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Le premier tome décrit les aventures burlesques de Tartarin, chef des chasseurs de casquettes de Tarascon, allant chasser le lion en Algérie. C'est un héros naïf, qui se laisse berner par des personnages peu scrupuleux, voire par lui-même tout au long de son voyage vers l'Atlas.
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Seitenzahl: 128
Veröffentlichungsjahr: 2019
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1
Alphonse Daudet
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À Tarascon
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Ma première visite à Tartarin de Tarascon est restée dans ma vie
comme une date inoubliable ; il y a douze ou quinze ans de cela,
mais je m’en souviens mieux que d’hier. L’intrépide Tartarin habitait
alors, à l’entrée de la ville, la troisième maison à gauche sur le
chemin d’Avignon.
Jolie petite villa tarasconnaise avec jardin devant, balcon derrière,
des murs très blancs, des persiennes vertes, et sur le pas de la porte
une nichée de petits Savoyards jouant à la marelle ou dormant au bon
soleil, la tête sur leurs boîtes a cirage.
Du dehors, la maison n’avait l’air de rien.
Jamais on ne se serait cru devant la demeure d’un héros.
Mais quand on entrait, coquin de sort !…
De la cave au grenier, tout le bâtiment avait l’air héroïque, même
le jardin !…
Ô le jardin de Tartarin, il n’y en avait pas deux comme celui-là en
Europe. Pas un arbre du pays, pas une fleur de France ; rien que des
plantes exotiques, des gommiers, des calebassiers, des cotonniers,
des cocotiers, des manguiers, des bananiers, des palmiers, un baobab,
des nopals, des cactus, des figuiers de Barbarie, a se croire en pleine
Afrique centrale, a dix mille lieues de Tarascon.
Tout cela, bien entendu, n’était pas de grandeur naturelle ; ainsi
les cocotiers n’étaient guère plus gros que des betteraves, et le
baobab (arbre géant, arbor gigantea) tenait à l’aise dans un pot de
réséda ; mais c’est égal ! pour Tarascon, c’était déjà bien joli, et les
personnes de la ville, admises le dimanche à l’honneur de contempler
le baobab de Tartarin, s’en retournaient pleines d’admiration.
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Pensez quelle émotion je dus éprouver ce jour-là en traversant ce
jardin mirifique !… Ce fut bien autre chose quand on m’introduisit
dans le cabinet du héros.
Ce cabinet, une des curiosités de la ville, était au fond du jardin,
ouvrant de plain-pied sur le baobab par une porte vitrée.
Imaginez-vous une grande salle tapissée de fusils et de sabres,
depuis en haut jusqu’en bas, toutes les armes de tous les pays du
monde : carabines, rifles, tromblons, couteaux corses, couteaux
catalans, couteaux-revolvers, couteaux-poignards, kriss malais,
flèches caraïbes, flèches de silex, coups-de-poing, casse-tête,
massues hottentotes, lassos mexicains, est-ce que je sais ! Par la-
dessus, un grand soleil féroce qui faisait luire l’acier des glaives et
les crosses des armes a feu, comme pour vous donner encore plus la
chair de poule… Ce qui rassurait un peu pourtant, c’était le bon air
d’ordre et de propreté qui régnait sur toute cette yataganerie. Tout y
était rangé, soigné, brossé, étiqueté comme dans une pharmacie ; de
loin en loin, un petit écriteau bonhomme sur lequel on lisait :
Flèches empoisonnées, ne touchez pas !
Ou :
Armes chargées, méfiez-vous !
Sans ces écriteaux, jamais je n’aurais osé entrer.
Au milieu du cabinet, il y avait un guéridon. Sur le guéridon, un
flacon de rhum, une blague turque, Les Voyages du capitaine Cook,
les romans de Cooper, de Gustave amarre, des récits de chasse :
chasse à l’ours, chasse au faucon, chasse a l’éléphant, etc. Enfin,
devant le guéridon, un homme était assis, de quarante à quarante-cinq
ans, petit, gros, trapu, rougeaud, en bras de chemise, avec des
caleçons de flanelle, une forte barbe courte et des yeux flamboyants ;
d’une main il tenait un livre, de l’autre il brandissait une énorme pipe
à couvercle de fer, et, tout en lisant je ne sais quel formidable récit de
chasseurs de chevelures, il faisait, en avançant sa lèvre inférieure,
une moue terrible, qui donnait à sa brave figure de petit rentier
tarasconnais ce même caractère de férocité bonasse qui régnait dans
toute la maison.
Cet homme, c’était Tartarin, Tartarin de Tarascon, l’intrépide, le
grand, l’incomparable Tartarin de Tarascon.
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… de Tarascon
Les Chasseurs de Casquettes
Au temps dont je vous parle, Tartarin de Tarascon n’était pas
encore le Tartarin qu’il est aujourd’hui, le grand Tartarin de Tarascon
si populaire dans tout le Midi de la France.
Pourtant – même a cette époque – c’était déjà le roi de Tarascon.
Disons d’où lui venait cette royauté.
Vous saurez d’abord que là-bas tout le monde est chasseur, depuis
le plus grand jusqu’au plus petit. La chasse est la passion des
Tarasconnais, et cela depuis les temps mythologiques où la Tarasque
faisait les cent coups dans les marais de la ville et où les Tarasconnais
d’alors organisaient des battues contre elle. Il y a beau jour, comme
vous voyez.
Donc, tous les dimanches matin, Tarascon prend les armes et sort
de ses murs, le sac au dos, le fusil a l’épaule, avec un tremblement de
chiens, de furets, de trompes, de cors de chasse. C’est superbe
avoir… Par malheur, le gibier manque, il manque absolument.
Si bêtes que soient les bêtes, vous pensez bien qu’à la longue elles
ont fini par se méfier.
À cinq lieues autour de Tarascon, les terriers sont vides, les nids
abandonnés. Pas un merle, pas une caille, pas le moindre lapereau,
pas le plus petit cul-blanc.
Elles sont cependant bien tentantes, ces jolies collinettes
tarasconnaises, toutes parfumées de myrte, de lavande, de romarin ;
et ces beaux raisins muscats gonflés de sucre, qui s’échelonnent au
bord du Rhône, sont diablement appétissants aussi…
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Oui, mais il y a Tarascon derrière, et, dans le petit monde du poil
et de la plume, Tarascon est très mal noté. Les oiseaux de passage
eux-mêmes l’ont marqué d’une grande croix sur leurs feuilles de
route, et quand les canards sauvages, descendant vers la Camargue en
longs triangles, aperçoivent de loin les clochers de la ville, celui qui
est en tête se met à crier bien fort : “Voilà Tarascon !… voilà
Tarascon !” et toute la bande fait un crochet.
Bref, en fait de gibier, il ne reste plus dans le pays qu’un vieux
coquin de lièvre, échappé comme par miracle aux septembrisades
tarasconnaises et qui s’entête à vivre là ! à Tarascon, ce lièvre est très
connu. On lui a donné un nom.
Il s’appelle le Rapide. On sait qu’il a son gîte dans la terre de M.
Bompard – ce qui, par parenthèse, a doublé et même triplé le prix de
cette terre – mais on n’a pas encore pu l’atteindre.
À l’heure qu’il est même, il n’y a plus que deux ou trois enragés
qui s’acharnent après lui.
Les autres en ont fait leur deuil, et le Rapide est passé depuis
longtemps à l’état de superstition locale, bien que le Tarasconnais
soit très peu superstitieux de sa nature et qu’il mange des hirondelles
en salmis, quand il en trouve.
Ah ça ! me direz-vous, puisque le gibier est si rare à Tarascon,
qu’est-ce que les chasseurs tarasconnais font donc tous les
dimanches ?
Ce qu’ils font ?
Eh mon Dieu ! ils s’en vont en pleine campagne à deux ou trois
lieues de la ville.
Ils se réunissent par petits groupes de cinq ou six, s’allongent
tranquillement a l’ombre d’un puits, d’un vieux mur, d’un olivier,
tirent de leurs carniers un bon morceau de bœuf en daube, des
oignons crus, un saucissot, quelques anchois, et commencent un
déjeuner interminable, arrosé d’un de ces jolis vins du Rhône qui
font rire et qui font chanter.
Après quoi, quand on est bien lesté, on se lève, on siffle les
chiens, on arme les fusils, et on se met en chasse. C’est-à-dire que
chacun de ces messieurs prend sa casquette, la jette en l’air de toutes
ses forces et la tire au vol avec du 5, du 6 ou du 2 – selon les
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conventions.
Celui qui met le plus souvent dans sa casquette est proclamé roi
de la chasse, et rentre le soir en triomphateur a Tarascon, la casquette
criblée au bout du fusil, au milieu des aboiements et des fanfares.
Inutile de vous dire qu’il se fait dans la ville un grand commerce
de casquettes de chasse. Il y a même des chapeliers qui vendent des
casquettes trouées et déchirées d’avance a l’usage des maladroits ;
mais on ne connaît guère que Bézuquet, le pharmacien, qui leur en
achète.
C’est déshonorant !
Comme chasseur de casquettes, Tamarin de Tarascon n’avait pas
son pareil. Tous les dimanches matin, il partait avec une casquette
neuve : tous les dimanches soir il revenait avec une loque. Dans la
petite maison du baobab, les greniers étaient pleins de ces glorieux
trophées. Aussi, tous les Tarasconnais le reconnaissaient-ils pour leur
maître, et comme Tamarin savait à fond le code du chasseur, qu’il
avait lu tous les traités, tous les manuels de toutes les chasses
possibles, depuis la chasse à la casquette jusqu’à la chasse au tigre
birman, ces messieurs en avaient fait leur grand justicier cynégétique
et le prenaient pour arbitre dans toutes leurs discussions.
Tous les jours, de trois a quatre, chez l’armurier Costecalde, on
voyait un gros homme, grave et la pipe aux dents, assis sur un
fauteuil de cuir vert, au milieu de la boutique pleine de chasseurs de
casquettes, tous debout et se chamaillant. C’était Tartarin de Tarascon
qui rendait la justice. Nemrod doublé de Salomon.
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Suite du Coup d’œil Général jeté
sur la Bonne Ville de Tarascon
À la passion de la chasse, la forte race tarasconnaise joint une
autre passion : celle des romances. Ce qui se consomme de romances
dans ce pays, c’est à n’y pas croire.
Toutes les vieilleries sentimentales qui jaunissent dans les plus
vieux cartons, on les retrouve a Tarascon en pleine jeunesse, en plein
éclat. Elles y sont toutes, toutes. Chaque famille alsasienne, et dans la
ville cela se sait. On sait, par exemple, que celle du pharmacien
Bézuquet, c’est :
Toi, blanche étoile que j’adore ;
Celle de l’armurier Costecalde :
Veux-tu venir au pays des cabanes ?
Celle du receveur de l’enregistrement :
Si j’étais-t-invisible, personne n’me verrait.
(Chansonnette comique.)
Et ainsi de suite pour tout Tarascon. Deux ou trois fois par
semaine, on se réunit les uns chez les autres et on se les chante. Ce
qu’il y a de singulier, c’est que ce sont toujours les mêmes, et que,
depuis si longtemps qu’ils se les chantent, ces braves Tarasconnais
n’ont jamais envie d’en changer. On se les lègue dans les familles, de
père en fils, et personne n’y touche ; c’est sacré. Jamais même on ne
s’en emprunte. Jamais il ne viendrait a l’idée des Costecalde de
chanter celle des Bézuquet, ni aux Bézuquet de chanter celle des
Costecalde.
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Et pourtant vous pensez s’ils doivent les connaître depuis quarante
ans qu’ils se les chantent.
Mais non ! chacun garde la sienne et tout le monde est content.
Pour les romances comme pour les casquettes, le premier de la
ville était encore Tartarin. Sa supériorité sur ces concitoyens
consistait en ceci : Tartarin de Tarascon n’avait pas la sienne. Il les
avait toutes. Toutes !
Seulement c’était le diable pour les lui faire chanter.
Revenu de bonne heure des succès de salon, le héros tarasconnais
aimait bien mieux se plonger dans ses livres de chasse ou passer sa
soirée au cercle que de faire le joli cœur devant un piano de Nîmes,
entre deux bougies de Tarascon. Ces parades musicales lui
semblaient au-dessous de lui… Quelquefois cependant, quand il y
avait de la musique à la pharmacie Bézuquet, il entrait comme par
hasard, et après s’être bien fait prier, consentait a dire le grand duo de
Robert le Diable, avec Mme Bézuquet, la mère… Qui n’a pas
entendu cela n’a jamais rien entendu…
Pour moi, quand je vivrais cent ans, je verrais toute ma vie le
grand Tartarin s’approchant du piano d’un pas solennel, s’accoudant,
faisant sa moue, et sous le reflet vert des bocaux de la devanture,
essayant de donner à sa bonne face l’expression satanique et farouche
de Robert le Diable.
À peine avait-il pris position, tout de suite le salon frémissait ; on
sentait qu’il allait se passer quelque chose de grand… alors, après un
silence, Mme Bézuquet, la mère, commençait en s’accompagnant :
Robert, toi que j’aime
Et qui reçus ma foi,
Tu vois mon effroi (bis),
Grâce pour toi-même
Et grâce pour moi.
À voix basse, elle ajoutait : “à vous, Tartarin”, et Tartarin de
Tarascon, le bras tendu, le poing fermé, la narine frémissante, disait
par trois fois d’une voix formidable, qui roulait comme un coup de
tonnerre dans les entrailles du piano : “Non !… non !… non !…” ce
qu’en bon Méridional il prononçait : “Nan !… nan !… nan !…” Sur
quoi Mme Bézuquet, la mère, reprenait encore une fois :
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Grâce pour toi-même Et grâce pour moi.
“Nan !… nan !… nan !…” hurlait Tartarin de plus belle, et la
chose en restait là… Ce n’était pas long, comme vous voyez : mais
c’était si bien jeté, si bien mimé, si diabolique, qu’un frisson de
terreur courait dans la pharmacie, et qu’on lui faisait recommencer
ses : “Nan !… nan !…” quatre et cinq fois de suite.
Là-dessus Tartarin s’épongeait le front, souriait aux dames,
clignait de l’œil aux hommes, et, se retirant sur son triomphe, s’en
allait dire au cercle d’un petit air négligent :
“Je viens de chez les Bézuquet chanter le duo de Robert le
Diable” !
Et le plus fort, c’est qu’il le croyait !…
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C’est à ces différents talents que Tartarin de Tarascon devait sa
haute situation dans la ville.
Du reste, c’est une chose positive que ce diable d’homme avait su
prendre tout le monde.
À Tarascon, l’armée était pour Tartarin. Le brave commandant
Bravida, capitaine d’habillement en retraite, disait de lui : “C’est un
lapin !” et vous pensez que le commandant s’y connaissait en lapins,
après en avoir tant habillé.
La magistrature était pour Tartarin. Deux ou trois fois, en plein
tribunal, le vieux président la devèze avait dit, parlant de lui :
“C’est un caractère !”
Enfin le peuple était pour Tamarin. Sa carrure, sa démarche, son
air, un air de bon cheval de trompette qui ne craignait pas le bruit,
cette réputation de héros qui lui venait on ne sait d’où, quelques
distributions de gros sous et de taloches aux petits décrotteurs étalés
devant sa porte, en avaient fait le lord Seymour de l’endroit, le roi
des halles tarasconnaises. Sur les quais, le dimanche soir, quand
Tamarin revenait de la chasse, la casquette au bout du canon, bien
sanglé dans sa veste de futaine, les portefaix du Rhône s’inclinaient
pleins de respect, et se montrant du coin de l’œil les biceps
gigantesques qui roulaient sur ses bras, ils se disaient tout bas les uns
aux autres avec admiration :
“C’est celui-là qui est fort !… Il a doubles muscles !” Doubles
muscles !
Il n’y a qu’à Tarascon qu’on entend de ces choses-là !
Et pourtant, en dépit de tout, avec ses nombreux talents, ses
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doubles muscles, la faveur populaire et l’estime si précieuse du brave
commandant Bravida, ancien capitaine d’habillement, Tamarin
n’était pas heureux ; cette vie de petite ville lui pesait, l’étouffait. Le
grand homme de Tarascon s’ennuyait à Tarascon. Le fait est que,
pour une nature héroïque comme la sienne, pour une âme
aventureuse et folle qui ne rêvait que batailles, courses dans les
pampas, grandes chasses, sables du désert, ouragans et typhons, faire
tous les dimanches une battue à la casquette et le reste du temps
rendre la justice chez l’armurier Costecalde, ce n’était guère…
Pauvre cher grand homme ! à la longue, il y aurait eu de quoi le faire
mourir de consomption.
En vain, pour agrandir ses horizons, pour oublier un peu le cercle
et la place du Marché, en vain s’entourait-il de baobabs et autres
végétations africaines ; en vain entassait-il armes sur armes, kriss
malais sur kriss malais ; en vain se bourrait-il de lectures
romanesques, cherchant, comme l’immortel don Quichotte, à