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La Terre crie, les hommes pleurent… tout est lié. Cependant, sans faire de bruit, l’espérance n’est pas loin et pousse les hommes vers l’action : il y a toujours quelque chose à faire !
À l’appel du CCIC, scientifiques, théologiens, philosophes, économistes ou juristes, venus d’Afrique, du Canada, d’Europe ou du Liban, ont répondu présent pour débattre sur la Métamorphose du monde soumis aux bouleversements dus à l’envahissement des nouvelles technologies, de l’intelligence artificielle et des algorithmes, outils cependant souvent positifs pour l’humain. L’apparition imprévisible de la pandémie de la Covid 19 a aggravé ces bouleversements.
Unanimement, ces intervenants ne se posent plus la question de savoir s’il peut y avoir un retour en arrière, mais comment garder l’homme au cœur du monde, maître de ses décisions et de son destin et comment construire un humanisme « plus humain et fraternel » espéré par des jeunes en quête de sens.
Il en ressort une approche renouvelée d’une culture de l’éducation centrée sur l’éveil de la conscience, cette part de l’humain en constante formation qui permet d’être soi, pour être au monde. La « boussole pour l’éducation » en fixe les principes, au service de générations tournées vers l’être plutôt que l’avoir.
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Métamorphose du Monde : Jusqu’où l’Homme peut-il changer l’humain ? Quelle boussole pour l’Éducation ?
Actes du Forum du CCIC sous le patronage de l’UNESCO
8 avril – 11 mai – 3 juin 2021
Le CCIC, plateforme d’ONG d’inspiration catholique partenaire de l’UNESCO, depuis sa création en 1947 a pour mission de partager ses convictions face aux évolutions scientifiques, sociétales et environnementales lors des travaux, débats, évènements et enquêtes proposés par l’UNESCO. Il suscite régulièrement des conférences et journées de réflexion sur le thème récurrent de la place de l’Homme au cœur du Monde. Ainsi il s’appuie à la fois sur les travaux, savoir-faire et actions des membres de la plateforme partout dans le monde, et sur des apports d’experts.
Le dernier forum, placé sous le patronage de l’UNESCO, dont les actes sont ici présentés, s’est attaché à réfléchir sur l’avenir de l’humain face à la Métamorphose du Monde à l’ère des nouvelles technologies, en particulier de l’Intelligence Artificielle, omniprésentes dans nos vies, positivement ou non.
En raison de la pandémie et des restrictions d’accès à la maison de l’UNESCO, les organisateurs ont choisi un parcours en trois webinaires avec à chaque étape une plage réservée à la discussion. Ces trois webinaires d’avril, mai et juin 2021 sont marqués du sceau de l’oralité et doivent être lus comme tels : ils procèdent souvent par approfondissements progressifs où certaines répétitions apportent vie et richesse supplémentaires.
Dans ce recueil nous avons tenu à laisser à chaque séance son originalité et son rythme en éditant les interventions des orateurs suivies de leurs échanges avec les participants.
Pourquoi consacrer un nouveau forum à ce sujet ? On pourrait penser que tout a été dit lors des innombrables réunions et débats à l’échelle tant nationale qu’internationale.
Cependant, inquiet de la déconstruction de certains repères dans la société mondialisée, inquiet aussi du risque toujours possible d’une forme de colonisation éthique globalisée, le CCIC a su mobiliser pendant deux ans le travail intense et la réflexion d’une équipe enthousiaste et persévérante.
Ce recueil présente des propositions fortes montrant l’urgence d’éduquer un humain et non un robot en développant une culture de l’éducation personnalisée. Culture qui éveille chaque conscience à être elle-même et ouverte à l’altérité ; à être responsable, mature, productrice de talents, protectrice de notre maison commune, capable de rester maîtresse des nouvelles technologies… en un mot une culture capable de résister à la déshumanisation et à l’attrait de la virtualité.
Ces propositions présentées dans une boussole, s’inscrivent dans un parcours commun aux institutions internationales.
Ainsi, dès 2011, Madame Irina Bokova, alors Directrice Générale de l’UNESCO, invitait à passer d’un humanisme intellectuel à un humanisme de pratique, pour créer les conditions d’une fraternité active. Aujourd’hui, tandis que Madame Audrey Azoulay, actuelle Directrice de l’UNESCO, nous invite à collaborer aux « Futurs de l’éducation », et que le pape François plaide pour un humanisme intégral de l’éducation, la 41e Conférence générale approuve unanimement, le 24 novembre 2021, la Recommandation sur l’éthique de l’IA au terme de 4 ans de travaux, texte où l’on trouve un écho à nos questionnements.
Oui, dans la continuité de ses actions, le CCIC a l’ambition et le devoir de mettre ses forces et ses compétences au service d’une collaboration toujours active avec l’UNESCO !
Paris, décembre 2021 L’équipe de préparation du Forum
La « transformation numérique » est en cours, celle des entreprises, de la société, des États. Elle induit une transformation des métiers et des pratiques quotidiennes. Les applications de la science informatique, des techniques numériques, de l’Intelligence Artificielle et des Big Data ont pénétré pratiquement toutes les sphères de l’activité humaine. Elles apportent des services puissants mais aussi de nombreuses interrogations. Elles transforment nos modes de vie, nos relations. Du réel virtuel au réel augmenté, notre relation au monde est bouleversée. Et cela transforme notre relation aux évènements, aux autres et à la société.
De plus, nous assistons en cette première partie du XXIe siècle à une convergence des technosciences (nanotechnologies, biotechnologies, sciences de l’information et sciences cognitive s : NBIC) et du numérique (avec l’Intelligence Artificielle et le traitement des données massives) qui renforce considérablement les capacités de l’homme de transformer la matière et le vivant. Avec chances, risques et périls !
Les questions éthiques sont nombreuses, depuis la transparence des algorithmes, la protection des données personnelles jusqu’au développement des machines dites intelligentes, des robots commandés par la pensée, de l’homme augmenté et des interfaces cerveau-machine. Mais aussi comment réguler le pouvoir des géants du numérique, leur impact sur notre vie quotidienne, sur la démocratie et sur la fracture sociale ? Comment mettre « l’humain au cœur du numérique », afin que la révolution numérique soit bien au service de tout homme ?
Ce sont ces bouleversements et ces responsabilités qui sont analysés et discutés dans le présent ouvrage pour lequel on ne peut que remercier les auteurs et le CCIC.
Le numérique modifie progressivement notre rapport au vrai et au bon. Avec les technosciences pilotées par l’IA, c’est la « capacité numérique » qui imagine pour nous un réel possible. Mais cette « prédiction via le numérique » se fait de plus en plus au détriment de la connaissance des mécanismes réels qui opèrent. C’est une révolution que le scientifique connaît lorsqu’il passe d’une modélisation physico-mathématique du réel, avec les sciences expérimentales, à une simulation numérique dont il ne maîtrise pas vraiment les conditions de validation. Quand le « prédire et agir par le numérique » l’emporte sur le « connaître et tester », c’est le rapport à la vérité scientifique qui est transformé. Il serait dangereux que la toute-puissance numérique réduise l’indispensable quête du vrai, en sciences dures comme pour les sciences humaines et sociales.
Du rapport au vrai au rapport au bon et au souhaitable, il n’y a qu’un pas que les nombreuses questions d’éthique indiquent clairement. Que devient l’être humain dans les systèmes gérés par des algorithmes dont la transparence n’est pas toujours évidente ? Un « acteur » mais aussi un « objet », un jour peut-être moins important que les machines ! Certes, c’est l’être humain qui pense aujourd’hui ces systèmes, mais demain ce seront peut-être les machines elles-mêmes qui inventeront des algorithmes et de nouveaux langages.
Tant que les machines « soutiennent » les efforts voulus par l’homme, le numérique apparaît comme un atout indéniable. Lorsque l’homme délègue plus ou moins volontairement les décisions à prendre aux machines et que le numérique pilote les avancées technoscientifiques sans contrôle humain véritable, une forme de déshumanisation se fait jour.
Devant cette possibilité que l’homme « perde la main », de nombreux scientifiques et politiques réagissent à travers des demandes « d’audit des algorithmes » par exemple et l’exigence de transparence sur les nombreuses étapes de management numérique des systèmes de données. Le rapport Villani en France (mars 2018) s’inscrit dans cette responsabilité. Le rôle régulateur des démocraties et des organismes internationaux est alors essentiel. Le présent ouvrage du CCIC s’inscrit dans cette vigilance, avec un élément éducatif absolument nécessaire.
Le vieux débat homme-machine est profondément renouvelé au moment où se développent le numérique et l’IA. La machine est bâtie sur de l’information codable, avec une très grande capacité de calcul et d’apprentissage. Elle n’a cependant pas de corps, pas d’histoire, pas de vécu conscient, à la différence de l’homme qui vit notamment des liens essentiels entre ses émotions corporelles et sa raison, tel que nous le montrent aujourd’hui les neuroscientifiques. L’homme est appelé à apprendre à vivre avec des machines dites intelligentes, dont les capacités le dépassent (et le dépasseront de plus en plus) dans bien des domaines. Mais notre capacité d’adaptation à ce monde en transition fait justement appel au propre de l’homme : sa capacité de résilience, personnelle et collective, qui s’inscrit dans une interaction harmonieuse entre les dimensions corporelle, psycho-sociale et spirituelle. Elle traduit une capacité de transcendance qui irrigue la recherche du Bien commun. Les grandes traditions religieuses et de sagesse ont, là aussi, des trésors de vie à mettre au « pot commun » de notre humanité en recherche de sens.
Là est la liberté de l’homme dans son rapport au monde, notamment dans son rapport aux machines qu’il construit. N’est-il pas temps de mettre véritablement « l’humain au cœur de la transition numérique » ?
P. Thierry MAGNIN Président Recteur Délégué Membre de l’Académie des technologies Université Catholique de Lille
Face aux bouleversements
technologiques et scientifiques
dans des sociétés de plus en plus formatées,
quels sont les opportunités
et les risques pour l’Homme ?
STEFANIA GIANNINI
Sous-Directrice générale pour le secteur Éducation à l’UNESCO, Stefania Giannini est également conseillère auprès du Commissaire européen à la recherche, à la science et à l’innovation. Ancienne sénatrice de la République d’Italie, Stefania Giannini a été ministre de l’Éducation, des universités et de la recherche.
CHRISTINE ROCHE
Professeur de mathématiques et histoire de l’Art, Christine Roche a été Directrice d’établissement scolaire dans l’Enseignement catholique de France et Présidente du CCIC de 2012 à 2020.
ERIC SALOBIR
Prêtre de l’Ordre des Prêcheurs, Eric Salobir est consulteur auprès du Conseil pontifical pour la culture du Saint-Siège en charge des médias et des technologies numériques. Il est fondateur d’OPTIC Technology, réseau qui s’efforce de placer l’humain au cœur du développement des technologies. Auteur de Dieu et la Silicon Valley (Buchet Castel, 2020), une réflexion sur les enjeux éthiques liés aux innovations technologiques.
La santé demain :
HERVÉ CHNEIWEISS
Docteur en médecine et en sciences, neurologue et neurobiologiste, Hervé Chneiweiss est directeur de recherche au CNRS et directeur de laboratoire à l’INSERM. Passionné par les questions éthiques que posent les progrès de la recherche, il est membre d’ERMES, le comité d’éthique de l’INSERM. Auteur de Neuroscience et Neuroéthique : des cerveaux libres et heureux, (Alvik, 2006).
La société et nos libertés :
JEAN-FRANÇOIS BRAUNSTEIN
Professeur de philosophie à l’Université de Paris I, Jean-François Braunstein poursuit actuellement des recherches sur l’histoire et la philosophie des sciences biologiques, médicales et humaines au XIXe siècle, ainsi que sur l’histoire de l’épistémologie française. Il est l’auteur de La Philosophie devenue folle. Le genre, l’animal, la mort (Grasset, 2018).
Économie et société, besoins et aspirations :
MICHÈLE DEBONNEUIL
Économiste, administratrice de l’INSEE et Inspectrice générale des Finances, Michèle Debonneuil est l’auteur de L’espoir économique, vers la révolution du quaternaire (Bourin éditeur, 2007) et de La révolution quaternaire : Créer 4 millions d’emplois, c’est possible (Éditions de l’Observatoire, 2017). Elle y définit ce nouveau secteur du « quaternaire ».
Modérateur :
EMMANUEL LECLERCQ
Docteur en Philosophie morale, expert en Éthique anthropologique et Enseignant-Chercheur, Emmanuel Leclercq enseigne l’Éthique appliquée à l’Intelligence Artificielle. Il est Président-Fondateur du cercle de pensée Devenir pour agir et auteur de Petit Éloge de la Vérité (Les Acteurs du Savoir, 2020), L’embryon, qu’en dit l’Église (Éditions Téqui, 2015).
Jusqu’où le droit peut-il changer l’humain ? Finalité, méthodologie, exemple (les objets connectés) :
CHRISTIAN BYK
Magistrat, Christian Byk dirige l’Association internationale droit éthique et science et le Comité d’éthique des sciences de la Commission française pour l’UNESCO. Spécialiste de droit international et de droit des sciences et des techniques, il a été Conseiller spécial du Secrétaire général du Conseil de l’Europe et chargé de la rédaction de la Convention européenne sur la biomédecine et les droits de l’homme.
Madame la Sous-Directrice Générale, Monseigneur, Excellence, Mesdames et Messieurs, chers Amis présents dans la salle virtuelle
Enfin nous y sommes ! Projet lancé en 2019, ce Forum qui devait voir le jour en la très belle salle II de la Maison de l’UNESCO, fut remis à plusieurs reprises à cause de la pandémie dont personne ne pouvait prévoir la gravité, la durée et l’étendue. Cependant personne ne manque à l’appel ni à l’UNESCO, ni parmi les intervenants ou les organisateurs membres des ONG de notre plateforme. Merci, merci. Ce forum sera donc un parcours en trois étapes par Visio conférence.
Madame Stefania Giannini, soyez sincèrement remerciée pour votre présence d’autant plus que votre fonction de Sous-Directrice Générale pour l’éducation à l’UNESCO est particulièrement significative pour la thématique qui nous réunit. Je vous saurai gré d’être mon intermédiaire pour remercier Madame la Directrice Générale d’avoir signifié sa confiance au CCIC en lui accordant le patronage de l’UNESCO pour ce forum et de vous avoir choisie pour délivrer un message d’ouverture.
Je sais qu’il y a concordance entre nos préoccupations face d’une part à l’accélération de la métamorphose du Monde et d’autre part à la gravité de la situation humanitaire mondiale.
Pour mémoire, depuis sa création, le CCIC a toujours souhaité dans ses travaux mettre l’Homme au cœur du Monde, considérer comme imprescriptible sa dignité dans toutes ses dimensions – corps, âme et esprit – et rechercher les conditions de son accomplissement.
Qu’est-ce que l’Homme ? Qu’est-ce qui en fait un être singulier infiniment précieux ?
Ce ne sont pas des questions subsidiaires mais fondamentales face à la radicalité de la mutation observée. La pression des avancées scientifiques, des nouvelles technologies de l’information et celle de l’omniprésence de l’Intelligence Artificielle et de la gestion des données nous invite à renforcer l’urgence d’approfondir cette autre question essentielle : celle de notre soumission consciente ou non aux nouvelles technologies ou bien de leur utilisation raisonnée au profit de la Grandeur de l’Homme.
Chaque avancée technologique, toute nouvelle découverte scientifique, introduisent des possibilités de changement de société, tout en s’accompagnant d’un discours qui pourrait modifier la notion même de Personne. En effet, nous constatons avec beaucoup d’autres que la technique n’est pas neutre, qu’elle véhicule dans son sillage des orientations sociales et culturelles qui pourraient être irréversibles. Ce qui semble à la fois urgent et passionnant est de rester lucides et vigilants, d’apprendre à discerner et à faire des choix éthiques à la mesure de l’Humain tout en augmentant toujours nos connaissances.
La lucidité et la vigilance nous imposent aussi de questionner les buts et les modalités de l’éducation pour l’Humain. Il est urgent d’envisager des orientations éducatives respectueuses de la singularité de l’humain tout en étant en adéquation avec les métamorphoses que vit notre monde.
Par la diversité et la richesse des personnalités invitées à ce forum, que je remercie très chaleureusement, par leur expérience et leurs questionnements, vont s’ouvrir pour nous de nouvelles pistes de réflexion, s’étendre notre champ d’action, nous rendre plus responsables et porteurs d’espérance.
Notre préoccupation essentielle pour les nouvelles générations en sera également plus légitime car ce sont bien les jeunes les plus touchés par la rapidité et l’imprévisibilité de ces changements technologiques, sans compter qu’ils sont à l’heure actuelle les grandes victimes de la situation sanitaire, sociétale et économique qui leur coupe les ailes en bouchant leur horizon.
Trouver avec eux des orientations vers des possibles souhaitables, n’est-ce pas là une mission universelle à laquelle veulent s’atteler tant l’UNESCO que le CCIC, répondant ainsi aux appels du pape François ?
Avant de donner la parole à Madame Stefania Giannini, j’ai le grand honneur d’accueillir le père Eric Salobir de l’Ordre des Dominicains, fondateur de Human Technology Foundation, président d’OPTIC, membre du Conseil national du numérique en France, qui nous donnera la conférence d’ouverture du forum. Au nom du CCIC, je le remercie de nous avoir accompagnés de ses conseils et enrichis par sa connaissance du monde des nouvelles technologies et de l’IA, en particulier de celui de la mythique Silicon Valley dont il parle dans son récent livre « Dieu et la Silicon Valley ».
Je vous remercie d’avoir invité l’UNESCO à être partenaire de ce Forum qui pose des questions aussi existentielles qu’essentielles sur les rapports entre l’identité humaine, l’avancée technologique et l’éducation. L’éducation est effectivement notre boussole – une boussole qui doit être orientée plus que jamais vers l’humanisme – vers la pleine appréhension de notre humanité partagée et notre planète commune.
Nous vivons depuis plus d’un an un bouleversement qui nous confronte à la réalité de notre interdépendance et de notre fragilité. C’est une crise dans laquelle la technologie est devenue plus que jamais le corollaire de la continuité pédagogique – et je dirais même du lien social.
Ainsi, ce Forum ne pourrait pas être plus opportun.
Ses enjeux font écho à l’initiative de l’UNESCO sur Les Futurs de l’Éducation. In fine se pose une question fondamentale : « Que signifie être humain aujourd’hui dans notre monde complexe, interdépendant et incertain ? Comment pouvons-nous réapprendre à vivre ensemble, avec la planète et la technologie ? » Cette initiative, présidée par la Présidente de l’Ethiopie, catalyse un débat mondial qui vise à repenser l’éducation et à façonner l’avenir.
Lorsque ce projet a été lancé en septembre 2019, personne n’aurait pu imaginer que le monde allait basculer dans une crise sanitaire qui est aussi la plus grande rupture éducative de l’histoire contemporaine. Nous risquons une crise générationnelle. Rappelons qu’au pic de la crise, 1.6 milliards d’élèves étaient affectés par la fermeture d’établissements scolaires. Aujourd’hui encore, la moitié de la population étudiante vit au rythme de scolarisation à domicile ou sur mode hybride. Dans l’urgence et la nécessité, les autorités éducatives se sont lancées dans une expérience massive d’apprentissage à distance médiatisée par la technologie. Aucun système éducatif n’était préparé à ce basculement précipité. La pandémie a exacerbé une crise éducative préexistante. Elle a révélé l’injustice de la fracture numérique, l’impact des inégalités sur l’apprentissage. Mais elle a aussi confirmé la place plus qu’indispensable et structurante de l’école et des enseignants au cœur de nos sociétés.
Alors, dans quelle direction doit pointer la boussole éducative aujourd’hui ? Face au poids des inégalités, Sa Sainteté le Pape François avait déjà appelé à un nouveau Pacte Mondial pour l’Éducation – pacte lancé en octobre dernier avec la participation de la Directrice Générale Audrey Azoulay. Ce qui est en jeu, c’est la capacité de créer un monde sans pauvreté, un monde plus juste, inclusif et durable – dans le respect des engagements collectifs pris autour de l’Agenda 2030. L’éducation est au cœur de cette ambition, en tant que droit humain et force de transformation pour réimaginer et façonner l’avenir.
Car le monde est fragilisé par une montée de discours de haine, de racisme et d’antisémitisme, d’intolérance religieuse et culturelle amplifiée par les médias sociaux. La confiance dans les institutions établies s’érode. L’impact de l’activité humaine sur le changement climatique repose sur des preuves scientifiques solides. Malgré leur immense potentiel, les avancées technologiques déracinent des milliers d’emplois et soulèvent de profondes préoccupations éthiques, remettant en question la notion même de notre humanité.
Le seul choix est de cocréer un nouveau paradigme de croissance et un modèle éducatif pour le porter. L’avenir de l’éducation et celui de la société sont inséparables. Certes, l’éducation doit doter les apprenants de nouvelles compétences – y compris numériques – adaptées à des marchés du travail en pleine mutation. Mais le développement ne peut être simplement défini en termes de croissance économique. Dans Laudato Si, Sa Sainteté lançait un appel à un nouveau dialogue sur la manière dont nous façonnons l’avenir de notre planète. Dans Fratelli Tutti, publié en octobre dernier, il dénonce la mondialisation de l’indifférence et la culture du tout-jetable, et prône un chemin de paix fondé sur la fraternité humaine, le multilatéralisme et l’inclusion sociale.
L’éducation est une pierre angulaire de ce dialogue. Malgré des progrès rapides en matière d’accès et de participation au cours des dernières décennies, l’éducation n’est pas à la hauteur de l’ampleur des défis contemporains.
Le premier défi est donc de créer une véritable culture de l’inclusion, qui fait de la diversité une force et combat toute forme de discrimination. C’est une culture fondée sur les droits humains universels, sur l’égalité entre les genres et le respect de la diversité culturelle. Ce défi est plus que jamais d’actualité alors que les enfants et les jeunes les plus vulnérables et marginalisés – et notamment les filles – risquent de ne pas retrouver le chemin de l’école en raison de l’impact de la pandémie.
Deuxième défi : l’éthique de la responsabilité. Il est significatif que l’Agenda 2030 des Nations Unies reconnaisse le rôle transformateur de l’éducation pour créer des sociétés plus justes et durables. Une cible dédiée – le 4.7 – vise justement, et je cite « à faire en sorte que tous les apprenants acquièrent les connaissances et les compétences nécessaires pour promouvoir le développement durable ». Cet objectif englobe la sensibilisation à l’environnement, la citoyenneté mondiale, les droits de l’homme, une culture de la paix et de la non-violence et l’appréciation de la diversité culturelle. Fondamentalement, il s’agit d’apprendre à prendre soin de soi, des autres et de la planète dans un esprit de respect, d’ouverture et de solidarité.
L’UNESCO est le porte-drapeau de programmes sur l’éducation à la citoyenneté mondiale et au développement durable, en résonance avec sa mission fondamentale de construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes.
En décembre dernier, lors du lancement d’une mission pour encourager un engagement renforcé autour de cette dimension essentielle de l’éducation, le Pape François avait prononcé ces mots : « L’éducation est toujours un acte de foi qui, depuis le présent, regarde vers le futur. Au cœur des objectifs du développement durable se trouve la reconnaissance qu’une éducation de qualité est la fondation nécessaire pour protéger notre maison commune et générer la fraternité humaine. Le Pacte Mondial pour l’éducation et la Mission 4.7 vont œuvrer de pair pour une civilisation de l’amour, de la beauté et de l’unité. »
Enfin, et troisième défi pour actualiser cette vision d’un développement humain intégral et solidaire : une éthique universelle dans l’application des nouvelles technologies. La révolution numérique – accélérée lors de cette pandémie – doit être inclusive, au service du bien public et de transformations éducatives accessibles à tous. L’éthique déterminera la mesure dans laquelle l’humanité sera capable d’exploiter les bienfaits de l’intelligence artificielle et de contrôler ses risques.
L’UNESCO mène un effort mondial pour établir des principes universaux sur l’éthique de l’intelligence artificielle, en vue d’adopter une recommandation à notre Conférence générale, en novembre, qui serait le premier instrument juridique dans le domaine.
L’universalité, la justice sociale et le respect de la dignité humaine sont nos fils conducteurs.
Ainsi, pour sortir de la crise que nous traversons, nous devons refonder l’éducation, ensemble, avec urgence et ambition, guidée par ces principes et le respect de notre planète unique et notre humanité commune.
Je vous remercie.
Merci Madame la Présidente honoraire, Madame la Directrice Générale Adjointe. Mesdames et Messieurs, bonjour ou bonsoir selon votre fuseau horaire.
Tras humana, outrepasser l’humain. On pourrait dire, dans une mauvaise traduction : transhumaniser. Outrepasser l’humain ne peut se dire avec des mots. Cette constatation qui semble marquée au sceau de l’expérience n’est pourtant pas issue d’une interview d’un des gourous de la Silicon Valley. Ce n’est pas, non plus, la devise d’une filiale d’un de ces grands groupes américains. Non, cette constatation, elle nous vient du chant 1 du Paradis de la Divine Comédie de Dante.
Dante parlait déjà, au XIVe siècle, de transhumaniser. Une façon, pour nous, de nous souvenir que si nous devons toujours poser à nouveaux frais nos questions, elles font appel à des connaissances, à des compétences, à des expériences humaines, qui sont des expériences profondes, qui sont des expériences séculaires. C’est peut-être là qu’il va falloir nous positionner dans cette tension entre le temps long et l’immédiateté, entre l’innovation et les invariants anthropologiques pour pouvoir essayer de comprendre un peu la façon dont nous sommes bousculés par tout ça. Parce que, de fait, cette question du transhumanisme ou de la transformation se pose à nouveaux frais dans notre société technologique. La question c’est Pourquoi ?
Peut-être justement parce que nos technologies sont des productions de la société aux deux sens du génitif. C’est-à-dire que d’un côté notre société les enfante, nous avons des technologies qui nous ressemblent mais, en même temps, à mesure qu’on les utilise, ces technologies nous transforment également. Et, en fait, on peut dire que nous sommes produits par nos propres produits.
Alors, jusqu’où et comment sommes-nous ainsi transformés au sens littéral du terme c’est-à-dire que notre forme, la forme de notre humanité en change ? Eh bien, c’est justement avec Dante qu’on peut aller un pas plus loin puisque lui disait qu’outrepasser l’humain ne peut se dire avec des mots, que l’exemple suffit à ceux à qui la grâce réserve l’expérience. Et peut-être que justement aujourd’hui, il va nous falloir réfléchir sur nos expériences, sur nos usages et essayer de mettre un cadre narratif, de mettre des mots et de confronter un peu nos réflexions à tous ces métadiscours qui viennent nous donner de l’extérieur une idée de ce que doit être notre technologie.
Jusqu’où l’homme peut-il changer l’humain ? C’est le titre de ce séminaire. Eh bien, moi, je dirais non seulement jusqu’où, en termes de limites, mais aussi dans quelle direction ? Où voulons-nous aller ? Cà c’est une question clé à mon sens. Dans quel sens voulons-nous mener cette transhumance, cette traversée de l’humain et quel rapport à la technologie allons-nous créer ? Le rapport à la technologie, il est clé en ce moment.
Je trouve que ce séminaire, il intervient vraiment à point nommé, à un moment où la pandémie s’enlise, à un moment où on comprend que le jour d’après, c’est peut-être le jour de maintenant et à un moment où on est amené à s’interroger sur ce qu’est notre technologie. Parce que finalement, il faut bien le dire, notre technologie n’a pas été plus efficace pour nous protéger de la pandémie que ne l’a été, en son temps, la Ligne Maginot. C’est qu’en fait, on a été débordé, on a été enseveli. En même temps, heureusement que ces technologies sont là. Je pense notamment aux technologies numériques car sinon nous ne serions pas capables de continuer de travailler, de communiquer, de consommer, de vivre. Tout se serait effondré. Et, donc, on est dans une espèce de tension.
Peut-être qu’on doit faire le deuil de notre toute puissance technologique. Et çà ce n’est pas une mauvaise chose parce que Freud dirait que faire le deuil de sa toute-puissance est nécessaire pour accéder à l’âge adulte. Donc on va peut-être accéder à une forme de maturité dans notre rapport à la technologie. Et puis peut-être aussi que, du coup, on va l’aborder différemment. Peut-être qu’on va voir qu’elle est nécessaire à la façon dont on se construit comme humain.
Alors la technologie, c’est vaste. On va en prendre une sur laquelle on va particulièrement discuter aujourd’hui et au cours de ces 3 séminaires. Il s’agit de l’Intelligence Artificielle. Un peu paradigmatique de l’ensemble des technologies pour 3 raisons. D’abord elle est mature : l’Intelligence Artificielle est sortie des laboratoires ; parce qu’elle est universelle, on la retrouve un peu partout ; parce qu’elle est extrêmement puissante. Un peu comme la fée électricité en son temps, elle est la cheville ouvrière d’une révolution. Mais cette révolution n’est pas seulement une révolution industrielle, c’est aussi une révolution cognitive, une révolution épistémologique. Je la rapprocherais un peu de l’invention de l’écriture, des caractères mobiles d’imprimerie ou du codex. Quelque part, elle transforme aussi notre rapport à l’autre et notre rapport au monde. Alors, vous me direz, cette technologie, on ne la voit pas toujours ou, peut-être, que beaucoup d’entre vous diront : moi jamais. Mais, en fait, ils en sont impactés beaucoup plus qu’ils ne le pensent parce que, justement, l’une des spécificités de l’Intelligence Artificielle c’est qu’elle est aussi très largement invisible. Quand vous prenez le métro et qu’il est automatique, quand vous commandez un repas ou un VTC sur une plateforme, quand vous allez sur un réseau social, quand vous avez de la publicité qui vous est proposée sur votre écran, et de bien des façons, vous voyez ou vous ne voyez pas, plutôt, que l’Intelligence Artificielle est là et qu’elle transforme profondément votre vie.
Alors aujourd’hui, on va s’intéresser, je pense, je n’anticipe pas sur les débats qui seront passionnants, aux différents aspects, aux différents impacts de ces technologies sur notre vie et, plus exactement, sur notre vivre ensemble. Je dirais de trois façons. C’est ma lecture.
Tout d’abord, un premier impact qui paraît évident dans notre société j’allais dire post-Covid, malheureusement au milieu du Covid, c’est un impact économique. On voit bien que l’Intelligence Artificielle et l’ensemble de ce bouquet de technologies sont particulièrement puissants pour nous aider à automatiser notre société. Surtout maintenant avec des taux d’intérêt qui sont bas, on se rend compte que la machine coûte souvent bien moins chère que l’humain. Jusqu’où est-ce qu’on sera capable d’utiliser une technologie pour donner du pouvoir à l’humain ? Ou à partir de quand est-ce qu’on sera tenté de remplacer l’humain par une machine ? Comment est-ce que l’on va s’arranger pour que, comme le demandait le Pape François dans Fratelli Tutti, il n’y ait pas d’inutiles dans notre société ?
Cela fait partie des questions qu’on va devoir se poser sur les questions économiques : est-ce que l’Intelligence Artificielle, les technologies numériques ne signent pas un tournant du capitalisme ? Est-ce que l’économie de la tension, l’utilisation de nos biais par les algorithmes ne risquent pas d’abîmer la confiance que l’on a dans ces technologies ? Est-ce que la plateformisation de l’économie ne risque pas aussi d’accroître la précarité, d’accroître les monopoles de certaines grandes entreprises au détriment des autres ? Est-ce qu’on ne va pas avoir tendance à investir pour avoir des technologies toujours plus efficientes mais pas forcément un système plus résiliant ce qui fait qu’en cas de crise, sanitaire notamment, eh bien, c’est l’humain qui est la variable d’ajustement ?
Voilà des questions économiques, des questions sociales aussi parce que très vite on voit que ces questions économiques, elles ont un impact sociétal fort. Et dans une société des réseaux, une société de l’extimité, pour reprendre les termes de Serge Tisserand, on n’interagit plus avec les autres de la même façon. On est forcément impacté dans la médiation, dans l’interaction avec l’autre, par ces technologies qui viennent un peu comme des interstices facilitateurs mais pas toujours. Finalement, juste pour prendre un exemple, beaucoup de jeunes mamans se rencontrent à travers des applications de rencontres dont certaines sont payantes, j’imagine, ou par de la publicité. L’idée c’est qu’il faut y rester le plus longtemps possible. Si vous devez y rester le plus longtemps possible est-ce que l’algorithme va vous aider à trouver le plus vite possible l’homme ou la femme de votre vie ? Cela n’est pas certain.
Mais, en même temps, il faut reconnaître que les réseaux à travers les algorithmes qui les font tourner, ce sont aussi de formidables lieux pour que les gens qui sont un peu en marge de la société puissent se compter, se retrouver. On voit qu’un certain nombre de mouvements émergent de tout cela. Donc on est dans une situation où effectivement l’impact est économique, sociétal, aussi politique à travers la gouvernance des algorithmes. Mais aussi à travers la façon dont les réseaux qui sont soutenus par cette technologie peuvent aider, faciliter une forme de démocratie directe qui va bousculer un peu notre démocratie représentative. Est-ce que ça veut dire qu’on va aller vers une espèce de plateformisation de l’État ? Est-ce qu’on pourra dire avec Michel Houellebecq : je choisis mon pays de résidence comme je choisis un hôtel, quand il ne me plaît plus, j’en change ? Mais alors, quid du statut des États-nations, quid des plus fragiles, du contrat social ? Est-ce que tout cela ne risque pas d’être bousculé ?