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Le rapport fraternel et mutuellement fécond entre un pape contemporain et l’un des nouveaux mouvements ecclésiaux.
Cet ouvrage recueille les contributions données à l’occasion d’un colloque sur Paul VI et Chiara Lubich à Rome. Elles analysent les rapports entre Mgr Montini/Paul VI, Chiara Lubich et le mouvement des Focolari. C’est une histoire qui remonte bien au-delà du concile Vatican II et qui s’est poursuivie tout au long du pontificat de Paul VI, à une période qui a vu la naissance et l’affirmation à l’intérieur de l’Église de nombreux mouvements ecclésiaux. Au travers de nombreux documents inédits, on y voit le lien étroit qui s’est créé entre Chiara Lubich et Giovanni Battista Montini, lequel, dès ses années de service à la Secrétairerie d’État du Saint Siège et durant son pontificat, sut valoriser et encourager la dimension trinitaire, fraternelle et œcuménique du mouvement des Focolari. Un exemple lumineux de rapport fraternel et mutuellement fécond entre un pape contemporain et l’un des nouveaux mouvements ecclésiaux, les Focolari, nés avant mais dans l’esprit de Vatican II.
Retrouvez les contributions données lors d'un colloque sur Paul VI et Chiara Lubich à Rome qui analysent les rapports entre Mgr Montini/Paul VI, Chiara Lubich et le mouvement des Focolari.
EXTRAIT
L’ouverture œcuménique que le pape imprima dans ses discours pendant la période conciliaire fournit sans aucun doute une contribution importante à l’engagement de l’Église catholique pour recomposer une pleine communion visible entre les chrétiens et, d’autre part, apporta un soutien efficace à Chiara Lubich pour poursuivre le dialogue commencé ces années-là avec les chrétiens de différentes Églises. Le contenu de l’encyclique Ecclesiam suam concernant le dialogue l’incita à privilégier et à promouvoir de toutes les façons possibles ce dialogue que le Mouvement mettait en place petit à petit dans des cercles toujours plus vastes : non seulement à l’intérieur de l’Église catholique et entre les Églises, mais entre les religions, avec les personnes de convictions non religieuses et avec le monde contemporain. Les contacts établis pendant le Concile lui permirent de connaître différentes personnalités du monde orthodoxe, anglican, méthodiste et réformé et d’être invitée plus tard au Conseil œcuménique des Églises, en 1967.
A PROPOS DES AUTEURS
Cet ouvrage est le résultat du travail de plusieurs auteurs :
Piero Coda, thélogien,
Andrea Riccardi, fondateur de Sant'Egidio, et
Maria Voce, présidente des Focolari.
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L’Institut Paul VI de Brescia et le Centre Chiara Lubich sont heureux de pouvoir mettre à la disposition des lecteurs et de ceux qui étudient la vie de l’Église les documents présentés à l’occasion des Journées d’étude sur le thème « Paul VI et Chiara Lubich. La prophétie d’une Église qui se fait dialogue », qui se sont tenues à Castel Gandolfo les 7 et 8 novembre 2014, quelques jours avant la cérémonie solennelle de la béatification de Paul VI (19 octobre 2014).
Dès les débuts de son activité l’Institut Paul VI a cherché à collaborer avec des institutions académiques et des centres d’études en Europe et dans le monde pour approfondir des aspects du pontificat montinien et des thèmes qui avaient souvent une importance particulière dans le contexte local où s’étaient tenues les Journées d’étude. De telles initiatives ont été inspirées par la conviction que l’activité de recherche entreprise par l’Institut Paul VI aurait pu s’enrichir à travers la confrontation avec les recherches et les perspectives développées ailleurs et, en même temps, susciter une plus grande attention envers la signification de la figure et de l’œuvre de Paul VI dans l’Église et dans l’histoire contemporaine.
Cette tradition continue et les études rassemblées dans ce volume en marquent une nouvelle étape. L’Institut Paul VI exprime donc son plus vif remerciement à la présidente du Mouvement des Focolari, Maria Voce, et au Centre Chiara Lubich de Rocca di Papa pour sa cordiale disponibilité à collaborer à cette recherche et pour avoir rendu possible la réalisation d’un projet d’étude consacré aux rapports entre Paul VI et Chiara Lubich.
Les travaux des Journées d’étude de Castel Gandolfo ont proposé à l’attention des participants un thème nouveau, qui n’avait pas été traité jusque-là dans les rencontres d’étude organisées par l’Institut Paul VI. Il s’agit pourtant d’un thème qui est très intéressant pour permettre une meilleure compréhension du pontificat de Paul VI, ainsi que de son activité pastorale au cours des périodes précédentes, pendant lesquelles il s’est préparé à la charge pour laquelle il a été appelé le 21 juin 1963. La question qui se trouve au centre des études rassemblées dans ce volume représente, en effet, un point décisif de l’histoire de l’Église catholique au XXe siècle, qui a connu des transformations significatives dans la manière et dans les formes utilisées par les fidèles pour porter leur témoignage chrétien face au monde, pour donner leur contribution à la vie ecclésiale et participer à l’édification de la communauté humaine.
Les points de vue principaux et les domaines thématiques, que l’on peut déceler dans le projet de recherche qui a inspiré la définition du programme des Journées d’étude et qui est attesté par les essais rassemblés ici, sont au nombre de deux.
La partie centrale comprend une série d’exposés qui entendent étudier de manière analytique les rapports qui se sont noués entre Jean-Baptiste Montini-Paul VI, Chiara Lubich, Igino Giordani et le Mouvement des Focolari, ainsi que les milieux les plus significatifs dans lesquels se sont déployés l’activité du Mouvement et son service ecclésial. C’est une histoire dont les débuts remontent bien avant l’époque de Vatican II et qui mérite d’être évoquée à nouveau pour éclairer l’ensemble des contacts personnels et des expériences ecclésiales qui ont peu à peu fait mûrir les orientations proposées par Paul VI durant son pontificat.
L’histoire du Mouvement des Focolari et la manière avec laquelle Jean-Baptiste Montini-Paul VI l’a suivie et guidée représentent, en outre, un cas – significatif et marquant sans aucun doute – du phénomène plus vaste qui a vu dans la seconde moitié du XXe siècle la croissance et l’affirmation, à l’intérieur de l’Église catholique, de nombreux mouvements ecclésiaux. Les Journées d’étude ont donc voulu élargir l’horizon et considérer, avant tout dans une perspective historique, la signification et la portée de ces nouveaux sujets qui dans les décennies qui ont suivi Vatican II sont apparus sur la scène publique et ont joué un rôle toujours plus important dans l’Église et dans la société. Ce cadre historique général peut fournir une clé d’interprétation utile pour saisir les traits communs présents dans la riche variété des mouvements surgis dans la période post-conciliaire et doit également se laisser instruire par la spécificité de l’histoire de chaque mouvement pour éviter de recourir à des schématisations rigides et incapables de saisir la réalité. En même temps, la recherche historique peut établir un dialogue fructueux avec la réflexion théologique qui s’interroge sur le lien existant entre le développement des mouvements ecclésiaux, la vision de l’Église proposée par Vatican II et l’enseignement de Paul VI.
Sans vouloir prétendre anticiper les thèmes qui, avec une autre compétence que la mienne, ont été traités par les auteurs des exposés, il vaut la peine de rappeler, en conclusion de ces considérations introductives, les paroles avec lesquelles Paul VI a décrit la physionomie spirituelle et la mission du Mouvement des Focolari.
En rencontrant vingt mille jeunes du Mouvement Gen, le 2 mars 1975 dans la basilique du Vatican, Paul VI indique la parole de Jésus : « vous n’avez qu’un seul maître et vous êtes tous frères » (Mt 23, 8), comme une phrase pouvant résumer la spiritualité du Mouvement et, après avoir souligné la nécessité de maintenir vivante la foi dans le Christ, il met en particulier en lumière les conséquences « sociales » de la fraternité chrétienne :
« Vous êtes tous frères. » Ayez la sagesse et le courage d’arriver à cette conclusion, qui est la racine de la socialité chrétienne. Il est souvent déconcertant d’observer que beaucoup, qui se disent adeptes de l’Évangile, sont incapables de déduire de l’Évangile lui-même une vie en société fondée sur l’amour. Ils craignent peut-être, s’ils s’arment du seul Évangile, d’être faibles, abstraits, inaptes à la grande mission de rendre les hommes frères ; et ils pensent trouver des principes et des forces supplémentaires en allant chercher l’efficacité dans des écoles matérialistes et athées, qui tirent leur logique et leur énergie de la lutte des hommes contre les hommes. Ce ne sont là que des succédanés qui les empêchent d’éduquer le monde moderne à une vie en société juste et fraternelle. Vous, Génération nouvelle, soyez fidèles et cohérents. Si vous avez choisi le Christ comme Maître, faites-lui confiance, à lui et à l’Église, qui vous le transmet et vous le présente. Démontrez dans les faits la force réalisatrice de la charité, de l’amour social, instauré par le Maître. Ce sera une expérience nouvelle, oui, et génératrice d’un monde meilleur et plus juste1.
Angelo MAFFEIS
(1) Insegnamenti di Paolo VI, XII : 1975, Tipografia Poliglotta Vaticana, Città del Vaticano, 1976, pp. 200-201. Cf. aussi Nouvelle Cité 158 (avril 1975), p. 6.
Les rapports entre Paul VI et Chiara Lubich, auxquels sont principalement dédiés les essais publiés ici, constituent le point de vue d’où veut partir cette recherche pour illustrer, par une contribution paradigmatique, la vision de Paul VI sur les mouvements ecclésiaux et sur leur signification en relation avec la vision de l’Église proposée par le Concile.
Je voudrais juste esquisser, en quelques traits, le rôle important que ce grand pape a joué dans l’histoire du Mouvement des Focolari. Nous lui sommes redevables pour plusieurs raisons, mais avant tout pour son lumineux magistère, qui a marqué de manière claire et forte la formation de tous ceux qui se sont approchés de notre Œuvre.
En rappelant la première audience privée que lui avait accordée Paul VI le 31 octobre 1964, Chiara décrit par des paroles aux accents touchants l’expérience de sa rencontre avec le souverain pontife :
Quelle sagesse, quelle ouverture, quel grand cœur ! Je représentais et je portais une Œuvre nouvelle née dans l’Église, et dont la nouveauté se trouvait aussi bien dans la spiritualité que dans la structure. Mais cela ne posait pas de problèmes.
Dans l’exercice du ministère pétrinien, le pape Paul VI, en effet, a été déterminant pour reconnaître, promouvoir et aussi repérer les voies juridiquement praticables pour exprimer la physionomie spécifique de cette Œuvre nouvelle dans l’Église.
Dans l’interview rapportée par Città Nuova en 1978, au lendemain de la mort du pape, Chiara définissait aussi comme « inoubliable » une autre audience, qui lui avait été accordée en 1969, « lorsque, à cause de la nouveauté de cette Œuvre, qui portait l’unité sur tous les fronts, on craignait que ne puisse être approuvé un unique centre auquel se référeraient la partie féminine et la partie masculine, les différentes vocations laïques, sacerdotales, religieuses, les différentes branches, les différents mouvements à large rayonnement ». À cette occasion, rappelait Chiara Lubich, le pape « a voulu lui-même, personnellement, prendre les choses en main et l’on est ainsi parvenu à l’approbation ».
Il y a une consonance profonde qui se révèle de manière spéciale dans la très fine capacité spirituelle de Paul VI de saisir dans le charisme, donné par Dieu à Chiara Lubich, l’action de l’Esprit Saint au moment crucial de la célébration du concile Vatican II qui s’ouvre au dialogue à 360 degrés. En rencontrant Chiara, il écoute, il valorise, il encourage. Déjà frappé en 1964 par le caractère œcuménique du Mouvement, il l’exhorte : « Tout comme vous avez ouvert un dialogue avec les chrétiens non catholiques, faites de même avec ceux qui n’ont pas la foi. »
Un rapport tout spécial entre Chiara et Paul VI émerge de la correspondance qu’ils ont échangée au sujet du patriarche Athénagoras de Constantinople. Chiara, en effet, de 1967 à 1972, a accompli plusieurs voyages au Phanar pour rencontrer le patriarche, étant donné l’intérêt et l’amour que ce dernier manifestait pour le Mouvement.
À plusieurs occasions Chiara Lubich a raconté au pape la profonde proximité spirituelle qui en était née et comment le patriarche lui communiquait ses pensées et ses projets, en lui exprimant sa constante prière à Dieu pour que l’on parvienne à « l’unique calice » ; il lui parlait de son amour extraordinaire pour Paul VI et du souci qu’il avait de sa personne, au point qu’il demandait même à Chiara de lui transmettre de nombreuses recommandations pour sa santé. De tout cela Chiara informait le pape, qui lui répondait régulièrement. Dans une de ces lettres nous pouvons lire : « Disons quel réconfort, quelle édification, quelle espérance ont apportés à notre esprit les nouvelles que vous nous avez communiquées suite à votre conversation avec le vénérable patriarche Athénagoras. »
J’ai eu moi aussi personnellement, durant les dix années – de 1978 à 1988 – où j’ai vécu à Istanbul, la grâce et la joie de percevoir les fruits de ce chemin vers la communion, qui avait commencé de manière forte et visible avec l’accolade historique entre Athénagoras et Paul VI à Jérusalem en janvier 1964. Cette rencontre avait surpris le monde et les avait révélés frères. Ce rapport a continué, ensuite, entre les successeurs de ces deux grands hommes à la tête des deux Églises qui se reconnaissent désormais comme sœurs, jusqu’aux récentes, significatives et inoubliables rencontres du pape François avec le patriarche Bartolomée.
Un chemin auquel Paul VI, à travers des gestes tangibles et prophétiques, a ouvert la route, comme maître et témoin d’une Église qui se fait dialogue.
« Paul VI fait un très grand honneur à la papauté » – ainsi s’exprime Chiara le 20 octobre 1977 en parlant aux délégués du Mouvement dans le monde – parce qu’il « aime tout le monde sans crainte » et qu’il « se donne à tous ».
Et, en se référant à notre expérience, elle affirme que de nombreuses personnes, aux dénominations les plus variées, restent impressionnées « par la figure du pape, par cet amour qui le consume, par sa manière – comme le dit l’Apôtre – de se faire tout à tous. C’est peut-être aussi pour cela qu’Athénagoras l’appelait Paul II. Et ces visiteurs non catholiques avaient pour lui une estime unique ». « Par cette attitude, continue Chiara, le pape révèle la ligne de son pontificat. C’est le pape du dialogue avec le monde entier, c’est le pape qui voit potentiellement toute l’humanité comme une seule famille. »
Je voudrais encore mettre en évidence l’attention de Paul VI pour le monde des jeunes. À la fin des années 1960 de nombreux jeunes ont connu le Mouvement des Focolari dans les différents pays du monde où il s’était diffusé. Quand ils venaient à Rome, ils se rendaient en groupes à l’audience du pape et le saluaient par de longs et bruyants applaudissements, si bien qu’une fois, en 1967, rencontrant le saint-père, Chiara lui a exprimé sa préoccupation que leur enthousiasme n’ait pu déranger quelqu’un ; mais le pape la rassura : il en était heureux.
En ces années-là, marquées aussi par une forte contestation de la jeunesse, en les saluant dans une audience, Paul VI affirmait avec satisfaction que leur volonté de renouvellement trouvait son propre centre en Jésus, la « voie nouvelle », la « nouveauté » qui « bouleverse, si nécessaire » ce qui est « contrefait et insuffisant en notre époque » pour créer un « nouveau printemps », une « renaissance ». En 1975, à l’occasion du Genfest, aux vingt mille jeunes du monde entier qui remplissaient la basilique Saint-Pierre il redisait son appréciation de cette Génération Nouvelle (les Gen, la seconde génération du Mouvement) : « Une émouvante beauté », reconnaissait-il tout de suite après l’Angélus. Et il affirmait : « C’est un monde nouveau qui naît, le monde chrétien de la foi et de la charité. »
Quel accord avec l’appel à la « civilisation de l’amour » lancé par le saint-père en 1970 ! Appel repris de nombreuses fois par Chiara Lubich pour soutenir chaque effort vers l’unité et pousser les Gen à être comme Jésus ces « hommes-monde » qu’aujourd’hui encore le pape François considère comme d’une « grande actualité ».
Et qu’il me soit permis, en tant que femme, de rappeler avec reconnaissance la grande attention (directe et indirecte) dont le pape Paul VI a fait preuve vis-à-vis de l’univers féminin de l’Église.
C’est à lui que revient la décision d’admettre la participation de femmes (dix religieuses et treize laïques) au Concile comme auditrices, ce qui aura des effets positifs, parmi lesquels le libre accès aux études de théologie.
En 1970 c’est encore lui qui, par une décision historique, éleva au rang de docteurs de l’Église – titre qui n’avait jusque-là été accordé qu’à des hommes – les deux premières femmes : Catherine de Sienne et Thérèse d’Avila.
Nous sommes donc particulièrement heureux et reconnaissants de la collaboration entre l’Institut Paul VI et le Centre Chiara Lubich, promoteurs des Journées d’étude et de la publication présente qui pourra – nous le souhaitons tous – marquer un premier pas pour d’autres rencontres et études possibles.
Je voudrais conclure avec les paroles que Chiara adressa aux adhérents du Mouvement des Focolari au moment de la grande douleur du passage de Paul VI à l’autre vie.
Elle nous dit : « Soyez dignes de la confiance du pape. » Et elle continuait :
Pour moi le pape n’est pas mort, il a changé de lieu : de la chaire de Pierre depuis laquelle il veillait aussi sur nous et nous protégeait, à la présence de Dieu où il ne peut pas ne pas continuer à nous protéger avec cet amour sensible, actif, maternel, constant dont il nous avait comblés quand il était sur cette terre. Je sens qu’il ne nous manque pas, justement parce que, si tout vient à disparaître dans l’autre vie, la charité demeure. Et nous savons que la charité est l’amour de Dieu répandu dans nos cœurs. Or le lien que Paul VI avait avec nous était « charité », cette charité qui n’est pas une bienveillance superficielle, qui est activité, qui est audace, qui se sacrifie, est patiente, vient toujours en aide, jouit de ce qu’elle trouve de bien chez les autres, le suscite, en porte témoignage devant tous.
Maria VOCE
La vie actuelle a changé en profondeur le rapport entre Église et société. Depuis la Révolution française, nous sommes à l’heure de l’affirmation de la laïcité, mais aussi de la sécularisation des comportements. L’homme contemporain est différent de celui d’autres époques : on affirme maintenant la valeur de l’individu, de la liberté, on tient compte des choix du sujet, de ses sentiments. Au XIXe siècle, la restauration de l’État catholique entre en crise. La société devient pluraliste et libérale, et n’est plus complètement religieuse. Et de manière croissante. Un retour à l’ancien régime n’est plus possible. C’est là que se situe le début du mouvement catholique.
En France l’abbé Félicité de Lamennais constate la crise de la Restauration, perçoit l’incapacité du pouvoir monarchique à promouvoir un retour au régime de la chrétienté et propose que l’Église se mette en mouvement – c’est le terme qu’il emploie – dans une société pluraliste pour défendre et diffuser sa vision des choses. Les piliers de ce projet sont : Dieu et les peuples, dans la liberté. L’Église doit accepter le défi de la liberté et, à travers la mission et la presse (comme les mouvements politiques), entrer dans l’arène de la vie sociale pour y porter son message. Pour Lamennais le vieux monde est terminé. L’Église doit se transformer en mouvement, en utilisant les outils de la modernité. Lamennais avait vu loin, même si sa pensée le conduira, finalement, en dehors de l’Église.
C’est dans les premières décennies du XIXe siècle qu’émerge l’intuition décisive qui marquera l’Église contemporaine : les historiens parlent de mouvement catholique. Dans ce mouvement les laïcs côtoient le clergé, comme Charles de Montalembert en France ou Giuseppe Toniolo en Italie. Naît une nouvelle figure du catholique au côté du prêtre, du religieux ou de la religieuse : le militant, un laïc engagé dans l’Église, différent du simple fidèle. Il s’agit d’une figure différente de celle des laïcs qui avaient jusque-là exercé une influence dans la vie catholique : ces notables, aristocratiques pour la plupart, souvent à la tête de patronages ecclésiaux, et qui avaient été d’importants médiateurs entre l’Église et les pouvoirs. L’histoire contemporaine de l’Église marque la fin des notables catholiques et l’affirmation d’une nouvelle classe de laïcs militants.
On trouve ici la perception d’une époque nouvelle : une intuition missionnaire. Dans l’idée du mouvement il y a la conscience d’une mission à accomplir dans la société qui, si elle reste de tradition chrétienne, est devenue un monde « sorti de Dieu », comme l’a justement soutenu Émile Poulat1. Mission et mouvement avancent main dans la main. De l’idée de l’Église-mouvement part un faisceau de parcours différents. L’Église, surtout au XXe siècle, est en constante mobilisation. Une condition, pour utiliser une expression qui m’est chère, « agonique », c’est-à-dire de lutte, dans le sens grec du terme, et non de mort : celle que Miguel de Unamuno définit comme « l’agonie du christianisme2 ». L’Église-mouvement, pendant deux siècles, engendre de nouvelles organisations religieuses, sociales, éducatives, économiques, et même politiques. C’est aussi une époque marquée par la fondation de nombreuses congrégations de vie active, aspect important de l’extroversion de l’Église. Naissent l’Action catholique, les organisations sociales et une myriade d’associations laïques. Beaucoup d’entre elles ont un caractère fonctionnel pour atteindre des buts précis. D’autres sont des syndicats ou des partis. L’Action catholique, qui présente des structures différentes selon les pays, représente le mouvement des laïcs par excellence, lié, dans un rapport particulier, au pape et à la hiérarchie, jouant presque le rôle d’un tiers ordre dans différents épiscopats.
Avec le XIXe siècle s’affirme le catholicisme social qui a dans les mouvements son expression principale. Une figure typique du mouvement de ce siècle est Frédéric Ozanam, figure charismatique, professeur d’université et italianisant, disciple de Lamennais, fondateur de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, attentif au monde des pauvres. Ozanam lance l’idée d’une Église missionnaire qui doit passer au peuple : « Passons aux barbares ! » était son slogan. La mission consistait à « passer du côté des barbares, c’est-à-dire à abandonner le camp des rois, des hommes d’État de 1815, pour aller avec le peuple3 ». C’est la découverte du peuple : Église-mouvement et Église du peuple.
Le catholicisme, entre le XIXe et le XXe siècle, a créé un espace pour les mouvements en son propre sein. Les tensions n’ont pas manqué. Le modèle d’Église, que les élites bourgeoises et libérales essayaient d’affirmer, à travers les lois de sécularisation et de suppression de la vie religieuse, était celui d’une communauté réduite aux dimensions paroissiales et cultuelles d’un territoire. Les pouvoirs libéraux regardaient avec méfiance les associations catholiques de laïcs ou les mouvements sociaux, les considérant souvent comme le « péril noir », à l’instar du « péril rouge » représenté par les socialistes. Pour les pouvoirs anticléricaux ou laïcards l’Église devait se contenter de garantir le service religieux par l’intermédiaire des paroisses. Ce modèle « squelettique » d’Église a été poursuivi ensuite, à partir de 1917 ou 1945, par les politiques des régimes communistes, qui se sont opposés à la vie religieuse, à la libre association des laïcs, à la charité, à l’enseignement, à toute activité qui ne soit pas le culte. Les mouvements manifestent l’un des aspects les plus clairs de la liberté de l’Église : ils vivent dans l’autonomie, au sein de laquelle se place leur créativité responsable et autonome.
Je voudrais m’arrêter sur cette « réduction » de l’Église aux dimensions paroissiales et cultuelles (suite également à la suppression des congrégations religieuses). Ce sont souvent les dimensions « normales » de l’Église. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Mario Rosa, dans son livre récent sur Le Jansénisme dans l’Italie du XVIIIe siècle4, souligne combien les réformes léopoldines en Toscane, celles de Joseph II en Lombardie, et celle de l’évêque janséniste Scipion de’ Ricci à Pistoia, ont conduit à la réduction ou à la suppression des confréries, des religieux, tandis que prend de l’importance le rôle des paroisses, qui doivent prendre en charge également les activités menées précédemment par les associations ou par le clergé. La structuration complexe de l’Église (avec ses contradictions) se voit simplifiée, mettant un terme à une stratification plurielle. L’institution ecclésiastique devient un service religieux au territoire. Dans certaines visions des choses, un tel modèle a été « théologisé » et présenté comme le seul visage possible de l’Église. Mais il est le fruit d’une histoire de réductions progressives.
Comme on l’a déjà dit, entre le XIXe et le XXe siècle, dans un monde en voie de sécularisation, l’Église a compris la nécessité d’agir au milieu du peuple, comme mouvement et mission, en se donnant une consistance autonome dans une société qui a cessé d’être complètement chrétienne. Une telle dimension populaire se présente souvent comme une alternative à la société et à ses modèles, presque en une tension eschatologique. Cela ne signifie pas pour autant la fin des structures territoriales de l’Église, comme les paroisses, mais implique l’ouverture à de nouvelles formes de vie.
L’Église-mouvement ne s’identifie pas à la société, mais veut la changer. Elle ne subit pas la « dictature » de l’opinion publique qui, au fil des saisons, prétend agir en maîtresse, de manière quelquefois même agressive. La caractéristique principale de l’altérité est la mission, qui cherche à communiquer quelque chose que la société ne possède pas déjà en elle.
La communauté des croyants ne s’identifie pas à la communauté civile. L’Église et le village ne coïncident plus. Le catholicisme ne se contente pas de bénir la réalité qui l’entoure, mais il veut la transformer. C’est un choix de fond : ne pas s’adapter à la société, ce que fait en revanche l’Église anglicane, qui se conçoit comme une structure d’État dans le service religieux à la société. Dans le catholicisme certains soutiennent que l’Église est essentiellement diocèse et paroisse, d’autres en soulignent au contraire la dimension charismatique. Mais il s’agit de dimensions complémentaires. La synthèse catholique consiste à tenir ensemble les fils des diverses expériences, qui s’entremêlent souvent dans la réalité vécue.
En 1962, un anglican devenu, ensuite, prêtre catholique, Ronald A. Knox, publiait un texte, par certains côtés inégalé, sur Une histoire de l’enthousiasme religieux. Il y étudiait les mouvements spirituels, charismatiques, catholiques ou protestants. Il observait combien ces rénovateurs étaient des chrétiens et des chrétiennes (ces dernières surtout) avec une vie évangélique ouverte à l’Esprit et qui avaient pourtant suscité des réactions négatives de la part des « bons chrétiens ».
L’Église catholique est institutionnelle plus que toutes les autres communautés chrétiennes, écrit Knox. Ses ennemis concluent alors trop facilement qu’elle est incapable d’initiatives spirituelles : David dans l’armure de Saul en quelque sorte ; le jugement en arrive trop fréquemment à de telles conclusions. L’Église conserve dans ses coffres-forts les choses nouvelles comme les anciennes […]. Pourtant sa position est tout de même dangereuse […]. Nous n’avons pas été loin de penser que nous pouvions nous passer de saint François ou de saint Ignace ! L’homme ne vit pas sans visions […]. Celui qui se contentera de la monotonie, de la médiocrité, du simple écoulement des choses, ne sera pas pardonné5.
L’histoire des mouvements, depuis le XIXe siècle, a été celle d’enthousiasmes spirituels, de passions sociales et de charité, de visions pour l’Église et pour le monde. La tentation est de penser que l’on puisse se passer de cette réalité et se contenter des institutions ecclésiastiques existantes. L’histoire du catholicisme des deux derniers siècles reflète la complexité de la vie : une réelle complexio oppositorum.
L’Église-mouvement, engagée dans la mission, ne se renferme pas en une association d’êtres purs, en un cénacle de militants, en une élite de spirituels, en une avant-garde de parfaits. Elle reste l’Église du peuple avec les portes ouvertes sur le monde. Au XXe siècle on constate en outre que le christianisme se rencontre désormais en majorité dans des milieux urbains. En 2007, pour la première fois dans l’histoire, plus de la moitié de la population dans le monde vit dans des villes, si bien qu’un des grands problèmes du XXIe siècle est posé par les mégapoles. Mais on ne peut envisager la ville d’un point de vue pastoral simplement à travers sa dimension territoriale, même si la paroisse urbaine reste une réalité accessible à beaucoup de ceux qui veulent s’approcher de l’Église. On a beaucoup parlé de paroisse missionnaire et de paroisse communauté. La paroisse a avant tout une fonction historique : être une porte ouverte de l’Église sur la place où tout le monde se retrouve. Et pourtant, justement dans la ville contemporaine, les parcours du vécu chrétien sont multiples.
L’Église-mouvement s’est beaucoup consacrée à la mission : intérêt pour ceux qui sont au dehors, dialogue avec eux, recherche de ceux qui sont absents de la vie de l’Église, capacité de saisir les humeurs de la société. Elle n’est pas une avant-garde d’élus, mais s’ancre dans le peuple. En ce sens l’Action catholique, même si elle n’est pas née d’un charisme spécifique, a représenté une réalité de militants et de peuple, devenant aussi un mouvement de masse. L’Église des deux derniers siècles se présente donc aussi comme un ensemble de mouvements, de groupes motivés et unis, de communautés religieuses : une réalité de peuple. Une telle image se retrouve dans l’enseignement des papes. À commencer par Pie XII qui promeut, avec son appel de 1952 « à un monde meilleur », un renouvellement de l’Église et du monde, sous la direction du père Riccardo Lombardi6. Mais c’est avec Jean-Paul II que les mouvements, non seulement trouvent leur place, mais deviennent eux-mêmes signes de l’Église-mouvement :
L’Église elle-même, dit-il en 1981, est « un mouvement ». Et, surtout, elle est un mystère : le mystère de l’Amour éternel du Père […]. L’Église née de cette mission se trouve « in statu missionis ». Elle est un « mouvement » et pénètre dans les cœurs et dans les consciences. Elle est un « mouvement » qui s’inscrit dans l’histoire de l’homme-personne et des communautés humaines. Les « mouvements » dans l’Église doivent refléter en eux le mystère7.
Jean-Paul II a donné une clef de lecture du siècle passé (que j’ai développée dans un de mes livres, paru en Italie en 2000, Le Siècle des martyrs)8 : l’Église au XXe siècle redevient un peuple de martyrs. On doit souligner en particulier dans ce siècle le rôle des laïcs dans ce qui a véritablement été un martyre du peuple, dans lequel ressort la décision personnelle du chrétien d’être fidèle à l’Évangile malgré les intimidations et les menaces de mort.
Le XXe siècle, siècle de la liberté, a été celui des persécutions les plus terribles. Il a été aussi un siècle de grands choix personnels qui ont parfois conduit au martyre. Les chrétiens du XXe siècle sont, pour la plupart, chrétiens par choix et non par héritage. Ils auraient très bien pu ne pas l’être. Et parmi eux, il y a des martyrs.
Le XXe siècle voit la maturation de la responsabilité des laïcs. On écrit sur la théologie du laïcat et pas seulement sur la spiritualité pour les fidèles. Vatican II se sent la responsabilité d’exprimer ce que les laïcs vivent déjà en partie :
Les laïcs tiennent de leur union même avec le Christ Chef le devoir et le droit d’être apôtres […]. S’ils sont consacrés sacerdoce royal et nation sainte (cf. 1 P 2, 4-10), c’est pour faire de toutes leurs actions des offrandes spirituelles, et pour rendre témoignage au Christ sur toute la terre9.
La saison post-conciliaire est une période, quelquefois même confuse, de mise en avant du laïcat, dans lequel les fidèles se redécouvrent chez eux dans l’Église. D’un autre côté, dans une interprétation partielle de Vatican II, l’après-Concile devient une période de « rationalisation » de l’Église, qui met fortement l’accent sur l’Église locale, en en soulignant avec excès la dimension territoriale comme marque identificatrice de la communauté ecclésiale. Mais il est également significatif que Vatican II marque aussi la naissance des nouveaux mouvements. Il en ressort une période d’une grande vivacité. Les mouvements qui étaient nés avant Vatican II prennent de l’importance. Des mouvements et de nouvelles communautés s’affirment, qui trouvent dans le Concile un grand encouragement. Et un fait qui caractérise ces mouvements de laïcs est leur rapport avec un charisme. C’est là un point décisif, qui constitue un tournant par rapport à la première moitié du XXe siècle, époque où dominait une idée du mouvement laïque créé en fonction d’un but caritatif ou autre, ou bien alors comme l’émanation directe de la hiérarchie, tandis que l’aspect charismatique était plutôt réservé aux mouvements des religieux et des religieuses. C’est une nouveauté aussi par rapport au mouvement catholique du XIXe siècle, souvent plus lié à des œuvres et à des buts précis. Après le Concile, les mouvements laïques naissent et se développent en lien avec un charisme.
La croissance de ces mouvements a trouvé dans le pontificat de Jean-Paul II un point d’accroche et une reconnaissance. Ce pape, dès le début, a manifesté de l’intérêt pour les mouvements, justement pour la réception de Vatican II lui-même (il pensait à une fonction analogue à celle tenue par les ordres religieux après le concile de Trente). Une étape fondamentale a été la célébration de la Pentecôte à Saint-Pierre en 1998, précédée par un congrès. À cette occasion, le cardinal Joseph Ratzinger a établi les bases théologiques de la réalité des mouvements avec l’affirmation d’un large concept de la succession apostolique, qui, affirmait-il, « est appauvri et vraiment atrophié si on pense seulement à la structure de l’Église locale ». Les mouvements « ne peuvent être organisés ni fondés systématiquement par l’autorité. Ils doivent être donnés, et ils sont donnés10 », conclut le cardinal.
C’est là la nouveauté après Vatican II : plus que des initiatives de mobilisation ou des courants de spiritualité, ce sont des communautés liées à un charisme. Dans ce tissu charismatique la fonction et le service de la femme se trouvent valorisés, les époux trouvent leur pleine dignité, les laïcs leur responsabilité, quelquefois même prééminente par rapport à celle des prêtres, même dans le domaine pastoral. Dans ce tissu communautaire se place l’initiative responsable qui caractérise la libre et charismatique faculté de s’associer des laïcs.
Je voudrais conclure avec un bref aperçu sur le Mouvement des Focolari qui, né du charisme de Chiara Lubich, rassemble, autour de l’idéal de l’unité, les différentes composantes de la vie ecclésiale, des laïcs aux évêques. Il ne prétend pas remplir une fonction spécifique à l’intérieur de l’Église, mais se situe comme sujet autonome sur les différentes scènes du monde, écrivant librement des pages importantes de l’histoire du XXe siècle. Chiara dit aux jeunes en 1990 :
Le Mouvement a un but ambitieux et sublime, qui peut paraître utopique ; mais ce n’est pas le cas. Ses membres, dans leur grande majorité, s’appuient essentiellement sur une force qui les transcende […]. Le Mouvement croit en la possibilité de rendre le monde meilleur ; il croit qu’il est possible de faire de tous les hommes une seule famille, presque une seule patrie ; il croit à un monde solidaire, à un monde uni. Et il travaille à réaliser ce but11.
Il s’agit d’une utopie globale, au-delà des frontières d’une Église locale, dont le mouvement se fait porteur, comme sujet, tout en vivant sur un territoire et en s’insérant dans les réalités locales. Ces idées, typiques de l’après-Concile, se sont manifestées dès la naissance du Mouvement, tout de suite après la Seconde Guerre mondiale, et ont grandi progressivement.
Comment le Mouvement se situe-t-il dans son rapport avec l’Église italienne ? Comme on l’a dit, en ces années-là, un mouvement ne se concevait que comme une entité liée au pape et à la hiérarchie, et non comme le fruit d’un charisme, un sujet ecclésial. Un charisme collectif… Dans l’Italie de l’après-guerre on ne trouve pas d’expériences similaires, si ce n’est peut-être celle de don Zeno Saltini à Nomadelfia, qui a en commun avec Chiara son rapport amical avec Mgr Carlo de Ferrari, évêque de Carpi et, à partir de 1941, évêque de Trente. Mais l’expérience de Nomadelfia connaîtra, à la fin, une rupture dramatique avec la hiérarchie12.
Comment les Focolari pouvaient-ils se situer dans ce panorama ? Il faut étudier ici – et c’est très important – le rôle positif joué par Giovanni Battista Montini, substitut de la secrétairerie d’État auprès de Pie XII, jusqu’à la fin de 1954, puis archevêque de Milan. Il faut analyser l’approche de Chiara Lubich, qui ressent vivement la libre originalité du charisme, mais le situe en même temps dans le cœur de l’Église avec un ensemble de relations et de rencontres : un « humble orgueil » du charisme.
Toutefois, l’impact d’un mouvement charismatique dans le catholicisme italien, marqué ces années-là par le choc de civilisation avec le communisme, n’est pas facile. Chiara m’en a parlé plusieurs fois. À titre d’exemple, je me permets de citer la réunion des présidents des conférences épiscopales régionales de 1957, où l’on note chez les évêques un sentiment d’incertitude devant la situation du monde catholique, qui n’a plus la cohésion de l’après-guerre. Le cardinal Giuseppe Siri parle d’un laïcisme chez les catholiques, situation dont il attribue la responsabilité surtout aux thèses d’Emmanuel Mounier. Pour Mgr Giovanni Urbani les problèmes viennent de la pensée française qui anime les groupes et les mouvements catholiques. Pour l’archevêque de Pérouge, Mgr Pietro Parente, déjà sous-secrétaire à l’époque du Saint-Office, les problèmes viennent au contraire des thèses de Jacques Maritain : « Il minimise le charisme hiérarchique de l’Église, en faveur de l’aspect charismatique, distinguant exagérément le temporel du sacré. » Pour lui « il faut purifier l’Action catholique et surtout la Branche des Diplômés13 ». Quand on aborde le sujet des charismes, un évêque saisit l’occasion pour attaquer le Mouvement des Focolari : « Il prive l’Action catholique de ses meilleurs éléments… Il est laïciste, dans le sens qu’il agit à l’insu des évêques et s’oriente vers les charismatiques. La CEI devrait faire une déclaration pour éviter toute confusion. Il semble que certaines idées du père Lombardi soient partagées par les Focolari14. »
Avec Jean XXIII le climat change, même si ce pape – comme on le voit dans le cas de Lombardi – n’aime pas trop les expressions charismatiques. Toutefois, avec lui, la question des focolarini est plus traitée par la CEI que par le Saint-Office. La CEI analyse la situation en utilisant les méthodes du temps de Pie XII, dans une commission ad hoc, présidée par un évêque pacellien du Sud de l’Italie, Mgr Enrico Nicodemo. Le caractère inquisiteur des méthodes d’investigation nous laisse aujourd’hui pantois. Le résultat de la commission, en 1960, est négatif :
[La commission] considère donc les « focolarini » comme un mouvement infecté par un pseudo-mysticisme naturaliste, qui représente un danger pour la pureté de la doctrine, pour la solidité de la discipline et pour l’honnêteté des mœurs ; et comme tel non seulement il ne peut être ni approuvé ni encouragé, mais, de l’avis de la Commission, ne peut être non plus ni réformé ni corrigé et doit donc être dissous dans toutes ses structures et manifestations15.
Malgré tout, dans l’assemblée de la CEI, d’importantes interventions d’autres évêques atténuent des positions aussi tranchées. Trois interventions sont significatives en ce sens : celle du cardinal Giovanni Battista Montini, du cardinal Giacomo Lercaro, qui est à la recherche de nouveaux chemins pastoraux et ressent l’inquiétude de la mission, et du cardinal Maurilio Fossati, déjà âgé, qui représente une figure très pastorale, typique du pontificat de Pie XI, sensible au laïcat16. À peine quatre ans plus tard, avec Paul VI, en 1964, l’Œuvre est pleinement reconnue.
Le Mouvement entre comme un sujet dans l’histoire de l’Église. Presque dès le début il a une vision des choses qui n’est pas seulement italienne, il vit en somme une « géopolitique de l’esprit », comme le montre sa diffusion. Le Mouvement, par sa nature, se sent lié à Rome et au pape, et, d’autre part, est international et missionnaire dans le monde. Il est même global. L’idée de mouvement est ancienne dans le catholicisme, comme on l’a dit, et elle est révélatrice d’un christianisme qui ne se replie pas sur ses problèmes et ne se contente pas de jouer le rôle d’« aumônier » de la société civile. Au contraire, il vit l’urgence de changer le monde et de l’évangéliser : « Se changer soi-même pour changer le monde. Changer le monde pour se changer soi-même » devient l’heureux slogan des Focolari.
Mais dans les années de l’après-Concile une question se pose avec insistance. Elle met l’accent sur le risque d’une dichotomie entre l’Église institutionnelle et l’Église des mouvements. Un pluralisme trop marqué ne peut-il engendrer une incommunicabilité à l’intérieur de l’Église ? Ne risque-t-on pas d’assister à une sectarisation ecclésiale ? Le parcours des mouvements correspond, d’un point de vue historique, à ces impulsions charismatiques, avec un caractère universaliste, qui ont toujours caractérisé les diverses époques de la vie de l’Église : monastique, franciscaine (au début plus ouverte aux laïcs), post-tridentine. Ces forces de renouvellement ont toujours une portée à large rayonnement, elles ne sont pas réductibles à la dimension diocésaine, ce qui crée quelquefois une tension, sinon un conflit, avec les institutions territoriales. En dialogue avec l’Église les mouvements ont montré leur capacité à contribuer à son renouvellement, donnant à toute la communauté chrétienne des prêtres, des savants, des évêques et des maîtres. Ils ont écrit des histoires de sainteté.
En ce sens les mouvements actuels, bien que situés dans un cadre différent et avec une forte composante laïque, revivent les étapes des époques précédentes. Ils sont révélateurs d’un « génie catholique » typique de l’Église : l’intégration entre la dimension charismatique et la dimension institutionnelle, la correspondance entre liberté d’initiative et responsabilité ecclésiale, l’interpénétration entre une dimension universelle et une dimension locale et diocésaine.
Il ne s’agit pas de « sectariser » l’Église à travers les mouvements, mais de parvenir à une plus grande communion. La véritable réponse, pour Jean-Paul II, était la spiritualité de communion, héritage fondamental de Vatican II, pas encore pleinement reçu. Toute réalité (paroisses, mouvements, diocèses) peut courir le danger de ne se référer qu’à elle-même dans l’Église, ou, au contraire, s’ouvrir à la spiritualité de communion.
En de nombreuses parties du monde – en Afrique, en Amérique latine, en Amérique du Nord – le défi des sectes est important et leur ambiance chaleureuse et communautaire en fait une réalité attrayante même quand elles ne possèdent pas la clarté d’une proposition évangélique. Le néo-protestantisme, en un demi-siècle, est passé de zéro à un demi-milliard de fidèles, voyant sa galaxie augmenter de manière importante. Il devient « l’autre christianisme » et représente un grand défi pour ceux qui croient au christianisme tel que la longue tradition de l’Église l’a façonné.
Toutefois, il est le signe d’une demande de foi et de religion, très vivante chez l’homme d’aujourd’hui, qui vit « dépaysé17 » comme le dit Tzvetan Todorov, dans la mondialisation. C’est une grande interrogation, une nouvelle réalité à laquelle il nous faut réfléchir à l’avenir, entre l’Evangelii nuntiandi de Paul VI et l’Evangelii gaudium du pape François.
Andrea RICCARDI
(1) Cf. Émile POULAT, L’Ère postchrétienne. Un monde sorti de Dieu, Paris, Flammarion, 1994.
(2) Cf. Miguel DE UNAMUNO, L’Agonie du christianisme, Paris, Berg international, 1996.
(3) Andrea RICCARDI, « Dai movimenti alle communità dei fedeli nel Novecento », dans Christoph HEGGE (dir.), La Chiesa fiorisce. I movimenti e le nuove communità, Rome, Città Nuova, 2006, p. 40.
(4) Mario ROSA, Il Giansenismo nell’Italia del Settecento. Dalla riforma della Chiesa alla democrazia rivoluzionaria, Rome, Carocci, 2014.
(5) Ronald A. KNOX, Illuminati e carismatici. Una storia dell’entusiasmo religioso, Bologne, Il Mulino, 1970, p. 802.
(6) Cf. Giancarlo ZIZOLA, Il Microfono di Dio. Pio XII, padre Lombardi e i cattolici italiani, Milan, A. Mondadori, 1990.
(7) JEAN-PAUL II, Homélie à la messe des participants au Congrès « Les Mouvements dans l’Église », Castel Gandolfo, 27 septembre 1981, w2.vatican.va. Cf. aussi Andrea RICCARDI, Jean-Paul II. La biographie, Paris, Parole et Silence, 2014.
(8) Andrea RICCARDI, Le Siècle des martyrs, Paris, Plon, 2008.
(9) CONCILE VATICAN II, Décret Apostolicam actuositatem sur l’apostolat des laïcs, 18 novembre 1965, chap. 1, 3. Cf. aussi Yves CONGAR, Laïcat, Paris, Beauchesne, 1976.
(10) Joseph RATZINGER, « Les mouvements ecclésiaux et leur lieu théologique », dans Don de l’Esprit. Espérance pour les hommes, Nouan-le-Fuzelier, Éditions des Béatitudes, 1999, pp. 45-46.
(11) Chiara LUBICH, Pensée et spiritualité, textes choisis par Michel Vandeleene, Paris, Nouvelle Cité, 2003, pp. 433, 434.
(12) Cf. Remo RINALDI, Storia di Don Zeno e Nomadelfia, 2. vol., Grosseto, Nomadelfia, 2003 ; Maurilio GUASCO et Paolo TRIONFINI (dir.), Don Zeno e Nomadelfia. Tra società civile e società religiosa, Brescia, Morcelliana, 2001.
(13) Compte rendu de la Réunion des présidents des conférences épiscopales régionales, 1957, Conférences conciliaires d’Italie, Analyse politique pour les évêques (copie appartenant à l’auteur).
(14) Ibid.
(15) Commission pour les « focolarini », Compte rendu, Commission pastorale, Assemblée générale de la Conférence épiscopale italienne, Rome, 17-19 novembre 1960 (copie appartenant à l’auteur). Cf. aussi Andrea RICCARDI, Le Chiese di Pio XII, Rome-Bari, Laterza, 1986.
(16) Cf. Commission pour les « focolarini », Compte rendu, op. cit.
(17) Cf. Tzvetan TODOROV, L’Homme dépaysé, Paris, Seuil, 1998.
Durant les quinze années qui précédèrent Vatican II l’apostolat des laïcs avait été l’objet d’études de la part de théologiens innovateurs, surtout dans la sphère francophone (Yves Congar, Henri de Lubac, Gérard Philips, mais aussi Edward Schillebeeckx), tandis que les mouvements internationaux des intellectuels catholiques ouvraient un dialogue sur ce thème, élaboraient des projets et expérimentaient différentes formes d’activités. En 1951 s’était tenu à Rome le premier Congrès mondial de l’apostolat des laïcs, à l’initiative du président de l’Action catholique italienne (ACI), Vittorio Veronese, et sous la forte impulsion du fondateur de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), Mgr Joseph Cardjin. Tous ces personnages étaient bien connus et appréciés de Mgr Giovanni Battista Montini, qui fut aussi chargé par Pie XII de suivre la préparation du deuxième congrès, qui se tint en octobre 1957 et au cours duquel lui-même, qui était déjà archevêque de Milan, prononça un important discours d’orientation. En attendant, à la suite de la rencontre de 1951, le pape avait constitué spécialement l’année suivante un Comité permanent des congrès internationaux pour l’apostolat des laïcs (COPECIAL), en nommant Veronese comme secrétaire général, organisme chargé de rassembler et de coordonner les études et les expériences de tout ce qui se développait le mieux dans les domaines théologique et opérationnel1. Les noms de ceux qui prirent part aux initiatives de ce comité et les propositions relatives à la mission des laïcs dans l’Église sont les mêmes que ceux des protagonistes, des experts et des auditeurs laïcs présents à Vatican II, surtout pour la préparation du décret Apostolicam actuositatem. Il y a donc eu, entre ces premiers pas faits par une élite ecclésiale et le Concile, une continuité dans la manière d’aborder avec un esprit nouveau la vocation des laïcs, mais que seuls l’élaboration et le sceau conciliaires allaient traduire en termes de statut des laïcs et de nouveaux horizons pastoraux, que Paul VI soutint et approuva, et qui firent ensuite partie intégrante de son magistère.
Au moment de son élection au pontificat, Paul VI considéra que son premier devoir était de développer pleinement le Concile et de le porter à son accomplissement, et il orienta par la suite toute son action pastorale en vue de sa réalisation, conscient qu’il correspondrait de cette manière à sa mission de chef de l’Église dans les circonstances historiques de son époque. Le concile précédent, celui de Vatican I, avait été interrompu avant la fin par le pouvoir temporel et il fallait remonter au concile de Trente du XVIe siècle pour trouver un pape, Pie V, qui, au bout de trois décennies conciliaires, avait pu œuvrer pour faire appliquer les décrets. Le critère du renouvellement dans la tradition, cher à Montini, ne l’empêcha pas de saisir les extraordinaires éléments de nouveauté des documents conciliaires dans leur méthode et dans leur contenu, et, parmi eux, spécialement ce qui se référait au laïcat. Si tout son enseignement, à la lumière du Concile, apparaît clairement comme une catéchèse extrêmement soignée, c’est particulièrement évident quand il s’adresse aux laïcs, en dessinant progressivement leur identité et leur mission dans l’Église et dans le monde, cherchant à correspondre, d’un côté, aux indications conciliaires et, de l’autre, aux problématiques qui apparaissaient autant dans la communauté ecclésiale que dans la société.
On peut distinguer trois périodes dans la pensée et dans l’action de Paul VI dans ce domaine : une première phase de fondation d’une pastorale des laïcs renouvelée, une seconde de rencontre, d’évaluation et d’encouragement des expériences laïques et, enfin, une troisième de relance de la mission des laïcs dans la perspective plus large de l’évangélisation. Naturellement, dans chacun de ces moments sont présents tous les aspects de son intérêt pour les laïcs, mais sa façon de procéder est davantage marquée par le contexte historique en relation avec l’évolution même des rassemblements de laïcs en associations, de la vie interne de l’Église et, surtout, des événements de la société internationale.
Déjà durant les travaux conciliaires, Paul VI dans ses discours, ses enseignements et ses audiences avait manifesté son intérêt pour le laïcat catholique, en mettant en valeur les activités de la période précédente, dont il avait été lui-même l’animateur, le témoin et le maître, et en appelant quelques laïcs à assister à la grande assemblée en tant qu’observateurs2. Mais sur la base des constitutions et des décrets qui les concernaient il établit ce laïcat à un niveau plus élevé, en lui imprimant une accélération et en changeant la perspective suite aux nouveautés introduites pour dessiner l’Église peuple de Dieu en chemin vers l’histoire. Quelques-uns des termes qu’il emploie sont les mêmes qu’auparavant, de même que restent certains des protagonistes qui lui sont chers, mais le style employé et les significations acquièrent une valeur nouvelle.
Beaucoup de choses avaient déjà été dites et enseignées durant les pontificats de Pie XI et de Pie XII, sur l’appel adressé aux laïcs à être apôtres et sur l’apostolat comme mission qui leur était confiée par la hiérarchie ; mais maintenant pourtant, en adoptant justement l’expression du décret Apostolicam actuositatem ces paroles se voient revêtues d’une force innovatrice, qui ne sera pas très populaire dans la pratique ecclésiale, mais que le pape Montini recommanda avec insistance et que, de 1965 à 1968, il codifia en pratique.
La thématique de l’apostolat au sens conciliaire fut clairement énoncée lors de l’audience générale du 23 mars 1966, dans laquelle, après avoir affirmé que l’attention du Concile envers les laïcs était une nouveauté dans la vie de l’Église, et qu’il en avait parlé expressément, il indiqua deux types de vocation pour le laïc chrétien : la vocation de tous à la perfection chrétienne, c’est-à-dire à la sainteté, et la vocation spécifique à l’apostolat, pour laquelle il invitait à « oser des gestes qui soient utiles aux autres, à adhérer de manière humble et volontaire aux formes organisées par l’action apostolique des laïcs3 », en concluant qu’entre les différentes formes d’apostolat chacun choisirait ce qu’il considérait lui convenir le mieux.
L’année suivante il institua le Consilium de laicis4, organisme créé au Vatican justement pour donner une suite concrète aux délibérations du Concile, en agissant ainsi à la fois sur un plan institutionnel et sur celui de l’exhortation catéchétique. Le 6 janvier 1967 il publia le motu proprio Catholicam Christi Ecclesiam, qui donnait vie, en suivant les indications du n° 26 de Apostolicam actuositatem, au Conseil et le 18 avril il en recevait les membres avec le nouveau président, le cardinal Maurice Roy, qui était en même temps président de Justice et Paix, l’autre organisme créé avec le même motu proprio, en prononçant pour eux un discours programmatique. Le 25 octobre, en commentant les résultats du troisième Congrès mondial de l’apostolat des laïcs, qui s’était déroulé à Rome du 11 au 18 octobre, et dont il avait déjà parlé à l’audience générale du 18 octobre, il ouvrit ce que l’on peut considérer comme une trilogie dédiée à ce thème, qu’il développa par la suite les 7 et 14 février 19685.
D’après Paul VI le Conseil des laïcs aurait dû être tout autre chose qu’un instrument bureaucratique et centralisateur, mais plutôt un facteur dynamique, ouvert sur la valorisation des nouveautés de la vie contemporaine, justement selon la méthode de Vatican II, duquel il était comme un prolongement, et selon l’esprit de l’encyclique Ecclesiam suam. Les buts indiqués dans le motu proprio étaient au nombre de quatre : promouvoir l’apostolat des laïcs sur un plan international, en en réalisant la coordination et l’insertion dans l’apostolat général de l’Église, servant aussi de lieu de rencontre et de dialogue entre la hiérarchie et les laïcs et entre les laïcs eux-mêmes ; assister la hiérarchie et les laïcs dans les œuvres apostoliques ; étudier les problèmes de l’apostolat des laïcs spécialement en relation avec l’ensemble de la pastorale ; constituer un centre de documentation en vue de fournir des orientations pour la formation des laïcs.
Dans l’audience du 18 avril 1967 le pape voulut faire le point sur la question des laïcs, avec une brève réflexion sur le passé, le présent et l’avenir. Avant tout, après avoir précisé que l’apostolat des laïcs avait déjà une histoire riche et multiforme, et qu’il ne s’agissait donc pas là d’un commencement sans précédents, il dit expressément qu’il fallait être reconnaissant envers Dieu et envers ceux qui avaient semé tout ce que l’on pouvait maintenant « joyeusement » récolter. Une reconnaissance et un remerciement qui engageait le Conseil – et les laïcs en général – à une nouvelle étape dans le processus désormais séculaire de l’insertion du laïcat dans les organes et les activités qualifiées de l’Église. En regardant ensuite l’avenir avec joie et espérance, dans la certitude que le laïcat catholique apporterait une nouvelle efficacité spirituelle et apostolique pour l’évangélisation dans le monde, jusque dans ses expressions temporelles, Paul VI invitait à mettre en pratique l’enseignement de Gaudium et spes, que lui-même avait voulu prolonger dans l’encyclique Populorum progressio. La référence à l’encyclique, promulguée le 26 mars 1967, est un signe très important pour comprendre l’élargissement de la vision de l’apostolat dans le sens de l’évangélisation et de la promotion d’une pleine humanité, un devoir de grande importance ou, comme le dit le pape, un champ immense à cultiver sous toutes les formes, dans tous les milieux et dans tous les pays6. De la même manière l’exhortation finale adressée à tous les laïcs chrétiens dans le discours au Conseil contient une précision qui révèle la préoccupation de Paul VI d’opérer un raccord constant avec la communauté ecclésiale locale, qui manquait parfois d’initiatives pour mettre le Concile en application :
Nous convions tous les laïcs pour que, toujours plus et toujours mieux, ils soient apôtres, témoins du Christ, porteurs de son Évangile. Ainsi les fidèles, en étroite communion d’âme avec leurs pasteurs, seront toujours plus un ferment dans le monde7.
La référence aux évêques en esprit de communion dans la pensée du pape allait de pair avec la coopération communautaire entre toutes les organisations laïques. Cela fut mis bien en évidence, lorsque dans l’audience générale du 18 octobre 1967, en parlant du troisième Congrès mondial de l’apostolat des laïcs, il dit qu’il s’agissait d’un événement important dans la vie de l’Église dans la période post-conciliaire de renouvellement du catholicisme et que, étant célébré par des laïcs et pour des laïcs, il devait intéresser « tous les mouvements, toutes les associations, et les activités du laïcat catholique au sein de l’Église8 ».
La semaine suivante, le 25 octobre, le pape invitait les laïcs à prendre conscience de leur vocation à l’apostolat et à donner à l’apostolat de l’Église « vivante et moderne9 » leur contribution sous forme individuelle et collective. Pour la contribution individuelle, il se contentait de répéter ce qu’il avait affirmé dans