79,99 €
Les rapports entre la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme se caractérisent par leur originalité. Cette originalité tient essentiellement à deux éléments. D’une part, la nature supranationale des deux juridictions européennes qui ont vocation à asseoir leur autorité en partie sur les mêmes États. D’autre part, le fondement volontaire de ces rapports qui ont été mis en place sans que les Communautés européennes puis l’Union européenne ne soient parties à la Convention européenne des droits de l’homme. L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne a conduit à un profond renouvellement de ces rapports. Si ceux-ci restent encore aujourd’hui principalement fondés sur la volonté des deux cours européennes, ils apparaissent aussi imposés par certaines dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union et ce caractère imposé sera nécessairement renforcé si l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme devient effective. Cette adhésion, si elle se concrétise, devrait aussi se traduire par une transformation de la nature des rapports entre les deux cours européennes qui pourraient prendre des formes plus directes notamment si le mécanisme d’implication préalable est mis en place. L’avis négatif 2/13, rendu par la Cour de justice le 18 décembre 2014, conduit cependant à remettre en cause cette adhésion et illustre la volonté de la juridiction de l’Union européenne de veiller à ce que la Cour européenne des droits de l’homme n’empiète pas sur ses compétences. Selon la Cour de justice, cette adhésion ne pourra se faire que dans le respect des caractéristiques spécifiques de l’Union européenne. Cet avis illustre l’ambiguïté des rapports entre les deux cours européennes. À ce titre deux questions principales se posent : la Cour européenne des droits de l’homme peut-elle, dans certains cas, constituer un substitut à la Cour de justice ? Quel contrôle exerce-t-elle sur la juridiction de l’Union européenne ?
Cet ouvrage s’adresse aux magistrats, aux avocats ainsi qu’aux chercheurs et universitaires.
Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:
Seitenzahl: 420
Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe Larcier.
Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique.
Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.
Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larciergroup.com
© Groupe Larcier s.a., 2015
Éditions Bruylant
Espace Jacqmotte
Rue Haute, 139 - Loft 6 - 1000 Bruxelles
Tous droits réservés pour tous pays.
Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
ISBN 9782802752141
COLLECTION DE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE
SÉRIE MONOGRAPHIES
Directeur de la collection : Fabrice Picod
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet, directeur du Centre de droit européen et du master « Droit et contentieux de l’Union européenne »
La collection Droit de l’Union européenne, créée en 2005, réunit les ouvrages majeurs en droit de l’Union européenne.
Ces ouvrages sont issus des meilleures thèses de doctorat, de colloques portant sur des sujets d’actualité, des plus grands écrits ainsi réédités, de manuels et monographies rédigés par des auteurs faisant tous autorité.
Parus précédemment dans la série « Monographies » de la collection de droit de l’Union européenne :
1. L’Espagne, les autonomies et l’Europe. Essai sur l’invention de nouveaux modes d’organisations territoriales et de gouvernance, sous la direction de Christine Delfour, 2009.
2. Émile Noël, premier secrétaire général de la Commission européenne, Gérard Bossuat, 2011.
3. Coopération entre juges nationaux et Cour de justice de l’UE. Le renvoi préjudiciel, Jacques Pertek, 2013.
4. Religion et ordre juridique de l’Union européenne, Ronan McCrea, 2013.
5. L’action normative de l’Union européenne, Laetitia Guillard-Colliât, 2014.
6. L’obligation de renvoi préjudiciel à la Cour de justice : une obligation sanctionnée ?, sous la direction de Laurent Coutron, 2014.
7. Le nouveau règlement Bruxelles I bis. Règlement n° 2015/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, sous la direction d’Emmanuel Guinchard, 2014.
8. Droit européen de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, 2e édition, Francis Haumont, 2014.
9. La simplification du droit des sociétés privées dans les États membres de l’Union européenne/Simplification of Private Company Law among the EU Member States, Yves De Cordt et Édouard-Jean Navez (eds.), 2015.
Liste des principaux sigles et abréviations
CEDH
Convention européenne des droits de l’homme
Cour eur. D.H.
Cour européenne des droits de l’homme
CEE
Communauté économique européenne
CJCE
Cour de justice des Communautés européennes
CJUE
Cour de justice de l’Union européenne
ELSJ
Espace de liberté, de sécurité et de justice
GACEDH
Grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
JOCE
Journal officiel des Communautés européennes
JOUE
Journal officiel de l’Union européenne
JORF
Journal officiel de la République française
LGDJ
Librairie générale de droit et de jurisprudence
PESC
Politique étrangère et de sécurité commune
pt
point
PUF
Presses universitaires de France
RAE
Revue des affaires européennes
RDP
Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger
RDUE
Revue du droit de l’Union européenne
Rec.
Recueil
RFDA
Revue française de droit administratif
RFDC
Revue française de droit constitutionnel
RGDIP
Revue générale de droit international public
RMC (RMCUE)
Revue du Marché commun (devenue Revue du Marché commun et de l’Union européenne)
RMUE
Revue du marché unique européen (devenue Revue du droit de l’Union européenne)
RTDE
Revue trimestrielle de droit européen
RUDH
Revue universelle des droits de l’homme
SFDI
Société française de droit international
spéc.
spécialement
TCE
Traité instituant la Communauté européenne
TCEE
Traité instituant la Communauté économique européenne
TFUE
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
TPI
Tribunal de première instance des Communautés européennes
Trib. FP
Tribunal de la Fonction publique
Trib. UE
Tribunal de l’Union européenne
TUE
Traité sur l’Union européenne
Sommaire
Partie I. – Fondement des rapports entre les deux cours européennes
Chapitre 1. – Des rapports volontaires
Section 1. – Les justifications de la mise en place de rapports volontaires
Section 2. – La préservation de l’autonomie des deux cours européennes
Chapitre 2. – Vers des rapports imposés ?
Section 1. – Des rapports imposés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
Section 2. – Des rapports imposés par le projet d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme
Partie II. – Nature des rapports entre les deux cours européennes
Chapitre 1. – Des rapports principalement indirects
Section 1. – Caractéristiques de ces rapports indirects
Section 2. – Conséquences de ces rapports indirects
Chapitre 2. – Vers un renforcement des rapports directs entre les deux cours européennes ?
Section 1. – Les rapports non juridictionnels
Section 2. – Les rapports juridictionnels
Partie III. – Ambiguïté des rapports entre les deux cours européennes
Chapitre 1. – La Cour européenne des droits de l’homme, substitut à la Cour de justice de l’Union européenne ?
Section 1. – La compétence de la Cour européenne dans les domaines de la politique étrangère et de sécurité commune et de l’espace de liberté, de sécurité et de justice
Section 2. – La compétence de la Cour européenne à l’égard du droit primaire de l’Union européenne
Section 3. – La compétence de la Cour européenne à l’égard de recours intentés par des particuliers contre des actes de l’Union européenne de portée générale
Chapitre 2. – La Cour de justice de l’Union européenne sous le contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme ?
Section 1. – Le contrôle par la Cour européenne de la procédure devant la Cour de justice
Section 2. – Le contrôle de la Cour européenne sur la Cour de justice après l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme
Introduction
1. Les rapports entre les deux cours européennes ont souvent été présentés comme des rapports de « bon voisinage ». Mis en place sur un fondement volontaire par les deux juridictions européennes, ils sont aussi marqués par leur volonté, et particulièrement celle de la Cour de justice de l’Union européenne, de conserver leur autonomie respective. L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne a conduit à un profond renouvellement de ces rapports. La reconnaissance d’une valeur de droit primaire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a permis à la Cour de justice d’acquérir une certaine autonomie par rapport à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne, si elle devient effective, conduira nécessairement à renforcer les rapports entre les deux cours européennes puisque la Convention européenne sera intégrée à l’ordre juridique de l’Union. Cette adhésion ne pourra cependant se faire que dans le respect des caractéristiques spécifiques de l’Union et des compétences de la Cour de justice. La nécessité de préserver la spécificité de l’Union européenne et de son système juridictionnel est ainsi au cœur de l’avis 2/13 de la Cour de justice du 18 décembre 2014 dans lequel celle-ci a constaté l’incompatibilité avec les traités relatifs à l’Union européenne du projet d’accord d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne finalisé en 2013 (1).
2. La Cour de justice de l’Union européenne, à l’époque Cour de justice des Communautés européennes, et la Cour européenne des droits de l’homme ont été créées à peu près à la même époque. La Cour européenne des droits de l’homme trouve son fondement dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales adoptée le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur le 3 septembre 1953. La Cour de justice a été instituée par le traité CECA, signé à Paris le 18 avril 1951 et entré en vigueur le 23 juillet 1952. Elle est ensuite devenue, en vertu d’une convention relative aux institutions communes, une juridiction commune aux trois Communautés européennes en 1957 et comprend aujourd’hui trois juridictions : la Cour de justice, le Tribunal et le Tribunal de la fonction publique de l’Union (2).
3. La Cour de justice et la Cour européenne des droits de l’homme présentent plusieurs caractéristiques communes. Ce sont des juridictions supranationales et obligatoires (3) dont la création répond à la volonté de soumettre les États européens à un contrôle juridictionnel externe. Elles ont été mises en place pour veiller au respect du droit des traités qui les ont institués. Elles apparaissent aujourd’hui toutes les deux victimes de leur succès et sont l’objet de réformes qui ont principalement pour objet de permettre un traitement plus rapide du contentieux.
4. Ces deux cours européennes ont été investies à l’origine de missions très différentes, la Cour européenne devant veiller au respect des droits fondamentaux consacrés dans la Convention européenne, et la Cour de justice devant assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités relatifs aux Communautés européennes puis à l’Union européenne (4) au contenu principalement économique. Le cloisonnement entre les deux juridictions européennes, découlant pour l’essentiel du contenu des traités qui les ont instituées, a été cependant de courte durée en raison principalement de la consécration au niveau communautaire de droits fondamentaux et de la double appartenance des États membres des Communautés puis de l’Union au système de l’Union européenne et à celui de la Convention européenne.
5. L’émergence d’un deuxième système de protection des droits fondamentaux au sein de l’Europe a nécessairement conduit à l’apparition d’interactions entre le système de la Convention et le système communautaire. Ces interactions se sont traduites, s’agissant des deux cours européennes, par la mise en place d’un dialogue jurisprudentiel se caractérisant pour l’essentiel par des références à la jurisprudence de l’autre cour européenne. La Cour européenne a été la première, dans son arrêt Marckx du 13 juin 1979 (5), à mentionner dans sa jurisprudence un arrêt de la Cour de justice. La Cour de justice a été plus tardive, car si elle a fait rapidement référence à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (6), il faut attendre le milieu des années 1990 pour qu’elle intègre dans son raisonnement des arrêts précis de la Cour européenne (7). Quantitativement, les arrêts de la Cour européenne mentionnés par la Cour de justice sont cependant beaucoup plus nombreux que ceux de la Cour de justice cités par la Cour européenne. La Cour de justice, pour combler les lacunes des traités et pour garantir le respect du principe de primauté du droit communautaire, a dégagé des droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire. Elle s’est alors fortement inspirée de la Convention européenne telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme (8).
6. Les raisons justifiant les références à la jurisprudence de l’autre cour européenne varient d’une cour à l’autre.
La référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme par la Cour de justice a été analysée comme une nécessité liée à la carence des traités communautaires dans le domaine des droits fondamentaux. Les traités fondateurs de 1951 et 1957 instituant les trois Communautés européennes se caractérisaient en effet par leur contenu purement économique. La Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour européenne ont alors assuré une fonction de légitimation de la jurisprudence prétorienne de la Cour de justice dans le domaine des droits fondamentaux. Initialement, elles n’ont été essentiellement utilisées par la Cour de justice que comme des sources indirectes des droits fondamentaux consacrés dans l’Union européenne c’est-à-dire en tant que source d’inspiration des principes généraux du droit de l’Union européenne. Cette démarche a été codifiée dans le traité sur l’Union européenne par le traité de Maastricht qui a introduit l’article 6, paragraphe 3. En vertu de cette disposition, « les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux ». Puis, progressivement, la Cour de justice s’est inspirée directement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour interpréter certaines notions communes au droit de la Convention et au droit de l’Union (9). Elle est allée encore plus loin en acceptant, dans certaines hypothèses, de faire une application directe de la Convention européenne telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (10).
La référence par la Cour européenne à la jurisprudence de la Cour de justice a relevé, quant à elle, dès l’origine, le plus souvent de l’opportunité. La Cour européenne des droits de l’homme se sert ainsi souvent de la jurisprudence de la Cour de justice pour démontrer qu’il existe un consensus au niveau européen qui peut justifier soit un revirement de jurisprudence, soit un maintien, soit une évolution de l’interprétation d’une disposition de la Convention européenne (11). Ce n’est que dans certaines hypothèses particulières où la Cour européenne est amenée à se prononcer indirectement sur la compatibilité du droit de l’Union avec la Convention ou sur des situations entrant dans le champ d’application du droit de l’Union, que la référence opportune à la jurisprudence de la Cour de justice se transforme en référence imposée (12).
7. Dès l’origine, les rapports entre les deux cours européennes ont été caractérisés par leur originalité puisqu’ils ont été mis en place sans que la Communauté économique européenne ne soit partie à la Convention. Ces rapports ont donc été établis sur un fondement volontaire ne reposant sur aucune obligation juridique. Ce fondement volontaire a légitimement créé des craintes quant aux risques de divergences de jurisprudences entre les deux cours européennes essentiellement liés à l’application autonome de la Convention européenne par la Cour de justice. Mais il est très vite apparu que les deux cours européennes entendaient éviter les conflits et entretenir des rapports pacifiques. En effet, même si la cohabitation entre les deux cours n’a pas toujours été sereine et que des divergences de jurisprudences ont pu et peuvent encore survenir (13), celles-ci ont été, pour la plupart, assez vite surmontées. La consécration par la Cour de justice de droits fondamentaux au sein de l’Union européenne n’a donc pas conduit, comme certains le craignaient, à l’apparition d’un double standard de protection au niveau européen. Les cours européennes ont en effet très vite pris conscience de la nécessité de mettre en place entre elles une entente harmonieuse pour permettre un développement cohérent du système européen de protection des droits fondamentaux (entendu comme celui découlant de la Convention européenne et du droit du l’Union) mais aussi et surtout pour asseoir leur autorité sur les États et les juridictions nationales. De nombreux arrêts rendus par les deux cours européennes révèlent un ménagement réciproque. Dans l’arrêt Bosphorus, la Cour européenne des droits de l’homme se fonde ainsi essentiellement sur le contrôle juridictionnel exercé par la Cour de justice dans le domaine des droits fondamentaux pour poser la présomption d’équivalence entre le système de protection des droits fondamentaux communautaire et celui de la Convention européenne (14).
8. L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne a conduit à un profond renouvellement des rapports entre les deux cours européennes (15). Ce traité contient deux avancées majeures dans le domaine des droits fondamentaux : il donne à la Charte des droits fondamentaux de l’Union, qui reprend en grande partie les droits consacrés dans la Convention européenne, la même valeur juridique que les traités et prévoit l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (16).
La reconnaissance d’une valeur de droit primaire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a une conséquence ambivalente sur les rapports entre les deux cours européennes. D’un côté, elle peut apparaître comme une source d’autonomie par rapport à la Convention européenne et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme puisque la Cour de justice dispose aujourd’hui de son texte « interne » de référence dans le domaine des droits fondamentaux et n’a donc plus besoin de se référer à la Convention européenne. D’un autre côté, elle peut s’analyser comme un facteur de renforcement de ces rapports puisque son article 52, paragraphe 3, met en place des rapports imposés entre les deux cours lorsque la Cour de justice applique un droit de la charte qui trouve son équivalent dans le texte de la Convention européenne. Cette disposition, qui prévoit que « dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention »,peut en effet s’analyser comme une invitation forcée au dialogue entre les deux cours puisque, en vertu des explications du praesidium (17) sous l’article 52, la référence à la Convention européenne doit s’entendre comme une référence à la Convention européenne telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme.
L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, si elle se concrétise, devrait, quant à elle, nécessairement renforcer le caractère imposé des rapports entre les deux cours (18) car la Convention européenne sera intégrée à l’ordre juridique de l’Union et la Cour de justice, comme les juridictions nationales des États parties à la Convention, se trouvera dans l’obligation d’appliquer ce texte et de veiller à son respect par les institutions, organes et organismes de l’Union et par les États membres lorsqu’ils agissent dans le champ d’application des traités sur l’Union européenne. L’adhésion n’aura pas seulement pour conséquence de substituer des rapports imposés aux rapports volontaires. Elle devrait aussi conduire à la mise en place de rapports directs entre les deux cours européennes. Le projet d’accord finalisé en 2013 (19) prévoit, en effet, un mécanisme d’implication préalable de la Cour de justice dans la procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme (20). Paradoxalement, la question de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne est aussi apparue, très récemment, comme un moyen pour la Cour de justice de réaffirmer sa volonté d’autonomie par rapport à la Cour européenne et surtout sa volonté que cette dernière n’empiète pas sur ses compétences après l’adhésion. Dans son avis 2/13 du 18 décembre 2014 (21) portant sur la compatibilité avec les traités sur l’Union européenne du projet d’accord d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne, la Cour de justice a soulevé l’incompatibilité d’un certain nombre de dispositions contenues dans ce projet d’accord avec l’article 6, paragraphe 2, TUE et le protocole no 8 UE. La solution de la Cour de justice a provoqué une certaine surprise puisque tant l’Avocat général (22) que la Commission européenne avaient opté pour une solution de compatibilité, l’Avocat général ayant cependant fait preuve d’une certaine prudence en concluant à une compatibilité sous réserves. Cette solution est d’autant plus surprenante que la Cour de justice avait déjà eu l’occasion, bien en amont du processus de négociations, de faire part de ses observations (23) et que celles-ci ont été prises en compte par les négociateurs du projet d’accord soumis à son examen. Dans cet avis, la Cour de justice s’est érigée en gardienne de la spécificité de l’Union européenne et s’est interrogée principalement sur la question de savoir si le projet d’accord envisagé était susceptible de porter atteinte aux caractéristiques spécifiques de l’Union européenne (24). Son raisonnement révèle une certaine méfiance à l’égard de la Cour européenne des droits de l’homme peu compatible avec l’idée de confiance réciproque qui semblait jusque-là régir les rapports entre les deux cours européennes. Les conséquences de cet avis sont pour l’instant difficiles à déterminer. Il devrait normalement conduire à une réouverture des négociations. Mais la position adoptée par la Cour de justice sur certains aspects du projet d’accord risque de poser de réels problèmes lors de la renégociation (25).
9. L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne, si elle devient effective, ne devrait cependant pas remettre en cause l’idée de spécificité des rapports entre les deux cours européennes.
Cette originalité tient aujourd’hui essentiellement à deux éléments :
– d’une part, la nature supranationale et européenne des deux juridictions qui implique la nécessité de préserver la spécificité des deux systèmes juridictionnels européens et l’impossibilité d’envisager ces rapports dans un cadre purement bilatéral puisque les deux cours européennes ont vocation à asseoir leur autorité en partie sur les mêmes juridictions nationales (celles des vingt-huit États membres de l’Union européenne) qui sont à la fois juges de la Convention européenne des droits de l’homme et juges de droit commun de l’Union européenne ;
– d’autre part, le fondement pour l’instant essentiellement volontaire de ces rapports qui se traduit par une autonomie des deux cours notamment dans l’interprétation des droits fondamentaux d’où découle nécessairement un risque potentiel de divergence et de concurrence.
L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne fera pas disparaître ce constat de spécificité. L’objectif principal de cette adhésion est de renforcer le contrôle juridictionnel sur l’Union européenne dans le domaine des droits fondamentaux en plaçant l’Union dans la même situation que les États parties à la Convention afin d’assurer la cohérence du système de protection européen des droits fondamentaux. En cas d’adhésion, l’Union se trouvera soumise, dans le domaine des droits fondamentaux, à un contrôle juridictionnel interne exercé par les juridictions de l’Union et à un contrôle juridictionnel externe exercé de manière subsidiaire par la Cour européenne des droits de l’homme. Le fondement des rapports entre les deux cours sera donc imposé par les textes et ne pourra plus être analysé comme volontaire. La Cour de justice perdra en partie son autonomie dans l’interprétation du texte de la Convention puisque celle-ci relèvera en dernier lieu de la Cour européenne des droits de l’homme. Mais la particularité de l’Union européenne (qui n’est pas un État) et les conséquences de son adhésion (l’Union européenne et les vingt-huit États membres de l’Union européenne seront parties à la Convention) conduiront nécessairement à la placer dans une situation particulière au sein des parties à la Convention. Cette spécificité est déjà très visible dans le projet d’accord d’adhésion finalisé en 2013 s’agissant des rapports entre les deux cours européennes. Celui-ci, en prévoyant une implication préalable de la Cour de justice dans la procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme et la mise en place d’un système de codéfendeur, singularise les rapports entre les deux cours (en établissant pour la première fois un rapport direct entre la Cour européenne des droits de l’homme et une autre juridiction) et illustre la volonté de maintenir la spécificité des deux systèmes juridictionnels européens (en préservant, d’une part, la logique de subsidiarité sur laquelle repose le contrôle juridictionnel de la Convention européenne et, d’autre part, la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne à l’égard du droit de l’Union). L’avis 2/13 de la Cour de justice du 18 décembre 2014, s’il conduit à une renégociation de l’accord, n’impliquera pas une remise en cause de la mise en place de rapports spécifiques entre les deux cours européennes après l’adhésion. Il devrait même conforter cette spécificité. En effet, la plupart des problèmes d’incompatibilité soulevés par la Cour de justice sont justement justifiés par la nécessité de renforcer, dans l’accord d’adhésion, la prise en compte de la particularité de l’Union européenne en tant que Haute Partie contractante.
10. Les rapports entre la Cour justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme sont donc actuellement en pleine évolution.
Leurs fondements ont évolué (première partie). S’ils restent encore principalement fondés sur la volonté des deux cours, la reconnaissance d’une valeur de droit primaire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’obligation d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne, posée par l’article 6, paragraphe 2, TUE, conduiront à substituer à ces rapports volontaires des rapports imposés (par l’article 52, paragraphe 3, de la Charte et par la Convention européenne qui liera alors l’Union européenne).
La nature de ces rapports est aussi en cours de transformation (deuxième partie). Les rapports entre les deux cours européennes sont aujourd’hui principalement indirects et se traduisent essentiellement par des références volontaires à la jurisprudence de l’autre cour européenne. Mais le projet d’accord d’adhésion de 2013, qui prévoit une implication préalable de la Cour de justice dans la procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme, et la possibilité, en cas d’adhésion, de la ratification par l’Union européenne du protocole no 16 à la Convention européenne, qui prévoit la possibilité pour certaines juridictions des Hautes Parties contractantes d’adresser des demandes d’avis à la Cour européenne, pourraient conduire à un renforcement des rapports directs entre les deux cours qui se manifestent actuellement uniquement par la mise en place de rapports non juridictionnels. Certains aménagements devront cependant nécessairement être apportés à la procédure d’implication préalable en raison de l’avis 2/13 de la Cour de justice du 18 décembre 2014.
Ces rapports restent enfin marqués par une certaine ambiguïté (troisième partie). Tout d’abord, les limites affectant le contrôle juridictionnel mis en place au niveau de l’Union européenne conduisent à se demander si, dans certains cas, la Cour européenne des droits de l’homme ne pourrait pas se substituer à la Cour de justice. La Cour de justice a d’ailleurs été saisie directement de cette question dans son avis 2/13 du 18 décembre 2014 puisqu’elle s’est interrogée sur la compatibilité du projet d’accord d’adhésion avec les caractéristiques spécifiques du droit de l’Union concernant le contrôle juridictionnel en matière de PESC. Ensuite, la question du contrôle de la Cour européenne sur la Cour de justice se pose aussi nécessairement. La perspective de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne conduit ainsi nécessairement à s’interroger sur l’introduction d’une éventuelle hiérarchie entre les deux juridictions européennes.
(1) Sur cet avis : C. Barnard, « Opinion 2/13 on EU accession to the ECHR : looking for the silver lining », EU Law Analysis (http://eulawanalysis.blogspot.com/2015/02/opinion-213-on-eu-accession-to-echr.html) ; L.F.M. Esselink, « Acceding to the ECHR notwithstanding the Court of Justice Opinion 2/13 », Verfassungsblog, 23 décembre 2014 (http://www.verfassungsblog.de/en/acceding-echr-notwithstanding-court-justice-opinion-213/#.VJq5SFIM-U) ; S. Douglas-Scott, « Opinion 2/13 on EU accession to the ECHR : a Christmas bombshell from the European Court of Justice », Verfassungsblog, 24 décembre 2014 http://www.verfassungsblog.de/opinion-213-eu-accession-echr-christmas-bombshell-european-court-justice/) ; J.-P. Jacqué, « Luxembourg dit non à l’adhésion, Droit de l’Union européenne », 23 décembre 2014 (http://www.droit-union-europeenne.be/412337458) ; H. Labayle, « La guerre des juges n’aura pas lieu. Tant mieux ? Libres propos sur l’avis 2/13 de la Cour de justice relatif à l’adhésion de l’Union à la CEDH », ELSJ, 22 décembre 2014 (http://www.gdr-elsj.eu/2014/12/22/elsj/la-guerre-des-juges-naura-pas-lieu-tant-mieux-libres-propos-sur-lavis-213-de-la-cour-de-justice-relatif-a-ladhesion-de-lunion-a-la-cedh/) ; T. Lock, « Oops ! We did it again – The CJEU’s Opinion on EU Accession to the ECHR », Verfassungsblog, 18 décembre 2014 (http://www.verfassungsblog.de/en/oops-das-gutachten-des-eugh-zum-emrk-beitritt-der-eu/) ; W. Michl, « Thou shalt have no other courts before me », Verfassungsblog,23 décembre 2014 (http://www.verfassungsblog.de/thou-shalt-no-courts/) ; J. Morijn, « After Opinion 2/13 : how to move on in Strasbourg and Brussels ? » EUtopialaw, 5 janvier 2015 (http://eutopialaw.com/2015/01/05/after-opinion-213-how-to-move-on-in-strasbourg-and-brussels/) ; J. Odermatt, « Court of Justice of the European Union finds Draft Agreement on EU Accession to ECHR is Incompatible with EU Law », CJICL, 20 décembre 2014 (http://cjicl.org.uk/2014/12/20/court-justice-european-union-finds-draft-agreement-eu-accession-echr-incompatible-eu-law/) ; A O’Neill, « Opinion 2/13 on EU Accession to the ECHR : The CJEU as Humpty Dumpty », EUtopialaw, 18 décembre 2014 (http://eutopialaw.com/2014/12/18/opinion-213-on-eu-accession-to-the-echr-the-cjeu-as-humpty-dumpty/) ; S. Peers, « The CJEU and the EU’s accession to the ECHR : a clear and present danger to human rights protection », EU Law Analysis, 18 décembre 2014 (http://eulawanalysis.blogspot.fr/2014/12/the-cjeu-and-eus-accession-to-echr.html) ; F. Picod, « La Cour de justice a dit non à l’adhésion de l’Union à la Convention EDH. Le mieux est l’ennemi du bien selon les sages du plateau de Kirchberg », JCP,9 février 2015, no 145, p. 230 ; M. Scheinin, « CJEU Opinion 2/13 – Three Mitigating Circumstances », Verfassungsblog, 26 décembre 2014 (http://www.verfassungsblog.de/en/cjeu-opinion-213-three-mitigating-circumstances/#.VKgC_CvF8bc) ; D. Simon, « Deuxième (ou second et dernier ?) coup d’arrêt à l’adhésion de l’Union à la CEDH : étrange avis 2/13 », Europe, no 2, février 2015, p. 4 ; M. Wendel, « Mehr Offenheit wagen ! Eine kritische Annäherung an das Gutachten des EuGH zum EMRK-Beitritt », Verfassungsblog, 21 décembre 2014 (http://www.verfassungsblog.de/mehr-offenheit-wagen-eine-kritische-annaeherung-das-gutachten-des-eugh-zum-emrk-beitritt/).
(2) En vertu de l’article 19, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, « La Cour de justice de l’Union européenne comprend la Cour de justice, le Tribunal et des tribunaux spécialisés ». À ce jour, un seul tribunal spécialisé a été créé : le Tribunal de la fonction publique.
(3) La Cour européenne des droits de l’homme dispose d’une compétence obligatoire à l’égard des recours individuels depuis l’entrée en vigueur du protocole no 11.
(4) Cette mission, prévue dès l’origine, résulte aujourd’hui de l’article 19, paragraphe 1, du TFUE.
(5) GACEDH, no 49.
(6) L’arrêt Rutili du 28 octobre 1975 est le premier arrêt dans lequel la Cour de justice a fait référence de manière expresse à la Convention (aff. 36/75, Rec.,p. 1219, pt 32).
(7) On trouve, dès la fin des années 80, des arrêts où la Cour de justice mentionne de manière générale la jurisprudence de la Cour européenne sans citer d’arrêts précis (CJCE, 21 septembre 1989, Hoechst AG c. Commission, aff. jtes 46/87 et 227/88, Rec.,p. 2859, spéc. pt 18 ; CJCE, 18 octobre 1989, Orkem c. Commission, aff. 374/87, Rec.,p. 3343, spéc. pt 30). Mais il faut attendre le milieu des années 1990 pour que la Cour de justice fasse référence à des arrêts précis de la Cour européenne des droits de l’homme (CJCE, 30 avril 1996, P.c. S. et Cornwall County Council, aff. C-13/94, Rec., p. I-2159, spéc. pt 16).
(8) On peut citer à titre d’exemple : CJCE, 12 décembre 1996, Procédure pénale c. X, aff. jtes C-74/95 et C-129/95, Rec.,p. I-6609, spéc. pt 25 ; CJCE, 6 mars 2001, B. Connolly, aff. C-274/99P, Rec.,p. I-1611, spéc. pts 37 et s. ; CJCE, 27 novembre 2001, Z. c. Parlement européen, aff. C-270/99P, Rec.,p. I-9197, spéc. pt 24 ; CJCE, 16 juin 2005, Maria Pupino, aff. C-105/03, Rec.,p. I-5285, spéc. pts 58 et s. ; CJCE, 14 décembre 2006, ASML Netherlands BV, aff. C-283/05, Rec., p. I-12041, spéc. pts 26 et 27 ; CJCE, 19 février 2009, Koldo Gorostiaga, aff. C-308/07P, Rec.,p. I-1059, spéc. pts 41 et s.
(9) CJCE, 30 avril 1996, P. c. S. et Cornwall County Council, aff. C-13/94, Rec.,p. I-2143, spéc. pt 16 : la Cour de justice se réfère à l’interprétation donnée par la Cour européenne des droits de l’homme de la notion de transsexuel ; CJCE, 28 mars 2000, Krombach, aff. C-7/98, Rec.,p. I-1935, spéc. pt 39 sur l’interprétation de la notion de droit à être défendu ; CJCE, 7 janvier 2004, K.B., aff. C-117/01, Rec.,p. I-541, spéc. pts 33 et s. sur les droits des transsexuels ; CJCE, 12 mai 2005, Regione autonoma Friuli-Venezia Giulia et Agenzia regionale per lo sviluppo rurale, aff. C-347/03, Rec.,p. I-3785, spéc. pts 120 et s. sur le droit de propriété.
(10) Voir notamment CJCE, 26 juin 1997, Vereinigte Familiapress Zeitungsverlags, aff. C-368/95, Rec.,p. I-3689, spéc. pt 26.
(11) Voir par exemple : Cour eur. D.H., 15 octobre 2009, Micallef c. Malte, req. no 17056/06. Voir aussi Cour eur. D.H., gde ch., 10 février 2009, Sergueï Zolotoukhinec.Russie, req. no 14939/03, spéc. pts 79 et s.
(12) Voir par exemple l’arrêt du 17 février 2006, Aristimuno Mendizabal c. France, req. no 51431, spéc. pt 69.
(13) On peut citer comme exemple de divergence, aujourd’hui résolue, entre les deux cours européennes, celui concernant la possibilité d’étendre le droit à la protection de la vie privée prévu par l’article 8 de la CEDH aux locaux commerciaux (Cour eur. D.H., 30 mars 1989, Chappell c. Royaume-Uni, req. no 10461/83 ; CJCE, 21 septembre 1989, Hoechst, aff. 46/87 et 227/88, Rec.,p. 2859). Sur cette divergence, voir infra, § 61.
(14) Cour eur. D.H., 30 juin 2005, Bosphorus c. Irlande,req. no 45036/98, spéc. pts 159 et s.
(15) Sur le renouvellement des rapports entre les deux cours européennes en raison de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne : M. Artino et P.-Y. Noël, « Les perspectives d’interactions entre la CJUE et la Cour européenne des droits de l’homme du fait de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne », RMCUE, 2010, p. 446 ; D. Dero-Bugny, « Le traité de Lisbonne : un bouleversement des rapports entre la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme ? », in J. Boudon (dir.), Concurrence des contrôles et rivalités des juges, Paris, Mare & Martin, 2012, p. 133 ; T. Lock, « The ECJ and the ECtHR : The Future Relationship between the Two European Courts », The Law and Practice of international Courts and Tribunals, vol. 8, no 3, 2009, p. 375 ; M. J. Rangel de Mesquita, « The European Court of Justice and the European Court of Human Rights after the Treaty of Lisbon : possible scenarios for a compulsory coordination », in Die offene Methode der Koordinierung in der Europäischen Union/Open method of coordination in the European Union, 2010, p. 51.
(16) Article 6, paragraphe 2, TUE.
(17) J. Dutheil de la Rochère, « Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », JurisClasseur Europe Traité, fasc. 160, Paris, LexisNexis, 2010, spéc. pt 49.
(18) Sur les conséquences de l’adhésion sur les rapports entre les deux cours européennes : F. Benoît-Rohmer, « La restructuration des rapports entre les deux cours européennes dans le cadre de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme », in D. d’Ambra (dir.), Le rééquilibrage du pouvoir juridictionnel,Paris, Dalloz 2013, p. 57 ; N. O’Meara, « A More Secure Europe of Rights ? The European Court of Human Rights, the Court of Justice of the European Union and EU Accession to the ECHR », German Law Journal, vol. 12, no 10, 2011, p. 1813 ; C. Timmermans, « Will the accession of the EU to the European Convention on Human Rights fundamentally change the relationship between the Luxembourg and the Strasbourg Court ? », Centre for Judicial CooperationDL, 2014/01 ; A. Tizzano, « Quelques réflexions sur les rapports entre les Cours européennes dans la perspective de l’adhésion de l’Union à la Convention EDH », RTDE, no 1, 2011, pp. 9 et s.
(19) Rapport final au CDDH (y compris le projet d’accord portant adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme) (Rapport final CCDH, 47+1(2013)008rev2).
(20) Article 3, paragraphe 6, du projet d’accord (Rapport final CCDH, 47+1(2013)008rev2).
(21) Avis précité. Sur cet aspect, voir J.-P. Jacqué, « Luxembourg dit non à l’adhésion, Droit de l’Union européenne, », op. cit. ; F. Picod, « La Cour de justice a dit non à l’adhésion de l’Union à la Convention EDH. Le mieux est l’ennemi du bien selon les sages du plateau de Kirchberg », op. cit., spéc. p. 232.
(22) Prise de position de l’Avocat général Juliane Kokott présentée le 13 juin 2014.
(23) « Communication commune des présidents de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de Justice de l’Union européenne, suite à la rencontre entre les deux juridictions en janvier 2011 », 24 janvier 2011 (http://curia.europa.eu/jcms/jcms/P_64268/) ; « Document de réflexion de la Cour de justice de l’Union européenne sur certains aspects de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », 5 mai 2010 (http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2010-05/convention_fr_2010-05-21_12-10-16_11.pdf).
(24) Voir notamment le point 78 de l’arrêt.
(25) Voir infra, § 211.
Partie I. Fondement des rapports entre les deux cours européennes
11. Les rapports entre les deux cours européennes, qui se manifestent essentiellement par la prise en compte de la jurisprudence de l’autre cour, se sont mis en place sans que les Communautés puis l’Union européenne ne soient parties à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. À ce titre, ils reposent encore aujourd’hui sur un fondement volontaire puisqu’aucun texte n’oblige juridiquement la Cour de justice à appliquer le droit de la Convention européenne et la Cour européenne des droits de l’homme à se référer au droit de l’Union européenne (chapitre 1). La mise en place d’un dialogue jurisprudentiel entre les deux cours ne remet donc pas en cause l’autonomie de chacune des deux cours, notamment dans l’interprétation des normes qu’elles appliquent.
12. Mais ces rapports ont vocation à terme à devenir des rapports imposés par les textes (chapitre 2). L’article 52, paragraphe 3, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne a la même valeur juridique que les traités, impose à la Cour de justice de prendre en compte la Convention européenne, telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme, lorsqu’elle applique un droit de la Charte correspondant à un droit de la Convention européenne. L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne, prévue elle aussi par le traité de Lisbonne, si elle se concrétise, transformera de manière définitive les rapports volontaires en rapports imposés puisque la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sera intégrée à l’ordre juridique de l’Union et que la Cour européenne des droits de l’homme deviendra l’interprète « ultime » de ce texte y compris pour la Cour de justice de l’Union européenne.
Chapitre 1. Des rapports volontaires
13. À la différence des rapports entre la Cour européenne des droits de l’homme et les juridictions nationales des États parties à la Convention européenne, les rapports entre les deux cours européennes, en l’absence d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne, ne présentent pas de caractère obligatoire et reposent donc sur un fondement volontaire.
Leur mise en place s’explique donc par la volonté de chacune d’entre elles de les instaurer. Cette volonté repose sur des justifications qui sont en grande partie propres à chaque cour (section 1). Le caractère volontaire des rapports entre les deux cours européennes implique nécessairement une préservation de l’autonomie des deux juridictions européennes (section 2). Ce maintien n’est pas sans danger puisqu’il introduit un risque de concurrence entre la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne.
Section 1. – Les justifications de la mise en place de rapports volontaires
14. Les justifications de la mise en place de rapports volontaires entre les deux cours européennes sont pour l’essentiel spécifiques à chaque cour (sous-section 1). Des justifications communes fondent cependant l’instauration de ces rapports. Elles tiennent à l’interaction des deux systèmes européens de protection des droits fondamentaux et à la volonté des deux cours de préserver leurs compétences (sous-section 2).
Sous-section 1. – Les justifications spécifiques à chaque cour
15. La prise en compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme par la Cour de justice de l’Union européenne apparaît historiquement comme une nécessité (§ 1) alors que la référence par la Cour européenne des droits de l’homme à la jurisprudence de la Cour de justice relève le plus souvent de l’opportunité (§ 2).
§ 1. – La Cour de justice de l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
16. La prise en considération par la Cour de justice de la Convention européenne telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme se justifie par la carence des traités communautaires dans les domaines des droits fondamentaux (A). Le recours à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est apparu comme un moyen pour la Cour de justice de légitimer sa jurisprudence prétorienne élaborée dans le domaine des droits fondamentaux pour combler les lacunes des traités (B).
A. – Une prise en compte justifiée par la carence des traités communautaires
17. Les traités institutifs de 1951 et de 1957 qui ont créé la Communauté européenne du charbon et de l’acier, la Communauté européenne de l’énergie atomique et la Communauté économique européenne ne contenaient aucune référence aux droits fondamentaux. Cette absence est vite apparue comme une lacune. La Cour de justice s’est rapidement rendu compte de la multiplicité des conflits possibles entre les droits fondamentaux et les droits économiques consacrés dans les traités (1). Elle s’est surtout aperçue, en raison de la prise de position de certaines cours constitutionnelles nationales (2), que l’absence de consécration de droits fondamentaux au sein des traités risquait de conduire à une remise en cause du principe de primauté du droit communautaire.
Pour pallier les lacunes des traités dans le domaine des droits fondamentaux et garantir la bonne application du droit communautaire, la Cour de justice les a consacrés sous la forme de principes généraux du droit (3). Elle s’est alors fortement inspirée de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour s’est référée beaucoup plus tardivement à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (1). Cette prise en compte tardive semble pouvoir s’expliquer par un contexte favorable au développement d’une protection européenne des droits fondamentaux (2).
1. Une prise en compte tardive
18. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été mentionnée de manière explicite pour la première fois dans l’arrêt Rutili rendu en 1975 (4). En 1989, la Cour de justice lui a reconnu une « signification particulière » (5). Dans l’arrêt Hoechst c. Commission du 21 septembre 1989, la Cour explique ainsi qu’« en vertu d’une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect, conformément aux traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi qu’aux instruments internationaux auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1951 […], revêt à cet effet une signification particulière » (6).
19. La Cour de justice a donc commencé à se référer à la Convention européenne au milieu des années 1970. La référence à la jurisprudence de la Cour de justice a été plus tardive (7). On trouve, dès la fin des années 80, quelques arrêts où la Cour de justice mentionne de manière générale la jurisprudence de la Cour européenne sans citer d’arrêts précis (8). Dans ces premiers arrêts, la Cour de justice ne se sert pas de la jurisprudence de la Cour européenne pour conforter sa jurisprudence mais justifie sa position par l’absence de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans le domaine concerné. Dans l’arrêt Hoechst c. Commission du 21 septembre 1989 (9), la Cour de justice arrive à la conclusion que la protection découlant de l’article 8 de la Convention européenne concerne le domaine d’épanouissement de la liberté personnelle de l’homme et ne saurait donc être étendu aux locaux commerciaux. Elle conforte sa solution en constatant« l’absence d’une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à cet égard » (10). Elle reproduit le même raisonnement dans son arrêt du 18 octobre 1989, Orkem c. Commission des Communautés européennes (11),en reconnaissant « qu’en ce qui concerne l’article 6 de la Convention européenne, en admettant qu’il puisse être invoqué par une entreprise objet d’une enquête en matière de droit de la concurrence, il convient de constater qu’il ne résulte ni de son libellé ni de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que cette disposition reconnaisse un droit de ne pas témoigner contre soi-même » (12).
20. Il faut attendre le milieu des années 1990 pour que la Cour de justice fasse référence à des arrêts spécifiques de la Cour européenne des droits de l’homme et justifie ses solutions en partie par la jurisprudence de celle-ci. Le premier arrêt dans lequel la Cour de justice mentionne un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme est l’arrêt du 30 avril 1996, P.c. S. et Cornwall County Council (13). Dans celui-ci, la Cour de justice se sert de l’arrêt Rees de la Cour européenne des droits de l’homme du 17 octobre 1986 (14) pour interpréter la notion de « transsexuel ». En l’espèce, la Cour de justice était saisie d’une question préjudicielle visant à déterminer si l’article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207/CE, qui prévoit que « l’application du principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe »,s’oppose au licenciement d’un transsexuel pour un motif lié à sa conversion sexuelle. La Cour de justice se fonde sur la définition donnée par la Cour européenne des droits de l’homme de la notion de transsexuel pour arriver à la conclusion que la directive s’oppose à un tel licenciement. Cette première référence à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme est importante car en l’espèce, la jurisprudence de la Cour européenne est appliquée indépendamment de la Convention européenne des droits de l’homme qui n’est pas mentionnée dans l’arrêt. Elle illustre la plus-value apportée par la prise en compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, par rapport à l’utilisation de la Convention européenne seule. Celle-ci peut être utilisée par la Cour de justice soit pour interpréter la portée et les limites (15) de droits fondamentaux consacrés au niveau de l’Union qui ont leur équivalent dans la Convention européenne (16), soit pour interpréter une disposition de la Convention européenne lorsque la Cour de justice l’applique directement (17), soit pour interpréter des notions communes au droit de l’Union et de la Convention, indépendamment des dispositions de la Convention.
21. L’importance que revêt la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans la solution finalement retenue par la Cour de justice varie d’un arrêt à l’autre. Dans certains arrêts, la mention de la jurisprudence aux côtés d’une disposition de la Convention européenne peut sembler purement formelle. Mais dans d’autres arrêts, il apparaît clairement que c’est la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui motive la solution finalement adoptée (18).
Dans l’arrêt Roquette Frères (19),la Cour de justice reconnaît ainsi explicitement que pour déterminer la portée du principe de protection contre des interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée d’une personne,érigé en principe général du droit communautaire dans l’arrêt Hoechst (20),« il convient de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme postérieure à l’arrêt Hoechst c. Commission, jurisprudence dont il ressort […] que la protection du domicile dont il est question à l’article 8 de la CEDH peut être étendue, dans certaines circonstances, auxdits locaux (voir, notamment, Cour eur. D.H., arrêt Colas Est e.a. c. France du 16 avril 2002, non encore publié au Recueil des arrêts et décisions, § 41) […] ». Dans cet arrêt, il est clair que la jurisprudence de la Cour européenne a été déterminante puisque c’est elle qui justifie le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de justice sur la portée de l’article 8 de la Convention européenne.
L’arrêt du 18 janvier 2007, Osman Ocalan (PKK) et Serif Vanly (KNK) c. Conseil de l’Union européenne (21),illustre aussi très bien l’importance que peut prendre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans le raisonnement de la Cour de justice, mais démontre que cette prise en compte prépondérante est parfois justifiée par l’argumentation du requérant. En l’espèce, la Cour de justice était saisie d’un pourvoi contre un arrêt du Tribunal dans lequel celui-ci avait déclaré le recours introduit par le KNK irrecevable au motif que celui-ci n’était pas individuellement concerné, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE (devenu article 263 TFUE), par la décision contestée. Le requérant contestait devant la Cour de justice le raisonnement tenu par le Tribunal en soutenant que le critère de la recevabilité devait être appliqué d’une manière plus large et de manière conforme aux critères de recevabilité établis par la Cour européenne des droits de l’homme, afin de ne pas fermer l’accès à une voie de recours effective. La Cour de justice se fonde sur l’article 34 de la Convention européenne et sur la jurisprudence de la Cour européenne et arrive à la conclusion que cette jurisprudence « dans son état actuel semble indiquer que le KNK ne pourrait pas établir qu’il a la qualité de victime au sens de l’article 34 de la CEDH et, par conséquent, ne serait pas recevable à saisir cette juridiction ». Elle en déduit de manière un peu surprenante que « par voie de conséquence, dans les circonstances de la présente affaire, il n’est démontré aucune contradiction entre la CEDH et l’article 230, quatrième alinéa, CE (devenu article 263 TFUE) » (22).
22. La Cour de justice s’est donc référée tardivement à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme puisqu’il faut attendre 1996 pour qu’elle mentionne un de ses arrêts. Cette prise en compte semble s’expliquer par l’existence, à cette époque, d’un contexte favorable au développement d’une protection européenne des droits fondamentaux.
2. Un contexte favorable au développement d’une protection européenne des droits fondamentaux
23. Le fait que la Cour de justice s’est référée, pour la première fois, de manière générale à la jurisprudence de la Cour européenne dans l’arrêt Hoechst (23) qui a consacré la signification particulière de la Convention européenne n’est pas anodin et démontre que cette signification particulière de la Convention dans l’ordre juridique communautaire se manifeste en partie par la prise en compte de l’interprétation qui en est donnée par la Cour européenne (24). Mais la référence à des arrêts précis de la Cour européenne à partir du milieu des années 1990 semble surtout s’expliquer par un contexte particulier, contexte communautaire tout d’abord caractérisé par une l’évolution de la construction européenne et une volonté de légitimation de la jurisprudence de la Cour de justice dans le domaine des droits fondamentaux, contexte européen, ensuite, lié au renforcement de l’autorité de la Cour européenne des droits de l’homme (25).
24. S’agissant tout d’abord du contexte communautaire, la création de l’Union européenne, l’extension des compétences de l’Union à des domaines non économiques (notamment la coopération dans les domaines des affaires intérieures et de la justice) et la création d’une citoyenneté européenne par le traité de Maastricht ne sont sûrement pas étrangères à l’évolution de la position de la Cour de justice à l’égard des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans la mesure où ces différents éléments impliquent nécessairement une prise en compte croissante des droits fondamentaux même si, dans les nouveaux domaines de compétences octroyés à l’Union, la Cour de justice dispose d’une compétence limitée. Mais c’est surtout l’officialisation du rôle de la Cour de justice à l’égard des droits fondamentaux par les traités et la première prise de position de la Cour de justice sur l’adhésion de la Communauté européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui peuvent expliquer la soudaine référence aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Au milieu des années 90, tant les traités que la jurisprudence de la Cour de justice révèlent une volonté de légitimation de la jurisprudence communautaire dans le domaine des droits fondamentaux et plus précisément de légitimation de l’utilisation, par la Cour de justice, de la Convention européenne en tant que source des principes généraux dégagés dans ce domaine.