Perspectives actuelles de la formation des psychanalystes - Jacques Nassif - E-Book

Perspectives actuelles de la formation des psychanalystes E-Book

Jacques Nassif

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Beschreibung

Réduire les questions d’une praxis analytique au débat sur les  réglementations nationales est inadéquat et devient de plus en plus anachronique, les enjeux soulevés étant joués à l’avance. Telle est la question qui se pose dans les temps que nous traversons en Europe. Rester emprisonnés dans des discours législatifs, à propos de la psychanalyse, et comme cela ressort encore davantage dans le cas italien, c’est la meilleure façon d’arriver à la disparition du psychanalyste et donc de la psychanalyse, étant donné qu’il ne peut pas exister de psychanalyse sans psychanalyste.D’autant plus qu’actuellement les États de la vielle Europe ce donnent le mot pour faire en sorte que la psychanalyse, non seulement ne soit plus permise, mais se voie de plus en plus interdite, d’autant qu’il y a lieu de tenir compte de la renaissance du fascisme en Europe, que l’on peut voir anticipé dès aujourd’hui aux États-Unis.Par ailleurs, la psychanalyse ne peut pas aspirer à être reconnue par l’État ou par la société, si elle ne se réduit pas à une psychothérapie, redevenant ce qu’elle a toujours été : le savoir retrouvé du désir inconscient qui est tragique. Tout ce qu’elle peut donc faire pour son existence dépend des conquêtes d’ordre théorique dont elle pourra  se montrer capable, c’est-à-dire, des activités de recherche auxquelles les psychanalystes peuvent se consacrer pour remettre en jeu leur savoir dans un  discours.Ce livre est le premier témoignage d’un débat théorique qui,  depuis quelques temps, se tient au niveau européen entre les associations membres d’un Inter-Associatif qui se veut de Psychanalyse et qui se dit Européen. Et il en ressort que c’est le pari de la « traduction » et de la rencontre entre les langues qui devient la mesure d’une possible relance de la théorie de la psychanalyse et partant de la formation du psychanalyste. Tout cela implique que l’on s’efforce de reconstruire théoriquement cette discipline, afin de l’extraire de tout ce qui l’a réduite à n’être qu’une forme d’application d’une quelconque technique psychologique, aboutissant, à vrai dire, à en faire une psycho-hygiène sociale.

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Présentation

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Perspectives actuelles de la formation des psychanalystes

Giovanni Sias, Avant-projet pour la constitution d'un Institut Européen pour la psychanalyse

Jacques Nassif, À quoi pourrait servir aujourd'hui l'Inter-Associatif Européen de Psychanalyse?

Franco Quesito, Proposition d'un Institut Européen de psychanalyse

Présentation

Réduire les questions d’une praxis analytique au débat sur les réglementations nationales est inadéquat et devient de plus en plus anachronique, les enjeux soulevés étant joués à l’avance. Telle est la question qui se pose dans les temps que nous traversons en Europe. Rester emprisonnés dans des discours législatifs, à propos de la psychanalyse, et comme cela ressort encore davantage dans le cas italien, c’est la meilleure façon d’arriver à la disparition du psychanalyste et donc de la psychanalyse, étant donné qu’il ne peut pas exister de psychanalyse sans psychanalyste.

D’autant plus qu’actuellement les États de la vielle Europe ce donnent le mot pour faire en sorte que la psychanalyse, non seulement ne soit plus permise, mais se voie de plus en plus interdite, d’autant qu’il y a lieu de tenir compte de la renaissance du fascisme en Europe, que l’on peut voir anticipé dès aujourd’hui aux États-Unis.

Par ailleurs, la psychanalyse ne peut pas aspirer à être reconnue par l’État ou par la société, si elle ne se réduit pas à une psychothérapie, redevenant ce qu’elle a toujours été : le savoir retrouvé du désir inconscient qui est tragique. Tout ce qu’elle peut donc faire pour son existence dépend des conquêtes d’ordre théorique dont elle pourra se montrer capable, c’est-à-dire, des activités de recherche auxquelles les psychanalystes peuvent se consacrer pour remettre en jeu leur savoir dans un discours.

Ce livre est le premier témoignage d’un débat théorique qui, depuis quelques temps, se tient au niveau européen entre les associations membres d’un Inter-Associatif qui se veut de Psychanalyse et qui se dit Européen. Et il en ressort que c’est le pari de la « traduction » et de la rencontre entre les langues qui devient la mesure d’une possible relance de la théorie de la psychanalyse et partant de la formation du psychanalyste.

Tout cela implique que l’on s’efforce de reconstruire théoriquement cette discipline, afin de l’extraire de tout ce qui l’a réduite à n’être qu’une forme d’application d’une quelconque technique psychologique, aboutissant, à vrai dire, à en faire une psycho-hygiène sociale.

 

 

JACQUES NASSIF FRANCO QUESITO GIOVANNI SIAS

PERSPECTIVES ACTUELLES

DE LA FORMATION DES PSYCHANALYSTES

Propositions sur la constitution d’un Centre des Recherches

sur les formations du psychanalyste en Europe

Psicanalisi e dintorni / 12

Première édition numérique, janvier 2017

© 2017 Polimnia Digital Editions s.r.l., via Campo Marzio, 34, 33077 Sacile (PN)

ISBN: 978-88-99193-20-1

ISBN-A: 10.978.8899193/201

www.polimniadigitaleditions.com

mailto:[email protected]

Catalogue de Polimnia Digital Editions

PERSPECTIVES ACTUELLES DE LA FORMATION DES PSYCHANALYSTES

GIOVANNI SIAS

AVANT-PROJET POUR LA CONSTITUTION D’UN

INSTITUT EUROPEÉN POUR LA PSYCHANALYSE

1. Quelques mots pour une histoire

Se sont déjà écoulés 24 ans depuis que les analystes européens ont essayé de constituer un institut européen pour la formation des analystes. Belges, Danois, Espagnols, Français, Italiens, Luxembourgeois, ont réuni en 1992 des groups de travail pour étudier la question.

La chose a de quoi provoquer l’étonnement. En premier lieu, parce que cette attention à une formation lancée au-delà des modalités des associations nationales ou locales toutes repliées sur elles-mêmes était déjà à l’ordre du jour: c’est-à-dire que depuis longtemps les analystes ont bien compris que le pari pour la psychanalyse pouvait se jouer seulement à un niveau supranational.

Et en second lieu, bien qu’ils l’aient compris, ils ont décidé de ne rien faire. Les clôtures des associations ont triomphé sur la nécessité de travailler ensemble, et la recherche du pouvoir a prévalu sur la possibilité concrète de surmonter le narcissisme “des petites différences”, chacun visant à préserver le pouvoir du maître et le Nom d’Un qui fait son support.

Tout ça, bien qu’il y ait de bonnes raisons pour le mentionner et le rappeler, nous laisse encore au niveau des apparences. Il y en a un autre et nous y reviendrons.

Mais ce qui a fait vraiment une différence dans le mouvement psychanalytique a été la constitution (ou le passage) de l’Inter-associatif Français de Psychanalyse à l’Inter-associatif Européen de Psychanalyse, lieu où les psychanalystes ont pu mettre en œuvre et expérimenter de nouvelles formes de démocratie entre les psychanalystes et dans les relations entre les associations de psychanalyse.

Les autres, et en particulier les “grandes” maisons de la psychanalyse lacanienne, ont continué dans leurs démarches fondées sur le pouvoir, en se donnant des noms ronflants (association mondiale, internationale, etc.), signe de la surenchère qui les pousse à mesurer leur pouvoir les unes par rapport aux autres.

Tout ça a porté la psychanalyse à être ce qu’elle n’aurait jamais dû être, c’est-à-dire un lieu de pensée “épigonal”, où les psychanalystes sont devenus de plus en plus des sourds conduits par un aveugle. Ils sont déjà des zombies, même s’ils ne le savent pas, vu qu’ils ignorent désormais quelle est leur place et d’où vient leur fonction dans l’expérience de l’analyse. À propos de la place de l’analyste, il n’est pas inutile de rappeler ce que disait Serge Leclaire à l’adresse de Miller, à savoir que: le jour où l’analyste aura sa place, nous n’aurons plus affaire à l’analyse. Je me réfère en particulier à la demande de reconnaissance d’utilité publique qu’il a faite (et obtenue!) pour son association.

Les psychanalystes, en quête de quelque garantie pour leur pratique (ou bien anxieux de devenir des professionnels reconnus comme spécialistes), n’ont pas compris que, si l’État en venait à reconnaître “le désir subjectif”, il y aurait quelque chose qui ne marcherait pas, c’est-à-dire que, du fait que le désir est fondamentalement asocial, l’État ne peut pas le reconnaître sans risquer sa propre dissolution. Nous nous trouvons confrontés, comme Antigone, à deux lois, celle du désir et celle de la Cité, ou aujourd’hui de l’État; or ces deux lois restent encore et toujours inconciliables.

Voilà pourquoi peuvent sortir du chapeau des psychothérapies, même celles se disant psychanalytiques, pour leur orientation (sic!), qui s’occupent du désir, mais seulement pour le ramener, pour l’intégrer, pour l’assimiler et pour l’adapter à l’intérieur de la norme sociale: c’est-à-dire, en faire un désir dépourvu de son essence tragique. Il faudrait donc ici se demander si, dans le lieu du désir où nous sommes convoqués par l’analysant, les normes sociales ont droit de cité!

Safouan a parlé, dans son livre sur la formation des analystes, de Realpolitik: politique d’adaptation de la majorité de psychanalystes qui ont sacrifié l’inconscient, optant en faveur d’une prétendue Realpolitik, c’est-à-dire au nom de l’organisation professionnelle. Il faut remarquer le fait, souligné par Safouan, qu’une telle Realpolitik est tout à fait illusoire, c’est-à-dire que les objectifs concrets poursuivis par une telle politique visent à promouvoir l’impératif de la démission subjective de l’analyste, déjà inscrite dans la réalité institutionnelle, si bien que tout ce qui lui reste de sa position de sujet se limite à la capacité de la négocier. Tout à fait dans le style analysé par Karl Marx de cette marchandise qu’est la main-d’œuvre.

Il me semble que, durant les années écoulées depuis le Congrès de Paris (1938), les psychanalystes ont de plus en plus arrêté la recherche pour se tourner vers l’organisation professionnelle. Ils se sont par ailleurs attachés à décrire un nombre de plus en plus sophistiqué et ridicule de symptômes et de syndromes, en s’alignant sur la démarche des psychiatres et des psychologues, se voyant entraînés sur le même chariot. On fait semblant d’être contre le DSM, mais aujourd’hui on produit le PDM. À Gênes, ces derniers temps, a été présenté par Nancy McWilliams et Vittorio Lingiardi, les promoteurs et responsables scientifiques de sa publication, le PDM-2 (Psycho-dynamic Diagnostical Manual). Dans leur présentation, on peut lire: “Si le DSM peut être définicomme une « taxinomie des maladies », le PDM est plutôt une « taxinomie des individus », autrement dit, ons’y fixe le but de fournir au clinicien les informations nécessaires pour comprendre ce qu’est une personne,et pas seulement ce qu’elle a”. Il reste à noter, en passant, que dans les départements de Psychologie en Italie, l’annonce de l’événement circule comme: “Présentation du Manuel Diagnostic de Psychanalyse”.

Lacan, en son temps, a dénoncé une pratique de la psychanalyse mitigée, dans la mesure où elle se soumettait au déferlement des vagues d’une psychothérapie associée aux besoins de l’hygiène sociale, ce qui lui permettait de conclure que si, à son époque, la psychanalyse était partout, les psychanalystes, eux, ne pouvaient être qu’autre part. Aujourd’hui, dans l’imposture de notre époque, nous pouvons affirmer l’inverse, à savoir: les psychanalystes sont partout, la psychanalyse autre parte.

Bien, avec Safouan nous nous trouvons en 1983, avec Lacan en 1971 et avec Leclaire en 1965. Et si nous allons à rebours et revenons encore en arrière, nous n’aurons aucun mal à retrouver des affirmations similaires, déjà chez Freud ou Ferenczi.

Donc, nous ne nous trouvons pas dans une condition extraordinaire pour ce qui est de définir la psychanalyse et les psychanalystes ou pour ce qui est d’assigner un sens à leur présence en Occident. La force subversive de sa logique et de sa pratique a toujours rencontré une sérieuse opposition et déterminé un rejet massif: je voudrais encore souligner que, si l’État, un quelconque État du monde occidental, reconnaissait la psychanalyse, ou bien la logique du désir ou encore une modalité analytique d’entériner la formation, il se passerait quelque chose de trop étrange. De deux choses l’une: ou bien l’État qu’on appelle “moderne” n’est plus l’État de la bourgeoisie issue de la Révolution française, ou le psychanalyste n’est plus un psychanalyste. C’est-à-dire que, si la forme sociale, dans laquelle la psychanalyse a pris son élan, montre sa disponibilité à admettre dans ses statuts celui du psychanalyste, il y a quelque chose qui ne va pas, parce qu’ou la forme sociale s’est désagrégée en tant qu’elle se risque à accueillir la loi du désir, et donc la désintégration de toute “norme” qu’il serait possible de reconnaître comme “sociale”, ou celui qui se qualifie de psychanalyste, devra jouer au docteur, c’est-à-dire s‘insérer comme il faut dans les programmes de l’hygiène mentale, avec leur idéal de santé psycho-physique qui n’est rien d’autre que la transposition de l’idée nazie d’une perfection de la race.

Il conviendrait ici de rappeler ce que disait Bion à ses élèves à la Tavistock. Il leur assénait qu’il restait vraiment surpris par le fait que des psychanalystes soient encore prêts à croire qu’ils pourraient un jour bénéficier d’un permis de pratiquer la psychanalyse et d’être psychanalystes. Ça, c’est toute la question, à tout moment et dans tout pays. Mais cela se passait déjà en 1977.

Et, au fond, ou bien au début de tout, à l’aube de cette grande aventure de la psychanalyse, il y a cette position de Freud qui, en écrivant à Ferenczi, parle du professionnalisme comme du dernier masque auquel a recours la résistance à la psychanalyse, et la plus dangereuse. Or nous sommes en 1929: et la question se posait déjà! Mais alors, si nous nous situons en dehors du professionnalisme et des professionnels, quelle est la réalité du psychanalyste?

Il faut ici revenir au plan de la recherche, il faut reprendre l’élaboration sur le désir et tout le tragique qui découle de son essence.

Il y a une chose qu’il faut, selon moi, prendre en considération: nous avons pu constater qu’à la fin du siècle dernier, les cabinets de psychanalyse se sont progressivement dépeuplés. J’ai pu vérifier qu’à propos de cette affaire, les psychanalystes, restant trop absorbés par le côté réaliste du vide progressif de leurs salles d’attente, n’ont pas osé faire la moindre élaboration, restant attachés à une pensée d’ordre sociologique qui à chaque fois insiste sur le manque de ressources, qu’il s’agisse de l’argent ou du travail, etc. Ce sont des choses effectives, bien sûr, mais je ne crois pas que la vraie question soit là. En suivant cette idée, nous ne nous mettons pas en je en tant que psychanalystes, nous n’avons en rien donné une réponse à la question qui se pose pour la psychanalyse dans notre époque, ni sur le plan de la réflexion théorique ni encore moins sur le plan clinique; en plus, dans cette démarche, toute réflexion sur le transfert se voit exclue.

Or les difficultés qu’ont toujours eu les psychanalystes à trouver des analysants ne sont pas nouvelles, mais je dirai, en ce qui nous concerne, que c’est quelque chose qui survient, dans la majorité des pays européens, à partir du début de 1980. Car à cette époque il y a beaucoup de choses qui ne marchent plus comme avant: premièrement l’offre psychanalytique n’est plus la même et deuxièmement la demande d’analyse fait défaut, la deuxième chose découlant de la première. Or tout cela nous permet de relever ce à quoi nous ne nous sommes pas encore rendus attentifs et qu’il y a lieu enfin de souligner.

Revenons donc à la question initiale, posée au début de ce texte: pourquoi en 1992 les analystes ne sont pas arrivés à la constitution d’un institut européen? Bien qu’ils aient compris la nécessité d’arriver à une dynamique européenne sur la question de la formation des psychanalystes, en plus du fait que cette modalité d’organisation aurait été susceptible de tisser des liens nouveaux entre les associations il faut croire que, malheureusement, la question de la formation, à cette époque, ne pouvait pas être posée en allant au-delà de ce qui a constitué de tout temps la pomme de discorde entre les psychanalystes, provoquant souvent ces scissions dont ils ont le secret ou la spécialité. Entre ces psychanalystes, mettre cette question au compte de leur propre savoir théorique n’était pas possible, tant qu’ils en restaient à la fidélité aux rituels sur lesquelles reposait leur pouvoir, tout en s’appuyant sur ce “nom d’auteur”, ayant tendance à se faire ou vouloir unique, comme ce fut le cas avec Jacques Lacan: tout cela a été la source de leurs résistances et de leurs fermetures. Autrement dit, quand il devient évident que la position qu’ils n’ont pu éviter de prendre était dictée par l’hystérie ou la paranoïa qui gouvernent le discours de ces prétendus psychanalystes, nous rencontrons cet aveuglement qui a empêché d’entendre ce qui s’est passé en Europe (et dans chaque pays européen) depuis les années quatre-vingt.

Ils n’ont pas compris, d’une part, l’importance de s’ouvrir à la dimension de l’autre langue, de l’étranger; ils sont ainsi passés à côté de la “traduction”, dans tous les sens que ce terme supporte en psychanalyse, à telle enseigne que nous pouvons affirmer que, sans la prise en compte de ce qu’est vraiment la traduction, il n’y a ni psychanalyste ni expérience psychanalytique ni théorie de l’inconscient, raison pour laquelle le fait des langues est tellement important pour en comprendre l’expérience. D’autre part, je trouve que le narcissisme qui continue de s’abreuver à la source du bling-bling a empêché toute reproduction (et pourquoi ne pas entendre ce terme comme nous renvoyant à la sexualité?) de nouveaux analystes, favorisant seulement la production de caricatures.

Pouvons-nous dire que les temps n’étaient pas encore venus pour qu’il soit possible de comprendre ce qui allait se passer par la suite? Oui, peut-être. Mais quand même, force nous est de constater que les psychanalystes n’ont pas fait de grands efforts pour renouveler leur discours, alors même qu’il y allait de l’avenir de la psychanalyse!

Nous nous trouvons dans une situation culturelle très particulière aujourd’hui. Les États européens sont depuis quelques années en train d’imposer les psychothérapies (y compris la psychothérapie-psychanalytique) comme la seule cure valable (reconnue en fait comme palliatif à – ou adjuvant de – la psychiatrie, recluse dans l’action par les psychotropes chimiques), en mettant la psychanalyse elle-même hors-la-loi, en allant jusqu’à contraindre les psychanalystes à se conformer à un état de fait qu’ils font passer au droit.

Ce qui aujourd’hui fait loi, c’est la technique qui prévoit à tous les niveaux l’usage de protocoles permettant de contrôler la conformité des traitements envisagés pour les maladies psychiques, dans la description desquelles sont fournis à gogo et tous les jours de nouveaux symptômes et syndromes, au mépris absolu de la vérité que le sujet porte en soi. En outre, peu importe, aux yeux de la loi si la base de la psychothérapie-psychanalytique est lacanienne ou bionienne ou freudienne; importe seulement que chaque référence théorique invoquée se voie amputée de la subversivité qu’elle comporte dans son discours, ce qui va sans dire étant que les intéressés qui s’enferment dans ces controverses méconnaissent totalement le fait que tout discours qui fait référence au maître devient seulement et simplement un discours fait par des “épigones” qui reproduisent un savoir oublieux de la vérité.

Si ma description de la situation est exacte, je crois bien que c’est en ces termes que le pari de la psychanalyse peut encore être lancé et que se joue le destin des psychanalystes et de leurs associations. L’I-AEP offre la possibilité de collecter les expériences des différents pays qui le constituent et de relancer la question de la recherche et de la formation. À défaut, s’il ne s’en montrait pas capable, je crois difficile de soutenir la culture de la psychanalyse et de son expérience. L’idéologie nazie (ou staliniste) a fait école: elle nous enfonce dans la contemporanéité anhistorique; par ailleurs, le contrôle social n’est plus la dimension réclamée par la “lutte de classes”, il s’affirme aujourd’hui au niveau du subjectif, du un par un, c’est-à-dire, qu’à partir de l’idéal de santé publique, l’État oblige chaque individu à se soigner seulement en suivant les protocoles de la science “officielle”, à savoir: la science d’État. Les psychanalystes, au niveau social et juridique, se voient de plus en plus ostracisés, et pas eux seulement: en Italie, deux pédiatres se sont vus condamnés en justice parce qu’ils se sont opposés à la vaccination indiscriminée de leurs petits patients. Tous les praticiens et les scientifiques qui ont affaire avec la population et qui ne sont pas totalement alignés sur les déterminations professées par une science officielle (et artificielle) sont de plus en plus discriminés: ils sont devenus les nouveaux juifs.

2. Reprendre la recherche et repenser la formation des psychanalystes

Nous voilà ainsi revenus au point de départ de ce discours. Si les psychanalystes sont restés impuissants dans leur velléité de fonder un institut de formation européen, s’ils ne veulent pas se demander pourquoi la psychanalyse est mise à mal dans toute l’Europe, n’est-ce pas parce qu’ils ont abandonné leur recherche?

À partir des années quatre-vingt, le langage, et donc le monde dans ses déterminations de politique économique, dans les relations qu’il entretient pour la répartition des pouvoirs, a complètement changé; il est devenu différent de celui du passé. La structure du sujet (s’il y a toujours lieu de parler de structure! Disons de cette structure qu’elle est au moins imaginaire) eh bien, celle-ci est fort différente de celle que nous avons connue à partir des déterminations cliniques et théoriques qu’en donnaient nos maîtres.

C’est le monde dans son ensemble qui a changé! Mais les psychanalystes, eux, ont continué imperturbablement sur leur lancée (peut-être par fidélité aux principes? Mais ce serait un grave malentendu!): ils se sont condamnés à reproduire un langage qui n’est plus en mesure de comprendre ce qui est passé dans ces dernières quarante années.

Pour donner un exemple, avant 1980, se perpétuait encore le modèle du monde créé dans la Renaissance, à la suite de Léon Battista Alberti, un modèle qui avait saisi toutes les relations imaginaires qui ont permis la constitution de tous les langages avec lesquels nous avons nommé le monde et notre être dans le monde. Avec Alberti la perspective, introduite par Brunelleschi, devient la logique de l’espace qui fonde la modernité, à savoir: la distance en mètres linéaires entre les objets; autrement dit, la relation spatiale devient la mesure humaine de toutes choses et le rapport décisif qu’a le sujet pour voir le fonctionnement du monde. C’est un monde fondé sur la vision, où l’œil devient le siège du point de fuite qui détermine, par des lignes droites, toute relation avec le monde et ses objets, ceux-ci étant perçus par un œil dont la nature est définie comme pouvoir de mise au point de toutes les images.

Après les années 1980, cette vision du monde, sa géographie, n’est plus la même et le langage en est sorti profondément modifié, ce qui a aussi bien transformé la façon d’être du monde et toute notre existence. À partir du concept de réseau, tel qu’il fonctionne sur Internet, les choses ont beaucoup changé et le langage qui me qualifie dans le monde n’est plus du même ordre: le monde que le langage va créer aujourd’hui établit un sujet qui n’est plus celui d’avant 1980, c’est-à-dire, le sujet défini tel que nous l’avons appris de nos maîtres. La logique de l’espace donnée par l’Alberti ne sert plus pour comprendre le fonctionnement du monde et pour l’habiter, parce que désormais toute mesure et toute prévision des choses échappent à l’œil, ce qui veut dire que ces choses sont devenues irréductibles à la raison née avec ce qu’a été la modernité.

Restant trop attachés à des catégories conceptuelles de ces maîtres, nous avons oublié d’écouter, non pas tant ce qu’ils ont appelé “nouveaux discours”, mais ces “nouvelles pathologies” (qui pour la plupart ont été classifiées comme des symptômes médicaux ou comme des problèmes psychologiques), qui ne font que révéler les discours effectifs tels qu’ils se déroulent dans notre contemporanéité et tels qu’ils jouent à construire en même temps cette contemporanéité où nous vivons.

C’est pour toutes ces raisons qu’il est indispensable et nécessaire pour les psychanalystes de retourner à leur recherche. Et je pense qu’il n’y a aucune recherche en psychanalyse qui ne soit pas étroitement liée à la formation.

3. Ce que nous enseigne le cas italien

En Italie, à partir de 1989, il y a une législation nationale réglementant l’exercice de la psychothérapie. Toute réglementation d’ordre professionnel se voit imposée par le biais de l’Ordre professionnel des psychologues ou des médecins qui ont l’autorité suprême de contrôle sur les associés et leur activité. L’Ordre des psychologues est à son tour dépendant du Ministère de la Santé. Le titre de psychothérapeute s’acquiert seulement par la fréquentation de quatre années d’études de spécialisation post-universitaire, après avoir obtenu le diplôme en psychologie ou en médecine dans des écoles universitaires (ou professionnelles contrôlées par l’Université) dont les programmes d’étude sont établis par l’État.

Ces programmes établissent 40 heures par an de séances (qu’il faut payer à part, et ce fait n’est pas secondaire, j’y reviendrai). Les séances sont une mixture d’analyse personnelle, de didactique, de supervision, c’est n’importe quoi! Par le fait même, la demande d’analyse a disparu, puisque la condition nécessaire et essentielle pour tout ce que nous pouvons nommer “une expérience psychanalytique”, est de se rendre responsable de son symptôme, au point d’en faire la cause d’une recherche de la vérité. Or toute psychothérapie (et je vous le rappelle, il y en a à l’heure actuelle 364!) vise à soigner des troubles mentaux, donc à supprimer purement et simplement ce symptôme. Dans cette perspective, la question est entièrement dirigée vers la connaissance de la symptomatologie et l’usage des outils de la technique permettant d’y obvier, et le transfert qui pourrait permettre de se supporter comme sujet d’un symptôme, n’est plus en rien pris en considération.

Comment les psychanalystes ont réagi à cette loi?

Pour ce qui concerne les deux associations italiennes affiliées à l’IPA, mais aussi les associations jungiennes et les associations lacaniennes (Miller, Melman et puis Colette Soler), elles ont toutes fondé leurs écoles nationales de psychothérapie, selon les dispositions de la législation italienne (En 2001, j’en ai rendu un premier témoignage dans la revue: «Che vuoi?»). Et voilà! C’est ainsi que les jeux étaient faits pour ce qui concernait la formation. Toutes ces associations ont pris la charge d’enseigner (donc selon les dispositifs et les programmes établis par l’État) la psychothérapie à orientation psychanalytique, seulement aux psychologues et aux médecins qui le demandaient et en excluant tous les autres, à savoir tous les analysants qui, à partir de leur analyse, souhaitaient interroger leur désir et se confronter avec le désir de devenir analyste.

Et les analystes? Les analystes, plus royalistes que le roi, ont couru pour s’inscrire sur les listes de psychothérapeutes, et les non-psychologues ont fait la roue pour obtenir une déclaration de conformité, en demandant, ou bien en payant, ou bien en suppliant quelque psychiatre connu (et il valait mieux qu’il soit hospitalier) pour une déclaration de formation ou de collaboration institutionnelle, en tant que psychothérapeutes.

Deux considérations ont en particulier motivé leur décision. La première (en tant que royalistes!), aura été la peur de ne plus pouvoir ouvrir leurs cabinets le lendemain de l’entrée en vigueur de la loi. Mais la deuxième motivation a été que, dans la mesure où s’étaient ouverts en Italie beaucoup de départements de psychologie et qu’arrivaient sur le marché de nombreux psychologues en quête de formation (sic!), nos nouveaux Faust en quête de leur Marguerite ont pensé que celle-ci, se trouvant dépourvue de la dimension subjective de l’analyste, viendrait frapper à leur porte. Or ce calcul était faux, puisqu’ils avaient déjà eux-mêmes négocié leur propre position de sujet, entraînant que le psychanalyste elle-même se voie mise sur le marché comme toute autre marchandise, dûment distribuée à partir de leur position de professionnels. C’est pourquoi, alors qu’ils s’imaginaient qu’ils pourraient réapprovisionner leurs cabinets avec les jeunes psychologues, il va sans dire que rien de cet ordre n’a eu lieu. Par ailleurs, dans un monde culturellement si appauvri, rien ne fonctionnera en faveur de la psychanalyse ou du psychanalyste, ni sur le plan économique ni sur aucun autre plan; un monde où le rêve a cédé la place au marché professionnel ne pourra assurément pas être un monde durable.

C’est ce qui fait que les analysants, en Italie, s’ils veulent devenir psychanalystes, n’ont aucun lieu pour leur formation, sauf le cabinet de quelques rares analystes qui ont décidé de rester hors-la-loi.

Ce qui le résultat direct et immédiat de la réglementation législative de la psychothérapie, qui a en plus obtenu que la laïcité du psychanalyste ne soit plus prise en compte par les psychanalystes eux-mêmes, bien qu’ils parlent sans cesse de psychanalyse laïque, alors que tous ces verbiages ne servent qu’à cacher leur glissement pour retourner dans le giron de l’institution: ils se sont trouvés à l’abri de la loi, mais le prix à payer pour leur tranquillité a été leur disparition, qui ne cesse de s’aggraver avec la fermeture qui s’accomplit sous nos yeux de toute recherche en psychanalyse (nous avons désormais pour la plupart des textes qui se limitent à confirmer les catégories ou les propositions déjà établies par les maîtres, ou bien des commentaires) et la renonciation à former des nouveaux psychanalystes. Ayant renoncé à la sexualité et à tout le rôle que lui conférait Freud dans la réalité des symptômes, ils ne parviennent même plus à se reproduire: ils sont devenus stériles.

Aujourd’hui, face à la capitulation de la psychanalyse en Italie, il y a un petit et encore fragile mouvement d’un certain nombre d’analystes qui va se réunir sous le nom de Communauté des psychanalystes. On verra dans les suites de cette nouvelle tentative, si elle donne l’occasion de ramener les psychanalystes italiens (et même les non Italiens) vers la sexualité.

4. Reprendre le chemin interrompu

Réduire les questions d’une praxis analytique aux réglementations nationales est inadéquat et devient anachronique quant aux enjeux soulevés, m’a écrit Guy Mertens il y a quelque temps. Telle est la question qui se joue dans les temps que nous traversons en Europe. Rester emprisonnés dans des discours législatifs, à propos de la psychanalyse, et comme dans le cas italien, c’est la meilleure façon d’arriver à la disparition du psychanalyste et donc de la psychanalyse, étant donné qu’il ne peut pas exister de psychanalyse sans psychanalyste.

Par ailleurs la psychanalyse ne peut pas aspirer à être reconnue par l’État ou par la société. Tout ce que la psychanalyse peut faire pour son existence dépend des conquêtes d’ordre scientifique dont elle peut se montrer capable, donc, des activités de recherche dont les psychanalystes peuvent se rendre capables pour remettre en jeu leur savoir dans le discours. Il me semble du moins que c’est ce que m’a appris l’histoire du travail des psychanalystes, notamment dans ce qui s’est passé autour de Lacan et de Bion. C’est seulement de cette façon que la psychanalyse peut parvenir à se légitimer dans le discours occidental.

Il faut donc tenir compte de la leçon que nous apportent ces maîtres, non pas tellement dans leur enseignement lui-même que dans les implications éthique de leur engagement. Mais cela entraîne qu’on s’éloigne des catégories qu’ils ont mises en place, qu’on ne soit plus le porte-parole de quelque maître disparu auquel un malencontreux sens de la fidélité nous attache encore, car cela nous empêche de produire de nouvelles pensées et nous contraint à nous laisser endormir dans un “mono-idéisme” hypnotique. En l’occurrence, il faut comprendre que les maîtres n’étaient pas La Psychanalyse, mais qu’ils étaient des psychanalystes, et qu’en tant que psychanalystes, ils ont su ou pu remanier l’expérience de leur écoute des discours qu’ils ont entendu. Ils ont pu remanier le langage même à partir de l’expérience qu’ils se sont donnée de la psychanalyse et ils l’ont fait en fonction des apports des autres pratiques: scientifiques ou philosophiques, voire artistiques. C’est en cela qu’ils étaient tout à fait et simplement des psychanalystes.

Et nous? Qu’est que nous en faisons de cet enseignement? Je crois pouvoir constater que la plupart des psychanalystes n’ont pas suivi cette leçon, mais qu’ils ont construit des idoles sur lesquelles faire reposer le peu d’esprit qui les distingue, en renonçant a jouer leur vrai rôle. Les psychanalystes avant 1980 ont élaboré le langage de leur époque. Depuis 1980, plus d’élaboration! Il est évident que les psychanalystes sont restés enfermés dans les propositions et les catégories des leurs maîtres, incapables de se rendre à même d’entendre les profondes modifications du langage dans la contemporanéité, ne sachant donc pas mettre à profit les enseignements de ceux qui nous ont précédés.

Alors, quand j’entends des psychanalystes dire qu’il y a de moins en moins de demandes d’analyse, je ne crois pas que la question est bien posée. Je crois que la question dans sa vérité est que nous sommes pour la plupart devenus incapables d’écouter la demande, telle qu’elle se déroule dans le langage contemporain, c’est-à-dire qu’il n’y a pas cette nouvelle élaboration du langage où la demande trouve ses possibles expressions.

C’est à ça que je pense quand je parle de recherche.

5. Conjuguer recherche et formation

Toute formation se produit à partir de l’analyse personnelle. C’est-à-dire à partir de ce qui a permis de solliciter une demande d’analyse et de ce qui est appelé dans la demande d’analyse. Mais l’analyse personnelle n’est pas en mesure de former un analyste. Je suis encore enclin à penser qu’il faut lui rajouter une analyse de contrôle, la didactique. Mais aussitôt que je l’affirme, je perçois que cette affirmation ne suffit pas, que l’on n’est plus en mesure, en notre temps, d’éclaircir ce que nous pouvons expérimenter comme étant aujourd’hui la formation du psychanalyste.

Et c’est encore davantage le cas si l’on tient compte du fait que l’analyse personnelle peut donner lieu à d’autres formations qui ne sont pas celles du psychanalyste.

La question est donc: comment penser la formation du psychanalyste si l’on tient compte des variations si importantes qui se sont produites dans le langage? Dans ce cas, par exemple, la notion de “structure” est-elle encore suffisante pour comprendre ce qui s’exprime par la langue? Le concept de “parole” est-il encore suffisant pour entendre ce qui se passe dans le langage? Ou bien, ne faudrait-il pas soulever la question d’introduire et de réfléchir sur d’autres théorisations possibles, comme, par exemple, la théorie formaliste de la langue et notamment les études de Vladimir Propp et de Michail Bachtin sur la “morphologie”?

Quelles sont alors les questions qui se posent aujourd’hui dans le langage? Quel est le sens que nous trouvons dans l’emploi de mots comme regard, réel, réalité, vérité, etc.,? Car il ne faut pas oublier que nous nous trouvons en face de mots dont le sens n’est ni fixé ni stabilisé, mais que ce sont des mots que la philosophie a remaniés à chaque tournant de l’histoire, à savoir: que les implications du langage sont différentes d’une époque à l’autre. Donc, dans ce qui se voudrait être une formation du psychanalyste, il serait indispensable d’introduire toutes les connaissances qui sont en mesure de nous introduire à une nouvelle compréhension de la réalité, telle qu’elle se présente dans le langage, à savoir: l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, la littérature, tant autant que les mathématiques, la logique ou la physique (pensons à l’importance d’un concept comme la théorie du chaos ou le principe d’indétermination, etc.).

Il n’est plus possible de comprendre quoi que ce soit si on reste seulement attaché aux principes psychanalytiques tels qu’ils ont été déterminés dans les années passées.

Sur un plan historique, Lacan et Bion ont apporté des modifications substantielles à la formation des analystes. Je crois qu’il faut repartir de leur enseignement et retrouver l’esprit subversif qui a caractérisé leur présence et leur travail. Mais, préalablement, je crois que nous devons considérer une question sur laquelle j’insiste: Freud, Lacan, Bion, etc. ne sont pas la psychanalyse. C’est la grande question que les psychanalystes ne sont pas encore arrivés à poser.

Dans le milieu lacanien, c’est peut-être encore pire qu’ailleurs, parce que Lacan est devenu le nom d’auteur auquel rapporter toute signification. On parle seulement de Lacan et de Freud. Donc, on se trouve dans une situation où l’enseignement se résume et se réduit à la transmission de la parole de Lacan.

Mais c’est bien Lacan qui nous a dit que la psychanalyse est intransmissible. En conclusion du congrès de son école sur la Transmission il a bien asséné: “La psychanalyse est intransmissible. C’est bien ennuyeux que chaque psychanalyste soit forcé de réinventer la psychanalyse”. Chaque psychanalyste, je le souligne.

Donc, si c’est vrai, et comme il est effectivement vrai que la psychanalyse est “intransmissible”, toute tentative de la transmettre ne peut pas, forcément, se réduire à la transmission des textes de Freud et de Lacan, c’est-à-dire, à de la lettre et du langage portés par ces noms considérés comme Les auteurs. Autrement dit, les textes de Freud ou de Lacan, bien que nous nous y référions, ne sont pas la psychanalyse. La psychanalyse est une expérience, un rendez-vous, avec une voix qui donne réalité et consistance à la pensée et qui n’est pas, elle, tout à fait un texte ou une théorie.

Et puis, pourquoi seulement Freud et Lacan? Et Bion, n’est-il pas un psychanalyste qui a relu Freud et qui a porté la psychanalyse à une rénovation substantielle de la théorie et de la clinique des psychoses? Et Ferenczi? Qu’est que nous en faisons, de Ferenczi? C’est-à-dire, pourquoi nous limitons-nous à Lacan? La limite posée par un nom est d’ordre religieux, et je crois bien, en fait je suis sûr que Lacan ne serait pas content d’un tel usage de son nom. Bien que Freud et Lacan puissent être dans nos cœurs, ils ne sont pas LA psychanalyse. Et, si la psychanalyse est un rendez-vous, c’est-à-dire une rencontre entre deux sujets avec leur propre inconscient et avec leur propre langage, ce que nous pouvons dire, c’est qu’il y a une psychanalyse pour chaque analysant, en tant qu’elle est sa propre expérience, et qu’il y a un témoignage pour chaque analyste, quand l’écriture est en mesure de témoigner d’une écoute et pas de son adéquation aux énoncés soit de Freud soit de quelqu’un d’autre. Dans une psychanalyse c’est l’analysant qui enseigne. Et, comme Bion nous l’a précisé sans équivoque, le rêve ne suit ni les théories de Freud ni celles de quelqu’un d’autre. Donc, nous ne pouvons parler de psychanalyse qu’à partir du récit de l’analysant et de l’écoute du psychanalyste et pas du tout par le livre d’un auteur quel que soit son nom, et surtout pas celui qui est présenté comme un “nom d’auteur”.

Le seul auteur auquel je réserve mon attention, c’est l’analysant.

Il ne faut pas oublier les suggestions de Bion sur ce qu’il appelle “apprendre par l’expérience”. Et c’est l’expérience de parole, comme celle des actes de la vie suivis par leur récit, qui sont formateurs dans l’analyse.

Cela m’a fait dire à plusieurs reprises qu’il n’y a pas une analyse freudienne ou lacanienne ou bionienne, ou…, parce qu’il y a une analyse pour chaque analysant qui se trouve à se duper sur son propre désir, la où il s’embrouille avec lui-même dans le déroulement de son expérience ou, comme on dit en France, dans la cure.

Il incombe à l’analyste de faire l’effort de mettre en théorie les passages des restes de son écoute. Voilà le temps de la théorie, elle se forme à partir d’un témoignage de ce qui est resté d’une écoute qui est capable de se traduire en théorie. N’est-ce pas quelque chose de cet ordre, ce qui peut s’entendre par: chaque psychanalyste est forcé de réinventer la psychanalyse? Si la psychanalyse est intransmissible, n’est-ce pas parce que la psychanalyse est, tant en première qu’en dernière instance, l’expérience d’une rencontre et d’une écoute?

Alors je pense qu’être aujourd’hui attentif, être même dans l’écoute de l’enseignement de Lacan, ça veut dire n’être pas lacanien. De même que pour se dire qu’on se trouve dans la pratique de l’analyse en tant qu’analyste, on ne peut être ni freudien, ni lacanien, ni bionien, ni… Sans tomber dans la mensonge de l’éclectisme!

Donc, pour entendre quelles sont aujourd’hui les voies de formation du psychanalyste, il faut certes récupérer la leçon des maîtres, mais il faut surtout être au niveau des enjeux que cette question nous propose. En particulier, selon moi, la question qui se déroule entre analyse de contrôle et didactique, à savoir que celui qui va chercher son analyse de contrôle, ne va pas chercher quelqu’un qui va lui enseigner à être psychanalyste. Il va chercher un lieu et une écoute qui lui permettent de se former par lui-même. De trouver les voies pour s’autoriser à écouter une demande d’analyse et à s’engager dans l’analyse, où la question qui se pose pour lui c’est “comment écouter”.

Enfin, il n’est plus possible, aujourd’hui de produire une nouvelle théorie qui s’arrime à un nom, même si c’est le nom d’un génie. Aujourd’hui toute théorie n’est possible que par un travail collectif.

Bien, ce ne sont là que quelques pages de considérations personnelles, suite aux rencontres que j’ai faites avec mes collègues, italiens et non-italiens. Elles n’ont aucune prétention à l’exhaustivité, et je suis prêt à accepter leur révision. Mon souhait, dans leur écriture, a été celui de donner des éléments de réflexion et de débat aux collègues des groupes de travail qui se sont formés sous l’impulsion de l’I-AEP. Et je me rendrai disponible pour en discuter dans tous les lieux et avec tous les collègues qui ont le désir de réfléchir sur les destins de la psychanalyse, notamment en Europe.1

1 Je remercie Jacques Nassif qui a corrigé ce texte et pour sa solidarité.

JACQUES NASSIF

À QUOI POURRAIT SERVIR AUJOURD’HUI

L’INTER-ASSOCIATIF DE PSYCHANALYSE?

Sans que les psychanalystes eux-mêmes s’aperçoivent qu’ils récoltent ce qu’ils ont eux-mêmes semé, étant donné l’ombre que projettent l’obscurantisme d’une théorie incapable de se renouveler ainsi que l’embrouille des querelles qui se perpétuent entre associations, dont personne ne se souvient plus des causes ni des raisons de poursuivre la guerre, c’est actuellement chacun des États de la vieille Europe qui se donne le mot pour faire en sorte que la psychanalyse, non seulement ne soit plus permise, mais se voie de plus en plus interdite.

La chose a commencé en 1989 en Italie, mais chacun des autres pays, sous couvert de légiférer les actes et les personnes concernées par ce qu’on appelle psychothérapie, s’arrange pour rendre la psychanalyse laïque impossible, pour la confiner en savoir universitaire tout juste bon à la reproduction des psychothérapeutes à visée sanitaire, pour traquer et empêcher toute pratique du sujet qui pourrait se révéler subversive, du simple fait qu’elle a trait au désir inconscient, toutes ces administrations du psychosocial s’ingéniant à la bannir hors des frontières où elles exercent et à la déclarer ainsi hors la loi.

Peut-être y a-t-il donc lieu de se saisir de cet ostracisme qui condamne les psychanalystes à se vivre comme des sujets indésirables se voyant obligés de s’exiler hors des frontières nationales, pour donner corps à un espace supranational qui ne s’enracinerait plus que dans un discours, celui de la psychanalyse elle-même, donnant ses raisons à l’illégitimité de la pratique que celle-ci induit dans chacun des territoires nationaux où ils habitent.

Or c’est bien là ce dont est censé s’occuper l’Inter-Associatif qui se veut Européen, donc, transfrontalier, si l’on peut dire, et dont la compétence pourrait fort bien finalement s’appliquer à cette zone de non-droit, à ce no man’s land où l’exercice de la psychanalyse se voit de plus en plus confiné.

C’est pour donner un contenu pratique aux velléités de fonder un Institut de formation des psychanalystes qui se dirait européen, celui-là même de la nécessité duquel nos collègues italiens cherchent à nous convaincre, que la tentative que je me vois en mesure de rédiger sera consacrée.

1. En un premier temps

Si les psychanalystes de chacune de nos associations nationales et régionales, inscrites néanmoins à l’Inter-Associatif qui se dit Européen et qui se veut de Psychanalyse, se tenaient pour dit qu’il n’y a plus lieu de s’attendre à la moindre "reconnaissance" de la part de chacun de nos États ou Régions pour ce qui est de légitimer l’acte ou la personne des psychanalystes, alors, le seul moyen qui reste à notre portée pour donner néanmoins quelque consistance à notre discours, comme à la pratique qui en découle, sera celui de procéder à la "nomination" des personnes ou des actes qui seront dits pouvoir relever de la compétence de cette entité (un Institut de formation) que nous prendrions la décision de fonder pour accomplir cette tâche.

Nous posons cependant au départ ici que l’acte de nomination ne pourrait se faire que sur le mode du un par un, ce qui impliquerait que chacun des psychanalystes inscrits dans les associations du dit I-AEP, à l’instar de ce qui a cours au sein de certaines de ces associations pour ce qui est de la nomination des passeurs, s’octroie la possibilité de nommer, en son âme et conscience, de un à trois psychanalystes s’étant formés sur son divan ou dans une analyse de contrôle avec lui, et dont il aurait la possibilité d’inscrire le nom sur la liste qui se constituerait ainsi petit à petit et où se mélangeraient les origines, les langues et les pays.

Une fois cette liste constituée, mais gardée rigoureusement secrète, à l’instar de ce qui se pratique pour les listes de passeurs dans les associations qui en disposent, et surtout une fois que chacune des personnes qui se verrait ainsi désignée par son psychanalyste comme étant nommée par ce titre, qui ferait mine de reconnaître que le sujet en question peut exercer régulièrement cette fonction, même si son titre n’existe pas ou plus dans chacun des pays concernés, aucun dispositif d’habilitation à se reconnaître psychanalyste ne sera pour autant mis en place sur cette base, mais tout sera fait pour apporter une compréhension théorique à ce qui aura motivé l’acte de ces désignations.

Le lieu où ce dispositif pourrait voir le jour sera nécessairement décentré et itinérant, devant s’ouvrir à la traduction et aux langues de chacun des pays de cette Europe où seule la psychothérapie a désormais droit de cité et peut être considérée comme légitimement exercée.

2. En un deuxième temps

Il apparaît dès l’abord que cette liste sert déjà à promouvoir l’existence, serait-ce seulement sur le papier, d’un nombre supérieur de jeunes analystes nommés par ces analystes nommant, à qui se verraient donc confier la tâche d’assurer la relève, dont on constate qu’elle est actuellement si problématique, étant donné l’absence de toute formation véritable dans chacun des pays concernés, et l’absence d’avenir qui attend le nouvel analyste dont l’analyse a pourtant pris une tournure didactique, sans que pour autant aucune formation à la pratique de son métier ne lui soit décernée ni à l’Université ni encore moins dans les officines créées pour reproduire des psychothérapeutes à visée sanitaire et adaptative.

Une telle nomination devrait aussi bien prendre à contre-pied le désir de reconnaissance que ces jeunes ne peuvent ni ne doivent espérer obtenir de l’État ou de leurs futurs collègues. Et le titre qui leur serait décerné, tout comme celui d’A.M.E. dans l’ex École Freudienne de Paris, ne pourrait en aucun cas faire l’objet d’une demande à l’issue du parcours d’un cursus d’habilitation, l’analyse et elle seule étant susceptible de faire acte, si est prise la mesure du risque encouru par l’analyste dans cette nomination pour déclarer que tel ou tel sujet est en mesure d’occuper cette impossible fonction.

Enfin, si l’on ne veut pas condamner au martyr ces plus jeunes éventuellement futurs analystes, étant donné la montée du fascisme en Europe, telle qu’elle se voit anticipée aux States, la liste des analystes en question ne saurait à ce stade que rester secrète et virtuelle, ne serait-ce que dans la mesure où l’exercice de leur pratique, si elle a parfois commencé, n’a évidemment pas encore fait ses preuves.

Elle ne devrait en fait servir qu’à constituer périodiquement une deuxième liste, celle prélevée parmi les analystes nommant qui dépendent, eux, de la reconnaissance de ceux qu’ils ont pu nommer. Mais cette nomination n’aurait une quelconque portée que si et seulement si ces analystes nommés ne procèdent pas seulement à un renvoi d’ascenseur, mais considèrent que ce dont cette élection est porteuse, c’est de la désignation des auteurs de la nouvelle discursivité grâce à laquelle leur analyse a pu virer du simplement thérapeutique au didactique.

Je ne déclare évidemment pas ici que tout analyste qui se respecte, quand il mène à bien une analyse, devrait se rendre à même de comprendre ce qui s’y est passé, au point de pouvoir rédiger la théorie de son acte en un texte qui retransmettrait les trouvailles que son analysant lui a fait faire. Il y a des analystes qui ne se soucient pas d’écrire et qui ne s’en donnent pas la compétence. Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas à considérer comme des auteurs à part entière et que leurs analysants ne soient pas en mesure, eux, de les déclarer auteurs de l’invention qu’a nécessitée la menée à bonne fin de leur analyse, s’ils se montrent à leur tour capables de la formuler en un discours.

Je dirais donc que cette deuxième liste n’est pas seulement une liste d’analystes plus chevronnés, mais plutôt celle d’un ensemble d’auteurs du discours de l’analyse, tel qu’elle fonctionne effectivement aujourd’hui, étant donné que celle-ci ne saurait, contrairement à la psychothérapie, se contenter de se rendre efficace par la mise en œuvre d’un ensemble de trucs qui auraient fait leur preuve et qui auraient pu être réemployés à bon escient. Un psychanalyste qui se respecte doit toujours pouvoir comprendre ce qu’il a fait et par où il est passé pour parvenir à ses fins, au moins si la compréhension de son acte bénéficie de la période d’un après-coup suffisant pour lui octroyer la promulgation d’une façon ou d’une autre de ce nouveau savoir arraché à l’inconscient grâce à l’acharnement de son analysant et qu’il peut donc ainsi retransmettre.

Mais il n’est pas non plus nécessairement souhaitable que ce soient uniquement des praticiens de l’analyse en tant que telle qui se voient nommés par les analysants de la première liste pour la constitution de la deuxième. Pourvu qu’ils soient encore vivants, comme c’est le cas dans l’attribution des prix Nobel, ces auteurs du discours inspirant la pratique des cures d’aujourd’hui pourraient fort bien être des écrivains ou des artistes dont le savoir peut être invoqué par les analystes comme des auteurs à part entière de la compréhension dont ils ont besoin pour accomplir leur tâche. Il serait néanmoins nécessaire que ces créateurs déclarent qu’ils ont été analysants et que c’est en allant sur un divan explorer leur inconscient qu’ils sont devenus les auteurs ayant obtenu une consécration dans une autre discipline que la psychanalyse elle-même.

Il est évident que chacune de ces listes devrait être périodiquement renouvelée: tous les cinq ans, par exemple; il me paraît cependant indispensable de noter qu’il ne s’agirait pas avec ces listes de légitimer des personnes prises une à une ou de donner corps à une académie, le concept de ce genre d’entité étant toujours national et ne pouvant fonctionner dans le supranational ou le multilinguistique, qui caractérisent pourtant intrinsèquement la nouvelle discipline qu’est la psychanalyse.

3. En un troisième temps

Le moment est venu de dévoiler le dessous des cartes: disons que Freud (et Lacan, encore davantage) sont les inventeurs, dans le style d’Alfred Nobel, d’un explosif leur ayant permis d’accumuler une immense fortune: sur le plan intellectuel, dans le cas du premier, une colossale fortune personnelle dans le cas du second, mais que leurs hauts faits leur ont attiré suffisamment de culpabilité pour qu’il leur soit venu à l’idée qu’ils devaient consacrer cette fortune, bien ou mal acquise, peu importe, à la distribution annuelle d’un prix.

La première liste de ces analysants pouvant être devenus analystes suivant l’acte de nomination que leur propre analyste a assumé de poser, devient celle des noms qui sont en mesure d’élire ceux qui seront mis sur la liste des "freudélisables", comme on parle de "nobelisables", et ces derniers auront pour tâche d’élire en leur sein celui qui chaque année aura la responsabilité de faire valoir l’existence de la psychanalyse dans le monde, comme discipline sui generis, qui se voit de plus en plus pourchassée et dénoncée comme imposture dans chacun des pays européens où elle est née et continue d’être le plus communément pratiquée.

L’institut de formation qui serait formé au sein de la liste de ces nobelisables de la psychanalyse aurait essentiellement pour tâche de repenser cette discipline au troisième temps qu’elle a atteint, après Freud et Lacan, donc, afin de la délivrer du sectarisme et de l’épigonisme où elle est enfermée, condamnée qu’elle se voit, à répéter la geste des fondateurs en reprenant à l’infini la lecture de leurs textes ou du moindre de leurs mots, sans qu’il en sorte autre chose qu’un ressassement stérile.

Il leur incombera de démontrer en quoi ce sont davantage les analysants qui font la psychanalyse d’aujourd’hui, dans quelle mesure les différentes associations qui s’acharnent à vouloir se promouvoir en héritières exclusives du légat d’un seul maître, et puis d’un second, sont les victimes du nom seul d’Un isolé et dénoncé par La Boétie en politique.

Ils prendront donc sur eux d’apprécier dans quelle mesure ces associations, dont ils sont indirectement issus, enferment la psychanalyse, au pire, dans les séquelles d’une guerre de religion sans fin, et, au mieux, dans une concurrence effrénée pour sauver les dernières espèces d’analysants, en les faisant monter sur leur arche, avant le déluge qu’elles annoncent, plutôt que sur celle des autres. Le moins qu’on puisse dire est cependant que le mont Ararat, sur lequel ces arches pourraient venir s’échouer afin que leurs occupants aillent repeupler la terre, en répandant la vie de l’analyse dans les pays extra-européens, est encore loin d’apparaître…

Autrement dit, la vérité psychanalytique pourrait avoir plusieurs visages, alors que le mensonge n’en a qu’un. Et ceux qui seraient élus comme les freudélisables de demain pourraient s’attacher à démontrer la richesse d’un pluralisme théorique et institutionnel qui ne tomberait ni dans le scepticisme ni dans l’affadissement d’un compromis, étant bien évident pour chacun d’eux que parmi les jeunes analystes qui les auront élus, certains sont devenus analystes, malgré la théorie de leur psychanalyste et dans les lieux les moins probablement propices à l’éclosion de cette fleur qu’est un nouvel analyste.

Cela est évidemment déjà le cas des différents prix Nobel décernés chaque année, appartenant à différentes disciplines du savoir et à différents pays, mais dont on se demande toujours comment on aura pu les dénicher à tous les confins de l’Europe ou même du monde, sans qu’ils aient été nécessairement portés par leur culture ambiante ou leur langue nationale.1

1 Écrit à Paris, pour la coordination de l’Inter-Associatif Européen de Psychanalyse, ces 18 et 19 novembre 2016.

FRANCO QUESITO

PROPOSITION D’UN INSTITUT EUROPÉEN

DE PSYCHANALYSE

Le statut de la psychanalyse a été remis en question et a versé dans la crise, lorsque n’a été choisi de l’invention subversive de Freud que juste son aspect thérapeutique. Or celui-ci – bien que présent – ne concerne que l’un des effets du parcours de son entreprise: celui ayant trait au soin, mais il est loin d’épuiser la multiplicité des registres présents dans l’œuvre, essentiellement de recherche, qui a été la sienne.

Nous devons plutôt penser que cette réduction a eu l’effet de transformer la psychanalyse en lui enlevant toute originalité, puisqu’elle a fini par en faire une sorte de psychothérapie qui, comme toutes les autres, aboutit à adapter l’être parlant à la dimension d’une société qui ne sera plus alors soumise à la moindre critique, alors qu’en fait, la question de la kulturarbeit, c’est-à-dire, du travail de la civilité chez Freud, implique au moins et en tous les cas une position critique sur les changements imposés par cette société à la vie pulsionnelle.

L’Allemagne est peut-être l’un des premiers pays en Europe, mais bientôt suivi par d’autres, qui ont fait en sorte que la psychothérapie appartienne au domaine de la santé publique, prévoyant par conséquent que ces psychothérapies soient remboursables par les mutuelles ou par toute autre assurance privée. Tout cela implique – puisque se passant dans le domaine de la Santé Publique – que le psychothérapeute s’engage à suivre les règles fixées par l’État en matière de santé et à respecter ses intentions, non seulement d’inscrire le psychothérapeute dans un cadre clairement défini où il sera requis qu’il se soumette à l’exigence de formuler un diagnostic et un pronostic, mais aussi de prévoir en fonction de ceux-ci un nombre fixe de séances, la durée constante de celles-ci, dont il lui incombera de fixer le prix, sous forme d’honoraires stabilisés, tout en se voyant tenu d’accepter de prendre en charge tout “usager” qui y a droit.

Toutes ces questions qui peuvent au début sembler sans portée aboutissent pourtant inévitablement à avoir une incidence déterminante sur les termes mêmes de la théorie impliquée dans l’acte, à savoir qu’elles entraînent une définition du statut du psychothérapeute – qui est en plus défini et contrôlé en Italie par les programmes de formation du Ministère de l’instruction et de l’Université – entraînant que celui-ci ne peut en rien se soustraire à la tâche que lui impose l’État, et qui est celle d’une adaptation du patient à ce que lui impose le fait d’appartenir à tel ou tel environnement politique, économique et culturel.

Peut-on alors dire que cette tâche relève de la psychanalyse, ou, pire, que c’est à cela que le statut de la psychanalyse doit essentiellement contribuer?

Si la réponse est que non, alors, on est inéluctablement confronté à deux questions qui ne peuvent pas rester éludées.

La première concerne la façon dont on pourra éloigner la psychanalyse de toute confusion avec la psychothérapie et la deuxième consiste dans la tâche de retrouver l’espace et le sens de l’invention freudienne de la psychanalyse elle-même.

Dans un cas comme dans l’autre, cela implique que l’on s’efforce de reconstruire théoriquement la psychanalyse, afin de l’extraire de tout ce qui l’a réduite à n’être qu’une forme d’application d’une quelconque technique psychologique, qui aboutit, à vrai dire, à en faire une psycho-hygiène sociale.

Il s’agirait ainsi d’en récupérer les éléments essentiels qui constituent ce qui définit son originalité et configure sa marge d’autonomie propre.

Et il découlera de la redécouverte de cette originalité qu’elle ne puisse plus être transférée à la psychothérapie sans y perdre son âme et ne plus être de la psychanalyse.

Une analyse suppose qu’il soit obtenu d’un autre qu’il parcourt avec vous le trajet d’une expérience au cours de laquelle on l’aura mis en position de savoir quelque chose. Il s’agit d’une position qui ne saurait jamais être ni de savoir ni de vérité préalable, mais plutôt d’une constante relance à rechercher un savoir qui est caché à l’intérieur de la vérité qu’abrite la vie de chacun.

Or le Kulturarbeit n’est pas mis automatiquement en mouvement dès lors que quelqu’un va chez le psychanalyste.

Il se met en marche quand l’analyste, durant la cure, réussit à adopter une position éthique dans laquelle il se maintient. L’analysant essaye de trouver quelqu’un qui lui dise quelle est sa vérité de sujet, mais à l’analyste – mieux vaut ici de le rappeler – n’incombe que la tâche de conduire le travail d’une recherche. Il ne saurait donc savoir à l’avance où cela mènera l’analysant ni établir avec précision dans quelle mesure il réussira à le faire.

Il ouvre la voie d’un processus et veille à ce qu’il suive son cours en aidant à surmonter les obstacles que celui-ci rencontre. Accompagnant la complexité de ce processus d’élaboration de l’analysant, une fois qu’il a été lancé, il devrait permettre qu’il se poursuive sur sa propre route, sans se laisser prescrire aucune direction.

Il y a déjà dans le fait d’avoir ouvert la voie de ce processus une responsabilité éthique qui se développe en fonction du travail que fait l’analysant.

Insister sur le travail de recherche de ce qu’est le réel, voilà ce qui définit le Kulturarbeit.

Une psychanalyse s’appuie donc sur ce qu’il y a de plus éphémère, puisqu’elle vise à rechercher une vérité qui ne se rencontre qu’à écarter le savoir, pour avoir accès à un autre savoir.

C’est la raison pour laquelle une analyse est un parcours et une expérience qui ne sont pas répétables, quelque chose qui survient et qui ne saurait plus survenir selon la même modalité. Il s’agit de quelque chose d’unique et qui ne saurait être standardisée si l’on ne veut pas passer à côté de la fonction d’une expérience qui ne parvient à être élaborée que pour être perdue et pouvoir soudain réapparaître dans la parole qui a permis de faire le deuil de cette perte elle-même.

Pour qu’une telle entreprise puisse être soutenue sont nécessaires des compétences qui ne peuvent être obtenues, ni au travers d’une formation unifiée, qui est le propre d’une culture qui se coule dans le moule universitaire, ni, par ailleurs, en étant laissées à la libre invention d’un sujet solipsiste.

C’est la raison pour laquelle l’analyste praticien doit se soumettre à un parcours d’analyse, mais aussi de confrontation de ce qu’elle a été avec ce qu’est une analyse de contrôle, dans la mesure où il lui est avant tout nécessaire de voir comment se reposent à lui les questions abordées comme les éléments d’une recherche à laquelle il s’affrontera constamment, pour retrouver les questions que Lacan a rencontrées dans le Séminaire XI des Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse.

Qu’est-ce que la psychanalyse? Demandait Lacan le 15 janvier 1964 face au public de l’École Pratique des Hautes Études, ouvrant la voie d’une nouvelle étape de son enseignement, en posant et réélaborant les fondements de la psychanalyse à partir quatre concepts qui constituent la base de l’enseignement freudien: l’Inconscient, la Répétition, le Transfert, la Pulsion.

Ce faisant, Lacan a évité de faire un commentaire littéral de l’œuvre freudienne qui aurait abouti à une ritualisation de son texte, le relisant tout en restant cohérent avec ce que je comprends comme un effort pour partir de Freud, mais dans le but de construire son enseignement, à savoir pour rechercher dans l’œuvre de Freud quelque chose susceptible d’amplifier la possibilité d’une actualisation qui lui restitue sa contemporanéité.