Rasta, la Gnose Caraïbe - Ras Naby Gros Désormeaux - E-Book

Rasta, la Gnose Caraïbe E-Book

Ras Naby Gros Désormeaux

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Beschreibung

Dans ce livre, l'auteur décrit le paysage mental de son île natale.

RASTA,
LA GNOSE CARAIBE

Ras Naby Gros Désormeaux, né en avril 1952 en Martinique, est d’abord auxiliaire de l'éducation nationale où il enseigne les mathématiques et les sciences naturelles après avoir abandonné ses études de médecine en 1976, puis obtient un doctorat en Naturopathie du Collège des Médecines Douces du Québec.
Rasta la Gnose Caraïbe est la synthèse de tente années d’une expérience personnelle qui a bouleversé la vie de l’auteur et sa conception de la santé, mais aussi un long réquisitoire qui remet avec sévérité en question les fondements mêmes de la pensée moderne et de ses valeurs.
C’est une réflexion basée sur son vécu, par son implication intime dans la mouvance « Rasta » dès son émergence à la Martinique, il y a de cela plus de trente ans.
C’est aussi le regard du Naturopathe, spécialiste de la santé psychosomaticienne et de la prévention, sur les processus mentaux, les facteurs subjectifs et émotionnels particuliers et leur répercussion sur le tempérament et les comportements des populations antillaises et de la société postcoloniale en général.

Cet ouvrage est la seconde édition d'un essai sur la phénoménologie génétique du comportement des populations antillaises au XXIe siècle.

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Ras Naby Gros Désormeaux

Rasta, la Gnose Caraïbe

Essai de phénoménologie génétique du comportement dans les Antilles françaises du XXIe siècle

«Si tu ne sais pas où tu vas, regardes d’où tu viens!»

–Proverbe africain

Préface de la seconde édition

Lors de la première édition, tout me semblait bien clair; j’avais le sentiment d’avoir décrit la vérité, sans bien me rendre compte que je pouvais déranger des personnages du paysage mental de mon île, notamment dans le secteur littéraire, et en général du milieu intellectuel, domaine privé des «mulâtres» qui se partageaient l’espace post-esclavagiste avec la caste des «békés» qui eux, avaient accaparé les industries et certains secteurs clés comme le bâtiment, les banques, les assurances, et l’import-export. En effets, les «gens de couleur libres» revendiquaient le devant de la scène sociale et politique, obstruant l’accès aux plus noirs, qui n’avaient comme espace de revendication que le monde ouvrier.

Je compris brutalement à quel point mon essai dérangeait quand mon éditeur me fit part de son immense surprise en constatant que mon ouvrage avait été refusé par les librairies martiniquaises, ce qui ne s’était jamais passé auparavant! Je sortis de mon ingénuité en réalisant combien ma description du paysage mental des tropiques heurtait la «bonne société» qui ne pouvait y voir une œuvre littéraire ni une recherche objective et combien les «braves gens» pouvaient être offusqués par ma description pourtant honnête des fractures de notre société post coloniale, même si je n’attendais aucune indulgence de leur part.

Je pris donc deux exemplaires et décidai de contacter quelques libraires de Fort-de-France, et j’avoue avoir été surpris de leur réaction dénotant bien peu d’intelligence et de fair-play, en étant reçu sans aucun égard par des gens qui n’avaient même pas ouvert mon livre. Enfin, je me rendis en dernier lieu à la Librairie la plus en vue de l’île après avoir pris rendez-vous par téléphone avec une secrétaire qui, à mon sens, était déjà instruite de la réponse qu’elle devait m’apporter, car je dus curieusement insister pour être reçu après que je me sois annoncé… Je fus donc reçu dans un large bureau par une jeune femme assez crispée qui me fit asseoir gentiment face à elle; c’est là que je ressentis une présence qui me troubla passablement : Un peu en retrait dans une zone d’ombre était assise la «grande mulâtresse» qui ne daigna même pas me saluer. L’entretien fût vite terminé et je parti sur la promesse qu’on «fera un essai» et que je serais averti en temps utile! Évidemment, le temps passa et je ne fus jamais rappelé par la suite. J’arrêtai donc l’édition en me promettant de reformuler mes propos dans une dimension socialement correcte. Voilà qui est fait, mais à part quelques extensions et reformulations, je suis forcé de constater qu’à moins de changer de sujet, le résultat est tout aussi subversif…Au lecteur de juger!

–Ras Naby

Prologue

— Nous sommes des Békés, pas des bananes!

Un condensé de sens, deux propositions contraires, antagonistes, l’ensemble de la phrase constituant un système intégrant l’intelligent et l’imbécile, le beau et le laid, voire le bien et le mal. En fait et «en gros» le béké et le non-béké.

Deux mots qui avaient un caractère définitif, une dimension charnière qui marqua un «avant» et un «après» dans la vision exotique qu’avaient mes nouveaux amis de notre petite île, la Martinique. Soudain, il n’y avait plus seulement le soleil, la plage et les cocotiers, il y avait aussi un paysage mental qui sortait de tous les a priori que chacun pouvait se faire!

Catherine me regardait les yeux écarquillés en répétant ces mots qui ne signifiaient rien pour elle, mais elle attendait sensiblement d’être éclairée par l’homme qui se trouvait en face d’elle, moi, Rasta.

Qui sont ces «Békés», et surtout quelles sont ces «bananes» qui semblaient ne mériter aucune considération? Se pouvait-il qu’elle soit de ces «bananes» si méprisables? Et que font les Rastas dans tout ça? J’étais bien embarrassé et tentai de l’instruire un minimum, à grands traits maladroits, de notre lourd héritage des siècles.

Depuis un an David, Catherine et leurs enfants de douze et quinze ans habitaient la Martinique comme beaucoup de métropolitains en quête d’une nouvelle existence sous les tropiques, ils avaient tout abandonné de leur ancienne vie et fait pour leurs enfants le choix d’une éducation différente, loin des grandes cités et de la pollution.

Ce sont des gens simples et ouverts qui s’apprêtaient avec beaucoup d’exaltation au bien vivre tropical et ne cultivaient aucun préjugé sur la population locale. Pendant des mois, ils avaient cherché la petite maison sous les cocotiers de leurs rêves et l’avaient enfin trouvée non loin de la plage aux environs du François, une mignonne petite maison créole qui les a fait craquer; il a fallu cependant la rénover sous réserve d’un loyer complaisant. Avec passion, ils ont refait les murs, couché les couleurs si longtemps fantasmées, du jaune au plafond, du rose aux murs et du vert sur les bordures : Ils avaient bien remarqué les maisons cossues qui les entouraient, habitées par des blancs comme eux, et pourtant «différents», qui gardaient leurs distances et semblaient ne souhaiter aucune familiarité, sans pour cela être déplaisants : C’étaient des gens qui paraissaient de bonne éducation, ils faisaient même «vieille France» et mes amis s’habituèrent vite, cessant de leur prêter trop d’attention, jusqu’à ce jour où le plus jeune des deux enfants qui depuis peu venaient chez eux jouer avec les leurs prononça cette phrase énigmatique qui la poussa à observer le comportement des nouveaux amis lors de leurs visites, qui s’espacèrent d’ailleurs jusqu’à disparaître complètement, en un temps surprenant aux yeux de Catherine qui se sentait intuitivement mise au rang des bananes. C’est certain que quelque chose ne «collait» pas dans leur manière de vivre, quelque chose d’assez important pour susciter un veto chez leurs voisins. Amateurs de Rock, ils aimaient naturellement les Rastas et le reggae. Nous nous sommes rencontrés dans un «bœuf», une de ces fameuses soirées de musique en «live» où différents musiciens se concertent dans un échange instrumental libre, ce qui explique la magie de ces moments forts en émotions que je n’ai jamais rencontrée par ailleurs.

La musique est pour moi le langage de l’âme, les mots seuls ne pouvant exprimer l’infini; nous jouions du reggae et la moitié des musiciens étaient des Rastas; mais d’autres éléments ont fait rompre la glace entre nous comme le respect de l’ordre naturel, le végétarisme, en plus de l’amour de la musique (toute la famille joue d’un instrument), une philosophie bien proche et connivente. Cela faisait partie d’un certain nombre d’indices qui devaient lui indiquer que je pouvais répondre à ses interrogations, des principes de vie qui ressemblaient aux leurs malgré le faciès particulier des Rastas qui peut être sujet à des interprétations simplistes pour quelqu’un qui vit dans les canons de la beauté occidentale. Mais paradoxalement, ces gens venus de loin, cherchant un lieu où il fait bon vivre, sont plus sensibles à cette philosophie Caraïbe de la libération de l’individu, que les populations elles-mêmes qui ont produit ce phénomène désormais mondial.

— Quel rapport entre les békés, les bananes et les Rastas? Me direz-vous!

— Exactement le même rapport cosmique qui puisse exister entre dominants et dominés, et leur centre philosophique fait d’un petit noyau d’inadaptables, de ceux qui ont tiré les conséquences de ces antagonismes en activant des «ressorts» endormis qui, de siècle en siècle, de millénaire en millénaire, surgis de l’insondable nuit des temps, tiennent hors des contingences sociales ceux qui ont bâti leur identité première sur les valeurs inaliénables de l’individu : L’estime de soi, la liberté de ses choix, le droit de dire non, le droit de vivre en symbiose avec la nature, de vivre avec ses semblables et de refuser le modèle de société imposé à tous. Ceux qui se disent «rastas» ont fait de ces quelques mots leur crédo; ces pulsions intestines de notre espèce peuvent être ressenties par les individus de tous horizons constituant ce tempérament à la fois singulier et universel de l’insoumis, ouvrant les barrières culturelles en créant un champ de connivences du plus inattendu, un champ de significations unique et accessible à chacun, un champ propice aux frondeurs de tous bords.

Préliminaires

Ce témoignage est une analyse de la société Antillaise «vue de l’intérieur», une étude du phénomène humain qui mérite le titre de «Gnose Caraïbe» parce qu’elle décrit les différents états de conscience, ceux d’un «milieu intérieur» particulier, celui de l’Afro-Caraïbe qui s’est auto construit au cours des derniers siècles dans un mode atypique, parallèlement et à rebours d’un milieu extérieur particulièrement rigide et réfractaire à toute déviance (familial, social, politique), érigé dans la vision d’un progrès rêvé, figé et hors nature, contraire à tout retour vers nos structures imaginaires dont il voudrait la dissolution.

Ces forces antinomiques se côtoient dans notre psychisme, car la réalité extérieure quelle qu’elle soit nous habite au même titre que nos valeurs imaginaires, et on peut dire que le monde nous pénètre par tous nos sens, imprégnant chacune de nos cellules, formant un univers «miroir», un plan intérieur de la réalité qui diffère d’un individu à l’autre, et pour chacun, d’un instant à l’autre, par le jeu infiniment complexe de la subjectivité. C’est au sein de cet infini de la complexité que nous verrons notre conscience, que nous allons définir comme un organe ayant une structure et des fonctions, opérant à partir de couples d’opposés philosophiques, similairement à notre «état central» fluctuant qui définit l’état d’équilibre de notre milieu intérieur physiologique, avec un rôle homéostatique analogue, mais ici dans le monde des pensées.

Elle est un organe donateur de sens, ce qui signifie qu’elle ne peut être observée comme un objet, mais comme un processus en perpétuelle mutation, qui n’est jamais le même d’un instant à l’autre. Elle est au cœur de tout processus ontique, de la bactérie aux organismes hautement différenciés, au cœur de l’individu comme des sociétés; elle est le lieu des liens, des relations et des corrélations. Ces considérations qui nous viennent tant de la psychologie humaniste moderne que des anciennes philosophies, nous autorisent premièrement à porter un regard différent sur le rôle des polarités ethniques, culturelles et sociales du paysage mental d’une population donnée, et en second lieu de constater que les émergences comme les disparitions, les proéminences, l’ampleur, l’acuité ou la chronicité, la direction des mouvances et des croyances populaires, sont les parties manifestées dans l’extériorité comme la partie visible de l’iceberg par rapport aux courants souterrains et inconscients, aux différents états intérieurs de l’âme humaine qui procèdent à leur existence.

Religions et politiques sont les deux pôles de cette «extériorité» qui devait apporter à l’individu comme à la société le bonheur et la sécurité; Seule la philosophie du Réel, la «conscience de la conscience» (la Gnose), peut ramener un peu d’ordre dans le mental des maîtres à penser et libérer l’homme en lui ouvrant l’accès à son «centre» philosophique, lieu d’érection de ses fonctions subjectives profondes.

Nous verrons comment par une action de longue haleine notre structure psychologique a été saccagée dans la volonté d’organiser uniformément le système social en faisant abstraction, non seulement des singularismes propres à l’évolution de l’individu face au jeu extrêmement complexe des propagandes religieuses, politiques et des traditions, mais surtout des «bases de données eidétiques collectives», permanences construites par l’histoire de l’humanité, de génération en génération, de systèmes nerveux en systèmes nerveux pendant des millions d’années. C’est l’ensemble de ces éléments qui doivent être pris en compte, qui forment le «promontoire» sur lequel s’appuie l’évolution de l’humanité.

Je me défends ici de toutes révérences vis-à-vis d’aucune idéologie politique ou religieuse qui sortirait du cadre de cette étude, car celle-ci se situe au-delà des sphères d’interprétations partisanes, sujettes au réductionnisme bien trop commode pour ceux qui se croient détenteurs de la vérité suprême. Les seuls critères qui nous serviront sont ceux de l’individu et de ses droits fondamentaux en tant qu’humain titulaire du droit inaliénable de choisir sa destinée et sa société. Nous ne parlerons pas non plus de sociétés secrètes, de conspirations occultes qui sont, de toute façon, des «épiphénomènes» qui se mettent en place dans le cadre où l’individu a premièrement perdu sa faculté suprême, celle de s’interroger sur le monde qui l’entoure.

Confiné entre chapelles et partis, tabous et interdits, l’individu, dans la société modélisée que nous vivons, est dissocié de sa nature profonde et doit répondre à des codes spécifiques sous peine de sanctions morales et physiques. C’est pourquoi nous devrons nous situer à une distance critique des extrêmes philosophiques ordinaires, des chapelles et des partis, dans une espèce de «substance mitoyenne», entre orthodoxie et libéralité, qui fait la demi-mesure et nous aide à relativiser sur les instances contraires en nous maintenant dans l’idée d’une culture référente, humaine, globale et universelle, «auto construite» selon des modalités géographiques, ethniques, culturelles, en perpétuelle évolution, que nous appelons «l’Humanitude», d’où la difficulté d’utiliser des mots pour décrire non des objets, mais des courants d’énergies mentales qui ont leurs origines dans les représentations inconscientes, oniriques, que sont les archétypes.

Pour examiner l’ordre des causalités, il est nécessaire de pénétrer le mode des relations, sortir du dualisme auquel notre pensée «ordinaire» est attachée, comprendre les «modes d’intentionnalités» des partis en présence : riche pauvre, blanc-noir, croyant-athée, dominant-dominé ; ces «énantioses» forment le socle sur lequel s’organise le dynamisme du subconscient collectif.

Ces forces oniriques s’organisent, se reconnaissent et s’articulent entre elles comme des entités douées d’intelligence autonome que les individus vivent en deçà de leur conscience «raisonnable» : Plus que les choix que nous pensons faire dans le quotidien, ce sont ces puissances insoupçonnables qui gèrent nos comportements et notre plus grand tort est de les ignorer.

Il ne s’agit donc pas ici d’une analyse objective, «linéaire» et «horizontale» d’événements historiques et géographiques, mais plutôt d’une investigation «verticale» et subjective des facteurs qui ont poussé une faction des peuples Caraïbes à se différencier des idées ordinairement acceptées par tous comme les normes absolues du «bon sens». Il a fallu pour cela piocher dans les matériaux appartenant au répertoire de notre imaginaire tropical, de l’irrationnel, des mythes et des légendes, de l’inavouable et des non-dits, du «réprimé», du «refoulé» qui habitent notre inconscient collectif et qui soutiennent par une trame sourde et invisible les qualités et les travers de nos singularismes tropicaux, dans un symbolisme qui peut dorénavant s’appliquer à tout peuple soumis à un pouvoir directif et autoritaire.

C’est dire la difficulté que nous aurons à décrire des «objets émotionnels» liés non pas à l’espace et au temps, mais au point et à l’instant, de parler objectivement de ce qui est subjectif, d’utiliser des mots pour décrire l’infini! C’est un véritable défi dont je ne peux garantir le résultat même en s’arrêtant deux fois à chaque mot, car notre esprit étant formaté pour utiliser notre seule fonction intellectuelle propose une résistance au langage de l’âme sauf quand il est confronté à des situations «extrêmes». C’est quand le cosmos surprend notre conscience auparavant endormie, prend la place de «l’observant» qui, pense-t-on, nous est naturellement dévolue, et à sa proposition attend de nous une réponse seconde chargée d’un sens ultime : C’est la convocation du présent à laquelle nous devons répondre par des actes!

Dans un monde où chaque jour se présentent de multiples occasions de dévier, au regard des inégalités, des rigidités et des injustices, peu d’hommes sont capables de ne pas mentir à leurs instances archaïques profondes, de ne pas s’écarter de leur centre pour adopter des valeurs simplement parce qu’elles sont celles que le monde accepte, parce que de moins en moins nous n’avons l’occasion et la liberté d’explorer notre «âme», de nous laisser aller à des rêveries intérieures, ni à la contemplation de la nature sauvage qui nous entourait jadis, reflet de cette nature intérieure et mystérieuse qui nous habite. Aussi longtemps que nous existons dans l’attitude ordinaire qui est édictée par le pur objectivisme, le domaine de la transcendance nous est inaccessible, sauf justement dans les cas où la douleur et les difficultés sont si grandes que la conscience intellectuelle baisse sa garde pour laisser place aux pulsions de survie.

Ces principes généraux, rapidement revisités en quelques lignes, nous permettent de reconnaître dans sa réelle dimension le phénomène le plus extraordinaire qui se soit manifesté sous les tropiques depuis la traite des esclaves africains.

Ce qui a été écarté dans l’édification de la société dite «créole», la pierre rejetée par les bâtisseurs, est devenu la base d’une des plus grandes révolutions spirituelles du XXIe siècle, redorant l’honneur, la noblesse de l’insoumis de la tradition «créole», le «Marron». Le «Marron» n’est pas seulement qu’un mythe; il est aussi et surtout le «Logos Spermatikos», le symbole vivant, le verbe fécondant qui a produit le Rasta, cet héritier d’une culture qui ne peut, ne veut le recevoir pour les raisons que nous exposerons ici.

considérations caraïbes

S’il fut un temps où le colon avait une couleur, un visage, une identité, ce n’est plus le cas aujourd’hui, car il a revêtu des habits aux couleurs de l’humanisme, faisant disparaître ses instruments de torture trop visibles et choquants pour faire appel à de nouvelles méthodes d’aliénation basées sur nos fonctions cognitives-affectives-émotionnelles, si subtiles que seuls les initiés peuvent les discerner.

Depuis des siècles, les peuples Caraïbes plient sous le boutoir de l’idéologie normative des anciennes puissances coloniales qui se sont liguées dans le seul objectif de modifier et de gérer les comportements des individus et aujourd’hui la propagande a pris une dimension qui défie les lois morales, car elle s’adresse aux enfants comme aux adultes, en détournant les fonctions imaginaires collectives : Des mécanismes obscurs et secrets conçus pour détruire la résurgence des archaïsmes africains chez les descendants de l’esclavage, mais touchant du même coup ceux de tous les individus noirs et blancs qui répondent, qu’ils le veuillent ou non, aux mêmes structures primitives, car elles sont celles de notre espèce tout entière.

C’est dans l’écrasement de ces structures qui ne sont plus sous les tropiques comme ailleurs que des souches squelettiques dans la jungle desséchée de notre âme qu’il faut voir l’origine de notre mal de vivre, la détérioration de notre atmosphère mentale : Du mental au social, il n’y a qu’un pas, et la société Antillaise est en pleine décomposition depuis bien longtemps, constituant dans tous ses aspects le cadre propice aux fractionnements, aux exclusions de toutes natures et aux passions immodérées.

C’est dans ce contexte que, d’un bout à l’autre de la Caraïbe, la communauté Rasta fut stigmatisée pour sa philosophie radicalement pro africaniste et devint la cible privilégiée de toutes les forces gouvernementales comme de la vindicte populaire, tandis qu’un danger insoupçonné faisait sournoisement son nid chez les déshérités, victimes faciles des drogues en tous genres.

Cependant, malgré les enquêtes contradictoires de l’OMS, et le compte rendu de Bernard Kouchner en 1992 situant le cannabis parmi les substances les moins susceptibles de provoquer des désordres psychiques et organiques, sa toxicité pouvant être évaluée entre le thé et le café, le législateur maintient la «peine plancher» prévue par la convention unique sur les stupéfiants de 1961 et continue de pénaliser les consommateurs de cannabis comme de vulgaires criminels.

Le cannabis naturel (en effet, il existe aujourd’hui une multitude de variétés «boostées» par des procédés artificiels dont l’innocuité ne peut être prouvée) ne peut en aucun cas être considéré comme une drogue; il est inoffensif dans une consommation raisonnable et ne comporte pas d’overdose. Le cannabis n’a jamais rendu fou ni tué personne. Les innombrables recherches orientées tendancieusement vers sa diabolisation sont toutes démontées les unes après les autres; les pseudo-conséquences sur notre santé ont été obtenues après des concentrations allant jusqu’à 200% de la dose physiologiquement active (ED50)1 et les conclusions abusives et trompeuses ont été tirées à partir de ces protocoles viciés.

Qui porte la responsabilité de tant de vies innocentes détruites, tant de jeunes pénalisés à outrance pour s’être fait prendre en possession de quelques grammes de cannabis? Qui a tiré les ficelles de cette propagande mensongère, sans mesure, destructrice du psychisme des jeunes «non alignés», organisée sous le mutisme le plus total des élus, des acteurs sociaux, des éducateurs qui se voilent la face, ne voulant pas voir l’effondrement de leurs propres valeurs morales?

Depuis des années, des colloques sont organisés à la Martinique pour apprendre aux parents comment parler du cannabis à leurs enfants comme s’il s’agit du danger suprême! La désinformation, les mensonges, la propagande contre le cannabis remplissaient il y a encore peu de temps les chroniques, et toujours rien pour apprendre à ces mêmes parents comment parler du rhum à leurs enfants, tant il est banalisé et de bon ton de l’offrir aux amis, que sur les routes d’immenses panneaux publicitaires ne cessent de relier le rhum à la culture des îles ? À quand la «journée sans rhum» comme la «journée sans tabac»?

Quant à la cocaïne et son dérivé, le crack, aucunes émissions ne sont organisées pour décrire le drame caraïbe qui se joue quotidiennement sous nos yeux, alors qu’une véritable inquisition se perpétue contre les adeptes du rastafarisme, dans l’hypocrisie la plus totale : fumer du cannabis est toujours un acte criminel, et tous les efforts des institutions françaises tendent à sa diabolisation comme aux temps maudits de la «Marijuana Prohibition Tax Act» des années quarante aux USA alors que les dernières recherches tendent à le présenter au contraire comme un puissant allié de la santé…; de porter les dreadlocks est encore aujourd’hui un délit de faciès, terriblement efficace depuis les nouveaux contrôles au THC pour ce qui est des conducteurs de véhicules. C’est une nouvelle barbarie qui s’est installée sous-couvert des normes établies, des clichés et des stéréotypes.

Il est curieux de constater parallèlement que tout ce qui pourrait être réparateur pour cette génération exclue des normes représente paradoxalement ce qu’il y a de plus subversif face aux requêtes du système d’intégration mises en place par les hautes instances morales, économiques et politiques : la redistribution de terres aux plus démunis, le droit à l’autarcie, au libre exercice d’un art domestique ou du petit commerce de rue, la culture du libre-échange, du «coup de main», qui constituent les bases de la petite société créole depuis des siècles…

La manipulation organisée de la masse, l’ingénierie du consentement, s’est attaquée à nos rêves, a détourné nos mythes fondateurs, nos représentations symboliques, vers des rives irréelles et inatteignables : La Nature, notre nature intérieure surtout, est devenue l’ennemi absolu, pendant que dans le même temps les prélats de la chapelle scientifique enseignent que l’homme peut vivre en «lieu clos», enfermé dans un caisson de fer, aux confins de l’espace, tout en gardant les caractéristiques et les facultés humaines, excluant ainsi la terre de notre cosmogonie privée originelle. Par contre, de vouloir vivre libre, autant que puisse l’être l’animal, ce pour quoi nous sommes conçus, est une aberration au regard de la société! Voilà ce qui est appris à nos enfants qui ne voient plus que l’image virtuelle d’animaux dans une nature virtuelle elle aussi; ils apprennent à l’école que notre terre n’est qu’un caillou perdu dans l’univers sur lequel la vie est apparue sous le seul effet du hasard…

«Il faut avertir l’homme qu’il court un grand danger, car la science est devenue criminelle!» dit un jour Albert Einstein…

Les progrès fulgurants de la science dans les domaines de la biologie, de la neurobiologie et de la psychologie appliquée ont fourni aux classes dirigeantes une connaissance avancée de l’être humain qui fait que le système en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que ce dernier ne se connaît lui-même, et à détenir un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes.

Le symbolisme est largement utilisé de nos jours de façon perverse par les propagandes et les techniques d’influence au travers des médias comme nous le verrons plus loin, car c’est par là que l’on peut toucher les esprits, pour que chaque individu arrive à penser faussement que son choix vient de lui et non d’une quelconque influence ou autorité extérieure. Le but est aussi de faire croire à l’individu qu’il est seul responsable de son malheur, à cause de l’insuffisance de son intelligence, de ses capacités, de ses efforts! Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l’individu sombre dans la dévalorisation de soi et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif anéantissant toute volonté de changement, tout esprit de contestation, inhibant le ressort du mécontentement.

Ce mode de vie auquel nous n’hésitons pas à donner le qualificatif de «normal» défie les valeurs éthiques qui ont guidé l’évolution de notre espèce depuis des millions d’années, des valeurs liées à la sécurité collective, à la survie de l’espèce humaine qui ne sont ni noires ni blanches, mais simplement humaines.

Ces données psychobiologiques sont communes à tous, le besoin d’appartenance, d’être reconnu des siens, le besoin en «Autre» aussi important que le besoin en nourriture, en soins, en eau, en routes, etc. Ces bases de notre structure globale sont «archaïques» parce qu’elles sont du domaine de l’instinct, et servent de répertoire fondamental à partir duquel s’érigent nos comportements; de ressentir ces phénomènes dans leur globalité, est pour chaque individu, à l’humanité qui lui est donnée, rajouter cette «humanitude»2 conquise que représente cette longue quête d’où ont émergé fraternité, amour, savoir-faire, dignité, respect, solidarité, justice, spiritualité…, cumulés de génération en génération, de systèmes nerveux en systèmes nerveux, qui forment une empreinte collective avec des modalités différentes suivant les régions du globe.

C’est à partir de ces éléments-là que nous dirigerons notre analyse de la société créole dans un voyage au cœur de son imaginaire, des mythes et des légendes qui véhiculent les symboles, ce langage issu d’un inconscient collectif d’autant plus actif que l’on tente de l’ignorer.

L’esclavage continue aujourd’hui d’exister, mais dans un mode «second», insidieux, profondément pervers, utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication; les messages venus des dirigeants ont tous le même sens : «Ne pensez pas… Vous n’en avez pas besoin… Nous le faisons pour vous : nous sommes des dirigeants capables, intelligents, et organisons tout pour votre bonheur, votre santé… Demain, tout ira mieux!», une litanie lancinante faite des mots qu’on attend, ceux qu’on aime entendre, les promesses d’une vie de rêve; il est surtout recommandé de ne plus penser au passé, et ceux qui s’y réfèrent sont accusés de faire obstruction à la démocratie, aux lois justes de la république, au progrès et à l’évolution.

Une science toute-puissante a été élaborée, qui s’appelle «l’économie», une science qui regroupe toutes les sciences en les vassalisant toutefois. Le mot d’ordre est «l’économie»!

L’homme adapté est une entité économique ou il n’existe pas. La subordination des pouvoirs politiques aux nécessités d’un pouvoir économique mondial est totale et les dirigeants du monde entier crient à tue-tête que personne ne doit y réchapper.

C’est ce pouvoir économique et financier international qui a rendu ce monde détestable! Les recherches scientifiques et les spécialistes ne se préoccupent plus du bien-être des individus, mais de leurs capacités à répondre jusqu’à leur propre épuisement à la pérennité d’un «certain» mode de vie normatif et coupé des structures primaires de notre imaginaire collectif qui est en lui-même un véritable organe dont la fonction est de conduire l’Être, non seulement vers son authenticité, mais aussi vers l’édification d’une société juste et équitable : C’est un nouvel esclavagisme directement hérité des siècles passés, et même des millénaires si on regarde aussi l’histoire souterraine des populations occidentales et leurs insondables souffrances; cependant, les Africains l’ont vécu «en intensité» et ce fait réclame de toute urgence l’attention de tous les gens conscients de l’absurdité du modèle de société que nous vivons, mais qui ne parviennent pas à donner du sens aux sens, car il faut le dire, le système occidental tout entier a connu son essor à partir de la traite négrière, des millions d’Africains achetés aux prix de ridicules perles de verre colorées (les «pèmes») fabriquées sans compter dans les ateliers de Marseille ou Bordeaux, d’armes et d’eau-de-vie…

L’histoire de notre diaspora, cet attentat contre notre culture et le métissage programmé qui a fait partie intégrante des arcanes de l’oubli est difficile à formuler en termes intelligibles pour tous, tant elle est paradoxale et confuse, c’est-à-dire longue, douloureuse, profonde et intime. Souvent, les fils et les filles issus du viol de nos aïeules étaient choisis pour être des favorisés et participaient malgré eux à créer les divisions, des partitions d’exceptions qui permettaient aux colons de mieux gérer les esclaves par une hiérarchisation due aux attachements filiaux, donc à la couleur de la peau… Un enfant né avec une peau claire était couramment dit «sauvé» dans cette sagesse née de l’horreur! Je ne crains pas d’affirmer ici que la pédophilie était une institution, car les jeunes nègres «domestiques» étaient dressés pour répondre aux moindres désirs de leurs maîtres et recevaient de la part de ces maîtres un traitement privilégié, constituant ainsi cette forme de traumatisme à deux vitesses, dissociative, bien connue des spécialistes du contrôle mental pour produire des personnalités multiples. L’histoire du colonisateur dépend par ce fait de celle du colonisé, elles appellent à des relations de la plus haute qualité humaine, sous peine de destruction globale.

Or la rigidité des institutions ne répond plus aux exigences de notre société, à son extrême complexité, comme la science ne répond plus à nos interrogations; reste à se demander à qui tout cela est profitable ?... À une très petite minorité, la minorité du pouvoir économique, celle qui se cache derrière les pseudo-décideurs, celle qui croit tout contrôler par des privilèges transmis jalousement de génération en génération.

À ce monde affairiste et mercantile construit donc dans le cadre d’un désastre humain bien plus proche que l’on croit, s’ajoute un facteur mécanique lié à la surpopulation, à la nouvelle évidence que la terre est un lieu clos! Les lois de la physique s’ajoutent aux lois du mental et rendent les prévisions impossibles à long terme : de mémoire humaine, depuis le déluge, notre espèce n’a vécu une telle saturation de l’extériorité, dans une telle frénésie, comme dans un espace de plus en plus rétréci où les molécules s’agitent de plus en plus et s’échauffent. L’Apocalypse, hélas, n’appartient plus seulement qu’aux schizophrènes…

C’est un cas singulier dans les Caraïbes où des peuples sont de plus en plus confinés dans les îlots qui leur servaient de prisons jadis