Louis Lambert - Honoré de Balzac - E-Book

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Honore de Balzac

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Beschreibung

Le roman, écrit à la première personne, décrit la rencontre du narrateur avec un jeune homme surdoué, étudiant au collège des oratoriens de Vendôme grâce à la protection de Madame de Staël. Absorbé par ses études personnelles, Louis reste à l'écart des autres, il est souvent l'objet de railleries et de brimades.

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Louis Lambert

Honoré de BalzacPage de copyright

Honoré de Balzac

(1799-1850)

Études philosophiques

Louis Lambert

En 1845, Balzac décida de réunir toute son œuvre sous le titre : La Comédie Humaine, titre qu’il emprunta peut-être à Vigny...

En 1845, quatre-vingt-sept ouvrages étaient finis sur quatre-vingt-onze, et Balzac croyait bien achever ce qui restait en cours d’exécution. Lorsqu’il mourut, on retrouva encore cinquante projets et ébauches plus ou moins avancés. « Vous ne figurez pas ce que c’est que La Comédie Humaine ; c’est plus vaste littérairement parlant que la cathédrale de Bourges architecturalement », écrit-il à Mme Carreaud.

Dans l’Avant-Propos de la gigantesque édition, Balzac définit son œuvre : La Comédie Humaine est la peinture de la société.

Expliquez-moi... Balzac.

Dédicace

Et nunc et semper dilectae dicatum.

Louis Lambert naquit, en 1797, à Montoire, petite ville du Vendômois, où son père exploitait une tannerie de médiocre importance et comptait faire de lui son successeur ; mais les dispositions qu’il manifesta prématurément pour l’étude modifièrent l’arrêt paternel. D’ailleurs le tanneur et sa femme chérissaient Louis comme on chérit un fils unique et ne le contrariaient en rien. L’Ancien et le Nouveau Testament étaient tombés entre les mains de Louis à l’âge de cinq ans ; et ce livre, où sont contenus tant de livres, avait décidé de sa destinée. Cette enfantine imagination comprit-elle déjà la mystérieuse profondeur des Écritures, pouvait-elle déjà suivre l’Esprit-Saint dans son vol à travers les mondes, s’éprit-elle seulement des romanesques attraits qui abondent en ces poèmes tout orientaux ; ou, dans sa première innocence, cette âme sympathisa-t-elle avec le sublime religieux que des mains divines ont épanché dans ce livre ! Pour quelques lecteurs, notre récit résoudra ces questions. Un fait résulta de cette première lecture de la Bible : Louis allait par tout Montoire, y quêtant des livres qu’il obtenait à la faveur de ces séductions dont le secret n’appartient qu’aux enfants, et auxquelles personne ne sait résister. En se livrant à ces études, dont le cours n’était dirigé par personne, il atteignit sa dixième année. À cette époque, les remplaçants étaient rares ; déjà plusieurs familles riches les retenaient d’avance pour n’en pas manquer au moment du tirage. Le peu de fortune des pauvres tanneurs ne leur permettant pas d’acheter un homme à leur fils, ils trouvèrent dans l’état ecclésiastique le seul moyen que leur laissât la loi de le sauver de la conscription, et ils l’envoyèrent, en 1807, chez son oncle maternel, curé de Mer, autre petite ville située sur la Loire, près de Blois. Ce parti satisfaisait tout à la fois la passion de Louis pour la science et le désir qu’avaient ses parents de ne point l’exposer aux hasards de la guerre. Ses goûts studieux et sa précoce intelligence donnaient d’ailleurs l’espoir de lui voir faire une grande fortune dans l’Église. Après être resté pendant environ trois ans chez son oncle, vieil oratorien assez instruit, Louis en sortit au commencement de 1811 pour entrer au collège de Vendôme, où il fut mis et entretenu aux frais de madame de Staël.

Lambert dut la protection de cette femme célèbre au hasard ou sans doute à la Providence qui sait toujours aplanir les voies au génie délaissé. Mais pour nous, de qui les regards s’arrêtent à la superficie des choses humaines, ces vicissitudes, dont tant d’exemples nous sont offerts dans la vie des grands hommes, ne semblent être que le résultat d’un phénomène tout physique ; et, pour la plupart des biographes, la tête d’un homme de génie tranche sur une masse de figures enfantines comme une belle plante qui par son éclat attire dans les champs les yeux du botaniste. Cette comparaison pourrait s’appliquer à l’aventure de Louis Lambert : il venait ordinairement passer dans la maison paternelle le temps que son oncle lui accordait pour ses vacances ; mais au lieu de s’y livrer, selon l’habitude des écoliers, aux douceurs de ce bon farniente qui nous affriole à tout âge, il emportait dès le matin du pain et des livres ; puis il allait lire et méditer au fond des bois pour se dérober aux remontrances de sa mère, à laquelle de si constantes études paraissaient dangereuses. Admirable instinct de mère ! Dès ce temps, la lecture était devenue chez Louis une espèce de faim que rien ne pouvait assouvir : il dévorait des livres de tout genre, et se repaissait indistinctement d’œuvres religieuses, d’histoire, de philosophie et de physique. Il m’a dit avoir éprouvé d’incroyables délices en lisant des dictionnaires, à défaut d’autres ouvrages, et je l’ai cru volontiers. Quel écolier n’a maintes fois trouvé du plaisir à chercher le sens probable d’un substantif inconnu ? L’analyse d’un mot, sa physionomie, son histoire étaient pour Lambert l’occasion d’une longue rêverie. Mais ce n’était pas la rêverie instinctive par laquelle un enfant s’habitue aux phénomènes de la vie, s’enhardit aux perceptions ou morales ou physiques ; culture involontaire, qui plus tard porte ses fruits et dans l’entendement et dans le caractère ; non, Louis embrassait les faits, il les expliquait après en avoir recherché tout à la fois le principe et la fin avec une perspicacité de sauvage. Aussi, par un de ces jeux effrayants auxquels se plaît parfois la Nature, et qui prouvait l’anomalie de son existence, pouvait-il dès l’âge de quatorze ans émettre facilement des idées dont la profondeur ne m’a été révélée que longtemps après.

– Souvent, me dit-il, en parlant de ses lectures, j’ai accompli de délicieux voyages, embarqué sur un mot dans les abîmes du passé, comme l’insecte qui flotte au gré d’un fleuve sur quelque brin d’herbe. Parti de la Grèce, j’arrivais à Rome et traversais l’étendue des âges modernes. Quel beau livre ne composerait-on pas en racontant la vie et les aventures d’un mot ? sans doute il a reçu diverses impressions des événements auxquels il a servi ; selon les lieux il a réveillé des idées différentes ; mais n’est-il pas plus grand encore à considérer sous le triple aspect de l’âme, du corps et du mouvement ? À le regarder, abstraction faite de ses fonctions, de ses effets et de ses actes, n’y a-t-il pas de quoi tomber dans un océan de réflexions ? La plupart des mots ne sont-ils pas teints de l’idée qu’ils représentent extérieurement ? à quel génie sont-ils dus ! S’il faut une grande intelligence pour créer un mot, quel âge a donc la parole humaine ? L’assemblage des lettres, leurs formes, la figure qu’elles donnent à un mot, dessinent exactement, suivant le caractère de chaque peuple, des êtres inconnus dont le souvenir est en nous. Qui nous expliquera philosophiquement la transition de la sensation à la pensée, de la pensée au verbe, du verbe à son expression hiéroglyphique, des hiéroglyphes à l’alphabet, de l’alphabet à l’éloquence écrite, dont la beauté réside dans une suite d’images classées par les rhéteurs, et qui sont comme les hiéroglyphes de la pensée ? L’antique peinture des idées humaines configurées par les formes zoologiques n’aurait-elle pas déterminé les premiers signes dont s’est servi l’Orient pour écrire ses langages ? Puis n’aurait-elle pas traditionnellement laissé quelques vestiges dans nos langues modernes, qui toutes se sont partagé les débris du verbe primitif des nations, verbe majestueux et solennel, dont la majesté, dont la solennité décroissent à mesure que vieillissent les sociétés ; dont les retentissements si sonores dans la Bible hébraïque, si beaux encore dans la Grèce, s’affaiblissent à travers les progrès de nos civilisations successives ? Est-ce à cet ancien Esprit que nous devons les mystères enfouis dans toute parole humaine ? N’existe-t-il pas dans le mot vrai une sorte de rectitude fantastique ? ne se trouve-t-il pas dans le son bref qu’il exige une vague image de la chaste nudité, de la simplicité du vrai en toute chose ? Celte syllabe respire je ne sais quelle fraîcheur. J’ai pris pour exemple la formule d’une idée abstraite, ne voulant pas expliquer le problème par un mot qui le rendît trop facile à comprendre, comme celui de vol, où tout parle aux sens. N’en est-il pas ainsi de chaque verbe ? tous sont empreints d’un vivant pouvoir qu’ils tiennent de l’âme, et qu’ils lui restituent par les mystères d’une action et d’une réaction merveilleuse entre la parole et la pensée. Ne dirait-on pas d’un amant qui puise sur les lèvres de sa maîtresse autant d’amour qu’il en communique ? Par leur seule physionomie, les mots raniment dans notre cerveau les créatures auxquelles ils servent de vêtement. Semblables à tous les êtres, ils n’ont qu’une place où leurs propriétés puissent pleinement agir et se développer. Mais ce sujet comporte peut-être une science tout entière ! Et il haussait les épaules comme pour me dire : Nous sommes et trop grands et trop petits !

La passion de Louis pour la lecture avait été d’ailleurs fort bien servie. Le curé de Mer possédait environ deux à trois mille volumes. Ce trésor provenait des pillages faits pendant la révolution dans les abbayes et les châteaux voisins. En sa qualité de prêtre assermenté, le bonhomme avait pu choisir les meilleurs ouvrages parmi les collections précieuses qui furent alors vendues au poids. En trois ans, Louis Lambert s’était assimilé la substance des livres qui, dans la bibliothèque de son oncle, méritaient d’être lus. L’absorption des idées par la lecture était devenue chez lui un phénomène curieux ; son œil embrassait sept à huit lignes d’un coup, et son esprit en appréciait le sens avec une vélocité pareille à celle de son regard ; souvent même un mot dans la phrase suffisait pour lui en faire saisir le suc. Sa mémoire était prodigieuse. Il se souvenait avec une même fidélité des pensées acquises par la lecture et de celles que la réflexion ou la conversation lui avaient suggérées. Enfin il possédait toutes les mémoires : celles des lieux, des noms, des mois, des choses et des figures. Non seulement il se rappelait les objets à volonté ; mais encore il les revoyait en lui-même situés, éclairés, colorés comme ils l’étaient au moment où il les avait aperçus. Cette puissance s’appliquait également aux actes les plus insaisissables de l’entendement. Il se souvenait, suivant son expression, non seulement du gisement des pensées dans le livre où il les avait prises, mais encore des dispositions de son âme à des époques éloignées. Par un privilège inouï, sa mémoire pouvait donc lui retracer les progrès et la vie entière de son esprit, depuis l’idée la plus anciennement acquise jusqu’à la dernière éclose, depuis la plus confuse jusqu’à la plus lucide. Son cerveau, habitué jeune encore au difficile mécanisme de la concentration des forces humaines, tirait de ce riche dépôt une foule d’images admirables de réalité, de fraîcheur, desquelles il se nourrissait pendant la durée de ses limpides contemplations.

– Quand je le veux, me disait-il dans son langage auquel les trésors du souvenir communiquaient une hâtive originalité, je tire un voile sur mes yeux. Soudain je rentre en moi-même, et j’y trouve une chambre noire où les accidents de la nature viennent se reproduire sous une forme plus pure que la forme sous laquelle ils sont d’abord apparus à mes sens extérieurs.

À l’âge de douze ans, son imagination, stimulée par le perpétuel exercice de ses facultés, s’était développée au point de lui permettre d’avoir des notions si exactes sur les choses qu’il percevait par la lecture seulement, que l’image imprimée dans son âme n’en eût pas été plus vive s’il les avait réellement vues ; soit qu’il procédât par analogie, soit qu’il fût doué d’une espèce de seconde vue par laquelle il embrassait la nature.

– En lisant le récit de la bataille d’Austerlitz, me dit-il un jour, j’en ai vu tous les incidents. Les volées de canon, les cris des combattants retentissaient à mes oreilles et m’agitaient les entrailles ; je sentais la poudre, j’entendais le bruit des chevaux et la voix des hommes ; j’admirais la plaine où se heurtaient des nations armées, comme si j’eusse été sur la hauteur du Santon. Ce spectacle me semblait effrayant comme une page de l’Apocalypse.

Quand il employait ainsi toutes ses forces dans une lecture, il perdait en quelque sorte la conscience de sa vie physique, et n’existait plus que par le jeu tout-puissant de ses organes intérieurs dont la portée s’était démesurément étendue : il laissait, suivant son expression, l’espace derrière lui. Mais je ne veux pas anticiper sur les phases intellectuelles de sa vie. Malgré moi déjà, je viens d’intervertir l’ordre dans lequel je dois dérouler l’histoire de cet homme qui transporta toute son action dans sa pensée, comme d’autres placent toute leur vie dans l’action.

Un grand penchant l’entraînait vers les ouvrages mystiques. – Abyssus abyssum, me disait-il. Notre esprit est un abîme qui se plaît dans les abîmes. Enfants, hommes, vieillards, nous sommes toujours friands de mystères, sous quelque forme qu’ils se présentent. Cette prédilection lui fut fatale, s’il est permis toutefois de juger sa vie selon les lois ordinaires, et de toiser le bonheur d’autrui avec la mesure du nôtre, ou d’après les préjugés sociaux. Ce goût pour les choses du ciel, autre locution qu’il employait souvent, ce mens divinior était dû peut-être à l’influence exercée sur son esprit par les premiers livres qu’il lut chez son oncle. Sainte Thérèse et madame Guyon lui continuèrent la Bible, eurent les prémices de son adulte intelligence, et l’habituèrent à ces vives réactions de l’âme dont l’extase est à la fois et le moyen et le résultat. Cette étude, ce goût élevèrent son cœur, le purifièrent, l’ennoblirent, lui donnèrent appétit de la nature divine, et l’instruisirent des délicatesses presque féminines qui sont instinctives chez les grands hommes : peut-être leur sublime n’est-il que le besoin de dévouement qui distingue la femme, mais transporté dans les grandes choses. Grâce à ces premières impressions, Louis resta pur au collège. Cette noble virginité de sens eut nécessairement pour effet d’enrichir la chaleur de son sang et d’agrandir les facultés de sa pensée.

La baronne de Staël, bannie à quarante lieues de Paris, vint passer plusieurs mois de son exil dans une terre située près de Vendôme. Un jour, en se promenant, elle rencontra sur la lisière du parc l’enfant du tanneur presque en haillons, absorbé par un livre. Ce livre était une traduction du Ciel et de l’Enfer. À cette époque, MM. Saint-Martin, de Gence et quelques autres écrivains français, à moitié allemands, étaient presque les seules personnes qui, dans l’empire français, connussent le nom de Swedenborg. Étonnée, madame de Staël prit le livre avec cette brusquerie qu’elle affectait de mettre dans ses interrogations, ses regards et ses gestes ; puis, lançant un coup d’œil à Lambert : – Est-ce que tu comprends cela ? lui dit-elle.

– Priez vous Dieu ? demanda l’enfant.

– Mais... Oui.

– Et le comprenez-vous ?

La baronne resta muette pendant un moment ; puis elle s’assit auprès de Lambert, et se mit à causer avec lui. Malheureusement ma mémoire, quoique fort étendue, est loin d’être aussi fidèle que l’était celle de mon camarade, et j’ai tout oublié de cette conversation, hormis les premiers mots. Cette rencontre était de nature à vivement frapper madame de Staël ; à son retour au château, elle en parla peu, malgré le besoin d’expansion qui, chez elle, dégénérait en loquacité ; mais elle en parut fortement préoccupée. La seule personne encore vivante qui ait gardé le souvenir de cette aventure, et que j’ai questionnée afin de recueillir le peu de paroles alors échappées à madame de Staël, retrouva difficilement dans sa mémoire ce mot dit par la baronne, à propos de Lambert : C’est un vrai voyant. Louis ne justifia point aux yeux des gens du monde les belles espérances qu’il avait inspirées à sa protectrice. La prédilection passagère qui se porta sur lui fut donc considérée comme un caprice de femme, comme une de ces fantaisies particulières aux artistes. Madame de Staël voulut arracher Louis Lambert à l’Empereur et à l’Église, pour le rendre à la noble destinée qui, disait-elle, l’attendait ; car elle en faisait déjà quelque nouveau Moïse sauvé des eaux. Avant son départ, elle chargea l’un de ses amis, monsieur de Corbigny, alors préfet à Blois, de mettre en temps utile son Moïse au collège de Vendôme ; puis elle l’oublia probablement. Entré là vers l’âge de quatorze ans, au commencement de 1811, Lambert dut en sortir à la fin de 1814, après avoir achevé sa philosophie. Je doute que, pendant ce temps, il ait jamais reçu le moindre souvenir de sa bienfaitrice, si toutefois ce fut un bienfait que de payer durant trois années la pension d’un enfant sans songer à son avenir, après l’avoir détourné d’une carrière où peut-être eût-il trouvé le bonheur. Les circonstances de l’époque et le caractère de Louis Lambert peuvent largement absoudre madame de Staël et de son insouciance et de sa générosité. La personne choisie pour lui servir d’intermédiaire dans ses relations avec l’enfant quitta Blois au moment où il sortait du collège. Les événements politiques qui survinrent alors justifièrent assez l’indifférence de ce personnage pour le protégé de la baronne. L’auteur de Corinne n’entendit plus parler de son petit Moïse. Cent louis donnés par elle à monsieur de Corbigny, qui, je crois, mourut lui-même en 1812, n’étaient pas une somme assez importante pour réveiller les souvenirs de madame de Staël dont l’âme exaltée rencontra sa pâture, et dont tous les intérêts furent vivement mis en jeu pendant les péripéties des années 1814 et 1815. Louis Lambert se trouvait à cette époque et trop pauvre et trop fier pour rechercher sa bienfaitrice, qui voyageait à travers l’Europe. Néanmoins il vint à pied de Blois à Paris dans l’intention de la voir, et arriva malheureusement le jour où la baronne mourut. Deux lettres écrites par Lambert étaient restées sans réponse. Le souvenir des bonnes intentions de madame de Staël pour Louis n’est donc demeuré que dans quelques jeunes mémoires, frappées comme le fut la mienne par le merveilleux de cette histoire. Il faut avoir été dans notre collège pour comprendre et l’effet que produisait ordinairement sur nos esprits l’annonce d’un nouveau, et l’impression particulière que l’aventure de Lambert devait nous causer.

Ici, quelques renseignements sur les lois primitives de notre Institution, jadis moitié militaire et moitié religieuse, deviennent nécessaires pour expliquer la nouvelle vie que Lambert allait y mener. Avant la révolution, l’Ordre des Oratoriens, voué, comme celui de Jésus, à l’éducation publique, et qui lui succéda dans quelques maisons, possédait plusieurs établissements provinciaux, dont les plus célèbres étaient les collèges de Vendôme, de Tournon, de La Flèche, de Pont-le-Voy, de Sorrèze et de Juilly. Celui de Vendôme, aussi bien que les autres, élevait, je crois, un certain nombre de cadets destinés à servir dans l’armée. L’abolition des Corps enseignants, décrétée par la Convention, influa très peu sur l’Institution de Vendôme. La première crise passée, le collège recouvra ses bâtiments ; quelques Oratoriens disséminés aux environs y revinrent, et le rétablirent en lui conservant son ancienne règle, ses habitudes, ses usages et ses mœurs, qui lui prêtaient une physionomie à laquelle je n’ai rien pu comparer dans aucun des lycées où je suis allé après ma sortie de Vendôme. Situé au milieu de la ville, sur la petite rivière du Loir qui en baigne les bâtiments, le collège forme une vaste enceinte soigneusement close où sont enfermés les établissements nécessaires à une Institution de ce genre : une chapelle, un théâtre, une infirmerie, une boulangerie, des jardins, des cours d’eau. Ce collège, le plus célèbre foyer d’instruction que possèdent les provinces du centre, est alimenté par elles et par nos colonies. L’éloignement ne permet donc pas aux parents d’y venir souvent voir leurs enfants. La règle interdisait d’ailleurs les vacances externes. Une fois entrés, les élèves ne sortaient du collège qu’à la fin de leurs études. À l’exception des promenades faites extérieurement sous la conduite des Pères, tout avait été calculé pour donner à cette maison les avantages de la discipline conventuelle. De mon temps, le Correcteur était encore un vivant souvenir, et la classique férule de cuir y jouait avec honneur son terrible rôle. Les punitions jadis inventées par la Compagnie de Jésus, et qui avaient un caractère aussi effrayant pour le moral que pour le physique, étaient demeurées dans l’intégrité de l’ancien programme. Les lettres aux parents étaient obligatoires à certains jours, aussi bien que la confession. Ainsi nos péchés et nos sentiments se trouvaient en coupe réglée. Tout portait l’empreinte de l’uniforme monastique. Je me rappelle, entre autres vestiges de l’ancien Institut, l’inspection que nous subissions tous les dimanches : nous étions en grande tenue, rangés comme des soldats, attendant les deux directeurs qui, suivis des fournisseurs et des maîtres, nous examinaient sous les triples rapports du costume, de l’hygiène et du moral. Les deux ou trois cents élèves que pouvait loger le collège étaient divisés, suivant l’ancienne coutume, en quatre sections, nommées les Minimes, les Petits, les Moyens et les Grands. La division des Minimes embrassait les classes désignées sous le nom de huitième et septième ; celle des Petits, la sixième, la cinquième et la quatrième ; celle des Moyens, la troisième et la seconde ; enfin celle des Grands, la rhétorique, la philosophie, les mathématiques spéciales, la physique et la chimie. Chacun de ces collèges particuliers possédait son bâtiment, ses classes et sa cour dans un grand terrain commun sur lequel les salles d’étude avaient leur sortie, et qui aboutissaient au réfectoire. Ce réfectoire, digne d’un ancien Ordre religieux, contenait tous les écoliers. Contrairement à la règle des autres corps enseignants, nous pouvions y parler en mangeant, tolérance oratorienne qui nous permettait de faire des échanges de plats selon nos goûts. Ce commerce gastronomique est constamment resté l’un des plus vifs plaisirs de notre vie collégiale. Si quelque Moyen, placé en tête de sa table, préférait une portion de pois rouges à son dessert, car nous avions du dessert, la proposition suivante passait de bouche en bouche : – Un dessert pour des pois ! jusqu’à ce qu’un gourmand l’eût accepté ; alors celui-ci d’envoyer sa portion de pois, qui allait de main en main jusqu’au demandeur dont le dessert arrivait par la même voie. Jamais il n’y avait d’erreur. Si plusieurs demandes étaient semblables, chacune portait son numéro, et l’on disait : Premiers pois pour premier dessert