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Plongez dans l'univers captivant du célèbre détective Sherlock Holmes avec le livre 'Premières aventures de Sherlock Holmes' de l'auteur Arthur Conan Doyle. Ce recueil regroupe les premières enquêtes palpitantes de ce personnage emblématique de la littérature policière.
Dès les premières pages, vous serez transporté dans le Londres victorien du XIXe siècle, où le mystère et le crime règnent en maîtres. Suivez les pas de Sherlock Holmes, un homme à l'intelligence hors du commun, accompagné de son fidèle acolyte, le Dr John Watson.
Au fil des pages, vous découvrirez des intrigues complexes et des énigmes insolubles qui défient l'esprit rationnel. Holmes, avec sa logique implacable et son sens aigu de l'observation, résout les crimes les plus énigmatiques, dévoilant les secrets les mieux gardés.
De l'affaire du ruban moucheté à celle du chien des Baskerville, en passant par le scandale de Bohême, chaque histoire est un véritable défi pour le lecteur, qui sera tenu en haleine jusqu'à la dernière page. Les rebondissements inattendus et les retournements de situation vous tiendront en suspens, vous laissant sans voix devant l'ingéniosité de Sherlock Holmes.
'Premières aventures de Sherlock Holmes' est un incontournable pour tous les amateurs de romans policiers et de mystères. Plongez dans l'univers fascinant de Conan Doyle et laissez-vous emporter par les enquêtes captivantes de ce détective hors pair. Une lecture qui vous tiendra en haleine et vous fera découvrir le génie de Sherlock Holmes, un personnage qui continue de fasciner les lecteurs du monde entier depuis plus d'un siècle.
Extrait : ""Le surlendemain de Noël, je passai dans la matinée chez mon ami Sherlock Holmes pour lui souhaiter la bonne année. Il était en costume de chambre, paresseusement étendu sur un sofa ; à portée de sa main, une pipe et une pile de journaux qu'il avait dû lire et relire, tant ils étaient froissés ; un peu plus loin, sur le dossier d'une chaise de paille, un vieux chapeau de feutre tout râpé et bossué."
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Seitenzahl: 297
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Le surlendemain de Noël, je passai dans la matinée chez mon ami Sherlock Holmes pour lui souhaiter la bonne année. Il était en costume de chambre, paresseusement étendu sur un sofa ; à portée de sa main, une pipe et une pile de journaux qu’il avait dû lire et relire, tant ils étaient froissés ; un peu plus loin, sur le dossier d’une chaise de paille, un vieux chapeau de feutre tout râpé et bossué. Un microscope et une forme à chapeau, posés sur la chaise elle-même, attestaient que le chapeau avait dû être placé là pour être examiné attentivement.
– Vous me semblez fort occupé, mon cher, dis-je à Holmes, et je crains de vous déranger.
– Non, certes, je suis ravi de pouvoir discuter avec un ami le résultat que je viens d’atteindre : une chose des plus banales du reste, ajouta-t-il, en me montrant du doigt le chapeau râpé ; mais à l’observation, il s’y mêle certaines particularités intéressantes et même instructives.
Je m’assis dans un fauteuil ; il faisait un froid noir, les vitres étaient couvertes de givre et tout en me chauffant les mains au feu qui pétillait dans la cheminée :
– Je suppose, dis-je, que le fait qui vous occupe, quelque simple qu’il paraisse, a trait à un meurtre quelconque et que voilà l’indice au moyen duquel vous découvrirez un mystère et vous punirez un crime.
– Non, non, il ne s’agit pas d’un crime, dit Sherlock Holmes en riant, mais seulement d’un de ces étranges incidents qui se produisent dans les centres où quatre millions d’êtres humains se coudoient sur une surface de quelques kilomètres carrés.
Le va-et-vient de cet essaim humain si compact, si dense, peut donner naissance, en dehors des crimes à tous les évènements possibles et aux problèmes les plus bizarres, nous en avons eu la preuve plus d’une fois, n’est-il pas vrai ?
– En effet, répondis-je, et parmi les six dernières causes judiciaires que j’ai consignées sur mes notes, trois ont été entièrement exemptes de ce que la loi qualifie du nom de crime.
– Précisément, je vois que vous faites allusion à mes efforts pour rentrer en possession des papiers d’Irène Ader, à la singulière aventure de Miss Mary Sutherland et à l’histoire de l’homme à la bouche de travers. Eh bien ! je suis convaincu que l’affaire en question rentrera dans la catégorie de celles qui n’ont pas de crimes à la clé. Vous connaissez Peterson le commissionnaire ?
– Oui.
– Eh bien, c’est à lui qu’appartient ce trophée.
– C’est son chapeau ?
– Non, il l’a trouvé. Le propriétaire en est inconnu. Considérez-le, je vous prie, non comme un simple couvre-chef, mais comme un problème intellectuel. Et d’abord que je vous dise comment il se trouve là. Il a fait son entrée ici le matin de Noël, en compagnie d’une bonne oie qui est sans doute en train de rôtir devant le feu de Peterson. Mais je reprends l’histoire à son début.
Vers quatre heures du matin, le jour de Noël, Peterson, un très honnête garçon, vous le savez, revenait de quelque souper et rentrait par Tottenham Court road lorsque devant lui il aperçut, à la lueur d’un bec de gaz, un homme de taille élevée qui marchait d’un pas mal assuré, portant une oie sur son épaule.
Comme il atteignait le coin de Goodge street, une dispute s’éleva entre cet individu et un petit groupe de gamins. L’un de ceux-ci jeta par terre, avec son bâton, qui lui servait d’arme défensive, le chapeau de l’homme, puis lançant le bâton brisa la fenêtre de la boutique qui se trouvait derrière lui.
Peterson se précipita au secours de l’étranger, mais l’homme, effrayé du désastre dont il était cause, et voyant un individu en uniforme s’avancer vers lui, laissa tomber l’oie, prit ses jambes à son cou et disparut dans le labyrinthe de petites rues qui se trouvent derrière Tottenham Court road. Les gamins, de leur côté, avaient fui à l’aspect de Peterson, de sorte qu’il resta maître du champ de bataille et armé des trophées de la victoire sous la forme d’un chapeau bossué et d’une superbe oie de Noël.
– Trophées qu’il a assurément rendus à leur propriétaire.
– Mon cher ami, voilà où est le problème. Il est vrai que l’oie portait attachée à la patte gauche une carte avec l’inscription « Pour Mrs Henry Baker » et que les initiales H.B. sont lisibles au fond de son chapeau ; mais comme il existe quelques milliers de Baker et quelques centaines de Henry Baker dans notre cité, il n’est pas facile de rendre à chacun ce qu’il peut avoir perdu.
– Alors qu’a fait Peterson ?
– Il m’a apporté, le matin de Noël, le chapeau et l’oie pour flatter ma manie, car il sait à quel point j’aime à résoudre les problèmes, quelque insignifiants qu’ils paraissent à première vue. Nous avons gardé l’oie jusqu’à ce matin, c’est la dernière limite qu’elle pût atteindre et celui qui l’a trouvée l’a emportée pour lui faire subir la destinée ordinaire de toute oie grasse, tandis que moi j’ai gardé le chapeau de l’inconnu si malencontreusement privé de son dîner de Noël.
– N’a-t-il pas mis des annonces dans les journaux ?
– Non.
– Alors, quels indices pouvez-vous avoir sur son identité ?
– Pas d’autres que ceux que nous pouvons déduire nous-mêmes.
– De son chapeau ?
– Précisément.
– Mais vous plaisantez, que peut vous apprendre ce vieux chapeau bossué ?
– Voici ma loupe. Vous connaissez bien mon système. Que pensez-vous de l’homme qui a porté ce chapeau ?
Je pris le chapeau et, après l’avoir tourné et retourné dans tous les sens, je me sentis au-dessous de ma tâche. C’était un chapeau melon en feutre dur et très ordinaire, absolument râpé. Il avait été doublé d’une soie rouge qui avait changé de ton. Il ne portait pas le nom du fabricant ; mais, comme l’avait remarqué Holmes, les initiales H.B.étaient griffonnées sur un des côtés. Le bord était percé, pour y adapter un cordon, qui manquait du reste. Enfin, il était fendu et couvert de poussière et de taches qu’on avait essayé de cacher en les badigeonnant d’encre.
– Je ne suis pas plus avancé qu’avant mon examen, dis-je en rendant le chapeau à mon ami.
– Vous êtes très observateur, mais vous ne savez pas, au moyen du raisonnement, tirer des conclusions de ce que vous étudiez.
– Alors, dites-moi, je vous en prie, ce que vous pouvez déduire de ce chapeau.
Holmes le ramassa et l’examina avec la pénétration qui était si caractéristique chez lui.
– Il est peut-être moins suggestif qu’il aurait pu l’être, remarqua-t-il, et cependant j’en tire un certain nombre de déductions, dont quelques-unes seulement très claires, d’autres basées sur de sérieuses probabilités. Il est évident que le possesseur de ce chapeau était extrêmement intelligent, et que dans ces dernières années il s’est trouvé dans une situation qui d’aisée est devenue difficile. Il a été prévoyant, mais l’est beaucoup moins aujourd’hui, c’est la preuve d’une rétrogression morale qui, ajoutée au déclin de sa fortune, semble indiquer quelque vice dans sa vie, probablement celui de l’ivrognerie. Ceci explique suffisamment pourquoi sa femme ne l’aime plus.
– Assez, Holmes !
– Il a cependant conservé une certaine respectabilité, continua-t-il, sans paraître avoir entendu mon exclamation. C’est un homme d’âge moyen qui mène une vie sédentaire, sort peu, ne fait aucun exercice. Il graisse avec de la pommade ses cheveux grisonnants qu’il vient de faire couper. Voilà ce que l’observation de ce chapeau m’apprend de plus saillant. Ah ! j’oubliais d’ajouter qu’il n’y a probablement pas de gaz dans la maison qu’habite notre héros.
– Vous plaisantez certainement, Holmes.
– Pas le moins du monde. Comment ! vous n’êtes même pas capable, lorsque je vous mets les points sur les i, de comprendre la manière dont je m’y prends ?
– Je ne suis évidemment qu’un sot, tout à fait incapable de vous suivre. Par exemple, comment pouvez-vous savoir que cet homme était intelligent ?
Pour toute réponse, Holmes mit sur sa tête le chapeau qui s’enfonça jusque sur ses yeux.
– C’est une simple question de cube : un homme qui a un crâne si volumineux doit avoir des facultés exceptionnelles.
– Et le déclin de sa fortune ?
– Ce chapeau date de trois ans ; or, à ce moment, ses bords légèrement retournés étaient à la mode. Puis, c’est un chapeau de toute première qualité. Voyez donc le ruban gros grain qui le borde et sa doublure soignée. Si cet homme avait de quoi s’acheter, il y a trois ans, un chapeau de ce prix-là et qu’il n’en ait pas eu d’autres depuis, j’en conclus que sa situation est aujourd’hui moins bonne qu’elle ne l’a été.
– Tout cela paraît assez clair, mais comment expliquerez-vous et sa prévoyance et sa rétrogression morale ?
Sherlock Holmes sourit.
– Voici l’explication de sa prévoyance, dit-il, en posant son doigt sur le petit disque et l’anneau destinés au cordon du chapeau, ceci ne se place que sur commande et si cet homme a fait mettre ce cordon par précaution contre le vent, c’est bien la preuve qu’il a une certaine prévoyance. Cependant, je constate que le caoutchouc s’étant cassé, il ne s’est pas donné la peine de le remplacer, d’où j’affirme qu’il a moins de prévoyance maintenant qu’autrefois, preuve d’un affaiblissement de ses facultés. Mais il lui reste encore un certain sentiment de respectabilité parce qu’il a cherché à dissimuler les taches de son chapeau en les barbouillant d’encre.
– Votre raisonnement est fort juste.
– J’ai ajouté qu’il est d’âge moyen, que ses cheveux sont grisonnants, qu’il se les est fait couper récemment et qu’il emploie de la pommade. Vous pourriez vous en convaincre comme moi en examinant de près la partie intérieure de la doublure. La loupe me découvre beaucoup de bouts de cheveux coupés évidemment par un coiffeur. Il s’en dégage une odeur de graisse et ils sont collés ensemble. Enfin cette poussière, loin d’être graveleuse et grise comme celle de la rue, est brunâtre et floconneuse comme celle qu’on soulève dans les maisons ce chapeau est donc plus souvent accroché que porté ; et les traces de moisissure que je remarque à l’intérieur me prouvent que celui qui le portait n’était pas habitué à l’exercice puisqu’il transpirait si facilement.
– Vous avez ajouté que sa femme ne l’aimait plus.
– N’avez-vous pas remarqué que ce chapeau n’a pas été brossé depuis plusieurs semaines. Mon cher Watson, lorsque votre femme vous laissera sortir avec votre chapeau non brossé et que je vous verrai arriver chez moi, j’aurai des doutes sur la bonne entente de votre ménage.
– Votre homme est peut-être célibataire ?
– Certainement pas. Il rapportait l’oie comme gage de paix à sa femme. Rappelez-vous donc la corde attachée à la patte de l’oie.
– Vous avez réponse à tout. Où diable voyez-vous maintenant qu’il n’y a pas de gaz dans sa maison ?
– Passe encore s’il n’y avait qu’une tache de chandelle, mais lorsque j’en compte au moins cinq, il est bien évident que le personnage en question se sert habituellement de ce mode d’éclairage, et qu’il remonte le soir chez lui, son chapeau d’une main et sa chandelle ruisselante de l’autre. Dans tous les cas, ces taches ne proviennent pas d’un bec de gaz. Êtes-vous satisfait ?
– C’est fort ingénieux, dis-je en riant, mais puisqu’il n’y a eu ni crime, ni dommage causé, sauf la perte d’une oie, vous avez, ce me semble, bien perdu votre temps.
Sherlock Holmes allait répondre, lorsque la porte s’ouvrit brusquement. Peterson le commissionnaire apparut sur le seuil, les joues empourprées, l’air absolument ébahi.
– L’oie, monsieur Holmes ! L’oie, monsieur, prononça-t-il avec effort.
– Eh bien, quoi ! Est-elle revenue à la vie et s’est-elle envolée par la fenêtre de la cuisine ?
Holmes changea de place afin de mieux observer le jeu de physionomie du visiteur.
– Voyez donc, monsieur, voyez ce que ma femme a trouvé dans le gosier de l’oie.
Et il étendit la main pour me montrer une pierre bleue de la dimension d’un haricot, mais d’une limpidité et d’un éclat tels qu’ils semblaient un point lumineux. Sherlock Holmes se redressa en sifflant.
– Sapristi, Peterson, vous avez fait là une précieuse trouvaille ; je suppose que vous savez quelle est cette pierre ?
– Une pierre précieuse ; un diamant ; il entre dans le verre comme dans une pâte !
– Mon cher, c’est plus qu’une pierre précieuse : c’est « la pierre précieuse » !
– Serait-ce par hasard l’escarboucle bleue de la comtesse de Morcar ? m’écriai-je.
– Précisément : j’en connaissais et la dimension et la forme par l’annonce que publie journellement le Times. C’est un bijou absolument unique dont on ne peut apprécier la valeur, mais il est certain que les mille livres sterling que l’on promet à celui qui le rapportera ne sont pas la vingtième partie de sa valeur marchande.
– Mille livres, grand Dieu !
Et le pauvre commissionnaire tomba sur une chaise, nous regardant l’un après l’autre avec ébahissement.
– Oui ; c’est bien la récompense promise, reprit Holmes ; j’ai tout lieu de croire qu’un roman se rattache à cette pierre et que la comtesse de Morcar sacrifierait volontiers la moitié de sa fortune pour la retrouver.
– Il me semble, dis-je, que le joyau a été perdu à l’hôtel Cosmopolitain.
– Précisément le 22 décembre, il y a cinq jours de cela. Les soupçons ont porté sur le plombier John Horner qui a été accusé de l’avoir volé dans le coffre à bijoux de la dame. Il y avait tant de présomptions contre lui que l’affaire a été transférée aux assises. Je crois avoir ici une relation de la chose.
Il reprit un à un ses journaux, regardant les dates jusqu’à ce qu’enfin il fût tombé sur le paragraphe suivant :
« Hôtel Cosmopolitain, vol de bijoux.
John Horner, vingt-six ans, est accusé d’avoir volé le 22 courant dans la boîte à bijoux de la comtesse de Morcar le précieux joyau connu sous le nom « d’escarboucle bleue ». James Ryder, le maître d’hôtel a témoigné qu’il avait introduit Horner dans le cabinet de toilette de la comtesse le jour du vol, pour souder la seconde barre de qui était brisée. Il était resté quelque temps avec Horner, mais finalement avait été appelé au-dehors en revenant, il s’aperçut qu’Horner avait disparu, que le bureau avait été forcé et que la petite boîte de maroquin, dans laquelle, comme on le sut plus tard, la comtesse avait l’habitude de mettre ses bijoux, était vide sur la table de toilette. Ryder donna instantanément l’alarme et Horner fut arrêté le même soir ; mais la pierre ne put être retrouvée ni sur lui ni chez lui. Catherine Cusack, femme de chambre de la comtesse, déposa qu’elle avait entendu le cri étouffé de Ryder en découvrant ce vol, et qu’elle s’était précipitée dans la chambre où elle avait trouvé les choses telles que le dernier témoin les avait décrites. L’inspecteur Bradstreet, de la division B témoigne de l’arrestation de Horner qui se débattit furieusement et protesta de son innocence dans les termes les plus violents. Comme on a pu prouver que le prisonnier avait déjà été convaincu de vol, le magistrat refusa de juger la cause sans enquête préalable et il en référa aux assises.
Horner, qui avait donné les signes de l’émotion la plus intense, pendant la procédure, s’évanouit au moment du verdict et on fut obligé de l’emporter hors de la salle. »
– Hum ! Voilà pour le tribunal de police, dit Holmes d’un air rêveur en jetant de côté le journal. La question qui nous reste à résoudre est la série d’évènements qui s’est déroulée entre une boîte à bijoux dévalisée et le jabot d’une oie trouvée sur la route de Tottenham-Court. Vous voyez, Watson, nos petites déductions ont pris tout à coup un aspect beaucoup plus grave et moins innocent. Voici la pierre ; cette pierre a été trouvée dans une oie et l’oie appartenait à M. Henri Baker, le monsieur au vieux chapeau suggestif dont je vous ai tant ennuyé. De sorte que maintenant il faut nous mettre sérieusement à la recherche de cet individu et nous assurer du rôle qu’il a joué dans cette petite énigme. Pour ce, il faut prendre d’abord le moyen le plus simple qui est évidemment une annonce dans les journaux du soir. Si cela ne réussit pas, j’aurai recours à une autre méthode.
– Comment rédigerez-vous cette annonce ?
– Donnez-moi un crayon et ce bout de papier. Maintenant : « Trouvé au coin de Goodge street une oie et un chapeau de feutre noir. Ils seront tous deux à la disposition de M. Henry Baker à six heures et demie du soir, Baker street, n° 221 bis. » C’est clair et concis, n’est-ce pas ?
– Très clair en effet, mais la lira-t-il ?
– Il est probable qu’il regardera les annonces des journaux car, pour un homme peu fortuné, cette perte était importante. Effrayé d’avoir cassé une vitre, affolé par l’approche de Peterson, il n’a pensé tout d’abord qu’à la fuite ; mais depuis il a dû regretter beaucoup le premier mouvement qui l’a porté à lâcher sa volaille. Puis la précaution que j’ai eu de mettre son nom n’aura pas été inutile, car tous ceux qui le connaissent éveilleront son attention là-dessus. Dites donc, Peterson, allez vite à l’agence des annonces et faites insérer celle-ci dans les journaux.
– Dans lesquels, monsieur ?
– Oh ! dans le Globe, l’Étoile, le Pall-Mall, Saint-James’Gazette, les Nouvelles du soir, le Standard, l’Écho et ceux encore qui vous viendront à l’idée.
– Très bien, monsieur, et la pierre ?
– Je la garde, merci. Ah ! j’oubliais,
Peterson. Achetez une oie en revenant et déposez-la ici, car il nous en faut une pour ce monsieur à la place de celle que votre famille est en train de dévorer.
Lorsque le commissionnaire fut parti, Holmes prit la pierre et la regardant à contre-jour : « C’est un beau spécimen dit-il. Voyez comme ça brille ! Naturellement c’est une source de crimes comme toutes les belles pierres ; elles sont l’appât favori du démon. Dans les bijoux plus gros et plus anciens, chaque facette correspond à un crime. Cette pierre n’a pas encore vingt ans d’existence. Elle a été trouvée sur les rives de la rivière Amoy, au sud de la Chine, et a cette particularité, qu’avec tous les caractères de l’escarboucle elle est d’une teinte bleue, au lieu d’être rouge rubis. En dépit de ses vingt ans d’existence, elle a déjà une sinistre histoire. Ces quarante carats de charbon cristallisés ont été cause de deux crimes, d’un attentat au vitriol, d’un suicide et de plusieurs vols. Qui croirait qu’un si joli jouet serait pourvoyeur de galères et de prison ? Je vais l’enfermer maintenant dans mon coffre-fort et écrire un mot à la comtesse pour lui dire que la pierre est en ma possession.
– Croyez-vous que ce Horner soit innocent ?
– Je ne puis le dire.
– Eh bien ! alors, pensez-vous que Henry Baker ait été mêlé à cette affaire ?
– Je le crois parfaitement innocent ; il ne s’est pas douté une seconde de la valeur qu’avait son oie, valeur bien plus grande que si elle eût été d’or massif. Mais s’il répond à notre annonce, je m’en convaincrai vite en le soumettant à une épreuve très simple.
– Et vous ne pouvez rien faire d’ici là ?
– Rien.
– Dans ce cas, je vais continuer ma tournée professionnelle ; mais je reviendrai dans la soirée à l’heure que vous avez indiquée, car je désire voir la solution d’une affaire si embrouillée.
– Très heureux de vous revoir, mon cher ami. Je dîne à sept heures, j’ai même un faisan, je crois. À propos, ne pensez-vous pas qu’en présence des évènements, je devrais dire à Mme Hudson d’examiner le gosier de ce faisan ?
Je fus retardé par un malade et il était un peu plus de six heures et demie lorsque je revins dans Baker street. Comme j’approchais de la maison, je vis devant la porte, à la lueur du réverbère, un homme assez grand, coiffé d’une toque écossaise, son paletot boutonné jusqu’au menton. Au moment où je le rejoignais, la porte du 221 s’ouvrit et nous entrâmes ensemble chez Holmes qui se leva aussitôt de son fauteuil pour recevoir son visiteur.
– Vous êtes, je pense, M. Henry Baker, dit-il, avec ce naturel et cette gaîté qu’il se donnait si facilement. Prenez, je vous prie, cette chaise, là, près du feu, monsieur Baker, il fait froid et je remarque que vous n’êtes pas vêtu très chaudement. Ah ! Watson, vous êtes venu au bon moment. Est-ce bien votre chapeau, monsieur Baker ?
– Oui, monsieur, c’est certainement mon chapeau.
Notre interlocuteur était un homme vigoureux, carré d’épaules, avec une tête massive et une figure large et intelligente, s’amincissant vers le menton que terminait une barbe en pointe, d’un châtain grisonnant. Son nez et ses joues légèrement rouges, un léger tremblement de la main me prouvaient que les soupçons de Holmes, quant à ses habitudes, étaient fort justifiés. Sa redingote d’un noir rouge était boutonnée jusqu’au cou, le col relevé, et, sur les poignets amaigris de notre héros, il n’y avait pas apparence de linge ou de manchettes. La parole de cet homme était lente et saccadée, mais les expressions choisies prouvaient qu’il avait de l’instruction et que, si son apparence était aussi misérable, c’est qu’il avait subi des revers de fortune.
– Nous avons gardé ces objets quelques jours, dit Holmes parce que nous espérions trouver dans les journaux, une annonce de vous nous donnant votre adresse. Je ne puis comprendre pourquoi vous n’avez pas pris ce moyen.
Notre visiteur sourit un peu honteusement.
– Je suis obligé d’économiser beaucoup maintenant, répondit-il. Je ne doutais pas que la troupe de polissons qui m’a assailli n’eût emporté chapeau et volaille. Je ne voulais pas risquer d’argent dans une tentative peut-être infructueuse.
– Très sensé. À propos de cette volaille, nous avons été obligés de la manger.
– De la manger !
Notre visiteur, dans son agitation, se leva de son siège.
– Oui, elle n’aurait profité à personne si nous n’avions pas pris ce parti. Mais en voici une autre, sur le dressoir, qui est à peu près du même poids et parfaitement fraîche, je présume qu’elle remplira le même but.
– Oh ! certainement, certainement, répondit M. Baker avec un soupir de soulagement.
– Naturellement nous avons encore les plumes, les pattes, le cou, etc., de votre volaille, de sorte que si vous voulez…
L’homme éclata d’un rire franc.
– Ce seraient des souvenirs de mon aventure, dit-il, mais à part cela, je ne vois pas trop en quoi les disjecta membra de mon oie pourraient m’être utiles. Non, monsieur, je crois qu’avec votre permission, je me contenterai de la belle pièce que j’aperçois sur le dressoir.
Sherlock Holmes me jeta un coup d’œil d’intelligence en haussant légèrement les épaules.
– Alors voici votre chapeau et votre oiseau, dit-il. À propos, vous serait-il égal de me dire où vous aviez acheté l’autre oie ? Je suis quelque peu amateur de volailles et j’en ai rarement vu une plus grasse.
– Certainement, monsieur, dit Baker qui s’était levé et avait mis sous son bras l’objet retrouvé. Nous sommes, mes amis et moi, des habitués du cabaret de l’Alpha, près du Museum, où nous nous réfugions dans la journée. Cette année-ci, notre bon cabaretier Windigate institua un comité de l’oie de Noël, dont le but est de procurer à chacun de ses membres une oie, le 25 décembre, moyennant une petite cotisation hebdomadaire. J’ai payé ma part régulièrement, vous savez le reste. Je vous suis très reconnaissant, monsieur, de me rendre mon chapeau, car ma toque écossaise ne convient ni à mon âge ni à ma dignité.
Et avec un pompeux comique, il nous salua gravement et prit congé de nous.
– Ceci est à l’avantage de M. Henry Baker, dit Holmes, lorsque notre visiteur eut fermé la porte derrière lui. Il est parfaitement certain qu’il n’est pour rien dans cette affaire. Avez-vous faim, Watson ?
– Pas particulièrement.
– Alors je vous propose de substituer un souper au dîner et de suivre cette piste pendant qu’elle est encore chaude.
– Avec plaisir.
Il faisait très froid ; nous revêtîmes des ulsters et des cache-nez. Les étoiles brillaient avec éclat dans un ciel pur, et l’haleine des passants formait de petits nuages comme ceux de la poudre. Nos chaussures craquaient et nos pas résonnaient, tandis que nous traversions le quartier du docteur, c’est-à-dire Wimpole street, Harley street et enfin Wigmore street qui nous amena tout droit dans Oxford street. En un quart d’heure, nous eûmes atteint, dans le quartier de Blooms-bury, le cabaret de l’Alpha, situé au coin d’une des rues qui mènent à Holborn. Holmes poussa la porte du bar privé, et s’adressant à un individu en tablier blanc, à la face rubiconde, le cabaretier sans aucun doute, il lui commanda deux bocks.
– Votre bière doit être excellente si elle est aussi bonne que vos oies, lui dit-il.
– Mes oies ?
– Oui, je causais, il y a précisément une demi-heure, avec M. Henry Baker qui est un membre de votre comité de Noël.
– Ah ! j’y suis. Mais voyez-vous, monsieur, ce ne sont pas nos oies.
– Vraiment ! de chez qui viennent-elles alors ?
– Eh bien ! je les ai achetées à un marchand qui demeure à Covent-Garden.
– Vraiment, j’en connais quelques-uns de ce quartier, lequel est-ce ?
– Il s’appelle Breckinridge.
– Ah ! celui-là m’est inconnu, répondit Holmes. À votre santé et je souhaite la prospérité à votre maison. Bonsoir !
– En route pour chez Breckinridge, continua-t-il, en boutonnant son paletot, car la bise pinçait.
– Remarquez, Watson, que notre aventure avec une oie à la clef peut se terminer par une condamnation à sept ans de travaux forcés, à moins que nous ne puissions prouver l’innocence de l’inculpé. Il est possible que notre enquête pèse lourdement contre lui, mais nous sommes plus avancés que la police car nous avons une donnée certaine que le plus grand des hasards nous a procurée. Suivons donc cette piste jusqu’au bout et marchons sous le vent.
Nous traversâmes Holborn, puis, ayant longé Endell street et un dédale de rues du bas quartier, nous arrivâmes au marché de Covent-Garden. Une des échoppes les plus en vue portait le nom de Breckinridge ; et le propriétaire, un homme à la figure intelligente, ornée de longs favoris, avait l’aspect d’un homme de cheval. Au moment où nous l’abordâmes, il aidait un jeune garçon à fermer la boutique.
– Bonsoir ! Il fait bien froid en ce moment, dit Holmes.
Le marchand opina de la tête et jeta un coup d’œil interrogateur sur mon compagnon.
– Vous n’avez plus d’oies à vendre, ce me semble, continua Holmes, montrant le comptoir de marbre, absolument dépourvu de marchandise.
– Je vous en procurerai cinq cents demain matin, si vous voulez.
– Ce n’est pas ce que je demande.
– Tenez, si vous en désirez tout de suite, il y en a là-bas dans cette boutique éclairée par un bec de gaz.
– C’est qu’on m’avait spécialement recommandé de m’adresser à vous.
– Qui donc vous a parlé de moi ?
– Le cabaretier de l’« Alpha ».
– Oh ! oui, je lui ai fourni environ deux douzaines d’oies.
– C’étaient de belles pièces. D’où les tiriez-vous ?
À ma grande surprise cette question provoqua une explosion de colère chez le marchand.
– Allons, m’sieur, dit-il, avec sa tête penchée de côté et les poings sur les hanches, où voulez-vous en venir ? Pas de détours.
– C’est assez clair. Je désire savoir qui vous a vendu les oies que vous avez fournies à l’Alpha.
– Eh bien ! je ne vous le dirai pas, là.
– Oh ! cela m’est égal, mais je ne vois pas pourquoi vous vous irritez pour une telle bagatelle ?
– Irrité ! vous le seriez tout autant si vous étiez embêté comme moi. Quand j’achète une denrée avec de bon argent comptant, il ne devrait plus en être question. Mais ce ne sont plus que : « Où sont les oies ? à qui avez-vous vendu vos oies ? et que valent vos oies ? » Le public est si occupé de ces oies qu’on croirait, ma parole, qu’il n’en existe pas d’autres au monde.
– Eh bien ! moi je n’ai aucune relation avec les gens qui ont pu faire une enquête, dit Holmes avec indifférence. Si vous ne voulez pas me répondre, le pari est manqué. Mais je suis toujours prêt à soutenir mon opinion en matière de volailles et j’ai parié cinq francs que cette oie avait été élevée à la campagne.
– Eh bien ! monsieur, vous avez perdu votre pari, car elle a été élevée à la ville, dit notre marchand d’un ton bourru.
– Je n’en crois pas un mot.
– Vous avez tort.
– Vous ne me convaincrez pas.
– Croyez-vous donc que vous en sachiez plus long que moi sur un commerce que je fais depuis mon enfance ? Je vous dis que les oies vendues à l’« Alpha » ont été élevées à la ville.
– Vous ne me persuaderez jamais.
– Voulez-vous parier alors ?
– C’est vous prendre votre argent dans votre poche, car je sais ce que je dis et je suis sûr d’avoir raison ; mais je parierais volontiers une livre, ne serait-ce que pour vous apprendre à ne pas être têtu.
Le marchand ricana d’un air contraint.
– Apportez-moi les livres, Bill, dit-il.
Le jeune garçon apporta deux livres : un petit, très mince, et un autre plus volumineux, au dos graisseux ; il les étala sur le comptoir sous le bec de gaz.
– Eh bien ! monsieur l’obstiné, dit le marchand, je croyais n’avoir plus d’oies dans ma boutique, mais dans un instant je vous prouverai qu’il y en a une devant moi. Vous voyez ce petit livre ?
– Eh bien !
– Il renferme la liste des gens à qui j’achète mes volailles. Y êtes-vous ? Ensuite, sur cette page, il y a la liste des gens de la campagne et les numéros à la suite de leurs noms indiquent la page de leur compte sur le grand livre. Maintenant, vous voyez cette autre page écrite au crayon rouge ? C’est la liste de mes fournisseurs de la ville. Regardez le troisième nom, lisez-le tout haut, je vous prie.
– Mrs Oakshott, 117, Brixton-road, 249, lut Holmes.
– Parfaitement, reportez-vous maintenant au grand livre.
Holmes ouvrit à la page indiquée.
– Nous y voici. Mrs Oakshott, 117, Brixton-road, fournisseur d’œufs et de volailles.
– Quelle est la dernière fourniture ?
– 22 décembre. Vingt-quatre oies à sept shillings six pence.
– Parfaitement, vous y êtes ; et en dessous ?
– Vendues à M. Windigate de l’Alpha, à douze shillings.
– Qu’avez-vous à dire maintenant ?
Sherlock Holmes avait l’air très profondément chagrin. Il tira une livre de sa poche et la jeta sur la table de marbre, en se retirant de l’air d’un homme trop furieux pour parler. À quelques mètres plus loin il s’arrêta sous un réverbère pour rire tout à son aise mais silencieusement, selon son habitude.
– Lorsque vous rencontrerez un homme avec cette coupe de favoris et dans sa poche un grand mouchoir à carreaux, vous pouvez toujours en tirer ce que vous voulez au moyen d’un pari, me dit-il. Je suis persuadé que si j’avais mis cent livres sous les yeux de cet homme, il ne m’aurait pas donné de renseignements aussi complets que ceux que je lui ai arrachés lorsqu’il a cru faire une gageure. Eh bien ! maintenant, Watson, je crois que nous approchons de la fin de notre enquête et le seul point qui reste à déterminer est si nous devons aller chez cette Mme Oakshott ce soir ou si nous devons réserver cette visite pour demain. Il est clair, d’après ce maussade individu, que d’autres gens s’intéressent à cette affaire et je voudrais…
Sa réflexion fut subitement interrompue par un grand vacarme partant de la boutique que nous venions de quitter. Nous étant retournés, nous vîmes le spectacle suivant : Breckinridge encadré par la porte montrait furieusement le poing à un individu petit de taille et dont la figure de fouine était mal éclairée par la lumière jaunâtre de la lampe suspendue.
– Je suis excédé de vous et de vos oies, cria-t-il. Allez au diable ! Et si vous continuez à m’embêter, je mettrai mon chien à vos trousses. Amenez donc ici Mme Oakshott et je saurai lui répondre ; mais en quoi cela vous regarde-t-il après tout ? Est-ce à vous que j’ai acheté les oies ?
– Non, mais il y en avait une qui m’appartenait tout de même, gémit le petit homme.
– Eh bien ! réclamez-la à Mme Oakshott.
– Elle m’a dit de vous la demander.
– Eh bien ! demandez-la au roi de Prusse, pour ce que je m’en fiche. J’en ai assez. Filez.
Et il s’avança furieux vers son interlocuteur, qui disparut dans l’obscurité.
– Ho ! Ho ! ceci peut nous éviter une visite à Brixton-road, murmura Holmes. Suivez-moi, et nous allons voir ce qu’il y a à tirer de cet individu.
Se faufilant à grands pas à travers les groupes de flâneurs, mon compagnon rejoignit vite le petit homme et le toucha à l’épaule. Celui-ci pivota rapidement sur lui-même et je remarquai qu’il était devenu blême.
– Qui êtes-vous donc, et que voulez-vous ? demanda-t-il d’une voix tremblante.
– Vous m’excuserez, dit Holmes mielleusement, mais je n’ai pu m’empêcher d’entendre les questions que vous avez faites tout à l’heure au marchand d’oies. Je crois pouvoir vous renseigner.
– Vous ! Qui êtes-vous, et comment pouvez-vous savoir quoi que ce soit de cette affaire ?
– Je m’appelle Sherlock Holmes et si je sais ce que d’autres ignorent, cela ne vous regarde pas.
– Mais vous ne savez rien de ceci.
– Excusez-moi, je sais tout. Vous cherchez à retrouver ce que sont devenues quelques oies vendues, par Mme Oakshott, de Brixton-road, à un marchand nommé Breckinridge, par lui ensuite à M. Windigate, de l’Alpha, et par lui, à son tour, au comité dont fait partie M. Henry Baker.
– Oh ! monsieur ! vous êtes précisément l’individu que je cherche, s’écria le petit homme, en agitant fiévreusement les mains. Je ne puis vous dire combien cette affaire me tient à cœur.
Sherlock Holmes héla un fiacre qui passait.
– Dans ce cas nous ferons mieux de discuter dans une bonne pièce confortable, plutôt que dans ce marché ouvert à tous les vents, objecta Sherlock Holmes. Mais je vous en prie, dites-moi, avant d’aller plus loin, qui j’ai le plaisir de renseigner.
L’homme hésita un instant.
– Je m’appelle John Robinson, répondit-il en jetant un regard de côté.
– Non, non, votre vrai nom, dit Holmes aimablement. C’est toujours gênant de s’occuper d’une affaire sous un faux nom.
Le sang afflua aux joues blafardes de l’étranger.
– Eh bien ! alors, dit-il, mon vrai nom est James Ryder.
– Précisément, premier maître d’hôtel à l’hôtel Cosmopolitain. Entrez dans le fiacre, je vous prie, et je vous dirai bientôt tout ce que vous désirez savoir.
Le petit homme était là immobile, jetant des regards obliques à chacun de nous avec des yeux où on pouvait lire tour à tour l’effroi et l’espoir. Il me faisait l’effet de quelqu’un qui ne sait pas s’il doit s’attendre à une aubaine ou à une catastrophe. Il se décida enfin à monter dans le fiacre. Une demi-heure après, nous étions revenus dans le salon de Baker street. Nous n’avions pas proféré une parole pendant le trajet ; mais la respiration bruyante et courte de notre nouveau compagnon et la manière dont il croisait et décroisait ses mains, prouvaient combien ses nerfs étaient tendus.
– Nous voici arrivés, dit Holmes gaiement, comme nous entrions dans le salon. Le feu est bien de saison aujourd’hui. Vous avez l’air gelé, monsieur Ryder. Je vous en prie, prenez ce siège d’osier. Je vais, si vous le permettez, mettre mes pantoufles avant de m’occuper de votre petite affaire. Allons, je suis à vous maintenant. Vous voulez savoir ce que sont devenues les oies ?
– Oui, monsieur.
– Ou plutôt, je suppose, cette oie. Je pense que vous vous intéressez à un de ces volatiles particulièrement, une oie blanche avec une ligne noire en travers de la queue.
Ryder tremblait d’émotion.
– Oh ! monsieur, cria-t-il, pouvez-vous me dire ce qu’elle est devenue ?
– Je l’ai ici même.
– Ici ?
– Oui. C’était une oie des plus remarquables, du reste, et je ne m’étonne pas que vous vous intéressiez tout spécialement à elle. Elle a pondu, après sa mort, le plus joli, le plus étincelant petit œuf bleu qu’on ait jamais vu. Je l’ai déposé là dans mon musée.
Notre visiteur chancela sur ses pieds et s’accrocha de la main droite à la cheminée.
Holmes ouvrit son coffre-fort et exhiba l’escarboucle bleue qui brillait de mille feux éclatants.
Ryder était là, debout, la figure contractée, fixant la pierre précieuse et ne sachant pas s’il devait la réclamer ou non.
– C’est assez de comédie, Ryder, dit Holmes avec calme. Allons, redressez-vous ou vous allez tomber dans la cheminée. Aidez-le donc à se rasseoir, Watson. Il n’est pas encore assez corrompu pour commettre le crime impudemment. Donnez-lui donc quelques gouttes d’eau-de-vie pour le remonter. Bien. Maintenant il a l’air un peu plus homme. Vrai quel avorton !
Notre héros était en effet sur le point de se trouver mal, mais l’eau-de-vie ramena un peu de couleur à ses joues et il s’assit, regardant son interlocuteur avec des yeux hagards.