Maître Cornélius - Honoré de Balzac - E-Book

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Honore de Balzac

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Beschreibung

Maître Cornélius, l'argentier de Louis XI, vit en ascète avec sa vieille sorcière de soeur. Mais le métal jaune - qui se reflète dans ses yeux - et la peur de se le faire voler l'obsèdent à un point tel qu'il en devient somnambule et fait pendre un à un ses apprentis qu'il accuse de vols inexplicables.

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Maître Cornélius

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Honoré de Balzac

(1799-1850)

Études philosophiques

Maître Cornélius

En 1845, Balzac décida de réunir toute son œuvre sous le titre : La Comédie Humaine, titre qu’il emprunta peut-être à Vigny...

En 1845, quatre-vingt-sept ouvrages étaient finis sur quatre-vingt-onze, et Balzac croyait bien achever ce qui restait en cours d’exécution. Lorsqu’il mourut, on retrouva encore cinquante projets et ébauches plus ou moins avancés. « Vous ne figurez pas ce que c’est que La Comédie Humaine ; c’est plus vaste littérairement parlant que la cathédrale de Bourges architecturalement », écrit-il à Mme Carreaud.

Dans l’Avant-Propos de la gigantesque édition, Balzac définit son œuvre : La Comédie Humaine est la peinture de la société.

Expliquez-moi... Balzac.

À monsieur le comte Georges Mniszech.

Quelque jaloux pourrait croire en voyant briller à cette page un des plus vieux et plus illustres noms sarmates, que j’essaie, comme en orfèvrerie, de rehausser un récent travail par un bijou ancien, fantaisie à la mode aujourd’hui ; mais, vous et quelques autres aussi, mon cher comte, sauront que je tâche d’acquitter ici ma dette au Talent, au Souvenir et à l’Amitié.

En 1479, le jour de la Toussaint, au moment où cette histoire commença, les vêpres finissaient à la cathédrale de Tours. L’archevêque Hélie de Bourdeilles se levait de son siège pour donner lui-même la bénédiction aux fidèles. Le sermon avait duré longtemps, la nuit était venue pendant l’office, et l’obscurité la plus profonde régnait dans certaines parties de cette belle église dont les deux tours n’étaient pas encore achevées. Cependant bon nombre de cierges brûlaient en l’honneur des saints sur les porte-cires triangulaires destinés à recevoir ces pieuses offrandes dont le mérite ou la signification n’ont jamais été suffisamment expliqués. Les luminaires de chaque autel et tous les candélabres du chœur étaient allumés. Inégalement semées à travers la forêt de piliers et d’arcades qui soutient les trois nefs de la cathédrale, ces masses de lumière éclairaient à peine l’immense vaisseau, car en projetant les fortes ombres des colonnes à travers les galeries de l’édifice, elles y produisaient mille fantaisies que rehaussaient encore les ténèbres dans lesquelles étaient ensevelis les cintres, les voussures et les chapelles latérales, déjà si sombres en plein jour. La foule offrait des effets non moins pittoresques. Certaines figures se dessinaient si vaguement dans le clair-obscur, qu’on pouvait les prendre pour des fantômes ; tandis que plusieurs autres, frappées par des lueurs éparses, attiraient l’attention comme les têtes principales d’un tableau. Les statues semblaient animées, et les hommes paraissaient pétrifiés. Çà et là, des yeux brillaient dans le creux des piliers, la pierre jetait des regards, les marbres parlaient, les voûtes répétaient des soupirs, l’édifice entier était doué de vie. L’existence des peuples n’a pas de scènes plus solennelles ni de moments plus majestueux. À l’homme en masse, il faut toujours du mouvement pour faire œuvre de poésie ; mais à ces heures de religieuses pensées, où les richesses humaines se marient aux grandeurs célestes, il se rencontre d’incroyables sublimités dans le silence ; il y a de la terreur dans les genoux pliés et de l’espoir dans les mains jointes. Le concert de sentiments par lequel toutes les âmes s’élancent au ciel produit alors un explicable phénomène de spiritualité. La mystique exaltation des fidèles assemblés réagit sur chacun d’eux, le plus faible est sans doute porté sur les flots de cet océan d’amour et de foi. Puissance tout électrique, la prière arrache ainsi notre nature à elle-même. Cette involontaire union de toutes les volontés, également prosternées à terre, également élevées aux cieux, contient sans doute le secret des magiques influences que possèdent le chant des prêtres et les mélodies de l’orgue, les parfums et les pompes de l’autel, les voix de la foule et ses contemplations silencieuses. Aussi ne devons-nous pas être étonnés de voir au Moyen-âge tant d’amours commencées à l’église après de longues extases, amours souvent dénouées peu saintement, mais desquelles les femmes finissaient, comme toujours, par faire pénitence. Le sentiment religieux avait alors certainement quelques affinités avec l’amour, il en était ou le principe ou la fin. L’amour était encore une religion, il avait encore son beau fanatisme, ses superstitions naïves, ses dénouements sublimes qui sympathisaient avec ceux du christianisme. Les mœurs de l’époque expliquent assez bien d’ailleurs l’alliance de la religion et de l’amour. D’abord, la société ne se trouvait guère en présence que devant les autels. Seigneurs et vassaux, hommes et femmes n’étaient égaux que là. Là seulement, les amants pouvaient se voir et correspondre. Enfin, les têtes ecclésiastiques composaient le spectacle du temps, l’âme d’une femme était alors plus vivement remuée au milieu des cathédrales qu’elle ne l’est aujourd’hui dans un bal ou à l’Opéra. Les fortes émotions ne ramènent-elles pas toutes les femmes à l’amour ? À force de se mêler à la vie et de la saisir dans tous ses actes, la religion s’était donc rendue également complice et des vertus et des vices. La religion avait passé dans la science, dans la politique, dans l’éloquence, dans les crimes, sur les trônes, dans la peau du malade et du pauvre ; elle était tout. Ces observations demi-savantes justifieront peut-être la vérité de cette Étude dont certains détails pourraient effaroucher la morale perfectionnée de notre siècle, un peu trop collet-monté, comme chacun sait.

Au moment où le chant des prêtres cessa, quand les dernières notes de l’orgue se mêlèrent aux vibrations de l’amen sorti de la forte poitrine des chantres, pendant qu’un léger murmure retentissait encore sous les voûtes lointaines, au moment où l’assemblée recueillie attendait la bienfaisante parole du prélat, un bourgeois, pressé de rentrer en son logis, ou craignant pour sa bourse le tumulte de la sortie, se retira doucement, au risque d’être réputé mauvais catholique. Un gentilhomme, tapi contre l’un des énormes piliers qui environnent le chœur et où il était resté comme perdu dans l’ombre, s’empressa de venir prendre la place abandonnée par le prudent Tourangeau. En y arrivant, il se cacha promptement le visage dans les plumes qui ornaient son haut bonnet gris, et s’agenouilla sur la chaise avec un air de contrition auquel un inquisiteur aurait pu croire. Après avoir assez attentivement regardé ce garçon, ses voisins parurent le reconnaître, et se remirent à prier en laissant échapper certain geste par lequel ils exprimèrent une même pensée, pensée caustique, railleuse, une médisance muette. Deux vieilles femmes hochèrent la tête en se jetant un mutuel coup d’œil qui fouillait l’avenir. La chaise dont s’était emparé le jeune homme se trouvait près d’une chapelle pratiquée entre deux piliers, et fermée par une grille de fer. Le chapitre louait alors, moyennant d’assez fortes redevances, à certaines familles seigneuriales ou même à de riches bourgeois, le droit d’assister aux offices, exclusivement, eux et leurs gens, dans les chapelles latérales, situées le long des deux petites nefs qui tournent autour de la cathédrale. Cette simonie se pratique encore aujourd’hui. Une femme avait sa chapelle à l’église, comme de nos jours elle prend une loge aux Italiens. Les locataires de ces places privilégiées avaient en outre la charge d’entretenir l’autel qui leur était concédé. Chacun mettait donc son amour-propre à décorer somptueusement le sien, vanité dont s’accommodait assez bien l’église. Dans cette chapelle et près de la grille, une jeune dame était agenouillée sur un beau carreau de velours rouge à glands d’or, précisément auprès de la place précédemment occupée par le bourgeois. Une lampe d’argent vermeil suspendue à la voûte de la chapelle, devant un autel magnifiquement orné, jetait sa pâle lumière sur le livre d’Heures que tenait la dame. Ce livre trembla violemment dans ses mains quand le jeune homme vint près d’elle.

– Amen !

À ce répons, chanté d’une voix douce, mais cruellement agitée, et qui heureusement se confondit dans la clameur générale, elle ajouta vivement et à voix basse : – Vous me perdez.

Cette parole fut dite avec un accent d’innocence auquel devait obéir un homme délicat, elle allait au cœur et le perçait ; mais l’inconnu, sans doute emporté par un de ces paroxysmes de passion qui étouffent la conscience, resta sur sa chaise et releva légèrement la tête, pour jeter un coup d’œil dans la chapelle.

– Il dort ! répondit-il d’une voix si bien assourdie que cette réponse dut être entendue par la jeune femme comme un son par l’écho.

La dame pâlit, son regard furtif quitta pour un moment le vélin du livre et se dirigea sur un vieillard que le jeune homme avait regardé. Quelle terrible complicité ne se trouvait-il pas dans cette œillade ? Lorsque la jeune femme eut examiné ce vieillard, elle respira fortement et leva son beau front orné d’une pierre précieuse vers un tableau où la Vierge était peinte ; ce simple mouvement, cette attitude, le regard mouillé disaient toute sa vie avec une imprudente naïveté ; perverse, elle eût été dissimulée. Le personnage qui faisait tant de peur aux deux amants était un petit vieillard, bossu, presque chauve, de physionomie farouche, ayant une large barbe d’un blanc sale et taillée en éventail ; la croix de Saint-Michel brillait sur sa poitrine ; ses mains rudes, fortes, sillonnées de poils gris, et que d’abord il avait sans doute jointes, s’étaient légèrement désunies pendant le sommeil auquel il se laissait si imprudemment aller. Sa main droite semblait près de tomber sur sa dague, dont la garde formait une espèce de grosse coquille en fer sculpté ; par la manière dont il avait rangé son arme, le pommeau se trouvait sous sa main ; si, par malheur, elle venait à toucher le fer, nul doute qu’il ne s’éveillât aussitôt, et ne jetât un regard sur sa femme. Ses lèvres sardoniques, son menton pointu, capricieusement relevé, présentaient les signes caractéristiques d’un malicieux esprit, d’une sagacité froidement cruelle qui devait lui permettre de tout deviner, parce qu’il savait tout supposer. Son front jaune était plissé comme celui des hommes habitués à ne rien croire, à tout peser, et qui, semblables aux avares faisant trébucher leurs pièces d’or, cherchent le sens et la valeur exacte des actions humaines. Il avait une charpente osseuse et solide, paraissait être nerveux, partant irritable ; bref, vous eussiez dit d’un ogre manqué. Donc, au réveil de ce terrible seigneur, un inévitable danger attendait la jeune dame. Ce mari jaloux ne manquerait pas de reconnaître la différence qui existait entre le vieux bourgeois duquel il n’avait pris aucun ombrage, et le nouveau venu, courtisan jeune, svelte, élégant.

– Libera nos a malo, dit-elle en essayant de faire comprendre ses craintes au cruel jeune homme.

Celui-ci leva la tête vers elle et la regarda. Il avait des pleurs dans les yeux, pleurs d’amour ou de désespoir. À cette vue la dame tressaillit, elle se perdit. Tous deux résistaient sans doute depuis longtemps, et ne pouvaient peut-être plus résister à un amour grandi de jour en jour par d’invincibles obstacles, couvé par la terreur, fortifié par la jeunesse. Cette femme était médiocrement belle, mais son teint pâle accusait de secrètes souffrances qui la rendaient intéressante. Elle avait d’ailleurs les formes distinguées et les plus beaux cheveux du monde. Gardée par un tigre, elle risquait peut-être sa vie en disant un mot, en se laissant presser la main, en accueillant un regard. Si jamais amour n’avait été plus profondément enseveli dans deux cœurs, plus délicieusement savouré, jamais aussi passion ne devait être plus périlleuse. Il était facile de deviner que, pour ces deux êtres, l’air, les sons, le bruit des pas sur les dalles, les choses les plus indifférentes aux autres hommes, offraient des qualités sensibles, des propriétés particulières qu’ils devinaient. Peut-être l’amour leur faisait-il trouver des truchements fidèles jusque dans les mains glacées du vieux prêtre auquel ils allaient dire leurs péchés, ou desquelles ils recevaient une hostie en approchant de la sainte table. Amour profond, amour entaillé dans l’âme comme dans le corps une cicatrice qu’il faut garder durant toute la vie. Quand ces deux jeunes gens se regardèrent, la femme sembla dire à son amant : – Périssons, mais aimons-nous. Et le cavalier parut lui répondre : – Nous nous aimerons, et ne périrons pas. Alors, par un mouvement de tête plein de mélancolie, elle lui montra une vieille duègne et deux pages. La duègne dormait. Les deux pages étaient jeunes, et paraissaient assez insouciants de ce qui pouvait arriver de bien ou de mal à leur maître.

– Ne vous effrayez pas à la sortie, et laissez-vous faire.

À peine le gentilhomme eut-il dit ces paroles à voix basse, que la main du vieux seigneur coula sur le pommeau de son épée. En sentant la froideur du fer, le vieillard s’éveilla soudain ; ses yeux jaunes se fixèrent aussitôt sur sa femme. Par un privilège assez rarement accordé même aux hommes de génie, il retrouva son intelligence aussi nette et ses idées aussi claires que s’il n’avait pas sommeillé. C’était un jaloux. Si le jeune cavalier donnait un œil à sa maîtresse, de l’autre il guignait le mari ; il se leva lestement, et s’effaça derrière le pilier au moment où la main du vieillard voulut se mouvoir ; puis il disparut, léger comme un oiseau. La dame baissa promptement les yeux, feignit de lire et tâcha de paraître calme ; mais elle ne pouvait empêcher ni son visage de rougir, ni son cœur de battre avec une violence inusitée. Le vieux seigneur entendit le bruit des pulsations profondes qui retentissaient dans la chapelle, et remarqua l’incarnat extraordinaire répandu sur les joues, sur le front, sur les paupières de sa femme ; il regarda prudemment autour de lui ; mais, ne voyant personne dont il dût se défier : – À quoi pensez-vous donc, ma mie ? lui dit-il.

– L’odeur de l’encens me fait mal, répondit-elle.

– Il est donc mauvais d’aujourd’hui, répliqua le seigneur.