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Ernest Renan a laissé, dans ses papiers de jeunesse, les notes prises au cours de ses lectures classiques pendant sa préparation de sa licence ès lettres en 1846, sur les chefs-d'oeuvre de Corneille, Racine et Bossuet. Le dernier morceau sur Bossuet, déjà plus achevé, est une dissertation d'examen. Bien que ces fragments aient conservé un caractère spontané et scolaire, ce petit ouvrage est aussi un témoignage historique sur la façon dont sont alors perçus ces trois auteurs classiques dans les institutions éducatives du milieu du XIXe siècle. Cet ouvrage comprend : - SUR CORNEILLE : Médée, Horace, Polyeucte, Rodogune, Héraclius, Nicomède, OEdipe, Sertorius - SUR RACINE : La Thébaïde (Stace), Alexandre, Andromaque, Bérénice, Bajazet, Athalie, De l'imitation de la bible dans « Athalie » - SUR BOSSUET : Le génie de Bossuet dans l'oraison funèbre
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Ernest Renan a laissé, dans ses papiers de jeunesse, les notes prises par lui au cours de ses lectures classiques pendant sa préparation à la licence. Ce sont ces travaux d’étudiant que nous insérons aujourd’hui dans la curieuse collection des Cahiers de Paris. On peut les reporter à l’année 1846. Le dernier morceau sur Bossuet, déjà plus achevé, est également une dissertation d’examen. Il a paru intéressant, en conservant à ces fragments leur caractère spontané et jusqu’à leurs négligences, de mettre au jour la manière dont, il y a quatre-vingts ans, Ernest Renan préparait — avec ardeur — le programme de la licence ès lettres.
N. R.
Avant-propos du premier éditeur
SUR CORNEILLE
Médée
Le Cid
Horace
Cinna
Polyeucte
Pompée
Suite du menteur
Rodogune
Théodore
Héraclius
Héraclius (de Calderon)
Nicomède
Œdipe
Sertorius
SUR RACINE
La Thébaïde
(Stace)
Alexandre
Andromaque
Bérénice
Bajazet
Athalie
De l’imitation de la bible dans « Athalie »
SUR BOSSUET
Le génie de Bossuet dans l’oraison funèbre
Embarras et froideur dans l’exposition.
Ambiguïté du caractère de Jason, comme aussi un peu du caractère d’Othon par le même motif; on ne sait s’il aime, ou s’il feint l’amour par amitié. Le mélange des deux motifs fait un mauvais effet.
L’entrevue de Jason et de Créuse est ridicule de froideur. Je ne veux rien pour rien, dit Créuse. Quelle tendresse !
La scène de Médée et de Nérine est plus vigoureuse. En général, le caractère de Médée, qui du reste est le seul de la pièce, ne manque [pas] de vigueur et de grandeur dans le crime et la passion.
On ne voit pas pourquoi Créon et Créuse s’attachent si fort à Jason.
La scène de Médée et Créon, au second acte, est malheureuse. Le récit de la Toison d’or est déplacé et il y a des traits du goût d’alors, outre qu’en ces deux premières scènes, l’action ne marche pas.
Quant à Egée, il est très décidément ridicule. Outre qu’il est absolument inutile, et rompt l’unité de l’intérêt, ne se reliant en rien à Médée. Ce n’est pas comme en Polyeucte, où l’amour de Sévère se lie si bien à la fable principale.
Il n’y a dans cette pièce que Médée de supportable. Mais celle-là est déjà faite à la Corneille.
– Et puis il y a un nœud ; le système de notre tragédie est formé. C’est immense. Le style constamment noble n’est pas encore trouvé. Il y a, comme dans Mairet, des expressions vulgaires, presque comiques.
Ce qui fait le beau de ce caractère de Médée, c’est sa puissance, jointe à sa méchanceté et à sa fureur. Cela fait frémir le lecteur, et peut-être pas assez les personnages de la pièce qui n’en tiennent pas assez de compte. Toute l’idée de la pièce est à la lettre dans le Moi. Médée seule entre tous ses ennemis.
Caractère de Jason insoutenable. Ni odieux, ni héroïque. On ne sait.
Admirable mise en scène de Médée et de Jason. Une des plus pathétiques de Corneille, surtout quand Médée lui reproche ses propres crimes.
On est aussi assez surpris de trouver le demi-dieu Pollux réduit aux mesquines fonctions de confident et conseiller.
Dans Médée, comme dans la pièce antécornélienne, la séparation entière de la comédie et de la tragédie, qui devient si caractéristique de notre théâtre, et qui lui est si fort reprochée, ne se fait pas encore entièrement sentir. Egée par exemple et la leçon qui se rapporte à lui est souvent comique. Voyez surtout la fin du monologue lyrique d’Egée en prison.
La scène de Médée et d’Egée en prison est ridicule par le pitoyable rôle d’Egée, misérable solliciteur de femmes qui ne veulent pas de lui. Et puis, tout cet épisode n’ayant pour objet que de ménager une retraite à Médée pour l’avenir, ne tient pas assez à l’action. Le lecteur s’occupe peu de cet ultérieur. Le même défaut plus choquant encore dans Euripide, où Egée tombe du ciel.
Le dénouement toujours si difficile est heureusement ménagé. Mais l’exécution en est faible.
Ressemblance de contexture avec Le Cid pour la disposition et la suite des scènes. Dans les deux aussi, un combat mêlé à l’action, dans l’intervalle des actes.
Il n’y a d’admirable que le caractère de Médée et tout ce qui s’y rapporte. Et tout cela est pris à Euripide et Sénèque.
Réflexions de Brumoy sur Egée tout analogue aux miennes. Allongement comme dans l’infante dans Le Cid.
Caractère inutile d’Egée ; rapprochez de l’infante, et de Sabine d’Horace — et de Livie dans Cinna et d’Eryxe dans Sophonisbe2.
Même sujet en Euripide et Sénèque. Nombreuses imitations de Sénèque, entr’autres les fureurs de Médée.
Souverain protecteur des lois de l’hyménée…
Déclamation dans le goût de Sénèque.
La Médée d’Euripide est aussi le plus ancien de ses ouvrages qui nous reste.
Critiques justes que fait Corneille au chœur d’Euripide en Médée. Il est le confident, comme s’il ne devait pas dire…
Invraisemblable, insoutenable pour nous autres modernes, projets contre leur roi. Dans les tragédies grecques, les femmes ne paraissent guère que pour le mal ; remarque d’Aristote : les esclaves toujours mauvais, les femmes le plus souvent mauvaises.
Corneille, dans cette pièce, comme dans Le Cid, ne s’astreint pas à cette règle, devenue essentielle depuis, que la scène ne reste jamais vide, et que les acteurs entrent et sortent sans se parler et sans se voir.
L’influence de Sénèque est très sensible en cette pièce.
Pièces diverses sur le sujet de Médée3.
1° Euripide
2° Néophron
3° Ennius traduit Euripide
4° Ovide
5° Mécène
6° Sénèque
7° Buchanan traduit Euripide (Grotius aussi)
8° La Péruse traduit Sénèque
9° P. Corneille et Th. Corneille (Opéra)
10° Ludovico Dolce
11° Longepierre (Médée et Jason de l’abbé Pellegrin)
12° Clément
13° Glover
14° Framery, opéra, etc.4
Médée joue encore le principal rôle dans La Toison d’or de Corneille et l’opéra de Thésée de Quinault.
Le sujet est aussi traité dans le VIIe livre des Métamorphoses d’Ovide.
EURIPIDE
La nourrice de Médée, en Euripide.
Application de ce que dit Corneille, qu’il est plus facile de trouver des personnes pour raconter ces choses que pour les entendre. Elle parle au soleil.
Déclamation de Médée contre le mariage, comme en Hippolyte, thèse sur le célibat, etc.
SENEQUE
Le chœur chante l’épithalame de Jason et de Créuse. Jason plus excusable chez Sénèque, car il meurt, s’il n’épouse pas Créuse. Comme dans Corneille, Médée est sacrifiée à la raison d’État. Non ainsi en Euripide.
Le chœur, dans Sénèque, tout postiche, n’a nul rapport à Médée.
Médée égorge ses enfants en public, violant sans pudeur le précepte d’Horace :
Nec pueros coram populo Médea trucidat.
Le vers prouve combien ce sujet était classique et de lieu commun. Adde :
Sit Medea ferax invictaque.
C’est la moins mauvaise des pièces attribuées à Sénèque.
LONGEPIERRE
Caractère de Créon sacrifié, mesquin. Celui de Médée grand, quand bien joué, réussit.
Scène de Médée et de Jason bien moins vigoureuse que dans Corneille.
Médée offre elle-même la rose.
Diverses oppositions d’assez d’effet dans le charme de Médée.
Dernière scène ressemble à Corneille. Jason rendu immobile par un coup de baguette. Reproches que lui adresse Médée.
CLEMENT
(Plan et caractères différents).
A écarté la magie et le merveilleux, se rapproche d’Euripide.
Misérable caractère de Jason. Il n’allègue que la politique. Il ressemble à Enée par rapport à Didon.
Jason a des remords.
Le mariage avec Créuse est célébré le jour même.
Le meurtre des fils pas amené. Même défaut dans Longepierre.
Remords de Médée ayant tué ses fils.
Elle demande la mort à Jason qui refuse. Elle se tue. Il n’y a que trois actes.
GLOVER
Change tous les caractères. Médée, tendre et sensible, qui sacrifie tout à l’amour.
Créon, tyran impie et cruel.
Chœur comme chez les anciens.
Dénouement ne ressemble en rien à la fable. Médée touchante et innocente. Tout l’odieux sur Créon.
Tout Le Cid est en ce vers de Don Diègue :
L’amour est un plaisir, l’honneur est un devoir.
Ou bien encore : Supériorité de l’honneur sur l’amour et de l’amour sur la vie. Cf. le discours de Rodrigue.
Pour venger sa maîtresse, il a quitté le jour Préférant…
Son honneur à Chimène, et Chimène à la vie.
C’est le même sacrifice se répétant trois fois dans l’infante et les deux héros. Mais quelle différence entre le premier combat et le second !
Il est remarquable que Corneille ait blâmé par la suite les deux entrevues de Rodrigue et de Chimène et surtout les propositions peu naturelles et guindées de Rodrigue. Voyez son examen.
Il y a comme deux plans dans cette tragédie. Un premier plan supérieur où se remuent les passions fortes, viriles, l’honneur, etc. Un second, de femmes, d’amour. L’art de Corneille et sa pensée morale a été de poser celui-ci en inférieur. — On voit que c’est un grave Espagnol qui dit : Le viril avant tout ; mais qui reconnaît pourtant qu’il y a aussi un cœur.
Remarquez aussi l’art avec lequel ces deux plans sont comme entremêlés dans toute la pièce.
Une circonstance qu’on n’a peut-être pas assez remarquée, et qui sauve merveilleusement le dénouement, ce sont les nouveaux périls que Rodrigue va courir en Afrique. Tout cela, en remettant en question ce qui a déjà traversé deux épreuves, sauve le mariage. C’est un instinct analogue qui nous fait regarder comme permis ce qui a dû traverser beaucoup d’épreuves. On l’a compris alors, sentiment très délicat, qui ne se peut analyser rigoureusement.
Remarquez qu’il n’y a pas proprement dans Le Cid de combat de deux passions, comme par exemple dans Bajazet, comme dans Horace surtout, Camille, Sabine, etc., amour et haine de Roxane. Chimène ne hait pas un seul moment Rodrigue, mais le devoir l’oblige à agie contre lui, mais elle continue intérieurement ç l’aimer comme auparavant.
Rapports entre le rôle inutile de l’infante et le rôle tout analogue d’Egée dans Médée