Les drames d’un émigré - Dominique Kamga Sofo - E-Book

Les drames d’un émigré E-Book

Dominique Kamga Sofo

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Beschreibung

"Les drames d’un émigré" expose crûment les camouflets auxquels font face les migrants, offrant un témoignage poignant de leur réalité. Des situations tragiques émaillent leur parcours, surtout pour ceux qui osent réinvestir dans leur terre d’origine. Ces pages dévoilent les clés pour se dresser contre ces obstacles, dans un environnement où l’investissement demeure un défi socioculturel de taille.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Dominique Kamga Sofo s’investit profondément dans la résolution des défis sociétaux auxquels sont confrontées les populations africaines. Grâce à un parcours académique et professionnel brillant, il a acquis toutes les compétences nécessaires pour devenir un orateur d’exception sur les sujets qu’il choisit d’aborder.

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Dominique Kamga Sofo

Les drames d’un émigré

Roman

© Lys Bleu Éditions – Dominique Kamga Sofo

ISBN : 979-10-422-3418-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Pascal Fokam Kamga

et à Hubert Kuate Kamga,

qui ont œuvré pour l’avènement de cet ouvrage.

À Maryse Condé, écrivaine.

Tout ce qui t’advient, accepte-le et, dans les vicissitudes de ta pauvre condition, montre-toi patient, car l’or est éprouvé dans le feu.

Ecclésiastique 2 : 4

Du même auteur

Église et culture d’Afrique : Les Djo de l’Ouest Cameroun, L’Harmattan Cameroun ; Paris, 2010 ;

Les drames des populations africaines :Dieu est-il absent de la scène ? L’Harmattan Cameroun ; Paris, 2012 ;

Festivals de danse traditionnelle africaine et développement ; L’Harmattan Cameroun ; Paris, 2014 ;

Entrevue à cœur ouvert (roman) ; L’Harmattan Cameroun ; Paris, 2021 ;

Pratiques immémoriales dans un contexte de modernité. Les pratiques de Chop et de Sorcellerie sont-elles à abolir ? Presses de l’Université Catholique d’Afrique Centrale (UCAC) ; Yaoundé, 2022.

Prologue

Le choix du titre de ce roman est né du souci que nous avons d’encourager et d’aider les diasporas à s’intégrer dans le processus de développement de leurs pays. Nous osons croire bien faire en les interpellant à se lancer sur cette voie du patriotisme et à ne pas se décourager de traduire dans les faits le rêve qui les anime.

Nous voudrons leur dire qu’avant d’entrer dans le monde de l’entrepreneuriat il faut se préparer à affronter les défis qui les attendent sur le terrain. Car si les enjeux sont flatteurs, si rêver à des gains est légitime pour tout entrepreneur, il ne demeure pas moins qu’il y a inévitablement des problèmes à résoudre pour atteindre le bon résultat ou le bénéfice escompté.

En effet, souvent mal préparées, nombreuses sont celles d’entre elles qui sont totalement étrangères à ce qui se passe dans le monde des affaires au pays, obnubilées qu’elles sont par la folie de grandeur, le sentiment de supériorité, l’autosuffisance, le manque d’humilité et de conseillers de confiance.

Plus grave encore est la volonté de transposer la façon occidentale de vivre, de penser, de concevoir les choses, dans un contexte culturel africain en déphasage avec les habitudes étrangères.

Investir au pays, sans une étude socio-anthropologique préalable et sans recours aux personnes de confiance, les expose indubitablement à des situations dramatiques : jalousie, tracasseries, vols, sorcellerie, envoûtements, embûches, malhonnêteté et autres pratiques malsaines qui les conduiront à la dépression et à la mort.

Notre intention est, en fin de compte, une sorte de conseil ou, plus spécifiquement, une leçon de sagesse, appelant notamment la diaspora africaine à investir davantage au pays et à s’ouvrir aux autres, particulièrement aux parents et amis intimes, même si la prudence commande de se méfier des amis les plus intimes.

Les descriptions faites dans cet ouvrage illustrent dans les faits les réalités concrètes du vécu quotidien couplées des apports de l’imagination. Un effort est fait pour rendre la lecture plus digeste, plus accessible aux lecteurs de divers niveaux.

Ce roman comporte plusieurs séquences ; la première situe le principal personnage dans son cadre de vie familiale et scolaire, les autres parlent de son séjour en Europe, de son retour au pays natal ainsi que de ses activités pleines d’embûches.

Chapitre I

Cadre de vie familiale

Passez par la grande route qui traverse le centre-ville de Bandjoun en direction de Douala, si vous venez de Bafoussam ou bien, en sens inverse, si vous venez de Douala. S’il vous plaît de découvrir le lieu de naissance de Defo, souffrez de savoir qu’après une quinzaine de kilomètres de Bafoussam vous traverserez un cours d’eau qui arrose la périphérie de la ville de Bandjoun ; et qu’au-delà, vous trouverez le carrefour Mouwè, connu sous le nom de Kuikoue avant l’arrivée des Blancs, à la jonction duquel dérivent deux bretelles, dont l’une goudronnée et l’autre en terre battue.

Vous verrez également, en aval de la bretelle goudronnée, une servitude qui vient s’y joindre perpendiculairement.

Descendez ; vous trouverez une grande cour en face de laquelle est bâtie une modeste case au toit conique couvert de chaume, à l’intérieur de laquelle se trouve, tout près de l’âtre, le petit lit en bambou de la mère de celui que le sort a choisi d’envoyer en Europe.

Et si vous voulez en savoir plus au sujet du carrefour Kuikoue, sachez que les sujets du roi se rassemblaient là-bas au jour fixé par Sa Majesté, portant chacun un panier de macabos, que les serviteurs du roi collectaient pour son compte, en guise de provisions à distribuer à la population en temps de disette.

Le nom ainsi attribué à ce carrefour veut donc dire le lieu de la collecte des macabos. C’était également un endroit de divertissement, autant pour les jeunes que pour la tenue des funérailles publiques et des danses traditionnelles.

Un poste de contrôle sécuritaire appelé Tap Mekoue y était installé afin de filtrer nuitamment les éventuels malfaiteurs. De braves et vigoureux hommes y montaient la garde à tour de rôle.

De nos jours, les gendarmes les y ont remplacés, à la faveur des mutations qui ont amené la société à s’adapter aux exigences de l’heure et à répondre adéquatement aux problèmes complexes de sécurité sociale. Car, les mutations sociales ont favorisé l’émergence de nouveaux types de comportements pervers : vols à main armée, prise d’otages, commerce illicite et autres trafics interdits.

La doctrine sur la sécurité sociale n’est pas un fait nouveau. Avant la pénétration européenne, le royaume Bandjoun avait ses propres instances gouvernementale, économique, sécuritaire, judiciaire et juridictionnelle ; il y avait un tribunal de premier degré tenu par des juges nommés par le roi et un tribunal de second degré siégeant en dernier ressort devant le roi.

Mais, hélas ! À chaque époque sa façon de faire et de se comporter. Nous avons hérité du passé ancestral et avons eu la chance de vivre les réalités du présent. Cependant, il y en a qui n’en sont pas conscients. Pourtant, des monuments de référence existent, des personnes-ressources auprès de qui on peut s’abreuver du passé afin de puiser en eux la force de découvrir les réponses aux problèmes de notre temps, comme le dit si bien le philosophe Roger Garaudy dans son livre « Appel aux vivants ». Sont surtout visés ici les jeunes et même certains adultes ; car nombreux sont ceux d’entre eux qui ignorent tout de leur héritage ancestral ou ne veulent pas en entendre parler.

Comment peut-on vivre dans cette situation de déni de son nombril, de ses us et coutumes sans se compromettre ? Une branche d’arbre, qui n’est pas fixée sur son cep, est vouée à l’évanouissement, à la déchéance et au dessèchement.

Il en est ainsi des hommes de ce temps, qui perdent leur repère culturel à la faveur des coutumes aliénantes et perverses venues d’ailleurs. Ils les acceptent facilement, convaincus que tout ce qui vient de l’extérieur est bon à digérer et que ceux relevant de leur culture patrimoniale sont abjects, désuets et doivent être rebutés.

Erreur grave de leur part car rien de bon ne se construit en l’absence de ce qui a existé. En d’autres termes, faire table rase du passé culturel ancestral est une mauvaise chose. Et s’il arrive qu’on ait la prétention de le faire ou que la force des choses nous y ait conduits, on tombe sous le coup de l’avilissement et de déracinement culturel ; mais on ne peut jamais se dépouiller totalement de tout son potentiel génétique.

Les émigrés comme Defo, qui ont une double appartenance culturelle ou les Africains de l’Amérique latine n’ayant jamais vécu dans le continent de leurs aïeux, ne peuvent pas se débarrasser de leur potentiel génétiquement africain : leur africanité les trahira quelque part, du fait de la couleur de leur peau, de leur culture hybride, de la ségrégation ou du racisme dont ils sont victimes, quoique la jouissance des Droits de l’Homme leur soit aussi reconnue, bien sûr, après d’âpres luttes qu’ils ont menées pour leur liberté, la justice et l’égalité, en ce qui concerne notamment les descendants des Africains déportés.

Des Africains ont été déportés en Amérique durant la colonisation. C’est pourquoi on parle des Afro-Américains. Une partie de l’Afrique s’est ainsi installée, par la force des choses en Amérique : Guadeloupe, Pérou, Jamaïque, Haïti, Martinique, Brésil, par exemple. Si vous y allez, en tant qu’Africains, vous êtes chez vous, vous serez accueillis par vos frères et sœurs.

Le cas de Defo est particulier. J’espère que ça ne vous ennuie pas que je vous parle davantage de lui ? Eh bien ! Si vous me le permettez, je vais le faire sans tarder.

Defo est né en 1950 à Mouwè, dans un petit quartier de Bandjoun ; il est baptisé à l’âge de neuf ans à la paroisse Sainte-Thérèse de Pète par le révérend père Charles Schwab ; il a été servant de messe, assidu au service de l’autel autant qu’à celui de la sonnerie du grand clocher de la chapelle.

Il s’est adonné, dès sa tendre jeunesse, à la doctrine de son église. Et c’est la principale raison, je n’en doute pas, pour laquelle le révérend père l’a coopté pour aller se former chez les Blancs, après la réussite à l’examen du Certificat d’Études primaires élémentaires. Il a été un élève brillant, intelligent, vaillant, taciturne mais studieux, et n’a pas été un adepte de l’école buissonnière.

Il a également été toujours docile à ses parents, qu’il n’a jamais cessé d’aider dans les travaux champêtres. Les autres parents du quartier ont eu envers lui de l’estime, en raison aussi de son comportement respectueux. Sur le chemin de l’école, presque chaque parent, les femmes en particulier, s’intéressaient a lui, qui lui donnant des conseils au sujet des bienfaits de l’école, qui le mettant en garde contre la fréquentation des mauvais camarades. Sa corpulence et sa petite taille étaient un autre motif d’attraction de la part des gens.

On profitait de sa popularité et de sa protection, Fotso, Nguéno et moi, puisqu’on allait ensemble à l’école missionnaire des Frères des Écoles chrétiennes sans frayeur ; il nous mettait à l’abri de mauvais garnements qui taquinaient nos camarades en chemin.

Nous nous y rendions à pied, pieds nus, sur cette piste semée d’embûches, cheveux crépus, quelquefois rasés par le bon soin de nos mères ou par quelques voisines, signe de la fraternité et de l’amour mutuel qui régnaient partout.

Nous bravions le froid glacial du petit matin, en haillons, chacun faisant rouler son cerceau au moyen d’une baguette fourchue de circonstance qui nous servait de force de propulsion et nous faisait aller plus vite sur cette route rugueuse.

Tantôt, comme pour nous décourager, des épines nous piquaient aux pieds ; tantôt, c’était aux cailloux rugueux et aux pierres tranchantes que nous avions des comptes à rendre. Nous en sortions régulièrement avec des blessures béantes que soignaient nos parents, tant bien que mal, en nous blâmant pour notre imprudence et nos jeux enfantins sans retenue.

Nous ne faisions pas usage de nos lance-pierres sur le chemin de l’école ; ils attendaient à la maison, pour être utilisés les samedis, jours de prédilection pour la chasse aux oiseaux que Defo aimait tant. Il était le plus courageux d’entre nous, un peu turbulent, trop zélé, comme le sont généralement les gens de petite taille.

À l’école, il était plus sérieux, plus discipliné, plus fort en classe, puisqu’il répondait correctement à toutes les questions que le maître nous posait. Les Frères blancs étaient fiers de lui. Il gagnait des prix d’excellence presque partout. Ils voyaient déjà en lui une personne sur qui ils peuvent compter pour la relève de l’école après leur départ.

Je devine, à travers vos regards assoiffés, que vos attentes sont loin d’être satisfaites : vous avez hâte de savoir où se trouve cette fameuse École qui ovationne et prime l’excellence. Vous voulez savoir si elle a de bons encadreurs, une bonne structure. Eh bien ! Je vous réponds dans l’immédiat.

Retenez déjà qu’elle a formé de valeureuses personnes. Parmi elles, on dénombre plusieurs ministres et autres hauts cadres de l’administration et des entreprises privées, des médecins, des diplomates et plusieurs enseignants, etc. Elle a ainsi rendu de grands services à la nation et participé au développement économique du pays.

Chapitre II

Cadre scolaire et départ pour l’Europe

Elle est construite sur un plateau d’une superficie d’environ dix mille mètres carrés ; elle offre au loin aux visiteurs un sourire charmant et une posture majestueuse, on dirait un vaste et somptueux domaine de la bourgeoisie française du Moyen-âge.

Deux rangées de salles de classe montées en parpaings, couplées d’un bloc administratif, coiffées de tôles ondulées, de forme rectangulaire dont l’entrée fait face au bloc administratif, font également sa fierté. Des enseignants talentueux, bien formés suivant les normes en vigueur, tous Africains, y encadrent méthodiquement les élèves à la culture apportée par les Blancs.

C’est dans cette institution que Defo a été scolarisé. C’est grâce à elle que le prêtre blanc l’a dépisté et lui a donné l’opportunité d’aller étudier en France.

Il est parti sans rien dire, peut-être à cause de notre échec au CEPE (Certificat d’Études primaires élémentaires). Je n’en sais rien ; il faut que je m’approche des autres amis pour savoir s’ils sont au courant de son départ, s’il leur a dit au revoir.

En fait, qu’est-ce qui peut l’avoir attristé pour qu’il agisse ainsi ? Peut-être a-t-il cru devoir ne pas nous en parler, de peur de susciter la jalousie de notre part. Mais, moi, je ne suis pas de ceux-là qui sont jaloux de la réussite des autres, surtout de celle d’un ami.

Vraiment, il y a des choses qui dépassent l’entendement. Comment Defo peut me cacher son départ, moi, son meilleur ami, son confident ? N’est-ce pas a-t-il appris à la doctrine que nous devons nous aimer les uns les autres ? Non, son comportement à mon égard me surprend.

— Il nous étonne tous, nous ses amis ; je le dis tout haut, moi Fotso ; il n’a pas cru devoir reconnaître au moins l’assistance que nous lui avons constamment apportée, en l’aidant à résoudre ses problèmes de démuni notoire.

— Oui, l’homme est un être complexe, énigmatique, difficile à comprendre et ses idées, sa pensée baignent constamment dans un gouffre de camouflage et de l’hypocrisie. Defo en est un prototype, tu me comprends bien, Fotso ? Je m’en vais tout de suite téléphoner à Nguéno, pour qu’on réfléchisse calmement sur ce genre de comportement. Sommes-nous devenus subitement ses ennemis ? Quelle mesquinerie !

— Allo ! Allo ! Nguéno ; c’est moi qui te téléphone ; es-tu au courant du départ de Defo en France ?

— Pas du tout ; qui te l’a dit ?

— J’ai appris, de source digne de foi, qu’il a pris le vol samedi soir, le 21 octobre 1970 pour l’Europe. Pourtant, avant cette date, nous nous échangions des nouvelles par lettres, quelquefois par personnes interposées ; je vivais à Douala et lui à Bandjoun ; mais je n’ai plus ses échos depuis fort longtemps ; je l’ai toujours à cœur ; lui et moi avions beaucoup d’estime l’un envers l’autre.

— Je n’en sais rien.

— Je suis avec Fotso ; lui-même n’est pas au courant de son départ.

— Quoi ? Si c’est vrai qu’il est parti, ce n’est pas du tout sérieux ! Je ne crois pas ; il est parti quand ?

— Le 21 octobre 1970, m’a-t-on dit.

— Qui t’en a informé ?

— Son frère ; j’ai voulu m’enquérir à maintes reprises de ses nouvelles sans succès.

— Quelle ingratitude ! Quelle stupidité ! Ce n’est pas vrai, qu’il se comporte de la sorte, surtout envers toi qui es son meilleur ami ! Il me surprend, ce bout d’homme.

— Pourtant il est intelligent !

— Il a toujours été pour moi un personnage énigmatique, insaisissable.

— Je suggère qu’on se rencontre pour réfléchir là-dessus.

— C’est ce à quoi je pense moi aussi ; il est préférable qu’on soit face à face ; il est bon qu’on se parle les yeux dans les yeux, dans un climat de fraternité ; car rien ne vaut un entretien dans un contexte de chaleur humaine.

— On aura l’occasion de tout se dire ; la vérité apparaîtra pendant cette assise.

Venez chez moi, à la fin du mois.

— J’ai pris note.

— Merci ; à bientôt !

Mon âme est triste à mourir ; un souffle d’amertume et de chagrin m’envahit et me pince le cœur. Le monde est ingrat. Non, que dis-je ? L’ingratitude est le propre de l’homme et non du monde. C’est l’homme qui pervertit l’homme ; et même son environnement, bien sûr ; l’homme est plus apte à faire le mal que le bien, depuis Adam et Ève, ses premiers ancêtres.

Tout homme hypocrite est un danger caché ; il ne se manifeste pas publiquement en tant que tel ; il fait semblant de s’intéresser à vous, de vous aimer mais c’est un simulacre d’amour. Le comportement de Defo me pousse à médire de lui, à le classer parmi les personnes hypocrites.

Loin de moi cette pensée ! Pour l’amour de Dieu et le respect de son commandement, je ne l’abandonnerai jamais ; oui, c’est un mauvais garçon ; mais ma conscience est là pour me conseiller de continuer à l’aimer.

Je suis fatigué de parler seul, comme un fou, comme un insensé ! Oui, j’ai perdu la tête à force de m’étonner. Laisse-moi mon âme m’engager sur le programme qui nous attend ; tu seras bien là présente pendant notre assise et aura un mot à dire ; accorde-moi seulement un moment de répit, comme d’ailleurs tu es sur le point de le faire par ce sommeil qui assoupit déjà mes paupières de ses douces mains…

Merci ! Il est 4 heures ; enfin, déjà les oiseaux de l’aurore me chatouillent les oreilles de leurs chansons mélodieuses, me donnant l’envie d’aller me joindre à eux, là-bas, dans les feuillages où ils gazouillent en s’échappant, un à un, de leurs nids soyeux vers l’horizon éthéré. Bienvenu, ô jour radieux et adieu aux pénombres disparaissant, tels des voleurs qui s’enfuient.

Des toc-tocs à ma porte se font soudain entendre :

— C’est qui ?

— C’est nous tes amis ; nous sommes là pour notre rendez-vous.

— Soyez les bienvenus, mes amis ; prenez place ici, autour de ce feu chatouillant et alléchant ; asseyez-vous ! Vous êtes venus très tôt, mon Dieu ! Le rendez-vous c’est dans l’après-midi, non ?

— Je le sais, moi ; il faut tenir compte du temps et des autres occupations qui nous tiennent à la gorge ; car on n’a pas que ça à faire. Nous ne devons pas perdre du temps pour un insensé qui se moque de nous et ne nous tient pas en estime.

— C’est exact ce que tu dis, mon cher ; on m’a parlé d’un terrain agricole à acheter ; c’est la raison pour laquelle nous sommes venus plus tôt que prévu. Il nous faut y aller aujourd’hui, au plus vite, pour le négoce ; sinon, d’autres acheteurs nous devanceront ; et nous perdrons cette opportunité offerte par la Providence. On m’a dit que c’est un champ riche en orties, signe de la fertilité du sol ; et il ne faut pas rater cette aubaine.

— Quoi ! Les orties ne sont-elles pas dangereuses ?

— Si elles touchent la peau, elle va beaucoup en souffrir ; elles démangent, les orties.

— Leur présence présage la richesse du sol. Il faut que tu le saches : elles ont d’autres vertus, notamment dans le traitement de cancer ; j’ai vu des malades soignés avec des orties.

— C’est toi qui me l’apprends ; elles ont des vertus comme çà ? C’est donc vraiment pour moi une chance d’acquérir un tel champ ; j’en ferais une plantation de culture d’orties.

— Je sais, moi, que les tradipraticiens s’en servent pour détecter les choses perdues ou détruire les effets néfastes de certaines pratiques rituelles, comme le chop par exemple.

— C’est quoi le chop ?

— Ce n’est pas le lieu où l’occasion d’en parler maintenant ; on pourra parler de ce sujet plus tard ; retiens également qu’on nourrit les poules et fertilise le sol avec les orties.

— L’Afrique possède des richesses pouvant aider le monde à faire face aux problèmes de santé et de développement qu’elle ignore.

— On t’a donné une bonne recette ; tu dois nous payer pour ces informations, toi qui aimes l’agriculture et l’élevage.

— Tu n’as pas raison de le lui dire.

— Pourquoi ça, mon ami ?

— Tu ignores que tout se paye de nos jours, même les informations ? Tout se paye, dis-je : un billet de 500 francs se change contre 100 francs ; c’est-à-dire en clair que je te change 500 francs, pourvu que tu me donnes en retour 100 francs en plus ; c’est ce qui se pratique maintenant dans notre société.

— C’est vrai, j’en ai été victime ; j’ai voulu acheter les prunes au marché hier à une bayam-salam ; je lui ai tendu un billet de 500 f ; parce que les pièces de monnaie m’ont fait défaut, je n’ai pas eu de prunes ; la revendeuse m’a insulté, en me traitant de pauvre type. J’ai failli la gifler, moi, Fotso, sous le coup de la colère mais je me suis retenu ; je l’ai évitée de justesse.

— Voilà ce genre de comportement qui me pousse à vouloir acheter un champ ; oui, pour produire mes propres prunes, mes régimes de plantain sans recourir aux engrais chimiques et éviter les engueulades des marchandes.

Allons voir le champ d’orties ; je vais l’acquérir à tout prix pour y cultiver les orties et les produits vivriers.

— Si Defo était là, on irait avec lui, lui qui aime les travaux champêtres.

— Quoi, avec qui ? Avec une personne de ce genre ! Non, pas avec lui, mes amis ; il n’est pas aimable ; il n’est pas sociable ; il n’est pas du tout reconnaissant ; je le redis ; il faut l’oublier.

— Nous ne pouvons pas l’effacer de notre mémoire, sinon, nous ne sommes pas aussi sérieux, nous ne sommes pas aimables.

— D’accord ; j’ai compris.

— C’est bien comme tu es revenu à de meilleurs sentiments ; on pensera à lui s’il peut être partant.

— Es-tu vraiment capable d’acheter ce champ, à ton âge ? Es-tu capable de le faire aussi pour ton ami, surtout en son absence et sans son consentement ?

Ce n’est pas courir un grand risque d’agir pour lui ?

— Ce sera pour nous un signe fort pour montrer le degré d’amour que nous avons envers lui ; allons seulement voir ce champ ; on verra sur place ce que l’on peut faire ; on m’a dit que les champs de cette nature ne coûtent pas chers ; qu’on peut nous laisser à 250 francs l’hectare ; ce qui n’est pas tuant. S’il en est ainsi, nous pourrons facilement négocier aussi sa part, pour un hectare.

— Il est situé exactement où, ce champ ?

— Sur la vallée du fleuve Nagassa à Tenkofam, on me l’a dit, à deux heures d’ici, en voiture bien sûr.

— Qui est-ce on, de qui s’agit-il ?

— Oh my god ! Une amie de ma mère ; elle cultive une parcelle là-bas ; elle y a une plantation.

— On y va à quelle heure ?

— Après notre assise ; essayons de ne pas être longs dans notre entretien. Il ne faut pas rater une pareille occasion ; c’est une occasion en or. Si les choses sont bonnes, négocie pour lui, comme tu as dit, quoique nous soyons déçus par son comportement bizarre.

— Il est déjà en Europe, chez les Blancs, non ? On le verra où ?

— Je lui en parlerai si une occasion se présente ; s’il nous fait signe ou bien par une tierce personne.

— On attend ce signe ; mais je ne crois pas qu’il soit encore avec nous. Et même s’il ne se signale pas, tu ne l’oublieras pas, je le sais ; car tu as le don de générosité. Celui qui sait faire fructifier son talent, qui ne l’enterre pas, sera récompensé. N’est-il pas dit aussi que celui qui a les mains larges, qui sait donner aux autres gagnera le quadruple de ce qu’il a donné ? Dieu récompense toujours ceux qui pensent aux autres ; tu gagneras beaucoup à cause de la parcelle du champ agricole que tu veux acheter pour ton ami.

Dieu aime ceux qui sont généreux.

— On ne sait jamais ; notre ami peut se ressaisir entre-temps et penser à nous.

— Quoi ! Après ce qu’il a fait, il peut changer ? Je ne crois pas à ce que tu dis ; la vie en France peut l’avoir déformé davantage ; ne soyons pas surpris ; il vit dans un contexte autre que le nôtre ; il nous reviendra ; j’en suis sûr, avec d’autres ambitions et une autre manière de voir, de concevoir les choses, qui ne cadrent pas forcément pas avec les nôtres.

— Investir pour un champ agricole serait une bonne chose pour lui.

— C’est toi qui le dis ; les Benguistes, les gens de la diaspora ont une vue plus large ; vous le savez bien non ? Il peut avoir en tête un autre projet plus ambitieux ; celui d’investir plutôt en Europe. Je ne le vois pas en train de revenir.

— Pourquoi ?

— Des exemples sont légion ; mon ami est là-bas depuis des décennies ; il ne pense plus au retour. Je ne reviendrai plus, m’a-t-il dit un jour vertement. Parce que, dit-il, le cadre de vie ne l’intéresse plus : l’insalubrité, la manière de vivre ne lui plaisent pas.

— Quoi ? Il ne faut pas qu’il profite de ce que les Blancs ont réalisé, à la sueur de leur front, depuis des milliers d’années, pour vivre dans l’aisance ; il doit savoir que le pays compte sur sa diaspora pour se construire et se développer.

— Mon frère, si les Européens étaient comme lui, s’ils refusaient de bâtir leurs pays, ils seraient à quel niveau de développement aujourd’hui ? N’est-ce pas parmi les pays sous-développés ?

— Qu’il revienne travailler pour mettre les siens aussi à l’aise.

— Il doit en être conscient et revenir agir dans ce sens avec nous, faire profiter ses compatriotes de ses investissements.

— Puisque nous parlons de lui, nous sommes d’ores et déjà en plein cœur de notre sujet, de notre rencontre. Qui de nous a eu vent de là où il vit ? Quelle ville française l’a accueilli ? Il y fait quoi concrètement ?

— Moi, je sais qu’il est en France. Il ne nous dira pas ce qu’il y fait ; puisqu’il ne nous a pas dit qu’il partait quelque part. D’ailleurs, il te sera difficile de le rencontrer, si tu vas en France.

— Pourquoi ? Il m’est revenu qu’il se trouve à Frépillon, une petite ville toute proche de Paris.

— L’un de mes amis m’a raconté un jour l’histoire d’un Benguiste, son ami d’enfance avec qui il partageait souvent le même lit. Il a voulu le voir, lors de son séjour à Paris, en passant par son épouse que le hasard a placée sur son chemin. Il a affiché une fin de non-recevoir. Aucun écho de sa part n’a été reçu en retour. Defo, personnage difficile, intelligent mais énigmatique se comportera de la même manière.

— Tu le connais très bien.

— C’est mon intime ou, plus exactement, mon pseudo-confident, puisqu’il ne s’est pas ouvert à moi ces derniers temps ; il ne m’a pas soufflé qu’il est en partance pour l’étranger ni par une blague ni par un jeu d’esprit.

— Tu me surprends ! C’est ce qui te pousse à dire qu’il est difficile, intelligent et énigmatique ?

— Cesse de me narguer ; n’est-ce pas tu le connais aussi, en tant que son camarade de classe ? Tu as déjà oublié qu’il a été le plus brillant élève de votre classe ?

— C’est vrai ; je l’ai oublié ; je m’en excuse ; l’oubli est le propre de l’homme ; on ne peut s’en échapper que rarement. Il faut ajouter qu’il a été très courtois, très respectueux envers les maîtres.

— Pas seulement envers eux mais envers le Frère directeur également.

— Aussi envers le curé et son vicaire ; car il a été très assidu au service de l’autel en tant que servant de messe et chargé irréprochable de la sonnerie des cloches. Il est important de signaler ces vertus qui le caractérisent.

— Tu n’as pas tort d’insister sur cet aspect, sur le comportement étonnant ; il faut le dire ; car l’acte qu’il a posé à notre égard est plus que surprenant, à la limite, scandaleux.

L’idée d’émigrer pour une meilleure vie doit l’avoir subjugué, obnubilé, depuis l’obtention de son diplôme de CEPE (Certificat d’Études primaires élémentaires), au point qu’il n’a pensé qu’à lui-même, relayant dans l’oubli l’existence de ses amis. Il m’a dit un jour, à l’occasion du mariage d’un Benguiste, qu’il aimerait être comme lui. Cela date quand même de longtemps ; il était encore en classe de CMI (cours moyen première année).

— Son souhait est devenu une réalité. C’est une bonne chose.

— Parler également de son départ n’est pas une mauvaise chose mais un acte d’amour envers lui, non ?

— Il me semble qu’il avait peur de nous dévoiler son secret.

— Pourquoi avoir peur ?

— À cause de ce qui se vit dans notre société actuellement.

— De quoi s’agit-il plus exactement ?

— Des empoisonnements fréquents qu’on annonce partout de nos jours : empoisonnements par jalousie à l’encontre de celui dont l’étoile brille ou de mauvais œil, empoisonnements rancuniers ou gratuits ; l’être humain est devenu plus méchant.

— N’es-tu pas au courant de ces faits, Fotso ?

— Si ! Je suis parfaitement au courant de ces faits horribles !

— C’est sans doute pour les éviter que Defo est parti secrètement, je vous le redis.

— Oh ! Le monde bouge dans le mauvais sens ; il faut être prudent et méfiant partout maintenant.

— Ton ami doit-il être méfiant de toi aussi ?

— Je le réitère : on a plus confiance en n’importe qui dans ce village ; on a même peur de sa propre ombre.