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Extrait : "Il était neuf heures du soir le 2 août (le plus terrible des mois d'août de l'histoire mondiale). On aurait pu croire que déjà la malédiction divine pesait lourdement sur un monde dégénéré, car un silence impressionnant ainsi qu'un sentiment d'expectative planaient dans l'air suffocant, immobile."
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Seitenzahl: 32
Veröffentlichungsjahr: 2015
EAN : 9782335042689
©Ligaran 2015
Il était neuf heures du soir le 2 août (le plus terrible des mois d’août de l’histoire mondiale). On aurait pu croire que déjà la malédiction divine pesait lourdement sur un monde dégénéré, car un silence impressionnant ainsi qu’un sentiment d’expectative planaient dans l’air suffocant, immobile. Le soleil était couché, mais vers l’horizon d’ouest, s’étirait une balafre couleur de sang comme une blessure ouverte. Au-dessus les étoiles brillaient, claires; et au-dessous les feux des bateaux scintillaient dans la baie. Deux Allemands se tenaient accoudés sur le parapet de pierre de la terrasse; la longue maison basse à lourds pignons étalait sa masse derrière eux; ils regardaient la large courbe du rivage au pied de la grande falaise crayeuse sur laquelle Von Bork s’était perché, tel un aigle errant, quatre ans plus tôt. Leurs têtes se touchaient presque. Ils échangeaient des propos confidentiels. D’en bas les bouts incandescents de leurs cigares devaient ressembler aux yeux d’un mauvais diable scrutant la nuit.
Un homme remarquable, ce Von Bork ! Sans rival, pour ainsi dire, parmi tous les dévoués agents du Kaiser. Ses qualités l’avaient recommandé pour une mission en Angleterre (la plus importante de toutes); depuis qu’il s’y était attelé, ses talents s’étaient vite affirmés dans l’esprit de la demi-douzaine de personnes au courant de son activité, et notamment de son compagnon du moment, le baron Von Herling, secrétaire principal de la légation, dont la formidable Benz de 100 CV bloquait le chemin de campagne en attendant de ramener à Londres son propriétaire.
« Pour autant que je puisse juger des évènements, disait le secrétaire, vous serez probablement de retour à Berlin avant une semaine. Quand vous arriverez, mon cher Von Bork, je crois que vous serez surpris de l’accueil que vous recevrez. Je sais ce que l’on pense dans les cercles les plus élevés du travail que vous avez accompli dans ce pays. »
C’était un colosse, le secrétaire : grand, large, épais; il s’exprimait avec lenteur et conviction, ce qui lui avait beaucoup servi dans sa carrière politique.
Von Bork se mit à rire.
« Ils ne sont pas très difficiles à tromper, fit-il. Impossible de trouver un peuple plus docile, plus naïf !
– Je ne sais pas, répondit l’autre en réfléchissant. Ils ont des limites bizarres qu’il ne faut pas dépasser. Leur naïveté de surface est un piège pour l’étranger. La première impression est qu’ils sont complètement mous; et puis on tombe soudain sur quelque chose de très coriace; alors on sait qu’on a atteint la limite et il faut s’adapter au fait. Par exemple leurs conventions insulaires exigent d’être respectées.
– Vous voulez parler du « bon ton » et de ces sortes de choses ? demanda Von Bork en soupirant comme quelqu’un qui en a souffert beaucoup.
– J’entends le préjugé anglais, dans toutes ses curieuses manifestations. Tenez, je vous citerai l’une de mes pires bévues. Je peux me permettre de parler de mes bévues, car vous connaissez assez bien mon travail pour être au courant de mes réussites. Je venais d’arriver en poste. Je fus invité pour le week-end à une party dans la maison de campagne d’un ministre du cabinet. La conversation fut d’une indiscrétion folle. »
Von Bork fit un signe de tête.
« J’y étais, dit-il.
– En effet. Eh bien, tout naturellement j’ai envoyé à Berlin un résumé des renseignements obtenus. Pour mon malheur notre brave chancelier a la main un peu lourde dans ce genre d’affaires, et il a transmis une observation qui montrait éloquemment qu’il savait ce qui avait été dit. Bien sûr, la piste remontait droit sur moi. Vous n’avez pas idée du mal que cette histoire m’a fait. Je peux vous assurer qu’en l’occurrence il ne restait rien de mou chez nos hôtes anglais ! J’ai mis deux ans à faire oublier ce scandale. Mais vous, qui posez au sportif…