Manifeste de la gravité du viol - Yan Warcholinski - E-Book

Manifeste de la gravité du viol E-Book

Yan Warcholinski

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Beschreibung

Bien trop tabou pour que les mesures prises à son encontre soient adéquates, le viol est encore un sujet victime de non-dits.

Comment lutter contre le viol ? Si la question s’avère complexe, l’une des priorités actuelles consiste à agir sur sa perception. Car si le viol est reconnu légalement comme un crime, sa gravité intrinsèque, elle, est sans cesse minimisée et appelle alors à être explicitée. C’est ce à quoi s’emploie ce manifeste, partant du constat que l’erreur initiale consiste à fonder la gravité du viol dans la notion de contrainte.

À travers une réflexion approfondie et argumentée, l’auteur développe une thèse liant cette gravité à la pénétration sexuelle même, comme une atteinte à notre frontière corporelle, gardienne de notre psychisme. Avec mesure et pertinence, il expose ainsi le concept de gravité sexuelle, démontrant que l’acte sexuel est à l’origine un acte grave, en ce qu’il n’est pas anodin.

Une étude percutante au sujet d’un des plus grands maux de notre société.

EXTRAIT

Un choc, ça existe. Il s’agit d’un truc bizarre, qui pousse à agir dans l’urgence, qui oblige… et pas que deux ou trois personnes, mais toute une population... Pas tout le temps bien sûr, de façon ponctuelle, mais régulière. Je parle du moment où la gravité devient perceptible. Ce qui s’avère bizarre à deux titres. D’abord, si la gravité pousse à agir, c’est sans la moindre contrainte, sans menace, seulement parce qu’elle se présente comme l’évidence. Évidence de quelque chose à faire, qui va de soi parce que très importante, la seule qui semble exister dans l’immédiat. Toutefois, il se trouve que cette évidence n’apparaît pas tout de suite, elle n’est pas instantanée.

Ainsi, la gravité est une perception qui s’impose à nous, qui va de soi, mais qui n’est pas pour autant immédiate. C’est que la perception de la gravité suppose deux conditions.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Yan Warcholinski est philosophe et doctorant à l’Université Paris 8, auteur d’une thèse sur le déni du viol. Ses recherches visent plus précisément à comprendre les raisons pour lesquelles la gravité du viol s’évapore si souvent, pour se donner les moyens de les combattre.

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Yan Warcholinski

Manifeste de la gravité du viol

–Alors, ça y est ? Tu recommences ? Tu remets ça ?

–Il le faut bien, puisque jusqu’ici, j’ai échoué.

–Mais pourquoi t’obstiner à expliciter la gravité du viol ?

–Parce qu’elle n’est encore qu’implicite.

1

Singularité de la gravité

Un choc, ça existe. Il s’agit d’un truc bizarre, qui pousse à agir dans l’urgence, qui oblige… et pas que deux ou trois personnes, mais toute une population... Pas tout le temps bien sûr, de façon ponctuelle, mais régulière. Je parle du moment où la gravité devient perceptible. Ce qui s’avère bizarre à deux titres. D’abord, si la gravité pousse à agir, c’est sans la moindre contrainte, sans menace, seulement parce qu’elle se présente comme l’évidence. Évidence de quelque chose à faire, qui va de soi parce que très importante, la seule qui semble exister dans l’immédiat. Toutefois, il se trouve que cette évidence n’apparaît pas tout de suite, elle n’est pas instantanée.

Ainsi, la gravité est une perception qui s’impose à nous, qui va de soi, mais qui n’est pas pour autant immédiate. C’est que la perception de la gravité suppose deux conditions.

La première est l’élément de gravité, un signe qui permet de rendre la gravité manifeste. Exemples. En France, jusqu’en 2003, une forte chaleur pouvait faire penser à des vacances à la mer, aux tropiques. Mais lorsque les urgences ont révélé la surmortalité causée par la canicule, cela a modifié nombre d’attitudes. Depuis, des proches, des voisins sont devenus plus attentifs aux personnes fragiles. Pourquoi ce changement ? Nous avons appris le caractère grave d’une canicule. Idem pour les irradiés du CHU de Toulouse Rangueil : 145 patients présentaient divers handicaps survenus suite à des radiations effectuées au CHU en 2006-2007 : surdité, hydrocéphalie, hémiplégie, paralysie faciale, voire décès. Tous ces symptômes n’avaient pas suffi à faire admettre la responsabilité de l’hôpital, ce dernier imputant les douleurs et les décès à des maladies antérieures. Conséquence : le remboursement des assurances était difficilement accordé, tardif et faible... C’est la révélation d’une erreur de paramétrage des machines qui a nettement modifié les discours et les décisions : les patients avaient subi une surdose de radiations de 225 % (la limite de tolérance aux radiations est de 25 %). Qu’est-ce qui a changé ? Les chiffres ont rendu perceptible la gravité de la situation. Moins spectaculaire pour la cigarette, parce que plus progressif, mais résultat similaire : durant les années 60, 70, il était impensable de l’interdire à l’intérieur des cafés. Ce qui a changé depuis c’est le savoir quant à la mortalité du tabac. Dernier exemple : une dame de soixante ans contracte un diabète de type 1, qui la rend chroniquement incapable de faire le moindre effort. Comme ce type de diabète n’apparaît généralement que durant l’enfance ou l’adolescence, personne n’y songe. L’entourage, patient dans un premier temps, s’agace et se met à l’accuser de paresse et de simulation. Tout s’arrange lors du diagnostic : « diabète », c’est le pancréas qui ne marche plus. Tout le monde redevient compréhensif puisque la gravité de la maladie est devenue perceptible.

Ainsi, pour que la gravité pousse à agir, il faut que soit révélée une dimension vitale. Condition nécessaire mais pas suffisante, car, pour que la gravité apparaisse, il faut aussi que les victimes soient perçues comme des semblables : cela faisait plusieurs années que l’Europe entendait parler de migrants qui mouraient en Méditerranée, mais il aura fallu l’image du petit Aylan échoué sur une plage en 2016 pour prendre conscience de la gravité de la situation. Pourquoi cela ? C’est que jusque-là, même si on savait que des migrants mouraient, ils étaient perçus comme des étrangers, des gens « pas comme nous ». Avec Aylan c’est différent puisque c’est un enfant, donc reconnaissable comme un proche, un semblable.

Voilà donc la bizarrerie de la gravité : elle pousse à agir, avec ampleur et urgence... mais pas tout de suite. Il faut un déclencheur. Un signe de gravité est nécessaire, qui délimite un avant et un après. Ayant ce principe en tête, il est bon d’observer un acte dont la gravité passe encore étrangement inaperçue.

La désaggravation du viol

Finalement, j’ai renoncé à supprimer le viol, je ne crois pas que cela soit possible, pas plus que tous les autres crimes persistants. Par contre, ce qui doit cesser, c’est que le viol continue à passer incognito. Voilà sa spécificité, et donc l’action envisageable : s’il y a autant de chance de supprimer le meurtre que le viol, pour ce dernier, on peut au moins supprimer le silence ambiant.

Comme la gravité du viol va de soi, une victime qui révèle ce qui lui est arrivé devrait être crue, soutenue dans ses démarches. Mais ça, c’est quand ça se passe bien. Les réactions sont souvent surprenantes... Bon, on peut concevoir qu’un agresseur soit dans le déni : admettre la gravité, c’est avouer sa culpabilité, ce qui n’est pas dans son intérêt. Mais l’entourage... Pourquoi certaines personnes font comme si de rien n’était ? C’est que lorsqu’une victime témoigne, quand elle parle de sa souffrance, vous aussi vous l’apprenez, alors vous aussi vous avez mal. Il peut alors être tentant de faire en sorte que ça n’existe pas. Nier en bloc, c’est plus simple. Encore plus simple quand le viol a lieu au sein de la famille, ça fait beaucoup trop désordre. Comment croire que ce père de famille bon-vivant, tellement sympa, pourrait faire une chose pareille ? Qui irait soupçonner cet oncle rigolo ? La famille, c’est sacré ! Y mettre la pagaille demande grande réflexion. Grave décision. Mieux vaudra alors temporiser, remettre le pire (la plainte) à plus tard, ça peut attendre. Face à la honte, à la perspective du chaos, croire que la victime fabule devient alors une solution beaucoup plus simple, plus facile. Ce qui s’imposera comme la logique à suivre, et du coup, facilitera pas mal l’impunité des agresseurs. Quand le viol arrive, le monde entier dit, insiste, que ce n’est pas le cas. Contagion qui atteindra même les victimes, qui finiront par comprendre qu’il vaut mieux ne pas en parler. Elles font alors silence. Depuis la nuit des temps.

Et puis, pour faire taire les victimes, ce ne sont pas les moyens qui manquent. À part le déni, la minimisation aussi est très pratique. Les agresseurs bien sûr, qui, plutôt que l’acte, nieront seulement sa portée. C’est que pour renommer le viol, ce n’est pas l’imagination qui manque. Ils parleront de « querelle d’amoureux », de « séduction » de « donner de l’amour », de « jeux d’enfants », d’« éducation sexuelle », d’« initiation » qui « libère les enfants », ou encore de « lutte contre les interdits sexuels culturels et arbitraires »... Quand il s’agit de fuir leurs responsabilités, les agresseurs sont très créatifs en général.

La dernière méthode pour faire disparaître la gravité du viol est de questionner la victime : pourquoi était-elle seule ? dehors ? si tard ? dans ce quartier ? Le but de ces questions assassines répond à la logique suivante : tant que les viols se passent à la télé, dans des pays lointains, c’est gérable, puisque c’est loin. Mais quand ça arrive à un-e proche, la menace se rapproche. Le réflexe consiste donc à savoir quelle erreur la victime a commise, afin de ne pas faire la même. Sauf que l’erreur à éviter, c’est la victime qui se la prend en pleine figure... Certes, l’entourage ne pense pas vraiment à mal, les gens veulent « juste » se protéger (donc fréquemment), mais au passage, c’est la victime qui doit endosser le poids de la faute. Or, si la faute est partagée, si « elles y sont quand même un peu pour quelque chose, avec leurs jupes qui montrent tout, leurs attitudes provocantes, si elles cherchent quand même un petit peu », c’est que ça ne doit pas être si grave que ça.

En somme, si la gravité du viol est évidente, il existe trois manières de la faire disparaître : le déni, la minimisation et la remise en cause des victimes. Bref, soit le viol n’a pas existé, soit ce n’est rien, ou alors la victime y est un peu pour quelque chose. Ces trois attitudes correspondent à un seul et même phénomène, qu’on appelle la désaggravation du viol. Sa singularité tient dans le paradoxe suivant : il ne s’agit pas de nier la gravité du viol, qui ne fait aucun doute, mais cette reconnaissance se limite au principe. Dans les faits, elle a une forte tendance à s’évaporer, à s’évanouir imperceptiblement, comme si de rien n’était, jusqu’à ce que chacun-e se mette à douter.

Il s’agit donc d’abord de trouver la cause... Un coupable peut-être ?... Qui la fait disparaître cette gravité ? Qui fait évaporer la gravité du viol ? Personne. Ça se fait tout seul... Nul besoin de faire disparaître la gravité du viol puisqu’elle n’a pas encore été mise en évidence, elle n’a pas encore été explicitée... Tant que la gravité du viol restera implicite, le silence restera la norme, la constante, et sa désaggravation se perpétuera, partout, régulièrement. Quand un psy déconseille de porter plainte, quand il considère que la thérapie suffit, ou quand un enseignant hésite à faire un signalement parce qu’il n’est pas sûr, ou parce que ça peut faire des histoires. Si en 2014 Matthieu Moulinas a eu l’occasion de violer et tuer une fille de son lycée (Agnès Marin, 13 ans) alors qu’il avait déjà été incarcéré pour agression sexuelle, cela est dû à une analyse psychiatrique trop légère, et une absence de suivi des éducateurs. Ou encore ce directeur d’école primaire à Villefontaine, dans l’Isère, qui a agressé sexuellement une soixantaine d’élèves de son école, alors qu’il avait déjà été condamné en 2008 pour détention d’images pédophiles. Qu’est-ce qui a permis cela ? Il n’a tout simplement pas été signalé par l’administration pénitentiaire....