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Il y a de cela quatre-vingts ans, un marin espagnol blessé était débarqué dans le port de Loctudy, soigné à l’hôpital de Pont-L’Abbé, avant de s’évaporer dans le Pays Bigouden.
Voilà douze ans, Sarah Christmas, policière quimpéroise, disparaissait à son tour en enquêtant sur le sort de ce marin, pour son propre compte. À ce jour, toujours pas de nouvelles d’elle et les gendarmes de Pénalec ont classé le dossier.
Pénalec où Paul Capitaine assiste à l’enterrement d’Alexandre Pin, Président du département. Katell, la fille de ce dernier, demande au policier en convalescence de profiter de sa disponibilité pour enquêter discrètement sur un chantage dont sa famille fait l’objet. Paul accepte. Il va très vite se heurter au silence des Bigoudens. Et pas seulement. Mais quel lourd secret peut justifier de tels mystères ? Une nouvelle enquête de Paul Capitaine !
Plongez-vous dans le 14e tome des enquêtes du capitaine Paul Capitaine, avec une histoire chargée de mystère, où toutes les pièces du puzzle finissent par s'assembler pour un dénouement déconcertant.
EXTRAIT
"C’était l’une de ces journées de début janvier assez grises pour nous rappeler que Noël, sa joie de vivre et ses illuminations se trouvaient bien derrière nous. Un lundi matin sinistre à pleurer. Vent glacial, crachin tenace, ciel morose, la plus désagréable carte postale de Bretagne. Et en plus, je me trouvais dans un cimetière du Pays Bigouden pour assister à un enterrement. Le président Alexandre Pin, le patron du Finistère, avait eu la mauvaise idée de casser sa pipe en plein discours de vœux à l’Hôtel du Département, terrassé par une crise cardiaque. Cela n’avait pas surpris ses proches, car il n’avait jamais voulu tenir compte des conseils des médecins qui lui avaient conseillé de réduire ses activités et de repenser son hygiène alimentaire après un triple pontage coronarien. Mais la funeste nouvelle avait causé un choc de la pointe du Raz jusqu’au phare de Batz.
Comme je me trouvais toujours en arrêt de travail forcé, après une nouvelle prolongation de ma période de convalescence, et que je me morfondais à longueur de journée, Radia me demanda si je voulais bien l’accompagner à l’enterrement du Président. Ce n’est pas que je le portais particulièrement dans mon cœur, le bougre m’avait souvent donné du fil à retordre, et c’était un euphémisme, mais au moins, cela me faisait bouger, rencontrer du monde et allait me donner l’impression que j’étais encore dans le circuit. À force de vivre comme un ours dans sa tanière, je tournais en rond pour ma boucle de marche quotidienne et l’atmosphère enfiévrée du terrain me manquait bigrement."
À PROPOS DE L'AUTEUR
Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après avoir passé une longue période dans le Sud-Ouest, il est revenu dans le Finistère, à Plomelin, pour poursuivre sa carrière professionnelle. Passionné de football, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du Stade Quimpérois, puis en senior. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l'écriture de polars avec les enquêtes d'un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine et de sa partenaire Sarah Nowak. À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.
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— NOTE DE L’AUTEUR —
Une fois de plus, vous allez trouver dans ce roman policier la commune de Pénalec, censée se situer en Pays bigouden. Ne la cherchez pas sur les cartes de la région, cette ville n’existe pas. Au fil des pages, vous reconnaîtrez en ce lieu parfois Plonéour, parfois Plozévet, parfois Pouldreuzic. Ne souhaitant pas blesser les habitants de ces communes, j’ai inventé volontairement ce nom pour bien préciser qu’il s’agissait d’une œuvre de fiction dont les personnages ne pouvaient se trouver comparés à des personnes existantes.
Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
Cette enquête est dédiée à Jean-Pierre Le Marc, auteur bigouden aux éditions Alain Bargain, qui nous a quittés en 2010, et à son héroïne, Sarah Christmas.
Que cet ouvrage soit un remerciement ému à son attention, pour le désir de prendre un jour la plume, que la lecture de ses romans policiers a créé en moi.
À André Morin, pour son regard d’enquêteur de police.
À Lorraine, Brigitte et Domi, pour leur relecture attentive.
À Véronique Kerdranvat pour ses secrets des souterrains bigoudens.
PAUL CAPITAINE : 55 ans, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la ville et la région. Il trouve au sein de la Police Judiciaire de Quimper une seconde jeunesse, grâce à Sarah, sa partenaire mais aussi sa fille. Il est le compagnon de la magistrate Dominique Vasseur, actuellement en stage aux États-Unis, et pour le moment en convalescence après un souci de santé.
SARAH NOWAK : 31 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Engagée dans la police pour retrouver son père breton, elle va le découvrir en son partenaire Paul Capitaine. Dotée d’un caractère fort et généreux, elle cultive des rêves d’absolu. Le plus souvent attachante, parfois irritante, toujours franche et sincère. Et en quête du grand amour.
DOMINIQUE VASSEUR : 48 ans, substitut du procureur de la République, compagne de Paul Capitaine. Elle a échoué à Quimper après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre, loyale, elle vient d’accepter un stage de six mois aux États-Unis pour tenter d’oublier qu’elle n’aura pas d’enfant.
ROSE-MARIE CORTOT : 29 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. RMC pour tout le monde. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur permanente, le plus de la PJ par son génie de l’informatique. Elle est très amoureuse du détective privé Mario Capello, mais aussi la meilleure amie de Sarah.
RADIA BELLOUMI : 36 ans, commissaire de police. Une surdouée qui se trouve parachutée à la tête du commissariat de Quimper. D’origine maghrébine, malgré son jeune âge, elle a acquis le respect de ses effectifs par son sang-froid et sa baraka.
Blaise JUILLARD : 30 ans, célibataire, lieutenant de police. Son père est l’un des pontes du Quai des Orfèvres, le fils n’est pas de la même étoffe. Sous ses airs nonchalants qui lui ont valu le surnom de Zébulon, il n’est pas dénué de flair et de vivacité d’analyse. Il est raide dingue de Sarah qui ne calcule pas trop. Quoique…
MARIO CAPELLO : 35 ans, célibataire, détective privé. Ancien membre de la PJ, contraint de quitter la police suite à une contamination au HIV lors d’une transfusion sanguine. Entre deux missions pour l’avocate Joëlle Compan, il accomplit les recherches que les policiers ne peuvent mener. Sa maladie et les risques qu’il ferait courir à sa partenaire, l’incitent à éviter les relations amoureuses.
PAULINE : Jeune fille au visage de madone, morte noyée dans l’Odet alors qu’un miracle a sauvé Sarah. Celle-ci la considère depuis comme son ange gardien, toujours présente pour la protéger. In memoriam Anne-Sophie Deval.
C’était l’une de ces journées de début janvier assez grises pour nous rappeler que Noël, sa joie de vivre et ses illuminations se trouvaient bien derrière nous. Un lundi matin sinistre à pleurer. Vent glacial, crachin tenace, ciel morose, la plus désagréable carte postale de Bretagne. Et en plus, je me trouvais dans un cimetière du Pays Bigouden pour assister à un enterrement. Le président Alexandre Pin, le patron du Finistère, avait eu la mauvaise idée de casser sa pipe en plein discours de vœux à l’Hôtel du Département, terrassé par une crise cardiaque. Cela n’avait pas surpris ses proches, car il n’avait jamais voulu tenir compte des conseils des médecins qui lui avaient conseillé de réduire ses activités et de repenser son hygiène alimentaire après un triple pontage coronarien. Mais la funeste nouvelle avait causé un choc de la pointe du Raz jusqu’au phare de Batz.
Comme je me trouvais toujours en arrêt de travail forcé, après une nouvelle prolongation de ma période de convalescence, et que je me morfondais à longueur de journée, Radia me demanda si je voulais bien l’accompagner à l’enterrement du Président. Ce n’est pas que je le portais particulièrement dans mon cœur, le bougre m’avait souvent donné du fil à retordre, et c’était un euphémisme, mais au moins, cela me faisait bouger, rencontrer du monde et allait me donner l’impression que j’étais encore dans le circuit. À force de vivre comme un ours dans sa tanière, je tournais en rond pour ma boucle de marche quotidienne et l’atmosphère enfiévrée du terrain me manquait bigrement.
Car, un souci n’arrivant jamais seul, en plus de mon interminable congé jusqu’au rétablissement total, j’avais été lâchement abandonné par ma compagne Dominique. Elle avait été sollicitée par Jillian Marlowe, son amie américaine qui préparait la mise en place d’une commission internationale chargée de plancher sur une harmonisation des textes en matière de lutte contre le terrorisme. Bien sûr, avant de prendre sa décision définitive, Dominique avait insisté pour savoir si cela ne me gênait pas de la voir partir aux États-Unis durant au moins trois semaines, mais comme me l’avait précisé Sarah, Quimper était devenu un terrain de jeu trop étroit pour une magistrate de son talent. Alors, je l’avais joué grand seigneur, promettant que la perspective réjouissante de la voir s’accomplir dans la destinée qu’elle ambitionnait, allait me rendre son absence plus supportable.
Dominique avait laissé à ma disposition son appartement de Quimper, bien plus agréable en période hivernale que ma maison de Bénodet ; j’avais juste rapatrié mon décodeur Canal + et me gavais de foot, faute de programme plus exaltant pour meubler mes longues journées. Après avoir accompli mon heure de marche quotidienne, sur le chemin du halage qui bordait l’Odet, ou sur le coteau du Frugy, bien sûr. Aux moments plus cléments, je me baladais aussi en ville, croisais des connaissances, passais parfois un moment plus long avec une relation solide, mais jamais, au grand jamais, je ne me hasardais à traîner mes savates autour du commissariat. Trop les boules, trop d’embarras pour les collègues, trop de décalage entre leur rythme et le mien. Et que dire du Colibri ! Entre le patron Jean-Luc qui tentait de me prouver qu’un whisky n’avait jamais tué personne, et son épouse Isabelle qui battait chaque jour sa coulpe de m’avoir bouché la tuyauterie avec sa cuisine trop grasse, je me sentais écartelé.
Vous pouvez donc imaginer que, dans un quotidien si monotone, un enterrement devenait presque une aubaine, surtout celui d’une vieille canaille comme Alexandre Pin… Sur le chemin qui nous menait à Pénalec, le fief de l’élu et de sa famille, je rappelais à Radia comment j’avais dû négocier la poursuite de sa carrière dans la police, avec cet expert du chantage haut de gamme. L’annulation de la procédure contre sa fille Katell, potentielle grande patronne du département, en échange d’un coup de fil au préfet pour lui demander de ne pas sanctionner la commissaire par une mutation, comme il l’avait réclamé la veille. Un épisode qui m’avait permis de comprendre par hasard que la même Katell aurait déjà dû plonger, deux ans plus tôt, coupable du meurtre du fils du juge Jouvain, pour lequel sa petite amie bulgare purgeait à sa place une peine de quinze années de prison.
Radia m’avoua très vite que je lui manquais très souvent. Non pas pour la vie intime, elle semblait avoir trouvé l’équilibre – à défaut du grand amour – auprès de Gérald Montaigne, le secrétaire général de la préfecture, mais pour mon regard aiguisé sur les enquêtes en cours, mes intuitions souvent fondées et surtout la simple assurance que ma présence dans son périmètre lui conférait. Certes, l’équipe fonctionnait bien malgré mon absence. Un nouveau venu, le lieutenant Mehdi Langeais – un bon élément sur lequel Radia ne tarissait pas d’éloges – semblait me remplacer avantageusement. Mais il n’avait pas mon expérience de vieux flic, mon instinct façonné par les aléas d’un parcours chaotique. Sans doute aurait-elle poursuivi son émouvante confession si nous n’étions arrivés à Pénalec, commune principale au cœur du Pays bigouden où le « clan Pin » – comme les opposants se plaisaient à appeler la famille du Président – avait posé depuis près d’un siècle sa marque sur chaque lopin de terre. Nous n’avions pas encore atteint le centre-ville qu’il n’y avait déjà plus une place pour garer la voiture. C’est qu’il était connu, le Président ! De plus, l’enterrement n’était pas réservé aux seuls amis, sinon l’église aurait été quasiment vide.
L’avantage de faire partie des notables – je parle de notre commissaire, bien sûr, pas de moi qui m’étais glissé dans son sillage – c’était d’arriver à l’heure pile du début de la cérémonie et de se voir mener jusqu’à deux chaises d’un carré réservé aux personnages importants du département. Sur notre droite, un autre parterre rassemblait la famille. L’épouse du défunt était encore un peu plus effacée qu’à l’accoutumée, si cela était possible. Sans doute se serait-elle glissée dans le cercueil si elle l’avait pu car, comment une ombre pouvait-elle envisager la suite du parcours, sans le personnage qu’elle suivait pas à pas depuis le jour du mariage ? Près d’elle, étaient rassemblés les enfants. D’abord les deux fils, Michel, imposant rouquin, le maire de Pénalec, accompagné de son épouse, demeurée seule à la tête de l’étude de notaire depuis le début de sa carrière politique ; à ses côtés, se tenait Thomas, juge d’instruction à Quimper, si prompt à débarrasser sa famille des casseroles qui passent par le palais de justice. Puis Katell, la chouchoute du politicien parmi ses trois rejetons, PDG de la société familiale et héritière de ses sièges politiques. Ne l’annonçait-on pas déjà, alors que son père venait juste de disparaître et que l’élection n’était pas encore programmée, installée dans le fauteuil de celui-ci à la tête du Finistère ? Et aussi les trois petits-enfants, la vingtaine d’années, deux pour Michel – un gars, une fille – et une grande blonde pour Katell, plus ou moins émus par la circonstance ; Ils n’avaient pas dû connaître que des jours heureux auprès d’un fort tempérament comme Alexandre Pin… Enfin, au dernier rang du carré familial, des proches du clan, membres de la famille et cependant pas invités à intégrer le premier cercle, car le sang ne faisait pas tout.
L’office se déroulait sans encombre, mécanique bien huilée et sans fausse note. Régulièrement, à chaque temps mort, Katell tournait le regard dans ma direction, au point que je me demandais si elle n’avait pas insisté auprès de Radia pour que j’accompagne ma patronne, puis soudoyé le bedeau afin qu’il réserve ces deux places pour les policiers de Quimper. Ou alors, puisqu’elle aimait les femmes, éprouvait-elle un béguin pour Radia qui, installée à mes côtés, superbe dans sa tenue officielle, ne remarquait rien de la scène. Elle aurait bien aimé que, de son côté, Gérald accompagne le préfet, mais celui-ci avait préféré la présence, combien plus agréable, de sa secrétaire de cabinet, une femme d’une quarantaine d’années, aussi impressionnante que brillante.
Une fois la cérémonie achevée, l’église se vida lentement. Nombreux furent ceux qui, après avoir signé le registre mortuaire, regagnèrent leurs pénates avec la paix intérieure du devoir accompli, tout en pensant secrètement : « Une bonne corvée de faite ! » D’autres suivirent le cortège jusqu’au cimetière voisin où se situait le caveau familial. Le curé prononça quelques mots supplémentaires, puis, après la mise en terre du cercueil, débuta la lente procession des condoléances qui, même s’il ne restait plus présent qu’un quart de la foule de l’église, devait sembler interminable à la famille. Poignées de main en série, court message de circonstance ou rien du tout, inclination respectueuse. Notre tour arriva, Radia toujours devant moi. Parfaite, évidemment. Je me retrouvai devant Katell, forcément en larmes mais toujours très digne. Elle me remercia de ma présence en me rappelant que son père m’avait souvent causé du souci. Puis elle m’approcha d’elle pour m’embrasser, mais pas seulement.
— Capitaine, pourrais-je vous rencontrer demain matin ? Je serai à ma permanence, située au rez-de-chaussée de mon domicile de Quimper, rue Amiral Ronarc’h.
— C’est-à-dire… Je ne sais pas… Je n’ai rien de précis… Quelle heure vous arrangerait ?
— Disons à 11 heures.
— D’accord pour 11 heures. Vous avez un problème ?
— Je vous expliquerai tout cela demain…
Katell Pin s’était déjà tournée vers la personne suivante. Je rattrapai Radia qui me demanda évidemment ce que la fille du défunt, qui l’avait simplement saluée, me voulait pour me tenir aussi longtemps la jambe. Je ne savais que dire, j’étais tellement surpris de cette démarche. Devais-je en parler à la grande patronne ? Si je le faisais, elle tiendrait absolument à connaître la suite des rencontres. Si je la snobais, elle allait me tanner durant tout le trajet retour jusqu’à Quimper et finir par obtenir gain de cause, de guerre lasse. Ah, les femmes…
— Elle me demandait juste si tu avais quelqu’un dans ta vie, parce qu’elle te trouvait absolument irrésistible dans ta tenue d’apparat !
— Arrête de dire des sottises, Paul, que te voulait-elle vraiment ?
— Tu es presque pire que Dominique, tu sais !
— Justement, elle m’a demandé de te surveiller car…
— Tu as oublié, Katell préfère les nanas aux…
— …Car elle a peur que, par oisiveté, tu ailles fouiner dans des dossiers mystérieux qui ne te concernent pas et que tu mettes tes orteils dans un panier de crabes. C’est cela, pas vrai ?
— Comment veux-tu que je le sache, je ne suis pas encore allé au rendez-vous !
— C’est bien cela, elle t’a filé un rancard pour te balancer une patate chaude et tu as accepté, comme un gentil toutou ! Paul, cette nana aime peut-être les femmes, mais elle mène les mecs par le bout du nez. Elle vient de découvrir une nouvelle casserole dans les papiers personnels de feu son paternel et elle va te demander de la faire disparaître. Par pitié, n’y va pas, à ce rendez-vous, c’est un piège !
— Tu crois qu’elle va m’attacher aux barreaux de son lit et que…
— Paul, tu es un vrai gamin ! Fais comme tu as envie, cabochard, mais ensuite, ne viens pas pleurer dans mes jupons !
— Non, tu portes des jupons ? Incroyable !
Mardi matin, rue Amiral Ronarc’h à Quimper. La permanence politique de Katell Pin était installée dans un ancien local commercial dont la baie vitrée avait été peinte en blanc, pour plus de discrétion, et décorée de deux posters sur lesquels père et fille posaient devant l’objectif du photographe. La porte était obturée par un store qui pouvait être levé et fermé à la demande. À l’intérieur, deux bureaux, une table de travail et six chaises, de nombreuses affiches électorales au mur, sur lesquelles, là aussi, la fille n’était jamais loin de son père.
Comme Sarah et moi, normalement, sur le terrain, mais cela était une autre histoire. J’imaginais que, d’ordinaire, une secrétaire s’occupait de la paperasse du second bureau mais qu’elle avait obtenu sa demi-journée, pour la période de deuil ou pour garantir la confidentialité du sujet délicat que la politicienne allait aborder et qu’il me tardait déjà de connaître.
Katell se leva, pareille à elle-même, chevelure flamboyante, regard vif et rictus carnassier. Juste un détail dissonant, le costume gris souris et le chemisier noir, période de deuil obligeait, différents des tenues habituelles aux teintes pastel. Elle s’avança vers moi pour me saluer et me remercier d’avoir accepté son invitation.
Elle m’offrit de m’installer à l’une des chaises autour de la table sur laquelle se trouvait déjà placé un dossier. « Le sujet de la rencontre », pensai-je. Katell me proposa un café, je le déclinai poliment. Elle s’installa à son tour.
Elle était dans ses petits souliers et je ne faisais pas allusion à ses beaux escarpins vernis. J’avais fini par la connaître, à la longue, et, mine de rien, la présence de son père dans les alentours lui avait permis d’afficher une assurance que la solitude actuelle mettait fatalement en péril. « Un seul être vous manque… » Elle ouvrit la chemise et se lança :
— À la mort de mon père, vendredi, j’ai été amenée à prendre possession de différents documents qu’il détenait dans le coffre-fort de notre résidence de Kerpin, selon des consignes qu’il m’avait détaillées depuis longtemps. Il y avait des documents familiaux, d’autres concernant le fonctionnement des sociétés, quelques dossiers politiques embarrassants avec lesquels je devrai me débrouiller dorénavant.
— Et vous attendez de moi que je vous aide à débroussailler le périmètre ? anticipai-je, impatient d’entrer dans le vif du sujet.
— Non, ce n’est pas votre monde, ce vivier de homards à grosses pinces ! Déjà moi, j’y évolue par nécessité et ne m’y sens pas toujours très à l’aise. Non, ce dossier est autrement plus délicat qu’un piège de nos adversaires, je le crains. Tenez, voilà d’abord un courrier de mon père, si vous voulez bien en prendre connaissance…
— Katell, votre père possède des conseillers, des juristes, des avocats, bien plus qualifiés que moi pour gérer un problème interne, objectai-je en préambule, avant de toucher aux documents. Pourquoi faire appel à moi, un flic dont le seul regret est de ne pas avoir pu vous faire tomber, votre père et vous, pour l’ensemble de l’œuvre familiale ?
— Si mon père avait voulu faire appel à son entourage, le problème aurait certainement été réglé depuis longtemps. S’il ne l’a pas fait, c’est qu’il n’était pas sûr de la fiabilité de ses collaborateurs les plus proches ou encore qu’il ne souhaitait pas leur donner une arme supplémentaire pour le terrasser, un peu plus tard. Mais lisez son courrier, cela ne vous engage à rien…
Elle me tendit la lettre, j’en pris connaissance. Elle était manuscrite, une superbe écriture comme celle que les maîtres des écoles de jadis se plaisaient à enseigner à leurs élèves, avec des pleins et des déliés. Et une encre de Chine d’un noir profond que j’imaginai dispensée de manière régulière par la plume d’un stylo de grande marque.
« Ma chérie,
Si tu lis cette lettre, c’est que la Grande Faucheuse aura eu raison de moi, comme de tous les êtres, puisque personne n’est immortel. De toutes les œuvres de mon existence, tu resteras celle dont je suis le plus fier, je te sais apte à reprendre le flambeau et à le tenir bien haut, pour peu que tu saches t’entourer de soutiens fidèles et dévoués.
En revanche, il est un dossier qui va à présent t’incomber et dont j’ai un peu honte de devoir t’entretenir. Il s’agit d’un secret de famille qui me pourrit la vie depuis ma naissance et dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissants. Je sais seulement que mon père avait rédigé une lettre similaire à celle-ci, pour m’enjoindre de respecter sa volonté, ce que j’ai fait jusqu’à ce jour. Libre à toi, maintenant, d’agir à ta convenance, car je te libère de l’obligation familiale de te conformer à l’injonction de mon paternel.
Voilà près de vingt ans, depuis la mort de mon père, que je remets chaque mois à un maître chanteur une enveloppe contenant une somme d’argent conséquente en espèces. Mon père avait agi de la sorte avant moi, peut-être mon grand-père aussi. Je n’ai jamais cherché à connaître le secret que cache ce chantage. Ou plutôt si, j’ai cherché, mais pourn’obtenir en retour que des coups de bâton. Ce qui signifie que la personne qui nous fait chanter se trouve dans notre entourage. J’ai payé sans jamais chercher à savoir qui se trouvait à la réception de cette somme. Enfin si, une fois, j’ai voulu savoir et cela s’est mal terminé pour moi, mais cette affaire, tu n’as pas à la connaître, c’est un secret que j’emporterai avec moi dans la tombe.
Il est vraisemblable qu’une personne te contactera rapidement après ma disparition, pour te réclamer la poursuite des dons d’enveloppes, ainsi que ce fut le cas pour moi au décès de mon père. Je te conseille d’obtempérer. Mais ce n’est qu’un conseil. Si jamais tu veux savoir ce que cache ce mystère, je te donne un second conseil : fais confiance au capitaine Paul Capitaine. Mieux vaut parfois se défier de ses amis et faire confiance à ses ennemis. Il ne nous aime pas, et je le comprends, mais il est droit et intègre. Sans ces valeurs de sa part, j’aurais fini ma vie en prison et tu aurais eu des soucis sur ton parcours. Ensemble, nous avons signé une sorte de pacte tacite qu’il a su respecter. S’il acceptait de te venir en aide, alors, et seulement alors, tu pourrais envisager d’élucider le mystère et de faire cesser le pénible chantage.
Ma chérie, tes frères ne sont pas au courant de ce dossier, ils n’auraient pas la lucidité de le traiter raisonnablement. J’en ai touché deux mots à ta mère, mais trop peu pour qu’elle puisse t’aider. Tula connais, elle se fait du souci pour de petits détails alors, un chantage…
Tu trouveras divers documents dans l’enveloppe jointe à ce courrier. Peut-être qu’avec l’évolution de la technique, les progrès de la science et les possibilités offertes par l’informatique, il te sera possible de remonter jusqu’à l’origine de cette affaire. Mais attention, pas d’enquête officielle, tu ignores quel résultat tu vas trouver et quelles seraient les conséquences pour toi et notre famille.
Je sais, ce n’est pas un joli cadeau, mais je fais confiance à ton intelligence, à ton intuition et à ta perspicacité, pour juger de la position à tenir dans cette affaire. N’hésite pas à prendre le temps de la réflexion, rien de positif ne se réalise dans la précipitation.
Ton père qui t’aime, t’embrasse et te remercie d’être là,
Alexandre Pin »
Je relevai les yeux, perplexe, ne m’attendant pas à un tel coup de tonnerre. Et je lus en face de moi, dans le regard de Katell Pin, la quête d’une réponse positive de ma part, comme un enfant qui attendrait l’approbation de ses parents pour pouvoir aller jouer dans le jardin. Cela me gêna profondément. Je me décidai à relire la lettre, le temps de reprendre mes esprits. Je sentais le piège, mais d’un autre côté, je me piquais de savoir ce qui s’était passé d’assez important, voilà près de cent ans, pour que le père Pin crache au bassinet sans moufter. Cependant, même si je me trouvais au repos pour quelques semaines encore, j’étais flic, pas détective privé. Katell fixait toujours mon regard.
— Alors, vous acceptez de m’aider, Capitaine ?
— À une seule condition. Vous confiez le dossier à l’un de mes anciens collègues devenu depuis détective privé, Mario Capello, et je m’engage à le seconder pour mener le travail à bien.
— Non, mon père n’avait confiance qu’en vous, vous l’avez bien lu dans son courrier, et moi aussi d’ailleurs. Je ne le connais pas, votre ancien collègue. Ce dossier touche de trop près la famille Pin pour que je le laisse entre les mains d’un inconnu.
— Je suis désolé, c’est à prendre ou à laisser ! ponctuai-je en me levant de ma chaise. Même en arrêt maladie, je reste un flic et je ne peux être rémunéré dans le cadre d’une autre activité professionnelle. Mario, lui, est détective.
— Attendez, je vais soumettre la question à une personne de confiance, répliqua la politicienne, téléphone en main pour aller contacter un proche depuis l’escalier qui montait à l’étage de son appartement.
Je restai seul dans le bureau, n’entendant qu’un murmure imperceptible, dont j’ignorais la teneur, tout comme l’identité de l’interlocuteur de Katell. Celle-ci revint trois ou quatre minutes plus tard, un demi-sourire aux lèvres.
— C’est d’accord pour ce Mario Capello, mon conseiller confirme qu’il s’agit d’une personne sérieuse à qui il fait souvent appel. Mais vous me promettez de suivre vous-même le dossier en sa compagnie ?
— Je n’ai qu’une parole, assurai-je, avant de revenir sur la dernière phrase de mon interlocutrice. En revanche, pour un secret de famille, est-ce prudent de votre part de mettre votre conseiller dans la confidence ?
— Aucun souci de son côté, elle ne dira rien à personne et puis, de toute manière, elle est soumise au secret professionnel.
— Si vous le dites, Katell, persiflai-je, satisfait d’apprendre que le mystérieux conseiller était une femme. S’il s’agit de maître Alexia Morisot, méfiez-vous tout de même de ses volte-face inattendues…
Je n’obtins pas de réponse ni d’indice sur l’identité de la personne contactée. Katell fit le tour de son bureau, attrapa l’enveloppe assez épaisse et me la confia. J’ignorais ce qu’elle contenait exactement, sans doute des papiers rassemblés par le patriarche et concernant le chantage, je savais juste que Mario se régalerait de suivre un dossier plus consistant qu’un adultère consommé ou la filature d’un collaborateur véreux. Lorsque Katell me demanda comment notre intervention allait se dérouler, je lui promis de revenir la voir en compagnie de mon ami, dès que possible. C’est lui qui définirait la prestation et son coût : je n’avais pas la moindre idée de ses tarifs. Du moins, s’il acceptait la mission.
Dès cet instant, l’idée que Mario puisse décliner l’offre crispa la jolie rousse aux si beaux yeux gris bleu. L’aplomb de son paternel, son imperméabilité en toutes circonstances lui faisaient encore défaut, ce qui la rendait d’autant plus craquante. Et vulnérable à présent que le bras séculier, qui l’avait protégée jusqu’à ce jour, venait de l’abandonner. Et comme ce chantage n’était pas le seul des écueils qu’elle allait devoir affronter dans les prochains mois, elle devait se préparer à se tanner la peau, à s’endurcir le cœur, pour passer toutes les tempêtes avec une robustesse de chaque instant, du moins en apparence.
Je m’apprêtai à prendre congé et l’impression de solitude qui émanait d’elle m’émut un peu plus. Certes, elle s’appuyait sur ce mystérieux conseiller personnel à qui elle avait téléphoné, possiblement la matoise Alexia Morisot, mais un chef novice et son éminence grise, fût-elle vicelarde et perfide, ne faisaient pas une armée en ordre de bataille. Et dire que, de base, Katell était une adversaire, une politicienne qui méritait de finir derrière les barreaux d’une prison… Décidément, je m’encroûtais avec les années.
— J’ai un autre service à vous demander, Paul ! Je dois aller remettre la première enveloppe à l’endroit indiqué. Accepteriez-vous de m’accompagner, je me sentirais davantage en sécurité. Cela ne vous prendra qu’une heure, je vous en prie…
Je n’avais jamais su résister aux suppliques d’une femme, et pas davantage cette fois. Sa voiture se trouvait devant le bureau, je m’installai à ses côtés, m’enfonçant dans les volutes suaves d’un parfum enivrant. À la conduite de Katell, je sentis qu’elle était nerveuse. Elle prit des nouvelles de ma santé, aborda des sujets généraux, revint sur son avenir, m’avoua ses hésitations, ses doutes. Était-elle réellement taillée pour cette carrière ? Que pouvais-je répondre ? La décision était personnelle. D’ailleurs, elle n’attendait pas cela de moi, juste une oreille attentive et peut-être un conseil plein de bon sens. Nous arrivâmes au lieu prévu. Elle arrêta la voiture, nota qu’elle avait dix minutes de retard, sortit de l’habitacle, enfila son manteau et récupéra l’enveloppe. Elle me demanda de l’attendre à l’intérieur. La boîte à lettres se trouvait là, à une trentaine de mètres, quasiment à un croisement de vicinales. Après l’avoir inspectée, Katell lâcha l’enveloppe et revint vers la voiture. Elle se sentit soulagée, m’avoua que sa belle-sœur Brigitte s’était proposée de continuer à se charger de la corvée, mais elle voulait assumer elle-même les errances passées de sa famille.
— Donc votre belle-sœur est aussi dans la confidence du secret entre votre père et vous-même ? Finalement, toute la famille est au courant…
— Brigitte, ce n’est pas pareil, elle est notaire, je vous le rappelle, et les sommes d’argent transitent par son étude, comme de nombreux versements réguliers que nous avons à honorer.
— D’autres chantages à assumer ?
— Non, Paul, qu’allez-vous imaginer ? Vous êtes bien un flic, vous ! Nous avons aussi des engagements financiers mensuels pour des contrats satellites à nos affaires courantes. Mais, pardonnez-moi, ce volet de notre vie ne vous regarde pas.
Nous attendîmes un moment, jusqu’à ce que je lui dise que jamais le maître chanteur ne se risquerait à venir chercher l’enveloppe, tant que la voiture serait dans le secteur. Elle démarra en soupirant, me ramena à Quimper sans un mot, me lâcha vers le palais de justice, sans un remerciement, perdue dans ses pensées.
Dire que Mario accepta avec joie le suivi du dossier serait un euphémisme. Déjà, dès que je m’annonçai à son nouveau bureau de la rue des Réguaires en réclamant son aide, ses yeux pétillaient de plaisir. Et que dire de la grande Julie, sa secrétaire, qui me plongea dans les bras dès qu’elle me vit sur le seuil de la porte. La spontanéité et le naturel avaient toujours fait partie de ses points forts – et je n’y étais pas insensible – et elle n’avait pas changé. À croire qu’elle s’infligeait de chastes nuits entre deux de nos rendez-vous câlins, telle Pénélope attendant Ulysse. Et comme, depuis près de deux ans, j’étais demeuré fidèle à Dominique, la libido de la belle devait se trouver en sérieux manque. Seulement, futée comme une souris de dessin animé, elle savait qu’en l’absence prolongée de ma compagne, moi aussi, je me trouvais en période de disette. Mais après tout, peut-être était-elle tout simplement heureuse de me voir, épanouie dans sa vie sexuelle et satisfaite de son sort…
La découverte de l’identité du client potentiel étonna Mario qui me savait de longue date en conflit avec le clan Pin. Le volume de l’enveloppe kraft gonflée de documents l’excitait déjà, la perspective de plonger dans les mystères d’un vrai secret de famille avec ses grosses parts d’ombre et ses vérités tout aussi sombres le faisait déjà saliver. Je lui expliquai que nous devions rencontrer Katell au plus vite, charge à lui de fixer ses honoraires, conscient que la cliente roulait sur l’or et que, de son côté, il avait de nombreux investissements à prévoir pour améliorer l’efficacité de son service.
— Pour une telle affaire, mon tarif est de 120 euros de l’heure, hors frais d’enquête, expliqua Mario, en me sondant du regard.
— Monte à 150 sans hésiter, il y aura des risques, ils doivent être pris en compte. N’oublie pas que si nous menons à bien nos recherches, elle fera l’économie de 5 000 euros par mois, la somme réclamée actuellement par le maître chanteur. Et que ce soit clair dès le début, mon grand, je ne réclame pas de rétribution pour mon aide, je tiens à ma carte de police. Cela va me faire plaisir de reprendre du service, même en privé. Je tourne en rond du matin au soir alors que j’ai recouvré quasiment l’intégralité de mes moyens physiques.
— Avant de rédiger le contrat, intervint Julie qui n’en manquait pas une, je suis chargée de te faire passer une épreuve pratique à l’issue de laquelle je donnerai mon accord au toubib pour que tu reprennes ta place dans la Police Nationale.
— Bon, je vais appeler Katell Pin pour lui donner ma réponse verbale et prendre rendez-vous, enchaîna Mario, pour qu’elle signe le mandat par lequel je pourrai, avec les membres de mon équipe, mener enquête en son nom. J’aimerais bien que tu m’accompagnes, Paul, au moins pour ce premier contact.
— Pas de problème, je suis disponible jusqu’à ce soir et si nous traversons la ville à pied pour rejoindre la rue Amiral Ronarc’h, j’aurai même fait une partie de ma marche quotidienne.
— Si tu savais comme je suis heureux que nous fassions à nouveau équipe, avoua le jeune détective, cela me rappellera mes belles années, l’atmosphère enfiévrée des grosses enquêtes de la brigade…
— Tes belles années sont encore devant toi, répliquai-je en posant une main sur l’épaule de mon cadet. Tout le monde ne peut pas en dire autant !
— Cela, je ne peux pas en juger, tant que je n’ai pas testé à nouveau la mécanique, intervint Julie qui avait délaissé depuis un moment l’écran de son ordinateur.
Et moi qui avais parié avec Sarah qu’avant un an, ces deux-là seraient ensemble ! Avant de recevoir à la figure l’intuition de ma fille : Mario n’avait qu’un amour, c’était Rosie, mais il refusait de la fréquenter pour ne pas lui refiler sa cochonnerie. Quant à “la blondasse”, toujours selon ma fille, elle ne jurait que par moi, seulement à présent que j’étais casé, il lui restait juste à postuler pour les Ursulines.
J’avais toujours aimé travailler avec Mario. Bien que d’origine italienne, il était posé et réfléchi, presque introverti. C’était un bon flic et sans la venue dévastatrice de Marseillais à Quimper, sans la révélation vacharde d’un de ses anciens collègues de l’époque*, Mario ferait toujours partie de notre équipe. Depuis lors, cependant, son état de santé s’était équilibré, même s’il ne serait jamais totalement guéri des conséquences d’une transfusion sanguine mal sécurisée. Sur le chemin à travers le centre-ville, il m’expliqua comment il lui était plus aisé, désormais, de ménager son physique et d’adapter ses horaires à son état de santé du moment. Il sentait qu’il reprenait peu à peu une vie normale et envisageait même de s’ouvrir à une vie sociale, lui qui vivait en ermite depuis tant d’années. Il m’avoua son regret :
— Je suis passé à côté du grand amour, j’en ai conscience. Rose-Marie me relançait sans cesse et moi, je ne voulais pas la contaminer. Elle a cru que je la repoussais, la pauvre. Et maintenant, elle s’est orientée vers les filles et file le parfait amour avec Joëlle Compan, tant pis pour moi !
— En parlant de celle-là, elle te donne toujours autant de travail ? De son côté, on peut dire que sa carrière a décollé rapidement. En six ans, elle est devenue l’une des avocates en vue du barreau de Quimper et elle n’a plus peur de ferrailler avec les ténors.
— Non, elle ne me sollicite presque plus, elle est passée à des affaires d’un autre niveau, sans doute… Heureusement que je me suis fait une clientèle d’entreprises, sinon je ne tiendrais pas le coup. Les affaires familiales, double vie, dissimulation de patrimoine ou maltraitance d’enfant sont plutôt rares à Quimper, par chance pour les gens. Joëlle est passée dans une catégorie supérieure et a désormais davantage besoin du concours de juristes pointus, spécialistes du vice de procédure, que d’un détective novice pour des filatures. Mais son aide m’a tenu la tête hors de l’eau durant les premières années.
— Comme la nôtre l’a lancée dans sa profession, persiflai-je à dessein, il ne faudrait pas qu’elle l’oublie à présent que tout va bien pour elle. Note bien qu’elle a toujours eu la reconnaissance du ventre, et pas davantage, et l’envie de tutoyer les sommets, comme s’il s’agissait d’une revanche de sa part sur son départ dans la vie. Mais si nous avons besoin d’un conseil de juriste, je me réserve le droit de l’appeler et je te promets qu’elle nous aidera, surbookée ou pas !
Katell Pin accueillit avec soulagement notre acceptation. Elle semblait plus détendue qu’au retour de Pénalec. Elle ne sourcilla pas quand Mario lui annonça le tarif de sa prestation et signa le contrat dans la foulée. Elle souhaita savoir comment nous pensions nous y prendre pour démasquer le maître chanteur.
Mario lui expliqua que nous n’avions fait que survoler les documents et ignorions s’ils contenaient l’identité de cette personne ou des renseignements susceptibles de nous mener sur sa piste. En revanche, au vu des feuillets, il semblait qu’Alexandre Pin avait déjà réclamé, voilà une douzaine d’années, des investigations à un autre détective qui lui avait transmis les notes figurant dans le dossier, tout en conservant l’anonymat.
— Ce qui me surprend, enchaîna Katell, c’est que, comme me l’avait promis mon père dans sa lettre, le maître chanteur a pris contact avec moi, dès le lendemain de l’ouverture du testament, pour me fixer rendez-vous, comme s’il surveillait mes faits et gestes, ce qui est très désagréable.
— Comment êtes-vous entrée en possession de ce dossier ? questionna Mario, tablette en main.
— Père avait conservé certains papiers dans le coffre-fort de l’étude de mon frère Michel, à coup sûr plus sécurisé que celui de la maison, au cœur d’un hameau en rase campagne !
— Enfin, plutôt de l’étude de l’épouse de celui-ci, Brigitte, à l’heure actuelle, rectifiai-je avec le souci du détail. Quelles personnes étaient présentes à cet instant ?
— Ma mère, mes frères, ma belle-sœur et moi ! Mais je n’ai pas ouvert cette enveloppe personnelle devant les miens, puisqu’elle m’était destinée. Vous ne soupçonnez tout de même pas un membre de ma famille de nous faire chanter ?
— Non, je cherche juste à cerner le cercle des initiés et à comprendre l’enchaînement des événements. Chaque détail peut avoir son importance.
— Comment pensez-vous procéder ?
— Comme pour un dossier de police, répondit Mario. Enquête de proximité, recherche de témoins, travail de fourmi à partir des maigres indices dont nous disposons…
— Vous ne devez surtout pas éveiller les soupçons dans la région. Vous ne connaissez pas le Pays Bigouden, les gens se taisent face aux étrangers, mais ils parlent entre eux… Si vous ne faites pas preuve de discrétion, le maître chanteur saura rapidement que vous le traquez et il imaginera aisément que j’ai signé votre feuille de route.
— Katell, vous n’avez rien à craindre, intervins-je pour rassurer notre interlocutrice, celui-ci ne s’en prendra pas à vous pour deux raisons. D’abord, vous êtes sa source de revenus et personne de sensé ne bouche le puits auquel il vient s’abreuver. Ensuite, son univers c’est l’ombre, l’anonymat, jamais la pleine lumière. Vous agresser c’est avant tout prendre le risque de se trouver démasqué. En revanche, nous allons devoir fouiller dans le passé de la famille Pin, faire appel à la mémoire de chacun de ses membres, explorer chaque faille, les zones liées au chantage, mais aussi les zones d’ombre annexes, recelant d’autres secrets.
— De toute manière, vous travaillez pour mon compte, donc si vous trouvez des actes répréhensibles, vous ne pourrez pas vous en servir dans une enquête de police, réagit la jolie rousse qui avait repris du poil de la bête. On est bien d’accord là-dessus ?
— Aucune crainte ! assurai-je. D’autant que tous les méfaits que nous pourrions découvrir sont couverts par la prescription, sauf rebondissement dans les dernières années. Vous n’avez pas de cadavre dans vos placards, Katell ? Je veux dire, pas d’autres cadavres que ceux que je connais déjà ?
— Non, bien sûr !
— Et votre mystérieux conseiller particulier, c’est un appui fiable ?
— Oui, bien sûr, mais ne comptez pas sur moi pour vous en révéler l’identité, cette personne tient à la discrétion. Bon, Messieurs, vous avez du pain sur la planche, je ne vous retiens pas…
*
Ce mardi soir-là, Mario avait organisé une réunion de crise dans l’appartement qu’il occupait au premier étage du bâtiment abritant son bureau. Pour phosphorer sur les documents que nous possédions, il avait souhaité, en plus de Julie et moi, la présence de Sarah et Rose-Marie. Et pour appâter ses deux anciennes collègues, il avait promis de concocter un risotto aux crevettes et au curry. Je savais qu’il s’agissait de l’un des plats préférés de Rosie ; elle détestait les fruits de mer, mais elle adorait les crevettes dans un risotto. Et comme Curry était le joueur de basket préféré de Sarah qui lui trouvait un charme irrésistible, en plus d’un talent fou…
Julie avait effectué assez de photocopies du dossier pour que chaque invité puisse disposer d’un jeu complet. Une fois le repas achevé, Mario avait accordé une heure à tous pour prendre connaissance des informations contenues dans le dossier, annoter les détails à approfondir, soulever les questions qui méritaient d’être posées et suggérer les pistes à suivre en priorité. Une heure de total silence si ce n’étaient les réflexions à haute voix de Sarah qui ne pouvait s’empêcher de penser tout haut. Puis le maître de jeu invita chacun à exprimer ses impressions.
Sarah se lança forcément la première :
— Pour moi, c’est évident ! Le coupable, c’est le frère d’Alexandre ou l’un de ses enfants, rejeté par le reste du clan Pin pour une raison qui nous échappe encore. Pour un frangin, la réussite et la gloire ; pour l’autre, les galères et la vache enragée. Qui ne craquerait pas en tentant d’équilibrer à sa manière les plateaux de la balance ?
— Moi, ce que je peux dire, enchaîna Julie, c’est que l’auteur des notes de cours d’enquête est une fille !
— Et à quoi vois-tu ça ? s’étonna Sarah, hilare, toujours dure avec la grande blonde. Tu as trouvé une trace de blush sur l’un des feuillets en les photocopiant ?
— Non, je le sais par l’écriture, c’est tout ! réagit la secrétaire, sans céder à la provocation. Nous devons donc chercher une détective pour tenter d’en savoir davantage sur ce travail inachevé.
— Perso, ce qui me surprend, intervint RMC, c’est pourquoi le maître chanteur n’a jamais été attrapé alors qu’il donne rendez-vous toujours au même endroit à la personne qu’il fait roucouler. Une boîte aux lettres, même en pleine campagne, c’est facilement localisable, non ? Qu’en pensez-vous, Paul, vous qui avez déjà repéré l’endroit ?
— Cela fait effectivement partie des nombreuses questions sans réponse. La première : quelle faute a pu être commise par la famille Pin, assez grave pour qu’elle en paie encore les dividendes, tant d’années plus tard ? Sarah a raison, la mise à l’écart de Charles Pin, le frère d’Alexandre, laisse à penser qu’il a une part de responsabilité dans les événements de l’époque. Mais peut-être existe-t-il une autre explication que détiennent les membres de la famille Pin, Mathilde, la veuve d’Alexandre, en premier.
— Il est certain que si nous trouvions ce, ou cette, détective qui a investigué en Pays Bigouden voilà douze ans, nous gagnerions du temps, enchaîna Mario. Pas facile, d’autant qu’à l’époque, n’importe qui pouvait s’ériger enquêteur, sans diplôme professionnel ou expérience de terrain. Nous sommes face à une enquête bien complexe, mais si tel n’avait pas été le cas, Katell Pin n’aurait pas fait appel à nous.
— En tout cas, Mario, si tu as besoin de mes compétences en informatique, sache que tu peux faire appel à moi, s’engagea Rose-Marie avec émotion et solennité. Selon mon emploi du temps, et même sans ce succulent risotto, tu sais que tu peux toujours compter sur moi.
— Merci Rosie, cela me touche beaucoup de ta part ! répondit l’Italien qui avait, lui aussi, avalé une mandoline. Il est vrai que si tes bécanes savent fouiller dans les archives des journaux de la région, cela pourrait nous aider à découvrir les drames qui se sont passés à cette époque. Car, comme Paul, je crains que les gens du pays ne nous aident pas beaucoup…
— Bon, je vais m’installer à Pénalec dès demain, appris-je à mes camarades. Il me semble y avoir déjà vu un hôtel, pas loin du centre et de la mairie. Rien de tel que de s’immerger dans la faune locale pour glaner des informations en toute discrétion. Et puis le médecin m’a recommandé de la marche quotidienne, une envie de balades au cœur du Haut Pays Bigouden me taquine justement les gambettes.
— Moi, comme un fait exprès, je suis sur une enquête retorse avec Blaise, expliqua Sarah, dépitée. Le meurtre à l’arme blanche d’un promeneur, sur le Frugy, en pleine nuit. Pas de témoin, pas d’empreintes sur le couteau, on piétine comme ce n’est pas permis. Autant dire que je ne suis pas disponible avant le week-end pour vous prêter main-forte, je suis désolée.
— D’ici là, ton père aura résolu cette énigme, s’enflamma Julie en me gratifiant d’un clin d’œil, surtout s’il retient sur place une chambre d’hôtel avec un grand lit dans lequel je pourrai venir le rejoindre pour l’éclairer de mes fulgurances.
— Je vais voir avec Carole si je ne peux pas m’arranger pour me faire remplacer pour l’histoire du Frugy… riposta Sarah, très réactive. Sans une surveillance de chaque instant, mon papounet va faire encore des écarts dans son régime de vie, et je ne parle pas seulement de la nourriture. Il faut qu’il ménage ses artères et son cœur.
— De mon côté, après avoir réglé les autres dossiers en cours, je vais jongler entre des recherches depuis le bureau et des heures sur le terrain auprès de toi, Paul, s’excusa presque Mario, comprenant que j’allais me coltiner le plus fastidieux du boulot. Mais bigre, que cela fait plaisir de nous trouver à nouveau réunis autour d’une enquête, pas vrai ?
* Voir Du pastis dans l’Odet, même auteur, même collection.