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Les exposés des motifs du décret présidentiel n° 15-247 portant réglementation des marchés publics et délégations de service public et de la loi 23-12 du 5 août 2023 fixant les règles générales relatives aux marchés publics marquent, d’une façon limpide et assumée, l’ouverture de la réglementation algérienne des marchés publics aux sources internationales. De plus, l’exposé des motifs du décret présidentiel de 2015 apporte une précision de taille en soulignant que les nouvelles mesures qui y sont insérées s’inspirent des standards internationaux et des recommandations des institutions internationales. Il s’agit là d’une ouverture aussi révolutionnaire qu’assumée du législateur algérien vers les sources internationales. Néanmoins, aussi sélective soit-elle, cette ouverture aux sources internationales a marqué la réglementation algérienne des marchés publics de 2015, tant et si bien que des nouveautés notables y sont introduites : la dématérialisation des marchés publics, l’enchère électronique et bien d’autres.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Docteur en droit de l’Université Paris Panthéon-Assas,
Salem Ait Youcef est professeur-conférencier associé à l’École Nationale d’Administration et à l’Institut Diplomatique et Relations Internationales. Il est l’auteur de l’ouvrage "Les cavaliers budgétaires comme source du droit des affaires en Algérie", paru en 2019 aux éditions Le Lys Bleu et de plusieurs œuvres scientifiques publiées dans des revues classées.
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Salem Ait Youcef
Les sources
internationales du droit
des marchés publics algérien
Loi type de la CNUDCI
sur la passation des marchés publics
Essai
© Lys Bleu Éditions – Salem Ait Youcef
ISBN : 979-10-422-3506-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
De par son rôle de levier stratégique au développement économique et social, la croissance économique est devenue étroitement liée à la commande publique qui se trouve ainsi promue au statut d’outil d’interventionnisme public.
Salem Ait Youcef
L’ONU : Organisation des Nations Unies ;
UNIDROIT : Institut international pour l’unification du droit privé ;
CNUDCI : Commission des Nations Unies pour le Développement du Commerce International ;
OUA : Organisation de l’Unité Africaine ;
NOEI : Nouvel Ordre Économique International ;
CNUCED : Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement ;
GATT : Accord Général sur la Tarification Douanière et le Commerce ;
OMC : Organisation Mondiale du Commerce ;
OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Économique ;
FLN : Front de Libération National ;
ONUDI : Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel ;
OPEP : Organisation des Pays Exportateurs du Pétrole ;
G8 : Groupe des huit pays les plus industrialisés ;
BIRD : Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement ;
IDA : Association International de Développement ;
FMI : Fonds Monétaire International ;
BAD : Banque africaine de développement ;
OPEAP : Organisation des pays arabes exportateurs du pétrole ;
BADEA : Banque arabe pour le développement économique de l’Afrique ;
BID : Banque islamique de développement ;
IFC : Société financière internationale ;
MIGA : Agence Multilatérale de Garantie des Investissements ;
PAS : Plan d’ajustement structurel ;
IBM : Institutions de Bretton Woods ;
CPAR : Revue Analytique sur la Passation des Marchés ;
CJCE : Cour de justice de l’Union Européenne ;
PME : Petites et Moyennes Entreprises ;
B.O.M.O.P : Bulletin officiel des marchés de l’opérateur public ;
CNUCC : Convention des Nations Unies contre la corruption ;
IPC : l’Indice de perception de la corruption ;
AALC : Association algérienne de lutte contre la corruption ;
JORADP : Journal Officiel de la République Algérienne Démocratique et Populaire ;
ONRC : Office Central de Répression de la Corruption ;
ONPLC : Organe National de Prévention et de Lutte contre la Corruption.
La finance publique est une discipline qui a pour vocation d’assurer le financement des services publics sur la base de méthodes puisées principalement des sciences connexes dont le droit, la science politique, la sociologie, l’économie, la comptabilité, la statistique, etc. Reposant sur des mécanismes complexes, la finance publique vise principalement à maîtriser parfaitement ses deux aspects phares qui consistent à assurer la croissance économique pour générer des recettes, d’un côté, et assurer le contrôle des dépenses à travers la maîtrise du processus de la commande publique.
Dans les pays en voie de développement, à l’instar de l’Algérie, l’économie est encore largement administrée et l’État y joue encore, soit directement, soit indirectement, un rôle moteur notamment dans les situations de crise et de récession. Les finances publiques sont alors mises à contribution dans le cadre de plans de relances dits keynésiens1 destinés à relancer l’économie par le biais de la commande publique. En Algérie, cette politique était largement favorisée par l’envolée des cours du pétrole et du gaz durant la première décennie des années 2000.
De par son rôle de levier stratégique au développement économique et social, la croissance économique est devenue étroitement liée à la commande publique qui se trouve ainsi promue au statut d’outil d’interventionnisme public2. Les dépenses colossales engagées par l’État, les établissements publics et les collectivités locales ont fait de la commande publique une composante incontournable de l’activité économique3.
Compte tenu de son importance, les pouvoirs publics portent une attention particulière au cadre réglementaire qui régit la commande publique pour qu’elle soit transparente, efficace et soumise à une saine concurrence. Les textes qui régissent l’économie générale des marchés fixent ainsi les règles de fond et de forme permettant à celles-ci de satisfaire à leurs besoins dans les meilleures conditions juridiques, économiques et techniques, en se reposant sur différents mécanismes contractuels tels que les marchés publics, les délégations de service public, les contrats de partenariat public-privé, etc.
Le droit de la commande publique4, en particulier le droit des marchés publics, a longtemps été marqué par l’extrême diversité de ses règles, dispersées dans une multitude de textes de nature législative ou réglementaire, nationale ou supranationale5. Force est de constater néanmoins que le droit des contrats publics est fortement influencé par des règles et standards internationaux, ce qui fait qu’il se fond, peu ou prou, dans les principes et les règles du droit commercial international, lesquelles ont également connu un chemin long et laborieux avant leur consécration6.
L’ouverture de la réglementation algérienne aux standards internationaux renvoie nécessairement à la question de l’évolution du système juridique algérien. Tel qu’il est préconisé par Ramdane Babdji, l’étude des mutations du champ juridique en Algérie doit pouvoir intégrer en même temps une analyse de la formation de ce droit pour en restituer les logiques de constitution (influence du droit colonial, constitution et idées-forces du mouvement national, formation de la caste des juristes, « algérianisation du droit, etc.), et une analyse du déploiement de ce droit pour cette fois en restituer les logiques de fonctionnement7.
Traiter du droit algérien permet de lever, un tant soit peu, le voile sur une double difficulté. La première tient aux problèmes concrets et compliqués auxquels ont donné lieu, en Algérie et plus généralement dans les pays postcoloniaux, la conception et la mise en place de systèmes de normativité adaptés à leurs besoins. Le premier problème qui surgit dès qu’un État accède à l’indépendance, prévient Ahmed Mahiou, « est le dilemme de la continuité ou de la rupture de l’ordre juridique reçu en héritage »8. En effet, le doyen Mahiou, estime, à juste titre, que dès qu’un nouvel État apparaît, le problème se pose de savoir quelle est la conséquence sur le plan du droit. Cela se pose d’abord en matière de droit international. Il est important pour les autres États de savoir si le nouvel État est enclin à assumer ou non l’héritage des engagements antérieurs et d’identifier ainsi le contenu des relations avec lui9.
C’est donc l’éternelle question de la rupture ou la continuité du système juridique colonial qui est posée à chaque fois qu’un pays accède à l’indépendance et l’exemple de l’Algérie est particulièrement intéressant, voire exemplaire, en raison de la particularité de la colonisation qu’elle a subie et de son processus de décolonisation à la suite d’une longue lutte de libération de près de huit années ainsi que de son projet de construction du nouvel État, d’une nouvelle société et donc d’un nouveau système juridique10.
Inspiré de la réflexion du doyen Mahiou11, l’éminent Professeur Chérif Bennadji est allé au-delà de l’approche comparatiste « droit algérien/droit français » qui découlait de cette réflexion et qui interrogeait la production scientifique en droit durant la première décennie après l’indépendance tant et si bien que tout se passait comme si les doctorants (mais ceci est également valable pour la production doctrinale) se devaient d’adopter nécessairement cette approche, qui bien qu’étriquée, était perçue comme fondamentale12. Le point de départ de l’approche, somme toute intéressante, développée par le professeur Bennadji, démarre de l’hypothèse méthodiquement illustrée que tout travail scientifique en droit devrait mettre le chercheur devant le défi d’être confronté réellement, non à une, mais plutôt à deux problématiques13 que nous développerons ci-dessous.
L’intérêt de cette approche, très pertinente à notre avis, réside dans sa façon de distinguer le niveau systémique ou « macro juridique » du niveau « micro juridique ». En somme, contrairement à une idée largement reçue dans la communauté scientifique des juristes, ces derniers seraient enclins à mettre nécessairement en œuvre, dans chaque thèse de doctorat, deux problématiques14 :
a) Une problématique générale et transversale à toutes les spécialités et branches du droit d’un pays donné à un moment donné que la communauté des juristes (qu’ils soient algériens ou travaillant sur le droit algérien) en tant qu’intelligence collective, s’attacherait à résoudre. Même lorsqu’elle n’est pas expressément formulée et adoptée dans une recherche donnée, cette problématique générale serait néanmoins présente et à l’œuvre en ce qu’elle surdéterminerait nécessairement toute réflexion juridique. Aussi cette problématique pourrait-elle recevoir la qualification de « macro juridique », car valable ou applicable à l’ensemble du système juridique considéré.15
b) Une problématique particulière ou spéciale adoptée par le chercheur pour son objet d’étude et donc également par le doctorant dans le cadre de sa thèse. Ce second type de problématique pourrait être qualifié de « micro juridique ». La problématique évoquée ici, on l’aura compris, est constitutive du fameux « angle d’attaque » du sujet traité dans la thèse16.
Le professeur Bennadji a placé la problématique macro juridique au cœur du niveau de développement atteint par le système juridique du pays, soit sujette à évolution, modification, innovation, etc. Aujourd’hui, après un peu plus de soixante années d’indépendance et de nombreuses transformations ayant affecté la formation économique et sociale algérienne et donc également son orientation juridique, il est d’une nécessité impérieuse de s’interroger sur la pertinence d’une problématique générale construite autour du couple rupture/continuité par rapport au droit français17. Il devient donc nécessaire d’adapter cette problématique générale pour qu’elle soit au diapason du degré de développement du système juridique algérien à l’ère et à l’aune de l’ouverture tous azimuts au droit international en général, et aux standards internationaux en particulier18.
En Algérie, la référence aux standards internationaux est désormais le leitmotiv du discours de tous les ministres et cadres supérieurs de l’État. Quel que soit le domaine ou le secteur, l’heure est à la mise à niveau par rapport aux standards universels actuels. Pour emprunter une formule du doyen Mahiou à propos du processus historique de construction de l’État de droit dans le monde (dit) arabe, « il en résulte une quête de standards universels… »19.
À l’aune de cette nouvelle tendance marquée par la quête de standards universels, le professeur Bennadji oriente, à juste titre, les doctorants souhaitant inscrire une thèse en sciences juridiques de composer impérativement avec « la problématique macro-juridique » qui correspond au degré de développement contemporaine du système juridique algérien : Quelle que soit la branche du droit dans laquelle s’exercera la thèse, il s’agira en effet et nécessairement de se demander dans quelle mesure le dispositif juridique objet de l’étude serait (ou ne serait pas) en conformité avec les standards universels que nul juriste (même « l’interniste20 ») ne peut plus ignorer. C’est assez dire que pour la génération actuelle des doctorants, la problématique générale ne se poserait plus en termes de rupture et de continuité du droit algérien par rapport au droit de l’ancienne puissance coloniale, mais en termes de niveaux et de degrés d’adéquation du nouveau droit algérien par rapport aux standards internationaux21.
Nous souhaitons ainsi mesurer, sous le prisme de cette problématique macro-juridique (générale), le degré d’adéquation de la réglementation algérienne des marchés publics de 2015 par rapport aux standards internationaux22. Il est important de souligner ici que tant que les textes d’application de la loi n° 23-12 5 août 2023, fixant les règles générales relatives aux marchés publics, ne sont pas encore publiés, il n’est malheureusement pas possible d’étendre nos recherches à ce texte législatif important.
La plupart des thèses portent sur les acteurs locaux qui adoptent des idées ou des institutions et s’intéressent peu à la façon dont ces idées, ces pratiques et ces innovations ont été d’abord choisies par les promoteurs d’un modèle. Aussi proposons-nous de traiter la standardisation comme un processus grâce auquel une pratique est identifiée dans son propre milieu par les décideurs, des ONG ou d’autres acteurs internationaux, puis reconfigurée en une sorte de « modèle standard » ou de matrice qui puisse être utilisée dans un autre contexte. La création d’un tel standard implique souvent de remplacer les particularités locales de l’original par des normes et des pratiques plus acceptables. Cette adaptation suppose un processus de réinterprétation et de reformatage, c’est-à-dire l’élaboration d’une pratique ou d’une norme qui favorise la coordination et la coopération entre les acteurs d’un réseau donné. Souvent, les idées deviennent alors quasi génériques. En cours de route, elles s’imposent aussi comme le standard sur la base duquel les pratiques de ceux qui l’adoptent seront évaluées23.
La difficulté de parvenir à une définition de la notion de droit s’exacerbe, selon le professeur Laurence Boisson de Chazournes, lorsque l’on appréhende la relation entre règle de droit, norme et standard en droit international. Cette relation témoigne de la difficulté à cerner le contenu de la normativité à l’échelle internationale24. Cette difficulté émane du concept même de standard qui est polysémique et polymorphe dans ses fonctions dans la mesure où il renvoie, tantôt à une norme incontestée de droit international, tantôt à des principes n’ayant pas un seuil de normativité suffisant pour répondre à la définition de « norme ». De façon spécifique, le standard renvoie à une norme impliquant l’idée d’un niveau à atteindre ou d’un modèle auquel il faut se conformer et par rapport auquel l’évaluation d’une situation ou d’un comportement doit être opérée.
Le professeur Boisson de Chazournes souligne dans son article, à juste titre, que les règles de droit et standards interagissent dans le cadre de « systèmes normatifs complexes »25 dans lequel les normes jouent une double fonction : une fonction de « conservation » qui est beaucoup plus le propre de la « règle de droit » et une fonction de « transformation » du système qui serait la caractéristique même de la standardisation internationale. Le système normatif de toute société organisée tend à utiliser les deux mécanismes, c’est-à-dire à faire alterner les opérations de conservation avec celles de transformation. Aussi, « l’interaction » entre standards et règles de droit semble être le concept le mieux à même de refléter la réalité de la normativité internationale. Les standards et règles de droit agissent à l’image d’électrons qui gravitent autour du noyau central de l’atome que constitue la norme. L’interaction se manifeste par la dialectique suivante : les standards internationaux jouent un rôle dans la « fabrication » de la règle de droit international et cette dernière remplit une fonction de « captation » vis-à-vis des standards internationaux.
Les travaux du professeur Boisson de Chazournes ont le mérite de mettre en exergue la fonction « correctrice », voire « compensatrice », des standards internationaux vis-à-vis de la règle de droit international26. La fonction correctrice ou compensatrice de la standardisation a pour intérêt de permettre aux divers acteurs étatiques et non étatiques d’agir ex ante sur la réglementation de certaines activités ou de compléter ou d’adapter ex post les règles déjà définies dans des instruments formels tels les traités internationaux. Les standards internationaux participent de ce fait d’une logique « processuelle » qui vise à modéliser, moduler et orienter le comportement des États et des autres acteurs de la scène internationale. Le contenu du standard évoluera au gré des connaissances, des besoins et des capacités et ne se fige pas sur l’élaboration d’une obligation précise. Les standards participent également au processus de « concrétisation » de la règle de droit international dans la mesure où ils comblent le déficit laissé par des normes formelles et traditionnelles27.
Mieux encore, les standards internationaux « orientent » l’application de la règle de droit international, dans la mesure où dans la sphère du commerce international, par exemple, les standards internationaux jouent la fonction de dénominateur commun qui permet de prévenir le protectionnisme, les restrictions déguisées au commerce et les discriminations abusives dans les échanges commerciaux internationaux. Ils bénéficient ainsi d’une légitimité et constituent un référentiel juridique sur lequel l’on peut se baser pour évaluer et qualifier le comportement d’un État par rapport à une question donnée28.
La juridicité d’un standard suppose l’existence d’une habilitation de son auteur à exercer un pouvoir normatif. Mais entendons-nous bien : il ne suffit pas qu’il y ait habilitation pour qu’il y ait du « droit ». Il faut encore que la proposition considérée s’inscrive dans la chaîne des prescriptions juridiques posées par l’ordre juridique international29 et basée sur deux éléments fondamentaux : l’universalité et le consensus.
Si ce constat semble évident, il demeure en réalité plus complexe. En effet, en assurant une véritable représentativité des participants à ce processus qui soit conforme aux aspirations de la communauté internationale, les instruments juridiques et les normes ainsi élaborés ne trouveront leur véritable force normative qu’au travers de leur adoption par un réel consensus. Aussi, l’institutionnalisation de la CNUDCI est confrontée à ces éléments qui, portés à leur paroxysme, contribuent à légitimer le processus normatif dans lequel elle se veut être le moteur30.
Face à l’internationalisation fulgurante de l’économie mondiale et à l’impulsion donnée par la communauté internationale des marchands, les États ont pris conscience de la nécessité et de l’urgence d’élaborer un ensemble cohérent d’instruments et de normes qui constituerait un cadre juridique efficace pour les activités du commerce international. Il s’agit donc de moderniser les nombreuses réglementations nationales et régionales qui régissaient jusqu’alors les échanges internationaux au travers d’un organe suffisamment représentatif et de nature permanente capable de relever ce défi. L’ONU, organisation internationale universelle, étant le choix idéal31. L’évocation de la création d’un organe juridique chargé d’harmoniser et d’uniformiser le droit commercial international au sein de l’ONU se concrétise en 1964, par le truchement du rapport SCHMITTHOFF qui précise, entre autres, que : « Il n’existe à l’ONU aucun organe qui soit techniquement compétent dans ce domaine ou qui puisse consacrer suffisamment de temps à une tâche aussi complexe et d’aussi longue haleine »32.
Cette création33 s’inscrit dans un contexte particulier qu’il conviendrait de rappeler. En effet, subséquemment à l’échec des deux conventions internationales adoptées par l’Institut international pour l’unification du droit privé « UNIDROIT » – la Convention portant loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels (La Haye – 1964) et la Convention portant loi uniforme sur la formation des contrats de vente internationale des objets mobiliers corporels (La Haye – 1964), la méfiance des pays en développement est telle qu’une mention expresse de leur participation pleine et active est incluse dans le mandat de la CNUDCI qui prévoit « une pleine participation des pays en développement »34.
Principal organe juridique du système des Nations Unies dans le domaine du droit commercial international et organe juridique à participation universelle spécialisé dans la réforme du droit commercial dans le monde depuis plus de 50 ans, la CNUDCI s’attache à moderniser et à harmoniser les règles du commerce international35.
L’Assemblée générale de l’ONU a estimé que les disparités entre les diverses lois nationales régissant le commerce international constituaient des obstacles au déroulement des échanges ; et elle a considéré la Commission comme le moyen par lequel l’Organisation des Nations Unies pourrait contribuer plus activement à réduire ou aplanir ces obstacles. Ainsi, la Commission est devenue l’organe juridique principal du système des Nations Unies dans le domaine du droit commercial international tant et si bien qu’elle a été mandatée par l’Assemblée générale afin d’encourager l’harmonisation et l’unification progressives du droit commercial international.
La Commission comprend soixante (60) États membres élus par l’Assemblée Générale, lesquels sont choisis de manière qui permet à ce que les différentes régions géographiques et les principaux systèmes économiques et juridiques du monde soient représentés. Ils sont élus pour un mandat de six ans, la Commission étant renouvelée par moitié tous les trois ans.
L’Algérie avait été élue en tant que membre de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International durant quatre (4) mandats qui s’étalent sur trois (3) périodes distinctes : (1983-1989) (1995-2001) et (2004-2016). Si l’on doit se référer aux documents publiés par l’Assemblée Générale de la commission36, le dernier mandat de l’Algérie comme membre de la CNUDCI a pris fin en date du 26 juin 2016.
Les mandats successifs de l’Algérie en tant que membre de la CNUDCI corroborent la thèse de sa collaboration active dans l’élaboration des lois types élaborées par cette institution, surtout si l’on sait que les normes élaborées par la CNUDCI sont négociées, sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies, par les experts et les représentants des États membres. L’on peut déduire donc que l’Algérie avait activement participé à l’élaboration de la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics37.
Cette contribution de l’Algérie aux travaux ayant conduit à l’élaboration de la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics est d’autant plus incontestable qu’il est admis que l’Algérie a marqué de sa présence les travaux de douze sessions (sur les seize) des réunions du groupes de travail chargés, par la commission des Nations unies, de la modification de la loi type de 1994, lesquels travaux qui ont abouti à la nouvelle mouture de loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU par le truchement de la Résolution 66/95 du 9 décembre 2011. En effet, durant la période allant de 2004 à 2012, l’Algérie fut régulièrement représentée dans les sessions successives animées par les groupes de travail de la CNUDCI, qui ont pu aboutir, in fine, à l’adoption du texte actuel de la loi type de la CNUDCI, en vigueur depuis décembre 2011.
En tout état de cause, cette participation intensive explique, dans une large mesure, les marques d’influence de la loi type de la CNUDCI sur la réglementation algérienne des marchés publics, en vigueur depuis 2015, et potentiellement sur la nouvelle fixant les règles générales relatives aux marchés publics, publiée en 2023.
Cette participation a d’ailleurs réussi à créer cette jonction extraordinaire entre la législation algérienne des marchés publics et les prérequis en vogue au sein du droit commercial international pour rendre possible cette ouverture aux standards internationaux, laquelle est fortement mise en évidence dans le décret présidentiel n° 15-247 du 16 septembre 2015 portant réglementation des marchés publics et délégations de service public. Ceci est d’autant plus vrai que l’exposé des motifs ayant précédé ce décret affiche l’étendard de cette ouverture aux normes internationales tant et si bien qu’il y consacre une nouvelle tendance jusque-là quasiment impensable38 dans le domaine des lois dites « de souveraineté », telle que la réglementation des marchés publics39.
Il est facile de remarquer d’ailleurs que la nécessité de s’inspirer des exigences des institutions internationales et des standards internationaux pour moderniser la réglementation algérienne des marchés publics est le maître-mot qui revient avec insistance, d’une manière pleinement assumée, dans ledit exposé des motifs, lequel précise clairement dans sa conclusion que :
En conclusion, il y a lieu de signaler que les amendements objet de ce projet de texte et les nouvelles mesures proposées, qui répondent aux préoccupations des services contractants et des opérateurs économiques, s’inspirent des standards internationaux et des recommandations des institutions internationales (Banque mondiale et Union européenne), pour la modernisation de la gestion des finances publiques40.
L’exposé des motifs de la loi n° 23-12, fixant les règles générales relatives aux marchés publics41, place, quant à lui, l’adoption de cette nouvelle loi au cœur de l’environnement économique international, marqué par la mondialisation accrue des échanges, l’exacerbation de la compétition internationale et le développement spectaculaire des technologies de l’information et de la communication.
Nonobstant l’impossibilité d’intégrer la nouvelle loi de 2023 dans le champ de notre présente étude subséquemment à la non-publication de ses textes d’applications, il n’en demeure pas moins que ces déclarations confirment, d’une manière limpide, que la réglementation des marchés publics de 2015 et la nouvelle loi de 2023 sont conçues sous l’influence des standards internationaux et des institutions internationales, lesquels se placent désormais comme les principales sources d’amélioration et de modernisation de la réglementation algérienne des marchés publics. Toutefois, nous ne pouvons aborder l’exposé des motifs du décret présidentiel n° 15-247 sans accorder une attention à une situation qui semble ambiguë et qui mérite bien évidemment d’être mise en exergue puisqu’il est facilement remarquable quand on constate que les institutions internationales sont nommément citées alors que les standards internationaux sont, quant à eux, évoqués sans la moindre indication des sources d’influence qui seraient potentiellement admises !
Néanmoins, malgré que les standards internationaux soient cités sans la moindre indication, il n’en demeure pas moins que tout plaide à croire que c’est finalement la Loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics qui serait potentiellement visée dans la mesure où elle est la référence absolue en matière de travaux de standardisation dans le domaine des marchés publics.
L’existence d’un lien, somme tout irréfutable, entre la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics et la réglementation algérienne des marchés publics est une question cruciale qui mérite d’être minutieusement étudiée sous le prisme de la problématique suivante :
Quel est le degré de l’impact de la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics sur la réglementation Algérienne des marchés publics ?
Il est donc clair que c’est à travers cette problématique macro-juridique que nous allons mesurer le degré d’adéquation du droit des marchés publics algérien par rapport à la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics, en tant que le standard international le plus évident et le plus en vue dans le domaine du commerce international.
Il y a lieu de préciser, de prime abord, qu’il n’est nullement question de s’inscrire ici dans une approche typiquement comparatiste, mais de développer plutôt des éléments de réponse à notre question centrale, et ce afin de mesurer l’impact factuel de la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics sur la réglementation algérienne des marchés publics. Pour y parvenir, il est nécessaire de traiter, ce faisant, des questionnements accessoires qui aideraient substantiellement à appréhender les aspects chronologiques, idéologiques et stratégiques ayant plaidé pour l’ouverture de la réglementation algérienne des marchés publics aux standards internationaux, il s’agit notamment de répondre aux interrogations ci-après :
Comment le législateur algérien a pu concilier les intérêts divergents d’un attachement acharné à une souveraineté, alimenté par un acerbe complexe du colonisé, et une ouverture, de plus en plus inévitable, envers les standards internationaux ?
Pourquoi doit-on s’intéresser, exclusivement et précisément, à la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics alors que le législateur algérien a évoqué les standards internationaux au pluriel ?
Comment la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics est devenue l’un des principaux leviers de modernisation de la réglementation algérienne des marchés publics ?
Le traitement de notre question cardinale et les problématiques subsidiaires y afférentes se fera par le truchement d’une démarche méthodologique qui doit s’appuyer sur une recherche bibliographique et documentaire visant à exploiter et analyser tous les ouvrages, articles, rapports et documents officiels se rapportant à notre sujet.
Il y a lieu de souligner, au demeurant, que le traitement de la thématique de notre recherche revêt d’une importance capitale dans la mesure où elle contribue à faire avancer le débat juridique sur les sources internationales du droit de marchés publics algérien en défendant la thèse soutenant, d’un côté, que le législateur algérien a finalement franchi ce pas vers l’internationalisation en validant l’intégration de sources inédites pour moderniser le code des marchés publics et en corroborant, d’un autre côté, la thèse soutenant que les standards internationaux auxquels le législateur algérien s’est référé dans l’exposé des motifs du décret présidentiel de 2015 se limitent finalement, non pas à plusieurs, mais finalement à un seul et unique standard : loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics.
Ce travail de recherche aidera substantiellement à lever le voile sur l’ambiguïté que le législateur algérien a voulu garder sur les standards internationaux en y faisant référence sans la moindre indication précise. Ce faisant, cette recherche apporte des éléments factuels corroborant l’influence consubstantielle de la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics sur la réglementation algérienne des marchés publics en poussant l’analyse jusqu’à la mise en exergue du rôle de cette loi type en tant que principal levier de modernisation de la réglementation algérienne des marchés publics pour être ainsi considérée comme le seul standard international à même d’être considéré comme source potentielle de la réglementation algérienne des marchés publics. Le débat reste tout de même ouvert aux juristes et aux futurs thésards qui seraient tentés de soutenir et/ou d’enrichir cette thèse ainsi qu’à ceux qui souhaiteraient plutôt la contester ou y apporter des éléments contradictoires plaidant en faveur d’un ou plusieurs autres standards que nous avions probablement ignorés dans le cadre de nos recherches.
D’un autre côté, cette thèse fera nécessairement avancer le débat juridique sur le droit algérien des marchés publics dans la mesure où il s’agit d’un premier travail de recherche qui s’intéresse aux marchés publics d’un angle différent des thématiques classiques attenantes aux aspects procéduraux et des approches comparatistes, en focalisant la recherche sur un sujet nouveau, jamais traité jusqu’ici, à savoir ; les sources internationales du droit des marchés publics. Ceci est d’autant plus vrai que notre travail de recherche ouvre les débats et interpelle les juristes ainsi que la doctrine sur des thématiques nouvelles subséquentes à la nouvelle tendance consacrant l’ouverture du droit algérien aux sources internationales.
À travers cette recherche l’on comprend mieux pourquoi la régénérescence de la notion de marché public, l’impact des sources internationales, la simplification du cadre juridique de la passation des marchés publics, les difficultés de financement des marchés publics, la modernisation des procédures de passation, les modes alternatifs de règlement de différends, les difficultés posées par l’exécution des marchés publics et le renforcement des contrôles des marchés publics, constituent les nouveaux plaidoyers pour une mutation positive du code des marchés publics algérien sous l’impulsion des recommandations des institutions internationales et l’impératif de la conformité aux standards internationaux.
Cette recherche a donc le mérite d’ouvrir les débats sur cette question cruciale attenante aux standards internationaux en tant que l’une des sources internationales, aussi nouvelle qu’assumée, du doit algérien des marchés publics, et ce en mettant en exergue les éléments plaidant en faveur de la thèse soutenant que la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics résume pleinement et illustre suffisamment les standards internationaux visés par le législateur algérien.
Dans le cadre du développement des éléments factuels plaidant pour la pertinence de notre recherche, nous ne pouvons toutefois pas ignorer le fait que la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics traite uniquement d’une seule étape du processus global d’un marché public, la « passation de marchés » en l’occurrence, alors que la réglementation des marchés publics est étendue à toutes les étapes d’évolution d’un marché public, soit à partir de « la passation » jusqu’au « règlement des différends », sans ignorer les étapes de l’« exécution » et « le contrôle ». Cette différence significative nous impose de nous limiter, dans le cadre de cette recherche, à l’étude de l’impact de la loi type de la CNUDCI sur, principalement, le droit des marchés publics algérien en matière de « passation » de marchés publics et, subsidiairement, en matière de « règlement de différends ». Ceci dit, les étapes « exécution » et « contrôle » des marchés publics sont exclues du champ de notre recherche.
Dans cette perspective, nous avons structuré notre travail en deux (2) parties :
Partie 1 : Elle sera consacrée à l’étude du droit algérien des marchés publics à l’ère de l’ouverture aux sources internationales.
Dans le cadre de cette partie, nous allons traiter, en premier lieu, les sources internationales du droit des marchés publics algérien (Titre 1). Si l’on se réfère à l’exposé des motifs de la réglementation algérienne des marchés publics de 2015, les sources internationales se résument aux recommandations des institutions internationales (Chapitre 2) et aux standards internationaux (Chapitre 1). Dans le cadre de ce dernier chapitre, nous allons accorder un intérêt particulier à la loi type de la CNUDCI dans la mesure où elle constitue le centre d’intérêt de notre travail de recherche.
Par ailleurs, cette ouverture, vers les sources internationales, étant l’aboutissement d’un processus jonché de difficultés, hésitations, engagement et désengagement, il serait intéressant de traiter, de prime abord dans le cadre de cette partie, les relations de l’Algérie avec les organisations internationales. Ceci est d’autant plus nécessaire pour apprécier le développement de la relation de l’Algérie avec les organisations internationales, l’Organisation des Nations Unies (ONU) en particulier, pour parvenir in fine à s’exposer à l’influence de standards internationaux adoptés sous l’égide de ces dernières (Titre 2).
La CNUDCI étant un organe dépendant de l’Organisation des Nations Unies (ONU), il est nécessaire d’étudier particulièrement de la relation de l’Algérie avec cette dernière, qui est caractérisée, tantôt par une confrontation liée principalement aux considérations historiques de l’Algérie (Chapitre 1), tantôt par une coopération qui a abouti à une ouverture économique et juridique que l’on peut qualifier de révolutionnaire (Chapitre 2).
Partie 2 : Elle sera consacrée à l’étude des mécanismes qui ont permis à la loi type de la CNUDCI de devenir un levier pour la modernisation du droit des marchés publics algérien, notamment en ce qui concerne la « passation » des marchés publics.
Le premier Titre sera dédié à l’analyse du degré de la métamorphose du droit des marchés publics algérien, sous l’influence de la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics.
Nous allons tenter, dans le cadre de cette partie, de mesurer le degré d’adaptation du droit des marchés publics algérien aux recommandations de la loi type de CNUDCI (Chapitre 1).
Dans le cadre de ce chapitre, nous allons tenter de mesurer l’influence de la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics, sur la réglementation algérienne des marchés publics, aussi bien en matière de principes fondamentaux de la commande publique (Section 1), qu’en matière de la passation des marchés publics (Section 2).
Cette adaptation pose cependant un sérieux problème en matière de l’adaptation de ses principes sur le plan pratique qui mérite d’être étudié dans le cadre du Chapitre 2 (Chapitre 2).
Le Titre 2 de la 2e Partie sera consacré à l’analyse de la contribution de la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics dans le cadre de l’amélioration et la modernisation de la réglementation algérienne des marchés publics (Titre 2).
Les aspects de modernisation les plus évidents, étant la dématérialisation des marchés publics (Chapitre 1) et l’intégration des procédés alternatifs de règlement des litiges dans le cadre de la réglementation des marchés publics de 2015 (Chapitre 2).
Dans le cadre du Chapitre 1, nous allons aborder le rôle de la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics, dans la dématérialisation des marchés publics, en général (Section 1), avant de nous intéresser davantage à l’enchère électronique inversée, comme la forme la plus édifiante de cette dématérialisation (Section 2).
Dans le cadre du Chapitre 2, consacré au rôle de la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics dans la consécration des procédés alternatifs de règlement des litiges, nous allons, de prime abord, décortiquer le rôle de la loi type de la CNUDCI pour le développement de nouvelles formes de règlement de litiges que ce soit en matière de procédés (le recours et la commission des recours) qu’en matière d’instruments de règlement amiable de différends (le comité de règlement amiable des litiges et l’autorité de régulation des marchés publics [Chapitre 1]).
Dans le cadre de la Section 1 de ce 2e Chapitre, nous allons tout d’abord essayer de comprendre le rôle joué par la CNUDCI pour la consécration du droit de compromettre dans la réglementation des marchés publics de 2015, qui semble être consacré pour tempérer son caractère absolu depuis la publication du code de procédure civile et administrative en 2008 (Section 1).
Par ailleurs, nous ne pouvons pas évoquer la question de la consécration du droit de compromettre dans le cadre de la réglementation des marchés publics sans nous intéresser à la question épineuse relative à l’arbitrabilité des litiges dans le cadre des marchés publics, laquelle mérite d’être traitée à la lumière de son statut dans la réglementation algérienne (Section 2).
Le processus de la mondialisation de l’économie connu des juristes est présenté à travers les différentes initiatives de modération, voire de disparition des contraintes normatives aux échanges internationaux permettant la libération du commerce international42.
L’ordre juridique international, appréhendé sous l’angle westphalien43, ne reconnaît que deux types de sujets44 : les États et les organisations internationales45. L’internationalisation du droit est donc un phénomène particulièrement complexe qui se traduit, tantôt par l’importation en droit interne de sources externes, par intégration, spontanée ou contrainte, du droit étranger ou international (internalisation), tantôt par l’exportation du droit interne, par son extension, proposée ou imposée, hors des frontières nationales (externalisation). En conséquence, les relations internationales et les négociations diplomatiques deviennent de plus en plus juridiques, tandis que les opérateurs du droit sont de plus en plus confrontés aux interactions entre les différents ordres juridiques et à l’influence des relations économiques et financières. Autrement dit, il y a maintenant une imbrication du juridique, du politique et de l’économique qui renforce la place du droit international et du droit comparé dans les relations internationales46.
Quand bien même la notion de l’internationalisation du droit aurait réussi au fil du temps à s’imposer comme un concept usuel de la théorie du droit, elle continue à susciter plusieurs interrogations qui en font un ordre juridique difficile à appréhender de par sa complexité. La doctrine s’est en effet rendu compte à quel point il était commode, pour la compréhension du droit international, de l’envisager comme un tout et pas seulement dans ses différentes parties, car, ce faisant, tout un ensemble de questions liées à sa définition, son existence, sa validité (ainsi que celles de ses éléments) trouvaient des réponses a priori plus fécondes.
Cette complexité se manifeste davantage dans le domaine de l’internationalisation des contrats publics. En effet, le droit des contrats publics se trouve de plus en plus fortement influencé par des règles et standards internationaux, qui produisent en lui diverses conséquences, affectant aussi bien le contentieux de ces contrats que les orientations de fond de leur régime et même les concepts sur lesquels celui-ci s’organise.
En toute évidence, l’Algérie n’est pas restée à l’écart de cette nouvelle tendance d’internationalisation du droit. Chemin faisant, notre pays est passé d’une ouverture contrainte sous l’influence des institutions internationales à la recherche d’une maîtrise de cette ouverture. Les réformes affectant l’orientation économique de l’Algérie constituent un élément important du processus de transformation engagé par le pays à partir de la seconde moitié des années 1980. La politique de réforme de l’économie se devait tout d’abord de délégitimer l’orientation protectionniste de la période précédente. Ainsi, durant la première moitié des années 1980, dans le cadre de « l’enrichissement de la charte nationale », une nouvelle rhétorique s’est développée, appelant à une « modernisation de l’économie » s’appuyant sur des « normes définies mondialement » et obéissant aux « lois universelles de la logique économique »48.
Cette ouverture économique, somme toute assumée, implique nécessairement la mise à niveau de l’arsenal juridique pour se mettre au diapason des exigences de l’économie mondiale et standards du droit commercial international, à travers notamment son ouverture aux sources internationales (Titre 1).
Force est d’admettre, par ailleurs, que cette nouvelle orientation internationaliste n’est pas un aboutissement facile, eu égard notamment aux considérations historiques qui justifient, dans une large mesure, la frilosité des autorités algériennes, au lendemain de l’indépendance, à l’encontre des organisations internationales et passant, des standards internationaux (Titre 2).
La question de l’existence de sources internationales du droit fut longtemps présentée sous forme de controverse, opposant un courant favorable à leur développement (universalisme) à un autre estimant au contraire que la matière devait demeurer régie par des sources purement internes (particularisme). Le débat est aujourd’hui largement apaisé, cédant la place au simple constat de leur présence et à l’analyse de leur influence. La controverse, lorsqu’elle réapparaît à ce propos, est d’ailleurs moins orientée vers le caractère international des sources en cause que vers l’origine privée de ces dernières. C’est en effet la reconnaissance d’un droit d’origine extra-étatique, spontané et international, qui a été soutenue par un important courant doctrinal dans le champ particulier du droit du commerce international49.
Si dans le domaine du droit international privé stricto sensu, les sources internationales revêtent pour l’essentiel la forme de traités internationaux, dans le droit en général ces ressources peuvent revêtir d’autres formes, c’est ce que nous pouvons d’ailleurs vérifier en ce qui concerne l’Algérie qui, dans son chemin vers l’internationalisation de ses normes juridiques et réglementaires, a opté pour une action qui tend à faire avancer de pair l’internationalisation de l’économie et l’internationalisation du droit50.
Mieux encore, ce vent d’internationalisation qui a soufflé en faveur de la modernisation des différentes branches du droit en Algérie s’est élargi jusqu’au droit des marchés publics qui s’inspire désormais des recommandations des institutions internationales et des standards internationaux. Ceci ressort d’une manière limpide des dispositions de l’exposé des motifs du décret présidentiel n° 15-247 qui contient une déclaration d’importance qui confirme que ce choix est délibérément et expressément assumé :
La révision de la réglementation des marchés publics répond essentiellement à l’exigence de s’inspirer des standards internationaux ainsi que des recommandations des institutions internationales.
Cette tendance se trouve, à juste titre, confirmée par l’exposé des motifs de la loi n° 23-12 du 5 août 2023 fixant les règles générales relatives aux marchés publics, lequel justifie l’adoption de ce nouveau texte législatif – qui consacre l’élévation des règles générales relatives aux marchés publics au rang des domaines régis par la « loi » – au cœur de l’environnement économique international.
Cette déclaration de principe confirme bel et bien que le droit des marchés publics algérien s’inspire principalement de deux sources internationales : les recommandations des institutions internationales et les standards internationaux.
Étant donné que l’objectif principal de ce travail de recherche est d’identifier, de prime abord, les standards internationaux (ou le standard international) que l’on peut considérer comme sources potentielles (ou source potentielle) du droit des marchés publics algérien et de déterminer ensuite son impact sur ce dernier, nous allons, en toute logique, traiter en priorité les standards internationaux comme la source principale du droit algérien des marchés publics (Chapitre 1), avant de nous atteler, d’une manière subsidiaire, à l’autre source indiquée dans l’exposé des motifs du décret présidentiel n° 15-247 portant réglementation des marchés publics et délégations de service public : les recommandations des institutions internationales (Chapitre 2).
Difficile d’admettre le concept de « Standardisation » des lois sans la démystification du mythe doctrinal considérant le droit et ses normes, étant produits de l’œuvre du législateur, comme étant non seulement complets, mais prêts à être mécaniquement appliqués. Le professeur Yannick Radi51 a énergiquement plaidé pour cette démystification pour se ranger ainsi du côté d’une partie de la doctrine qui a depuis longtemps déchu ce mythe formaliste à la suite de critiques réalistes. Cependant, il n’en reste pas moins que la contribution normative de l’application du droit à sa formation est encore contestée et les modalités de celle-ci obscures. Dans ce contexte, le standard est considéré en doctrine comme l’archétype de la technique juridique ouvrant une indétermination normative requérant de l’organe d’application un acte d’évaluation en fonction de la situation d’application. L’analyse de ce concept doctrinal offre l’opportunité unique de montrer que ses caractéristiques sont en réalité communes à toutes les normes de droit et que l’application de toutes celles-ci implique dès lors un acte d’évaluation52.
Dans les ordres juridiques, la production du droit est très généralement pensée en termes de création, distinguée de l’application du droit. Une telle approche pèche par le manque d’articulation procédurale systémique qui lie ces deux activités à l’égard de la formation du droit. C’est cette articulation procédurale que conceptualise la procédure systémique qualifiée de « standardisation"53.
Depuis que le doyen Roscoe Pound54 a introduit la notion de standard dans la littérature juridique anglo-saxonne, celui-ci a connu un succès certain tant il est vrai que ces caractéristiques semblent lui permettre de répondre à la complexité des concours de circonstances que le droit est appelé à appréhender. Toutes les réflexions doctrinales ne poursuivent pas le même objectif et ne témoignent pas de la même rigueur d’analyse. La plupart se contentent en effet d’une description de cette notion, alors que d’autres constituent un véritable effort de conceptualisation55.
Les standards internationaux sont érigés en source inédite du droit algérien des marchés publics d’où l’intérêt de traiter, de prime abord, l’acception et la valeur juridique du « Standard international » (Section 1). Ensuite, il serait intéressant d’aborder la référence normative internationale absolue en matière des marchés publics : la loi type de la CNUDCI sur les marchés publics (Section 2).
Section 1 : Acception, typologie et valeur juridique du « standard international »
De nombreux auteurs ont déjà eu l’occasion de mettre en exergue l’influence des organisations internationales sur l’évolution des modes traditionnels de formation du droit international. En conséquence, l’évolution du droit international va influencer ses sources et elle est susceptible de modifier l’importance factuelle de celles-ci. Il s’agissait de montrer comment, sous cette influence, la standardisation allait se positionner comme un référentiel important dans le droit international, que ce soit à l’échelle communautaire sous l’égide des organisations communautaires, l’Union européenne entre autres, ou à l’échelle internationale sous l’égide des organisations planétaires telles que l’ONU.
Ce faisant, il est nécessaire de traiter, tout d’abord, l’acception, la typologie et la valeur juridique du standard international (Sous-section 1), avant de se focaliser sur l’organisme international investi, par l’Organisation des Nations Unies (ONU), de la mission d’harmonisation et la modernisation progressives du droit commercial international : La Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International (Sous-section 2).
Sous-section 1 : Acception, typologie et valeur juridique du standard international
La standardisation n’a pas pour vocation de constituer une théorie générale de la constitution du droit. Elle constitue seulement un outil conceptuel d’analyse de la production du droit dans l’archétype que constitue l’ordre juridique coopératif. L’apparition du standard dans le droit moderne va ainsi de pair avec une évolution du raisonnement juridique qui tend à connaître une plus grande place à l’intuition et à l’expérience au détriment d’une logique déductive non adaptée à toutes les situations56.
Le standard international est tout d’abord un référentiel publié par une ou plusieurs entités, ou encore issu d’un traité international, pour un usage international. Il se définit comme étant :
Une technique de formulation de la règle de droit qui a pour effet une certaine indétermination a priori de celle-ci. Souvent d’origine jurisprudentielle, et en principe dénoté par l’utilisation de certaines formes, le standard vise à permettre la mesure du comportement et de situation en termes de normalité, dans la double acception de ce terme. Le standard présente trois caractéristiques fonctionnelles essentielles dont il n’a d’ailleurs pas l’exclusivité : il opère en fait sinon en droit un transfert du pouvoir créateur de droit de l’autorité qui l’édicte à l’autorité qui l’applique ou si ces deux missions sont assumées par la même autorité, il contribue à réserver le pouvoir de cette dernière ; il assure trois missions rhétoriques liées de persuasion, de légitimation et de généralisation ; il permet une régularisation (ou régulation) permanente du système juridique57.
La notion du standard permet alors d’embrasser d’un œil nouveau des problèmes anciens et d’unir dans une perspective d’ensemble, des concepts et des techniques à première vue distincts, pour une meilleure compréhension du travail juridictionnel58.
L’apparition des standards comme source du droit international traduit une normativité internationale porteuse de technicité. La standardisation internationale semble, d’un point de vue purement formel, rétrécir considérablement la frontière classique entre le droit et le non-droit. Eu égard à l’éclatement et à la nouvelle structuration de la société internationale, les sources traditionnelles du droit (le traité ou la coutume), même si elles demeurent essentielles dans la régulation des rapports internationaux, sont de plus en plus inadaptées aux nouvelles exigences de rapidité, de souplesse et d’adaptabilité que nécessite la coopération internationale. La réalité internationale actuelle, caractérisée par l’extraordinaire développement de la technoscience59, exige que les degrés de juridicité de la règle ou de la norme de droit international varient en fonction des besoins et que l’obligatoriété ne soit plus le seul fondement de la règle de droit. Le standard international caractérise cette tendance de juridicisation de la technicité. Dans un contexte où l’édifice normatif est de plus en plus variable, le standard est une espèce particulière de règle de droit qui traduit la normativité en termes de normalité ; normalité quant à ce qui est « standard-mesure » et normalisation quant à ce qui devrait être « standard-tracé »60.
L’idée de « standards juridiques" semble avoir été présentée pour la première fois dans une communication adressée par le doyen Roscoe Pound à un congrès de l’American Bar Association en 1919. Dans cette communication, le doyen Pound expliquait que les juristes se trouvent devant quatre catégories d’instruments juridiques : des règles, des principes, des concepts et des standards. Les trois premiers instruments ne posent pas véritablement de problèmes. Quant au standard, le doyen Roscoe Pound le définit comme une mesure moyenne de conduite sociale correcte. Celui-ci apparaît ainsi comme une notion assez vague, fondée sur ce qui se passe couramment dans la société et, au fond, de nature sociologique. Le succès que la proposition du doyen Roscoe Pound a trouvé écho parmi un certain nombre d’auteurs de langue française au premier rang desquels il faut placer le très grand comparatiste, Edouard Lambert et un de ses disciples préférés. Le doyen Hauriou a également été très favorable à la notion de standard61.
Nous pouvons également évoquer une autre référence de la doctrine juridique, Al-Sanhoury en l’occurrence, lequel qualifie les standards juridiques comme une grande ligne de conduite qui permet une certaine liberté d’action et une adaptation beaucoup plus souple aux circonstances variables de la vie sociale. C’est une notion qu’il croit appeler à un grand avenir. Selon lui, elle correspond à la complexité croissante de la vie et à l’insuffisance évidente des règles pour tout prévoir et tout régir. Le standard permettrait donc une adaptation permanente du droit à une vie sociale changeante62.
Lambert et Al-Sanhoury voient en effet dans le standard le triomphe de l’intuition sur la logique et sur le syllogisme63. Par ailleurs, une observation purement synchronique montre que la normativité internationale actuelle, dans sa double acception d’appartenance à l’ordre juridique et de formulation prescriptive d’une norme, reflète les aspirations d’une société internationale interdépendante caractérisée par l’influence sans précédent de la technoscience64. Ce constat empirique de l’irruption des normes dites techniques ou scientifiques dans la production juridique a contribué au développement d’une science juridique « décomplexée », s’autorisant une approche éclatée et diachronique de la normativité dans toute son hétérogénéité. La juridicisation croissante de la technicité se traduit par l’apparition d’une normativité de plus en plus variable à travers un développement tous azimuts des standards internationaux65.
L’apparition de la standardisation en droit international est le signe que l’ordre juridique international est devenu un « système normatif complexe », c’est-à-dire un système qui comprend l’articulation de normes primaires et secondaires. Les premières définissent les droits et obligations des sujets de droit puisqu’elles leur prescrivent « d’accomplir ou de s’abstenir de certains comportements, qu’ils le veuillent ou non », tandis que les secondes veillent à ce que les sujets de droit puissent, en accomplissant certains actes ou en prononçant certaines paroles, introduire de nouvelles règles de type primaire, en abroger ou en modifier d’anciennes, ou, de différentes façons, déterminer leur incidence ou contrôler leur mise en œuvre66.
La cohérence du comportement normatif résulte et répond de la fonction organisatrice du droit dans les ordres juridiques nationaux coopératifs. Faute d’une telle cohérence, l’ordre juridique ne saurait en effet perdurer sous cette essence. Dans cette perspective, chaque solution législative et juridictionnelle doit être mise en cohérence avec le fonds normatif. Ici également, l’ordre juridique ne saurait prétendre à plus que de la cohérence, et ce, dans la mesure où son comportement varie suivant la situation et les périodes. Synchroniquement, le comportement normatif ne saurait être univoque tant les situations de création-application du droit différent et les solutions normatives apportées par les différents organes qui génèrent l’équivocité du comportement normatif de l’ordre juridique. Au regard de la diversité des solutions normatives et de la pluralité des organes exerçant la fonction normative, c’est la procédure systémique qui opère, dans le temps, la recomposition de la cohérence normative67.
Non idéale, la théorie de la standardisation l’est en raison des caractéristiques institutionnelles de la société internationale contemporaine. En effet, cette société est animée par une tension entre la coexistence et la coopération. Dans ce contexte, la production du droit international n’est pas l’œuvre d’une procédure systémique où interagissent des organes intégrés. En revanche, deux phénomènes peuvent être notés en lien avec la coopération normative multilatérale. Tout d’abord, on peut relever qu’il existe des cadres organiques. Ensuite, dans certains domaines coopératifs internationaux dépourvus d’un cadre « unique », la production du droit résulte d’un complexe procédural où les procédures s’articulent et s’enchevêtrent68. Il est admis donc que sur le plan international il existe deux types de standards qui sont appelés à cohabiter ensemble : Les « standards communautaires" et les « standards internationaux ».
L’étude du standard en droit communautaire est incertaine. Constater que la règle qui contient le standard est a priori indéterminée, et que son contenu est attribué par l’interprète, lors de son application aux faits de l’espèce, ne suffit pas à différencier le standard des autres notions juridiques. Déclarer que « la technique législative qui use des standards juridiques laisse toujours une marge de manœuvre supplémentaire par rapport à celle qui ne recourt pas aux standards, contribue à alimenter le doute quant à l’existence du standard, puisqu’il est évidemment difficile de percevoir le seuil à partir duquel la « marge de manœuvre » revenant à l’interprète de la norme est tel qu’une notion mérite la qualification du standard69.
L’étude du standard en droit communautaire peut s’appréhender comme l’analyse d’une rencontre entre deux solitudes. Celle du standard, notion marginale qui trouve mal sa place dans les concepts juridiques, et celle de l’Union européenne, ordre juridique original, qualifié de catégorie sui generis70. Aujourd’hui se développe, à un rythme soutenu, une « stratégie d’harmonisation généralisée » en vue de supprimer les entraves aux échanges intracommunautaires. Aucun secteur n’échappe à cette intervention du droit communautaire. Cet interventionnisme paraît plus évident au niveau européen, sans doute parce que la Communauté Européenne est la seule institution dotée de mécanismes à même d’encadrer la passation des marchés publics au sein de ses États membres.
Le Doyen Tallon observe dans le droit des communautés européennes un phénomène au moins comparable à celui du standard : c’est celui des directives. La différence, c’est que le standard est en quelque sorte une directive donnée au juge, alors que la directive des communautés européennes est un objectif fixé par l’exécutif communautaire aux États membres. Ce rapprochement effectué, il est intéressant de souligner que la directive est un instrument privilégié du rapprochement des législations au sein du Marché commun, mais il est vrai aussi que ce standard est difficile à manier, l’expérience l’a prouvé71.
Le droit des contrats publics est un des domaines où la présence du droit communautaire dans la pratique quotidienne s’est affirmée avec la plus grande force. Cela peut paraître normal, car le principe de primauté du droit communautaire fait qu’il évince la règle contraire et s’incorpore à l’ordre juridique national, de telle sorte que l’usager du droit ne devrait avoir à se préoccuper que d’un seul ordre juridique, dès lors que l’ordre juridique communautaire est, selon les termes du célèbre arrêt Costa du 5 juillet 1964 (aff. 6/64), « intégré au système juridique des États membres ». Mais tout n’est pas si simple, et cela pour deux raisons au moins. En premier lieu, le droit communautaire est un droit de développement progressif. À partir du socle du traité se sont constitués des principes formulés par la jurisprudence de la CJCE72 et structurés par la législation communautaire. Compte tenu de cette situation, il est nécessaire au juriste de suivre en permanence l’évolution du droit communautaire pour anticiper celle des règles nationales. En second lieu, la référence du droit communautaire « à côté » du droit national est rendue nécessaire par la persistance de divergences entre deux ordres. Il est, en effet fréquent que la réglementation nationale ne soit pas conforme aux règles communautaires, ce qui contraint les organes d’application à faire d’eux-mêmes prévaloir la règle communautaire, tâche qui n’est toujours pas aisée dans la mesure où la règle est loin d’être toujours claire73.
En réalité, la construction d’un droit européen des marchés publics a commencé depuis longtemps. La jurisprudence de la cour de justice des Communautés en témoigne. C’est sur la base des articles fondamentaux du traité organisant la libre circulation, de même que les principes de non-discrimination, d’égalité de traitement, de transparence, de proportionnalité et de reconnaissance mutuelle, que les marchés doivent être attribués74.
Au début de l’année 2011, la Commission Européenne a publié un livre vert sur la modernisation de la politique de l’Union Européenne en matière de marchés publics dont le but est d’aboutir, à terme, à une proposition législative sur la réforme des règles européennes en matière de marchés publics. Ceci a abouti à l’adoption de deux directives qui constituent actuellement les références absolues et l’exemple d’intégration le plus poussé en matière de passation de marchés publics par les États membres de l’Union européenne. Il s’agit des Directives « 2014/25/UE » et « 2014/25/UE » du 26 février 2014.