Les Galets de Tréguennec - Bernard Larhant - E-Book

Les Galets de Tréguennec E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Certaines affaires remuent le passé que certains aimeraient mieux garder oublié…

Quel lien entre le tournage d'un téléfilm à l'usine de concassage de galets de Tréguennec, la mort d'un retraité alsacien à Quimper et les zones d'ombre de cette page méconnue de l'histoire du pays bigouden ?
Du littoral jusqu'à Quimper, en passant par Pont-l'Abbé et Tréméoc, Paul et Sarah vont se plonger au cœur de la région, y remuer des souvenirs parfois émouvants, souvent douloureux et déranger quelques consciences en avançant dans l'enquête à partir de leur simple intuition de policiers.

Parcourez tout le Pays Bigouden grâce au troisième tome trépignant des enquêtes de Paul Capitaine ! 

EXTRAIT

"Il entama son discours, s’arrêta très vite, se racla la gorge, s’excusa, reprit son fil, se trompa de ligne, s’arrêta à nouveau, repositionna ses lunettes, puis je le sentis vaciller et je compris qu’il ne se sentait pas bien. Alors qu’auprès de lui, son successeur fixait l’auditoire pour prendre la mesure des plus rebelles, Pierre Chantre cherchait sa respiration, suffoquait, bouche ouverte, la main disponible appliquée sur le haut de son torse, avant de s’écrouler comme une masse. Aussitôt, les plus proches l’entourèrent, lui ouvrirent le col de chemise, réclamèrent de l’espace autour de lui pour qu’il respire. L’un d’eux appela le Samu, l’autre alla chercher la trousse d’urgence, un troisième entreprit de lui pratiquer un massage cardiaque.
Pétrifiée, la main posée sur le pupitre, Radia Belloumi vivait le premier instant dramatique de sa carrière naissante, incapable de savoir comment agir en une telle circonstance. Car cela ne figurait pas non plus dans les manuels du parfait commissaire."

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

"Éditions Bargain, le succès du polar breton." – Ouest France

"Avec le Finistère pour seul décor, Bernard Larhant opère comme un enquêteur pour bâtir ses histoires."  - Carole Collinet-Appéré, France3

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après avoir passé une longue période dans le Sud-Ouest, il est revenu dans le Finistère, à Plomelin, pour poursuivre sa carrière professionnelle. Passionné de football, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du Stade Quimpérois, puis en senior. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l'écriture de polars avec les enquêtes d'un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine et de sa partenaire Sarah Nowak. À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.



À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Maman et à la famille Le Berre.

REMERCIEMENTS

- À la mairie de Tréguennec et monsieur Per Pérennou.

- À Sylvaine, pour ses précieux conseils.

- À Stéphanie, pour ses précisions juridiques.

PROLOGUE

Apprendre, à l’approche de la cinquantaine, qu’on est le père d’une fille de vingt-sept ans, c’est partir à la découverte de son mode de fonctionnement, des subtilités de sa personnalité, des nuances de sa sensibilité. Aussi, très souvent, la surprise est-elle au rendez-vous, face à bon nombre de ses réactions, expressions d’une nature généreuse et spontanée, d’un tempérament explosif et pourtant parfois si fragile. En fait, je découvrais chaque jour qu’elle était une petite femme dotée d’un fort caractère et une grande gamine en quête d’une sécurité affective. Une fille, finalement, c’est un peu comme un temps d’avril en Bretagne, quand en une fraction de seconde, le soleil laisse place à un gros nuage, parfois même à un grain violent, avant de réapparaître dans l’instant qui suit. Avec Sarah, j’avais souvent tout faux et, malgré tout, sans posséder un tempérament maso, j’aimais cela. Je savais que ses reproches, ses agacements, ses impatiences représentaient autant d’appels affectifs.

À l’inverse, pour une fille de vingt-sept ans, se découvrir un père, cela signifie disposer d’un interlocuteur solide, capable d’endosser des reproches exprimés avec une extrême mauvaise foi, d’être le référent si souvent absent, jusqu’alors, celui qui peut, d’un mot, guérir tous les maux. Un homme forcément parfait, toujours présent quand il le faut, suffisamment discret pour ne pas froisser une susceptibilité naissante, assez persuasif pour être écouté. Un père, une perle rare pour une fille qui s’est construite sans la présence du sien, un héros statufié sur son piédestal, inébranlable sous les reproches comme devant les louanges…

Je croyais connaître le pire et le meilleur de l’existence après avoir bourlingué aux quatre coins du monde, sauvant des vies, en volant d’autres, au nom de l’État français ; pourtant, depuis l’apparition de Sarah, j’avais dû revoir mon échelle à ses deux extrémités : rien n’était plus grandiose que l’amour d’un enfant, rien ne me semblait désormais plus terrible que son regard sur ma vie, aiguisé, intransigeant, absolu ! Elle pouvait parfois me décaper en deux phrases, elle savait souvent m’éblouir en un regard, elle arrivait tout autant à m’étonner par son audace, sa spontanéité, ses élans imprévisibles.

Comme en ce vendredi soir où nous attendions tous deux, devant le commissariat de Quimper, notre boutique, l’heure du pot offert par le grand patron, à quelques semaines de sa retraite. Rose-Marie, notre collègue antillaise, copine attitrée de Sarah, n’avait pas encore fini de se préparer et avait tenu à ce que nous l’attendions pour rallier la salle du buffet à nos côtés. Sarah se demandait si elle n’aurait pas dû mieux s’habiller, après avoir vu certaines de ses collègues passer devant elle dans des tenues qu’elle estimait plus chic. Elle marmonnait entre ses dents sur les difficultés d’habiter Bénodet et de travailler à Quimper quand elle remarqua une jeune Maghrébine qui scrutait avec indécision les différentes portes du bâtiment. N’écoutant que son sens civique, Sarah traversa la rue et aborda la visiteuse pour la renseigner. Et là où chacun de nous aurait achevé sa B.A. après avoir fourni l’information, ma fille tint à rajouter une dose supplémentaire de disponibilité.

— Tu cherches les services administratifs, certainement, je vais te conduire, il y a de quoi se perdre dans ce labyrinthe ! s’exclama-t-elle en posant une main amicale sur le long manteau bleu marine de la jeune femme. C’est pour une plainte ? Tu veux déposer une main courante ?

— Non…

— Je vois, tu brigues un emploi d’adjoint de sécurité dans notre grande maison ? C’est cela ? Tu as raison de te présenter, que risques-tu ? Tu n’es pas de la région, tu sembles perdue…

— J’arrive tout juste par le TGV de Paris, murmura timidement l’interlocutrice de Sarah, profitant du fait que celle-ci reprenait son souffle. En fait, c’est la première fois que je mets les pieds en Bretagne, je ne pensais pas le trajet si long ; en plus, je n’ai pas trouvé de taxi disponible et j’ai laissé ma valise à la réception d’un hôtel pour ne pas me mettre en retard…

— C’est sûr, vu de Paris, Quimper semble le bout du monde ! Mais une fois qu’on y vit, il semble parfois que c’est le cœur de la planète. Ici, les gens ont une expression sur le visage, ils sont encore vivants. Enfin, quand il ne s’agit pas d’un cadavre, je bosse à la Crim’… Sinon, on peut prendre le pouls de la nature, on entend respirer la Terre, elle est géniale, cette région…

Toutes deux montèrent l’escalier de granit, semblables à deux vieilles copines qui se retrouvaient, Rose-Marie arriva entre-temps, fraîche comme une fleur de flamboyant sous les alizés. Notre unité se trouvait au complet, à l’exception de son chef, le commandant Fouilloux, en vacances en famille à La Réunion, île dont était originaire son épouse. Carole Mortier avait sorti son ensemble le plus sexy, il fallait dire que notre capitaine pouvait se le permettre, elle possédait les arguments pour engager la conversation sur ce terrain ! Mario Capello semblait en meilleure forme que les semaines précédentes durant lesquelles il avait été souvent absent. De santé précaire, le jeune lieutenant se montrait discret sur les raisons de ses fréquents passages à l’hôpital. Et comme nous ne souhaitions pas l’accabler davantage avec nos questions…

Personnellement, j’avais en horreur ces moments solennels où la grande famille de la police feignait la solidarité sans faille ! Chaque brigade formait une grappe qui se frottait rarement aux autres, les regards se croisaient, lourds de non-dits, de rancunes tenaces, de rancœurs ravalées, de jalousies latentes et de faux éclats hypocrites. Si cela n’était pas spécifique à la corporation, je me devais de reconnaître que les rivalités étaient exacerbées par la mise en concurrence récente des services, par l’efficacité réclamée à chaque unité dans ses missions, tout cela en raison de ces fichues statistiques qui nous rangeaient désormais sur le même pied que les cadres d’une société commerciale. Il fallait faire du chiffre, coûte que coûte, quitte à mordre sur les plates-bandes des collègues ! Sale dérive, en vérité, que nous vivions tous très mal…

Un brouhaha confus emplissait déjà la vaste pièce. Le commissaire Chantre allait saluer les uns et les autres, ému de ce moment qui le rapprochait un peu plus de la porte de sortie. Il possédait la chevelure argentée du retraité, le visage fatigué du vieux serviteur de l’État, le front ridé du patron que les problèmes de bureau avaient davantage marqué que les nuits de planque. Ma fille nous avait rejoints, elle prit aussitôt le bras de Rose-Marie ; elle la trouvait divinement belle dans sa longue robe tabac, qui se mariait si bien avec le brun de sa peau et l’épice de son parfum. Je ne savais jamais comment interpréter leur complicité, leur besoin permanent de se frotter l’une à l’autre ; cependant, jamais je ne me serais permis une réflexion qui me serait fatalement revenue au visage, à la vitesse d’un boomerang. Comme j’exprimais ma satisfaction de constater qu’elle avait enfin lâché les basques de sa protégée, elle me répliqua, comblée d’aise, qu’elle l’avait laissée entre les mains de la secrétaire du commissaire qui semblait au courant du rendez-vous. Je ne pus contenir un sourire ironique que Sarah ne remarqua pas.

Pierre Chantre m’avait tout appris du métier, au début de ma carrière. Il avait fonction d’instructeur, il avait en fait été bien plus que cela : un père, un mentor, un exemple, un ami. Toujours juste dans ses analyses et ses reproches. Quand il fustigeait mon comportement, je savais qu’il avait raison et qu’il intervenait pour mon bien. Il avait toujours gardé un œil ouvert sur mon parcours, notamment durant ces années où, au sein de la Cellule-Élysée, j’intervenais partout où la position de la France, voire la sécurité de ses ressortissants, l’exigeait. Jamais il ne me l’avait avoué, je l’avais appris par hasard, suite à l’indiscrétion de l’un de ses proches. Quand il eut un problème à régler à la brigade criminelle de Quimper, il fit naturellement appel à moi, avec l’espoir de me conserver à la tête du groupe et de me voir rapidement monter en grade. Seulement, j’avais toujours eu horreur de me trouver dans un bureau à signer des paperasses, à répondre au téléphone et à attendre le retour de ses équipes. Hervé Fouilloux s’en débrouillait d’ailleurs fort bien, me laissant tacitement la direction du groupe sur le terrain, ce qui me convenait parfaitement.

Comme je l’avais imaginé, les brigades se retrouvaient en groupes séparés, discutant de tout et de rien, sans chercher à établir de lien avec les voisins. On attendait que les festivités commencent en meublant le temps par des réflexions plus ou moins passionnantes. Lorsque le commissaire Chantre s’approcha de nous avec un large sourire, car de tous “ses hommes”, nous étions ses chouchous, la jeune Beurette de tout à l’heure le suivait de près, il tint à nous la présenter comme à toutes les équipes :

— Voici le commissaire stagiaire Radia Belloumi qui va me seconder durant mes deux derniers mois de service ; on me la confie, charge à moi de lui apprendre les ficelles du métier, les réalités qu’aucun cours ne peut mentionner. Je vous présente le capitaine Carole Mortier, chef de l’unité de la brigade criminelle, le lieutenant Mario Capello, l’enquêtrice Rose-Marie Cortot, Paul Capitaine et le lieutenant Sarah Nowak…

— On se connaît déjà ! annonça prestement la jeune femme, sur un ton cassant, en foudroyant ma fille du regard. Tutoyez-vous d’emblée tous les visiteurs de ce commissariat ou avez-vous agi de la sorte avec moi car je suis maghrébine ? À moins que cette familiarité ne vienne du fait que je suis jeune ou que j’avais l’air d’une paumée débarquant de sa banlieue de zonards ?

— Pardonnez-moi, Commissaire, je voulais… plutôt, je pensais… enfin, cela ne se reproduira plus ! balbutia Sarah, rouge comme un coquelicot.

— La familiarité est l’ennemie de l’autorité, Lieutenant, un commissariat n’est pas une salle de sport et la police n’a rien à voir avec une amicale d’anciens copains de classe ! Tâchez de vous en souvenir, à l’avenir…

— Grâce au lieutenant, vous n’avez pas perdu de temps en vous égarant dans les méandres des couloirs et vous êtes arrivée à l’heure au rendez-vous, n’est-ce pas l’essentiel ? me sentis-je le devoir de préciser, pour venir au secours de Sarah qui se liquéfiait sur place.

— Paul Capitaine ! soupira la nouvelle venue en se retournant vers moi, un rictus aux commissures de lèvres, pour me fixer de son pénétrant regard. En fait, vous êtes le seul membre de l’effectif dont j’ai entendu parler avant mon arrivée à Quimper. En bien et en mal… Un bon flic de terrain, mais totalement réfractaire à la discipline et à l’autorité, plutôt frondeur même ! Je sais aussi que le commissaire Chantre a fait jouer ses relations en haut lieu pour vous récupérer à Quimper…

— Paul est un excellent enquêteur, vous verrez ! intervint notre patron, avec une évidente volonté de persuasion, pour me sauver la mise. L’autre pan de sa réputation est largement exagéré ! Si vous restez dans ce commissariat après mon départ, ce que je souhaite ardemment, vous aurez en lui un allié dans les périodes de coups durs, car il en a vu d’autres, croyez-moi ! Et l’ennemi, dans la place, n’est pas forcément le subalterne qui vous dit sa façon de penser en face, les yeux dans les yeux, mais davantage celui qui feint de vous approuver avant de baver dans votre dos ! Cela non plus ne s’apprend pas dans les manuels de l’école…

Les commissaires poursuivirent leurs présentations, glanant à chaque poignée de main un sourire coincé et une courbette de circonstance. Après avoir un moment suivi du regard la recrue, Carole tourna la tête vers moi en arborant une mimique qui signifiait que celle-là n’était pas une fille commode. Mario lui murmura à l’oreille qu’il devait s’agir encore de l’une de ces insatisfaites de l’amour, réflexion qui ne plut guère à sa collègue, elle-même en manque permanent car séparée de son compagnon depuis plusieurs années déjà. Sarah attendit un moment, déjà pour recouvrer ses esprits, ensuite pour s’assurer que la miss Pète-sec n’entendrait pas ses paroles, puis elle m’asséna un coup de coude dans les côtes.

— Tu le savais, n’est-ce pas, que cette nana qui se pointait, c’était le nouveau commissaire ? Bien sûr, tu le savais et tu m’as laissée me vautrer comme une pauvre crotte ! Je suis ta fille tout de même !

— Lorsque j’ai compris la situation, tu étais déjà lancée dans ta bonne action ! Et puis j’ai tenté de sauver le coup, par la suite, non ? Je dois avouer cependant que ta mine décomposée, quand elle t’a remonté les bretelles, cela aurait mérité la photo ! On l’aurait mise en poster à la maison… Cette commissaire restera à jamais, pour moi, la personne qui est parvenue à te clouer le bec ! J’avais fini par concevoir que cet individu n’existait pas sur la planète…

— Fends-toi d’un geste pour aider les gens et vois comme tu es remerciée…

Une fois achevé le tour de “la famille”, le commissaire Chantre monta sur l’estrade et saisit le micro pour s’adresser à ses hommes. Radia Belloumi le suivait toujours, visage fermé, regard noir qui ne perdait pas une miette du spectacle. Il avait dû le préparer, ce discours, notre patron ! Il n’y présentait pas ses adieux, il avait encore une dizaine de semaines à vivre parmi nous, il symbolisait cependant une forme de passation de pouvoir, même si rien ne permettait de certifier que la Beurette lui succéderait à la tête de “la boutique”. Il était pâle comme un linge, tremblait en dépliant sa feuille, ses yeux brillaient d’émotion et de tristesse. Ce métier, c’était sa vie, il lui avait tout sacrifié ! Et même s’il prétendait que la police avait changé, en quarante ans, il aimait l’odeur des grandes enquêtes et le parfum agréable des succès de prestige. Rien ne lui faisait davantage plaisir que ces instants de décisions importantes où nous venions lui demander son point de vue sur l’organisation d’une action délicate. Il piaffait comme un poulain, n’attendant qu’un mot de notre part pour monter dans l’un de nos véhicules et renifler à nouveau l’odeur à nulle autre pareille de l’action gorgée d’adrénaline…

Il entama son discours, s’arrêta très vite, se racla la gorge, s’excusa, reprit son fil, se trompa de ligne, s’arrêta à nouveau, repositionna ses lunettes, puis je le sentis vaciller et je compris qu’il ne se sentait pas bien. Alors qu’auprès de lui, son successeur fixait l’auditoire pour prendre la mesure des plus rebelles, Pierre Chantre cherchait sa respiration, suffoquait, bouche ouverte, la main disponible appliquée sur le haut de son torse, avant de s’écrouler comme une masse. Aussitôt, les plus proches l’entourèrent, lui ouvrirent le col de chemise, réclamèrent de l’espace autour de lui pour qu’il respire. L’un d’eux appela le Samu, l’autre alla chercher la trousse d’urgence, un troisième entreprit de lui pratiquer un massage cardiaque. Pétrifiée, la main posée sur le pupitre, Radia Belloumi vivait le premier instant dramatique de sa carrière naissante, incapable de savoir comment agir en une telle circonstance. Car cela ne figurait pas non plus dans les manuels du parfait commissaire. Elle se pencha à son tour, comprit qu’elle gênait plus qu’autre chose, bredouilla un mot d’excuse, se recula de quelques mètres.

Ce furent les pompiers qui arrivèrent promptement pour prendre en charge le commissaire, le plaçant sur une civière, lui installant un masque à oxygène et l’éloignant de la salle surchauffée en un minimum de temps. Le chef de l’équipe de secouristes nous rassura, il s’agissait juste d’un malaise ; il faudrait effectuer une batterie d’examens pour connaître les raisons exactes de la perte de connaissance, mais les jours du commissaire n’étaient pas en danger. Le brancard quitta les locaux, entouré par les plus proches, la rumeur bourdonnante se calma lentement. Je vis alors tous les regards se tourner vers une jeune femme de trente ans, totalement paniquée, qui n’avait certainement qu’une envie, à cet instant précis, fuir en courant et repartir d’où elle venait par le premier train !

Coluche disait dans l’un de ses sketches que tous les hommes étaient égaux. Blanc ou noir, riche ou pauvre, beau ou moche. Il précisait cependant que pour celui qui naissait noir, pauvre et moche, ce serait quand même plus dur. Il en était un peu de même pour Radia Belloumi ; elle était jeune, elle était femme, elle était d’origine maghrébine. Un cumul de handicaps à l’instant où elle devait prendre, au grand galop, les rênes d’une diligence dont elle ignorait tout du fonctionnement. À cet instant, je la sentais réellement paumée, ce qui devait ravir certains collègues un tantinet racistes ou misogynes et dont il me semblait percevoir le ricanement intérieur transparaître sur le visage. Alors, mû par je ne sais quel élan de solidarité, je fis ce que je détestais le plus au monde, je m’avançai vers le micro.

— Le commissaire est un homme solide, il a juste été victime de son émotivité ; il faut dire que, pour lui, c’est un jour particulier ! Une vie au service du pays, ce n’est pas rien ; il a senti le précipice de la rupture avec sa carrière et il aura pris le tournis… Il sera bien soigné à l’hôpital et se remettra à temps pour ne pas rater son premier jour de retraite, j’en suis certain ! Surtout dès qu’il apprendra qu’avec l’argent de la collecte, on lui a acheté une canne à pêche avec un moulinet dernière génération ! Finalement, le plus difficile, ce n’est pas pour lui, il doit déjà se trouver entouré d’infirmières qui vont craquer devant sa chevelure argentée de vénérable sage… Le plus pénible, dans la situation, c’est pour le commissaire Radia Belloumi qui ne s’attendait pas, sitôt ses nouvelles fonctions intégrées, à se trouver propulsée séance tenante à la tête de la boutique. Elle sort de l’École Nationale Supérieure de police avec une solide formation, mais elle a tout à apprendre du terrain, elle est parachutée dans une région qui lui est peu familière, à la tête d’une équipe habituée à recevoir les ordres d’un homme qui a roulé sa bosse depuis quarante ans dans le métier. On a connu tremplin moins savonneux… Elle aura donc besoin du soutien rapide des chefs de groupes et de la compréhension de tous pour mener à bien sa mission. Je puis déjà vous assurer, Commissaire, de l’entière confiance de la brigade criminelle ! Je pense pouvoir parler au nom de tous mes camarades et vous souhaiter la bienvenue à Quimper… Même si aucun d’entre nous n’a, après le malaise du commissaire Chantre, le cœur à la fête, je propose que nous accueillions par un ban le commissaire Belloumi et que nous lui souhaitions un agréable passage professionnel au bout de la Bretagne, même si son arrivée est plus mouvementée qu’elle ne l’avait sans doute imaginée !

Une salve d’applaudissements répondit à mon discours, suivi d’un ban qui répondait davantage à la nécessité d’expurger un trop-plein de tension intérieure qu’à un sentiment sincère d’affection pour cette étonnante nouvelle patronne. Je m’effaçai pour laisser la place à Radia Belloumi, bien petite derrière l’estrade, même si elle devait au moins mesurer un mètre soixante, minimum requis pour postuler à un emploi d’officier de police, pour une femme comme pour un homme.

Elle s’excusa aussitôt de ne pouvoir s’exprimer longuement, les circonstances ne se prêtant pas réellement aux discours, et promit que, bientôt, elle réunirait ses équipes pour définir les missions prioritaires et les axes majeurs de chaque brigade. Puis elle regretta de ne pouvoir bénéficier davantage des précieux conseils du commissaire Chantre et lui souhaita un prompt rétablissement.

Comme certains trouvaient qu’il ne “fallait pas gâcher”, ils firent honneur au buffet, le naturel reprenant rapidement le dessus… Et pour faire descendre les canapés, rien de tel qu’un petit jaune bien tassé… Perdue dans un angle de la salle, l’endroit le moins éclairé de la pièce, Radia Belloumi s’était fait servir un verre de jus de fruit qu’elle sirotait distraitement, le regard perdu dans le vide. Je m’apprêtais à jouer à nouveau les messieurs bons offices en m’approchant d’elle pour lui faire la conversation lorsqu’une main tapota mon épaule. En me retournant, je découvris le substitut Dominique Vasseur qui s’excusa de son retard, le procureur lui ayant tenu la jambe. Je murmurai que j’aurais bien aimé me trouver à la place du procureur ; elle ne m’entendit pas. Cela valait sans doute mieux… Elle me demanda ce qui se passait, car il lui avait semblé, alors qu’elle cherchait une place le long de l’Odet pour se garer, avoir vu une ambulance quitter le commissariat. Je lui résumai la situation et je lui demandai de m’accompagner pour qu’elle chaperonne au mieux l’infortunée stagiaire, complètement perdue au milieu d’une centaine d’hommes et de femmes qu’elle découvrait à peine. Collègues, certes sous ses ordres, logiquement, mais inconnus et pour le moins suspicieux !

Si j’avais besoin d’une preuve supplémentaire de la finesse d’esprit, du tact et de l’intelligence d’esprit de Dominique, je l’obtins à cet instant où, après avoir salué la jeune femme, elle dérida Radia Belloumi, jouant à merveille le rôle de la bouée à laquelle l’arrivante allait s’accrocher rapidement de toutes ses forces.

— Je suis chargée des relations entre le parquet et les services de police, nous aurons donc l’occasion de travailler ensemble… poursuivit la magistrate sur un ton très bienveillant. Même si nous souhaitons voir le commissaire Chantre sur pied dans les plus brefs délais, il est vraisemblable qu’il bénéficiera d’une convalescence à la suite de son hospitalisation… Vous allez donc devoir rapidement prendre des responsabilités auxquelles vous n’étiez pas préparée en arrivant ici. Je ne me fais aucun souci, j’ai lu votre dossier avant de vous rejoindre : mastère de droit juridique, sportive, excellente tireuse, l’une des meilleures de votre promotion au concours, il vous manque juste ce qui s’acquiert avec le temps, l’expérience…

— Pour tous ces hommes, je suis une gamine ! se lamenta la commissaire en haussant les épaules. J’entends les réflexions, je ne suis pas sourde ! Je constate les mimiques, je ne suis pas aveugle ! Pas question, pour beaucoup, d’obéir aux ordres d’une Beurette qui ne possède aucune légitimité pour les commander ! Je vais expliquer la situation à ma hiérarchie dès demain matin, réclamer un vrai patron qui viendra prendre la tête du commissariat et sous les ordres duquel j’apprendrai mon métier…

— Il ne faut pas fuir devant les obstacles, Radia ! insista Dominique en appuyant chaque syllabe. Je peux vous appeler Radia ? J’ai vu, dans votre dossier, que vous pratiquiez l’équitation. Vous savez donc de quoi je parle, si je prétends que votre réaction est une dérobade. Vous n’avez pas accompli tout ce chemin, franchi les haies les plus difficiles pour vous planter devant le mur final ! Cela ne ressemble pas à l’image que je me fais de vous et je me trompe rarement sur le fond des gens…

— Commissaire, si je puis me permettre, vous n’êtes pas seule, au moment d’aborder ce parcours d’obstacles ! arguai-je en soutien de Dominique. Pour la marche du commissariat, vous pouvez compter sur une équipe administrative solide, même si ce soir, et c’est un peu normal, les plus proches sont partis au chevet du commissaire Chantre qu’ils côtoient depuis si longtemps. Par ailleurs, le fait que nous ayons quelques années de métier ne nous situe pas forcément contre vous. Comme le fait de vous tutoyer maladroitement à votre arrivée, d’ailleurs ! J’appuie les paroles du substitut Vasseur, vous n’êtes pas là par hasard ! Le concours de commissaire est particulièrement ardu et vous avez prouvé, par vos résultats, que vous possédez les compétences requises pour assumer la fonction ! Ayez confiance en vous, nous vous promettons de vous faciliter la tâche, du mieux que nous pourrons… Vous avez un programme pour la soirée ?

— Je vais aller prendre possession de ma chambre d’hôtel, j’ai laissé mes bagages à la réception, en chemin. Ensuite, je trouverai bien un restaurant dans le secteur, j’avoue ne rien avoir pu avaler de la journée ! J’avais échafaudé tous les scénarios possibles, mais jamais je n’avais songé à celui-là !

— Substitut, si vous n’avez rien de prévu, je vous invite toutes les deux dans une brasserie ! Naturellement, Commissaire, nous vous laisserons aller vous reposer de bonne heure, je suppose que vous avez hâte de vous remettre de vos émotions !

— C’est gentil de votre part, mais pour ce soir, je crois que j’ai eu ma dose, j’ai besoin de me retrouver seule pour analyser ce qui m’arrive…

— Alors, demain midi ? insistai-je.

— Je préfère, c’est sympathique de ne pas me laisser seule en une circonstance aussi déstabilisante… Je voudrais m’excuser pour mes paroles de préambule, Capitaine, je suis arrivée sur la défensive et…

— Dominique et moi, nous passerons vous prendre demain aux alentours de treize heures, cela vous convient ? Et par pitié, appelez-moi Paul, quand nous sommes en petit cercle…

— Comme vous l’avez compris, moi, c’est Dominique ! poursuivit la magistrate en se penchant pour embrasser la commissaire. Vous allez voir, tout va bien se passer…

— Moi, c’est Radia ! Mais vous le savez déjà, je suis vraiment fatiguée, je ne sais plus ce que je dis… Merci à tous deux de m’accueillir aussi chaleureusement…

I

Lundi matin, commissariat de Quimper. En l’absence d’Hervé Fouilloux, Carole dirigeait l’équipe de la Crim’. La fonction m’avait été proposée, seulement je n’étais pas demandeur. On avait sur le feu un règlement de compte qui avait mal fini dans un bar glauque. On possédait le signalement de l’assassin et même son adresse, ce qui facilitait la tâche. Mario se proposa de s’occuper de l’affaire et me demanda l’autorisation de prendre Sarah avec lui. Je le remerciai de me débarrasser du boulet pour la journée, ma fille ne réagit même pas. Il est vrai que, depuis les paroles de Radia à son intention, elle avait pris un sérieux coup sur le museau. Et comme j’avais déjeuné le dimanche en compagnie de “miss Pète-sec” et de Dominique, sans daigner l’inviter à notre table, nos relations n’étaient pas au beau fixe.

J’avais une montagne de paperasse en retard et m’apprêtai à démarrer la semaine en douceur lorsque j’entendis frapper à la porte de mon bureau. Je priai le visiteur d’entrer et je me trouvai face à Radia Belloumi, visiblement embarrassée. Sa confusion ne me concernait pas directement car la journée de la veille nous avait permis, grâce au savoir-faire de Dominique, de jeter les bases d’un dialogue constructif par de fines tentatives d’apprivoisement. Elle portait encore l’un de ses costumes classiques de première de la classe, qui la faisait ressembler davantage à une ministre dans son cabinet qu’à un patron de police dans son commissariat. Comme j’avais pu le constater la veille, Radia fumait beaucoup et ce matin encore, l’odeur désagréable du tabac froid l’accompagnait dans ses déplacements.

— Paul, je me trouve confronté à mon premier souci ! annonça-t-elle d’emblée. Voilà pourquoi je me permets de vous déranger. Auriez-vous un peu de temps à me consacrer pour m’accompagner jusqu’à mon bureau ? Je dois recevoir des producteurs de cinéma qui tiennent absolument à me rencontrer. Ils sont nantis d’un billet de recommandation du préfet en personne !

— J’étais convaincu qu’avec un physique aussi avantageux, votre place n’était pas dans la police ! répliquai-je avec un sourire en coin. Une nouvelle carrière s’offre à vous…

— Ne plaisantez pas, je ne sais pas comment m’en dépêtrer ! Ces gens me demandent de retrouver la trace du consultant de leur film. Il devait arriver hier après-midi à Quimper et il n’a pas donné signe de vie depuis. Pourtant, mes interlocuteurs sont certains qu’il a pris le TGV à Montparnasse… Je ne peux pas lancer une enquête à propos d’une disparition avec si peu d’éléments dans le dossier, tout de même…

— Si le préfet vous couvre, vous pouvez tout vous permettre ! Appeler le GIPN, lancer des battues, réclamer des hélicos, des chiens renifleurs, même les sous-marins nucléaires… Vous ne risquez absolument rien, vous obéissez à des ordres supérieurs… Je vous accompagne, Commissaire, on va écouter les précisions de ces amis personnels de Monsieur le préfet !

Sitôt revenue à son bureau de grande patronne, dont la largeur du fauteuil de cuir cossu dépassait de loin celle de sa silhouette gracile, Radia fut foudroyée par le regard méprisant de deux hommes, comme s’ils la pensaient coupable d’un quelconque crime, ce qui était un comble. L’un, visage bouffi et chevelure hirsute, engoncé dans un imperméable style Columbo, devait avoir une cinquantaine d’années ; nous étions donc de la même génération. Le second, costard de grande marque, manteau en alpaga et sourire Ultra Brite, semblait un peu plus jeune, beaucoup plus sournois aussi ! Il s’avança vers moi, air hautain, bras tendu, main sûre, méprisant totalement ma supérieure hiérarchique, tellement mal à l’aise dans sa fonction.

— Baudoin Schuller, producteur de cinéma, je finance le téléfilm Les Galets de Tréguennec dont le tournage doit commencer aujourd’hui, m’asséna-t-il d’une voix à la Malraux. J’ai choisi Xavier Chrétien, ici présent, comme réalisateur pour cette œuvre…

— Paul Capitaine, enquiquineur notoire, désigné volontaire par le commissaire Belloumi, ici présente, pour la libérer d’importuns de votre espèce ! assénai-je du tac au tac, en accentuant volontairement le ton sec. Que peut-on exactement pour votre service, puisque vous semblez des intimes de notre préfet ?

— Paul Capitaine, saliva le producteur avec un large sourire, j’en ai connu un, proche du pouvoir…

— Ne cherchez pas plus loin, répliquai-je, très en verve, c’est bien le même, mais loin du vouloir…

— De la répartie, j’adore ! Seulement l’affaire qui me conduit jusqu’à vous n’est pas amusante : mon conseiller technique a disparu depuis hier. Il vous faut me le retrouver au plus vite… Vous savez combien me coûte une demi-journée de retard dans mon planning…

— À tout hasard, il ne vous aurait pas fait faux bond pour une histoire de salaire ou de contrat mal ficelé ? D’abord, comment se nomme-t-il et que savez-vous de lui ?

— Il s’appelle Jean Pêcheur, il a quatre-vingt-huit ans, c’est un retraité des chemins de fer, passionné de tous les actes de la Résistance durant la dernière guerre, notamment ceux qui concernaient les cheminots… Voilà pourquoi j’ai requis sa présence sur le plateau de mon téléfilm ; celui-ci parle, comme son titre l’indique, des chargements de galets qui quittaient par trains entiers la plage de Tréguennec pour construire les blockhaus du Mur de l’Atlantique, dans le cadre de l’organisation Todt.

— Pardonnez-moi, je ne connais qu’un Todt, habitué des circuits de Formule 1, ce ne doit pas être le même… bredouillai-je, jouant au candide pour en apprendre davantage.

— Celui-ci se nomme Fritz Todt, il était ministre de l’organisation et de la production de guerre, m’apprit le Parisien sans se départir de sa grandiloquence. Il est à l’origine de la construction des usines d’armement, des camps de concentration, des abris des sous-marins, mais il est aussi l’initiateur des fortifications constituant le Mur de l’Atlantique, blockhaus, bunkers, poteaux anti-débarquement, batteries d’artillerie, de la frontière espagnole jusqu’en Norvège… L’ensemble de son œuvre de défense est communément appelé l’organisation Todt…

En quelques secondes, des souvenirs enfouis dans ma mémoire, d’anecdotes que me racontait mon père lors de visites en des lieux obscurs à mon esprit d’enfant, me revinrent à l’esprit. Il avait parlé de ces faits lors de repas de famille, insisté pour me présenter les lieux. Faits importants pour lui, barbants pour mon cerveau de môme. Il aurait eu encore toute sa lucidité pour replonger dans les archives de sa mémoire, il m’aurait éclairé sur cette période précise, seulement, comme le disait si pudiquement Sarah, quand elle évoquait la maladie d’Alzheimer de son papy, il passait désormais ses journées à voyager en compagnie d’Aloïs…

Certes, je connaissais la plage superbe, long ruban de sable qui s’étendait de La Torche à Penhors, je connaissais l’existence du Transbigouden, le train Birinik pour les gens du pays, et son utilisation par l’armée d’occupation, mais jamais je n’avais eu le souci de me pencher sur les événements de cette période survenus à quelques kilomètres de Quimper. J’avais eu la chance de naître après cette période douloureuse et au sein d’une génération qui n’avait pas connu la guerre, sans éprouver pour autant la curiosité de me pencher sur le passé de ma terre d’origine.

Seulement, à ce moment précis, les lamentations sur mes lacunes coupables n’aidaient pas le commissaire à s’extirper des pattes de deux gars qui lui avaient délibérément tourné le dos, la considérant comme insignifiante, ne lui accordant pas plus d’égards qu’à leur femme de ménage. Et elle comptait sur moi pour l’aider à prendre une décision.

— Je comprends l’embarras de Madame la commissaire, malgré tout notre respect pour Monsieur le préfet et pour votre travail de mémoire, soupirai-je, un rien faux jeton. Nous avons pour mission d’assurer la sécurité de la région avec un effectif somme toute très réduit. Extraire du dispositif deux éléments pour une recherche aléatoire représente un cas de conscience car une autre mission en pâtira forcément ! Néanmoins, si ma supérieure n’y voit aucun inconvénient, et pour être agréable à Monsieur le préfet, je peux mener une petite enquête discrète, puisque vous semblez assuré que monsieur Pêcheur a quitté Paris dans un TGV à destination de Quimper. Quelques appels téléphoniques me permettront certainement d’en savoir un peu plus…

— Très bien, Capitaine, vous avez mon autorisation ! sanctionna Radia sur le ton le plus autoritaire possible. Mais que cela ne nuise pas à votre travail en cours et au bon fonctionnement de l’équipe…

— J’y veillerai, Madame la commissaire, j’y veillerai… En revanche, vous serait-il possible de contacter le secrétariat du préfet pour rendre compte de notre décision ? Je sais que vous n’avez pas une minute à vous, seulement Monsieur le préfet apprécie d’avoir à faire directement à l’autorité… Messieurs, puis-je avoir un numéro auquel vous joindre pour vous faire part de mes résultats ?

Je quittai le bureau, satisfait de cette première collaboration avec Radia. J’avais aimé notre complémentarité qui lui laissait le rôle décisionnaire et je me surpris à imaginer que cette expérience l’avait confortée sur ses capacités à diriger le commissariat et sur le mode de fonctionnement à utiliser avec les différentes équipes. On présentait la situation, elle statuait. On opérait, elle rendait des comptes. D’ailleurs, le regard des Parisiens à son endroit avait changé, au fil de la conversation ; ces décideurs étaient des hommes assez finauds pour comprendre qu’ils n’obtiendraient rien de moi sans l’assentiment de celle qu’ils avaient tout d’abord snobée…

En fait de recherches, il me suffit de revenir à mon bureau pour apprendre que le corps d’un homme de plus de quatre-vingts ans avait été découvert par un badaud dans un terrain vague d’Ergué-Armel, la gorge tranchée, sans papiers sur lui. Un crime de rôdeurs, avait conclu la patrouille. Une petite voix intérieure me murmurait que l’inconnu était notre conseiller technique. Je téléphonai au procureur Vasseur pour lui annoncer la macabre découverte, ajoutant mes craintes de nous trouver confrontés à une affaire embarrassante ; elle nota surtout la possibilité d’une nouvelle collaboration et je compris que la perspective la réjouissait. Dans la foulée, j’appelai la commissaire Belloumi pour lui faire part de mon intuition, je ne croyais pas un instant à un crime de rôdeurs. Le cadavre était celui de Jean Pêcheur et quelqu’un avait voulu l’éliminer, brouillant à dessein les pistes, désireux de nous voir poursuivre un petit voleur de portefeuille…

Dominique passa me prendre, comme toujours, et je grimpai à bord de sa vieille guimbarde poussive qui fuma beaucoup dans la montée en direction du Petit-Guélen. Là, dans la ZAC, au fond d’un terrain vague en attente de l’implantation d’un hangar industriel, on découvrit les collègues de l’Identité Judiciaire déjà au travail. La victime était un homme encore robuste pour son âge, bien habillé, même si son imper avait souffert de l’agression, le visage orné d’un bouc chenu, comme sa chevelure peignée en arrière.

Ne sachant comment prendre une photo avec le