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Les rapports entre les formes pathologiques et les types de délinquance sont souvent pensés en termes de causalité.
Or, la pratique clinique auprès de personnes délinquantes nous apprend que les situations sont toujours complexes et ne peuvent se limiter à de tels rapports de cause à effet. L’accès au vécu des sujets délinquants et aux contextes dans lesquels les actes délinquants sont amenés à se produire obligent les intervenants à développer une démarche compréhensive qui ne peut entièrement se satisfaire des classifications existantes.
Cet ouvrage initie les étudiants, intervenants ou futurs intervenants dans le domaine du traitement psychosocial de la délinquance au langage rigoureux, complexe et interdisciplinaire d’une psychopathologie dynamique, insistant sur les liens entre les différents troubles mentaux dans une systématique d’ensemble. La démarche ici mobilisée entend partir des logiques sous-jacentes aux principales catégories de troubles mentaux – troubles de l’humeur et psychopathie, perversions, névroses et psychoses – pour penser les différents types de délinquance auxquelles elles pourraient donner lieu.
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GALETS ROUGES
Collection dirigée parPierre Van der Vorst et Philippe Mary (ULB)
Comité de rédaction : Christophe Adam (ULB-UCL), Régine Beauthier (ULB) (†), Yves Cartuyvels (FUSL), Dominique De Fraene (ULB), Christian Mouhanna (CESDIP-CNRS), Carla Nagels (ULB), Sybille Smeets (ULB), Sonja Snacken (VUB), Françoise Vanhamme (Université d’Ottawa)
La collection propose, dans le vaste champ des déviances retenues et entretenues par nos sociétés, des ouvrages sur leurs régulations passées, présentes ou possibles, répressives ou non. L’ambition est de “cesser de tourner en rond”, sachant que toute politique en la matière appelle, dans l’idéal, une prise en compte plus audacieuse de sa composante sociale.
GALETS renvoie à ces pierres d’orientation et de connaissance qui roulent vers nous, se découvrent au gré des marées, hautes ou basses, d’analyses, de réflexions, de propositions ; ils sont encore, dans leur diversité ronde, signes de richesse d’échanges et de trouvailles. ROUGE évoque certes le sang des hommes, du crime qui les délie et auquel on se réfère, excessivement, quand on parle de criminologie, mais c’est aussi, sous sa robe vive, la finesse et la fragilité du coquelicot qui s’apparentent à la quête et à la moisson scientifiques.
Titres précédemment parus
20 ans de lutte anti-blanchiment en Belgique. Bilan et perspectives, Actes du colloque organisé par l’École des sciences criminologiques Léon Cornil en hommage à Jean Spreutels (2014).
Sexe et normes, Actes du colloque organisé pour le 75e anniversaire de l’École des sciences criminologiques Léon Cornil, sous la direction de Christophe Adam, Dominique De Fraene, Philippe Mary, Carla Nagels et Sybille Smeets (2012).
La liste des ouvrages précédemment parus dans la Collection des "travaux" et "monographies" de l’École des sciences criminologiques Léon Cornil se trouve en fin de volume.
Création graphique de Sophie Van de Velde.
Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larciergroup.com.
© Groupe Larcier s.a., 2015Éditions BruylantRue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles
EAN 9782802750437
Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe Larcier. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.
À Jean Kinable, Professeur émériteà l’Université catholique de LouvainEn témoignage de ma reconnaissance
Mes remerciements vont tout d’abord aux directeurs de la collection Galets Rouges, Philippe Mary et Pierre Vandervorst, ainsi qu’aux membres du comité de rédaction. Ensuite, je voudrais remercier les Autorités provinciales de Namur, de même que mes collègues du Service de santé mentale de Dinant, où j’exerce une activité pratique de psychologue clinicien. Sans eux, je n’aurais jamais eu la possibilité de nourrir mes enseignements et de pouvoir mettre à l’épreuve les connaissances théoriques que j’ai acquises tout au long de ces années. Le travail d’équipe que nous menons m’est à la fois humainement précieux et intellectuellement stimulant. J’en profite également pour saluer l’important travail humain des différents acteurs professionnels, je pense plus particulièrement aux assistantes de justice de la Maison de justice de Dinant, avec lesquelles je suis amené à coopérer dans le traitement et la guidance des auteurs d’infraction(s) à caractère sexuel. Enfin, je tiens également à exprimer ma gratitude à toutes les promotions d’étudiants que j’ai rencontrées et à toutes celles à venir. Ce sont les étudiants qui, en grande partie, m’ont appris, m’apprennent et m’apprendront encore le métier d’enseignant.
Mon intention est de proposer une initiation aux problèmes complexes que pose la psychopathologie en criminologie. Le texte s’inscrit dans le cours éponyme que je donne, depuis 2007, à l’Université libre de Bruxelles où je suis chargé d’envisager la thématique en vingt-quatre heures de cours. L’ouvrage est ainsi destiné à un public qui entend découvrir une matière dense, étendue et difficile à plus d’un titre. Dans la mesure où les questions soulevées sont nombreuses et variées, j’ai choisi de privilégier la pertinence et non l’exhaustivité, toujours vaine à atteindre. Toutes les implications d’une pensée psychopathologique rigoureuse ne peuvent pas être traitées dans un seul livre, c’est pourquoi des choix se sont bien évidemment imposés. Ces derniers se justifient au regard de ma pratique clinique dans une équipe spécialisée dans le traitement et la guidance d’auteurs d’infraction(s) à caractère sexuel où il m’est également donné de rencontrer une population dite « tout venant » : des victimes d’abus et de maltraitances divers, des formes de délinquance contrastées, des adolescents en grandes difficultés, des enfants en souffrance… J’ai pris pour option de poser les questions en référence aux situations que nous rencontrons le plus souvent en première ligne ou dans le cadre d’une injonction judiciaire de traitement psychologique – qu’on appelle quelquefois « aide contrainte » ou « thérapie contrainte ». Du point de vue d’une criminologie clinique, la pratique constitue un vecteur constant d’enrichissement de l’enseignement universitaire et inversement. Il m’apparaît donc peu fécond d’opposer la théorie à la pratique, comme on le fait trop souvent. De même les contenus abstraits qui suivront s’avéreront utiles pour penser la pratique dans ses aspects les plus concrets et les plus directement liés au vécu des personnes délinquantes elles-mêmes.
Ceux qui voudraient trouver dans les pages qui suivent une psychopathologie dans l’air du temps seront forcément déçus. En effet, dans bien des cas, j’ai préféré envisager les choses en retrouvant d’anciennes notions, non par nostalgie mais bien souvent parce qu’elles nous permettent d’avancer dans une complexité que je pense devoir être retrouvée, surtout à l’heure des réductionnismes scientistes minant la psychopathologie et la privant de son logos propre. Il est vrai que mes options s’enracinent dans une certaine tradition, éthiquement et politiquement engagée, qu’on pourrait appeler psychopathologie d’inspiration phénoménologique et compréhensive, nous obligeant à refuser les évidences, peut-être plus encore lorsqu’elles sont dites « scientifiques ». Ce projet apparaîtra familier à l’exercice d’un esprit critique qui doit être l’art de l’université et qui ne peut être affaibli par les logiques marchandes ou managériales dans lesquelles elle a aujourd’hui à prendre place. Aussi me dois-je de réaffirmer ma dette à l’égard des enseignements de J. Kinable et, à travers lui, à ceux de J. Schotte. Mes conceptions s’inspirent en droite ligne de leurs écrits et de ce qu’ils m’ont transmis. Une autre voie de transmission est bien sûr celle des travaux de l’École de Louvain où j’ai poursuivi l’ensemble de mon cursus universitaire. Le lecteur ne sera donc pas étonné de trouver sur son chemin la référence à É. De Greeff et à Chr. Debuyst qui continuent de m’inspirer dans tous mes travaux.
Il n’a pas été simple d’écrire cet ouvrage en ce que j’étais continuellement partagé entre l’écrit scientifique et le support d’enseignement. Sans doute, le texte est-il le témoin de mes hésitations, aboutissant à une forme plutôt hybride et métissée, à l’image de mon approche de la psychopathologie. Aussi, me suis-je limité à une série de références essentielles sans vouloir surcharger l’ouvrage. Ces pages ne se confondent pas avec les enseignements que je professe à l’université. Elles constituent un préalable nécessaire mais non suffisant. Pendant les cours, j’illustre abondamment les thématiques qui sont traitées ici par des références au cinéma, au théâtre, à la peinture, à la clinique de terrain, à l’actualité… qui font qu’une leçon ou un texte doit être parlé et vécu si l’on espère transmettre, avec une passion toujours renouvelée pour ce qui me concerne.
Avant d’aborder la matière, il me faut faire une dernière remarque. Le texte qui va suivre ne doit pas être lu comme une succession de chapitres qui peuvent être refermés au fur et à mesure de la lecture. En réalité, le texte participe d’un emboitement plus complexe. Ainsi, tant les parties que les chapitres ne sont pas étanches les uns aux autres. Certaines thématiques envisagées au sein d’un chapitre seront quelquefois reprises autrement dans d’autres. Il ne s’agit pas de redites mais de relances sous d’autres logiques, attestant d’une métamorphose des concepts.
En tant que champ d’étude pluridisciplinaire, voire interdisciplinaire, la criminologie clinique est traversée par des références aux disciplines « psy - » : psychiatrie, psychologie, psychopathologie, etc. L’histoire de la criminologie s’est d’ailleurs construite autour de ces références multiples. Au sens large, la psychopathologie étudie de manière différentielle les maladies mentales, qu’on appelle aujourd’hui « troubles mentaux ». Partant, l’ouvrage traite des rapports possibles entre psychopathologie et délinquance. S’il existe des rapports entre les deux, comment peuvent-ils se nouer ? Selon quelles modalités spécifiques ? Ne faut-il chercher que des rapports de cause à effet ou sont-ils d’un autre ordre, beaucoup plus complexes ? Ce n’est pas parce qu’un auteur commet un délit qu’il est atteint d’un trouble mental ou d’une maladie mentale. Du reste, le trouble mental ou la maladie n’explique jamais directement et totalement la délinquance.
Dans la mesure où la matière est vaste, j’ai décidé de la présenter en deux parties. La première aborde les grands principes et exigences en vue de penser une psychopathologie digne de ce nom. Dans une seconde partie, je propose une présentation des catégories psychopathologiques retenues, telles qu’elles se présentent fréquemment dans nos pratiques cliniques auprès de personnes délinquantes. Pour que cet ouvrage puisse garder un nombre de pages raisonnable, je n’ai pas développé tous les concepts et toutes les théories en faisant honneur à leur complexité. Je m’en tiendrai souvent à des propos de base dans le sens de mes intentions à l’initiation. J’attends donc de mes lecteurs qu’ils tiennent ces propos pour des invitations à approfondir par eux-mêmes en fonction de leurs préoccupations.
Jamais la psychologie ne pourra dire sur la folie la vérité,puisque c’est la folie qui détient la vérité de la psychologie
M. FOUCAULT, Maladie mentale et psychologie.
Souvent, lorsqu’on parle aujourd’hui de psychopathologie, on songe aux grandes classifications des troubles mentaux dont les plus connues sont le fameux Manuel statistique et diagnostic des troubles mentaux (DSM) et la célèbre Classification internationale des maladies (ICD-CIM). Cela étant, ces instruments ne relèvent pas de la psychopathologie parce qu’ils sont présentés par leurs concepteurs comme « a-théoriques ». Or, toute psychopathologie suppose toujours des préconceptions de base qui doivent pouvoir être explicitées. Se réclamer « a-théorique », c’est peut-être avoir la pire théorie de toutes, celle qui donne le change en se prétendant « neutre » alors que c’est non seulement impossible mais contre-productif dans le domaine (Adam, 2009a). Le fait de prendre pareille position – en ignorant ou déniant qu’il s’agit justement d’une prise de position – évacue les débats d’école et leur richesse. C’est pour cette raison que j’ai décidé de développer les grands principes théoriques et les options épistémologiques dans cette première partie, lesquels devront nous guider en toute rigueur lorsque j’aborderai les troubles mentaux proprement dits.
Cette première partie se compose de trois chapitres. Dans un premier, je traiterai deux démarches selon lesquelles on peut envisager la matière. Ensuite, dans un deuxième, je choisirai celle qui me paraît la plus pertinente pour un psychopathologue en lien avec les situations problématiques qui me sont adressées, soit partir de la psychopathologie pour aborder la délinquance, sans présupposer toutefois des rapports de cause à effet, beaucoup trop simplistes lorsqu’on a affaire à l’être humain. Enfin, dans le troisième et dernier, j’envisagerai le problème du normal et du pathologique dans le double objectif d’éviter la « psycholopathologisation » des phénomènes délinquants et de réaffirmer l’intrication réciproque du normal et du pathologique.
L’abord de cette matière peut être réalisé à travers deux types de démarche que je vais décrire dans un premier point. Dans le système de justice pénale, le psychopathologue est souvent interpellé en tant qu’expert à diverses étapes de la procédure pénale : des investigations policières en passant par le procès et même, au-delà, dans des activités d’évaluation ou thérapeutiques. Je retracerai brièvement, dans un deuxième point, ces étapes où l’expert psychopathologue est susceptible d’intervenir. Les démarches évoquées répondent à certaines exigences cliniques et théoriques que je pointerai dans un troisième point. J’aurai également l’occasion d’évoquer des formes de délinquance qui n’impliquent pas qu’on se réfère à la psychopathologie pour en comprendre les significations. Enfin, dans un dernier point, j’établirai les étapes de la démarche du psychopathologue, partant des catégories d’infraction pour viser les catégories psychopathologiques, tout en précisant quelques précautions d’usage dans l’abord de cette matière.
Pour aborder ce domaine des rapports possibles entre psychopathologie et délinquance, on peut procéder de deux manières : tantôt partir de la psychopathologie pour viser les manifestations délinquantes, tantôt partir de la délinquance pour interroger ses significations psychopathologiques.
Si l’on adopte la première démarche, on peut se demander selon quels processus les différentes formes psychopathologiques sont susceptibles d’engendrer des comportements délinquants. Pour le psychopathologue, la question d’une potentialité délinquante peut se poser en amont des passages à l’acte dans une optique préventive, anticipative ou prédictive.
Cela étant, il me faut d’emblée prévenir un possible malentendu. La délinquance n’existe pas en elle-même mais est toujours relative à des normes, des règles, des lois qui représentent des constructions humaines susceptibles de varier à travers le temps et l’espace. Ainsi, le psychopathologue devra être très attentif à l’évolution historique des normes et des comportements criminalisés, décriminalisés, voire re-criminalisés. Il ne peut tenir la délinquance comme un fait naturel et objectif. Dans cette optique que je fais mienne, la délinquance comme la non-délinquance doivent toujours être appréhendées ensemble, un peu comme si un chercheur, étudiant l’intégrisme religieux, devait également être en mesure de prendre en compte l’athéisme. La délinquance est à la fois un fait universel et une potentialité de l’existence humaine, présente chez tous, en tout temps et tout lieu. Les comportements délinquants ne relèvent pas d’abord d’une catégorie psychologique mais sont donnés à connaître par la réaction sociale qu’ils engendrent ainsi que par la transgression de normes sociales. Dès lors, parler de « comportements délinquants », c’est toujours nécessairement témoigner d’une forme de réprobation sociale et de jugements de valeur. En outre, le psychopathologue peut avoir affaire à des personnes dont la délinquance n’est pas encore connue, il s’intéresse non seulement aux « comportements » mais aussi aux faits psychiques qui s’avèrent bien plus complexes. De ce point de vue, il a certes à considérer les actes effectivement commis mais cela ne suffit pas. Il doit pouvoir également prendre en compte les actes pensés et imaginés comme les actes ratés qui étaient en cours de réalisation… Lorsque nous rêvons de tuer quelqu’un, cet acte est criminel même si nous ne le réalisons pas dans la réalité objective d’un comportement extériorisé. Heureusement, le Code pénal n’incrimine pas nos fantasmes ni nos rêves car ce serait l’humanité toute entière qui serait ainsi condamnée.
Dans la seconde démarche, on part de la délinquance effective pour dégager rétrospectivement les processus psychiques ou psychologiques qui ont pu conduire à la délinquance. Lors d’un procès, l’expert est invité à ce type de démarche. La question posée est celle de ce qu’on appelle un « diagnostic différentiel », lui demandant de faire la part entre normalité et pathologie. Au-delà, il s’agit aussi de dégager le sens et les raisons de ces conduites délinquantes à partir des formes répertoriées dans la nosographie.
S’agissant de cette seconde démarche, trois remarques importantes doivent être posées :
des comportements objectivement semblables peuvent correspondre à des pathologies très différentes ;
aux comportements les plus graves ne correspondent pas nécessairement les troubles les plus graves, les plus profonds ;
les faits ne sont jamais parlants en eux-mêmes et pour eux-mêmes, il s’agit de les rendre parlants, autrement dit de les interpréter. Il faut donc nous méfier de cette idée selon laquelle les faits parleraient d’eux-mêmes… Ce serait un fâcheux raccourci.
Dans la mesure où la criminologie constitue un champ où se rencontrent plusieurs disciplines scientifiques, le psychopathologue ne pourra jamais se limiter aux seules exigences de la psychopathologie. Il lui faudra apprendre à parler plusieurs langues disciplinaires. Si l’on fait appel à ses compétences, c’est pour les mettre au service de disciplines non scientifiques comme le droit – même s’il a bien entendu sa rigueur et sa méthodologie. La question de l’expertise est complexe et on pourrait lui consacrer un ouvrage à elle seule. Je me contenterai de souligner qu’il faut éviter d’en parler de manière générique comme si elle renvoyait à une même réalité. En effet, rédiger une expertise à l’attention d’un juge d’instruction et exposer le contenu d’un rapport collégial devant une cour d’assises sont des activités bien différentes qui doivent être distinguées.
De manière générale, ce recours aux savoirs des experts comporte des risques : d’une part, de détournement du sens de ce que va écrire et/ou dire le psychopathologue car ses propos ne sont pas toujours utilisés dans un but scientifique. On peut alors parler d’une « instrumentalisation » de l’expert. D’autre part, même si l’expert est très clair sur le fait que, dans sa discipline, on ne fait pas de prédictions sans risques d’erreur, on tend à prendre son avis pour argent comptant et lui donner une valeur de vérité exorbitante puisque cette vérité est dite « scientifique ».
On peut faire appel à l’expert à différentes étapes de la réaction formelle à la délinquance :
lors de la recherche du criminel, pour chercher à l’identifier, le spécialiste lit des indices pour induire des traits caractéristiques de l’auteur (démarche appelée profiling). On essaie de reconstituer la logique d’action des auteurs. L’expert détermine quel type de personnalité est le plus susceptible de commettre tel acte en établissant un profil psychologique ou psychopathologique. Parfois, on fait appel à l’expert pour voir s’il y a un ou plusieurs auteur(s) à l’origine de plusieurs actes ;
lorsqu’on arrête un suspect, pour répondre aux questions : est-il l’auteur du crime ? A-t-il le profil psychologique pour commettre tel acte ? On peut aussi l’interroger sur la crédibilité d’une victime par rapport à des actes de violence sexuelle qui auraient été subis. Est-ce que la personne est authentique ou affabule-t-elle ? L’expert sera chargé d’examiner si les conséquences évoquées par la victime correspondent aux troubles post-traumatiques observés ;
au moment de l’instruction ou du procès. Il s’agit alors d’une démarche rétro- et prospective. L’examen peut porter sur plusieurs choses : sur ce qui s’est passé, ce que l’intéressé est devenu, le traitement qu’il devrait suivre, son avenir, etc. L’expert ne peut jamais déterminer avec certitude ce qui s’est passé ! Il ne peut non plus savoir ce qui va se passer dans le futur mais cela n’empêche pas qu’on puisse lui demander ce qu’il en pense. Est-ce que la personne a vraiment fait ce qu’on lui impute ? Fera-t-elle ce que l’on craint – la récidive – ou ce que l’on désire – la réinsertion ?
Au-delà de la décision, il peut intervenir dans un rôle de suivi, de guidance, d’évaluation des décisions (libération conditionnelle ou congé pénitentiaire).
Le sens de l’expertise varie en fonction des étapes dans lesquelles elle est amenée à prendre place. Dans cette collaboration entre juriste et expert psychopathologue, une des difficultés majeures tient à la différence des catégories en droit pénal et en psychopathologie. Par exemple, lorsque les textes parlent de démence, ils le font dans un sens qui n’est plus adéquat au regard des références psychopathologiques. Autre exemple : les notions de culpabilité et de responsabilité n’ont pas le même sens en droit et en psychologie. Lors d’un procès, le débat entre juriste et psychologue risque d’être biaisé par les conséquences entraînées par le diagnostic : le juriste peut vouloir éviter l’internement parce que l’intéressé ne sera pas condamné. Certains experts peuvent estimer que l’intéressé doit être puni, d’autres qu’il aurait besoin d’un traitement. On peut ainsi « irresponsabiliser » les responsables et responsabiliser les irresponsables simplement en fonction de l’idée que l’on se fait du sens de la peine ou de la mesure de défense sociale (en les déclarant soit pénalement irresponsables, soit pénalement responsables), voire des conditions de vie au sein des établissements.
Cela étant, dans mon optique, il s’agit toujours de prendre en compte le point de vue du délinquant. Il a parfois d’autres attentes par rapport à l’expert que simplement d’établir son profil psychologique. Le délinquant peut aussi nourrir l’espoir de se faire aider dans la recherche d’une explication de son propre comportement. Il peut aussi espérer que cette signification pourra être reconnue en elle-même, ce qui rendrait justice à ce qu’il est. Il ne faut surtout pas négliger ces attentes qu’on a parfois peine à imaginer dans le cadre de la justice pénale.
Qu’est-ce que cette démarche exige de la part de l’expert en psychopathologie ? Quoi qu’il en soit du mandat, de sa mission et de l’élaboration de son avis final, il faut d’abord procéder à une démarche d’investigation pour connaître les enjeux du « drame » du point de vue de tous les protagonistes. En psychopathologie, on pourrait dire qu’un drame n’arrive jamais seul. Il faut entendre par là que le drame se joue toujours à plusieurs. Cela suppose tout un déroulement de l’action que l’on retrouve dans la notion si importante de processus impliquant toujours une durée. Si l’on se braque sur l’acte ou sur l’auteur lui-même – ou ce qu’on appelle parfois les « faits » – on risque de ne rien comprendre de comment cela s’est passé. L’idée de drame fait référence au langage cinématographique ou théâtral et nous est utile au sens où elle suppose des tensions (une intrigue, un déroulement, un dénouement) qui peuvent se libérer à travers et par le passage à l’acte. Et puis, au théâtre comme au cinéma, la pièce ou le film ne sont que le résultat de tout un processus que l’on ne voit généralement pas, impliquant la réalisation, le tournage, la mise en scène, le montage, etc. Nous n’avons pas non plus accès aux coulisses ni aux répétitions… Bref, si nous nous en tenons à ce que nous découvrons des faits ou des actes, nous prenons le risque de ne voir que la surface des choses sans aucune perspective ni profondeur. Or, cette « boîte noire » qu’est le processus reste de loin la chose la plus difficile à connaître mais aussi la plus décisive. L’observation minutieuse des actes ou des faits reste importante mais ne peut se suffire à elle-même. Prenons l’exemple d’une jeune mère de famille qui a torturé son enfant, ce que la presse ne manque pas d’ailleurs de souligner. Si on se limite à constater la mort de l’enfant suite à ses blessures, on peut ne pas voir que cette mère a alterné des moments où elle inflige des tortures et d’autres où elle tente de soigner son enfant. Il s’agit d’une dynamique particulière de l’acte que le psychopathologue doit pouvoir être en mesure d’interroger et de discuter (Viaux, 2014). Il en va de même de ce père de famille qui dut s’y prendre à plusieurs reprises avant de tuer son fils, témoignant ainsi de la difficulté à lui donner la mort et de son incapacité momentanée à le faire mais qui a bel et bien existé alors qu’une lecture étroite relèverait uniquement la détermination et l’acharnement de ce père. Tuer quelqu’un, si on n’en a pas les compétences, reste un acte difficile à poser. Ces éléments peuvent sembler des détails insignifiants mais sont souvent décisifs lorsqu’on se donne pour projet de comprendre le drame dans toute sa complexité.
Le psychopathologue ne peut s’en tenir à la seule prise en compte des facteurs psychiques ou psychologiques, il doit toujours tenir compte de l’interaction entre ces facteurs et d’autres facteurs. Il peut ainsi se demander : pourquoi cette victime ? Pourquoi tel délit ? Quels sont les éléments qui ont provoqué le passage à l’acte ?
Lorsqu’on se place du point de vue de la psychopathologie, peut-on faire correspondre une diversité de formes de perturbation à la délinquance ? La référence à la psychopathologie permet de différencier des types de délinquance qui ne doivent rien à la gravité des faits mais se définissent toujours selon le sens qu’ils prennent pour le délinquant. D’ailleurs, certaines formes de délinquance n’impliquent pas qu’on se réfère à la psychopathologie pour les comprendre. On peut ici prendre différents exemples. La délinquance occasionnelle ne correspond pas à une perturbation importante ni à un trouble exceptionnel. Si l’on prend un vol de panneau de signalisation lors d’une guindaille d’étudiants, avec bon sens, on comprend assez vite qu’il n’est pas le signe de perturbations psychiques. De même, la délinquance peut être réactionnelle et suivre un événement de vie. Ce peut être le cas d’une jeune fille qui commet une série de vols dans des magasins suite à un deuil compliqué. Une fois ce deuil surmonté, la délinquance cessera et les choses rentreront dans l’ordre. Cela étant, il faut rester prudent et ne jamais sous-estimer des faits qui auraient une allure banale. La pratique m’a appris que des faits de roulage par exemple – conduite sans permis ou sans assurance, excès de vitesse, etc. – pouvaient être reliés à des styles de vie psychopathiques – la psychopathie est un trouble psychique que j’étudierai plus en détail dans la seconde partie. Il s’agit surtout d’éviter de « psychologiser » ou de « psychopathologiser » les problèmes car, j’insiste, tous les passages à l’acte délinquant ne sont pas le signe d’une personnalité perturbée. Or, cette psychologisation ou cette « psychopathologisation » constitue souvent un danger inhérent à la déformation professionnelle chez les spécialistes des disciplines « psy- ».
Généralement, la démarche du psychopathologue se déroule en trois étapes :
1)examen du système des catégories pénales selon lesquelles les comportements en cause peuvent être appréhendés. C’est le registre des infractions ;
2)examen des correspondances entre les comportements criminalisés et le système de nosographie psychopathologique ;
3)confrontations entre les catégories pénales et psychopathologiques tout en sachant qu’elles ne se recouvrent pas. Ce point est essentiel dans la mesure où l’on commet souvent une erreur épistémologique en mettant les catégories pénales et psychopathologiques sur un même plan.
Cette troisième étape doit me conduire à exprimer des réserves :
un comportement ne permet jamais de définir une catégorie nosographique ;
on ne peut passer de la qualification d’un comportement à la qualification d’une personne au sens où quelqu’un serait réduit à ses actes, l’être ne se confond pas avec le faire ou l’agir ;
un comportement semblable ne renvoie jamais à un profil unique. Une même catégorie pénale peut rassembler un très grand polymorphisme de conduites. Si l’on prend par exemple le vol avec violence, cela ne nous dit encore rien de ce qui – et de comment ça – s’est passé ;
lorsqu’on analyse ces comportements, on doit prendre en compte d’autres facteurs que psychiques, autrement dit, tous les éléments de la scène interpersonnelle : liens familiaux, sphère professionnelle, scolarité, relations amoureuses, santé, etc. On ne peut penser le psychisme comme coupé d’un environnement familial, social, politique, économique, etc. C’est pour cette raison que les données de la psychopathologie ne sont pas suffisantes et que le psychopathologue doit être au fait des contextes dans lesquels il pratique ;
le recours à un tel comportement peut venir remplir une fonction très différente selon la dynamique psychologique du sujet. Par exemple, le même type de vol chez l’un et chez l’autre ne prendra pas le même sens, ne participera pas d’un même mécanisme.
Si l’on admet que la délinquance doit être étudiée dans ses dimensions psychiques et psychologiques, cela ne signifie pas pour autant, comme je l’ai dit, que l’on soit conduit à s’engager dans le champ de la psychopathologie. Si l’on décide néanmoins de suivre ce chemin, il faut alors se poser une série de questions et répondre à certaines exigences.
Quels sont les phénomènes délinquants qui peuvent être considérés comme relevant de la psychopathologie ? Qu’est-ce qu’une psychopathologie en général et une psychopathologie de la délinquance en particulier ? Comment définit-on ce champ dans l’abord des phénomènes dont il relève ? Quelles sont les exigences scientifiques d’une psychopathologie digne de ce nom ?
De quoi dépend la décision d’inclure ou d’exclure le comportement dans le champ de la psychopathologie ? Est-ce la réaction sociale qui en décide ? Existe-t-il des critères scientifiques pour considérer que tel ou tel type de délinquance relève du champ de la psychopathologie ?
Si l’on prend l’exemple de l’homosexualité, dans le monde occidental, elle tend à disparaître des codes pénaux et des manuels de psychiatrie. Alors que cette forme de sexualité a longtemps été considérée doublement comme une infraction et une maladie. Est-ce que la « pathologisation » de l’homosexualité est uniquement politique ? Relève-t-elle de l’« homophobie » (peur et haine à l’égard des homosexuels) et des mécanismes de défense qui jouent dans cette réaction à une sexualité interrogeant la norme sociale – au sens de la sexualité la plus fréquente – qui est hétérosexuelle ?
On peut se demander comment tracer les limites de l’ensemble des phénomènes délinquants qui relèvent de la psychopathologie et déterminer des critères définitoires et différentiels. À propos de quels comportements peut-on parler de psychopathologie ? À propos de quelles données cliniques ?