui donne,Son misérable honneur ne voit pour lui personne :Nommez-le fourbe, infâme, et scélérat maudit,Tout le monde en convient, et nul n’y contredit.Cependant sa grimace est partout bienvenue ;On l’accueille, on lui rit, partout il s’insinue ;Et s’il est, par la brigue, un rang à disputer,Sur le plus honnête homme on le voit l’emporter.Têtebleu ! ce me sont de mortelles blessures,De voir qu’avec le vice on garde des mesures ;Et parfois il me prend des mouvements soudainsDe fuir dans un désert l’approche des humains.
Philinte
Mon Dieu ! des mœurs du temps mettons-nous moins en peine,
Et faisons un peu grâce à la nature humaine ;Ne l’examinons point dans la grande rigueur,Et voyons ses défauts avec quelque douceur.Il faut, parmi le monde, une vertu traitable ;À force de sagesse, on peut être blâmable ;La parfaite raison fuit toute extrémité,Et veut que l’on soit sage avec sobriété.Cette grande raideur des vertus des vieux âgesHeurte trop notre siècle et les communs usages ;Elle veut aux mortels trop de perfection :Il faut fléchir au temps sans obstination ;Et c’est une folie à nulle autre seconde,De vouloir se mêler de corriger le monde.J’observe, comme vous, cent choses tous les jours,Qui pourraient mieux aller, prenant un autre cours ;Mais quoi qu’à chaque pas je puisse voir paraître,En courroux comme vous, on ne me voit point être ;Je prends tout doucement les hommes comme ils sont ;J’accoutume mon âme à souffrir ce qu’ils font,Et je crois qu’à la cour, de même qu’à la ville,Mon flegme est philosophe autant que votre bile.
Alceste
Mais ce flegme, Monsieur, qui raisonnez si bien13,
Ce flegme pourra-t-il ne s’échauffer de rien ?Et s’il faut, par hasard, qu’un ami vous trahisse,Que, pour avoir vos biens, on dresse un artifice,Ou qu’on tâche à semer de méchants bruits de vous,Verrez-vous tout cela sans vous mettre en courroux ?
Philinte
Oui, je vois ces défauts, dont votre âme murmure,
Comme vices unis à l’humaine nature ;Et mon esprit enfin n’est pas plus offenséDe voir un homme fourbe, injuste, intéressé,Que de voir des vautours affamés de carnage,Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage.
Alceste
Je me verrai trahir, mettre en pièces, voler,
Sans que je sois… Morbleu ! je ne veux point parler,Tant ce raisonnement est plein d’impertinence !
Philinte
Ma foi, vous ferez bien de garder le silence.
Contre votre partie éclatez un peu moins,Et donnez au procès une part de vos soins.
Alceste
Je n’en donnerai point, c’est une chose dite.
Philinte
Mais qui voulez-vous donc qui pour vous sollicite ?
Alceste
Qui je veux ? La raison, mon bon droit, l’équité.
Philinte
Aucun juge par vous ne sera visité ?
Alceste
Non. Est-ce que ma cause est injuste ou douteuse ?
Philinte
J’en demeure d’accord : mais la brigue est fâcheuse,
Et…
Alceste
Et… Non. J’ai résolu de n’en pas faire un pas.
J’ai tort, ou j’ai raison.
Philinte
J’ai tort, ou j’ai raison. Ne vous y fiez pas.
Alceste
Je ne remuerai point.
Philinte
Je ne remuerai point. Votre partie est forte.
Et peut, par sa cabale, entraîner…
Alceste
Et peut, par sa cabale, entraîner… Il n’importe.
Philinte
Vous vous tromperez.
Alceste
Vous vous tromperez. Soit. J’en veux voir le succès.
Philinte
Mais…
Alceste
Mais… J’aurai le plaisir de perdre mon procès.
Philinte
Mais enfin…
Alceste
Mais, enfin… Je verrai dans cette plaiderie
Si les hommes auront assez d’effronterie,Seront assez méchants, scélérats, et pervers,Pour me faire injustice aux yeux de l’univers.
Philinte
Quel homme !
Alceste
Quel homme ! Je voudrais, m’en coutât-il grand’chose
Pour la beauté du fait, avoir perdu ma cause14.
Philinte
On se rirait de vous, Alceste, tout de bon,
Si l’on vous entendait parler de la façon.
Alceste
Tant pis pour qui rirait.
Philinte
Tant pis pour qui rirait. Mais cette rectitude
Que vous voulez en tout avec exactitude,Cette pleine droiture où vous vous renfermez,La trouvez-vous ici dans ce que vous aimez ?