Le silence tiraillé - Rachid Bouamara - E-Book

Le silence tiraillé E-Book

Rachid Bouamara

0,0

Beschreibung

Quelques paroles d’un illustre poète peuvent parfois suffire à ouvrir les portes d’une grande aventure.

C’est en écoutant une chanson du lyrique algérien Slimane Azem que Rachid Bouamara découvre l’existence des nombreux soldats africains ayant combattu aux côtés de la France au cours de plusieurs conflits, notamment les deux guerres mondiales. Un de ses grands oncles trouva d’ailleurs la mort le 14 mai 1940 lors de la bataille de Gembloux. Seule victoire terrestre des Alliés en 1940, ce succès est cependant occulté, absent des manuels scolaires, à l’instar de nombreuses autres campagnes de 14-18 et de 39-45.

Le sacrifice des tirailleurs algériens, tunisiens, marocains et sénégalais constituera un sujet de prédilection pour l’auteur, qui, durant plusieurs années, œuvrera pour la réhabilitation de la mémoire de ces héros, dont la plupart ont péri sur l’autel de la Liberté. Cet ouvrage, richement documenté et copieusement illustré, est le compte-rendu d’une quête de longue haleine qui ne saurait avoir d’autres objectifs que d’éveiller les consciences sur les dérives de la haine et du racisme et de restituer un héritage, afin de caresser l’espoir d’une France fraternelle où la paix pourra gagner le cœur des hommes.

Un ouvrage historique visant à réhabiliter la mémoire des soldats africains qui ont combattu à plusieurs reprises aux côtés de la France !

EXTRAIT

À l’instar des combattants algériens, on retrouve les coloniaux du Sénégal, d’Indochine, de Madagascar et enfin les troupes issues des protectorats comme la Tunisie et le Maroc. Ces renforts s’avèrent judicieux et étoffent considérablement le potentiel de l’armée française. D’autres unités font leur apparition au Maroc sous le nom de Goums. Formées à partir de soldats marocains que l’on appelle goumiers, elles constituent les forces supplétives du roi.
Mais il n’y a pas que dans l’infanterie ou dans la cavalerie légère que l’on retrouve des indigènes. Ils se trouvent également dans le génie et dans les sections d’artillerie. Bientôt, toutes ces troupes vont être envoyées sur le front au cours de la Première Guerre mondiale. Elles se composent de 172 000 Algériens, 37 000 Marocains et de 135 000 Sénégalais et environ 60 000 Tunisiens. Par ailleurs, zouaves et tirailleurs vont se rassembler pour former des régiments mixtes appelés RMZT. Les Allemands s’en souviendront longtemps !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Rachid Bouamara est né le 28 avril 1969 dans un petit village des montagnes du Djurdjura, en Kabylie. Arrivé en France en mars 1971, il s’installe à Longuyon, commune située en Lorraine, à proximité des frontières belge et luxembourgeoise.
En 2008, il décide d’écrire un ouvrage sur ces tirailleurs d’Afrique, qui s’intitulera Le silence tiraillé. Le livre connaît un retentissant succès, si bien qu’il est sollicité en Lorraine et en Belgique pour animer des conférences. En 2011, il écrit un premier tome sur l’histoire de sa localité sous le nom Longuyon, des souvenirs et des émotions. Captivé par le passé d’un club de sa région, il décide d’écrire, l’année suivante, un livre sur l’histoire du club de football de Rehon : Les heures de gloire du foot rehonnais.
Sur sa lancée, il écrira deux autres tomes sur Longuyon et, entre ces deux ouvrages, il publie Un pied dans l’inconnu qui traite sur les expériences de mort imminente.
Très estimé dans la région, et eu égard à ses nombreux efforts, il se verra décoré de la médaille de l’Assemblée nationale en 2012, des mains du député Christian Eckert, et de la médaille de Ville de Longuyon, en février 2013.
Férus de foot, les temps forts de la région de Longwy est son 7e ouvrage, paru en février 2017.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 339

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



LE SILENCE TIRAILLÉ

Édition revue et corrigée

Publishroom

www.publishroom.com

ISBN : 979-10-236-0497-9

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

RACHID BOUAMARA

LE SILENCE TIRAILLÉ

Édition revue et corrigée

À ces guerriers bannis de l’Histoire…

Rachid Bouamara en tirailleur lors du tournage du film Larmes d’Argent

Je dédie tout spécialement cet ouvrage 

À mon frère Mohamed, décédé le 9 juin 2009.

À mon grand-oncle Mouloud, mort au champ d’honneur.

À tous ces hommes sans distinction d’ethnie,

de culture et de religion qui sont tombés pour la Liberté.

À toute ma famille.

En compagnie de Saïd Aziza (au centre) et Mohamed Fékrioui (à droite) lors du tournage du film Larmes d’Argent (collection Rachid Bouamara)

Le jeune Ismaïl Djelil, Belge d’origine Algérienne, a tenu lui aussi à honorer la mémoire de ses aïeux (collection R. Bouamara)

« Autrefois, je me souviens ils disaient : « Vous êtes nos frères » lorsque l’Allemagne vint les bousculer. À celui qui a oublié, je lui rappellerai tout ce sang que nous avons versé durant les guerres. »

–Extrait d’une chanson de Slimane AZEM, Da Méziane

Grand poète lyrique amazigh (1918-1983)

Carte de l’Algérie

Avant-Propos

Ma vocation n’est pas d’être historien. Cependant, il m’a semblé nécessaire d’évoquer à ma manière l’héroïsme des soldats africains qui ont éminemment marqué notre Histoire. Hélas, les témoins de cette douloureuse époque deviennent très rares. Pour recueillir des témoignages, je me suis rendu à la rencontre des familles et des civils qui ont accepté de coopérer en toute confiance. Le temps fait son œuvre et l’oubli guette. Avec eux se tairont les souffrances de ces guerriers venus d’Afrique avec un seul et même idéal : sauver la mère patrie.

Pour ma part, il ne s’agit pas d’éveiller un quelconque sentiment d’animosité, de haine ou de ressentiment, mais bien de préserver le culte du souvenir. L’abnégation de ces tirailleurs, spahis et autres zouaves est restée trop longtemps ignorée. C’est pourquoi, j’ai souhaité contribuer, avec mes modestes moyens, à une réhabilitation de leur mémoire et celle de tous ceux qui ont franchi le cap du sacrifice pour que survive la liberté. Mon combat ne vise qu’à éradiquer un phénomène insidieux et ravageur, lequel se nourrit en grande partie de l’amnésie : le racisme.

Un vieil adage de Marcel Proust nous rappelle que : « Certains souvenirs sont comme des amis communs, ils savent faire des réconciliations… »

Glossaire

Troupes françaises

BMTS : Bataillon de Marche de Tirailleurs Sénégalais.

BS : Brigade de Spahis.

BTA : Bataillon de Tirailleurs Algériens.

BTS : Bataillon de Tirailleurs Sénégalais.

CA : Corps d’Armée.

DB : Division Blindée.

DFL : Division Française Libre (appelée 1re DMI en septembre 1943).

DI : Division d’Infanterie.

DIA : Division d’Infanterie Algérienne (concerne la 3eDIA).

DIA : Division d’Infanterie d’Afrique (concerne la 82eDIA).

DIC : Division d’Infanterie Coloniale.

DLC : Division Légère de Cavalerie.

DLM : Division Légère Mécanique.

DM : Division Marocaine.

DIM : Division d’Infanterie Motorisée.

DIM : Division d’Infanterie Marocaine (concerne le chapitreV).

DINA : Division d’Infanterie Nord-Africaine.

DMI : Division Motorisée d’Infanterie.

DMM : Division Marocaine de Montagne.

FFI : Forces Françaises de l’Intérieur.

FFL : Forces Françaises Libres.

FTP : Francs-Tireurs et Partisans.

GRDI : Groupe de Reconnaissance de Division d’Infanterie. GSAP : Groupe de Spahis Algériens àPied

GTM : Groupement de Tabors Marocains.

PC : Poste de Commandement.

RA : Régiment d’Artillerie.

RAA : Régiment d’Artillerie d’Afrique.

RAM : Régiment d’Artillerie de Montagne.

RANA : Régiment d’Artillerie Nord-Africain.

RAP : Régiment d’Artillerie de Position.

REI : Régiment Étranger d’Infanterie

RG : Régiment du Génie.

RI : Régiment d’Infanterie.

RIC : Régiment d’Infanterie Coloniale.

RICM : Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc.

RICMS : Régiment d’Infanterie Coloniale Mixte Sénégalais.

RIF : Régiment d’Infanterie de Forteresse.

RMSM : Régiment de Marche de Spahis Marocains.

RMT : Régiment de Marche de Tirailleurs.

RMTA : Régiment de Marche de Tirailleurs Algériens.

RMTS : Régiment de Marche de Tirailleurs Sénégalais.

RMTM : Régiment de Marche de Tirailleurs Marocains.

RMZT : Régiment Mixte de Zouaves et de Tirailleurs.

RSA : Régiment de Spahis Algériens.

RSAR : Régiment de Spahis Algériens de Reconnaissance.

RSM : Régiment de Spahis Marocains.

RT : Régiment de Tirailleurs.

RTA : Régiment de Tirailleurs Algériens.

RTM : Régiment de Tirailleurs Marocains.

RTS : Régiment de Tirailleurs Sénégalais.

RTT : Régiment de Tirailleurs Tunisiens.

RZ : Régiment de Zouaves.

TOE : Théâtres d’Opérations Extérieurs.

La Division Bleue, créée en 1870, est le nom donné à la Division d’Infanterie de Marine réunissant des marsouins (régiments de marche) et des bigors (régiments d’artillerie). Il n’y a pas d’indigènes dans ces unités.

RAF : Royal Air Force (force aérienne royale de l’armée de l’air britannique).

Troupes allemandes de l’armée régulière

Afrika Korps : Corps de l’armée allemande opérant en Afrique duNord.

ID : Infanterie Division.

IR : Infanterie Regiment.

Luftwaffe : Armée de l’Air du iiième Reich.

Messerschmitt bf 109 : Avion de chasse allemand conçu en1930.

Oberst-Lieutenant : Lieutenant-colonel.

Panzerdivision : Division de Panzer (blindés).

Panzerkorps : Corps de Panzer.

Schützen-Regiment : Régiment de fusiliers allemands.

Stuka : Avion dit « Bombardier en piqué » de la Luftwaffe.

Sturmtruppen : Unité d’élite créée dans l’esprit de position (Stosstruppen).

Uhlan : Cavalier armé d’une lance (similaire au lancier français).

Attention : dans le présent ouvrage, le terme « pertes » comprend les tués, blessés, disparus et prisonniers.

Faites comme moi, n’oubliez pas ! (cliché de Rachid Bouamara)

Préface

Par Hossaïn BENDAHMAN, Psychanalyste, Docteur d’État en Psychologie Clinique et Psychopathologie

En ces périodes de brassages culturels et de bouleversements sociaux, légaux, familiaux et culturels, l’édifice qui sous-tend notre identité et nos limites dedans/dehors est de plus en plus sollicité et mis à l’épreuve.

Jamais la question de la transmission n’a été aussi prégnante qu’aujourd’hui. L’effondrement des mythes fédérateurs qui soutenaient la société classique et l’édifice de l’identité commune au sein de La République où la citoyenneté se transmettait aussi par le droit du sol, laisse place à des identités virtuelles, imaginaires et de plus en plus ségrégatives. La création en même temps d’un ministère de l’Identité, de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration et l’idée d’un test ADN qui viendrait attester d’un lien de filiation dans le cadre du regroupement familial est l’un des nombreux avatars du travail de deuil de cet effondrement et de la crise de l’Idéal du Moi Collectif. Le malaise est d’autant plus grand que cela annule, au moins symboliquement, et ce n’est pas rien, une des avancées majeures du droit français qui reconnaissait ou prônait une transmission sociale de la filiation comme dans l’adoption. Ces tentatives d’emprise et de contrôle autour de la transmission de l’identité et de la citoyenneté ne sont-elles pas le reflet de la confusion entre la mémoire et l’histoire et l’écho de la désorganisation des repères symboliques qui délimitaient naguère nos frontières dedans/dehors, Moi/Autre ? La transmission s’inscrit dans la durée, dans un temps qui scande la succession des générations et les relie les unes aux autres en les marquant du sceau de la continuité transgénérationnelle.

Cimentant les mouvements d’apprentissage et de construction identitaire ainsi que les sentiments de sécurité ou d’enracinement, le récit fondateur de la transmission tisse la trame d’une dette qui enlève à quiconque la prétention d’auto-engendrement. Par là même, il ne cesse de transformer des individus en personnes et en sujets.

« Reliant les vivants aux morts, la transmission s’avère en fait mémoire ; elle n’est point histoire. Illustrant une dépendance à l’égard des prédécesseurs teintée d’espérance de continuité, elle se mue en devoir de fidélité, voire en engagement envers les défunts, sous le regard plus ou moins enfermant des contemporains. » (R.R. Geadah)

Il est acquis aujourd’hui que « transmission, mémoire, identité et intégration » sont difficilement dissociables. Les difficultés de la construction identitaire que nous observons aujourd’hui chez bon nombre de jeunes sont à référer à la désorganisation des repères symboliques. Or le symbole est consubstantiel du langage et il n’y a pas de transmission sans symbole. Le symbole est l’âme du peuple. La force du symbole réside aussi dans le fait qu’il « donne à penser » (Paul Ricœur). D’où l’importance de ces différents lieux symboliques de la constitution et de la transmission de la mémoire auxquels contribuent les associations berbères de France. Le livre que j’ai l’honneur et le privilège de préfacer, Le silence tiraillé, de Rachid Bouamara, qui traite de ces « coloniaux d’Afrique » venus participer à la libération de la France relève de la même symbolique. Celle d’une mémoire en partage et en mouvement.

Ce livre ainsi que les différentes manifestations publiques qu’organisent les associations franco-berbères, mettent les mémoires individuelles en réseau et la communication humaine est une façon d’enrichir, de gérer et d’exploiter une mémoire externe collective. Nous sommes chacun les dépositaires passagers, les vecteurs et les bénéficiaires de fragments de la mémoire collective. Un legs, un héritage que non seulement on se partage mais que chacun transforme et transmet à sa façon. Nous sommes toujours entre racines et envol.

Valoriser collectivement les apports multiples de l’immigration et permettre aux jeunes générations de se réapproprier cette histoire qui est aussi la nôtre, connaître et promouvoir les mémoires et cultures vivantes de l’immigration dans notre pays, c’est aussi reprendre le cours de l’histoire transgénérationnelle et familiale brutalement interrompue par la rupture migratoire.

Ce livre s’inscrit dans un double mouvement :

•d’un côté restaurer l’idée dans l’imaginaire collectif français que la vitalité et la force du grand fleuve France sont faites et se nourrissent des différents affluents migratoires qui l’ont enrichi. Reconnaître ses différentes composantes dans l’égale dignité est un enjeu majeur de la démocratie et des temps à venir. Et, aussi extraire du refoulement culturel collectif et des cryptes des manuels scolaires le rôle majeur des combattants maghrébins dans la libération de la France, notamment dans le débarquement de Provence, et dans toutes les guerres où s’est engagée la France depuis la guerre de Crimée jusqu’à l’enfer de l’Indochine en passant par les deux grandes guerres ;

•de l’autre côté, permettre aux personnes issues d’ascendants d’origine étrangère, maghrébine et africaine surtout, de découvrir la contribution et l’apport de leurs ascendants par le sang versé pour la libération de la France ou par la sueur versée pour la reconstruction de la France et inverser ainsi l’image négative qui leur est renvoyée depuis des décennies en se réappropriant une légitimité, chèrement payée, à leur présence et à leur appartenance à l’ensemble France ; leur permettre aussi, sans honte ni culpabilité, de renouer avec la culture de leurs ascendants et dans bon nombre de cas modifier, comme nous avons eu l’occasion de le constater maintes fois, le regard qu’ils portent sur leurs pères(…).

La Nation française est issue de sources multiples et de différentes vagues d’immigration. Le refoulement de cette réalité entraîne l’absence de reconnaissance mutuelle entre les Français d’origine immigrée et les autres, en même temps que l’absence de reconnaissance par les Français d’origine immigrée de leur propre histoire.

La prise en compte aujourd’hui de cette réalité historique contribuera à consolider les références communes qui sous-tendent l’édifice de l’identité nationale. La transmission de la mémoire de l’immigration est facteur de cohésion sociale et nationale.

Ce livre, adossé à une certaine éthique de la coexistence peut, espérons-nous, contribuer à la levée du refoulement culturel qui touche, oblitère la part des combattants, notamment berbères, dans la mémoire collective de la République et esquisser des réponses à ces questionnements et à ce désir de faire France ensemble. Combien, français de « souche » comme français « d’origine maghrébine » savent que la Corse, par exemple, a été libérée par des combattants essentiellement berbères, et que le gros des troupes débarquées en Provence pour libérer la France était des coloniaux nord-africains ? Ce livre est une contribution substantielle à cette amnésie largement entretenue dans les manuels scolaires et les programmes officiels.

Dans un perpétuel remaniement de l’héritage humain, l’histoire sociale ne cesse de féconder, pour le mettre à jour, ce que des ancêtres extrêmement lointains avaient initié.

La violence symbolique consiste dans l’attaque des liens de filiation et des liens entre les individus. À ce sujet on peut dire que dans l’immigration, bien des parents font subir, malgré eux, des violences symboliques à leurs enfants par le silence et le non-dit sur leurs ascendants, leur famille et leur origine. Ils excluent leurs enfants de cette filiation par la non-transmission de la culture des parents. Ils n’ont pas joué leur rôle dans la médiation transgénérationnelle. Ils ne font plus le lien passé-présent-avenir et leur fonction d’ouvreurs de perspective est en panne. Ce défaut d’accompagnement intérieur adéquat, ou accompagnement inapproprié, n’aide pas les jeunes à mieux se situer dans leur histoire personnelle et sociale pour aller vers une valorisation-réconciliation avec leur culture pour avoir une meilleure image de soi. Il ne leur facilite pas la tâche pour sortir de l’image dévalorisée de l’immigré et de cette place qui leur est assignée dans l’inconscient collectif pour contrecarrer la représentation qu’on a d’eux et de leurs parents.

Cette absence de repères et de sens a rendu nos enfants fragiles face aux sollicitations et aux exigences de la société d’accueil et de l’image que celle-ci leur renvoie d’eux-mêmes, de leurs parents et de leur culture. Ces enfants ont intégré des choses extrêmement négatives de leur culture, de leurs traditions familiales, etc. en plus de ce que leur renvoie la société « d’accueil ». (Certains vivent cette appartenance dans la honte des origines ou dans la haine des parents et s’autodétruisent). Ils captent les modèles identificatoires inconscients de leurs parents, et le vide du choix des parents. S’intégrer, dans ce cas, c’est s’exclure de sa communauté d’origine.

Cette rupture dans les transmissions laisse les enfants face à leur terreur intérieure où rien n’est dit pour donner sens à ce qu’ils traversent ou ce qui les interroge.

Cette désorganisation des repères symboliques a comme effet social et psychique des difficultés de la construction identitaire et des repères identificatoires chez les jeunes issus de l’immigration. Ceci accentue et renforce les identités imaginaires et ségrégatives tant au niveau collectif qu’individuel.

Ils sont souvent arrêtés par des éléments et des conflits qu’ils n’arrivent pas à digérer et qui gênent le rapport aux autres… La mémoire que nous avons des défaites de notre enfance articulée à l’identité familiale négative crée en nous une crypte. Cette identité familiale négative donne aux enfants une idée négative d’eux-mêmes, qu’ils ressentent inacceptable et face à laquelle ils mettent en place des contre-réactions.

Ces drames fondateurs, vécus d’effondrement et organisations réactionnelles c’est ce que nous voyons dans les consultations des jeunes issus de l’immigration. Il y a la fidélité au traumatisme : « c’est ça mon identité, je l’accepte, mon identité est dans cette conduite ». C’est leur chapeau. Ils intègrent bien souvent une image du père brisé, humilié, disqualifié par le chômage ou l’image que la société leur en renvoie. Le silence des pères ne fait rien pour modifier cette image et bien souvent ils sont confrontés aux promesses républicaines trahies. Ils ne parlent pas des sacrifices consentis, ou de leur participation ou celle de leur famille à la libération de la France. Par pudeur ou pour épargner leurs enfants. Ces parents ne sont pas de la culture de la plainte : quand ils ont froid ils serrent les dents et quand ils ont faim ils se serrent la ceinture. Comme l’écrit l’auteur de cet ouvrage : L’éducation donnée par nos parents était axée sur une sorte de résignation.

Ce livre redonne, à sa façon, la parole à ces pères et modifie le regard que leurs fils peuvent porter sur eux. D’un regard photo, figé, on passe au regard caméra, vivant. Quand les enfants découvrent que bon nombre de leurs parents ou grands-parents ont défendu les couleurs de la France lors des grands conflits, les pères brisés, humiliés se muent en héros ordinaires qui donnent toute sa légitimité à leur présence ici et fait échec à la défrancisation que certains cherchent sournoisement à leur imposer. L’histoire de « ces tirailleurs que, désormais, nous tentons d’extraire des griffes de l’oubli », comme l’écrit l’auteur, permettra à bon nombre de jeunes de se réapproprier une mémoire à la lumière d’une lecture critique de leur histoire et de celle de leurs parents. Valoriser le rôle des Berbères et des immigrés maghrébins dans l’histoire de la résistance et de la libération de la France, faire connaître l’engagement et les sacrifices des tirailleurs dans la libération de la France aide à la compréhension de l’histoire commune, partagée. Elle contribue aussi à changer les représentations et à lutter contre les discriminations auxquelles sont exposés les jeunes issus de l’immigration.

Organisés et portés progressivement par la succession des générations, les éléments du passé doivent être pris en compte en tant que partie intégrante du vécu du sujet. Ils conditionnent même la perception identitaire chez soi comme chez autrui.

Certaines rencontres, notamment au sein de l’école de la République, peuvent inverser la pulsion de destruction en pulsion de vie. « Rachid tu es le fils que je n’ai pas eu. » Une telle phrase adressée à l’auteur, encore écolier, par son institutrice Françoise, fait partie de ces phrases qui vous renarcissisent et vous donnent un trop-plein d’estime de soi qu’aucun vigile de discothèque ou d’ailleurs ne peut ébranler. L’école comme lieu de nidification culturelle prend ici tout sonsens.

Depuis 1854 des soldats venus du continent africain, plusieurs régiments de zouaves, tirailleurs et spahis, ont participé aux batailles et expéditions françaises : la bataille de l’Alma, Le Malakoff (le 7 juin 1855), Solferino (Italie), Puebla, Oaxaca (Expédition du Mexique en mai 1862), Monte Cassino,…

L’armée d’Afrique envoie en France 172 000 combattants algériens en 1914-2018, 60 000 Tunisiens et 37 000 Marocains… Les pertes s’élèvent à 35 000 morts pour les troupes maghrébines et à 22 100 pour les « Pieds-Noirs ». 50 000 Maghrébins et 16 000 Sénégalais vont goûter au calvaire de la détention.

La bataille de Gembloux, seul succès terrestre de la France en 1940 œuvre essentiellement de soldats marocains, brille par son absence dans les encyclopédies et les manuels scolaires. La communauté Marocaine de Belgique la célèbre chaque année avec une présence chaque fois plus nombreuse des jeunes et des enfants aux côtés des anciens dont certains arborent « fièrement (leur) flopée de médailles »…

Le débarquement de Provence demeure, comme l’écrit R. Bouamara, un mystère dans l’esprit d’un très grand nombre de jeunes issus de l’immigration. Un tournant décisif de l’histoire (escamoté) des manuels scolaires, et qui a contribué pourtant à la grande victoire ! Occultée parce qu’elle fut l’œuvre de soldats indigènes venus du continent africain ? Quant à la Corse elle a été libérée par des soldats essentiellement Berbères. Mais ce n’est qu’en 1969 que les Algériens disposèrent de leur stèle musulmane à Chastre et ce n’est qu’en 2006 que le Cénotaphe musulman est érigé à Verdun.

Les lecteurs de cet ouvrage regarderont autrement le Zouave de l’Alma. Cette statue est pièce de l’histoire, un texte social.

L’auteur est né le 28 avril 1969 près de Tizi Ouzou. Il est venu en 1971 en France. Suite à la blessure au genou qui l’éloigna du foot et la découverte de la participation de sa famille à la guerre de 40 à travers son grand-oncle Mouloud du 13e RTA mort pour la France le 14 mai 1940 qu’il qualifie de « précieuse découverte » il s’intéresse au sacrifice de soldats français d’Afrique. « De ce jour est née une fierté qui vient, désormais, contrecarrer ce racisme et tout ce mépris qui nous ravalent au rang de parias de la société. Je fais allusion à certains individus, qui, par prétention revendiquent leur nationalisme parce qu’ils ont la bonne fortune de s’appeler André, Francis ou Pierre… »

La rencontre avec la chanson de Slimane AZEM, Carte de résidence, lui « donne le signal » pour démarrer cette quête, quête des origines à travers l’entre-deux. Dans ce voyage chacun de nous peut se sentir concerné.

À travers la réhabilitation du sacrifice et de l’héroïsme de ces combattants il y a la réhabilitation des pères disqualifiés et brisés socialement et culturellement qui donne une assise et une légitimité à leur présence et à celle de leurs descendants qui transcendent toutes les autres légitimités : celle du sang versé pour la France. Michelet disait que l’histoire doit se faire auprès des marges et marginaux et non auprès des élites qui ne font que traduire la pensée du pouvoir et des maîtres.

Les voleurs de mémoire n’ont qu’à bien se tenir tant qu’il y aura des jeunes, comme notre auteur, qui parce qu’ils se sentent pleinement français et fiers de l’être partent sans complexe à la redécouverte de leur histoire familiale et culturelle qu’ils extirpent des cryptes des encyclopédies et autres manuels scolaires. Ainsi « ces héros ne sombreront jamais dans l’oubli » : les héritiers de leur mémoire y veillent. Et ce livre, aussi modeste soit-il, est une victoire sur la forclusion de l’apport des Berbères et des Maghrébins à la libération de la France et à sa reconstruction. L’héroïsme des centaines de milliers de coloniaux, goumiers, spahis, tirailleurs et autres Zouaves est resté ignoré, refoulé au tréfonds de l’inconscient collectif français et s’est inscrit comme une crypte dans les encyclopédies et manuels scolaires.

À la lecture de ce livre, à mettre entre les mains de tous les écoliers, on est traversé par une grande émotion. Les personnages de nos familles tombés au loin pour la France surgissent de l’ombre de nos mémoires mêlés aux fragments des récits familiaux auxquels ils donnent corps. « Le corps est un texte social ». Cet ouvrage de lecture facile et agréable, mêlant étroitement les faits historiques et les états émotionnels de l’auteur est un véritable enrichissement pour tous ceux qui s’intéressent à cette partie de l’histoire.

Les jeunes dits « issus de l’immigration » y trouveront un éclairage fort qui contribuera à l’assise de leur identité et à porter un regard plus fier et plus positif sur leurs ascendants et ce n’est pas rien par rapport à la place qui leur est assignée dans la société actuellement.

C’est en portant, comme le fait ici l’auteur, cette réalité historique à la connaissance de tous et notamment des jeunes issus de l’immigration que nous pouvons construire une identité nationale consciente et commune et que nous contribuerons à rendre parlante pour chacun l’identité nationale. Les mythes fondateurs et fédérateurs de la République ne sont pas caducs, loin s’en faut, ils ne sont pas encore atteints et restent plus que jamais un idéal fédérateur à atteindre qui porte toutes ses promesses.

Expression

Au nom des membres de laCFBBL

Association Loi1901,

pour la promotion de la culture amazigh, la diversité cuturelle,

et l’engagement citoyen pour la défense des valeurs républicaines françaises

« L’ensemble des motivations républicaines ayant abouti à la création de la Coordination des Franco Berbères du bassin de Longwy, (CFBBL) ne pouvait que nous inciter à soutenir la démarche de réhabilitation de la mémoire des tirailleurs africains, anciens combattants de conflits mondiaux, auxquels Rachid BOUAMARA rend hommage dans cet ouvrage.

Il nous est apparu plus que légitime, en fait indispensable, de mettre en lumière ceux dont il est encore si rare d’entendre parler, alors même qu’ils ont donné leur vie, au nom de valeurs universelles, républicaines, que sont la résistance à l’oppression et le combat pour la Liberté.

Leurs combats et leurs sacrifices incarnent indéniablement ces idéaux de Liberté, Égalité, Fraternité, inscrits aux frontispices de nos « maisons communes ».

Qu’ils furent Amazighs, Arabes ou Sénégalais, ces anciens combattants sont ces mêmes ouvriers, tireurs de wagons, accrocheurs, ou chargeurs de coke, qui ont aussi participé à la reconstruction du pays après la guerre dans notre bassin industriel. Ils ont plus que mérité que Rachid Bouamara loue leur courage et leur engagement.

Cette lutte pour la Liberté, si « chairement » payée par nos anciens est un legs précieux et chargé de sens pour notre association. Les femmes, les hommes qui la composent et l’animent s’attachent à le préserver et à le partager. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans des considérations passéistes, mais de s’interroger, à la lumière de ces expériences, sur le sens de notre présence, de notre rôle de citoyens français, enfants d’immigrés, parfois d’exilés, sur l’intérêt de réhabiliter les parcours et les histoires singulières, fondatrices également de l’Histoire de la France.

Convaincus qu’un meilleur « vivre ensemble » passe par un accès à une égale dignité des individus qui composent une nation, aussi divers qu’ils soient, nous ne pouvons que travailler modestement à invoquer une égalité de fait dans le traitement fait à l’ensemble de nos concitoyens. C’est d’une reconnaissance sereine et non suspicieuse de ce qu’ils portent, par leur culture ou leur histoire singulière, qu’il s’agit.

Profondément républicains et laïcs du fait de notre identité franco-amazigh (berbère), nous œuvrons de façon transparente, loin de toute obédience religieuse ou appartenance politique, en promouvant la primauté incontestable de la liberté individuelle, parfaitement conciliable avec la valeur de l’engagement collectif citoyen.

Le monde compte quelques millions d’Imazighens, et cette « civilisation » a vu naître plus d’une personnalité, empereur, religieux, conquérants, résistants, scientifiques, écrivains, sportifs… dont l’œuvre et l’action ont rayonné bien au-delà de leur berceau africain.

Il existe quelque deux millions et demi de berbérophones en France et cette culture, cette langue sont très peu valorisées par nos institutions ; seules des initiatives individuelles, associatives soutiennent leur mise en lumière et leur transmission.

Ces parcours et cultures métissées sont pourtant à n’en pas douter un atout majeur pour la France.

L’ouvrage de Rachid Bouamara participe de cette prise de conscience, donne du contenu à cette valeur « Égalité », défi incontestable de la France d’aujourd’hui, pour construire demain. »

Vue sur la Kabylie

« Race inférieure ! Voilà l’abominable et mensongère théorie au nom de laquelle nous continuons depuis des siècles, le front serein et la paix dans l’âme, à piller, à violer, massacrer jusqu’à extermination complète, toutes les familles humaines qui n’ont pas la couleur de notre peau. »

–Paul Vigné d’Octon (1911), écrivain et politicien anticolonialiste (1859-1943)

Vue sur le Djurdjura (cliché de Rachid Bouamara)

Introduction

C’est dans un petit village perché dans les montagnes du Djurdjura, en Kabylie, que je suis né le 28 avril 1969. Aït-Maalem, dépendant de la commune d’Aït Bouaddou, se trouve à quarante-cinq kilomètres de la ville chef-lieu de Tizi-Ouzou. La Kabylie est une région montagneuse qui occupe le nord de l’Algérie. Cette zone s’étend sur plusieurs centaines de kilomètres et fait partie de l’Atlas tellien. Elle se compose des Aït Oufella et des Aït Wadda qui constituent respectivement la grande et la petite Kabylie. Son nom vient du terme Taqbilt qui signifie confédération. La langue utilisée est le tamazight qui demeure à jamais la langue de l’homme libre. Son origine remonte à l’ère afro-asiatique. Elle est présente dans tout le Maghreb, en Egypte, au Mali, au Niger et même aux îles Canaries. Les Berbères possèdent également leur écriture grâce à l’héritage des Touaregs et leur ineffaçable Tifinagh1.

La civilisation des Berbères (dont font partie les Kabyles, Berbères de l’Est algérien) remonte à la haute Antiquité. Elle connaît l’influence phénicienne, puis la domination romaine, subit l’invasion des Vandales (ve-vie siècle), résiste aux Byzantins (vie siècle). Au viie siècle, c’est contre la conquête arabe que se manifeste la résistance des Berbères. (Ils finissent cependant par adopter l’Islam dès le viiie siècle).

Plus tard, l’empire ottoman doit éprouver à son tour la farouche hostilité des Kabyles, toujours en lutte pour affirmer une certaine indépendance. En 1808, les Kabyles vont jusqu’à exiger du Bey turc de Constantine un droit de péage pour lui laisser traverser leur territoire. Mais à cette époque, le pouvoir ottoman réprime cruellement l’insurrection des Iflisen. Plus tard, le Dey Hussein fera massacrer et emprisonner un grand nombre de Kabyles résidant à Alger.

Une affaire de dette va générer un climat de tension entre la France et l’Algérie. Le Dey Hussein injurie le consul de France Delval et va jusqu’à lui assener un coup avec son chasse-mouches. C’est ce que l’on appellera « Le coup de l’éventail ». Un prétexte pour le roi Charles X qui fomente une expédition punitive à Alger. Ainsi, en 1830, les Français s’installent en Algérie et se débarrassent du joug turc. Mais, la colonisation qui se limitait uniquement à Alger va s’étendre sur tout le territoire. Malgré quelques soulèvements kabyles marqués par une très grande détermination (notamment entre 1850 et 1854, puis en 1871), la Kabylie s’incline aussi. Dès lors, tout le pays va subir le règne dominant du nouveau colonisateur. Une conquête coloniale qui se déroule dans un climat de terreur où « tout est permis ! »2.

Le 28 juin 1881, les autorités françaises instaurent le fameux Code de l’indigénat. Celui-ci assujettit les autochtones aux travaux forcés puis à une inégalité sociale, juridique et économique. L’Algérien ne préserve que son statut personnel et religieux. Dépourvu de toute citoyenneté, il devient un sujet français avec la dénomination de « musulman ». En dépit des conventions internationales, les travaux forcés ne seront abolis dans les colonies qu’en1946.

Aujourd’hui, des historiens intègres, penchés sur la question coloniale, lèvent le voile sur les pratiques hideuses et toutes les abominations commises à l’encontre du peuple algérien.

Si toutes les séquelles du colonialisme ne sont pas effacées en Algérie, elles n’en sont pas moins ressenties en France. Elles y ont laissé des traces dans le subconscient des populations, si bien que les enfants de l’immigration continuent de représenter des boucs émissaires. Les affres du racisme démontrent combien les stigmates de l’occupation française sont loin d’être pansés. Les minorités visibles descendantes des anciennes colonies subissent toujours les effets d’un système colonial à relents xénophobes. Désormais, l’Africain est perçu comme un être éminemment dangereux. Une forme de message subliminal synthétisant la pensée colonialiste est pieusement réactivée par les mouvances d’extrême-droite.

Dès lors, une sorte de défaitisme béat s’abat sur l’Africain comme une chape de plomb, et il est sans cesse mis en cause lorsque la conjoncture économique se dégrade. Il se voit refuser l’entrée en discothèque parce qu’il a la peau bronzée ou les cheveux crépus. Ses candidatures à l’emploi sont écartées, en dépit des principes d’égalité et de non-discrimination, de même pour ses demandes de logement.

Dans cet esprit de relégation, il ne peut que se résoudre à la rudesse de son quotidien. C’est indéniable, les traces du colonialisme sont encore perceptibles dans notre République.

On oublie pourtant que dans le passé des milliers d’Africains ont répondu à l’appel de la sidérurgie. L’industrie, en évolution croissante, réclame de la main-d’œuvre, et les travaux les plus pénibles sont réservés en priorité à ces seuls Africains. Le déracinement, l’exil et la solitude inciteront ces immigrés à faire venir leur famille. Confinés dans des bidonvilles, ils logent dans des baraquements délabrés. Une timide sollicitude laisse croire à un début d’attention mais aboutira à un fiasco.

Aujourd’hui, cette situation désastreuse perdure. Pour l’heure, elle annonce un avenir inquiétant pour ces minorités dites « visibles ». Face à cette rupture sociale et culturelle, la délinquance est le signe d’un mal-être qui engendre les pires déchaînements. Les tensions avec les forces de l’ordre sont courantes et génèrent souvent des conflits. Pourtant, une grande majorité de ces citoyens français sont les enfants ou les petits-enfants d’hommes qui ont défendu les couleurs de la France et contribué à son développement économique.

***

C’est en mars 1971 que mon père, ouvrier de la sidérurgie, se résout à nous faire venir en métropole. Il est déjà installé à Longuyon, petite ville de Meurthe-et-Moselle se trouvant aux portes du Luxembourg et de la Belgique. Il est employé à l’usine de Senelle à Herserange, au service « Traction ». À peine âgé de deux ans, je ne conserve aucun souvenir de l’Algérie.

À vrai dire, je ne connais rien de mon pays natal si ce n’est le tissu culturel légué par héritage.

Depuis mon arrivée à Longuyon, mes difficultés liées au racisme ont été hélas, légion. Me restent donc les souvenirs d’une adolescence tenaillée par les démons de l’intolérance. Dans les manifestations culturelles ou sportives, ma présence et celle de mes camarades ne sont pas toujours souhaitées. Dans le regard de certains, je peux lire beaucoup de réticence.

Cette attitude m’afflige fortement. D’autant que je souffre des séquelles d’un accident qui me rendent encore plus vulnérable. (À l’âge de 6 ans, j’avais été renversé par une motocyclette à la Résidence Canadienne et transporté d’urgence au centre hospitalier du bassin de Longwy. Le diagnostic tombera comme un couperet : fracture du fémur et traumatisme crânien.)

Le mépris et les provocations nous affectent, mais nous n’y répondons qu’en de très rares circonstances. Avec le recul, je pense que nous étions fort indulgents. Mais l’éducation donnée par nos parents est fondée sur une sorte de résignation, une civilité transmise par nos pères qui avaient essuyé tant d’humiliations, de rejets et de crainte de perdre leur emploi, qu’ils acceptaient cette soumission.

À l’école, lorsque notre instituteur nous inflige une correction, malheur à nous si nous en référons à notre père ! L’image que nous véhiculons est hélas toujours négative. Écrasés par cette lourde chape de plomb, nous vivons repliés sur nous-mêmes : triste monde que l’on nous avait fabriqué !

Sans cesse renvoyés à nos origines, nous sommes baptisés : « La bande des Canadiens ». Un surnom qui laisse bientôt place à des appellations bien plus tendancieuses telles : « Les Arabes de la Résidence ». Et j’en passe…

Seules nos institutrices de l’époque sont conscientes de nos difficultés. Elles font preuve d’attention et de perspicacité. Françoise, mon institutrice du cours préparatoire en demeure une preuve vivante. Jamais elle ne fera preuve de discrimination : blacks, blancs ou beurs, nous sommes tous logés à la même enseigne.

Je conserve d’excellentes relations avec cette femme exceptionnelle qui, un jour, me confie ces doux mots qui me vont droit au cœur. « Rachid, tu es le fils que je n’ai pas eu ! » C’est de cette France que je raffole.

Au collège, le contexte est différent. Les élèves viennent de tous horizons et les divergences donnent parfois lieu à des échanges tumultueux. Le nombre d’élèves issus de l’immigration est pourtant peu élevé mais les manifestations de racisme sont vives. Pour peu qu’un jeune beur soit dadais, il est victime de toutes les brutalités. Dans ce genre de situation, il ne faut se résoudre hélas qu’à la riposte.

Fort heureusement, certains camarades apprécient déjà la culture berbère, et d’autres nourrissent aussi des projets de tourisme au Maroc ou en Tunisie. Un professeur de français, Gilbert Bontemps, dont je ne suis pourtant pas l’élève, me prodigue toute son attention. Nos liens d’amitié sont nés de ses très bons rapports avec mon père qui ne tarit jamais d’éloges à son sujet.

À l’époque, cet homme généreux lui avait enseigné le français à l’occasion des cours du soir destinés aux immigrés tout juste débarqués d’Afrique. Monsieur Bontemps était un homme rempli de sagesse et constamment habité par un esprit d’égalité. Il prônait tout naturellement le rapprochement des cultures. À présent, Gilbert n’est plus de ce monde. Il est parti rejoindre le paradis des braves. Me resteront de lui les souvenirs de sa personnalité bienveillante et de son âme douce.

Bientôt, je sais me faire apprécier grâce à la pratique du football. Ce sport deviendra mon domaine de prédilection. La pause de midi est, parfois, consacrée à des tournois interclasses ou à des rencontres amicales face aux enseignants. Par tradition, tout le collège se déplace pour supporter son équipe. Quelle aubaine pour prendre une revanche sur l’autorité des enseignants !

En la matière, je suis beaucoup plus habile balle au pied qu’avec un devoir de maths entre les mains. Très vite, des élèves m’invitent à leur enseigner l’art du dribble, une technique que j’affectionne tout particulièrement. L’Algérien que je suis a tout de même des aptitudes !

Malheureusement, cette activité est aussi une opportunité pour certains d’assouvir leur haine raciale. En 1988, au cours d’une rencontre de championnat de district face à Mancieulles, j’allais en vivre la triste expérience. Mon vis-à-vis direct, n’admettant pas ma supériorité, m’assène une série de coups particulièrement violents. Lui faisant quelques remarques sur son attitude excessive, il s’emporte et profère des injures de nature raciste : « Qu’est-ce qu’il y a b… ? – Prépare-toi vite, à la fin du match il y a le bateau qui t’attend ! » Ce genre de situation se renouvellera fréquemment sur les terrains de football. Ainsi en 1993, à Thierville, lors d’un tour de coupe de France, un défenseur manifestement dépité par mes dribbles y va de ses : « Sale arabe », ou encore « Tu n’as rien à foutre en France ! »

Malgré les actions menées par la Fédération Française de Football, des joueurs dénués de tout bon sens continuent à souiller l’image du football. Pacifiste, je reste impassible devant ces comportements relevant de la pire bassesse. J’avoue cependant qu’il faut faire preuve de beaucoup de patience. Car, face à de tels propos, on peut comprendre certaines réactions un peu vives de joueurs d’origine africaine ou antillaise, même si elles restent contraires aux règles déontologiques du sport.

***

En juillet 1999, une blessure récalcitrante au genou m’éloigne doucement des terrains de football. Bientôt, le cafard m’envahit. Une solitude grandissante me presse de trouver une autre occupation. La découverte fortuite des soldats africains va devenir pour moi une nouvelle passion.

En écoutant une chanson de l’illustre poète berbère Slimane Azem, je suis interpellé par quelques-unes de ses paroles qui proviennent d’une complainte intitulée Carte de résidence, une œuvre qui traite de la condition des immigrés en France. Le chantre conclut en ces termes : « Mesdames Mesdemoiselles Messieurs, si je dois vous dire adieu, sachez bien que mes aïeux ont combattu pour la France… »

Ne sachant vraiment pas de quoi il s’agissait, j’interroge avec empressement mon père qui me révèle la participation des Africains aux grands conflits mondiaux. Et comme une nouvelle peut en cacher une autre, j’apprends que ma famille a également servi la France. Mouloud, un grand-oncle, est tombé au champ d’honneur. J’aurai l’occasion de revenir sur cette précieuse découverte.

Le moins qu’on puisse dire, est que le succès rencontré par le film Indigènes a déchaîné les passions autour du sacrifice des soldats africains. Du moins, il aura fallu qu’un petit groupe d’acteurs et leur producteur réalisent un long-métrage témoignant de l’héroïsme de leurs aïeux, pour que le gouvernement décrète subitement de « décristalliser » les pensions des anciens combattants africains. Les autorités politiques penchées sur la question annoncent brusquement la parité des allocations versées aux Français et aux étrangers. Pour avoir une idée de la discrimination qui sévit depuis un demi-siècle, il faut savoir qu’un vétéran français perçoit en moyenne 450 euros par an contre 110 euros pour son homologue africain. Scandaleux… Le gel des pensions date de l’époque de l’indépendance des colonies françaises, alors que celles des anciens combattants français continuent d’être revalorisées.

« La vérité vaut bien qu’on passe quelques années sans la trouver » écrivait Jules Renard. Il convient de rendre ensuite à l’Histoire ce qui lui appartient. Les manuels scolaires n’ont que trop occulté ces pages glorieuses contrairement à celles des poilus, des chasseurs ou autres fantassins.

Pourtant dès 1854, des soldats venus du continent africain sont venus prêter main-forte à la France. Pour nous, jeunes de l’immigration qui sommes fortement interpellés par un problème de revendication identitaire, l’évocation de cette noble page d’Histoire revêt toute son importance. Il est urgent de la cultiver afin d’offrir une réhabilitation retentissante et méritée à nos héros oubliés. De plus, elle est à même de nous rendre toute notre dignité : celle d’être Français. Et à part entière s’il vous plaît !

Beaucoup de jeunes issus de l’immigration ignorent cet aspect de l’Histoire et il est fort probable que des membres de leur famille aient aussi servi la France. Pour ma part, il aura fallu une composition du lyrique Slimane Azem pour en avoir la révélation.

Il semble opportun de rappeler qu’un jeune producteur belge d’origine marocaine, Mourad Boucif, a réalisé un sublime documentaire, La Couleur du Sacrifice. Son documentaire expose la consternante situation dans laquelle se retrouvent des vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Ces anciens soldats sont contraints de survivre très loin de leurs proches, car, pour percevoir leur maigre rente, on leur impose de résider sur le sol français. En plus de cette crainte de mourir loin de leur terre natale, ils croupissent dans des conditions sanitaires particulièrement déplorables. Ils en sont réduits à errer dans les rues d’une République peu reconnaissante. Néanmoins, ils nous offrent une leçon d’humilité en exprimant leur fierté d’avoir épaulé la France.