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Découvrez les aventures d’Amédée Airache à travers quatre-vingts anecdotes drôles et inspirantes. Entre les embûches du quotidien et les moments de gloire inattendus, plongez dans l’univers passionnant des ressources humaines. Ces récits, issus de la propre expérience de
Claude Fruchart et de témoignages authentiques, vous feront découvrir, sous un humour savoureux, le rôle essentiel du DRH. Vous comprendrez ainsi que son pouvoir de transformation et sa capacité à agir vont de pair avec un grand professionnalisme et la confiance de son patron.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Claude Fruchart, aujourd’hui consultant, a débuté comme professeur d’économie avant de se tourner rapidement vers les ressources humaines. Il en a exploré tous les aspects, de la formation aux relations sociales. Son objectif constant : construire des politiques sociales durables, bénéfiques pour l’entreprise et les salariés. Convaincu de l’importance de l’écriture pour transmettre, il partage désormais son expertise à travers ses écrits.
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Claude Fruchart
Les tribulations
d’Amédée Airache
Tranches de vie
© Lys Bleu Éditions – Claude Fruchart
ISBN : 979-10-422-2680-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
« Tu devrais en faire un bouquin ! »
C’est sur cette invitation que se termine un dîner entre amis au cours duquel la conversation m’a amené à raconter ma vie.
Réflexion faite, je me mets au travail.
Je fais lire mon premier jet à quelques personnes de confiance.
« Mais il n’y a pas de plan dans ton bouquin ! »
« Ben oui, c’est normal ! Ce livre raconte des tranches de vie d’un DRH. Certes, sur le papier, une journée de DRH a un plan, mais dans la vraie vie, un DRH passe fréquemment du coq à l’âne et voit défiler dans n’importe quel ordre des sujets aussi divers que variés. »
Les tranches de vie sont innombrables et j’ai dû en laisser sur le bord de la route.
Mais celles qui sont racontées ici l’ont été pour que les professionnels actuels et futurs de la fonction sachent :
Qu’il peut leur arriver des quantités de choses qu’ils n’ont jamais imaginées, que cela n’arrive pas qu’aux autres et qu’ils doivent donc être constamment dans l’anticipation.
Que cette fonction n’est pas la simple mise en œuvre de processus – même s’il est utile d’en avoir – et que lorsqu’ils auront fini d’écrire tous les processus possibles sur cette fonction, ils n’auront jamais fait que le quart du dixième de la moitié du commencement de leur métier.
Que cette fonction n’existe que par la qualité des relations que ses membres sont capables d’instaurer entre eux et avec les salariés de l’entreprise.
Que dans cette fonction qui consiste à s’occuper des autres, l’efficacité n’est au rendez-vous que si l’on aime un tant soit peu ces êtres humains que l’on appelle les autres.
Le Président me fait venir…
« Dites-moi, Amédée, cela fait longtemps que je réfléchis à l’opportunité d’avoir un représentant de la DRH dans le Comité “Due diligence”, lorsque nous projetons d’acheter une entreprise. Il se trouve que nous travaillons actuellement sur une opération de rachat d’une belle PME, la Société X… Le Comité Due Diligence au grand complet doit être reçu par la Direction générale de cette société la semaine prochaine et je souhaite que vous vous joigniez au groupe. Votre rôle, à l’instar de celui de vos collègues, est de jouer à “si j’étais le Président.”. Au retour de cette réunion, vous me direz ce que vous feriez si vous aviez la responsabilité de décider, en explicitant les raisons et les objectifs, et tout ça en me faisant une note écrite. »
« D’accord, Monsieur, j’y serai ».
À l’heure dite, nous nous retrouvons tous les dix au chevet de la PME en question. Pendant toute la matinée, chacun pose toutes les questions possibles sur sa partie, sauf moi. Vers la fin de la réunion, au vu de la documentation très fournie qui nous a été remise, je fais remarquer, quand arrive mon tour de prendre la parole, que je n’ai pas de questions particulières à poser, mais qu’en revanche, je souhaite visiter l’usine.
Ma demande ne déclenche pas un grand enthousiasme chez les dirigeants qui nous reçoivent, ni même curieusement, parmi mes collègues. Nous faisons malgré tout la visite, ce qui me permet de constater que la mariée n’est pas aussi belle que les chiffres le disent, et même que les dirigeants nous cachent un certain nombre de choses. Les réponses évasives en réunion ne résistent pas à l’examen de la réalité matérielle dans l’usine.
De retour à mon bureau, je fais ce que le Président m’a demandé, sans me concerter avec les autres membres du groupe. Je rédige mon rapport, une simple feuille recto verso, et je prends rendez-vous avec le Président pour lui expliciter mes choix de vive voix. Il me reçoit une petite demi-heure. Pour moi, c’est clair : le rachat n’est pas envisageable. Si nous achetons, nous récupérons certes de la technologie, des produits, des clients, des marchés, mais, en prime, nous héritons d’un tombereau d’emmerdements sociaux et environnementaux, qui à eux seuls font pencher la balance du mauvais côté. Ma recommandation va à l’encontre de celle de tous mes collègues enthousiasmés par leur visite de l’usine.
Je prends alors congé du Président pour retourner à mes affaires…
Quelques semaines plus tard, de passage au siège international du groupe, je croise le Président dans un couloir. Il m’arrête :
« Au fait, je ne vous l’ai pas encore dit : vous avez gagné ! »
« … ? … Gagné quoi, Monsieur ? »
« Je vous ai suivi : nous n’achetons pas la Société X… »
« Mais je croyais que tous les autres étaient favorables à l’achat de cette Société ! »
« C’est exact, ils étaient tous favorables, mais pas un n’a été capable de m’écrire une ligne sur le sujet. Vous êtes le seul à l’avoir fait. J’ai donc décidé de vous suivre. Tout ce que vos collègues se sont contentés de faire, c’est de passer la tête dans mon bureau et de me dire, en restant sur le pas de la porte, que c’était une bonne affaire et qu’il fallait que j’achète. »
Inutile de préciser que je ne me suis pas fait que des copains dans cette histoire. J’ai été littéralement pris à partie par les autres membres du groupe, fort mécontents de la décision du Président. Pour eux, je suis un traître doublé d’un incompétent : « C’est quoi cette boutique où l’on écoute que les RH ? » « Depuis quand ce sont les RH qui dirigent le business ? » etc.
La moutarde me monte au nez : « Eh, les gars, si c’était une si bonne affaire que ça, pourquoi n’avez-vous pas pondu une seule ligne sur le sujet ? Pourquoi ne vous êtes-vous pas mouillés ? »
***
Tu seras où tu as déjà été confronté à des opinions contraires aux tiennes. Retiens que la majorité ne fait pas loi. Sache aussi argumenter pour permettre aux autres de prendre position. L’idée n’est pas de gagner quoique ce soit, mais de poser des éléments tangibles d’aide à la décision. Les écrire et les signer est la preuve que tu assumes ta position. C’est aussi un signe de respect pour la personne qui, au final, tranchera sur la marche à suivre.
Aujourd’hui, grande journée de négociation au siège.
Au bureau depuis 7 heures, je profite du calme pour répéter les différents scénarios que j’ai imaginés.
Je passe en revue l’agenda de la journée avec ma précieuse assistante et mon fidèle bras droit, le Directeur des relations sociales.
Tout a été bien préparé et la journée se présente sous un jour favorable.
La réunion est prévue à 10 heures pour laisser le temps d’arriver à ceux qui viennent de loin.
Comme à mon habitude, j’arrive légèrement en avance dans la salle pour accueillir les participants. Mais cette fois-ci, je ne suis pas le premier… Deux personnes discutent. L’une fait face à la porte de la salle. L’autre est de dos.
De face, je reconnais le délégué de l’usine, René Boulanger. Je m’avance vers lui.
Mais je ne reconnais pas l’autre personne. De taille moyenne, sa silhouette est fine et de longs cheveux lui tombent sur les épaules.
« Bonjour Monsieur Boulanger, comment allez-vous ? Vous me présentez votre nouvelle collègue ? »
Et de lancer un « bonjour madame » au moment même où l’intéressée se retourne, arborant… une magnifique moustache ! Je reconnais aussitôt Antoine Durand, l’autre délégué de l’usine.
René Boulanger éclate de rire !
Antoine Durand, quant à lui, me serre la main froidement en me jetant un regard peu aimable…
« Je t’avais bien dit qu’un jour, avec ta tenue, on t’appellerait “Madame” ! le tacle son collègue qui se tourne ensuite vers moi : heureusement qu’il a décidé de se laisser pousser la moustache ! »
Nouvel éclat de rire…
Mais moi je ne ris pas du tout… pendant une fraction de seconde, j’ai disparu dans un trou noir… dont je ne suis ressorti que pour bredouiller quelques mots et me dérober au plus vite en allant saluer ceux qui étaient arrivés entretemps. Avec cette petite voix qui me répétait en boucle « mais quel con ! mais quel con ! »
3 choses pour vos prochaines salutations :
Attendez de voir les personnes de face avant vous adresser à elles ;
Ne prenez pas un air étonné si des personnes que vous connaissez décident de changer de style ;
Souvenez-vous, enfin, que l’habit ne fait pas le moine…
« Faites attention, ici c’est très spécial… Lorsque je suis arrivé il y a deux ans, la première personne que l’on m’a présentée après le Président Directeur général, est une certaine Madame Soubiroux, simple élue au Comité d’entreprise, mais personnage très important dans la Société. Vous verrez bien ! »
Tels sont les premiers mots, et les derniers, que mon prédécesseur me glisse discrètement au détour d’une conversation quand nous nous croisons le jour de mon arrivée et de son départ.
Le nouveau DRH que je suis se trouve donc prévenu. Et je ne vais pas tarder à comprendre ce que cela signifie.
Forte de son pouvoir, et comme nous n’avons pas été présentés l’un à l’autre, Madame Soubiroux entreprend immédiatement de savoir qui je suis et, l’après-midi même de mon arrivée, me convoque. Je dis bien « me convoque ».
Madame Soubiroux me téléphone. C’est mon assistante, Josette, qui décroche et me la passe :
« Il y a un problème dans le bureau de Mme X… je vous attends ». Et elle raccroche brutalement, coupant court à toute possibilité d’échange.
Quelque peu étonné face à un tel aplomb, je décide de ne pas bouger et d’attendre pour voir ce qui va se passer. Mais Madame Soubiroux est du genre tenace ! Elle insiste à plusieurs reprises, sans jamais préciser la nature du « problème » en question. Elle rappelle mon assistante, s’impatiente fortement auprès d’elle, au point que, sous la pression, Josette finit par passer la tête dans mon bureau :
« (la voix un peu tremblante) Vous n’y allez pas, Monsieur ? Lucette vous attend – enfin… Madame Soubiroux – Vous ne le savez peut-être pas, mais en pareille circonstance, vos prédécesseurs se sont tous dérangés. Comme vous êtes nouveau dans l’entreprise, ce serait bien que vous y alliez, vous aussi. »
« Mais enfin, Josette, c’est qui la Direction ? Dites-lui que si elle veut me voir, elle n’a qu’à venir jusqu’à mon bureau ».
Josette referme la porte et nous laisse, moi et ma perplexité.
Dans quelle galère suis-je tombé ? Qui donc est cette fameuse Madame Soubiroux que je ne connais pas encore ? Mais je reste ferme sur ma position : si Madame Soubiroux a quelque chose de vraiment important à me dire, elle finira bien par se déplacer en personne.
Effectivement, au bout d’un quart d’heure, j’entends tambouriner à ma porte :
« Entrez ! »
« (restant sur le pas de la porte et d’une voix forte pour que toute mon équipe entende) : On voit que vous êtes nouveau ici, il va falloir que vous appreniez comment on fonctionne » !
« Bonjour Madame… »
« … Mademoiselle… »
« Bonjour Mademoiselle, asseyez-vous, je vous en prie. Nous ne nous connaissons pas encore, je me présente : je suis Amédée Airache, le nouveau Directeur des Ressources humaines. »
Et là – surprise – elle est prise au dépourvu.
Forte de sa méthode d’approche, qui, il faut bien le dire, fonctionne à merveille depuis plus de vingt ans, elle n’a pas imaginé un instant que je puisse esquiver complètement son attaque.
Nous n’échangeons alors que quelques banalités, brièvement, puis elle se lève et part sans dire un mot.
Josette arrive tout de suite dans mon bureau et essaie de savoir ce qui s’est passé. Je lui explique que je n’ai pas agrippé la perche de la polémique que Madame Soubiroux me tendait, et que ses menaces se sont très vite évaporées…
« Certes, mais c’était quoi le problème dans le bureau de Mme X… ? »
« Bonne question… mais je n’en sais rien, nous n’en avons même pas parlé ! »
***
Problème or not problème ? That is the question…
« Pourquoi tu t’em… comme ça ? Tu te fais ch… pour rien, ça n’en vaut pas la peine… »
Tels sont les encouragements que je reçois chaque année de certains collègues à l’époque sensible de la révision des salaires. Au passage, pour que ce soit bien clair, la signature des lettres d’augmentation, de prime et autres promotions ne désigne pas la personne qui a pris la décision (ego, quand tu nous tiens) mais exprime l’authentification de cette décision par la Société.
Le manager peut évidemment y ajouter sa signature.
Fermer la parenthèse…
Donc, alors que d’aucuns me conseillent de recourir à un simple coup de tampon, voire rien du tout, sûrs que cela suffit amplement et que de toute façon, ce qui intéresse les salariés, ce n’est pas la signature, c’est ce qui est au-dessus, je sens intuitivement que ce n’est pas du temps perdu.
J’applique en fait le vieil adage : « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux, vous aussi ».
Et c’est vrai que moi-même tout au long de ma carrière, j’ai pu me faire une idée précise de mes différents patrons sur ce simple exercice de signature de ma lettre d’augmentation. J’ai personnellement plus d’estime pour ceux qui se sont donné la peine de me remettre un original signé !
Je continue donc ce que considère être une « bonne pratique ».
Et un jour… au début d’une réunion des délégués du personnel, une voix se lève.
« Je voulais vous remercier pour ma lettre d’augmentation. »
« C’est vous qu’il faut remercier, vous ne la devez qu’à votre mérite. »
« Oui, mais ce que je voulais vous dire, c’est que la lettre, c’est un original, signé par vous, avec une vraie signature, à l’encre bleue. »
« Oui, effectivement… mais ça me paraît normal, non ? »
« Vous les signez vraiment toutes ? »
« Oui, je les signe toutes. »
« Mais ça doit vous faire un sacré boulot ? »
« Oui, c’est vrai, mais je ne fais que mon travail. À mes yeux, il est important que chaque salarié sache que son augmentation, résultat d’une décision prise par sa hiérarchie, est authentifiée par la direction de l’entreprise. C’est ce que représente ma signature. »
« Vous savez, pour nous, c’est chouette d’avoir une lettre originale signée, parce qu’on peut la montrer à la maison, et quand je l’ai fait, ma femme et mes enfants n’en revenaient pas ». Ma femme m’a même dit « c’est une vraie lettre, un original signé… ben mon vieux, dans ta boîte, on vous respecte. »
Je travaille sur un projet de note d’information destiné aux 5000 salariés de l’entreprise. C’est un exercice délicat, parce qu’il faut s’assurer que le texte sera compris de la même manière par tous.
Pour parvenir à la meilleure rédaction possible, je pratique la méthode du « candide », qui consiste à faire relire la dernière version par une personne qui ne connaît rien au sujet. Après une seule lecture, elle doit me dire ce qu’elle a compris et ce qu’elle a retenu.
Il s’agit en l’espèce d’une information concernant les résultats de la répartition de la réserve spéciale de participation, sujet sensible à cette époque-là dans l’entreprise.
Je viens de finir de mettre au point la quatrième version et je m’apprête à me mettre en quête de mon candide.
Je me dirige vers le grand bureau du service RH, où l’on reçoit habituellement le personnel quand j’aperçois une assistante commerciale que je connais un peu :
« Bonjour Madame Martin, vous tombez à pic ! Pouvez-vous venir dans mon bureau, j’ai quelque chose à vous demander. »
« Bonjour Monsieur… euh… moi ? »
« Oui, vous ! J’ai besoin de votre avis sur la note d’information que je prépare sur la répartition de la participation. »
« Moi, mais je n’y connais rien, je ne suis pas au courant… »
« Justement, c’est ça qui m’intéresse. »
Nous entrons dans mon bureau…
« Voici le texte d’une note d’information qui doit être diffusée à l’ensemble du personnel. Je souhaiterais que vous la lisiez et que vous me disiez ensuite ce que vous avez compris et ce que vous avez retenu. »
« Mais je ne vais pas savoir vous donner la bonne réponse. »
« Il n’y a pas de bonne réponse. Dans ce genre d’exercice, la bonne réponse, ce sera la vôtre !
« Ah ! … »
« Vous lisez le texte, puis vous retournez la feuille et vous me dites ce que vous avez compris et ce que vous en retenez. »
Madame Martin se met à lire, un texte pas très long qui tient facilement sur une feuille, recto simple. Elle retourne ensuite la feuille et me dit ce qu’elle a compris et ce qu’elle en a retenu. Ce faisant, elle me regarde et devine à ma moue qu’il y a un truc qui ne va pas…
« Ce n’est pas ça ? Je me suis trompée ? Je n’ai pas bien compris ? »
« Au contraire, vous venez de nous rendre un immense service ! »
« … ? ! ? ! ? … »
« Ce que vous avez compris n’est pas ce que je veux dire… c’est donc qu’il y a quelque chose qui cloche dans ce texte… relisons-le et arrêtons-nous à chaque phrase pour faire le point. »
« Comme ça, on va vite voir où ça diverge… »
Nous arrivons aux deux tiers du texte…
« À ce stade, voici ce que je veux dire… »
« Ah ? Parce que moi, ce n’est pas ce que je comprends. »
Nous décortiquons la phrase et tombons sur le verbe fatal, dont l’ambiguïté ne m’était pas apparue, et qui pouvait faire partir le sens dans deux directions opposées.
« Heureusement que je vous ai demandé votre avis… parce que, jusqu’ici, tous ceux qui ont travaillé sur ce texte l’ont compris de la même manière ! »
« Pourquoi ne pas utiliser le verbe »… « qui éviterait cette ambiguïté ? »
« Très bonne idée. »
Nous corrigeons le texte, le faisons relire par l’équipe RH qui trouve la correction très pertinente.
Nous l’avions échappé belle…
« J’ai l’impression que c’est terminé. Vous m’excusez, mais il faut que j’y aille, je dois avoir déjà beaucoup de messages sur mon répondeur ! »
« Un grand merci pour votre contribution. Comme quoi la méthode du candide a du bon ! »
« La méthode du “candide” ? »
« En vous demandant votre avis sur le projet de texte, je vous faisais jouer, comme à d’autres avant vous, le rôle du “candide”, c’est-à-dire de la personne qui ne connaît pas le sujet, et à qui nous demandons son avis. »
« Parce que vous travaillez toujours comme ça ? »
« Oui, bien sûr ; si nous nous adressons aux salariés, c’est pour être compris ! »
« Eh bien, vous, au moins, vous nous respectez… »
Les raccourcis de langage, s’ils sont commodes pour les professionnels, engendrent parfois des confusions.
C’est ainsi que je découvre, en prenant mes nouvelles fonctions, que mon équipe RH parle de « droits à maladie » !
Cette expression me choque : a-t-on le « droit » d’être malade ?
J’organise rapidement une réunion de travail avec l’équipe pour traiter ce sujet.
Je découvre, agréable surprise, qu’il n’y a pas la moindre ambiguïté dans leur tête : nul n’avait le « droit » d’être malade ! Ce raccourci de langage désigne simplement le « nombre maximum de jours pendant lesquels un salarié, en arrêt de travail pour maladie, peut être rémunéré à taux plein ». Et ce nombre de jours est de 45.
L’expression étant un peu longue pour être utilisée au quotidien, un raccourci de langage est né.
Mais ce raccourci va provoquer, à son insu, lentement mais sûrement, une dérive dans la signification de l’idée de base. C’est ainsi que, lorsqu’un salarié vient demander combien il lui reste de « droits à maladie », on lui fait le calcul suivant :
Un peu comme on calcule un nombre de jours de congés ou de RTT restant à prendre !
Les plus filous s’engouffrent dans la brèche et en viennent à considérer que ces jours sont des droits acquis.
Pour commencer à changer les mentalités, je demande à mon équipe de répondre désormais « 0 » aux salariés qui font la demande de leur nombre de jours de maladie restant… à prendre…
À l’appui de cette réponse, je leur rappelle l’argument de bon sens qui a été englouti par les années : « nul n’a le droit d’être malade ! Chacun peut être malade, mais la maladie n’est pas un droit » !
Il ne me reste plus qu’à attendre les réactions, qui ne tardent pas à venir.
Elles se manifestèrent sous la forme d’une question posée par les délégués du personnel, reprise dans l’ordre du jour du Comité d’Établissement, et avec copie à l’Inspecteur du travail ! La grosse artillerie…
Mais artillerie ou pas, le bon sens s’impose. Je confirme que les règles de la Convention collective continuent de s’appliquer normalement, que le nombre maximum de jours pendant lesquels un salarié, en arrêt de travail pour maladie, peut être rémunéré à taux plein, est inchangé.
Les représentants du personnel et l’inspecteur du travail doivent se rendre à l’évidence…
Épilogue
Cette remise à l’heure des pendules a eu un effet intéressant : le nombre de salariés venant demander leur nombre de jours de « droits à maladie » a fortement diminué, et l’absentéisme avec lui…
Mais chaque situation a ses irréductibles… et celui dont nous allons parler entendait continuer à consommer, envers et contre tout, ses « 45 jours de droits à maladie », lesquels venaient s’ajouter aux « droits réels » dont il bénéficiait par ailleurs, soit 25 jours de congé principaux, 3 jours de congé d’ancienneté, 12 jours de RTT et 2 jours au titre des jours fériés tombant en fin de semaine. Si vous faites l’enveloppe de tous ces jours, vous arrivez à un total respectable qui vous donne un temps significatif pour pratiquer votre sport favori : le vélo…
À suivre…
Je l’aime bien, le beau Serge. La cinquantaine fringante, silhouette élancée, toujours souriant. Bref, un cycliste sympa. Car Serge est un amoureux de la petite reine, et quand il n’est pas au local syndical, il passe le plus clair de son temps sur son vélo.
Son chef l’aperçoit de temps en temps au boulot, derrière son ordinateur, en train d’essayer d’exercer sa fonction de Technicien de bureau d’étude, hélas, sans beaucoup de succès ni de motivation…
Et justement, ce matin-là, le mercredi 2 mai 2012, Serge croise son chef au bureau. Ils parlent de la pluie et du beau temps, et Serge s’éclipse assez vite. Son chef lui trouve une allure enjouée, un air guilleret, et un peu plus tard dans la journée, il m’appelle pour me faire part de ses impressions :
« Je suis prêt à parier que Serge va nous faire bientôt une grosse maladie, genre 3 semaines d’arrêt. »
« Vous avez lu ça dans une boule cristal ou dans du marc de café ? »
« Ni l’un ni l’autre… J’ai laissé traîner mes oreilles et j’ai appris que Serge se répand depuis quelques jours auprès de ses collègues sur les fourmis qu’il a dans les jambes et sur son envie, avec le retour des beaux jours, d’aller dans sa famille, en Corrèze, pour relancer sa saison cycliste. »
« Il y aurait du vélo dans l’air ? »
« Probablement, étant donnée son allure enjouée ce matin… Seulement, il n’a posé aucune demande de congé, et de toute façon, il ne lui reste que 3 jours à prendre d’ici la fin de la période. Il va donc nous refaire le coup de l’arrêt de travail. »
« Aie… »
« Je sais que l’on ne peut pas faire grand-chose dans ce genre de circonstances, mais je voulais vous tenir au courant, des fois que vous ayez besoin de lui pour ses activités syndicales. »
« De ce côté-là, pour ce qui le concerne, ce sera calme. Le prochain CE est à la fin du mois, le mardi 29 mai. »
Il connaît bien son gars, le chef ! Car dès le lundi 7 mai, nous recevons un arrêt de travail de 3 semaines. Comme le lundi 28 est férié, nous ne le reverrons que le jour du CE, mardi 29 mai.
Comme à chaque début de CE, je fais le tour de tous les participants pour les saluer et échanger quelques mots. Arrive le tour de Serge… il a une mine resplendissante, bronzé comme à un retour de vacances.
« Bonjour Monsieur Vital, comment allez-vous ? »
« Très bien, pourquoi cette question ? »
« J’ai appris que vous aviez été arrêté 3 semaines, ce n’est pas rien, surtout pour un arrêt initial… J’espère qu’il ne vous est rien arrivé de grave ! Nous nous sommes inquiétés pour vous… Enfin, bon, vous êtes là ce matin et en pleine forme, c’est le principal… »
Le CE démarre. Et pour une fois, Serge reste muet… le comble pour un garçon qui avait tendance à monopoliser la parole, au point que je n’ai pas résisté à la tentation :
« On ne vous entend pas, ce matin, Monsieur Vital, vous êtes sûr que vous allez bien ? Mais il vous faut peut-être un temps de réadaptation à la vie parisienne… »
L’histoire aurait pu rester confinée aux membres du CE, mais non.
Les collègues sont parfois méchants, vous savez…
Si vous êtes tenté de faire le même coup, soyez discret au moment de votre départ et puis, surtout, évitez de vous exposer au soleil… c’est mauvais pour la santé !
Il n’y a que du beau monde à cette réunion : le Président, le Directeur général, et tout plein de grands chefs. Il faut dire que le patron de la plus grosse « business unit » présente un projet à plus de 20 millions d’Euros, projet sur lequel il va falloir trancher vite parce qu’il faut garder de l’avance sur les concurrents. C’est en tout cas comme ça qu’il nous est annoncé.
Le discours de Laurent, le chef qui parle, est bien ficelé. Laurent est le genre de garçon qui vous donne le sentiment d’être plus intelligent une fois que vous l’avez écouté.
Pourtant, là, il y a comme une petite hésitation chez les participants… une hésitation à 20 millions d’Euros quand même !
Le Président ouvre le bal des questions et tous les participants à la réunion le suivent. Le projet présenté est séduisant, mais chacun sent bien qu’il y a quelque chose qui cloche dans l’argumentation. Présentée comme une évidence, la question industrielle s’avère en fait poser de gros problèmes, et c’est toute la rentabilité espérée du projet qui se trouve remise en cause.
Mais Laurent tient à son projet. Et comme c’est un grand affectif, il fait glisser l’argumentaire sur sa personne. Au fond, tout le monde l’aime bien, Laurent, et il le sait. Il espère donc emporter le morceau en déplaçant le fond du projet sur le terrain émotionnel et sur celui de la confiance.
Tout le monde est un peu gêné autour de la table. À la fois, personne ne veut lui faire de peine, et en même temps, on voudrait en savoir un peu plus avant de décider de sortir 20 millions d’Euros !
Laurent le sent bien et fait monter la pression :
« Je ne vois pas ce qui vous arrête. J’ai répondu à toutes les questions… Vous n’avez pas confiance… »
Nous nous regardons, sentant que ça peut déraper…
Laurent en rajoute sur le ton de la colère et de l’indignation…
« Oui, c’est ça, vous ne me faites pas confiance ! Après tout ce que j’ai fait pour cette maison, c’est honteux. Mais si vous n’avez pas confiance, si je suis aussi nul que ça, ayez un peu de courage, allez jusqu’au bout, virez-moi ! »
Une atmosphère de plus en plus pesante règne autour de la table…
S’engouffrant dans le silence, Laurent commence à faire un tour de table du regard, fixant chaque participant dans les yeux, et posant de plus en plus fort la question de confiance : « si je suis aussi nul que ça, virez-moi ». Le tour de table dure une éternité… chacun se tait et se demande comment tout ça va se terminer.
Alors que personne n’a encore rien dit, il s’arrête sur moi et me fixe avec provocation. Je connais Laurent depuis 20 ans, je connais ses colères… et je me dis qu’il faut faire tomber la pression. Pendant qu’il me fixe, il me vient une idée… je le fixe à mon tour et lui dis : « chiche ? »
Brutalement, il devient blême. Sans dire un mot, dans un silence pesant, il rassemble ses dossiers, prend son ordinateur et part en claquant la porte… Un ange passe… Nous nous regardons sans rien dire. Le Président me regarde en souriant. Le Directeur général, un vieux copain de Laurent, me glisse « vous avez peut-être été un peu dur ? », à quoi je réponds avec un clin d’œil « c’est lui qui a commencé »…
Manifestement, chacun est soulagé que la réunion soit terminée et le projet renvoyé à des jours meilleurs. Le sourire du Président me dit qu’il est satisfait que cela se soit terminé sur une pirouette plutôt que sur une escalade incontrôlable… En quittant la salle, le Directeur industriel me dit « c’est vrai qu’il est chiant avec ses colères » et le Directeur financier d’ajouter « on ne peut quand même pas sortir 20 millions d’euros juste pour ne plus l’entendre brailler ».
Certes… mais en attendant, c’est moi qui l’ai ouverte !
C’est parfois ça aussi le rôle du DRH d’avoir le mauvais rôle.
« Venez voir par ici, Amédée, j’ai quelque chose à vous demander. »
« Oui, Monsieur le Président. »
« Je suis obligé de vivre ici, loin des équipes et des patrons opérationnels. Cela comporte bien quelques avantages pour les relations avec notre actionnaire, mais ce n’est pas sans inconvénient sur le management de l’entreprise. Je voudrais que vous me surveilliez les patrons d’activités, pour qu’ils ne fassent pas leur cuisine dans leur coin, c’est-à-dire dans mon dos. »
« Vous pouvez compter sur moi, Monsieur. »
De retour à mon bureau, au siège opérationnel, je me sens à la fois conforté dans ma fonction et soutenu par mon patron, mais la mission qu’il me confie ressemble à s’y méprendre à un bâton merdeux… en gros : « à toi de jouer avec ton pouvoir d’influence puisque tu n’as pas le pouvoir hiérarchique. »
Merci Patron !
Même si elle est délicate, je trouve vite la mission intéressante. Les patrons opérationnels ne sont pas informés de ma mission et ils ne ratent pas une occasion de réagir fortement chaque fois qu’ils m’aperçoivent dans leur champ de vision, apparition synonyme d’intrusion dans leurs affaires.
La vie quotidienne s’écoule sans que personne ne sache jamais rien de la mission qui m’est confiée. Me savoir « assuré » par en haut me donne une tranquillité d’esprit tout à fait appréciable et me permet, en bon nombre d’occasions, de remettre certains projets sur les rails, sans craindre pour ma survie…
Mais les « barons » n’apprécient pas de me trouver sur leur chemin, et de mettre à l’épreuve leur pouvoir de décision. Cela me vaut quelques entretiens musclés, mais au final rien de grave, et cela reste « entre nous ».
Jusqu’au jour où…
L’un des barons ne l’entend pas de cette oreille et va se plaindre directement auprès du Président. C’est ainsi que quelques jours plus tard, au sortir d’une réunion, ce dernier me lance d’un air amusé :
« Tiens, Amédée, on m’a demandé votre tête ce matin… »
« Ma tête… ? »
« Oui, votre tête ! »
« Elle tient bien, Monsieur ? »
« À propos de ce que je vous ai demandé… Eh bien sachez qu’il y en a certains à qui cela ne plaît pas du tout, mais alors pas du tout… Mais c’est bien. Continuez à effectuer votre travail. »
Il était mince, il était beau,
Il sentait bon le sable chaud,
Le manager.
Il avait de grands yeux très clairs,
Où parfois passaient des éclairs,
Le manager.
La tête un peu dans les nuages,
C’était un homme dans le bel âge,
Le manager.
Mais je ne l’ai jamais compris,
Il cultivait trop le mépris,
Le manager.
Sur son cœur, on lisait « personne »
Sur son bras un seul mot « bastonne »
Le manager.
Adaptation de la chanson mon légionnaire d’Edith Piaf