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L’amélioration de notre qualité de vie, à tout âge, implique le travail de deuil. C’est un voyage à travers nos souvenirs qui va au-delà de la douleur de la perte, nous offrant une plénitude qui peut sembler infinie. En faisant exister nos ancêtres, nous brisons le schéma du « tout ou rien » et établissons un lien profond entre les vivants et les défunts, même ceux que nous n’avons pas connus.
À PROPOS DES AUTEURS
Habib Darwiche, directeur d’établissements sociaux et médico-sociaux pendant trente ans, a consacré sa carrière à la protection de l’enfance, restructurant et créant des services et structures. De son côté,
Bernard Greppo, psychiatre des hôpitaux, a travaillé dans la psychotraumatologie et la protection de l’enfance, se spécialisant également en psychogénéalogie et troubles du comportement alimentaire. Ensemble, ils partagent dans cet ouvrage une expérience psychique et émotionnelle significative, destinée à ceux qui s’interrogent sur leurs histoires familiales et sociales.
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Habib Darwiche & Bernard Greppo
Pour une vie
et une retraite plus heureuses
© Lys Bleu Éditions – Habib Darwiche & Bernard Greppo
ISBN : 979-10-422-3644-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Mon vieil ami Habib Darwiche souhaite une préface à son ouvrage à deux mains : 200 pages sur la mort des autres : membres de la famille, amis, inconnus rencontrés dans la vie professionnelle… Il a bien fait de choisir un historien qui travaille sur cette matière inerte. Le silence des morts est la vérité de l’historien. Mais faire revivre les morts constitue également tout son talent. Car la mort transforme la vie en destinée.
Qu’Habib et son complice, le psychothérapeute Bernard Greppo, se répondent tout au long d’une longue dissertation sur la mort, voilà qui remplit de curiosité le lecteur. Le procédé rend la lecture plus aisée : aux récits du premier répondent les réflexions du second. Et le livre est parcouru de formules des mieux troussées qui font mouche : « J’ai décidé de faire face à cette invasion invisible, la mort, qui est venue s’imposer à moi d’une manière invisible », et encore « La mort est la gardienne du temps », et aussi « Je me l’approprie en tant que ma propre mort », et enfin « Cette attention apportée à nos disparus a toute chance de produire un supplément d’âme ».
Au fond, que recherche donc Habib ? Le voilà lancé dans une quête mémorielle de ses ancêtres, de ses parents, de ses frères et sœurs, de ses amis, le cortège de tous ceux qui sont déjà partis. Et ils sont nombreux dans ce Liban qui a tant souffert. De ce qu’il nomme lui-même une étude de « l’archéologie de l’ancestralité », il recherche tout autant sa propre histoire, une meilleure compréhension de lui-même, un apaisement personnel, un dépassement de l’espace-temps, une acceptation de sa propre mort à venir.
Il semble irréaliste de considérer la mort comme une question philosophique. Il n’y a pas de métaphysique de la mort. C’est un phénomène biologique et naturel. Et pourtant, comme l’exprime superbement Frederico Garcia Lorca « toute mort est un mystère parce que toute sa vie est un mystère. » Victor Hugo en rajoute, très justement : « Ce n’est rien de mourir, c’est affreux de ne pas vivre ». Et Mark Twain synthétise : « La peur de mourir résulte de la peur de vivre ».
Nous voilà ainsi au cœur de la question fondatrice que pose Habib : comment bien vivre en correspondance avec ses morts ? En les fréquentant tous ces morts, en les évoquant, en les maintenant vivants, répond-il avec une conviction qui éclaire tout le livre. La mort abandonne ainsi une grande partie de son mystère. Sublimée, la mort est dépassée, et mon ami Habib est à la fois dans la vie et dans la mort. Il constate ainsi que la mort fait partie de la vie. Le voilà prêt à vivre sans angoisse et sans peur, à se consacrer à sa retraite sans aucune crainte, mais au contraire avec enthousiasme et créativité. Sans rompre avec son passé et sa quête mémorielle… Ainsi la mort aura-t-elle jalonné tout son parcours, gardienne du temps passé et du temps futur.
Quelle bonne idée d’avoir choisi la voie de l’écriture, ce fil tendu entre la mort et la vie. Son exigence est extrême. Elle ne supporte pas la médiocrité sur un sujet aussi capital. Habib et Bernard écrivent bien, avec des phrases courtes, des formules ajustées, des mots simples pour exprimer des choses complexes. L’art suprême !
En refermant le livre, chacune et chacun auront bien compris le message des auteurs : il faut sa vie durant apprendre à mourir, mais vivre comme si on ne devait jamais mourir. Seuls les morts peuvent nous fortifier. Car la mort suppose une vie vécue.
Philippe Valode, historien
« Vous ne saurez jamais que votre âme voyage
Comme au fond de mon cœur, un doux cœur adopté ;
Et que rien, ni le temps, d’autres amours, ni l’âge,
N’empêcheront jamais que vous ayez été.
Que la beauté du monde a pris votre visage,
Vit de votre douceur, luit de votre clarté,
Et que ce lac pensif au fond du paysage
Me redit seulement votre sérénité.
Vous ne saurez jamais que j’emporte votre âme
Comme une lampe d’or qui m’éclaire en marchant ;
Qu’un peu de votre voix a passé dans mon chant.
Doux flambeau, vos rayons, doux brasier, votre flamme,
M’instruisent des sentiers que vous avez suivis,
Et vous vivez un peu puisque je vous survis. »
Marguerite Yourcenar
Depuis que j’ai décidé et annoncé mon départ à la retraite en 2025, la mort est venue s’incruster, plus que jamais, dans mon esprit jusqu’à envahir toute mon existence.
D’emblée, je me suis demandé : pourquoi un tel envahissement, maintenant, à trois ans d’un changement pourtant programmé à l’avance ?
En discutant avec mon ami Raphaël Naus, penseur, lors d’un déjeuner occasionnel, celui-ci a trouvé que c’était une chance pour moi de voir la mort venir à ma rencontre à ce moment précis de ma vie.
Pour éviter que je m’attarde, et cela à bien des niveaux sur une multitude d’accessoires de la vie, en oubliant d’aller au fondamental, en cherchant à optimiser mon quotidien. Il a ainsi voulu me rappeler l’essentiel.
Cette situation m’a incité également à remonter le temps, à explorer les différentes étapes de ma vie.
Je me suis rendu compte, à ma grande stupéfaction, que la mort a jalonné tout mon parcours, et ce depuis ma naissance, voire avant elle, à travers des événements, des personnes, des rencontres, des histoires de familles ou de vie, et à travers tant d’autres faits qui ont participé à ce que je suis actuellement.
Toutes ces étapes difficiles ont donné une force et une puissance à ma vie.
J’ai découvert également que la mort gravitait souvent autour de moi comme un personnage mystérieux qui était apparu et avait disparu, de façon cyclique, tout au long de ma vie, mais d’une manière continue.
Cette présence mystérieuse était peut-être comme une invitation, une alerte, une préparation à un rendez-vous, un rappel et un appel, que j’ai souvent déclinés, bien sûr de manière inconsciente, en n’y prêtant pas attention, mais en refoulant tout cela vers la périphérie, refusant ainsi de m’arrêter pour réfléchir ou comprendre, me croyant la plupart du temps éternel ou immortel.
Aujourd’hui, au lieu de fuir cette situation et de continuer à me comporter comme avant, j’ai décidé de faire face à cette invasion invisible, la mort, qui est venue s’imposer à moi d’une manière incessante.
Au début de ce face-à-face, j’ai pris pleinement conscience que j’allais mourir un jour, mais sans aller plus loin dans ma réflexion.
Souvent j’ai été habité par un sentiment d’immortalité sans pour autant prendre conscience que la mort m’atteindrait un jour.
Malgré tout cela, ma conscience actuelle de la mort a rendu mon départ à la retraite plus difficile, plus complexe et moins enthousiaste.
Avec cette décision, un changement s’est opéré en moi, à tel point que mon regard a pris une autre direction.
Il s’est tourné vers l’autre côté de la vie.
Effectivement, j’ai réalisé que j’étais en voyage dans le temps et que celui-ci, rythmé par la mort, débouchait sur elle.
J’ai compris que la mort est la gardienne du temps.
Sans elle, il n’existerait pas.
Il n’aurait pas de sens.
De nos jours, force est de constater que la mort reste l’un des thèmes dont l’approche est rare, y compris au plan philosophique.
Nous vivons en effet une époque de zapping où l’on cherche à fuir l’ultime moment, à occulter ce que nous ne maîtrisons pas, ou ce qui nous effraie.
Après quelques semaines de réflexion, j’ai senti le besoin d’une supervision, d’un accompagnement psychologique ou psychiatrique pour traverser le plus sereinement possible cette période, me familiariser avec la mort, accéder à un état plus paisible.
J’ai surtout essayé de faire en sorte que ma mort ne soit plus un problème, mais qu’elle se transforme en une ouverture acceptée vers l’infini.
Au mois de juin 2022, en discutant avec Carole, ma femme, durant le trajet qui menait de Lyon à Bordeaux, et alors que nous voulions rendre visite à ma belle-mère, j’ai évoqué nos rencontres et nos différents échanges avec Bernard Greppo, un psychiatre, que nous avions rencontré dans le cadre d’un accompagnement auquel nous avons participé au sein du Centre Iris à Lyon.
Je savais qu’il était parti en retraite et le regrettais infiniment.
Soudain, après une rapide vérification sur internet, ma femme m’informe que celui-ci avait repris son travail à la clinique Jouvence Nutrition, tout près de Dijon.
À peine arrivé à Latresne, je lui ai envoyé un SMS.
Il n’a pas tardé à me répondre, en me proposant une communication téléphonique le lundi de Pentecôte.
Après cet échange, et à ma demande, il a accepté de m’accompagner dans le cadre d’une supervision à partir du mois de septembre 2022.
Je cherchais à atteindre deux objectifs complémentaires : le premier était d’évoquer des situations ou des décisions douloureuses que j’ai prises dans le cadre de ma fonction de directeur, le second était de me réconcilier avec la mort, ma future mort, de l’accepter, et de l’intégrer dans ma vie au quotidien, de ne plus en avoir peur, d’être prêt à l’affronter, le moment venu, avec courage, détermination et sérénité.
Après deux séances de supervision, j’eus une conviction.
Elle fut celle de lui proposer d’écrire un livre ensemble. Il accepta ma suggestion sans aucune hésitation.
De cette façon, outre l’accompagnement, il a pris part à la rédaction de ce livre, en apportant ses récits, ses analyses et ses contributions psychanalytiques.
Pour commencer ce travail, j’ai d’abord voulu interroger quelques philosophes et écrivains pour avoir leurs éclairages et leurs analyses sur le thème de la mort.
Pour Socrate, la mort correspond à une expérience qui n’est pas nécessairement un mal, mais au contraire un bien pour chaque âme, donc pour chaque être humain.
Selon lui, être mort consiste bien à libérer le corps de l’âme. Une fois séparé de l’âme, le corps isolé devient lui-même ; une fois séparée du corps, l’âme isolée devient elle-même.
Pour Platon, la mort est libération de l’âme. En ce sens, le corps est un obstacle à l’épanouissement de l’âme. Il est un frein à la vie de l’esprit qu’il pollue en l’imprégnant de servitudes qui sont propres à sa logique.
Il est le « tombeau de l’âme ».
C’est pourquoi, selon lui, philosopher c’est apprendre à mourir.
Pour Michel de Montaigne, c’est exactement le contraire : philosopher c’était apprendre à vivre. « Nous troublons la vie par le souci de la mort, et la mort par le souci de la vie. L’une nous cause du regret, l’autre nous effraie. Ce n’est pas contre la mort que nous nous préparons, c’est une chose trop momentanée : un quart d’heure de souffrance passive sans conséquence, sans dommage, ne requiert pas des préceptes particuliers. À vrai dire, nous nous préparons contre les préparations à la mort ».
Pour Vladimir Jankekevitch, la mort est le seul événement biologique auquel le vivant ne s’habitue jamais. Elle est un vide qui se creuse soudain en pleine continuation d’être.
L’existant, rendu brusquement invisible, s’abîme en un clin d’œil dans la trappe du non-être.
C’est pourquoi on comprend le mystère de la mort par la mort elle-même.
Devenu sujet tabou, puisque personne n’est revenu de la mort, il est toujours difficile de parler d’un mystère aussi mystérieux qu’elle.
Pour Heidegger, la mort n’est pas seulement un phénomène biologique pour l’homme puisque c’est par la mort d’autrui que j’acquiers cette connaissance de la mort, comme d’un événement. J’y assiste, je l’éprouve et elle m’apparaît dans sa cruelle vérité.
Donc, à chaque être humain, sa propre mort. Personne ne peut se substituer à moi dans ma propre mort.
Le drame de notre époque est que chacun de nous se soucie toujours de ce qu’il pourrait être.
Il se trouve ainsi lié à son futur.
En même temps, chacun de nous est en permanence lié à son passé parce que tout individu est jeté dans le monde sans être libre de choisir ce début.
Dans la mort de l’autre, je fais l’expérience de l’anéantissement d’autrui, mais aussi d’un mystère qui me dépasse. La mort de l’autre éveille ma responsabilité par rapport à lui et me fait comprendre que je n’en ai pas encore fini avec lui.
En ce sens, la mort de l’autre, sa mort, devient mon affaire, mon problème.
Je deviens responsable de l’autre en tant que mortel.
Toutes les personnes que je fréquentais occupaient le monde, elles existaient.
Par sa mort, l’autre me donne la possibilité de vivre l’expérience cruciale du passage d’un « être-là » à un « ne plus-être-là » puisqu’on ne peut jamais expérimenter la mort.
Elle reste toujours celle d’autrui.
La finitude est la condition sine qua non de notre existence. La mort est ce qui va arrêter notre vie à un temps « T », un départ sans retour, laissant nécessairement un arrière-goût d’inachevé.
Durant toute notre existence, on vit dans l’attente de la mort.
Elle nous attend comme un événement programmé, dès le commencement de notre vie.
La mort est là, inscrite en nous, et tôt ou tard, il n’y aura pas moyen de l’esquiver. Nous sommes faits comme ça.
Elle nous guette à tout moment. Elle est en nous. Il faut donc l’accueillir puisqu’elle est un rendez-vous prévu dès le commencement.
Elle ne nous laisse aucun autre choix.
C’est dire la possibilité de mon impossibilité à me défaire de ma mort.
Pour Victor Hugo, « la mort, c’est l’élargissement dans l’infini ».
Ce dernier est un phénomène vers lequel on tend, qui est hors de nos limites, sans fin dans le temps et l’espace, d’une grandeur et d’une intensité si grande qu’on ne peut le mesurer.
Il est indéfinissable et indéterminé.
En fait, d’un bout à l’autre, on est toujours dans l’infini : avant nous, et après nous.
En ce sens, l’espace et le temps sont eux-mêmes infinis et sans limites.
Cela signifie qu’ils n’ont pas commencé et ne finiront jamais.
Ils sont ce qu’ils sont, différents de nous.
En d’autres termes, on parle ici de l’immensité du temps et de l’espace infini de l’univers.
Selon Saint-Augustin, l’âme est immortelle : elle est au monde, elle est dotée de relation avec Dieu comme avec les autres.
Elle a une véritable identité.
C’est pour cela que ce philosophe parle de l’immortalité de l’âme et de la résurrection.
Pour lui, l’immortalité est l’horizon de la vie.
La résurrection maintient l’identité personnelle puisque chaque être humain reçoit sa signature, sa singularité dès sa naissance.
Chacun est doté d’une liberté absolue et peut se diviniser, ou du moins aspirer à une certaine sainteté.
Selon François Varillon, théologien jésuite, l’amour est un désir d’immortalité.
Celui-ci parle de l’amour qui est plus fort que la mort et la vie. C’est pourquoi « aimer quelqu’un, c’est lui dire : toi, tu ne mourras jamais ».
Selon Jean d’Ormesson, écrivain et académicien, « nous avons de la chance de mourir. La mort fait partie de la vie. L’horreur, c’est l’immortalité ».
Mais, il ajoute « il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants, et la transmission, à ceux qui ne le sont pas encore, du nom, de la gloire, de la puissance et de l’allégresse de ceux qui ne sont plus, mais qui vivent, à jamais, dans l’esprit et dans le cœur de ceux qui se souviennent ».
Selon le christianisme, il y a une vie après la mort.
On est vivant avec Dieu pour toujours.
Certes, notre corps n’existe plus, mais grâce à Jésus Christ, mort et ressuscité, on passe de la mort à la vie avec Dieu.
Selon le judaïsme, la notion d’éternité est abstraite : le défunt continue à vivre dans les œuvres qu’il a laissées, et aussi à travers ses enfants, ses disciples… C’est pourquoi ce n’est pas la mort qui fait peur, mais ce que l’on va laisser.
Pour les juifs, l’âme est éternelle. Lorsqu’on perd un être cher, celui qui reste en vie le prendra à cœur, le mettra dans son cœur.
Cela signifie que les descendants étant en vie, l’être cher est lui aussi en vie.
Ainsi, l’esprit prévaut-il sur l’enveloppe physique.
Selon l’islam, la mort, c’est la séparation de l’âme et du corps, mais l’homme ne périt pas tout à fait, il est transféré dans une autre vie. Autrement dit, la vie humaine ne prend pas fin après la mort. L’être humain quitte ce monde réel vers un autre monde dans lequel il sera récompensé (le paradis) ou puni (l’enfer).
Selon le bouddhisme, au moment du décès, l’esprit suit ce que l’on appelle le cycle karmique : son avenir dépend des actions entreprises par le défunt de son vivant.
Ainsi, après la mort, la réincarnation constitue-t-elle un principe de continuité de la vie.
À la lumière de ce qui précède, je me suis posé la question suivante : quel sens puis-je donner à la mort ? À ma mort ?
Je me suis rendu compte qu’il y avait deux possibilités qui s’offraient à moi.
La première, c’est de m’attacher à une attitude artificielle consistant à continuer à fuir la mort, dans la peur et l’angoisse.
En fait, cette attitude n’est pas autre chose qu’une reconnaissance de la mort.
En d’autres termes, c’est une façon d’adopter une attitude de profonde indifférence face à la mort, même si je sais parfaitement que je vais mourir parce que j’ai vu l’autre mourir.
La seconde, c’est de m’inscrire dans une attitude plus authentique.
J’accepte alors mon être pour la mort et je m’y confronte en admettant qu’il n’y a vraiment aucune raison de craindre cette évidence.
De la sorte je me tiens au plus près de ma finitude, dans une relation ouverte et compréhensive.
Par-là, je soutiens la certitude-incertitude du caractère plausible de ma mort à tout instant.
Me réconciliant avec elle, je me rends compte que je refuse désormais d’esquiver cette préoccupation.
Je me l’approprie enfin en tant que ma propre mort.
En outre, je laisse entrer dans mon existence mon ultime dépossession dans le cadre d’un rapport particulier avec elle, ma mort.
En optant pour la deuxième possibilité, celle de faire face à la mort, à ma mort, avec une prise de conscience éclairée, j’ai trouvé nécessaire de remonter le temps afin de retrouver les personnes, les faits et les événements liés à la mort.
J’ai choisi d’évoquer ceux qui m’habitent, retentissent en moi en permanence et font partie de mon existence, mais aussi ceux qui ont participé, d’une manière ou d’une autre, à ce que je suis devenu.
La mort de l’être qui nous est cher est inacceptable, parce que dire à quelqu’un « je t’aime » c’est équivalent à lui dire « tu ne mourras pas ».
L’amour est un appel infini à l’Infini.
Chacun survit dans la mémoire des hommes.
Chaque fois qu’une personne proche décédait, je me demandais : Pourquoi lui ? Pourquoi pas moi ?
La vie se mesure-t-elle au nombre d’années vécues ?
Quelle relation existe-t-il entre le temps, la vie et la mort ?
Ma réponse était en quelque sorte une non-réponse, elle prenait souvent la figure d’un certain personnage mystérieux, présent/absent, qui observait tout ce qui se passait, ne me livrait aucune réponse tout en me laissant l’impression étrange de m’accompagnant en permanence.
Clairement, après chaque décès, j’ai le sentiment de la présence très intime d’un personnage mystérieux, d’un personnage avec lequel je discutais au fond de moi-même, mais que personne ne pouvait remarquer.
Il avait souvent un costume noir, mais il ne donnait jamais la moindre réponse et me laissait souvent me confronter à l’imprévisibilité, au hasard.
Ce personnage mystérieux n’interfère jamais avec d’autres entités.
Celui-ci pourrait passer pour un symbole, pour un Dieu, le destin, pour un Ange gardien, pour un témoin muet, en tout cas pour le signe de l’impossible neutralité du destin.
Ce personnage lie toutes les étapes de ma vie en leur donnant une dimension presque métaphysique.
C’était ou c’est comme un vague contact visuel qui n’interagit jamais avec ce qui se passe ordinairement.
Au cours de chaque événement contenant la mort, le personnage avait une certaine signification symbolique, il apparaissait sous des formes variées, à des moments critiques et servait souvent de contrepoint ou de catalyseur aux actions de personnes qui étaient mortes.
Ces dernières, je les appellerai, tout au long du livre, « les mourants ».
Ainsi ce personnage mystérieux au regard diaphane était-il celui qui apparaissait à chaque séquence mettant en scène la mort.
Il avait une présence silencieuse, pouvant se confondre avec un témoin impassible capable d’occuper diverses fonctions.
Il semblait m’inviter à ouvrir les yeux, à regarder autour de moi.
Bernard Greppo
Comment analyser ce sentiment d’éternité, cette illusion, ce déni partiel de la mort dont nous parle d’emblée Habib Darwiche ?
Cette attitude est dans l’ensemble celle de la plupart d’entre nous, elle est nécessaire.
Elle appartient généralement aux premiers temps de la vie. Elle nous protège jusqu’au moment où cette protection nuit à notre sécurité et perd de son efficacité.
Lorsqu’elle nous inspire, cette illusion est-elle le résultat d’une impression de plénitude résultant de l’inscription profonde, en nous, de tous ceux qui nous ont précédés ?
Nos ancêtres feraient-ils partie de chacun de nous au même titre que les images psychiques intérieures et suffisamment bonnes d’un enfant « sécure » vivant sa vie « sous le parapluie » de ses parents ?
L’effritement au fil des âges du sentiment d’éternité, correspondrait-il à une involution de cette illusion de sécurité bienfaitrice ?
On penserait ici aux « parents intérieurs » presque tout puissants ancrés dans le psychisme en croissance d’un enfant ?
Cet effritement de la toute-puissance témoignerait-il d’un accomplissement que l’âge avancé rend possible mieux qu’un autre ?
« L’âge », avec les épreuves habituelles de la vie que nous traversons, ne représenterait-il pas un potentiel de changement qui nous aiderait à nous séparer de certaines illusions de sécurité relatives à nos enfances ?
Est-ce que l’âge et la fin des distractions de la vie (au sens Pascalien) permettraient d’aboutir à cette fameuse sagesse prêtée aux plus anciens – pas toujours vérifiable par ailleurs – qui aurait tout de même pour définition et pour fonction d’être un peu moins ancrée dans l’illusion infantile ?
Paradoxalement, ces ouvertures, souvent inconscientes, à nos absents, à la nostalgie et aux deuils qui ont jalonné nos vies ne seraient-elles pas la clef de multiples promesses d’avenir ?
Celles-ci nous aideraient-elles à forger nos choix identitaires à travers le souvenir de nos morts ?
Cette opportunité est-elle d’ailleurs l’exclusivité de « l’âge » ?
Ce travail psychique, parfois difficile, qui se produit parfois à la périphérie du désert de nos mémoires, ne nous aiderait-il pas aussi à développer notre autonomie en trouvant, dans « l’ancestral », dans notre passé, dans l’absence, ce que nous « choisirions » de conserver au fond de nous-mêmes ?
Choisir : le pouvons-nous vraiment ?
En cheminant à travers l’ancestral, chacun de nous a l’occasion d’affirmer « sa propre signature » tout en confirmant, dans le meilleur des cas, son appartenance à une tradition familiale sans commencement précis, sans ponctuation, presque infinie.
Au décours d’une telle recherche, chacun prépare aussi l’ébauche de son propre héritage symbolique.
À travers cette démarche, il s’agirait par conséquent de distinguer nos différents morts et de parvenir à donner à chacun une forme d’existence confortable à l’intérieur de nos psychismes.
Il convient alors d’extraire chaque défunt du flou et des banalisations habituelles relatives à nos relations à la mort.
Certaines croyances peuvent nous leurrer – « les morts sont morts » – au point d’imaginer que tous les morts se valent et qu’ils peuvent se résumer à une abstraction.
Comme ils ne sont plus là, il n’y aurait plus grand-chose à en dire surtout lorsqu’ils appartiennent à des générations largement antérieures aux nôtres.
Ce faisant, nous confondrions la mort, notion générale et relativement abstraite, avec notre mort ainsi qu’avec nos morts.
Ces derniers s’attachent à une expérience toute différente et beaucoup plus concrète de l’absence, de la souffrance et de l’intériorisation constructrice.
Ce « mode d’être » particulier qui nous relie à nos morts permettrait de nous appuyer sur leurs vertus supposées, pour les faire non plus vivre – ils sont morts – mais exister sous forme symbolique.
L’expérience montre que cette attention portée à nos disparus – elle est don de soi – a toute chance de produire un supplément de vie et un peu plus d’énergie vitale à la personne qui se soumet à ce devoir ancestral.
Cette focalisation « vers l’arrière » nous aide paradoxalement à ne pas rester sous l’emprise angoissante de notre propre finitude.
En nous inspirant du principe de non-dualité – celui-ci est parfois marginalisé par la culture rationnelle de l’Occident –, nous pourrions penser que « l’arrière » et « l’avant » se rejoignent et en conclure que le passé est un futur, déjà là, qui s’actualise au présent.
Cette perspective invite à un décloisonnement de la grammaire habituelle du temps, laisse une place à l’intemporel et fait un pas de plus vers une moindre finitude.
Habib Darwiche nous dit qu’en décidant de mobiliser sa mémoire familiale, s’est opéré en lui un changement qui a dirigé son regard « vers l’autre côté de la vie ».
Qu’est-ce que ce « lieu » ?
N’est-ce pas l’impensable, le strict domaine de l’intuition, le plus souvent celui de l’imaginaire, mais aussi de la transcendance, de l’infini, et de son appel singulier ?
Cette butée que représente la mort nous donne à expérimenter son caractère inéluctable.
Cette limite ne signe-t-elle pas également la nécessité pour nous – l’au-delà ne donnant aucune certitude, mais n’empêchant pas de construire des convictions en guise de viatique – de tourner notre regard vers le passé, vers nos origines, ce qui veut dire aussi, mais implicitement, vers une éventuelle source, vers l’Origine ?
Cette question échappe à notre pensée, elle échappe tout autant que « l’après de la vie », du moins pour cette part de notre présence sur terre qui s’en tient aux limites évidentes de celles de chacun d’entre nous.
N’est-ce pas ici l’occasion de souligner une apparente divergence, mais également une connivence plausible entre le commencement du commencement et « l’après-coup » qui succède à la fin de la vie individuelle ?
Sur le plan pratique, en remontant le temps, en le transformant en pensées, en paroles et en sentiments, ne trouverions-nous pas un chemin relativement praticable, relativement éclairant, vers « quelque chose » que nous pourrions ressentir comme une sorte d’appel du transcendantal ?
La question que nous pose l’infini répond également à un problème de définition.
Savons-nous, lorsque nous l’évoquons, de quoi nous parlons, pouvons-nous vraiment le définir ?
Ce « point sans point » serait-il assimilable à l’indéfinissable ?
L’indéfinissable pourrait-il représenter une forme de définition ?
Cette définition en creux est-elle vraiment acceptable ?
En tout cas, n’y aurait-il pas intérêt à scinder le « sans limites » – une limite qui est toujours dépassée – dépassable, débordée, voire transgressée reste une limite – de l’infini et de son mystère ?
Une profonde intuition transcendantale ne serait-elle pas la seule définition plausible, mais approximative, de cet objet sans objet que nous pourrions appeler l’infini ?
Cette approche intuitive est bien sûr complexe.
Elle serait peut-être un peu plus représentable en se plaçant sous le regard d’une logique non binaire.
Le binaire (il s’énonce sous cette seule forme : « être » ou « ne pas être ») serait en effet beaucoup trop propice au dilemme et à la réduction de cette immense complexité.
Un tétralemme, une sorte de « ni/ni/et/ou » ne conviendrait-il pas mieux pour approcher le réel de l’existence ?
L’infini est une tendance ambiguë tout à la fois définissable et non définissable, en fait radicalement indéfinissable.
Cependant, l’expérience montre que l’approche transcendantale résonne en soi avec une exacerbation de la sensibilité qui nous permet d’élever notre niveau de conscience et même l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes.
Puis-je le dire ainsi sans prendre le risque de l’obscurantisme, de la mystification ou du mysticisme ?
En nous référant à un tel degré de complexité, ne rencontrons-nous pas en même temps, face à l’infini et à la mort, ce qui ferait notre confusion, notre perplexité, notre angoisse, mais aussi notre désir ?
Il faut en tout cas prendre « des chemins de traverse », avoir en soi suffisamment de sécurité intérieure pour faire face à cette « zone grise », à cet espace-temps qui ne répond plus aux commandes de notre quotidien.
Ces « chemins de traverse » destinés à diminuer l’impact de l’angoisse sur nos vies, particulièrement sur ses dernières phases, lorsque la vieillesse s’impose, sembleraient pouvoir transiter par ce « devoir de mémoire », par cette reprise de ce qui est resté inachevé et ne demande qu’à reprendre de son influence constructrice par la magie de la parole.
Ensemble, Habib Darwiche et moi, à travers notre dialogue, sommes tentés d’en faire la proposition à nos lecteurs.
Ce cheminement, guidé par le langage, semble apte à nous donner une alternative par rapport aux enjeux biologiques de vie et de mort que chacun de nous connaît.
La perspective biologique nous ouvre à plusieurs formes de savoir, mais elle ne nous offre aucun soutien – sauf peut-être celui de serrer courageusement les poings et les dents au moment où la mort nous emportera par surprise – comme si nous devions nous convaincre qu’il n’y a rien avant, rien après et que nous ne sachions pas réunir et dépasser, au cours de nos vies, l’opposition apparente de ces deux pôles, de ces deux marqueurs temporels.
Habib Darwiche est probablement une personne que la mort – il a eu l’occasion de l’approcher précocement au cours de l’enfance – a orientée avec subtilité.
Il me semble que la connivence qu’il a eue avec elle constitue une guidance interne qui s’est imposée à lui à travers ce personnage mystérieux perçu au fond de son cœur.
Cette entité semble faite d’amour, de sensibilité et de nostalgie tempérée.
Cette force intérieure – cet « introjectat » (processus qui met en évidence le passage fantasmatique du dehors au-dedans et permet d’intérioriser des objets psychiques qui constituent une partie de l’identité profonde) diraient probablement les psychanalystes – ni lui, ni moi ne pouvons dire de qui ou même de quoi elle est faite exactement.
Nous ne nous tromperions pas trop en imaginant qu’elle s’est constituée au fil des générations, sur le temps long.
Nous pouvons croire que cette force intérieure s’est probablement développée à la lumière de deuils particulièrement touchants pour lui, son entourage et sa famille.
Je proposerais volontiers de qualifier de telles influences de ce nom : des « deuils durables et indispensables ».
Ces deuils ont le pouvoir de donner de la continuité et du sens à la vie de chacun de nous, à la « vraie vie ».
Ma peur de la mort se confond-elle avec ces deuils « durables » et insoupçonnés ?
Plus encore lorsque je ne parviens pas à les mettre au jour, que je ne trouve pas ou ne me donne pas les appuis nécessaires ?
Pour me sentir moins envahi par la mort et sa brutalité n’ai-je pas besoin, le devoir peut-être, de me rappeler des absents en les faisant exister par le biais de ma mémoire, de mes sentiments, de mes émotions et sensations ?
Ce faisant, ne suis-je pas dans un mouvement de vie qui ouvre paradoxalement vers l’infini plutôt que vers la finitude, mais aux prix tout de même d’une oscillation sans solution définitive entre le « plus rien » de ma vie et le « tout » de l’éternité ?
Tout au long de ma vie, la mort s’est adressée à moi, à travers des personnes, des secrets de famille, des événements, des faits, des accidents, et tant de circonstances qui résonnent encore, aujourd’hui, au plus profond de moi.
Pour essayer de les explorer et reconstituer leurs récits, j’ai choisi d’entamer un voyage archéologique dans les couloirs de ma mémoire, de celles des membres de ma famille, de mes proches et de mes amis, ainsi que des lieux que fréquentaient mes ascendants et les personnes concernées par ces récits.
J’ai commencé à « fouiller le temps de mon enfance », de ma jeunesse et ce qui est enseveli, en interrogeant ma famille, mes amis à travers un voyage vécu comme un retour dans leur passé.