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Cet ouvrage propose une analyse approfondie des normes internationales et européennes relatives à la lutte contre la traite des êtres humains et, plus particulièrement, de la protection offerte aux victimes. À ce jour, les États tentent d’inscrire la lutte contre la traite des êtres humains dans une approche intégrée visant la prévention, la répression et la protection. Or il semble que la protection des victimes serve uniquement des objectifs répressifs, et ce, indépendamment du cadre législatif étudié. Ainsi, c’est à travers un prisme répressif que la protection est perçue, criminalisant et pénalisant d’autant les victimes, lesquelles sont victimes non seulement de la traite mais aussi de la lutte contre la traite.
Sont principalement analysés le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, la Directive relative au titre de séjour pour les victimes de la traite des êtres humains et la Directive concernant la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains et la protection des victimes.
L’ouvrage intéressera les magistrats et les avocats spécialisés en droit international, droits de l’homme, droit des réfugiés, droit de l’immigration et droit pénal et criminologie. Il conviendra également aux fonctionnaires, agents d’immigration, douaniers, policiers et intervenants sociaux ainsi qu’aux professeurs et chercheurs en droit international public et droit pénal.
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Seitenzahl: 429
Illustration by Tomy UngererCopyright © Tomi Ungerer / Diogenes Verlag AG Zurich, Suisse All rights reserved
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© Groupe Larcier s.a., 2013 Éditions Bruylant Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles
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ISBN 978-2-8027-4384-2
« À moitié victime, à moitié complice, comme tout le monde. »
Jean-Paul SartreLes mains sales, Paris, Gallimard, 1948
Remerciements
Préface
Liste des principales abréviations
Introduction
Partie ILa prise en compte relative de la victime dans le cadre normatif international de lutte contre la traite des êtres humains
Chapitre 1 – Le développement normatif de la lutte internationale contre la traite des êtres humains au xxe siècle ou le triomphe de l’approche répressive
Chapitre 2 – La protection des victimes vue au travers du prisme de la répression de la traite des êtres humains
Partie IILa tentative de prise en compte effective de la victime dans le cadre normatif européen de lutte contre la traite des êtres humains
Chapitre 1 – La Convention du Conseil de l’Europe : la consécration de l’approche intégrée
Chapitre 2 – La protection des victimes de traite des êtres humains en territoire européen : le maintien de l’approche répressive
Conclusion
Références
Index
Table des matières
J’adresse mes premiers remerciements à Monsieur le professeur Olivier Delas, sans qui ce projet n’aurait jamais vu le jour, qui a accepté de superviser cette recherche, mais surtout qui m’a accompagné, et m’a offert son précieux soutien.
Je souhaite remercier Madame Ólöf Ólafsdóttir, Madame Isabelle Lacour et Monsieur Villano Qiriazi, tous trois de la Direction de l’éducation et des langues du Conseil de l’Europe, qui m’ont chaleureusement accueilli au sein de leur service et m’ont permis, au travers de nos nombreuses discussions et de nos collaborations, de démystifier le fonctionnement de cette institution.
Je suis de plus reconnaissante à Messieurs Mathieu Devinat, professeur et vice-doyen à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, et Sébastien Lebel-Grenier, professeur et doyen de cette même faculté, pour avoir cru en la publication de ce manuscrit.
Finalement, j’exprime ma plus profonde et sincère gratitude à mes amis Sophie Grondin et Christian Lacroix pour leur patience et leur appui constant, ainsi qu’à ma mère, Madeleine Plouffe, à mon père, Louis Malette, et à ma sœur, Mireille Plouffe-Malette, pour leur soutien et leurs encouragements au cours de la réalisation de cette entreprise que représente l’accomplissement d’une étude et de la rédaction de celle-ci, ainsi que pour leur affection indéfectible. Sans vous, elle n’aurait jamais pu être réalisée. Merci !
En 1998, une jeune Hongroise de 19 ans, parlant peu ou pas anglais, se présentait à l’aéroport international Lester-B.-Pearson de Toronto (Canada) afin de prendre un emploi en tant que gardienne d’enfants. En fait, en mettant le pied dans cet aéroport, celle-ci allait être happée par un réseau de traite d’êtres humains. Alors qu’elle pensait venir au Canada pour travailler auprès d’une famille, elle s’est retrouvée, le soir même, à danser nue sur la scène d’un bar, marquant le début d’une longue descente aux enfers où les agressions sexuelles et la prostitution seraient au rendez-vous. Ces quelques faits, aussi sordides soient-ils, ne sont pourtant que trop banals pour tout observateur de la traite des êtres humains où une jeune femme répondant à une offre d’emploi (mais cela pourrait très bien être une proposition de mariage ou une carrière de mannequin) se retrouve exploitée comme une marchandise en raison du travail qu’elle peut fournir ou des satisfactions sexuelles qu’elle devra accorder. Toutefois, l’histoire de Timea Nagy met en relief un certain nombre d’événements permettant de comprendre comment non seulement ces personnes sont broyées par leurs exploiteurs, mais aussi qu’elles ne bénéficient que de peu d’attention de la part de la société. En effet, il est assez surprenant de lire dans l’histoire de cette dernière que, lors de son arrivée à l’aéroport, le douanier n’ait posé aucun geste qui aurait pu prévenir une telle situation, alors qu’il y avait une totale inadéquation entre les déclarations de la jeune femme quant à l’objet de son séjour au Canada et les papiers officiels qu’elle présentait pour les appuyer. Le douanier lui a signalé que le contrat de travail qu’elle présentait en était un de danseuse exotique – doux euphémisme pour danseuse nue – et non pour travailler comme employée auprès d’une famille. Certes, il a indiqué qu’elle pouvait reprendre l’avion pour la Hongrie, ce qu’elle ne pouvait faire le jour même en l’absence de vol. Il est alors pour le moins stupéfiant que le douanier, face à une telle situation, ne soit pas intervenu. Sans faire appel à la compassion, il semble que le simple légalisme plaidait en faveur d’une intervention. D’une part, quand bien même cette jeune femme était sincère, elle venait de faire une fausse déclaration par rapport aux documents présentés, d’autre part, il y avait là matière à une enquête plus approfondie afin de découvrir pourquoi une personne répondant à une annonce d’aide familiale s’était vue remettre, par des intermédiaires, un contrat de travail dans l’industrie du sexe. Cette absence de réaction du douanier est une parfaite illustration des difficultés, pour ne pas dire des insuffisances, rencontrées dans le cadre du processus d’identification des victimes de traite des êtres humains mené par les autorités étatiques.
Tout aussi éloquente est la réaction de l’entourage de cette jeune femme à son retour en Hongrie. Bénéficiant du concours d’un employé de l’établissement dans lequel elle était exploitée, elle a finalement réussi à s’échapper et à regagner son pays d’origine. En premier lieu, il est extrêmement révélateur qu’elle n’ait à aucun moment, pas même après avoir échappé à la surveillance de ses exploiteurs, tenté de se placer sous la protection de la police. Certes, il y a fort à penser que les personnes qui l’exploitaient lui avaient indiqué qu’elle n’avait rien à gagner en cela. Il est cependant des plus dérangeants de réaliser qu’ils aient réussi à la convaincre. Pour celle-ci, la police n’apparaissait visiblement pas comme un moyen de protection, mais bien au contraire comme une source de problème en raison des activités auxquelles elle s’était livrée, et ce bien qu’elle y eut été contrainte. Il y a là un triste constat, d’une part, de l’image que projette auprès des victimes les autorités publiques, mais également de l’image qu’ont d’elles-mêmes ces victimes. Madame Nagy a préféré la fuite et le retour dans son pays d’origine, la Hongrie, où elle n’eut guère plus de soutien, ce qui met en relief l’état d’isolement dans lequel se trouvent enfermée les personnes victimes d’exploitation. Loin de trouver une oreille attentive, l’incrédulité, voire la suspicion, ont été les seules réactions auxquelles eut droit cette jeune femme lorsqu’elle a tenté d’expliquer, notamment à sa famille, ce qui lui était arrivé au Canada. Ne souffrant cela, celle-ci retournera au Canada, à titre de visiteur, où elle s’enfermera dans un profond mutisme quant à ce qui lui était arrivé pendant de nombreuses années, avant de finalement raconter son histoire dans son livre Memoirs of a Sex Slave Survivor. Celle-ci a également fondé une association – Walk with Me(1)– par laquelle elle tente d’aider de jeunes femmes qui subissent ce qu’elle a connu, mais également de sensibiliser les corps de police à la situation particulière de ces dernières. Il est clair que son histoire illustre l’horreur de la traite, mais également toutes les déficiences quant à l’approche qui en est faite.
Qu’elle soit à des fins sexuelles ou à toutes autres fins, la traite des êtres humains est aussi vieille que l’humanité. Cette exploitation de l’Homme par l’Homme n’a d’ailleurs pas toujours été illégale, représentant des formes d’organisation sociétales tout à fait acceptées, que l’on pense à l’esclavage dans l’Antiquité, le servage pendant la féodalité, ou le commerce triangulaire au profit d’États qui étaient pourtant bercés, au même moment, par les idées des Lumières. L’esclavage et la traite qu’il engendrait ont longtemps été la règle. Leur abolition a probablement donné l’impression trompeuse qu’ils avaient pratiquement disparu. Il y a là manifestement une confusion entre la disparition légale d’un état de choses et sa disparition réelle et avérée. Bien évidemment, outre les législations nationales qui ont banni la traite des êtres humains(2), plusieurs traités internationaux(3) ont également apporté leur pierre à l’édifice. Cette prohibition est unanimement reconnue. Ainsi, avant que les juridictions internationales ne se saisissent, pour la préciser, de la notion de jus cogens, en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise (norme impérative), la prohibition de l’esclavage, aux côtés de celle de la piraterie, était les exemples classiques utilisés par la doctrine pour illustrer cette notion(4). Toutefois, cette prohibition internationalement reconnue n’a nullement mis fin à cette exploitation. Ainsi, bon nombre de rapports des Nations Unies ont dénoncé la persistance de différentes formes d’esclavage contemporain et des trafics auxquels il donnait lieu(5). Bien que le grand public y voyait probablement une chose révolue ou d’un autre temps, l’explosion de la prostitution de rue, à la suite de l’effondrement du communisme dans les pays de l’Est, est venue rappeler la persistance de cette triste réalité(6). La traite des êtres humains, notamment à des fins sexuelles, est en elle-même une violation des droits de l’Homme, mais elle est également la source de nombreuses autres violations de ces droits, qu’il s’agisse de droits civils et politiques, ou sociaux, économiques et culturels. Comme le relatent les divers témoignages des victimes ayant accepté de parler, les maux physiques qu’engendre cette forme d’exploitation, ne sont probablement rien à côté de l’effondrement psychologique qu’elle entraîne et, qu’en quelque sorte, met en œuvre pour mieux asservir la victime.
Or la normativité internationale élaborée pour lutter contre ce fléau est pour le moins ambivalente, pour ne pas dire ambiguë, mais bien à l’image de l’attitude des États qui l’élabore. La traite des êtres humains est, en quelque sorte, aux yeux des États, le fruit d’un double péché originel. Elle est une activité criminelle organisée à laquelle participe la victime (si tant est qu’elle puisse faire autrement), mais elle est également dans la plupart des cas une violation des lois et règlements en matière d’immigration dont peut bénéficier la victime (si tant est, vu sa situation, qu’elle est la possibilité d’en profiter). Dès lors, pour les États, cette traite est certes une atteinte aux droits de l’homme, mais elle est également une activité criminelle s’appuyant sur une immigration clandestine. Il est bien évident que la criminalisation de l’immigration ne fait qu’exacerber cette tendance, puisque dans bien des cas, les victimes se sont fait happer par des réseaux de traite parce qu’elles cherchaient un moyen d’obtenir un emploi, une vie meilleure, en dehors de leur État d’origine. La normativité internationale afin de lutter contre la traite des êtres humains repose donc sur le triptyque prévention, protection, répression(7). Il est évident que de ce double péché originel induit une influence restrictive sur le volet de protection de cette action internationale. En effet, partant de ce constat, les États semblent n’appréhender la protection dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains qu’à travers le prisme déformant du volet répressif de celle-ci. Ainsi, dans bien des cas, la protection de la victime qui passe généralement par son maintien sur le territoire de l’État de destination, se heurte aux craintes des États de voir par là même un moyen de contourner la normativité existante en matière d’immigration. Ceux-ci ne concevront donc une telle protection qu’à travers le volet répressif, constituant pour eux le meilleur moyen de protéger les victimes, avérées ou futures. Partant du principe qu’une « bonne victime » ne peut que souhaiter la répression des ses exploitants, les États, dans beaucoup de cas, organisent leur protection dans le cadre de leur collaboration quant aux enquêtes et poursuites qui peuvent être diligentées en la matière.
Cette critique de l’approche répressive de la lutte contre la traite des êtres humains et de la normativité, qui est élaborée pour ce faire, a été souvent mise en exergue(8). Maître Plouffe-Malette dans cet ouvrage le démontre juridiquement dans le menu détail. Elle analyse précisément les dispositions des instruments internationaux concernés et met en évidence les approches qu’ils ont privilégiées. Loin de se limiter aux textes universels, son ouvrage embrasse également l’approche européenne lui permettant de comparer et de mettre en perspective les choix normatifs effectués dans les deux cadres. Cette analyse des textes tant universels qu’européens, outre qu’elle met en relief l’ampleur de la recherche effectuée par l’auteure, lui permet également de se démarquer des recherches publiées sur le même sujet. Par ce choix comparatiste, Maître Plouffe-Malette peut valablement et efficacement démontrer les différences ou similitudes quant à la prise en compte normative de la protection de la victime dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains par les États qui y sont particulièrement engagés. Une telle approche et les démonstrations qu’elles lui permettent sont, sans nul doute, un apport essentiel à la recherche juridique, mais plus largement en science humaine, relative à la traite des êtres humains.
Olivier DELAS
Avocat et professeur de droit international et de droit européen,membre de l’HEI Québec,responsable du Cercle Europe, Faculté de droit, Université Laval
(1) Pour consultation voy. le site internet, en ligne : http://www.walk-with-me.org/home.html. Pour entendre l’histoire de Madame Nagy, consulter l’entrevue réalisée par Richard Syrett, « Nobody’s victim » de l’épisode no 10 de l’émission « Metamorphisis », CBC, en ligne : http://www.cbc.ca/meta/episodes/2012/08/27/nobodys-victim/.
(2) Le professeur Mattar a démontré que la traite des êtres humains est largement réprimée par les législations pénales et criminelles des États. Mohammed Y. Mattar, « Incorporating the Five Basic Elements of a Model Antitrafficking in Persons Legislation in Domestic Laws : From the United Nations Protocol to the European Convention » (2005-2006) 14 Tul. J. Int’l & Comp. L. 357.
(3) Voy. notamment : Déclaration relative à l’abolition universelle de la traite des esclaves, 8 février 1815, Consolidated Treaty Series, vol. 63, no 473 ; Accord international en vue d’assurer une protection efficace contre le trafic criminel connu sous le nom de traite des blanches, (1904) 1 R.T.S.N. 83 ; Convention internationale relative à la répression de la traite des blanches, signée à Paris, (1910) 30 R.T.N.U. 2 ; Convention internationale pour la suppression de la traite des femmes et des enfants, (1921) 9 R.T.S.N. 415 ; Convention relative à l’esclavage, (1926) 60 R.T.S.N. 253 ; Convention relative à la répression de la traite des femmes majeures, (1933) R.T.S.D.N., 150 ; Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, esclavage, travail forcé, trafic de personnes, exploitation de prostitution d’autrui, (1949) 96 R.T.N.U. 271 ; Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage, (1956) 266 R.T.N.U. 3 ; Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, Doc. off. AG NU A/55/383 (2000) ; Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, STE, no 197, 2005.
(4) En effet, avant l’arrêt Frurundzija du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie reconnaissant le caractère de norme de jus cogens à la prohibition de la torture, la prohibition de l’esclavage était l’exemple de circonstances. Frurundzijac. Procureur, 10 décembre 1998, IT-95-17/1-T. Voy. aussi Patrick Daillier, Mathias Forteau et Alain Pellet (Ngyuen Quoc Dinh), Droit international public, 8e éd., Paris, L.G.D.J., 2008, §§ 126 et suivants.
(5) Voy. notamment Benjamin Whitaker, « L’esclavage – Rapport mettant à jour le rapport sur l’esclavage présenté à la Sous-commission en 1966 », E/CN.4/Sub.2/1982/20/Rev.1 ; David Weissbrodt et la Société anti-esclavagiste internationale, Abolir l’esclavage et ses formes contemporaines, Rapport présenté pour le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, HR/PUB/02/4 (2002) ; HCDH, « Principes et directives concernant les droits de l’homme et la traite des êtres humains : recommandations – Rapport présenté au Conseil économique et social par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme », E/2002/68/Add.1 ; « Rapporteur spécial sur la traite des êtres humains, particulièrement des femmes et des enfants », Doc. off. NU A/HCR/DEC//114 (2004) ; « Rapport du Groupe de travail sur les formes contemporaines d’esclavage », Doc. off. A/HRC/Sub.1/58/L.9 (2006).
(6) Il convient de noter que l’origine de ces prostituées n’est pas uniquement des pays de l’Est, il y a également des trafics venant d’Afrique et d’Asie. Voy. Sabine Dusch, Letrafic d’êtres humains, Paris, PUF, 2002.
(7) Voy. à ce titre le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, Doc. off. AG NU A/55/383 (2000).
(8) Voy. notamment Anne Gallagher, « Human Rights and the New UN Protocols on Trafficking and Migrant Smuggling : A Preliminary Analysis » (2001) 23 Hum. Rts. Q. 975 ; Kara Abramson « Beyond Consent, Toward Safeguarding Human Rights : Implementing the United Nations Trafficking Protocol » (2003) 44 Harv. Int’l L. J. 473 ; Elizabeth M. Bruch, « Models Wanted : The Search for an Effective Response to Human Trafficking » (2004) 40 Stan. J. Int’l L. ; Matiada Ngalikpima,L’esclavage sexuel : un défi à l’Europe, Paris, Les éditions de Paris/Fondation Scelles, 2005.
BIT
Bureau international du travail
CEDAW
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
CEDH
Convention de sauvegarde des droits fondamentaux
CIJ
Cour internationale de justice
DUDH
Déclaration universelle des droits de l’homme
ECOSOC
Conseil économique et social
HCDH
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme
HCR
Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
Interpol
Organisation internationale de police criminelle
OEA
Organisation des États américains
OI
Organisation internationale
OIT
Organisation internationale du travail
OIM
Organisation internationale des migrations
OMS
Organisation mondial de la santé
ONG
Organisation non gouvernementale
ONU
Organisation des Nations Unies
OSCE
Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
PIDCP
Pacte international relatif aux droits civils et politiques
PIDESC
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
SDN
Société des Nations
TPIY
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
UNESCO
Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
UNICEF
Fonds des Nations Unies pour l’enfance
UNODC
United Nations Office on Drugs and Crime
N’épargnant plus aucun continent, la traite des êtres humains(1) a lieu dans la majorité des États, voire l’ensemble de ceux-ci. Certains d’entre eux, par exemple le Canada et les États-Unis d’Amérique ou certains membres de l’Union européenne(2) et du Conseil de l’Europe, sont qualifiés d’États de départ, de transit et de destination, alors que d’autres se qualifieront principalement par l’un ou l’autre de ces attributs. Ainsi, des enfants, des femmes et des hommes sont recrutés, transportés ou déplacés, sous la menace ou une autre forme de contrainte, pour être exploités. Les trafiquants violent systématiquement nombre de leurs droits fondamentaux(3) et les réduisent au statut d’esclave.
Sans que nous puissions statistiquement en connaître l’ampleur réelle, la « marchandisation » de l’être humain crée de nombreuses victimes. En effet, plusieurs estimations du nombre de celles-ci et des profits engendrés sont présentées par les États, les organisations internationales (ci-après OI), les organisations non gouvernementales (ci-après ONG) et la presse, mais, considérant la clandestinité dans laquelle évolue cette activité, la fiabilité des données reste incertaine. Bien qu’elles dressent un portrait alarmant, les statistiques présentent des écarts non négligeables. À titre d’exemple, en 2001, la Commission européenne estimait que 700 000 femmes et enfants étaient victime de la traite à la seule fin d’exploitation sexuelle ; de ce nombre, 120 000 personnes seraient introduites en Europe occidentale annuellement(4). Pour sa part, en 2008, le gouvernement américain estimait que 800 000 personnes étaient victimes de la traite annuellement de par le monde ; 80 % d’entre elles seraient des femmes et des fillettes alors que 50 % des victimes seraient mineures(5). Finalement, toujours en 2008, le Bureau international du travail (ci-après BIT) estimait à au moins 2,4 millions de personnes le nombre de victimes de la traite, dont 43 % serait exploité à des fins sexuelles, 32 % à des fins économiques et 25 % à diverses fins ou de manière indéterminée. La moitié de ces victimes n’aurait pas atteint l’âge de 18 ans(6). Quant à la valeur de cette exploitation, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ci-après UNODC) l’estime à 32 milliards de dollars US, dont 10 milliards proviennent de la vente initiale d’êtres humains, le solde constituant les profits du travail des victimes(7).
Les États, ainsi que les institutions internationales et européennes dont les Nations Unies, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, ont tôt fait de se pencher sur cette problématique, et ce particulièrement depuis les vingt dernières années, lesquelles auront mené, en l’an 2000, à l’adoption d’un nouvel outil normatif de lutte contre la traite des personnes. Le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée(8) consiste en l’encadrement normatif quasi universel de la lutte contre la traite des personnes actuellement en vigueur. De l’abolition de l’esclavage à la traite dite des blanches, puis des femmes et des enfants, cet instrument est issu d’une évolution juridique reconnaissant, d’une part, les victimes, d’autre part, l’importance de la marchandisation et de ses effets au même titre que d’autres domaines de grande criminalité, tels que les armes et la drogue. En effet, la lutte contre la traite des êtres humains est maintenant campée au sein de la lutte contre la criminalité transnationale organisée. Or, peu importe l’approche retenue, on ne saurait outrepasser la délicate question de la protection des victimes de traite des êtres humains.
Le Protocole de Palerme inclut une première définition du crime de « traite des êtres humains », fruit d’un compromis entre États, OI et ONG, quasi universellement retenue(9), qui se lit comme suit :
L’expression « traite des personnes » désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes.(10)
Ce libellé soulève un premier débat concernant particulièrement la protection des victimes de traite des êtres humains, un des objectifs de l’adoption de cet instrument normatif. Nombreuses sont les critiques qui bien que reconnaissant sa nature unificatrice, constatent que cette définition est structurée de manière à écarter de potentielles victimes. Elle conserve de plus une nette tendance à « victimiser » l’individu tout en l’excluant d’une participation à la lutte contre la traite. L’utilisation d’un moyen relatif à l’emploi de la force ou d’un élément frauduleux, essentiel à la réalisation de l’infraction, réduit d’autant la protection en ce sens qu’il s’opère une séparation entre les victimes qui se méritent d’être secourues – telles de « bonnes » victimes – et les « mauvaises » victimes. En somme, cette définition donne le ton de cet outil normatif de nature répressive.
Par conséquent, les États parties ont adopté une position ambivalente quant à la protection des victimes de la traite. Ils perçoivent cette protection selon différents aspects, particulièrement quant à leur désir de répression des trafiquants, quant aux besoins en matière de prévention à la source et quant à la protection de leurs frontières. Ainsi, protéger la victime de la traite en la maintenant sur le territoire de destination peut signifier, dans un premier temps, offrir une protection à une personne candidate à l’immigration clandestine, ce qui va à l’encontre des mesures de gestion des flux migratoires et des efforts entrepris afin de lutter contre cette forme d’immigration. Ceci n’est pas sans rappeler les arguments évoqués par les États à propos du détournement des procédures à des fins d’immigration.
Dans un deuxième temps, une mesure de protection prévoyant le maintien sur le territoire viendrait contrecarrer les efforts de prévention contre la traite. À ce titre, sachant qu’elle peut obtenir un titre de séjour, une victime potentielle pourrait, selon certains États, être tentée d’utiliser la traite à des fins d’immigration, acceptant tant bien que mal le risque et les effets de l’exploitation par manque d’informations adéquates sur le sujet.
Ce faisant, afin de lutter effectivement contre la traite des personnes et d’en protéger les victimes, trois options s’offrent aux États. En premier lieu, il est possible d’adopter des mesures de protection, peu importe la raison pour laquelle la victime se trouve dans cette situation et sans autre questionnement. À l’inverse, il est possible de tenter de tarir la source de la traite par la répression au sein des États de départ, prévenant la commission du crime. Ces deux scénarios sont, à leur face même, impossible à réaliser. Finalement, une approche équilibrée peut être retenue selon laquelle on tente de prévenir, de réprimer et de protéger. Si cette dernière option a été théoriquement choisie par les États afin d’encadrer la lutte contre la traite, l’analyse du libellé des normes et de leurs effets confirme que seul l’aspect répressif a réellement trouvé écho.
Il est ainsi proposé de procéder à l’analyse de la protection offerte aux victimes de la traite des êtres humains par les instruments internationaux et européens de lutte en la matière. En définitive, si les préoccupations étatiques précédemment annoncées sont légitimes et méritent une attention particulière lorsque vient le temps de procéder à l’analyse des normes juridiques internationales et du cadre dans lequel elles sont présentées, les actions prises sur le terrain ne seront pas abordées. Afin de présenter une lecture globale de la problématique sera réalisée une analyse exégétique des textes juridiques relatifs à la lutte contre la traite des êtres humains. Ceux-ci constituent les règles de base que se sont données les États, mais sont aussi le reflet de leurs appréhensions relatives à la protection des victimes.
Ainsi, la recherche ne s’attardera pas tant à la forme d’exploitation, non plus qu’au genre, ni à la possible migration de la victime et son statut en territoire d’accueil. Par conséquent, l’ensemble des victimes au sens large du terme sera pris en compte. De même, la traite des êtres humains ne sera pas abordée tel un aspect de la prostitution. Seront donc écartés les débats sur la sémantique prostitutionnelle, la décriminalisation du travail du sexe ainsi que les questions entourant la demande de services sexuels. En somme, le principal angle d’analyse de cette étude se situera à la suite de la matérialisation du crime, survenu nonobstant la participation de la victime, son intention première ou sa volonté sous-jacente sans, toutefois, ignorer l’aspect préventif de la lutte contre la traite des personnes.
Dans ce contexte, il importe d’analyser la protection offerte aux victimes dans le cadre normatif international de lutte contre la traite des personnes, particulièrement quant à l’ambiguïté dans laquelle se placent les États qui semblent souhaiter protéger les victimes sans encourager l’immigration clandestine, tout en procédant à la répression du crime. De nombreuses critiques ont été émises contre la faiblesse des mesures de protection accordées aux victimes par les États dans ce cadre international, lequel a précédé l’adoption des mesures européennes. Les efforts soutenus de la communauté internationale dans cette lutte sont dénoncés, car ils seraient principalement orientés sur la répression des auteurs de l’infraction et non, comme le prévoit l’approche intégrée, articulés en fonction de la prévention, de la protection et de la répression, tels trois piliers égaux et interdépendants. Les États ne réussissant pas à s’extirper du dilemme initial entre répression et protection, très peu de place serait laissée à la protection des victimes au sein de la lutte contre la traite des êtres humains. Par conséquent, l’étude de l’adéquation entre la lutte contre la traite et la protection accordée à la victime trouve son importance.
Dans un premier temps, l’évolution de la lutte contre la traite sera exposée. Cette analyse du développement institutionnel et juridique du XXe siècle permettra de cerner le contexte dans lequel a été rédigé le Protocole de Palerme, mais aussi de démontrer la continuité, malgré quelques soubresauts, dans l’approche réellement retenue. En adoptant le Protocole de Palerme, les États ne se seraient pas positionnés dans une approche ni pour ni contre la protection des victimes ; ils auraient plutôt opté, théoriquement, pour une approche intégrée composée de trois aspects que sont la prévention, la répression et la protection. Ainsi, si, précédemment, la lutte contre la traite s’est traditionnellement inscrite dans une approche répressive puis, accessoirement, dans une approche visant la protection des droits de la personne, elle est maintenant bien implantée dans la lutte contre la criminalité transnationale organisée, laquelle demeure du ressort d’une approche répressive. Dans le cadre de celle-ci, les mesures de protection retenues par les États se présentent sous la forme de mesures d’application immédiates, soit les mesures de nature matérielle, physique et juridique, ainsi que par la mesure ultime qu’est le maintien conditionné sur le territoire et le rapatriement de la victime.
En tentant de concrétiser cette approche intégrée de la lutte contre la traite et en l’inscrivant dans un soi-disant nouveau cadre d’analyse, la communauté internationale a tenté de s’écarter de l’approche répressive développée au cours du siècle dernier et de surmonter ses craintes migratoires, de préserver ses acquis préventifs tout en protégeant les victimes. Ces objectifs n’ont cependant pas tous été couronnés de succès. Si l’approche intégrée permet théoriquement d’asseoir la lutte contre la traite sur un cadre solide et équilibré, répondant aux inquiétudes de tous les acteurs, il sera démontré que sa réalisation par le Protocole de Palerme ne permet pas une intégration concrète de la protection de la victime au sein de la lutte contre la traite.
Qui plus est, en adoptant des mesures répressives contraignantes tout en laissant celles de prévention et de protection à la discrétion des États, la communauté internationale s’attaque aux sources de la traite des êtres humains et non aux causes ni à ses effets. Par ce manque de mesures effectives de protection, les États se privent d’un acteur important de la lutte contre la traite des personnes, c’est-à-dire la victime, qui pourrait contribuer à la répression de l’infraction.
Cette première partie de l’analyse nous permettra de conclure que le cadre normatif universel, bien qu’il propose d’importantes mesures d’assistance et de protection, n’inscrit pas la protection des victimes au sein de la lutte contre la traite des êtres humains au même titre que la répression. La protection demeure le parent pauvre de l’approche intégrée, confirmant le caractère plus répressif qu’équilibré du Protocole de Palerme.
Parce que l’Europe forme un regroupement d’États plus ou moins homogène, mais surtout parce qu’en son sein, on retrouve une réelle plaque tournante de la traite contemporaine des êtres humains incluant des États de départ, de transit et de destination, il importe d’en analyser les normes en la matière. Ainsi, le Conseil de l’Europe – l’Europe des 49 – a tenté d’apporter une première réponse aux critiques émises à l’endroit du Protocole de Palerme, en adoptant en 2005, la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains(11). En optant pour une convention qui consacre l’approche intégrée de la lutte contre la traite des personnes, le Conseil de l’Europe est alors apparu comme un pionnier eu égard à la protection des victimes.
Or, parallèlement à ce développement normatif, l’Union européenne – l’Europe des 27 – a adopté une série de mesures relatives à la lutte contre la traite des personnes à commencer en 2002 par la Décision-cadre relative à la lutte contre la traite des êtres humains(12), aujourd’hui remplacée par la Directive concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes(13) adoptée en avril 2011. Cette dernière est complétée par la Directive du Conseil relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes(14) qui concrétise la conditionnalité de la protection de la victime ressortissante d’un pays tiers, c’est-à-dire non-membre de l’Union européenne. La protection de cette victime sera conditionnée à sa participation, voire son caractère nécessaire et utile, à la lutte contre la traite des personnes, entendre ici la répression.
La conditionnalité de la protection des victimes de la traite a été principalement développée par la Commission européenne. L’analyse des projets de directives, les rapports parlementaires et ministériels ainsi que les documents émanant de divers organismes européens permettra d’illustrer l’évolution juridique ayant précédé l’adoption de la Directive de 2011. Si cette dernière semble de prime abord répondre à l’ensemble des critiques émises depuis maintenant dix ans contre le cadre normatif international et donc s’harmoniser avec la Convention du Conseil de l’Europe, il n’en demeure pas moins qu’elle doit s’arrimer à la Directive de 2004 laquelle prévoit la protection conditionnelle à la participation de la victime à l’enquête ou aux procédures judiciaires. Il sera ainsi démontré qu’en plus d’accentuer le déséquilibre de l’approche intégrée, la protection conditionnelle à la participation de la victime à la répression a plutôt contribué au renforcement de l’aspect répressif de la lutte contre la traite. En effet, les États européens ne se sont pas extirpés de la lecture répressive ni éloignés de leur peur migratoire, ils s’en sont plutôt rapprochés en créant un mécanisme de gestion des ressortissants de pays tiers spécifique pour les victimes de traite.
Ainsi, tant la Convention du Conseil de l’Europeque les directives de l’Union européenne relatives à la lutte contre la traite des êtres humains se voulaient une réelle première tentative de dépassement du cadre universel, et ce, particulièrement quant à l’offre de protection accordée aux victimes. Or, le chevauchement et le tiraillement entre répression et protection des victimes présentent une incohérence supplémentaire en ce que les normes ont été adoptées et trouvent, par conséquent, application auprès des mêmes États. En effet, les vingt-sept États membres de l’Union européenne, un cadre plus contraignant qui maintient la lutte contre la traite des personnes dans une approche répressive, sont tous membres – et en forment de ce fait la majorité – du Conseil de l’Europe, lequel a retenu une approche intégrée de la lutte contre la traite des êtres humains. La lecture conjointe de ces deux corpus normatifs européens est pour le moins incongrue eue égard à la protection des victimes de traite des personnes.
Ainsi, les États auront tenté dans le cadre universel, puis dans le cadre européen, d’adopter des mesures de protection des victimes de traite des êtres humains plus généreuses et complètes. Or il nous semble que nous soyons toujours en droit de nous demander si les États désirent réellement adopter un cadre normatif protégeant les victimes au sein même de la lutte ou s’ils désirent plutôt lutter contre la traite des personnes en y incluant un outil répressif, nécessitant un minimum de protection, à savoir la victime de la traite. En revanche, cette étude démontrera que si la protection de la victime au sein de la lutte contre la traite des êtres humains, tel qu’elle est prévue au cadre normatif universel, s’avère sclérosée, le cadre européen semble, pour l’heure, tenter d’offrir une protection accrue aux victimes, mais celle-ci demeure limitée et en constante évolution.
(1) Pour les fins de l’étude, nous retiendrons indistinctement les expressions « traite des êtres humains » et « traite des personnes ».
(2) Pour les fins de l’étude, ne sera utilisée que l’expression « Union européenne », et ce même s’il est question d’une période où il s’agissait des « Communautés européennes ». L’adoption du Traité de Lisbonne, [2007] J.O. C-306, confirme l’utilisation de cette appellation dorénavant admise.
(3) Pour les fins de l’étude, nous utiliserons indistinctement les expressions « droits fondamentaux » et « droits de l’homme ».
(4) CE, « Traite des femmes – Le miroir aux alouettes : de la pauvreté à l’esclavage sexuel – Une stratégie européenne globale », Bruxelles, 2001, en ligne : http://ec.europa.eu/justice_home/news/8mars_fr.htm (consulté le 1er septembre 2012).
(5)US Department of State, Office to Monitor and Combat Trafficking in Persons, “Trafficking in Persons Report”, Washington, juin 2008, p. 7, en ligne : http://www.state.gov/j/tip/rls/tiprpt/2008/. Apparaissant déjà au rapport annuel de 2004, cette statistique n’a pas été répétée à chacun des rapports annuels de l’office américain en 2009, 2010 et 2011.
(6) BIT, « Forum de Vienne contre la traite des êtres humains, 13-15 février 2008 – Passeport exigé : combattre le trafic d’êtres humains et le travail forcé », 12 février 2008, en ligne : http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/press-and-media-centre/insight/WCMS_090351/lang--en/index.htm (consulté le 16 juin 2012).
(7) UNODC, « Annual Report 2008 », p. 25, en ligne : http://www.unodc.org/documents/about-unodc/AR08_WEB.pdf (consulté le 1er septembre 2012).
(8) Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, 15 novembre 2000, (2003) 2237 R.T.N.U. 319 [Protocole de Palerme] ; Convention des Nations Unies visant à réprimer la criminalité transnationale organisée, Doc. off. AG NU A/55/383 (2000) [Convention sur la criminalité organisée].
(9) Cette définition a aussi été retenue aux instruments européens de lutte contre la traite des êtres humains. Supra, partie 2.
(10) Protocole de Palerme, article 3.
(11)STE, no 197, 2005 [Convention du Conseil de l’Europe].
(12) [2002] J.O. L 203/1 [Décision-cadre ou Décision-cadre de 2002].
(13) [2011] J.O. L 101/1 [Directive de 2011].
(14) Directive du Conseil relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes [2004] J.O. L 261/19 [Directive de 2004].
En décembre de l’an 2000, les représentants de plus de 80 États se sont réunis à Palerme en Italie afin de signer un nouvel instrument international de lutte contre la criminalité transnationale organisée. Cette conférence s’est conclue par l’adoption de la Convention internationale sur la criminalité transnationale organisée, laquelle est notamment complétée par le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, mieux connu sous l’intitulé Protocole de Palerme(1) ; celui-ci consiste en un nouveau régime juridique relatif à la lutte contre la traite des êtres humains(2). Au cours des dix premières années suivant l’entrée en vigueur du Protocole de Palerme, le traitement juridique et politique de la question de la traite des êtres humains, une problématique précédemment éclipsée, a été fondamentalement transformé en ce qu’il se retrouve maintenant à l’agenda politique mondial.
Cette transformation de la lutte contre la traite des êtres humains survenue au cours de la dernière décennie a été précédée d’un développement normatif et idéologique international s’échelonnant sur plus de 70 ans, que nous proposons d’étudier dans un premier chapitre. Cela permettra, d’une part, de présenter l’évolution doctrinale dans laquelle le combat s’est inscrit, d’autre part, d’exposer les tenants et aboutissants relatifs au choix de l’approche retenue par la communauté internationale afin de lutter contre la traite, c’est-à-dire l’approche répressive.
Nous procéderons ensuite à une lecture in extenso de la norme universelle, précisément de la Convention sur la criminalité transnationale organisée ainsi que du Protocole Palerme, afin d’être mieux à même de démontrer, dans un second chapitre, que le changement conceptuel et idéologique souhaité, c’est-à-dire le passage d’une approche répressive à une approche intégrée en trois volets – prévention, protection, répression – de la lutte contre la traite des personnes, ne s’est pas concrétisé. Seules la répression et, accessoirement, la prévention ont trouvé un réel écho chez les rédacteurs du Protocole de Palerme. Enfin, nous tenterons de réhabiliter la protection de la victime de traite des êtres humains au sein de la lutte contre cette dernière par l’identification et l’analyse des éléments essentiels à la protection internationale de l’ensemble des victimes d’une infraction transnationale.
(1) À ce jour, plus de 147 États sont parties au Protocolequi les contraint à une série d’engagements relatifs à la prévention, la protection et la répression de la traite.
(2) Emmanuel Decaux, Les formes contemporaines de l’esclavage, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff, 2009 aux pp. 104 et suivantes.
Dans une première section, les principaux instruments juridiques internationaux relatifs à la lutte contre la traite des êtres humains adoptés au cours du XXe siècle seront étudiés. Ils s’inscrivent traditionnellement dans les courants idéologiques que sont le réglementarisme et l’abolitionnisme(1), mais ont toutefois connu une évolution conceptuelle telle qu’à certains égards ils s’éloignent considérablement de leur notion d’origine, ne répondant plus de leur conceptualisation initiale ni d’une classification déterminée. Analyser ces instruments au regard des mesures de protection offertes aux victimes permet d’outre passer cette catégorisation tout en présentant l’évolution de celles-ci.
Dans une seconde section seront présentées les normes universelles en matière de lutte contre la traite des êtres humains, laquelle s’inscrit dorénavant au sein de la lutte contre la criminalité transnationale organisée. Ces normes devaient initialement se présenter sous une approche intégrée, dite des « 3P », c’est-à-dire de la prévention et de la répression – « prosecution » – de la traite ainsi que de la protection des victimes. Toutefois, leur étude permettra de confirmer que l’adéquation de ces deux luttes ne permet que l’expression de l’aspect répressif.
Selon les titres officiels des instruments internationaux, le combat entrepris par les précurseurs s’est articulé contre la traite dite des blanches, puis des femmes, majeures et mineures, et finalement contre l’être humain qui, au final, n’aura pas été le principal objet de protection de ces traités. La moralité aura orienté les conventions internationales traitant spécifiquement de la traite des êtres humains (A), lesquelles seront développées parallèlement aux conventions relatives à l’abolition de l’esclavage, suivies par les conventions relatives au droit du travail, puis les déclarations et les conventions de protection des droits de la personne, particulièrement des femmes et des enfants (B).
Faits divers ou réel fléau(2), les développements juridiques internationaux relatifs à la traite des blanches, puis des femmes et des enfants, du début du siècle dernier ont plutôt eu comme principal objectif la préservation de la « moralité » des femmes et des jeunes filles blanches face à des États réglementaristes, c’est-à-dire tolérant la prostitution tout en la réglementant. C’est ainsi que la première réponse internationale à cette problématique sociale est caractérisée par une intention explicite de secourir les victimes blanches de la traite et de la prostitution(3). Or, si « la traite des blanches a été “découverte” afin de lutter contre la réglementation, [le mouvement a bifurqué, renonçant] à exiger l’abolition de la réglementation pour s’engager dans la voie de la répression de l’immoralité »(4). Aussi, la préservation de la moralité par la répression de la prostitution, particulièrement des femmes et des filles étrangères, s’est exprimée tant aux libellés des premiers traités relatifs à la traite des blanches adoptés avant et sous l’égide de la Société des Nations (SDN), que de la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui(5).
Rédigé au tournant du siècle dernier, le premier accord international relatif à la traite des êtres humains avait pour but de répondre à la problématique de la vente de femmes aux fins de prostitution dans les villes européennes. L’Accord international en vue d’assurer une protection efficace contre le trafic criminel connu sous le nom de traite des blanches(6) prévoit la surveillance des ports, des gares, des bureaux de placement ainsi que des personnes qui y transitent en guise de principale source de renseignements, et ce, afin de rechercher les conducteurs de femmes et de filles victimes de la traite à des fins de prostitution(7). Les gouvernements s’engagent de plus à recueillir les déclarations de femmes et de filles de nationalités étrangères qui se livrent à la prostitution afin de rechercher les personnes les ayant entraînées à quitter le pays. Ces renseignements seront utiles au rapatriement des victimes, volontaire ou réclamé par la personne ayant autorité sur elles, vers leur État d’origine. Dans l’attente et dans les limites étatiques internes, elles seront confiées à des institutions d’assistance ou à des particuliers offrant des services d’aide aux victimes(8).
Puis est adoptée la Convention internationale relative à la répression de la traite des blanches(9) en 1910 qui complète les dispositions de l’Arrangement de 1904 en criminalisant l’embauche, le détournement par fraude, contrainte ou violence, menaces ou abus d’autorité d’une femme ou d’une fille, aux fins de prostitution, et ce, même si les différents éléments constitutifs du crime ont eu lieu dans plusieurs pays. Toutefois, cette Conventionlimite son champ d’application aux aspects relatifs à la « prostitution forcée » excluant de ce fait la question des maisons closes considérées du ressort du droit privé.
Ni l’Arrangement de 1904 ni la Convention de 1910(10) n’a pour principal objectif la protection des victimes de la traite des êtres humains ; il s’agit plutôt de coordonner la collecte d’informations et d’organiser le rapatriement des victimes. Ainsi, à différents degrés, les États parties à ces instruments désirent « soustraire les nationales au recrutement par les souteneurs [et] protéger le territoire national de “l’invasion des prostituées étrangères” ».(11) C’est ainsi qu’en dissociant la lutte contre la traite dite internationale du combat contre la réglementation de la prostitution, les gouvernements ont pu tenter de protéger la moralité de leurs ressortissants plutôt que de voir à la défense des prostitués qu’ils n’hésiteront pas à criminaliser(12). Qui plus est, si les États signataires ont l’obligation d’« établir ou [de] désigner une autorité chargée de centraliser tous les renseignements sur l’embauchage des femmes et filles en vue de la débauche à l’étranger […] [laquelle] aura la faculté de correspondre directement avec le service similaire établi dans chacun des autres États contractants »(13), aucune autorité centrale n’est créée par ces deux traités, qui, au final, ne feront pas l’objet d’une large ratification(14). Aussi, faudra-t-il attendre la création de la SDN pour qu’une centralisation des informations s’opère.
Conformément à l’article 23 c) du Traité de Versailles, la SDN sera chargée de surveiller la mise en œuvre des traités relatifs aux femmes et aux enfants ; cette disposition visait spécifiquement l’Arrangement de 1904et la Convention de 1910(15). Or une première conférence internationale sur la question est instituée dès 1920, de laquelle émanera la Convention internationale pour la suppression de la traite des femmes et des enfants(16) l’année suivante.
Ainsi réunie sous l’égide de la SDN, la communauté internationale adopte la Convention de 1921 afin d’étendre les protections prévues à l’Arrangement de 1904 et à la Convention de 1910 à toutes femmes et à tous enfants, sans autre considération. De ce fait, la minorité passe de 20 à 21 ans. Les parties à cette Convention de 1921 sont encouragées à lutter contre la traite par l’adoption de mesures législatives et administratives, concernant spécifiquement l’autorisation et la surveillance des agences et bureaux de placement, afin de protéger les femmes et les enfants cherchant un travail à l’étranger. À l’image des précédents accords, la Convention de 1921 s’articule principalement en fonction de la lutte contre la traite, c’est-à-dire l’infraction migratoire, et non pas le crime commis contre la personne ni pour la protection de la victime. Suivra l’adoption de la Convention relative à la répression de la traite des femmes majeures de 1933, laquelle rend punissable le fait d’embaucher, d’entraîner ou de détourner, une femme ou une fille majeure, même avec son consentement, dans le but de « débaucher » celle-ci dans un autre État. Si les critères de majorité et de consentement sont exclus de toute forme de défense chez le trafiquant, le lien entre traite et prostitution – la débauche – est maintenu(17).
Comme prévu à la Convention de 1921, seront successivement créées une Commission consultative de la traite des femmes (1921-1924), une Commission consultative de la traite des femmes et de la protection de l’enfance (1924-1936) et une Commission consultative des questions sociales (1936-1940), toutes composées de représentants gouvernementaux et d’assesseurs issus du milieu associatif, afin de conseiller les membres de la SDN(18). Malgré une hétérogénéité des idéologies, l’abolitionnisme domine ces commissions qui, au final, produiront deux enquêtes internationales dont les résultats sont aujourd’hui fortement critiqués par certains auteurs(19). Bien qu’aptes à émettre des résolutions contraignantes(20), ces commissions n’avaient pas pour mandat de voir à la mise en œuvre des traités.
En élargissant le champ d’application matériel en genre et en âge, les rédacteurs des quatre premières conventions internationales relatives à la lutte contre la traite des êtres humains visent l’amélioration de la gestion de la prostitution et des flux migratoires, principalement des femmes et des enfants, sans toutefois contraindre les États signataires à prévenir la commission du crime de traite des êtres humains, à en protéger ses victimes non plus qu’à maintenir ces dernières sur le territoire. Il s’agit certainement des balbutiements de la coopération policière entre les États parties en matière de lutte contre la traite des êtres humains.
L’Assemblée générale des Nations Unies adopte dès 1949 la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui(21). Précédemment à l’adoption du Protocole de Palerme en l’an 2000, la Convention de 1949 était certainement le traité le plus complet en matière de lutte contre la traite des personnes. Remplaçant(22) tout en consolidant les normes internationales antérieures, la lutte contre la traite est ainsi campée dans ses aspects abolitionnistes et sécuritaires. En effet, les obligations des parties s’articulent en fonction de l’interdiction d’actes spécifiques, de l’adoption de pratiques administratives particulières et de mesures de prévention et de protection des victimes de la traite internationale des êtres humains à des fins de prostitution et de la prohibition nationale de l’exploitation de la prostitution d’autrui.
Les parties à la Convention de 1949sont tenues de punir toute personne qui « embauche, entraîne ou détourne en vue de la prostitution », ou « exploite la prostitution d’une autre personne », même consentante, afin de « satisfaire les passions d’autrui »(23)