Retiens-moi... - Edwige Laure Nguenya - E-Book

Retiens-moi... E-Book

Edwige Laure Nguenya

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Beschreibung

Une profonde réflexion sur la vie et la mort et les choix d’une existence humaine.

Après une vie si mouvementée, Fran est arrivée au bout de son chemin. Riche en tragédies, rebondissements, mais aussi de quelques moments heureux, elle estime que le tour est bouclé. Sereine, lucide et posée, la quarantaine à peine franchie, elle avance vers ce qui apparait comme une évidence pour elle, mais semble incompréhensible pour l’esprit humain qui fort, de certaines carences, se mure pour ne pas faire face aux choses qui lui échappent ou sortent de son schéma habituel.
L’officier Orphée est un négociateur admiré et respecté de tous ses collègues au vu de son parcours sans faute. Face à la détermination de Fran, il est partagé entre accomplir son devoir, celui-là même qu’il fait depuis plus de quinze ans avec jusqu’ici toujours autant de succès, et la laisser s’en aller comme elle le souhaite.

Edwige Laure Nguenya nous plonge dans une étonnante introspection de la vie d’une femme : avec un calme olympien et un raisonnement de fer, son héroïne expose sa vision atypique de la vie.

EXTRAIT
Dans ce monde où la vie peut s’appliquer à nous pervertir et à faire de nous des zombies, d’aucuns choisissent de lutter à leur manière pour ne pas succomber à l’appel de leurs bas instincts et devenir quelque chose qu’ils renieraient et n’oseraient regarder en face. Une vie sans pitié qui nous oblige sans cesse à puiser au plus profond de nous-même pour résister et y croire encore. Mais il arrive que l’on ne veuille plus y croire, que l’on se dise tout simplement qu’on voudrait juste se reposer, être tranquille, avoir la paix. Plus de lutte, plus de défis à relever, plus d’obstacle à surmonter, juste avoir la paix. Malheureusement, la recherche de la paix telle qu’on pourrait se l’imaginer n’aboutit pas toujours à ce tant espéré, alors certains se prennent à rêver d’une solution beaucoup plus radicale pour enfin obtenir cette paix tant convoitée.

A PROPOS DE L’AUTEUR
Je suis une femme, je suis une maman solo.
Je suis une femme, une chef d’entreprise dédaignée.
Je suis une femme, une maman qui ne peut être que philanthrope.
Je suis une femme, une femme de couleur méprisée par certains.
Je suis une femme, une femme noire paria du monde y compris des siens.
Je suis le pilier de ce monde, je ne dirai pas que j’en suis ère,
Je n’ai pas à le revendiquer, je n’ai pas à vous convaincre ni à m’excuser d’exister.
Je suis le monde, je suis la vie !

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Edwige Laure Nguenya

Retiens-moi...

Je suis une femme

Je suis une femme, celle par qui la vie se fait.

Je suis une femme, celle qui porte la responsabilité de ce monde.

Je suis une femme, les fondations même de cette société.

Je suis une femme, celle à qui la société confie les tâches les plus ingrates,

Je suis une femme, celle vers qui les regards se tournent quand son fruit est infect.

Je suis une femme, je suis une maman solo.

Je suis une femme, une chef d’entreprise dédaignée.

Je suis une femme, une maman qui ne peut être que philanthrope.

Je suis une femme, une femme de couleur méprisée par certains.

Je suis une femme, une femme noire paria du monde y compris des siens.

Je suis le pilier de ce monde, je ne dirai pas que j’en suis fière,

Je n’ai pas à le revendiquer, je n’ai pas à vous convaincre ni à m’excuser d’exister.

Je suis le monde, je suis la vie !

I am a woman

I am a woman, the one by which life is made. 

I am a woman, the one who has the responsibility for this World. 

I am a woman, even the foundation of the society. 

I am a woman to whom society entrusts the most menial tasks. 

I am a woman to whom all eyes turn when their fruits are rotten.

I am a woman, a single mother!

I am a woman, a scorned leader of an enterprise. 

I am a woman, a Mother, backed in to being a philanthropist. 

I am a woman, a black woman, despised by some. 

I am a woman, a black woman scorned even by her owns.

I am the pillar of this world, I will not say that I am proud. 

I should not have to claim it, nor should I need to convince you, and I will not apologize for my existence. 

I am the World, I am life.

1

Dans ce monde où la vie peut s’ingénier à nous pervertir et à faire de nous des zombies, d’aucuns choisissent de lutter à leur manière pour ne pas succomber à l’appel de leurs bas instincts au risque de se renier au point de ne plus oser se regarder en face. Une vie sans pitié qui nous oblige sans cesse à puiser au plus profond de nous-mêmes pour résister et y croire encore. Mais il arrive que l’on ne veuille plus y croire, que l’on se dise tout simplement qu’on voudrait juste se reposer, être tranquille, avoir la paix. Plus de lutte, plus de défis à relever, plus d’obstacles à surmonter, juste avoir la paix. Malheureusement, la recherche de la paix telle qu’on pourrait se l’imaginer n’aboutit pas toujours au résultat espéré, alors certains se prennent à rêver d’une solution beaucoup plus radicale pour enfin obtenir cette paix tant convoitée.

Chacun de nous à sa manière cherche sa place au milieu du chaos ambiant, construit avec les armes qu’il possède. Nous avons tous un idéal et nous faisons notre maximum pour l’atteindre. Qu’y a-t-il de plus inégal qu’un combat contre la rudesse de la vie ? Pour aimer la vie, il faut vivre, mais pour vivre il faut aimer la vie. S’adapter est un défi permanent, lui trouver un sens ne nous permet pas toujours de l’aimer, malheureusement. Quel sens donner à toute cette coulée d’injustices ? Cela relève définitivement du domaine de l’impossible de deviner ce qu’elle attend de nous. Faire partie d’un tout sans véritablement trouver à quoi l’on sert ni pourquoi on est là, n’est pas de nature à rassurer. Mais quand cette vie elle-même s’acharne à nous briser, pourquoi l’aimer ? Pourquoi chercher à lui trouver des raisons ? Pourquoi se reprocher des faits qui nous échappent complètement et qui n’ont jamais été sous notre contrôle ?

Fran ne se donne même plus la peine d’y réfléchir, elle est usée par ces longues années de combats et a décidé de prendre la chose sous un autre angle. Elle ne luttera plus dorénavant et puis de toutes les façons, la perspective de ce qui se dessinait devant elle était finalement de nature à la rassurer. Elle ne se demandait pas pourquoi elle n’y avait pas pensé avant, elle savait pourquoi, elle avait des obligations, des responsabilités et Fran était plutôt quelqu’un de très responsable. Tandis que la vie l’avait libérée de ses responsabilités sans lui avoir demandé son avis, la plongeant dans un chaos total, elle se disait aujourd’hui qu’après tout, elle ne lui devait plus rien et s’octroyait le droit de disposer de celle-ci comme bon lui semblait. Pour une fois, la vie ne pourra pas avoir son mot à dire, elle la battra à son propre jeu.

Fran avait fait le voyage jusqu’à Chicago pour honorer une parole donnée et ensuite elle comptait bien reprendre le contrôle sur cette si détestable vie. Eh oui ! Fran haïssait cette vie ! Elle ne lui trouvait aucune excuse et souffrait de la subir.

Quand on subit un tel acharnement sur des années tout au long de sa vie, il y a de quoi en être dégoûtée. Après tout, elle n’était pas tenue d’aimer une chose qui ne l’aimait pas. On aurait pu dire que c’était de bonne guerre s’il ne s’agissait pas de la vie. Pour vivre, il faut aimer la vie, mais pour l’aimer il faut vivre.

En ce mi-juillet dans l’État de l’Illinois aux USA, Chicago semblait être la dernière terre que Fran foulerait avant son voyage de non-retour. Elle paraissait sûre d’elle et ne voyait plus rien qui pouvait l’en empêcher, elle s’était donc rendue dans ce célèbre restaurant pour remplir son devoir et boucler ainsi son planning définitivement.

« Excusez-moi jeune homme, puis-je avoir l’addition s’il vous plaît ?

–Tout de suite madame, un instant je vous prie. »

Après une bonne dégustation, une journée paisible et douce qui s’achevait, Fran était prête à rentrer dans sa chambre d’hôtel. Elle était restée insensible au charme de ce restaurant gourmet italien dans le Loop pourtant couru de tout Chicago. Il est vrai qu’à l’origine, cette table avait été réservée pour deux et que malgré le délice des plats qu’elle dégusta ce soir-là, ils ne l’avaient été que parce qu’elle l’avait promis. Elle avait promis de faire ce voyage et de suivre coûte que coûte le programme de ce séjour. Maintenant que la promesse avait été tenue, que lui restait-il à faire ? Fran venait à présent de réaliser que tout était fini, qu’elle n’avait plus rien à faire, plus rien à prouver, plus de larmes à retenir, rien. Tout était fini.

Une fois son addition réglée et après avoir laissé un généreux pourboire au serveur, elle se leva de sa table, sortit du restaurant ; d’un pas lent et timide, elle longea la rue. On aurait dit qu’elle ne s’était pas fixée de direction précise, la rue qu’elle suivit était à l’opposé de son hôtel. Par cette deuxième quinzaine de juillet, il faisait plutôt un temps agréable. Les badauds profitaient de la fin d’une longue journée de travail et prenaient du bon temps. Il flottait comme un parfum de sérénité dans l’air, les rues étaient un peu grouillantes, mais rien d’inhabituel. Après quelques minutes de marche, toujours comme perdue dans ses pensées, Fran arpentait encore les rues de State Street lorsque tout à coup elle se dirigea vers cet immeuble non loin du coin de la rue entre State Street et Madison Street. Il y avait pourtant tant à voir dans cette rue pour qui serait intéressé un minimum par son environnement. Mais Fran n’était certainement pas venue d’aussi loin pour visiter Chicago et encore moins pour en admirer la vue. Elle avait d’autres projets beaucoup plus importants que de se mettre à parcourir le monde pour visiter ses merveilles, elle avait d’ailleurs déjà eu l’occasion de s’offrir des escapades de ce genre et en avait bien profité. Mais si elle était partie si loin de chez elle cette fois, c’était pour l’ultime mission qu’elle s’était fixée afin d’honorer une promesse faite. Si ses autres escapades par le passé lui avaient un jour apporté une sensation de bien-être, celle-ci apportait tout au contraire une sensation de vide. Le vide était béant et rien ne pourrait malheureusement le combler. Ses pas nonchalants dans cette rue bondée de monde n’avaient donc rien de relaxant ; vidée de son jus, il y a bien longtemps, elle n’était plus aujourd’hui qu’une ombre ne recherchant même plus son ombre.

Tout le contraire de ce secouriste déterminé et plein de vie qui passe ses journées à venir en aide aux autres et voit en sa mission une noble cause qu’il s’affaire à défendre avec tout l’entrain qui le caractérise. Il est bon dans ce qu’il fait, tout le monde ne manque pas de le lui dire, même s’il ne prend pourtant jamais rien pour acquis et reste en permanence sur ses gardes lors de chaque intervention qu’il traite à chaque fois avec la même attention. Il avait tout de même une chance inouïe, cette chance parfois bien difficile à expliquer à ces gens à qui la vie sourit à pleines dents. Bien qu’il était évident que son travail l’obligeait à être confronté presque quotidiennement à la misère humaine, il savait aussi qu’il faisait bel et bien partie des privilégiés. Être confronté parfois à ce que la vie avait de pire le rendait plus fort et le motivait à être quelqu’un de bien tout en travaillant de toute son énergie pour s’améliorer encore. Ce n’était pas si simple de garder les pieds sur terre, mais avec un solide entourage tel que le sien, il y arrivait plutôt pas mal. Cet homme charismatique, qui avait le privilège de ressembler à un Apollon, inspirait confiance. Sa prestance, sa subtilité et son intelligence, venaient compléter un physique fier, une taille particulièrement honorable, en harmonie parfaite avec sa silhouette, dont le bleu profond de ses yeux parachevait la sincérité des traits de son visage tout aussi remarquable. Orphée savourait une fois de plus avec son équipe la fin d’une longue mission de sauvetage qui cette fois encore s’était soldée par une réussite. C’était toujours un soulagement pour lui et son équipe de rentrer le soir à la maison avec cette sensation d’avoir été utile à quelque chose. Lee leva son verre en l’honneur de son collègue et les autres en firent de même.

« À Orphée ! »

Le groupe enchaîna : « À Orphée ! »

« Je n’en reviens pas qu’après toutes ces années passées à bosser ensemble tu arrives encore à me surprendre Orphée !

–À nous bluffer oui ! renchérit le groupe. Comment fais-tu boss pour trouver toujours des mots aussi justes au bon moment ?

–Il va vraiment falloir que tu nous files un peu de ce don, tu es vraiment doué. »

Orphée souligna : « Nous sommes doués, c’est grâce à vous tous que chaque mission se solde par une réussite. Vous donnez toujours le maximum de chacun de vous, vous faites abstraction des choses futiles pour ne vous concentrer que sur l’essentiel et Dieu sait que dans ce métier il y en a besoin. Vous êtes les meilleurs équipiers avec qui j’ai eu la chance de travailler tous les jours et j’en suis très honoré. Levons notre verre à cette cohésion infaillible qui nous maintient debout. À NOUS ! »

En chœur tout le monde dit : « À NOUS ! »

Alors que le groupe déstressait en se chamaillant comme souvent, Lee se tourna vers son ami pour discuter et faire route ensemble en direction de leur véhicule respectif. Ils avaient bien mérité le repos qu’ils allaient tous prendre ensuite.

Les journées étaient parfois longues et affolantes, Orphée avait toujours su ce qu’il voulait faire de sa vie, venir en aide à ses semblables. Il savait qu’il ne pourrait pas les préserver de tous les tracas et malheurs qui pourraient éventuellement les frapper, mais il avait compris qu’il pouvait être un dernier rempart avant une chute définitive. Il prenait à cœur chaque intervention qu’il devait assurer avec son équipe et s’appliquait à chaque fois à donner le meilleur de lui-même, car au bout il y avait toujours une ou plusieurs vies à sauver et des personnes en détresse à rassurer. Il se levait pour ça, mangeait pour ça, dormait pour ça. Cela donnait un sens à sa vie et le comblait dans le rôle qu’il s’était choisi. Il avait la chance d’avoir une famille solide qui le soutenait sans jamais faillir, sa femme et sa fille étaient sa fierté, le socle de sa stabilité. Orphée était un homme comblé et heureux, il s’en rendait compte chaque jour et bénissait son Dieu de lui avoir fait grâce d’une telle vie. Lee faisait partie des personnes qui comptaient pour lui et l’aidaient à garder la tête froide, c’était son meilleur ami avec qui il avait vécu et traversé beaucoup de choses. Ils s’étaient toujours connus, cela remontait à l’enfance bien entendu, ils avaient grandi ensemble et étaient restés inséparables depuis. Faire ce métier tous les deux avait toujours été une évidence pour tous les deux.

« Tu prévois toujours de finir la chambre pour le mois prochain ?

–Je n’ai pas le choix, Mara me tuera sinon, elle veut cette pièce et elle y tient.

–Je viendrai ce week-end, à deux ça ira plus vite, mais je ne comprends toujours pas pourquoi tu refuses d’inviter les garçons à te donner un coup de main ?

–Trop de testostérone à la maison ! Heu, ça ne le fait pas, tu as oublié que j’ai une ado qui n’en fait qu’à sa tête en ce moment ? Nous avons besoin d’une certaine tranquillité pour nous faire comprendre et obéir, Mara est déjà dans tous ses états avec Clara, elle ne pourra pas en plus gérer les garçons.

–Tu n’as pas tort, mais juste pour un week-end, cela aurait suffi et t’aurait bien avancé je trouve.

–Ce n’est pas faux, mais bon ne t’inquiète pas, je gère.

–En tout cas je viens ce week-end, dis à Mara de préparer le barbecue.

–Viens avec Grace et les filles, conseilla Orphée à son ami Lee.

–Ça marche. C’est Grace qui va être contente.

–Mara aussi je pense, les filles lui font du bien.

–Je pense surtout qu’elles lui font penser à Clara enfant. Allez à plus !

–À plus Lee. »

Sur le trottoir d’en face un passant était complètement paniqué après avoir levé la tête vers le haut des immeubles, il se mit tout à coup à hurler.

« Oh mon Dieu, je n’y crois pas, appelez les secours, il y a une personne là-haut !

–Oh oui il a raison, vite, les secours ! Mon Dieu, fais qu’ils arrivent à temps. »

En moins de quelques secondes une foule immense s’amassa au pied de l’immeuble et les secours furent appelés. Ils mirent quelques minutes à arriver, et en un instant la zone fut bouclée. Les policiers qui patrouillaient dans le secteur avaient été attirés par les cris des passants et avaient pris les choses en main pour assurer une zone de sécurité autour du bâtiment afin de permettre aux secours une fois sur place de perdre le moins de temps.

Personne n’était capable de se prononcer sur ce qui se passait, cette personne sur le toit de l’immeuble s’était assise sur le bord du toit et ne semblait pas sensible aux cris de la foule. Elle risquait de basculer à tout moment et de tomber dans le vide. À moins d’être un malade mental ou une personne en souffrance, quelqu’un de sain d’esprit ne se mettrait pas de la sorte en danger. Il paraissait donc presque évident que cette personne veuille se suicider.

Il y a ce truc particulier en nous êtres humains qui fait que lorsque nous sommes confrontés à nos peurs les plus profondes nous paniquons et ne pouvons nous empêcher de hurler. Les mouvements et la cohue de la foule dans ce cas de figure auraient plutôt pour effet de précipiter cette personne dans le vide, alors ce qu’on espérait faire en hurlant produirait l’effet inverse du résultat escompté, mais allez expliquer ça à la foule.

Les secours étaient enfin là et les matelas gonflables furent installés au pied de l’immeuble. Orphée et son équipe n’avaient pas eu le temps de profiter de leur repos que cette nouvelle alerte au suicide les remit sur le terrain. Avec quelques membres de son équipe, ils montèrent au sommet de l’immeuble afin de se rapprocher le plus possible de la victime. Ce fut une fois sur le toit qu’ils se rendirent compte qu’ils avaient affaire à une femme. Une silhouette féminine, leur tournait le dos. Assise là, sur le bord, Orphée et ses collègues ne voyaient que des tresses joliment maintenues par une pince à cheveux et remontées au-dessus de la nuque. Elle était vêtue d’une élégante robe aux motifs sombres mais d’un raffinement exquis tombant asymétriquement sur son épaule gauche. Ce n’est que lorsqu’Orphée se rapprocha un peu plus d’elle, qu’il put constater que c’était une femme aux environ de la quarantaine. Elle avait sensiblement le même âge que lui. Bien sûr, ce type d’évènement attirait tout de suite la presse et celui-ci ne fit pas exception. Plusieurs hélicoptères tournaient autour d’eux, trop près même, au risque d’effrayer la victime et de la précipiter prématurément dans le vide. Orphée se saisit alors du haut-parleur et exigea que les hélicoptères des différentes chaînes d’informations s’éloignent afin de lui permettre de bien faire son travail.

Orphée commença par mettre de l’ordre dans tout ce désordre ambiant : « Je vous demande de vous éloigner, c’est un ordre, vous faites peur à la dame et votre vacarme n’est pas supportable. » Face à l’obstination de quelques-uns, il menaça de faire intervenir les forces de l’ordre : « Vous devriez nous laisser travailler, allez-vous-en et je ne le répéterai plus. » Son ton ne laissait aucun doute sur ses intentions, les hélicos finirent par obtempérer et s’éloignèrent sans vraiment disparaître. Mais au moins à cette distance les choses étaient plus posées et l’on pouvait à nouveau s’entendre. Alors Orphée rentra dans son rôle, celui de négociateur, celui qu’il savait jouer le mieux. Un semblant de calme était nécessaire pour tenter une approche en douceur et mettre la victime en confiance. La réaction de celle-ci était toujours imprévisible, il était donc absolument primordial de veiller à ne pas l’effrayer ni la brusquer. Calmement, il se rapprocha un peu plus de la dame et dit bonsoir. « Je m’appelle Orphée. Tout ce que je dirai n’aura de sens que si vous m’entendez et comprenez ce que j’essaie de vous dire. Les choses qui paraissent insurmontables aujourd’hui ne le seront probablement plus demain. Vous pensez certainement que tout est fini et croyez avoir tout essayé, mais ne dit-on pas qu’il y a une infinité de possibilités ? Vous ne les avez sans doute pas toutes envisagées, c’est pour cette raison que je pense que vous n’avez rien à perdre à envisager que j’ai peut-être raison et qu’il vaut mieux encore essayer au moins une fois. Vous manquerez sûrement à quelqu’un, je vous en prie, voulez-vous bien que je m’approche et vous aide à vous éloigner du bord ? On pourrait en parler tranquillement, s’il vous plaît ! Je voudrais me rapprocher de vous si vous le voulez bien ? » Devant l’absence de réaction de la dame, Orphée choisit la prudence et se dit qu’il vaudrait mieux ne pas trop s’avancer. La dame semblait calme, sereine, elle ne manifestait aucune agitation et ne semblait pas perturbée pour le moins du monde par tout ce vacarme autour d’elle. Alors Orphée avança avec prudence. Son expérience lui avait appris que les sujets calmes sont souvent les plus déterminés et très entêtés, il avait donc plutôt intérêt à la jouer finement. Tout le monde en haut et au pied de l’immeuble était suspendu aux instants qui allaient suivre. Ils étaient morts d’inquiétude de ne pas savoir ce qui se jouait là-haut. À ses côtés, ses collègues aussi ne masquaient pas leur anxiété, mais restaient très professionnels et sur leurs gardes. Tout comme Orphée, ils se méfiaient plus particulièrement des sujets calmes et détestaient ces cas de figure.

L’être humain a un instinct de conservation très poussé, malgré les aléas de la vie, les obstacles plus ou moins difficiles à surmonter, face à l’adversité, nous nous montrons toujours plus combatifs que jamais. Lorsque le renoncement fait son chemin dans notre esprit et que nous finissons par l’accepter, alors il n’est généralement plus possible de faire machine arrière. Cela devient plutôt apaisant, nous nous sentons soulagés et libérés de cette lutte sans fin, mais surtout de cette fin inéluctable, car après tout, mourir aujourd’hui ou demain n’est que la suite logique de notre destinée. Que peut-on apporter à une personne qui n’a plus le goût de la vie et qui souhaite en finir ? D’ailleurs pourquoi souhaitons-nous tant qu’elle reste en vie alors qu’elle souhaite s’en aller ? Est-ce pour faire face à nos propres peurs inavouées ou est-ce vraiment par altruisme que nous faisons tout pour la dissuader de partir ?

Orphée ne se posait pas toutes ces questions-là, il avait été formé pour empêcher les gens d’en finir avec la vie, il faisait jusqu’ici très bien ce pour quoi il était formé et comptait bien y arriver encore cette fois. Alors il relança la dame.

« Depuis tout à l’heure je parle seul, mais ce n’est pas très poli en votre présence. Pouvez-vous me dire comment vous vous appelez ? »

La dame resta silencieuse, mais il ne se découragea pas.

« Dites-moi au moins d’où vous venez ? Il y a certainement une personne que je dois prévenir, s’il vous plaît. Avez-vous une famille ?

« La vie n’est toujours pas très juste, je le sais grâce à mon quotidien, mais j’ai vu aussi très souvent se produire des miracles, des personnes qui avaient perdu goût à la vie reprendre pied et tout réussir sur leur passage. Ils sont plus heureux aujourd’hui que jamais. Parfois arriver à la fin de tout permet le plus souvent de faire un retour sur soi et se rendre compte qu’en fait nous avons encore autant à accomplir et certainement à donner. Vous avez encore tant de belles choses à vivre et à découvrir, ne renoncez pas maintenant, parlons-en, voulez-vous ? Laissez-moi m’approcher de vous, je vous en supplie ! »

Une voix posée et sereine sortit de la bouche de la dame, sans se retourner elle dit : « Bonjour Orphée. Je m’appelle Franchesca, Franchesca Mackenzie. »

Heureux d’avoir réussi à lui soutirer ces quelques mots,

Orphée sauta sur l’occasion, mais avec beaucoup de prudence, car rien n’était joué même si cela parut très encourageant pour toute l’équipe.

« Bonjour madame Mackenzie, moi c’est Orphée Mils, je suis enchanté de faire votre connaissance. Me permettez-vous de prendre place à vos côtés ? Cela serait tellement mieux pour discuter.

–Faites donc, je vous en prie. »

Cette suggestion fit réagir les collègues d’Orphée, qui manifestèrent leur désapprobation par leurs mines intriguées et inquiètes. Lee tenta par des signes de le dissuader, mais Orphée ignora les signes de son ami et prit place doucement près de Franchesca au bord du toit. Assis à ses côtés, Orphée put observer enfin son visage. Un visage d’une beauté troublante. Il devina presque ses traits sans pour autant avoir eu l’occasion de croiser son regard. Curieusement, à ses côtés, il ressentait une douceur extrême se dégager d’elle. Ce qui était plutôt étrange vu la posture dans laquelle ils se trouvaient. Situation bien plus bouleversante que sereine. Il pensa que c’était tout de même étrange.

« Madame Mackenzie !

–Je vous en prie, appelez-moi Fran.

–Merci de m’autoriser à vous appeler Fran.

–Ne me remerciez pas, c’est ainsi que tout le monde m’appelle.

–D’ici c’est beaucoup mieux, on s’entendra aisément avec tout le vacarme que font ces hélicoptères.

–Ils font juste leur travail, comme vous faites le vôtre en ce moment, ne soyez pas trop dur avec eux.

–Il est des situations où ils devraient s’abstenir, faire son boulot ne veut pas dire ne pas tenir compte du danger potentiel que l’on pourrait occasionner.

–C’est le monde dans lequel nous vivons. Qui se préoccupe encore des conséquences de ses actes ?! Ainsi va la vie!

–Moi je me soucie des conséquences de mes actes et j’espère vraiment ne pas être le seul.

–Vous faites allusion à moi, je suppose. Ne vous inquiétez pas pour cela, mes actes n’ont aucune conséquence et ne porteront aucun préjudice.

–Vous semblez être une personne réfléchie, pardonnez-moi de vous dire qu’il est difficile d’en être certain.

–Je m’en suis assurée. »

Fran était en ce moment précis la seule à avoir la certitude de son affirmation. Orphée doutait donc d’une telle plausibilité et ne manquait pas de le faire savoir. Bien évidemment, il veillait toujours à ne pas la contrarier. Il ne croyait pas qu’il soit possible de prévenir d’une peine ou d’une douleur, il était à peu près certain que l’entourage souffrirait, le vide et l’absence créeraient un manque. Il était donc évident que même si ceux qui restent taisent leur peine, elle n’en demeure pas moins présente.

2

Orphée avait réussi à instaurer un climat de confiance et de dialogue, il comptait bien en garder avantage.

« Dites-moi Fran, aidez-moi à comprendre s’il vous plaît, qu’y a-t-il de si terrible qui vous ait amenée jusqu’au bord de ce toit ? Je sais que c’est pour mettre un terme à une douleur devenue insupportable, mais avez-vous songé à ceux que vous laisserez derrière vous ? Leur douleur à eux ne s’estompera pas, ils vous pleureront, ne faites pas ça, restez pour eux. Vous ne pourrez jamais vous assurer que les gens ne souffrent pas Fran, c’est impossible.

–Dites-moi Orphée, depuis combien de temps faites-vous ce métier ? dit-elle avec sa voix posée et très calme.

–Depuis près d’une quinzaine d’années.

–Êtes-vous satisfait de votre job ?

–Plutôt, oui, je crois…

–Vous croyez ou vous en êtes certain ?

–J’en suis certain.

–Dites-moi donc, qu’est-ce qui vous fait le plus peur dans la vie ?

–Je n’ai jamais vraiment eu peur, mais j’avoue qu’en ce moment ma plus grande crainte est que ma fille fasse de mauvais choix qui impacteront son futur. Elle file un mauvais coton, sa mère et moi-même sommes très inquiets.

–Je suis désolée pour vous et votre femme. Comment s’appelle-t-elle ?

–Elle s’appelle Clara et elle vient d’avoir dix-sept ans.

–Que fait-elle de si terrible Clara ? Traîne-t-elle avec une bande de losers ? Sèche-t-elle les cours ?

–Non même pas, mais elle passe beaucoup de temps avec ses amis, un peu trop à notre goût, et a tendance à répondre mal quand elle est contrariée qu’on lui dise non.

–C’est une adolescente, presque une adulte, avez-vous songé à lâcher un peu du lest et voir ce qu’elle en fait ? Faites-lui un peu plus confiance, confiez-lui des responsabilités et observez sa réaction afin d’en tirer des conclusions. A-t-elle des frères et sœurs ?

–Non.

Elle se retourna un instant, pour la première fois depuis le début de leur conversation, et lui jeta un regard.

–Je peux penser sans trop me tromper qu’elle doit avoir un peu de votre assurance et un sacré caractère. Elle n’empruntera pas un mauvais chemin, elle a un bel exemple à suivre dans sa vie. Laissez-la vivre son adolescence sans trop projeter sur elle toutes les visions de la désolation humaine auxquelles vous êtes confronté quotidiennement. Tout ira bien, vous verrez.

Orphée profita de ce moment de confidence pour amener Fran à en dire un peu plus sur elle.

–Vous en savez certainement plus sur moi maintenant que moi sur vous. Avez-vous des enfants Fran ? Je vois que vous ne portez pas d’alliance, je suppose, donc qu’il n’y a pas de M. Mackenzie. Dites-m’en un peu plus, vous voulez bien ?

–Avez-vous un jour songé qu’il valait parfois mieux laisser une personne s’en aller sans essayer de la retenir ? Croyez-vous qu’il faille absolument pousser une personne à renoncer à sa dernière volonté Orphée ?

–Je crois que les gens ont souvent juste besoin d’une écoute attentive pour réaliser que ce n’est pas une bonne solution.

–Pourquoi penser qu’une personne prête à s’en aller cherche forcément une solution ? Peut-être n’aime-t-elle tout simplement pas la vie et cherche seulement à retourner là où on n’aurait jamais dû aller la chercher ? Qui pourrait dire ce que répondrait un enfant s’il était possible de lui demander son avis avant de le faire naître ? Qui ose prétendre détenir la vérité absolue et sait alors ce qu’il faut ou ne faut pas faire dans la vie ? Pourquoi pensez-vous qu’il faille absolument vivre Orphée ?

–Parce que je crois en la vie et estime que c’est une bénédiction.

–Si je ne crois pas à la même chose que vous et pense le contraire, êtes-vous capable d’entendre cela et de le respecter ?

Orphée était perturbé et quelque peu déstabilisé, il marqua un instant d’hésitation avant de répondre.

–Non. Je respecterai votre croyance, mais vous en dissuaderai tout de même.

–Pourquoi, si vous respectez donc ma croyance ? Pourquoi essayerez-vous de me faire épouser la vôtre ?

–Il ne s’agira pas de vous faire épouser la mienne, mais plutôt de vous en faire voir les bons côtés.

–Mais c’est vous qui voyez en cela de bons côtés, je ne conçois pas forcément les choses de la même manière que vous.

–C’est possible, mais en tant qu’être humain, nous nous sentons responsables les uns des autres et sans trop savoir pourquoi, nous avons ce besoin de voler au secours des autres.

–L’être humain ne devrait peut-être pas s’ingérer dans la volonté de ses semblables et devrait les laisser poursuivre leur propre voie sans vouloir à tout prix leur imposer une direction.

–Si nous agissons comme vous le suggérez, ne pensez-vous pas que nous nous dirigions droit vers le chaos ? Il y a besoin de règles et certaines limites pour un semblant d’équilibre.

–Qu’il ait besoin de règles et de limites, soit. Où justement situez-vous cette limite ? Quand est-ce que l’humain devient individu et peut lui-même gérer sa propre destinée ? Quand estimez- vous qu’une personne est à même de s’auto gérer ? Et quand la société doit-elle intervenir pour l’y aider ou l’enjoindre à rentrer dans les rangs ? Quand est-ce que la société comprendra que certaines personnes ne demandent pas à être sauvées et ne souhaitent que s’en aller ? Vous dites vouloir m’aider Orphée ? Après ce toit, pensez-vous pouvoir me suivre jour et nuit ou comptez-vous me faire interner pour être sûr qu’ils m’abrutissent avec des médicaments afin de m’empêcher de recommencer ? Quelle vie pensez-vous pouvoir m’offrir ? Ou vous n’y songez même pas et tel un automate vous ne pensez qu’à bien faire votre boulot ?

–Vous avez un accent, vous n’êtes pas de Chicago ? D’où venez-vous Fran ? Je vous assure que je n’ai aucune intention de vous faire interner, je souhaite juste vous aider, mais pour cela il faut que j’en sache un peu plus sur vous.

–Je vous parlerai de moi ou plutôt de ma vie, ensuite vous me direz si vous pouvez m’aider. Bien que je ne demande pas d’aide et que vous vous obstinez à croire le contraire, » dit-elle calmement et sereinement.

Pour certains, la vie peut se montrer très douce, clémente et avenante, mais pour d’autres elle peut aussi se révéler sans pitié. Fran fait partie de ces gens qui avant même d’être venus au monde, avaient déjà un destin hypothéqué. Des personnes nées avec des plaies si béantes au milieu d’une désolation manifeste qu’elles ne pouvaient que subir, malgré leur envie farouche de s’en extirper. Avec de tels destins emprisonnés, on en vient parfois à se demander ce qui les maintient en vie et pourquoi ils s’accrochent si farouchement à cette vie qui ne veut manifestement pas d’eux. Pourtant malgré ce triste constat, nous serions bien les premiers à les pousser à renoncer à l’envie d’y mettre un terme. Allez savoir pourquoi, mais nous restons hostiles, figés dans nos certitudes et nos croyances lorsqu’il s’agit de valider un renoncement ou tout simplement de détourner le regard et de laisser faire. Cela fait de nous des humains me direz-vous, la différence avec des animaux. Mais sommes-nous vraiment plus humains en obligeant des personnes contre leur gré de façon directe ou indirecte à vivre une vie qu’elles ne veulent plus ? Qui est capable d’affirmer qu’il tient cela du créateur et qu’il est bon de s’accrocher à la vie même bien souvent quand celle-ci ne demande qu’à se sauver ? Il y a plusieurs raisons qui poussent un être à passer à l’acte, le suicide n’apparaît jamais comme une fin en soi, mais plutôt comme un moyen de se délivrer d’une souffrance qui nous échappe. Pour ceux qui estiment ne laisser personne dans le deuil et le malheur, même quand il est prouvé que ces personnes resteront en souffrance tant qu’elles seront en vie, l’esprit se refuse à envisager une telle issue. Nous projetons tellement notre peur sur les autres que nous leur reprochons presque notre lâcheté. En quoi est-ce plus utile pour ces personnes de rester en vie dans un monde qui les ignore dont ils n’ont visiblement pas les codes, que de les laisser s’en aller ? Peut-être me diriez-vous que s’ils voulaient vraiment s’en aller ils ne l’auraient pas fait au vu et au su de tous ? Fran, il est vrai, avait songé à cette issue, après toutes les épreuves qu’elle avait traversées, elle avait souvent songé à cela, mais n’avait pas pensé au lieu ni à quand ça se ferait. La peine et le chagrin qui l’habitaient l’empêchaient de se projeter et d’organiser les choses de façon pragmatique, elle était juste certaine d’une seule et unique chose, plus rien ne la retenait dans cette vie, elle en avait fait le tour et ne l’aimait définitivement pas. Pour elle, la boucle était bouclée, elle voulait juste s’en aller. En sortant ce soir de ce restaurant, elle en avait acquis la certitude. Elle aurait pu se retrouver au bord d’une falaise, sous un train dans une gare comme au bord de la mer ou encore dans sa chambre d’hôtel, cela n’aurait rien changé pour elle. Où et comment cela se passerait était le dernier de ses soucis du moment que le résultat restait le même.