Les jardins - Encyclopaedia Universalis - E-Book

Les jardins E-Book

Encyclopaedia Universalis

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Beschreibung

Le jardin est une création humaine. Il n'existe pas de jardin spontané et le jardinage engage celui qui s’y livre ou s’y intéresse bien au-delà du simple loisir.
Ce dossier emprunte à l’Encyclopaedia Universalis 22 articles consacrés aux multiples aspects (techniques, botaniques, esthétiques, sociaux) de cette activité millénaire et à quelques-uns de ceux qui, tels André Le Nôtre,  Roberto Burle Marx ou Pascal Cribier, ont modelé et fait évoluer notre représentation de cette « utopie concrète » qu’est l’art des jardins.

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Universalis, une gamme complète de resssources numériques pour la recherche documentaire et l’enseignement.

ISBN : 9782341002691

© Encyclopædia Universalis France, 2019. Tous droits réservés.

Photo de couverture : © Kaspars Grinvalds/Shutterstock

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Bienvenue dans ce dossier, consacré aux Jardins, publié par Encyclopædia Universalis.

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JARDINS

« Le jardin est l’une de ces formes qui transitent à travers l’histoire car il est, littéralement, une inscription, aussi précise qu’un dessin magique, que trace le travail du sol à la surface du globe terrestre, héritant de toute la tradition des corps à corps avec la terre rebelle pour l’amadouer, la féconder, l’asservir peut-être. Chaque jardin implanté et cultivé décrit les limites d’un territoire défini, d’un domaine réservé et clos dans lequel, et par lequel, l’esprit a réussi à comprendre et à dominer les lois de l’univers ». Cette définition de la paysagiste Isabelle Auricoste rappelle la portée anthropologique universelle du jardin, qui sublime les savoir-faire d’origine agricole pour modeler la matière même du monde.

L’engouement pour les jardins ne relève pas d’une mode passagère. Il a succédé, en France comme dans d’autres pays, à un long temps d’éclipse entre l’après-guerre et les années 1970. Ce renouveau d’intérêt résulte aussi bien du rejet d’un urbanisme déshumanisé, de l’affirmation de la conscience écologique ou encore de l’avènement de la civilisation des loisirs. À cette demande sociale croissante de « vert patrimoine » (Françoise Dubost), les responsables publics ont commencé à répondre en ébauchant des politiques en faveur de l’environnement, de la qualité du cadre de vie et, depuis les années 1980, du paysage. La volonté de sauvegarder des espaces menacés a par ailleurs permis de saisir la nécessité de mieux connaître et faire reconnaître les jardins. Ce processus s’est symboliquement cristallisé dans l’élaboration de la Charte de Florence, rédigée en 1981 par un groupe d’experts de l’Icomos (Conseil international des monuments et des sites), qui définit les principes d’intervention spécifiques à de tels « monuments vivants ».

Ce mouvement s’est accompagné d’un foisonnement d’initiatives en matière de recherche, notamment issues de certaines institutions telles que la Dumbarton Oaks Research Library and Collection à Washington, à l’origine d’une série de rencontres depuis 1971, ou l’Archivio Italiano dell’Arte dei Giardini, fondé en 1972 à San Quirico d’Orcia en Toscane. La prolifération des colloques comme la multiplication des revues scientifiques ont encouragé l’émergence d’un champ d’étude nouveau. Un corpus s’est donc peu à peu constitué, dont on ne soupçonnait pas l’étendue et la richesse. Dans les années 1980 par exemple, les lieux à partir desquels s’élaborait l’historiographie des jardins ne se comptaient en France que par dizaines dans chaque département. Lancée en 1982, l’opération de pré-inventaire des jardins « d’intérêt historique, botanique et paysager » a permis de repérer, à la date de 2002, plus de dix mille parcs et jardins sur l’ensemble du territoire, dont la moitié sont considérés comme particulièrement remarquables. En Grande-Bretagne, les études ont révélé une densité similaire à l’échelle des comtés.

L’accumulation de cette masse d’informations a eu pour corollaire une perception de plus en plus aiguë du caractère protéiforme des jardins en tant qu’objets d’analyse. À une approche traditionnellement dépendante d’une histoire de l’art à dominante stylistique est venue se substituer un faisceau d’approches pluridisciplinaires, tentant de rendre compte du jardin dans toute son épaisseur culturelle et sociétale, sans perdre de vue la réalité concrète du terrain, d’appréhender en somme la complexité non pas simplement horticole, mais « hortésienne », pour forger un adjectif qualifiant le jardin dans sa dimension artistique. La Fontaine invite à ce néologisme, lui qui inventa à propos de Vaux-le-Vicomte une muse moderne du jardinage, la fée Hortésie, en lui accordant la même dignité qu’à ses compagnes, la peinture, la poésie et l’architecture. Ainsi, depuis la modestie du geste quotidien du jardinier jusqu’aux aspirations métaphysiques les plus élevées, la Gartenkultur, concept formulé par les spécialistes germanophones, renvoie par ses multiples enjeux à des grilles fertiles de déchiffrement du monde.

Hervé BRUNON

JARDINS DE L’ANTIQUITÉ AUX LUMIÈRES

Introduction

Étymologiquement, un jardin est un enclos, un endroit réservé par l’homme, où la nature (les plantes, les eaux, les animaux) est disposée de façon à servir au plaisir de l’homme. La nature dans sa totalité, et non, au moins en droit, une partie d’elle-même : le jardin a l’ambition d’être une image du monde ; il fait servir à ses fins la lumière du ciel, la fraîcheur de l’eau, la fécondité de la terre, les végétaux et les hôtes des forêts et des campagnes. Il est une mise en ordre du monde. Un jardin commence dès l’instant où une volonté humaine impose une fin immédiatement sensible aux « objets naturels », c’est-à-dire à ce qui naît, croît et meurt selon les lois de la nature. Une statue emprunte à celle-ci sa matière et sa forme (le marbre ou le bois, et aussi le modèle qu’elle représente, animal, homme ou plante), elle n’en possède pas la vie. La matière du jardin, au contraire, est libre, et sa spontanéité échappe aux lois de l’homme.

Pour cette raison, l’on peut dire que le jardin est une création opérée par l’homme à sa mesure. Il n’existe pas de jardin spontané. Et cela entraîne une sorte de contradiction entre une matière libre et des formes asservies. L’art des jardins sera une conciliation entre ces deux termes, et ses styles seront le résultat des solutions diverses apportées à cette conciliation. Tantôt la matière l’emportera sur la discipline formelle – on approchera alors du paysage spontané, sans l’atteindre jamais –, tantôt la discipline limitera étroitement les forces naturelles, le jardin tendra vers la stabilité quasi minérale de l’architecture, et l’on aura le paysage immobile des ifs taillés, des charmilles, des bassins géométriques.

Ces deux pôles de l’art des jardins, qui sont illustrés par l’opposition entre deux styles – le jardin dit (assez improprement) « à la française » et le jardin dit (non moins improprement) « à l’anglaise » –, se rencontrent, à peu de distance l’un de l’autre, à Versailles, de part et d’autre du Grand Canal, du Tapis vert aux Trianons. Ces deux styles partagent à peu près toute l’histoire des jardins, depuis ses origines les plus lointaines jusqu’à la révolution industrielle.

1. L’art des jardins avant Rome

L’existence des jardins suppose celle d’une agriculture déjà maîtresse de ses techniques, des hommes capables d’imposer à la nature une fécondité qui ne lui est pas toujours donnée. Il semble que le « jardin » soit né en Mésopotamie, plus de trois mille ans avant notre ère, lorsque l’acclimatation du palmier permit de ménager des zones de végétation. Là, il devenait possible de limiter l’évaporation, de maintenir une humidité à peu près constante, et, par conséquent, d’assurer la survie de plantes fragiles. Conformément à l’un des paradoxes constants de l’activité humaine, ces conquêtes techniques ne servirent pas d’abord, ni surtout, à la production de plantes destinées à la nourriture des hommes, mais au « luxe » et au plaisir, aux cultures gratuites des fleurs et des arbustes d’ornement. Mais ces cultures s’adressent moins aux humains qu’aux divinités. Le jardin, en ses origines, est inséparable du sacré. Or, le sacré implique le « gratuit », la fête, et les jardins sont et restent des enclos de fête.

Le nom de Babylone a toujours évoqué les « jardins suspendus », c’est-à-dire établis sur des terrasses, selon une technique que certains archéologues ont pensé retrouver. Des plans superposés constituent autant de promenades, dont chacune est ombragée de palmiers ; le sol, rapporté, est formé de terre fertile, isolé par une feuille de plomb de la maçonnerie qui soutient la terrasse. L’eau, montée jusqu’à la terrasse supérieure par des chaînes sans fin, provenait de puits, toujours alimentés par la nappe issue du fleuve. Elle redescendait ensuite soit en s’infiltrant à travers le sol et en gagnant des conduites de drainage, soit en véritables ruisseaux et cascatelles, qui étaient l’un des charmes de ces cultures véritablement miraculeuses – ce que doit toujours être, et apparaître, un jardin, c’est-à-dire une nature merveilleusement féconde et belle –, une nature créée grâce au travail des hommes et à la bénédiction des dieux. Les jardins de Babylone sont en rapports évidents avec le culte de la déesse Ishtar, la Vénus babylonienne, divinité de l’Amour et de la Vie.

Au cours du IIe millénaire avant notre ère, l’Égypte, de son côté, découvrit les jardins. Ces jardins, comme toute l’agriculture de ce pays, peuvent être considérés comme un « don du Nil ». Il semble que les premiers jardins égyptiens furent des lieux de délices, où la culture des fruits l’emporta longtemps sur celle des plantes destinées à d’autres usages. Les jardins d’Égypte étaient d’abord des vergers et des vignes, dont les lignes perpendiculaires dessinaient un damier dans les mailles duquel se plaçaient tout naturellement des figuiers, des palmiers et des sycomores, dont l’ombre était fort appréciée. Pour entretenir cette végétation, en ce pays de plaine, il était nécessaire de construire un réseau de canaux qui convergeaient vers un bassin central, où vivaient librement, côte à côte, poissons, oiseaux aquatiques et plantes comme le papyrus, le lotus, les nénuphars, toute la faune et la flore que l’on rencontrait dans la campagne égyptienne, aux endroits où l’eau se rassemblait, une fois le Nil rentré dans son lit. Ainsi, de tels jardins réunissaient, et résumaient, en un espace enclos de murs, tous les agréments que la nature dispersait dans le reste du pays. Ces jardins sont des lieux où il fait bon vivre, réaliser pleinement sa « vocation humaine », où le bonheur est fait de reconnaissance aux dieux.

On peut considérer que, déjà, deux styles de jardins sont nés : le jardin en terrasses et le jardin de plaine – deux styles destinés à une grande fortune.

Le troisième pays des jardins est la Perse : les nombreuses plantes spontanées sur les plaines d’Anatolie avaient depuis longtemps séduit les rois de Babylone, qui s’étaient efforcés de les acclimater chez eux. Au temps où les rois de Perse dominaient l’Asie, ils avaient créé un art des jardins extrêmement original, qui ne semble rien devoir à celui de Babylone ni d’Égypte. Ces jardins, appelés paradis (le mot est perse), sont des parcs de chasse, qui tiennent de la forêt et du verger. Xénophon donne la description d’un paradis établi par Cyrus à Sardes, en Asie Mineure, au Ve siècle. Il consistait en grandes futaies, dont les arbres étaient soigneusement alignés ; à leur ombre s’étendait une pelouse, comme une prairie naturelle, entretenue par une irrigation abondante. En certains endroits s’ouvraient des clairières où étaient groupés des arbres fruitiers. Un peu partout des pavillons, tantôt sur le sol, tantôt perchés dans les arbres, pour que les chasseurs puissent y observer en sécurité les allées et venues des fauves et du gibier qui était lâché dans le parc. De là, on tirait aussi à l’arc sur les animaux.

Dans les jardins perses, l’eau n’était pas absente. Le plus souvent, semble-t-il, elle était distribuée par deux grands canaux rectangulaires, qui marquaient les axes de l’enclos, et se rencontraient au centre en un vaste bassin où ils paraissaient diverger d’une fontaine à quatre bouches, figurant la source des quatre fleuves primordiaux du « paradis terrestre », berceau de la première vie humaine.

Ces paradis perses exercèrent un grand attrait sur l’imagination des Grecs lorsqu’ils les connurent et, surtout, lorsqu’ils disposèrent des richesses amassées par les Perses après la conquête d’Alexandre. Avant cette époque (seconde moitié du IVe siècle av. J.-C.), les cités grecques ne possédaient guère de jardins : quelques bois sacrés (comme celui du héros Académos, à Athènes), des plantations aménagées autour des temples des divinités de la Fécondité, mais pas ce jardin de plaisance au service des particuliers. C’est seulement dans les pays marginaux de l’hellénisme, en Sicile et en Grande-Grèce, puis en Syrie (après la conquête d’Alexandre) et en Asie Mineure que s’installe un art des jardins digne de ce nom. C’est que l’intellectualisme traditionnel de l’hellénisme classique s’efface devant des religions plus mystiques : la végétation est le symbole des puissances qui, dans la nature, assurent l’immortalité. Le dieu des Jardins devient Priape, que l’on adore à Lampsaque, sur l’Hellespont, et qui a pour attribut un membre viril dressé. Dans le jardin, les mortels communient avec l’immortalité de la vie végétale.

2. Rome et les jardins

L’Empire de Rome fondit en un art nouveau du jardin ces différentes tendances, ces éléments épars dans le monde antique. Cet art peut être baptisé, en latin, du nom d’ars topiaria, que l’on traduirait par « art du paysage » ; le jardin de plaisance, à Rome, est en effet appelé à créer des lieux privilégiés, des compositions formées d’éléments architecturaux et naturels, destinés au plaisir des hommes. L’ars topiaria naquit dans la seconde moitié du IIe siècle avant J.-C., après les contacts de Rome avec l’Asie hellénistique. L’exemple des paradis perses fut décisif (il y eut, dès l’origine, à Rome, des parcs de chasse), mais les Romains ne se bornèrent pas à les copier. Ils adoptèrent aussi dans leurs parcs de plaisance des édifices qui, en Grèce, accompagnaient les jardins sacrés, par exemple les «  palestres » (où s’exerçaient les éphèbes), ou les portiques de promenade construits le long des ensembles funéraires (comme à l’académie d’Athènes) ou des lieux de culte.

Dès le début du Ier siècle avant J.-C., on voit ainsi, à Pompéi, une véritable villa de plaisance, comme la maison du Faune, développer deux promenoirs péristyles (entourés entièrement de colonnes), sur lesquels s’ouvre un grand salon. Le jardin est, d’ores et déjà, destiné à servir de cadre à la vie quotidienne. À l’imitation de maisons comme celle du Faune, les architectes imaginent de prolonger la demeure traditionnelle par des « péristyles » plantés de fleurs et d’arbustes, ou, si leurs dimensions le permettent, d’arbres fruitiers, de cyprès, de platanes, etc. Ainsi naît la maison campanienne, que les fouilles de Pompéi ont rendue familière, et dont les modèles plus vastes ont été dégagés sur les hauteurs de Stabies, à quelque distance de la ville enfouie. Peu à peu apparaît un type nouveau d’architecture, où le jardin a sa place, qui est essentielle : les pièces d’habitation qui, dans la maison grecque, donnaient sur des cours dallées, sont ici disposées de telle sorte que chacune ait la vue d’un jardin, petit ou grand, tantôt réduit à un seul arbre, tantôt composant tout un bocage. Les fenêtres s’ouvrent sur un paysage spécialement aménagé ou, à défaut, le remplacent par un tableau peint, une fresque de jardin, qui doit donner l’illusion d’une présence de la nature.

À partir du Ier siècle avant J.-C., les collines autour de Rome se couvrent de villas composées de grands parcs à l’intérieur desquels sont disséminés les bâtiments, dont la façade est le plus souvent formée d’une colonnade qui fournit une transition entre le jardin et la demeure. À Tusculum (Frascati), à Tibur (Tivoli), les grands seigneurs possèdent ainsi des résidences où ils passent les mois chauds de l’année et les fêtes. Ces villas sont le lieu du loisir, c’est-à-dire des conversations entre amis et, aussi, d’échanges intellectuels. Dans de tels parcs, Cicéron a situé la scène de ses dialogues philosophiques. Plus tard, lorsque les territoires de l’Empire tendront à se séparer les uns des autres, les riches propriétaires, en Gaule, en Germanie, en Afrique, en Asie, vivront de plus en plus dans leurs maisons domaniales, et la tradition du jardin conservera le souvenir de la culture païenne. Et cela d’autant plus que les paysages aménagés dans les jardins s’inspirent des images popularisées par la poésie classique : rocailles où l’on a mis des statues de faunes, de bacchantes, de nymphes ; sources sacrées, autels élevés aux dieux des bois et des champs, parfois de véritables mises en scène retraçant une légende pittoresque, comme l’histoire d’Actéon dévoré par ses chiens, ou la chasse de Méléagre. Cette présence des dieux et des héros sera caractéristique de la tradition romaine du jardin. Elle réapparaîtra plus tard lorsque, à partir de la Renaissance, cette tradition sera renouée.

3. Jardins d’Orient

Dans la moitié orientale de l’Empire romain, l’art des jardins se trouvait au contact de ses lointaines origines, et il n’est pas étonnant que Byzance ait connu des jardins magnifiques, dans lesquels s’alliait le goût asiatique de la fécondité et des arbres fruitiers, ainsi que de l’eau vive, à une recherche décorative utilisant les marbres de couleur, la mosaïque et les parterres de fleurs. On aime aussi, alors, mettre dans les jardins, d’où disparaissent les statues, des automates de toute sorte, qui peuplent bizarrement ce monde enchanté. Ces automates étaient des figures de bois ou de métal animées par des jeux d’eau ; ils appliquaient des découvertes mécaniques faites par les savants d’Alexandrie, quelques siècles plus tôt.

C’est à partir du jardin byzantin et syrien que se constitua l’art du jardin dit « arabe », parce qu’il fut diffusé dans l’Orient méditerranéen, le Maghreb et jusqu’en Espagne, par la conquête arabe. Ce jardin recherche la couleur, obtenue grâce à l’acclimatation de plantes originaires de l’un ou l’autre canton du vaste territoire arabisé, et aussi par la constitution des «  arabesques » de verdure, qui reproduisent, sur le sol, le tracé des lettres qui se lisent sur les murs des palais. Une particularité de la culture des plantes sous le climat des pays les plus secs donne naissance à l’un des caractères les plus curieux de ce jardin arabe : l’habitude de ménager des parterres en contrebas, où l’on peut amener l’eau d’irrigation, permet de recouvrir sans inconvénient les allées et les parties non cultivées de dallages en faïence de couleurs vives, si bien que les plantes semblent jaillir d’une terre invisible, parmi les jets d’eau qui animent des bassins aux formes géométriques. Dans ces jardins merveilleux se retrouvent les automates chers à Byzance. Ils flattent le goût, alors fort répandu, de la sorcellerie et des enchantements. Il en allait ainsi des jardins du Caire et de ceux de Bagdad vers le IXe siècle de notre ère. À Bagdad existait alors un petit jardin orné d’un arbre d’argent, où étaient perchés des oiseaux qui étaient d’argent eux aussi, et qui sifflaient.

Le plus souvent, ces jardins « arabes » sont enclos de hauts murs ; ils forment, comme le jardin romain, partie intégrante de la demeure, à laquelle les relie un « cloître » fait d’arcs outrepassés.

4. Le Moyen Âge occidental

C’est autour des abbayes qu’apparaissent, vers le Xe siècle, les premiers jardins d’Occident, une fois oubliée la tradition romaine des grandes villas. Ils servent de potager, et l’on y cultive aussi les simples destinés à l’infirmerie et à l’hospice. Peu à peu, les cloîtres s’ornent de plantes diverses grimpant, par exemple, autour de la margelle du puits central, et les sculptures végétales qui décorent colonnes et chapiteaux des cloîtres romans conservent peut-être le souvenir d’une végétation réelle.

Dans les châteaux et les demeures seigneuriales du XIVe et du XVe siècle français, le jardin n’est guère qu’une cour étroite, séparée de la campagne par un mur au-dessus duquel passe le regard. Cette cour est le plus souvent un « préau », c’est-à-dire une étendue herbue autour de laquelle ont été plantées des herbes odorantes (souvent médicinales), qui assainissent l’air. Souvent aussi, ce préau est couvert d’une treille qui donne de l’ombre et des fruits. Il est le lieu où, par excellence, se plaisent les dames.

Lorsque la disposition du château le permet, le préau est continué, au-delà de son mur, par le verger (nom générique donné aux jardins de plaisance), où la nature est moins contrainte. Là se dressent de grands arbres, passent des ruisseaux, vivent des animaux, en liberté ou en semi-captivité sous des filets peu visibles. Selon la fantaisie, on y construit des pavillons en lattis de bois, où grimpent des plantes comme le chèvrefeuille et l’églantier, chantés par les poètes de ce temps.

Avec les croisades, quelques seigneurs, au retour de leur aventure méditerranéenne, veulent imiter les jardins qu’ils ont vus là-bas. À cet égard, le parc le plus remarquable est celui que le comte d’Artois Robert II établit à Hesdin, dans les dernières années du XIIIe siècle. Il y introduisit les « enchantements » des jardins orientaux, notamment les automates, qui devaient connaître en France une fortune durable.

Il est probable que les jardins français subirent, à partir du XIVe siècle, l’influence des jardins d’Italie et de Sicile, qui se devine dans les descriptions du Roman de la Rose. Mais il existait aussi une tradition nationale, qui remontait au temps des romans « celtiques », popularisés par Chrestien de Troyes, deux siècles plus tôt. Ce sont les jardins des enchanteurs ; dissimulés derrière des haies impénétrables, ils sont le lieu des plus singuliers sortilèges : gentilshommes changés en animaux, ou en arbres, belles prisonnières, nacelles qui naviguent d’elles-mêmes sur les étangs et les pièces d’eau. Et ce sera là une des origines du jardin « français ».

C’est en Italie que le début de la Renaissance va transformer l’art des jardins. Les thèmes médiévaux (pelouses, treilles, charmilles, fontaines ornées de statues) n’ont pas disparu, mais ils sont utilisés dans des ensembles plus vastes, disséminés sur des terrasses aux larges perspectives, comme on se plaît à en aménager alors sur les collines qui bordent l’Arno, dans la région de Florence. Des statues imitées de l’antique remplacent celles des allégories morales, chères au siècle précédent. Mais surtout, dans ce jardin italien de la Renaissance s’impose, pour la première fois, la règle du nombre, la division mathématique de l’espace plan. On peut considérer comme une expression de ce style nouveau le Discours du songe de Poliphile, livre célèbre publié en 1499 par Francesco Colonna. Là est décrit un jardin consacré à Vénus, dans l’île de Cythère, et ce jardin est entièrement, et jusque dans le détail de ses plantations, dominé par la géométrie. Et, au milieu du parc, qui est circulaire, des buis taillés figuraient des géants casqués dont chaque main supportait une tour, également en buis.

Jardin Bomarzo de Vicino Orsini. Une statue de Cérès-Proserpine dans le jardin Bomarzo de Vicino Orsini, dit parc du monstre, Étrurie, réaménagé par l'architecte Pirro Ligorio vers 1560. (Electa/ AKG)

5. Le jardin classique

Le premier jardin vraiment « classique », c’est-à-dire celui dont les lignes sont commandées par des rapports géométriques avec celles de la demeure dont il constitue le cadre et la continuation, est la cour du Belvédère, dans le palais du Vatican. Sa conception est de l’architecte