Serial Coureur - Pascal Burq - E-Book

Serial Coureur E-Book

Pascal Burq

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  • Herausgeber: Publishroom
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2016
Beschreibung

Quand l'obsession du meurtre se conjugue à celle du sport...Il avait organisé sa vie autour de la course à pied. Au hasard d’une épreuve, il goûte au plaisir du crime et trouve là un substitut à ses obsessions sportives, un nouveau rituel. Dès lors, il va s’imposer une épreuve par mois, un meurtre dans une course, avec un mode opératoire implacable qu’il reproduira sur tout le territoire et même en Outre-mer, jusqu’au jour où il est obligé de disparaître. Il rencontre alors son alter ego. Une névrose qui croise la perversité. Deux vies qui se mêlent, deux dégringolades qui s’entre choquent avec la mort pour raison de vivre.Ce thriller passionnant au rythme soutenu livre une intrigue à vous couper le souffle !À PROPOS DE L’AUTEURLa peinture pour première expression pour Pascal Burq : mes toiles m’ont conduit de Céret, où je vis, à Rome, en passant par Dresde ou Varsovie.Mes expériences picturales m’ont amené à écrire un premier roman, Ceci n’est pas un polar, dont l’intrigue se situe dans le monde de l’art contemporain. Amateur passionné de course à pied et d’ultra fond depuis 1984, c’est dans ce milieu que j’ai eu envie de situer ce second polar, en m’appuyant également sur mon métier de vétérinaire pour donner une caution scientifique à mon roman.

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Pascal BURQ

Serial Coureur

« La pensée est un oiseau de l’espace,

Dans la cage des mots

elle peut déployer ses ailes

Mais ne peut s’envoler. »

–Khalil Gibran

« Ceci n’est pas une autobiographie »

C’est probablement à l’occasion de ses interminables entraînements peut-être lors de ses longs raids en solitaire, sur le cirque de Maffat ou plus près de chez nous, soit à travers les Alberes, ou à la Carança que Pascal est allé puiser son inspiration. Sa connaissance de la course à pied nous happe et ses talents cachés d’herboriste nous tiennent en haleine de bout en bout.

Manifestement le coureur de longue distance galope avec ses démons. Après cette lecture, il est à se demander si la solitude du coureur de fond existe bel et bien. En tout cas Pascal semble trotter avec des idées derrière la tête.

Plus j’avançais dans cette intrigue et plus je m’apercevais que je suis un survivant de la course, avec mes quarante ans de pratique et avec mes trente-trois années d’expérience en tant qu’organisateur. Années durant lesquelles j’ai souvent fréquenté cet individu. Et n’ai eu à déplorer aucune victime.

Finalement personne n’est mort au marathon de Venise avec lui, pas plus qu’à Barcelone, sur les crêtes d’Espelette ou du Vignemale.

Par contre sur les pentes du Canigou qu’il affectionne particulièrement, ou à l’arrivée de la Ronde Cérétane, au mois de septembre vous vous poserez la question : où ai-je pu croiser ce type ? Et vous ne courrez plus sans vous retourner.

Jean Marie Honorio 

Fondateur de la Ronde Cérétane en 1984

Boss et Bipède d’or 1997

Et bénévole enthousiaste.

Première partie

Chapitre I

15 octobre 2014

La Réunion

La Diagonale des Fous

Avec ses babillages incessants, elle lui prenait la tête. Elle l’assommait et il n’en pouvait plus de cette course insensée. De cette vaine poursuite, dans la foulée de cet être insignifiant, grotesque cavale d’orgueil, inaccessible. Vingt bornes qu’elle le soûlait. Dans ces ravines de l’île de la Réunion, elle et lui, ils couraient depuis le petit jour. Ils avaient gravi La Fournaise, franchi la Plaine des Sables… Le dénivelé était pénible. Familier des courses de plus de cent kilomètres, la distance ne lui faisait pas peur. Pas plus que ces ascensions, si raides. Il s’était entraîné dans des cages d’escalier d’immeubles de la région parisienne, les dernières semaines. Pas moins de douze étages, gravis à un rythme d’enfer. Mais cette préparation de forçat n’avait pas été suffisante. Pour parvenir au terme de ces cent soixante kilomètres, avec les dix mille mètres de dénivelé positif à se farcir, pour cette traversée de l’île, mille deux cents mètres d’un seul trait, c’était beaucoup pour lui. Surtout dans ce brouillard sonore fait d’anecdotes idiotes, de descriptions insipides, de commérages et poncifs de tout genre dont il n’avait absolument rien à foutre, mais rien… Insupportable ! Et puis sa voix, sa voix, bordel ! Chuintante, acidulée, haut perchée, infantile et stupide… Sa voix lui vrillait les tympans. Il fallait que ça s’arrête : assez !

Minuit. Ils avaient conclu une sorte de « gentleman agreement ». Ils avaient décidé de s’associer, de mettre en commun leurs forces, pour progresser en binôme, dans la nuit. À Cilaos, à peu près à la moitié de la course, déjà, psychologiquement il se sentait cramé. Elle, elle affichait un mental d’acier inoxydable. Au ravitaillement, elle lui avait confié qu’elle en était à sa cinquième Diagonale des Fous, cette grande traversée de l’île de La Réunion. Ils avaient le même rythme, ils pourraient s’entraider. La nuit allait tomber. Elle portait une « frontale » de spéléo, très puissante. Au cœur des ténèbres, la lumière dissipe la peur. Libéré du stress, on économise de l’énergie. C’est le mental qui fait la force dans l’ultra-fond, c’est en puisant dans les ressources ultimes de son psychisme que le coureur trouve le carburant permettant de résister aux tentations de l’abandon. Ils pourraient courir de pair, le temps passerait plus vite, deux phares valent mieux qu’un.

Les organisateurs l’avaient écrit et conseillé : « Évitez de progresser seul dans le noir, formez des wagons. » Le leur était petit, tout petit, à peine un wagonnet. Dans un insupportable tortillard de mots, tout au long du chemin boueux qui contourne le Piton des Neiges, elle n’avait pas cessé de jacter. « Tu causes, tu causes », se disait-il. Dans ce nuage verbal, épousant les bancs de brume des contreforts, elle ne lui avait concédé que de rares moments de silence, pour reprendre son souffle. Elle ne semblait se résoudre à se taire, ou presque, que quand la pente battait des records de pourcentage. À côté de ça, elle assurait. Elle avait un cœur de folie, sûr ! Une éjection systolique à faire craquer un quatre temps de Harley Davidson… Au sommet, dans le bonheur d’une éclaircie, leurs yeux s’étaient posés sur l’océan Indien, au loin, au niveau du lagon baignant Saint-Gilles. Une trouée dans les bois-de-fers, branles verts et autres calumets, fougères et cafés Bourbon. Puis les nuages, couvercle hermétique vers la nuit, et le thermomètre qui perd 10 degrés. Le noir et la peur. Enfantine, irrationnelle.

La course avait démarré à 2 heures du matin. Ils trottinaient depuis dix-sept heures. L’hypoglycémie commençait à l’affaiblir, le rendant soudain vulnérable. Le parcours amorçait une descente, en douceur, elle lui parlait de son travail, de ses enfants qui venaient de trouver un job en métropole. Elle était de Lyon.

–Enfin une petite ville à côté de Lyon, Châlons… Non pas une petite ville ; quand même trente mille habitants, c’est pas rien… Tu vois, l’avantage c’est les distances. Par rapport à mes gamins, à Paris, qui perdent une heure matin et soir… Remarque, mon nouveau copain, lui, il a tout le temps du transport, c’est son métier ah ah… Représentant en matériel médical, qu’il est…

Oui, son nouvel ami, elle venait de divorcer pour se remettre en couple, son ex était infirmier, mais ça n’allait pas, alors… Alors.

« ASSEZ », pensait-il depuis une demi-heure. « ASSEZ, STOP ! », il fallait qu’elle arrête, qu’elle se taise. Il n’arrivait pas à se concentrer sur son souffle, sur ses mouvements, sur ses douleurs. Sa « frontale » éclairait mal. La luminosité intermédiaire le gênait. Entre chien et loup, on n’y voyait pas grand-chose. Les forces lui manquaient depuis le sommet. Sa foulée, d’habitude économe, devenait trop rasante. Ses godasses commençaient à frôler dangereusement les racines, il allait trébucher, peut-être tomber. Les guêtres légères avaient accumulé les grains de poussière des roches noires du volcan, dans le cratère. Au matin, il avait traversé la Plaine des Sables dans un rêve, bourré d’endorphines, dopé à l’enthousiasme dans la magie de ce jour naissant. Lumière orange aux reflets rouges, ombres noires et pourpres des coulées de lave éteintes, érodées par les siècles. Depuis, c’était l’enfer. Sur les bords du sentier, des formes menaçaient. Il accommodait mal, ses réflexes diminués le laissaient démuni devant des silhouettes informes, insecte ou chauve-souris ? Il hésitait. La laisser partir en avant ? Il serait seul dans le noir. Il se retourna. Aucune lumière derrière eux. Personne pour leur donner la chasse. Attendre un autre groupe ? Il risquait de tomber sur des gonzes de la même espèce. Devant eux, un écart stable les séparait toujours d’un petit groupe de trois ou quatre lucioles. Tenir le rythme, lui dire de la fermer ? Impoli. Il ne le sentait pas, il rongeait son frein. Une douleur au genou qui allait et venait… Des irritations sous les bras, au cul… L’humidité due à la transpiration et les frottements inavouables dans les plis intimes, autour du périnée, des fessiers. Les cloques sous la voûte plantaire. Les ampoules, il y était habitué, matelas qui éclatait à chaque course, à chaque longue distance affrontée. Tant qu’il laissait la chaussette bien en place, il n’en souffrait pas.

Et l’autre qui continuait à pérorer. Une petite montée dans laquelle il se trouva en difficulté puis un plat sur lequel elle ralentit.

–Tu comprends, mon gamin, j’ai vraiment eu du mal à l’avoir, j’ai été une mère tardive…

Comment en étaient-ils arrivés à parler de procréation ? Lui que ces sujets rebutaient particulièrement.

–La difficulté pour moi, ça n’a pas été la fécondation in vitro, non, pour moi le pire…

Il ne voulait absolument rien savoir du pire. Qui pourtant arrivait :

–Non, le pire, ça a été l’accouchement, à la naissance j’ai eu des déchirures incroyables qui m’ont laissé des séquelles.

Allait-elle lui décrire les lésions ? Il se taisait, incapable de comprendre pourquoi il attirait toujours les confidences les plus intimes. Ce n’était pas la première fois. Étaient-ce son maintien et sa réserve qui paraissaient bienveillants ?

–Tu comprends, ça a provoqué des lésions des sphincters, alors il me reste des fuites urinaires et lors des grandes courses c’est très pénible et douloureux. Ça crée des brûlures.

Ils ne se connaissaient pas deux heures auparavant et déjà, il savait tout, et le reste. Tous ses petits secrets dégoulinaient, féminité livrée, sans pudeur et sans gêne, sans retenue aucune. Il choisit de la laisser prendre un peu d’avance. Quelques mètres. Il voulait se concentrer sur lui-même, sur son épreuve. Il était habitué à s’entraîner avec des types meilleurs que lui : manquant de souffle, il les laissait parler, ne répondait jamais. Parfois un mugissement si on lui demandait, en plein effort, un avis sur la politique ou sur un film – avis qu’il était incapable de donner. En course, il se foutait de tout, et du reste aussi. Bientôt, il la rejoignit, ils entraient dans une gorge, bordée d’un abîme où coulait une rivière. Des randonneurs venaient y faire du canyoning, en journée. La falaise à main droite. Il s’était calé sur le côté droit du sentier. Il avait peur du vide. Vertige aggravé par l’usure, la fatigue de la course. Elle parlait et parlait encore, intarissable, incontinente… Ses entraînements à Chalon-sur-Saône… il n’écoutait pas. Elle était plutôt grande, un bon mètre soixante-dix-huit lui faisait quatre ou cinq centimètres de moins. Comme tous les coureurs, elle était mince, mais pas nerveuse. Une grande fille blonde dégingandée, tignasse serrée dans un bandeau vulgaire. Son odeur corporelle était forte, des relents de déodorant sur fond de transpiration aigre. Il l’aurait probablement trouvée jolie en d’autres lieux. C’était sa détermination qui l’avait impressionné quand ils s’étaient rencontrés au « ravito ». Séduit ? Probablement un peu. Il lui avait emboîté le pas. Elle était une guerrière, une vaillante.

Quelque part au milieu de la nuit, il avait perdu toute notion du temps. Ils avaient passé le col du Taïbit, et le Grand Bénare. Ils cheminaient vers Marla et la Rivière des Galets dans le cirque de Mafate. Il était las et inquiet. Le vide. Il se sentait appelé par le néant, il rasait le mur de la paroi, frôlant de sa main droite le rocher rassurant renvoya la lumière de sa « frontale » ; elle causait toujours. « Mais putain qu’elle se taise ! Qu’elle ferme sa grande gueule. » Comme il n’en pouvait plus, il la poussa. Simplement, et soudainement. Comme ça. Sans signe précurseur, sans avertissement préalable. Il ne savait pas même exactement pourquoi il avait fait ça. Il avait pris trois mètres d’élan et tandis qu’elle parlait, au bord du précipice, il s’était rué sur elle. Prenant appui sur son sac à dos il l’avait jetée dans le vide, évidemment. L’action avait duré trois ou quatre secondes à peine. Urgence imprévisible. Il fallait la faire taire. À tout prix. Elle avait crié un peu, dans sa chute. Sans déranger personne. Un bruit mat, un choc et quelque chose qui roule et s’écrase soixante-dix mètres plus bas, dans le grondement du torrent impétueux. Il ne sut que bien plus tard qu’elle était morte sur le coup. Les autorités émirent l’hypothèse d’une chute due à la fatigue. C’est bien pour éviter ce genre de pépin qu’on encourageait les coureurs à progresser au moins en binôme. On crut qu’elle était seule au moment de « l’accident ». Son corps ne fut découvert qu’après que la course avait été fermée. Elle avait pointé à Cilaos sans apparaître au check-point de Mafate. La portion du parcours fut ratissée. On finit par penser à ce ravin. Des sauveteurs y descendirent en rappel. Elle gisait au pied de la falaise, à trois mètres du cours d’eau.

Il avait une conscience aiguë et très précise de son crime. Mais il lui semblait que ses actions étaient celles d’un autre, le souvenir de son geste ne rôdait qu’à la périphérie de son subconscient. À la surface de son être. Et ce, depuis le premier instant. Il le garda dans les confins de son intelligence, flottant quelque part autour de son cerveau. Il n’était pas un mauvais bougre, juste un type un peu réservé. C’est peut-être l’effort inouï qui avait aboli son humanité. Il n’avait jamais été violent. Irascible probablement ; mais, bien éduqué, il avait toujours maîtrisé ses pulsions.

Cette nuit-là, il continua son chemin comme si rien ne s’était passé. Se retourna une fois ou deux sans voir aucun suiveur. Il ralentit et se concentra sur sa respiration. Quelques minutes après ce geste dément, il avait déjà oublié son meurtre. Il voulait se nourrir de l’air, se remplir de la brise nocturne. Il prit une barre aux céréales engluées dans du miel qu’il ne parvint que difficilement à insaliver, puis but un peu d’une boisson énergétique qui le dégoûta. Il ne devait pas flancher. S’hydrater peu et souvent. Il était en acidose depuis un moment. Les nutriments ne passaient plus de son estomac vers le sang, il se sentait en hypoglycémie. Trouver en lui-même du carburant, se remotiver, avancer, un pas après l’autre toujours en avant. Il devait s’éloigner de cette scène. Ce fut une motivation supplémentaire pour avancer, toujours et encore avancer. Il courait depuis vingt heures quand il déboula à Salazie. Il était minuit, il avait suivi son tableau de marche. Il se comportait comme un autiste. Centré sur un geste mécanique d’une régularité inaltérable. Névrosé au plus haut point. Il surjoua la fatigue à ce ravitaillement et en profita pour se faire masser. Il se remettait de ses soins quand sa compagne le rejoignit. Il restait quarante kilomètres et ils avaient prévu de les faire ensemble. Mais elle ne le sentait plus. La nuit était inquiétante, sans lune, seules les « frontales » éclairaient la montagne. Elle parcourut à ses côtés deux kilomètres en redémarrant de ce gros point de secours et de ravitaillement. Mais quand les dernières maisons eurent disparu et comme ils allaient être mangés par les ténèbres, elle renonça. Elle le rejoindrait sur la ligne d’arrivée. Quelques encouragements et une embrassade et il fut seul. Un peu après 1 heure du matin. Il savait qu’il aurait du mal sur ce dernier tiers de la course. Il repartit perclus de douleurs. Le massage, mal fait, ne lui avait procuré aucun bien-être. Mais il était encore dans ses temps de passages. L’ascension de Roche Écrite fut un calvaire. La falaise creusée de marches hautes de trente à cinquante centimètres le dépouilla de ses dernières ressources. Les quadriceps brûlants, tendus et tétanisés par les crampes, il vomit au milieu de la montée. Sa respiration devenait courte. Les intercostaux à vif, il ne pouvait plus respirer à fond sans risquer de douloureuses contractures de ces putains de petits muscles dont il n’avait jamais eu à connaître l’existence. Un type était mort à cet endroit l’année précédente. Épuisé, le coureur était tombé à la renverse dix mètres plus bas, sans raison, dans ce cas, et s’était rompu les cervicales. Même ses masséters lui posaient problème. Ses joues se tétanisaient quand il voulait aspirer l’eau de son camelbak. Boire devenait douloureux. Il se répétait les encouragements de son amie, mais il n’était qu’une loque. Au sommet, il but une soupe salée, des nouilles qu’il garda sans les rendre. Il restait vingt bornes. Une descente plutôt régulière : la roche volcanique empêchait les pas de glisser et bloquait le soulier. Les doigts de pied venaient heurter le bout de la chaussure, formant des hématomes sous les ongles qui s’arrachaient un à un. Du sang plein les chaussettes.

Il restait dix kilomètres. Il commençait à entrevoir la fin. Complètement cuit ; se résoudre à parcourir la distance en deux heures ? Une honte. L’impression d’avoir du plomb sur les épaules et de ne pouvoir décoller les jambes d’un sol gluant. Il aurait rêvé d’une présence, un soutien moral, son amie lui manquait, sa patience et sa douceur, elle l’aurait encouragé, le son de sa voix l’aurait réconforté. Il devait se rebeller contre lui-même, contre sa faiblesse. Les mauvais esprits n’étaient pas loin, les sirènes de l’abandon. Il était au-delà des mots, au-delà de l’entendement. Il devait être 6 heures du matin, la lumière d’abord très ténue puis plus assurée et enfin diffuse sur une mer de nuages assez proches du sol. Le nouveau soleil sur un océan d’un argent aux reflets métalliques. Persistait un peu de brume, mais qui n’empêchait pas de voir le chemin. Un deuxième lever de soleil sur la course. La nuit était derrière lui, comme la mort. Les premiers avaient franchi la ligne depuis six ou sept heures, il lui fallait souffrir encore trente minutes. Puis ce serait vingt minutes. Il ne comprit jamais comment il réussit à trottiner à nouveau. Dix minutes et puis cinq. Et les deux cents derniers mètres. Quarante secondes d’euphorie, avant que les nerfs lâchent.

Les yeux ne contiennent plus l’émotion. Sa poitrine parvient à se soulever sans douleur, dans un mouvement opposé à la respiration. Il pleure. Sans effort et sans s’arrêter. Il est avachi dans un coin. Sa compagne a repris la voiture de location. Elle l’attend depuis deux heures. Elle lui caresse les cheveux, l’embrasse. Va lui chercher un café. Il aura mis six heures pour les vingt derniers : lamentable, et dantesque. Adossé à un mur il refuse le massage. On lui offre sa médaille. Une putain de breloque. « Tout ça pour un bout de ferraille, un trophée dérisoire », pense-t-il.

Pas une seconde il ne songe à la coureuse qu’il a jetée dans le vide. Est-elle blessée ou en vie ? A-t-elle souffert ? A-t-elle même existé ? Il avait cheminé avec elle il y a si longtemps. Il se sent infect de la transpiration mélangée et collée par le sang qui a coulé de ses égratignures, ses chaussettes noires de la terre et des cendres de la Fournaise, des griffures des arbres épineux sur ses avant-bras et ses tibias, il ne ressent plus rien.

Le corps meurtri, il regagne leur voiture. Arrivé au bungalow, il se douche. Chaque geste est difficile, l’eau semble acide sur ses plaies et ne lui est d’aucun réconfort. Ses muscles sont durs, douloureux. Les postures pour se nettoyer sont instables, périlleuses. Il est mal sous la douche. Et mal, allongé sur un lit. Ses cuisses sont en feu. Il tremble et vibre de fièvre. Il ne dort pas, il est dans un état comateux. Assoupissement qu’un filet de bave souligne sur l’édredon et dont il sort moulu et hagard. Quelques heures off, et, en milieu d’après-midi, il rejoint son amante sur la plage. Il y est mal également. Le soleil l’agresse et le sable colle sur les zones lésées de sa peau. Le sel le brûle, il retourne à l’ombre.

Trois jours plus tard ; départ. Il monte dans l’Airbus pour Paris. Le canard local a publié un entrefilet sur le « décès accidentel » au cours de la course d’une concurrente du Grand Raid. C’était l’objet de quelques conversations de bistrot, sans plus, sans émouvoir le moins du monde les participants qui viennent de toucher au but après une année de sacrifices et d’efforts. La disparue leur était inconnue. Les autorités n’ont pas non plus surmédiatisé ce fait divers. Ne pas inquiéter la cohorte des touristes sportifs. Dans l’avion, c’est l’euphorie. Il regarde les autres passagers. L’avion a fait le plein de ses places avec les coureurs venus de métropole, qui rentrent au bercail. Il essaie de deviner qui a réussi la traversée. Ils forment une famille, un groupe de survivants. Certains, c’est évident, en gardent les stigmates. Les pieds aérés dans des tongs inadaptées à un retour citadin, mais bonnes pour les orteils endoloris, des hommes ridés dont les traits sont creusés. Un masque de douleur où brillent des yeux heureux ; « on y était ». Arborant fièrement le T-shirt « finisher » ou la casquette de la course, ils se réhydratent d’un air viril avec un bidon du Grand Raid. Des femmes aussi ; musculature des épaules et des bras parfaitement sèche, le cou bronzé jusqu’à la limite du débardeur. Elles aussi ont réussi. Elles n’ont pas glandé sur une plage mauricienne, non, elles ont traversé l’île. À marche forcée. Et elles ont survécu, elles.

Il regarde rang après rang les voyageurs qui s’installent et se sent exclu de ce groupe, il n’a pas ressenti de plaisir, de rêve au moment de franchir la ligne. Pendant le vol, il demande à l’hôtesse plus de fioles d’alcool qu’il ne faudrait. La position assise lui est inconfortable, douloureuse même, au bout d’un petit moment, il prend un peu de Myolastan, un dérivé du valium qui, associé à trois whiskys (même de mauvaise qualité) a toutes les chances de vous endormir pour plusieurs heures.

Il n’a pas cherché à parler à ses collègues de la course. Il se fout de leurs « perfs », du parcours, et de l’île. Il est riche d’une expérience bien supérieure à celle qui nourrit leurs souvenirs vulgaires. Il vaut beaucoup mieux, maintenant il le sait, même s’il a aussi compris qu’il est sur le déclin. Physiquement, il l’a senti. Les genoux et les ménisques commencent à crier dans les descentes. Son dos commence à fatiguer. Son coach le lui a dit : après quarante ans, vu son physique il aura peut-être à payer. Il s’en fout, maintenant, il a quelque chose en plus de tous ces coureurs banals. Un trophée secret. Bien plus précieux qu’une médaille. Il a tué. Et maintenant qu’il se souvient de cette nuit-là, il y trouve un plaisir fort et durable. Pas sur l’instant, c’était trop irréfléchi et fugace, mais secrètement il s’en gargarise. Il s’en repaît. Au fond de lui, cette différence le gonfle d’orgueil et de suffisance. Un sentiment indicible, mais puissant qui le galvanise.

Ils sont assis à l’arrière de l’avion ; sa copine lui flatte la nuque tendrement. Il est à côté du hublot et il l’observe. Elle l’embrasse, et, à voix basse, lui dit :

–Finalement, c’était pas des vacances cette course. Même pour l’esprit c’était pas reposant, avec ce départ dans la nuit, je suis encore crevée, moi.

Puis elle ajoute en lui caressant la cuisse :

–Alors mon lapin, maintenant que tu as accompli ce que tu voulais, réussi la course de tes rêves, on va pouvoir commencer à tuer le temps, non ?

Il la regarde, et, sans sourire, acquiesce d’un geste vague.

Chapitre II

Samedi 7 novembre 2014

La Courneuve

La soirée, vers 23 heures, en était à sa mi-temps. Il avait plu toute la journée, une pluie dense et opiniâtre qui annihilait toute velléité de se bouger. Les lumières étaient allumées à 15 heures. Et cette après-midi du samedi avait été pour la plupart un moment oisif et vide devant la télévision. Vers 20 heures, pas mal de monde avait quand même éprouvé le besoin de sortir, de renouer avec la vie. Hubert Boileau organisait sa soirée slam comme tous les seconds samedis du mois et finalement, Le Chat-Pitre faisait salle comble.

Hégésippe Boisripeaux s’était déplacé avec son fils et son amie Dominique. Devant le bar, des couples tendaient des vestes au-dessus de leurs têtes, des malins avaient pensé au parapluie, tous embouteillaient le trottoir pour pomper leurs dernières bouffées de cigarettes, avant de retourner au milieu de la horde bruyante, plus ou moins enivrée. Hégésippe fendit la foule pour atteindre le comptoir, contournant les petites tables et séparant les comparses pour se frayer un chemin, serrant de près Dominique tandis que, du haut de ses 16 ans, Benoît musardait écoutant des propos et observant les uns et les autres avec curiosité. Et matant les filles l’air de rien. Un air de rien qui amusait bien son père. Sa sœur était restée chez une copine, elle ne voulait pas passer sa soirée en famille, l’indépendance et la liberté d’abord.

–Salubert ! attaqua Hégésippe.

Ce genre d’élision amusait Boisripeaux.

–Vous êtes venu en amoureux ? hurla Boileau pour surmonter le brouhaha.

Rejoignant le bar, Benoît gueula :

–Plus un !

Et il sauta pour frapper la main grande ouverte de « l’ubert ».

–Cool, qu’est-ce que je vous sers ?

Hubert Boileau avait dépassé la deuxième moitié de la soixantaine, et il tenait son rade comme un capitaine de frégate, il ne quitterait pas le pont avant que tous ses clients soient en sécurité dans les chaloupes. En gros, l’idée d’une retraite lui foutait la trouille : alors il envisageait le futur en Corsaire éternel. Grand et costaud, ses épaules s’affaissaient un peu, ce qui lui donnait de la proximité pour le service. La bedondaine lui offrait une tournure aimable, et tout dans son visage mangé par une barbe hirsute lui conférait une belle humanité. Les cheveux mi-longs et blancs en périphérie et réduits à moins que rien au centre révélaient son âge. Comme les vieux tennismen, il avait beaucoup perdu au service. Si bien qu’il fallait parfois attendre avec patience sa consommation. Lubert passait parfois dix minutes à prendre des nouvelles des clients avant leur commande. Il valait mieux le savoir.

Dominique était gin-tonic et les deux garçons, Benoît et Hégésippe, sans alcool. Cidre pour l’un et une boisson pétillante acide et horriblement sucrée venue d’outre-Atlantique, pour l’autre.

Rafaël Merno était là, bien sûr. Il était l’un des commanditaires associatifs de la soirée. Il était venu avec quelques-uns des membres de son assoc’ : un groupe qui s’essayait à l’écriture de poèmes parfois de slam. Librement. Ce soir, aucun ne dirait de texte. Pas assez sûrs de ce qu’ils avaient écrit. Y’avait du level dans la salle.

–Ça va, toi ? demanda Merno à Hégésippe. Tu es par là en ce moment ?

–Oui, week-end familial, confia Boisripeaux à voix basse.

Deux ans plus tôt, il avait fait partie de l’assoc’ de Raphaël. Dominique l’embrassa et s’assit. Elle avait sauté sur l’occasion : une chaise libre dans ce petit enfer surchauffé. Elle prêta un coin du siège à Benoît qui y mit une fesse.

Le calme se fit dans l’assistance, un slameur venait de monter sur la micro-scène, faite de quelques fûts de bière, remplis d’eau, surmontés par une planche de contreplaqué marine de dix-neuf millimètres d’épaisseur. Un luxe pour artistes exigeants ; le tout servait aussi de loge et salle de répétition pour slameur angoissé. Deux petits rideaux noirs encadraient symboliquement la « scène ». Un volumineux spot écaillé et rouillé, récupéré aux puces de Saint-Ouen, égayait le petit espace. Un de ces gros éclairages super lourds qui pèsent un âne mort, qui chauffent et consomment une électricité folle, mais peuvent faire du vert du rouge du bleu du jaune et, non pas de l’orange ! Le verre orange était pété. Les « chut, chut, mais chut quoi, merde enfin », bruissaient sans le moindre effet. Georges entonna.

« Le dictateur

Le dictateur se foutait des impies

Il l’avait prédit tant pis

Sa lutte ce serait l’entropie

Il voulait qu’la Terre reste un paradis

Le dictateur n’était pas un homme

Un de ces humains à la gomme

Non l’dictateur c’était l’ordinateur

Élu par votes des surfeurs, des blogueurs.

Y’avait eu faillite des démocraties

Imagine un système dont tu t’moqueras si

Tu as le temps de vivre sans étouffer,

Pour baisser la température il avait tout fait. »

Le slameur mimait un type épuisé transpirant, à l’agonie, et gigotait sur son estrade minuscule.

Il avait une guitare en bandoulière, mais ne l’utilisait que pour ponctuer ses phrases d’un accord plus ou moins sonore, tapant sur la caisse pour se donner un rythme, un flot.

« Système automatique élu sans conteste

Après qu’les assemblées, je le confesse

Ont toutes voulu ce système dément, et qu’on teste

Le meilleur d’entre nous écrit un con texte

Le moins pire de tous dans l’contexte

Les étudiants trouvaient ça fun les vieux et le reste

Moutonniers avaient acquiescé, agréé la peste

Aux soucis humains avait une clé mathématique,

Faire baisser la fièvre ambiante était sa thématique.

Une solution simple et rapidement rentable

Qu’appréciaient les vieux, gens aimables :

Flinguer les jeunes de moins de trente ans

Par des militaires de carrière : projet tentant.

Vraiment pour les impies tant pis

Et puis il l’avait prévenu tout prédit

Fallait bloquer les électrons tapis

Autour de la Terre ce joli paradis.

Alors le dictateur, des Zinterdits avait posté :

Pas bouger, pas travailler, pas baiser

Pas courir, s’agiter, aggraver la température,

Si tu trichais paf, tu paierais la facture.

Puisque les guerres thermogènes étaient abolies

On utiliserait les militaires bien polis

Pour buter éliminer les excités thermiques

Les masses chaleureuses et les termites.

Vraiment le dictateur assumait tant pis

Pour les rebelles consumés et tapis

Résistants excités dans le maquis

Fallait sauver la Terre ce joli paradis.

Le dictateur avait bien réussi

On aurait fêté cela dans la rue, si

Il n’y avait eu ces morts à la pelle

Ces excités qu’avaient eu l’dernier rappel.

On les avait enfouis, finies la fumée, la vapeur

Personne ne bougea partout on creva : peur

D’aggraver les degrés on ouvrit des charniers

Fumier fertile et force de repousse du lisier

Une culture thermophile, verte et si belle

Les militaires avaient aussi exterminé les rebelles

Avec des balles dans la boule des si beaux débiles

Plus de manif abolition dur des indus décibels.

Ainsi l’atmosphère baissa de quelques degrés

Belle réussite pour les gradés plus d’air dégradé

Bloquée la montée des eaux dégradées,

Chacun cantonné inerte son énergie gardée.

Étaient morts : l’amour, l’envie, la joie, la folie

On passa des journées entières d’attente au lit

Pour permettre enfin une mort lente

Fin terne au terme d’un’vie démente.

Le dictateur l’avait vite appris

De lui-même acquis un tel mépris.

D’un seul coup s’autodétruisit

Coup de maître bien réussi.

La création la liberté au final parada

La Terre resta pour tous un joli paradis. »

Le public avait rigolé, d’abord surpris presque choqué puis intéressé par le thème. Un joli calme avait accueilli la prestation. Puis les applaudissements avaient éclaté. Benoît était enthousiaste :

–Il est trop cool ce type, tu le connais ?

–Georges ? Oui, c’est un habitué, mais c’est aussi son métier, lui répondit Hégésippe.

–Enfin il essaie d’en faire son métier, répéta et dit Merno. Il y arrive parce qu’il est intermittent du spectacle, mais il l’a parfois dure. Par contre, tu vois bien que la scène est sa seconde maison. Il fait le show. C’est un niveau supérieur à celui de notre groupe. C’est d’ailleurs pour ça que nous ne participons pas ce soir. Les clients l’adorent. Attends un peu il doit en refaire un plus tard.

La soirée se poursuivit, les textes se succédèrent. Puis les consommateurs se dispersèrent. Après une heure, ne restaient que des vieux habitués. Benoît regardait son père avec insistance.

–Vas-y pose-lui ta question. Hubert, mon fils à un truc à te demander.

Benoît prit la parole.

–Je me demande pourquoi tu tiens un bar.

–Pourquoi fait-on les choses… c’est compliqué, tu sais.

–Mes potes au bahut m’ont dit que t’étais prof avant ?

–Et il court le bruit que je me suis fait virer ? Tu sais – il hésita – c’est pas complètement faux, pas tout à fait exact non plus.

Hégésippe voyait Hubert embarrassé.

–Tu vas pas embêter Hubert avec ça, il est tard, dit-il.

–Non, non ça me gêne pas, mais je vais la faire courte pour ce soir, je vous raconterai tout ça plus en détail une autre fois, si ça vous chante. En fait, j’adorais mon boulot, et j’avais une méthode mise au point dans les années 1980 qui ne plaisait plus à ma hiérarchie. Pourtant j’avais de très bons résultats, mais trop de lettres de parents. J’ai bien réfléchi et j’ai démissionné. J’avais toujours eu dans l’idée de quitter la fonction publique et de créer un lieu atypique ou les gens se sentiraient en confiance. Le Chat-Pitre c’est exactement ce que je rêvais de faire, alors tu vois… ?

–Ouais, c’est cool, mais je te vois pas en prof.

Il n’y avait plus grand monde au bar. Pour les questions personnelles, c’était le bon moment.

–Je te raconterai un de ces quatre, dit Boileau. Tu verras, je me débrouillais avec les lycéens. Ça a été aussi un bon moment, dit-il songeur. Et toi Hégésippe ? Cette formation ?

Il avait changé de sujet à dessein.

Boileau aimait bien ce métis au prénom improbable qui venait chercher, chez lui, des mots, de la vie et du sens.

–Bof, tu sais c’est quand même prenant, répondit Boisripeaux à voix basse.

Il ne voulait pas trop parler de lui. Son métier n’était pas en adéquation avec le lieu ni avec l’opposition à « l’ordre » animant le plus souvent les jeunes slameurs. Dans ses instants de détente, Hégésippe préférait éviter d’incarner la sacro-sainte autorité. C’était un type organisé, qui ne vivait pas selon des principes très rigoureux. Il ne se sentait pas en charge des affaires du quartier. Hégésippe Boisripeaux pensait plutôt à l’esprit des règles plutôt qu’à leur lettre. Cependant depuis l’affaire Piaget l’année précédente, plus grand monde au Chat-pitre n’ignorait qu’il avait été le principal acteur de la mise hors d’état de nuire d’un tueur en série. Ici, Hégésippe, type discret dont les sangs mêlés évoquaient un brassage culturel infini faisait partie des murs. Il avait lui-même écrit de bons textes. Il avait même participé à quelques soirées. Quelques grognons avaient, certes, déserté le bar devant sa présence, mais, globalement, il ne faisait plus fuir les consommateurs, et pas non plus les écrivains. Il avait son aura ; chasseur de serial-killer, c’était quand même quelque chose. Métis antillais par son père, et « métro » par sa mère, il ne la ramenait pas, il filait volontiers des coups de main lors des soirées, et il ne picolait pas, ce qui n’était ni de la coquetterie ni une philosophie, mais un dégoût profond pour la saveur sucrée et doucereuse des alcools. Cela lui permettait de garder une grande efficacité quand trop de monde se pressait au bar et que Boileau se trouvait complètement dépassé. Ce qui était fréquent.

–Le plus étrange est que je me sens plus d’atomes crochus avec des jeunes types issus d’un master de droit qu’avec les collègues passés, comme moi, par le concours interne.

–Peut-être une question d’imaginaire, et puis tu ne représentes pas le policier typique. T’es un peu en marge…

–Quoi ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule, intervint Dominique en plagiant un chanteur populaire, et en rigolant.

–Je sais pas, dit le futur commissaire. En tout cas, certaines soirées sont longues. Heureusement que les modules d’enseignement sont souvent faits par des types passionnés.

–Ah ouais, tu y trouves ton compte ?

–Eh bien ! figure-toi que oui, je suis toujours séduit par le professionnalisme des intervenants. En plus des collègues policiers, ils font venir des sociologues des philosophes et parfois des journalistes. Ça alimente la réflexion et le débat. Tiens l’autre jour ils avaient fait venir un journaliste1 qui a passé trente ans à faire la chronique judiciaire d´un grand quotidien national. Ce type avait écrit un bouquin dont un des arguments était de critiquer l’exclusion dans les statistiques des crimes dits « mineurs ». Mineurs par la somme d’argent qu’ils représentent, en fait moins de cent euros. Mais du coup tu perds un marqueur social majeur. Par exemple, on exclut des délits punissables, la boîte de cassoulet volée au supermarché. OK, c’est bien, tu vas pas mettre en taule un petit papi qui a volé du pain. Mais le symptôme de dégradation sociale que représente le fait de voir un retraité se trouver dans l’obligation de voler, tu le zappes et tu fais baisser les chiffres de l’insécurité. C’est un double mensonge, parce que l’insécurité ce sont les papis qui en sont les victimes à deux titres : insécurité économique due à des retraites dévalorisées et insécurité physique parce que, s’ils touchent une toute petite pension, ils risquent de faire partie des cibles des racailles qui braquent aux distributeurs, kidnappent les vieilles personnes sur les parkings de supermarché ou qui escroquent et abusent des gens faibles, et ceux-là sont pléthore.

–Et ça, c’était à ton cours de commissaire ?

–Hé ! oui, après il y a eu un matheux qui essayait avec un traitement mathématique de prouver qu’il n’existait pas L’INSÉCURITÉ monolithique et fourre-tout, mais qu’on devait comprendre LES insécurités et les définir par groupes cibles et par tranches d’âge, de revenus, etc. Si on voulait les traiter, c’était aussi une approche très intéressante.

–Tu vois, là, je te comprends mieux, et c’est souvent comme ça ?

–Oui, monsieur. Même en droit ils arrivent à nous accrocher, c’est dire !

Et il lança un coup d’œil moqueur à son amante.

–Alors là, chapeau ! renchérit Merno, parce que le droit c’est quand même un truc…

Dominique s’interposa.

–De toute manière vous êtes des dinosaures, vous autres les commissaires vous êtes des personnels de la fonction publique appelés à disparaître.

Dominique était juriste, avocate en droit social. Elle ajouta :

–Pour des raisons budgétaires ou politiques, je ne sais pas quel sera le déclencheur, le corps des officiers de police bouffera un jour le corps des organisateurs que vous formez.

Hégésippe la regardait, amusé. Elle continua en se dandinant. S’adressant à son amoureux :

–Hé ! oui, mon gros Loulou, tu te seras cassé la tête pendant dix-huit mois pour des clopinettes.

–Ouais en tout cas ça m’aura permis de prendre mes distances avec le dangereux corps de la justice, répliqua-t-il en l’enlaçant.

Analyste subtil, Boileau glissa :

–En plus, Hégésippe, même si toi tu t’en fous ou si tu as de bonnes relations avec ceux qui ne sont pas sortis du rang, ça doit en emmerder plus d’un qu’un type devienne commissaire sans même avoir connu le jus de chaussette macérant dans les commissariats.

Hégésippe le regarda et, sans rien répondre, hocha la tête. Puis il embrassa Dominique.

1. Je sais c’est improbable, mais on peut rêver…

Chapitre III

Le retour en métropole avait correspondu au changement d’heure – cette décision administrative d’un énarque génial qui avait réussi à convaincre un président de la République de la possibilité de plier la nature aux nécessités économiques et sociales. Deux décisions formidables s’en étaient suivies, la nucléarisation monolithique du pays et le changement d’heures. Ces deux mamelles de la politique giscardienne correspondaient parfaitement à sa dépression. Le nucléaire dans la mesure où il se disait qu’on allait tous mourir, irradiés ou pas ; et le changement d’heure parce que l’entrée dans la nuit, à 17 heures, le poussait, comme beaucoup, au bord du suicide. Il l’avait lu sur les forums de course à pied : après une performance comme le Grand Raid, un syndrome dépressif est fréquent. Perte de motivation, sentiment d’avoir parcouru jusqu’à l’extrême limite un cycle insurpassable et de ne pouvoir se relancer vers un autre horizon… Lui, en tout cas, il plongeait grave. Plus d’entraînement ; au début, un peu d’alcool pour soigner sa glycémie, depuis qu’on lui avait vanté les effets bénéfiques du rouge comme antidépresseur, et puis une longue descente vers l’abus d’alcool pour soigner les langueurs des soirées commençant à 18 heures, et qui s’éternisaient, avachi sur le canapé à mater un porno après minuit. Il se sentait nul et n’avait plus d’envie. Un médecin lui parla des acides gras précurseurs des phospholipides, qui permettaient d’avoir des cellules du cerveau en bon état. On lui conseilla diététique et sérotonine, on lui causa neurotransmetteurs, antidépresseurs, etc. Peu à peu, il parvint à reprendre l’entraînement. Seul. Le week-end. Il n’avait plus mal, mais il était lent, un automate. À la mi-novembre, sur un coup de tête, il décida de s’inscrire à la SaintéLyon. Il lui restait trois semaines pour s’y préparer.

Cette course était une nocturne de plus de soixante-quinze kilomètres. Pas raisonnable. Il se savait douloureux. Le dos en compote. La charnière lombo-sacrée. Peut-être de l’arthrose… Peut-être un disque… L’avenir était sombre pour le coureur qu’il avait été. Et puis il était en colère. Plus de dix mille coureurs ! N’importe quoi ! Ils avaient clos les listes et il n’avait été repêché que par un obscur tirage au sort. En plus, ces enfoirés avaient augmenté leurs prix. Non seulement on te faisait sentir que les princes t’offraient un privilège en t’acceptant dans leur épreuve, mais en plus ils te dépouillaient !

Quand il avait commencé vingt ans auparavant, ils n’étaient qu’une poignée à se lancer sur des ultras. À Belvès, un cent bornes dans le Périgord noir, il se souvenait avoir pris son dossard trois jours avant, ils n’étaient que trois cents sur la ligne. Vraiment il en avait marre de la complexité des choses. L’inscription Internet et cette saloperie de carte bleue qui n’avait parfois pas assez de crédit, alors payer en différé ? Se faire niquer par PayPal ou American Express, ou je ne sais quoi, et le numéro crypté qu’il n’arrivait plus à lire tant le verso avait été usé. La dernière fois il avait dû attendre un SMS de confirmation avec un code de la banque. Il avait oublié son portable au boulot et n’avait pu finaliser la transaction, rageant ! L’avenir s’assombrissait. Il se serait noyé dans un verre d’eau. Il était souvent pris d’accès de désespoir, auxquels succédaient, mais de moins en moins souvent, des phases d’euphorie, trop brèves. Seul élément favorable : il ne ressentait aucune douleur, ni dans le dos ni aux genoux. Il acheta sa place, et paya comme s’il allait à un spectacle. Une représentation dont il serait un des acteurs. Il était taciturne et désagréable. Sa copine lui proposait des sorties, il refusait. Systématiquement. Il n’avait plus ri depuis leur retour de La Réunion. Ils avaient eu la course comme lien, les week-ends et parfois lors des entraînements en semaine. Mais depuis le Grand Raid, il évitait de l’accompagner. Elle pensa que c’était parce qu’elle allait plus vite, alors que, lui, il était plus endurant, plus têtu. Elle lui rappelait de plus en plus le dossard 1667. C’est le numéro qui était resté imprimé dans son cerveau. Quand il l’avait projetée dans le ravin, ce numéro qu’elle avait collé sur son camelbak avait été éclairé par sa « frontale ». Et puis elle avait disparu. Et reparu… Un spectre, un fantôme… Il y pensait en permanence, maintenant. Il avait regardé la liste des inscrits et trouvé le nom de famille de cette Corinne. Il l’avait traquée sur Facebook, allant voir sur son mur, inspectant les photos. Mais pas de remords. Pas le moindre sentiment de culpabilité. Une satisfaction, perverse, étrange, muette. Elle était son trophée secret. Il fit une demande pour devenir son « ami » sur le réseau, étant le mieux placé pour savoir qu’il n’y aurait pas de réponse… Elle restait sa proie, qu’il lui fallait serrer toujours de plus près, cerner… sa proie. Pour se justifier ?

La tension devenait palpable dans leur petit deux-pièces. Un appartement où finalement il regrettait de ne plus être seul. Les repas sans paroles ingurgités sur le pouce devant une télévision faisant un bruit à peine suffisant pour souligner que leur relation volait en éclats. Virginie tomba par hasard sur son bulletin d’inscription à la course. Elle lui demanda gentiment s’il pensait raisonnable de s’infliger une longue distance nocturne six semaines après une épreuve comme celle de La Réunion. Il ne répondit pas.

–Et puis tu aurais pu m’en parler. C’est le genre de truc qu’on aurait pu faire à deux, on aurait même pu monter un relais, et prévoir un week-end cool dans le vieux Lyon en posant des RTT.

Il ne répondit toujours pas. À peine un borborygme qui une fois décrypté pouvait vouloir dire : « Pas envie. »

–Comment ça tu n’as pas envie ? De quoi n’as-tu pas envie ? Que je vienne ou de passer un week-end à Lyon avec moi, je ne comprends pas…

–Les deux.

–Les deux ! C’est tout ? C’est tout ce que tu as à me dire, parce que je te signale que depuis un mois c’est la soupe à la grimace tous les soirs, on ne partage plus rien et on n’a pas baisé une fois depuis notre retour.

Il ne répondit rien.

–Eh bien parle, dis-moi quelque chose merde, ça fait quand même six mois qu’on est ensemble, je ne te reconnais plus.

Elle criait presque.

–Mais tu pourrais répondre, me causer, vivre quoi ! J’en ai plus qu’assez de ton attitude, de ton absence permanente, puisque c’est comme ça je vais au ciné. On en reparlera demain matin.

Quand elle rentra deux heures plus tard il dormait dans le lit. Semblant on ne peut plus calme, dans son sommeil. Elle avait détesté le film. Pleuré un peu en attendant que la séance commence, avant de se barrer sans attendre la fin. Réfugiée au café qui ne fermait qu’à 1 heure, elle avait bu un bon petit coup de rhum. Le voyant allongé, serein, elle le traita de salaud, prit ses affaires, et déroula un tapis de sol devant la petite table, un oreiller, laissant la lumière allumée dans la pièce. Elle voulait lire, sachant qu’elle ne pourrait dormir. Trop énervée. Elle lui donnerait une chance le lendemain matin. « Oui c’est ça, se dit-elle, s’il s’excuse, on verra. »

À l’approche de l’aube, elle s’assoupit un peu, juste assez pour ne pas le voir s’habiller, prendre ses clés et sortir en enjambant sa couche. Il n’y eut pas de discussion. Quand elle trouva l’appartement vide, elle fut étonnée, puis inquiète. Mal réveillée, elle finit par se souvenir de la soirée de la veille, et la colère prit le dessus.

–Quel salaud, non, mais quel salaud ! dit-elle à haute voix.

Elle décrocha son téléphone et l’appela une fois, puis deux. La troisième fois elle laissa un message.

–T’es vraiment un minable, un moins que rien, commença-t-elle, avant de se calmer, et de lâcher, glaciale : je me casse, je viendrai chercher mes affaires ce week-end !

Puis, dans un murmure, et sur un ton de tendre reproche : « C’est quand même dommage que tu sois un connard. »

Il n’écouta pas ce message jusqu’au bout. Il n’entendit jamais les regrets ni la tendresse cachée gisant au fond de ce répondeur. Il ne rappela pas, et quitta Paris pour le week-end. Il était satisfait de ces adieux médiocres, et de cette carapace d’indifférence qu’il se constituait.

Qu’avait-il en tête quand il s’était inscrit à la SaintéLyon ? Avait-il un plan bien huilé, prêt pour ce 6 décembre ? Pas sûr. L’atmosphère était électrique et joyeuse dans la salle omnisports de Saint-Étienne. Le vaste gymnase dans lequel ils étaient entassés, troupeau volontaire de névrosés et masochistes débordant d’enthousiasme, regorgeait d’énergie. Avant minuit, l’ambiance commença même à déteindre sur lui, à le gagner un peu. Pris à la gorge par la force du défi, il passa par l’envie fugace de tracer sa route, dans la nuit et sous la neige, dans ces monts du Forez, en direction de Lyon. En attendant le départ, le classique « We are the champions ! » chanté par Freddy Mercury, et craché par une sono dépassée, parvint à le galvaniser. Il y avait des types qui avaient couru La Réunion, leurs T-shirts l’attestaient. Dans son sac à dos, il avait mis des AINS2, pas pour se doper, juste pour la douleur. À quoi pensait-il quand il avait ajouté ses comprimés de Temesta ? Lui seul pourrait le dire. Il avait décidé de la jouer super cool, au risque de marcher plus que de courir. Il pleuvait par intermittence, juste un crachin, qui ne rendait pas l’effort pénible. Sauf que des portions de chemin s’en trouvaient boueuses, lourdes. La nuit était très sombre, mais la neige dans les prés autour de la ville produisait une certaine clarté.

Il démarra doucement, selon une technique qu’il n’avait plus essayée depuis longtemps. Cinq minutes de course une de marche. Son collant le gênait un peu au début. Les guêtres étaient efficaces, il avait le pied sec. Il portait ses semelles pour éviter son penchant à la supination, ce mouvement néfaste du pied qui engendre un mauvais appui, d’où un dysfonctionnement des genoux, souvent des problèmes de ménisque, et de l’arthrose à terme.

Il avançait prudemment. Au ravitaillement des vingt bornes, il la repéra. Elle était seule avec sa « frontale » et boitillait. Lui qui n’avait pratiquement pas parlé depuis des semaines entama une conversation débonnaire. Des propos badins, qui rassuraient. Des types qui faisaient le parcours en équipe s’étaient relayés. Ils les doublèrent à plus de 14 à l’heure. Efficacité déprimante. Il se remémora la nuit du Grand Raid. Il prodiguait des conseils à cette jeune coureuse en difficulté. Elle avait mal aux hanches, il l’encouragea. Lors d’un ravitaillement, elle s’assit. Elle était usée, en plein bad trip. Elle s’était super entraînée, peut-être trop. C’était sa course de l’année. Il lui parla des comprimés antidouleur.

Avait-il prévu la permutation ? Il faisait noir, il était 3 heures du matin, et il l’avait mise en confiance. Il l’avait soûlée de gentillesse, de propos pleins d’expérience. Les autres les dépassaient, il était le proche, le confident, le père. Il lui donna les pilules. Mais au lieu des anti-inflammatoires, il glissa ses anxiolytiques. Ça ne soulagea pas, bien sûr, ses douleurs : au ravitaillement suivant, quarante minutes plus tard, il proposa une autre dose. Fort de son vernis médical, il lui donna quelques explications bienveillantes… Les doses toxiques, les doses efficaces… Après avoir ingurgité quatre cachets, dix kilomètres plus tard, elle dormait en marchant. Il dut la soutenir un peu. Des grappes de coureurs les doublaient, filant dans les ténèbres. Le bruit feutré des pas, amorti par la terre grasse et trempée, et le cliquetis des bâtons, que quelques concurrents avaient adopté, perturbaient parfois le calme de leur marche forcée. Puis ils glissaient dans le noir. La vaste troupe étirée sur des kilomètres leur laissa des instants de solitude. Un chemin perpendiculaire au leur menait à une grosse ferme ceinte d’un mur impressionnant. Des pierres calcaires de taille et des volets lourds en bois massif d’un autre âge. Éclairée dans le lointain par une mauvaise ampoule au-dessus d’un perron majestueux. Un corps de bâtiment qui ménageait des recoins obscurs. Il l’assit sur une borne kilométrique et lui mit sa couverture de survie. Elle dormait. Il avait un sac-poubelle dans lequel il avait roulé son vêtement de rechange. Il mit son sweat, il ne voulait pas prendre mal, ne pas se refroidir, il avait du travail… Il lui passa le sac sur la tête, et l’étouffa. Elle ne fit aucun bruit, ne résista qu’à peine. Trois minutes passèrent… Il l’accouda à ce mur de pierres centenaires, majestueux, où rampait un lierre exubérant, envahissant, descellant quelques blocs, dont les racines fichées dans le moindre interstice rendaient l’endroit inconfortable, humide. Elle paraissait toute petite. Toute recroquevillée, et tellement morte.

Il continua son chemin. Il devait être 4 ou 5 heures du matin. Il se sentait bien. La tête bourdonnante, pleine de pensées, de projets, il ne pensait plus à son effort… Il trottina sans peine, allègre, jusqu’aux quais de Saône, puis jusqu’au bord du Rhône, où la course prenait fin. Et il rentra chez lui. Apaisé, libéré.

L’affaire ne s’arrêta pas là, il ne le sut pas. Les organisateurs, les secouristes et finalement les gendarmes ne comprenaient pas ce décès. La famille, accablée, ne l’acceptait pas. Elle était révoltée. La position incongrue du corps, sagement assis et enroulé dans la couverture de survie, était étrange. Les enquêteurs découvrirent un sac-poubelle à quelques mètres du corps. Il était farci d’empreintes digitales. Les analyses y firent également apparaître de nombreuses particules d’ADN. Elles appartenaient à deux personnes différentes. Des examens poussés le montrèrent, avec un peu de retard. On identifia sans peine et sans surprise celles de la victime. Les enquêteurs se mirent à la recherche de la seconde.

Que s’était-il passé exactement ? La réponse était dans les mains du légiste.

L’autopsie et les analyses sanguines firent apparaître les produits soporifiques, des dérivés du valium. Les gaz du sang, prélevé quelques heures après la mort, évoquaient la cyanose : dans le même processus que pour les personnes intoxiquées par le CO2, mais, là, c’est de la victime elle-même qu’était issu ce gaz. Il s’était accumulé dans le sac. La personne avait donc été étouffée. Des marques post mortem à la base du cou témoignaient d’une pression exercée sur les muscles. Une strangulation légère. On commença la recherche de témoignages. L’enquête était conduite par la SRPJ de Lyon. Une dizaine de fonctionnaires furent mobilisés. Ils ne négligèrent aucun indice. Ces flics étaient supporters de l’OL, le club de foot du Président Aulas. Ils ne partageraient pas facilement leurs trouvailles avec des « keufs » du PSG. Mais ils faisaient le job.

Dans quelle tranche horaire le meurtre avait-il été commis ? Elle avait été enregistrée à différents points de passage, et on la retrouvait à Sainte-Catherine à 1 heure du mat. Ce n’était pas son timing. Bien trop lent… Elle avait dû ramer plus que de coutume. La nuit de la course était une nuit sans lune. Une mer de stratus très bas bouchait la visibilité. Le sol était gelé. Des plaques de neige avaient tenu de vieilles congères, dans un fossé ou sur un pré. Seules les « frontales » des coureurs trouaient l’obscurité de la course.